Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et discussion générale sur le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (nos 4104, 4153) (MM. Raphaël Gauvain et Loïc Kervran, rapporteurs)              2


Lundi
17 mai 2021

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 93

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 17 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice et procède à la discussion générale sur le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (nos 4104, 4153) (MM. Raphaël Gauvain et Loïc Kervran, rapporteurs).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le ministre de l’Intérieur, monsieur le garde des Sceaux, ministre de la Justice, merci d’avoir accepté que cette audition, initialement prévue mercredi dernier, soit reprogrammée cet après-midi.

Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, sur lequel plus de 200 amendements ont été déposés, est important pour la sécurité des Français, bien sûr, mais aussi pour le Parlement. En effet, certaines des mesures qu’il contient font l’objet d’un contrôle parlementaire renforcé, et des clauses d’extinction nécessitaient une nouvelle intervention du Parlement. Le texte, présenté en conseil des ministres le 28 avril, a été complété par une lettre rectificative en date du 12 mai. Nous l’examinerons en séance publique à partir du 1er juin.

Monsieur le garde des Sceaux, vous défendez un article qui m’est particulièrement cher, ainsi qu’à la commission des Lois dans son ensemble : l’article 5, qui instaure une nouvelle mesure judiciaire pour les personnes sortant de prison.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Nous allons passer une partie de la semaine ensemble car, à votre invitation, madame la présidente, j’assisterai à vos débats, autant qu’il me sera possible, pour donner l’avis du Gouvernement. Je serai parmi vous dès mercredi matin puisque, exceptionnellement, et en raison de l’importance du texte, le président de la République m’a autorisé à ne pas participer au conseil des ministres.

J’ai l’honneur de présenter devant vous, avec Éric Dupond-Moretti, le projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Dès mon arrivée au ministère de l’Intérieur, monsieur le garde des Sceaux et moi-même avons commencé à discuter de la prorogation de certaines des dispositions, inscrites dans la loi et dans le règlement au moment de la sortie de l’état d’urgence, qui visaient à nous donner les moyens de lutter contre le terrorisme. Dans ce domaine, comme chacun le constate, la menace reste extrêmement prégnante. J’ai évidemment une pensée pour toutes les victimes du terrorisme, à commencer par la dernière en date, Stéphanie Monfermé, assassinée à Rambouillet. Le terrorisme frappe les Françaises et les Français, y compris sur le sol national. Je salue l’ensemble des services de l’État – les policiers et gendarmes, mais aussi les agents des services de renseignement.

Les précédents ministres de l’Intérieur ont organisé une sortie maîtrisée de l’état d’urgence. Ainsi, tout en respectant le cadre de l’État de droit, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a donné à l’autorité administrative des compétences nouvelles, strictement adaptées et proportionnées à la menace, dans le seul but de prévenir la commission d’actes de terrorisme, et toujours – j’y insiste – sous le contrôle du juge, qu’il soit judiciaire ou administratif.

Nous avons mis en place des périmètres de protection afin d’assurer la sécurité de certains lieux ou événements. Depuis le 1er novembre 2017, 610 périmètres ont été établis, mais aucun n’est actif à ce jour. Nous avons procédé à des fermetures de lieux de culte – huit au total – dans lesquels circulaient des idées ou étaient tenus des propos incitant à la commission d’attentats. J’ai levé cette mesure pour la mosquée de Pantin, car les fidèles ont décidé de se séparer des personnes qui en étaient la cause.

Force est toutefois de souligner les limites posées à notre action par la législation. Ainsi, aucun des auteurs des neuf derniers attentats commis sur le sol national n’était connu de nos services de renseignement. Ce constat doit nous conduire à nous interroger. Les services sont confrontés à un défi : ils doivent détecter de nouvelles menaces, que nous ne connaissons pas ou que nous connaissons peu. Les auteurs et leur mode opératoire sont mal connus, mais ils sont susceptibles de faire l’objet d’une surveillance plus ciblée, à travers des dispositifs restant bien évidemment conformes à l’État de droit.

J’ai déjà eu l’occasion de présenter le projet de loi dans les médias et devant le conseil des ministres autour de trois thématiques : l’humain, la technologie et l’éthique.

Le texte s’attache à l’humain, d’abord, car il permet de concentrer la vigilance de l’État sur les profils les plus dangereux : les personnes sortant de prison condamnées pour terrorisme – monsieur le garde des Sceaux détaillera le dispositif ; les individus au profil psychologique perturbé – c’est une litote pour dire qu’un certain nombre de personnes commettant des actes terroristes font l’objet d’un suivi psychiatrique et que nous voulons les prendre mieux en compte ; les individus ayant recours aux applications téléphoniques cryptées et aux réseaux sociaux, en dehors des communications téléphoniques classiques. L’aspect humain englobe donc une grande partie des dispositions du texte.

Le projet de loi prend en compte l’aspect technologique, ensuite, dans la mesure où il vise à adapter, sous le contrôle du Parlement – à travers la délégation parlementaire au renseignement (DPR), composée de parlementaires des deux chambres – et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), les techniques de renseignement à l’évolution des comportements des individus, qui passe par de nouveaux vecteurs. Les ministères des Armées, de la Justice et de l’Intérieur vous proposent ainsi un certain nombre de dispositifs permettant une adaptation technologique à la menace. Les voitures des gendarmes doivent être aussi rapides que celles des délinquants : il en va de même en matière de lutte contre le terrorisme.

Enfin, il s’agit de renforcer l’éthique, puisque les pérennisations et les évolutions sont toujours garanties par le texte de loi, dans le strict respect des libertés individuelles. À cet égard, un autre point important devrait tous nous satisfaire : selon la volonté expresse du Président de la République, l’ouverture des archives classifiées sera la règle générale et non plus l’exception.

Ce projet de loi n’est pas un point de bascule ; au contraire, il s’inscrit dans la dynamique des textes précédents. Il vient confirmer des dispositifs expérimentaux. Il permet également de souligner le travail accompli par les gouvernements successifs du président Hollande et du président Macron. Ainsi, il pérennise les dispositions issues de la loi SILT : les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte et de leurs dépendances, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires et saisies. Il a également pour objectif de compléter un certain nombre de dispositions qui fonctionnent, comme l’interdiction de paraître dans un lieu où se tient un événement qui, par son ampleur ou sa nature, pourrait être exposé à une menace terroriste.

S’agissant des nouvelles technologies, le texte pérennise la technique dite de l’algorithme, mise à la disposition de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il inclut toutes les URL (adresses web) parmi les données susceptibles d’être recueillies par le biais de techniques de renseignement. Il élargit la liste des techniques de renseignement pour lesquelles le concours des opérateurs de communications électroniques est requis. Il augmente la durée d’autorisation de la technique consistant à recueillir les données informatiques.

Deux nouveaux dispositifs sont créés. Le premier concerne la conservation de renseignements pour les seuls besoins de la recherche et du développement, sans que soit remis en cause l’anonymat des personnes. Le second vise à développer l’interception de correspondances échangées par voie satellitaire.

La lettre rectificative, importante, vise à tenir compte de la décision « French Data Network » du 21 avril dernier du Conseil d’État, relative à la conservation généralisée des données à des fins judiciaires et de renseignement. Cette décision, qui fait suite à l’arrêt « Tele2 » », nous donne les moyens de garantir la liberté de chacun dans un cadre européen, tout en conservant notre souveraineté en matière de renseignement.

Le Gouvernement se présente devant votre assemblée avec le souci de la transparence et de la responsabilité. Je remercie par avance les rapporteurs, Raphaël Gauvain et Loïc Kervran, ainsi que Guillaume Larrivé, rapporteur d’application, pour le travail que nous pourrons faire ensemble afin de doter l’État des moyens de lutter contre le terrorisme, qui prend des formes nouvelles, tout en respectant les principes élémentaires de l’État de droit.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il me revient l’honneur de présenter une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, contenue dans l’article 5.

D’ici à la fin de l’année 2023, une centaine de personnes détenues pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste doivent sortir de prison à l’issue de leur peine. Certaines d’entre elles sont susceptibles de présenter encore des signes de radicalisation face à laquelle notre arsenal pénal souffre d’une lacune majeure, qu’un certain nombre d’entre vous ont diagnostiquée et qu’il s’agit ici de combler. Je tiens à saluer votre engagement en la matière, madame la présidente, ainsi que celui de monsieur Gauvain.

Actuellement, aucune mesure judiciaire ne peut être prononcée afin de s’assurer que ces personnes condamnées pour actes de terrorisme puissent faire l’objet d’un suivi judiciaire spécifique après la fin de leur peine. C’est pourquoi, en réponse à cette menace nouvelle, l’article 5 du projet de loi propose de créer une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste. Le dispositif, que je défends au nom du ministère de la Justice, permettra de contraindre la personne condamnée à une série d’obligations destinées à prévenir le risque de récidive.

Cette nouvelle mesure tire toutes les conclusions de la décision du 7 août dernier, par laquelle le Conseil constitutionnel avait jugé que les mesures votées dans le cadre de la proposition de loi déposée par madame Braun-Pivet méconnaissaient le principe de rigueur nécessaire. Toutefois, dans la même décision, le Conseil avait validé les objectifs poursuivis par le texte en rappelant qu’il était « loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité, évaluée à partir d’éléments objectifs […] et visant à prévenir la récidive de telles infractions ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel avait tracé un chemin que nous avons choisi d’emprunter prudemment.

Ainsi, les obligations et interdictions pouvant être prononcées dans le cadre de la nouvelle mesure de sûreté sont moins attentatoires aux libertés que celles envisagées par la loi censurée. De même, alors que la mesure initiale d’un an pouvait être renouvelée dans la limite de dix ans, le nouveau projet fixe cette limite à cinq ans. Cette mesure judiciaire de prévention imposera au condamné de respecter les conditions d’une prise en charge destinée à sa réinsertion, prioritairement envisagée sous l’angle de la déradicalisation.

La mesure ne pourra être prononcée qu’à l’encontre d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans pour un acte de terrorisme, ou d’au moins trois ans si l’acte de terrorisme est commis en récidive, alors que la loi censurée permettait de la prononcer à l’encontre de personnes également condamnées à des peines assorties d’un sursis.

Chaque renouvellement de la mesure, initialement fixée à un an, sera subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires, ce que n’imposait pas la loi censurée. Le manquement à ces obligations pourra évidemment conduire à une nouvelle incarcération.

Dans son avis du 21 avril dernier, l’assemblée générale du Conseil d’État a constaté que le dispositif proposé répondait aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision d’août 2020. Ainsi, l’article qui vous est proposé concilie la protection des libertés individuelles et l’impérieux besoin d’une vigilance accrue à l’égard des profils les plus dangereux.

Enfin, pour que vous puissiez mesurer pleinement la large portée de la nouvelle mesure judiciaire de prévention, je précise qu’elle pourra concerner près de 250 des 254 personnes incarcérées à ce jour après avoir été définitivement condamnées pour actes de terrorisme, soit la quasi-totalité des détenus terroristes condamnés qui sortiraient de prison.

La proposition qui vous est faite à l’article 5 permet donc d’apporter une réponse efficace à cette nouvelle menace, tout en respectant notre État de droit et les principes fondateurs de notre démocratie. En une phrase, il s’agit pour nous de combattre le terrorisme avec force sans jamais nous compromettre.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur. Le terrorisme islamiste, qui est l’un des défis majeurs de notre temps, est l’affaire d’une ou de plusieurs générations. Il constitue une menace très forte, endogène et de plus en plus difficile à détecter.

À la suite des attentats du Bataclan, en novembre 2015, la France avait été placée sous le régime de l’état d’urgence. Celui-ci, je le rappelle, est un régime d’exception qui permet de confier des pouvoirs exceptionnels, notamment en matière de police administrative, au pouvoir exécutif pour faire face à un péril imminent. Nous ne pouvions donc pas rester perpétuellement dans cette situation : l’état d’urgence est, par essence, temporaire et exceptionnel. Les menaces durables doivent être traitées à l’aide d’instruments permanents de lutte contre le terrorisme.

Tel était l’objet de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT. Celle-ci visait, non pas à pérenniser les dispositions de l’état d’urgence, mais à s’inspirer de seulement quatre d’entre elles, en les adaptant aux nécessités du droit commun et en les entourant de garanties importantes, notamment en limitant leur finalité à la seule lutte contre le terrorisme. Ces mesures ont trait aux périmètres de protection, à la fermeture temporaire des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les fameuses MICAS, et aux visites domiciliaires. Elles ont fait la preuve de leur efficacité et de leur pertinence opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme, comme l’attestent nos auditions et le travail approfondi conduit avec la présidente de notre Commission et Éric Ciotti depuis 2017, dans le cadre du contrôle parlementaire renforcé. Ainsi, certains des attentats qui ont été déjoués au cours des dernières années l’ont été grâce à ces instruments de police administrative. On peut citer, par exemple, la visite domiciliaire effectuée dans le 9e arrondissement de Paris, qui a permis de déjouer l’attentat de masse que des Égyptiens projetaient de commettre dans un bus à Opéra.

Dès lors que l’on sortait de l’état d’urgence et que l’on s’inscrivait dans le droit commun des instruments de police administrative, il fallait instituer un certain nombre de garanties, parmi lesquelles figurent deux dispositions importantes, introduites dans la loi SILT lors des débats parlementaires : le contrôle parlementaire renforcé et le caractère temporaire des mesures, à savoir la « clause sunset », qui nous conduit à les examiner à nouveau dans le cadre du présent projet de loi. Celui-ci a en effet pour principal objet de pérenniser, dans ses articles 1er à 4, les mesures de police administrative, auxquelles s’ajoute la prise en compte de certaines recommandations formulées dans le cadre du contrôle parlementaire pour améliorer le dispositif.

Quant au contrôle parlementaire renforcé, il impose au Gouvernement de transmettre au Parlement tous les actes individuels qu’il prend au titre des quatre instruments de police administrative. Aucune des dispositions du présent projet de loi ne concernant ce contrôle parlementaire, nous en concluons qu’il est de fait pérennisé, puisqu’il ne pourra plus faire l’objet de la censure du Conseil constitutionnel, ni d’un contrôle a posteriori, ni, bien entendu, d’une question prioritaire de constitutionnalité. C’est une bonne chose.

Un mot sur le dispositif de l’article 5, relatif aux sortants de prison. Dans les années à venir, plusieurs centaines de personnes condamnées au début des années 2010 pour des faits de terrorisme vont sortir des prisons françaises. Ces personnes, qui sont actuellement suivies par le service de renseignement pénitentiaire, présentent encore, pour certaines d’entre elles, des profils très préoccupants. Or elles ne sont éligibles à aucun aménagement de peine, de sorte que, contrairement aux détenus de droit commun et bien qu’elles soient très dangereuses, elles sortiront sans faire l’objet de mesures d’accompagnement, que ce soit en matière de réinsertion ou de suivi.

L’an dernier, nous avons adopté une proposition de loi de la présidente de la commission des Lois visant à confier au juge judiciaire le soin de prendre une nouvelle mesure de sûreté, compte tenu de la dangerosité de ces sortants de prison. Le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif. Nous y avons donc retravaillé avec notre présidente et l’ensemble des acteurs de la lutte contre le terrorisme ; le dispositif de l’article 5 est le fruit de ces travaux. Alors qu’auparavant le juge judiciaire se voyait confier l’ensemble des mesures de suivi et de réinsertion, on opère dorénavant une distinction entre les mesures de suivi administratif – les MICAS sont étendues et leur durée est portée de douze à vingt-quatre mois – et la mesure de sûreté, destinée exclusivement à la réinsertion, confiée au juge judiciaire. Ce dispositif présente, selon les personnes auditionnées, un intérêt opérationnel. Surtout, il devrait obtenir l’aval du Conseil constitutionnel.

La défense de l’État de droit est l’affaire de tous. J’espère donc que, lors de nos débats, nous éviterons les divisions inutiles et les oppositions caricaturales entre droite et gauche, laxistes et sécuritaires. Comme les générations de parlementaires qui nous ont précédés, il nous revient de définir un équilibre délicat entre l’impératif de protection de l’ordre public et la préservation des libertés individuelles, en ayant pour seul objectif la protection efficace des Français.

M. Loïc Kervran, rapporteur. Notre démocratie s’honore à inclure les activités du renseignement dans le champ du droit et du débat parlementaire. À ce propos, je veux saluer le travail de nos prédécesseurs qui, en 2015, ont fait entrer ce domaine dans la loi alors que la France subissait des attaques d’une ampleur inégalée. Avec les excellents Guillaume Larrivé et Jean-Michel Mis, nous avons pu mesurer combien la loi de 2015 est une loi d’équilibre. Qu’ils soient remerciés pour leur contribution essentielle au travail que nous poursuivons aujourd’hui.

La partie relative au renseignement de ce texte, qui n’est pas de circonstance et sur lequel nous sommes nombreux à travailler depuis plus d’un an, vise à préserver cet équilibre tout en s’adaptant aux évolutions du droit, des technologies et de l’état de la menace. S’il s’agit bien d’un projet de loi, ce texte reprend en fait d’ores et déjà de nombreuses propositions parlementaires issues des travaux d’évaluation et de contrôle dont le Parlement s’honore. Il tire notamment les conclusions des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État, en conférant à l’avis de la CNCTR un caractère contraignant. Il met à jour les moyens dont disposent les services de renseignement pour faire face à l’arrivée de la 5G et, demain, des communications satellitaires, et préserver ainsi leurs capacités opérationnelles. Il leur donne également les moyens, grâce à un dispositif de conservation des données pour la recherche et développement, de bâtir des outils souverains pour être plus précis, plus efficaces, plus indépendants. Il offre de nouveaux outils automatisés pour aider à détecter précocement une menace aux signaux faibles émanant d’individus non connus, dont le processus de radicalisation et de passage à l’acte est rapide et de plus en plus autonome. Il renforce enfin significativement l’encadrement des services de renseignement en codifiant la façon dont ceux-ci peuvent s’échanger des informations et en consacrant le rôle de la CNCTR et du groupement interministériel de contrôle.

J’ai la conviction que l’équilibre entre préservation des libertés publiques et protection de la sécurité de nos concitoyens n’est pas une faiblesse, mais la condition même de l’efficacité et de la victoire finale dans la lutte que nous menons notamment contre le terrorisme. Rappelons-nous que les régimes autoritaires ne sont pas protégés contre ce phénomène, que l’arbitraire nourrit la violence et sape la légitimité et l’adhésion à la nation et à ses institutions. L’efficacité du renseignement est la condition de la survie de la démocratie. D’abord, parce qu’elle doit résister à ceux – terroristes, narcotrafiquants, États étrangers, organisations criminelles de toutes sortes… – qui veulent l’influencer, la piller, la détruire. Ensuite, parce que la résilience de la population n’est pas infinie et que cette dernière attend, à raison, de l’État qu’il la protège. Une démocratie qui ne se protège pas par l’anticipation s’effondre.

Je ne veux pas conclure sans exprimer la reconnaissance de la représentation nationale aux services de renseignement et à ceux qui concourent à leur mission. Membre de la délégation parlementaire au renseignement, j’ai l’honneur de connaître leurs visages : je les ai vus, sur le territoire national ou à l’étranger. Je sais le poids si particulier que fait peser sur leurs épaules la responsabilité unique de protéger les Françaises et les Français. Je sais également que, lorsqu’ils tombent, c’est dans le même anonymat que celui dans lequel ils ont exercé leur mission, humilité suprême de leur engagement. Alors je leur redis notre reconnaissance, car ils sont le rempart de notre démocratie.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur pour avis de la commission de la Défense nationale et des forces armées. Je souhaite mettre en lumière la contribution essentielle du ministère des Armées à la politique publique du renseignement et, plus largement, à notre sécurité nationale.

Le contexte sécuritaire actuel est bien connu de tous : c’est celui de la guerre hybride, qui fait du continuum sécurité-défense un enjeu plus que jamais crucial pour la sécurité de nos concitoyens. La ministre des Armées le rappelait le 1er février dernier à Orléans, « le terrorisme est la menace la plus meurtrière à laquelle nous faisons face aujourd’hui ». L’ensemble du ministère des Armées s’est mobilisé et adapté pour faire face à une menace globale, en s’engageant dans les opérations extérieures Chammal, au Levant, et Barkhane, au Sahel, sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle, ou dans les nouveaux champs de conflictualité, comme le cyber et la lutte informationnelle.

Si le terrorisme représente la première menace, la politique publique du renseignement n’a pas pour seule finalité la prévention des actes terroristes. Elle vise aussi à assurer l’indépendance nationale et la défense des intérêts majeurs de la politique étrangère, économique, industrielle et scientifique de la France, d’une part, et d’autre part, à prévenir les atteintes à la forme républicaine des institutions et à lutter contre la criminalité, la délinquance organisée et la prolifération d’armes de destruction massive.

À cet égard, j’aimerais insister sur l’action de services de renseignement peut-être moins connus du grand public que ne le sont la DGSI et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) : la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et la direction du renseignement militaire (DRM). La première agit dans le domaine de la contre-ingérence des forces et de la contre-ingérence économique ; la seconde fournit des renseignements d’intérêt militaire aux forces en opération et éclaire les décisions des autorités politiques et militaires. J’aimerais aussi insister sur l’action d’un autre service du ministère des Armées, le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), dont la mission est de protéger les systèmes d’information des armées et de conduire des opérations militaires de cyberdéfense. Il importe que nos services de renseignement, ceux du ministère des Armées comme ceux des autres ministères, notamment du ministère de l’Intérieur, disposent de moyens efficaces pour mener leur action.

Consolider l’équilibre trouvé par le législateur en 2015 et renforcer l’efficacité de nos services, tel est bien le sens du projet de loi qui nous est présenté, ce dont je me réjouis.

Pour conclure, je souhaite rendre un hommage appuyé à nos agents des services de renseignement civils et militaires. Ils agissent dans l’ombre, avec abnégation, pour la sécurité de nos concitoyens. Soyons leurs fervents défenseurs et n’oublions jamais ceux qui sont morts pour la France, parfois dans l’anonymat !

M. Jean-François Eliaou. Dans le cadre d’une sortie maîtrisée de l’état d’urgence instauré en 2015 à la suite des attentats terroristes meurtriers du 13 novembre de la même année, la loi SILT a permis de mettre en œuvre d’importantes dispositions de police administrative pour prévenir les actes terroristes. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, adoptée après les attentats de janvier 2015 visant Charlie Hebdo, a permis la mise en œuvre, à titre expérimental, de la technique de renseignement par traitement automatisé, dite technique de l’algorithme, pour les seuls besoins de la lutte antiterroriste.

Le Parlement a souhaité réévaluer la pertinence et l’efficacité de ces mesures et de ces outils, avec le souci permanent de maintenir un équilibre entre les libertés publiques et individuelles, d’une part, et, d’autre part, la nécessité de protection de nos concitoyens. Les dispositions précitées ont fait l’objet d’un contrôle parlementaire particulièrement renforcé, qui a donné lieu à plusieurs rapports, ce dont il faut se féliciter.

En juin 2020, nos collègues Loïc Kervran, Jean-Michel Mis et Guillaume Larrivé ont évalué la loi de 2015 relative au renseignement ; ils ont conclu à la nécessité de proroger la technique de l’algorithme, compte tenu des résultats très prometteurs obtenus en matière de détection des individus dangereux et du degré de menace qu’ils représentent, déterminé en fonction de leur comportement et de leurs contacts.

En décembre 2020, notre présidente, Yaël Braun-Pivet, et nos collègues Raphaël Gauvain et Éric Ciotti ont évalué la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi SILT ; ils ont abouti à une conclusion également positive sur l’efficacité des mesures prévues, ainsi que sur leur utilisation proportionnée et adaptée par l’autorité administrative. Tout en appelant à la pérennisation de ces quatre articles, leur rapport d’information propose quelques modifications et ajustements, dont certains sont repris par le projet de loi que nous examinons. Le ministre de l’Intérieur a également rappelé à notre Commission que la France reste exposée à une menace terroriste très forte, comme le démontrent les récents attentats islamistes.

Dans le cadre de la lutte antiterroriste, ces propositions visent à maintenir dans le code de la sécurité intérieure les dispositions issues de la loi SILT, d’une part, et, d’autre part, à les modifier et à les compléter. Elles consistent notamment à élargir le champ d’application de la fermeture des lieux de culte aux locaux indépendants et à renforcer les dispositions relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, en prolongeant jusqu’à vingt-quatre mois la surveillance des individus sortis de prison et condamnés pour terrorisme. Bien entendu, ces renouvellements sont subordonnés à l’existence d’éléments nouveaux et complémentaires. Je sais que cette mesure suscitera un débat parmi nous. Le groupe majoritaire sera en soutien, car nous ne pouvons pas relâcher la surveillance d’individus qui peuvent rester dangereux, d’autant moins que de nombreuses personnes condamnées à des peines lourdes pour des faits de terrorisme sortiront de prison dans les trois ans à venir.

L’article 5 du présent projet de loi, qui vise à introduire dans le code de procédure pénale une mesure judiciaire de prévention de la récidive et de réinsertion, me semble également essentiel. Il répond aux attentes des personnes que nous avons auditionnées et à la nécessité de protection de nos concitoyens.

Concernant le renseignement, les mesures proposées par le Gouvernement encadrent significativement les échanges d’informations entre les services, ainsi que les possibilités de recherche et de développement. Les articles 12 et 13 pérennisent et étendent la technique de l’algorithme.

Une part importante du volet relatif au renseignement vise à encadrer et à sécuriser légalement l’obtention, l’échange et l’utilisation des communications satellitaires. La technique d’interprétation des flux de données transitant par des myriades de petits satellites en cours de déploiement fait l’objet d’une expérimentation qui prendra fin le 31 juillet 2025, avec remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement six mois avant l’échéance. Ce volet est complété par un renforcement du contrôle préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et par une communication facilitée, mais strictement encadrée, entre l’autorité judiciaire et les services de renseignement habilités.

Ce texte me semble complet, opérationnel et équilibré. Il apporte des réponses techniques et une sécurité juridique aux services sur le terrain, tout en maintenant un équilibre entre la protection de la France et des Français et le respect de nos libertés. Le groupe La République en Marche proposera quelques ajustements au texte, en lien avec nos rapporteurs, et le votera.

M. Guillaume Larrivé. J’aimerais dire quelques mots de l’état d’esprit dans lequel le premier groupe d’opposition aborde ces débats.

S’agissant du renseignement, nous devons nous inscrire dans la continuité de ce que nos prédécesseurs, pendant au moins trente années, ont su construire. Ces affaires de renseignement sont au cœur de ce que doivent être la continuité de l’État et l’accord des grands partis de gouvernement.

J’ai à l’esprit ce que le gouvernement de Michel Rocard a su bâtir en 1990 pour commencer à encadrer les interceptions de sécurité, lors d’une étape fondatrice. Il y a eu ensuite un grand moment autour de Nicolas Sarkozy, avec la création de la délégation parlementaire au renseignement et de la coordination nationale du renseignement à l’Élysée, qui ont remodelé la communauté du renseignement. Il y a eu un troisième temps avec le gouvernement de Manuel Valls et les travaux de Jean-Jacques Urvoas, qui ont abouti à la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. À nous d’écrire collectivement un quatrième temps de cet édifice juridique, en conjuguant détermination et modestie, et en cherchant à bâtir quelque chose de solide et d’utile à l’intérêt général.

Nous nous inscrivons dans un cadre juridique récemment et utilement précisé par le Conseil d’État, ce qui n’était pas gagné d’avance. Chacun, au sein de la communauté du renseignement et parmi ceux qui s’intéressent à ces questions, se souvient combien l’arrêt « Tele2 » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et ses suites nous ont préoccupés.

Je me réjouis que le Gouvernement ait donné instruction à ses services de plaider, devant le Conseil d’État, en faveur d’une rébellion contre la jurisprudence de la CJUE. Si on lit attentivement l’arrêt « French Data Network et autres » du 21 avril 2021, éclairé par les conclusions lumineuses d’Alexandre Lallet, on constate que le Conseil d’État a su placer très haut les exigences de souveraineté nationale et de protection de la sécurité nationale, non en s’autorisant à contrôler ultra vires, comme la Cour constitutionnelle fédérale allemande, la façon dont la CJUE elle-même respecte les traités européens, mais en sollicitant une clause de sauvegarde permettant de vérifier si la Constitution française a des exigences que le droit européen échoue à satisfaire.

Sur la base de ce raisonnement, esquissé il y a quelques années et mené à son terme, le Conseil d’État a pu neutraliser l’arrêt « Tele2 », le vider de son venin et nous permettre à nous, législateurs, de consolider le régime français du droit du renseignement. Il s’agit d’une décision très importante. Le Parlement aurait intérêt, me semble-t-il, à la mettre en valeur dans le débat public, car elle va complètement dans le sens de ce que doit être, de mon point de vue, l’État de droit : un État protecteur et fort, assumant son devoir de protection des citoyens dans le respect des libertés.

Ma troisième observation sur les questions de renseignement consiste à souscrire aux excellents propos tenus tout à l’heure par Loïc Kervran, que l’examen des articles confirmera : il ne s’agit pas de révolutionner le cadre juridique de nos techniques de renseignement, mais de l’ajuster à certaines évolutions technologiques, en prenant notamment acte de la nécessité pour nos services de bénéficier de la technique de l’algorithme, que les GAFAM utilisent quotidiennement et que nos services d’espionnage et de contre-espionnage ne doivent pas être les derniers à pouvoir utiliser.

Tout cela me convient. Je pense que nous ferons collectivement œuvre utile grâce au volet du texte relatif au renseignement.

S’agissant de la prévention d’actes de terrorisme, j’aimerais faire part, plutôt à l’attention de monsieur le garde des Sceaux, d’un certain scepticisme, qui ne vaut pas opposition, sur l’utilité de l’article 5. Je sais que le Gouvernement et vous-même, madame la présidente, tentez de vous inscrire dans le cadre ultra-contraint imposé par la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2020, qui a l’autorité de la chose jugée. Il n’en reste pas moins que, si l’on compare les obligations susceptibles d’être imposées au titre de la nouvelle mesure de sûreté à celles que vous aviez envisagées dans la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, on constate que les mailles du filet ont été considérablement élargies. Il est donc probable que de nombreux terroristes islamistes, à leur sortie de prison, ne seront pas soumis à un régime particulièrement contraignant. Le texte ne prévoit ni obligation de pointage ni interdiction d’entrer en relation avec certains complices de l’infraction pour laquelle ils ont été emprisonnés, ni même l’obligation de prévenir le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) d’un changement d’activité et l’autorisation préalable du juge pour un déplacement à l’étranger.

Certes, le législateur, dans le cade fixé par le Conseil constitutionnel, est obligé de procéder ainsi. Toutefois, il ne faut jamais oublier que nous sommes aussi le constituant. Il existe des précédents. Lorsque le Conseil constitutionnel a censuré l’une des lois dites Pasqua en 1993, le gouvernement d’Édouard Balladur, avec l’accord du président Mitterrand, a engagé une révision de la Constitution. Le Congrès a été réuni à l’automne 1993 pour contredire en partie la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il l’a fait de façon sereine, démocratique et assumée.

Nous aurions intérêt, me semble-t-il, à assumer l’idée qu’il existe un vrai dialogue entre le Conseil constitutionnel, autorité constituée qui interprète la Constitution, et nous-mêmes qui, de temps en temps, devons reprendre la main en tant que constituant. Comme l’a écrit Georges Vedel : « Si les juges ne gouvernent pas, c’est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts. » J’aimerais que nous assumions, de temps à autre, de dire son fait, respectueusement, au Conseil constitutionnel. Si nous pensons que son interprétation des textes n’est pas conforme à l’intérêt national, nous devrions être en mesure de voter une loi constitutionnelle permettant de modifier le cadre de notre action. Ce faisant, loin de trahir l’État de droit, nous le renforcerions ; loin de l’affaiblir, nous conforterions ce que doit être la démocratie française au service de la protection de nos concitoyens.

Mme Blandine Brocard. Parmi les épreuves que notre pays doit affronter, celle du terrorisme est probablement la plus insupportable, car elle s’attaque à ce qui nous lie profondément, à ce que nous représentons, à notre culture, à nos modes de vie, à tout ce qui fait la France.

Jamais nous ne nous résignerons. Nous continuons à lutter contre le terrorisme, son idéologie et ses conséquences, comme nous le faisons avec ce projet de loi. Certes, il serait préférable de ne pas avoir à légiférer, mais nous nous devons d’anticiper le pire sans pour autant restreindre les libertés de nos concitoyens, et nous devons nous battre avec des armes démocratiques contre ceux qui combattent nos principes. Notre travail est essentiel, il relève de notre responsabilité et nous le devons à nos concitoyens.

Les dispositions que ce texte entend pérenniser ont maintes fois prouvé leur utilité et ont été strictement appliquées par les services de l’État ; elles ont donné lieu à très peu de contestations en justice et très peu d’annulations des mesures. Ainsi des MICAS, indispensables dans notre arsenal pour lutter préventivement contre le terrorisme. Lorsqu’un terroriste sort de prison après cinq ans d’incarcération et qu’il demeure des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, vous proposez de pouvoir prolonger ces mesures jusqu’à vingt-quatre mois, à condition que des faits nouveaux soient constatés. C’est un minimum. Comme il est indispensable que ce dispositif passe le filtre du Conseil constitutionnel, nous proposerons de l’encadrer afin de s’assurer de son effectivité.

Ce texte entend également ouvrir la captation des données satellitaires aux services de renseignement ou le recoupement des URL par un algorithme. Je salue la volonté du Gouvernement de rattraper le retard que nous avons pris et d’anticiper ainsi le développement exponentiel des nouvelles technologies. Le terrorisme s’organise ou se manifeste largement sur internet : il relève donc de notre responsabilité de donner tous les moyens juridiques, technologiques et humains à nos services de renseignement pour faire face à ces nouveaux enjeux.

En outre, le texte prévoit des dispositions en matière de lutte contre la récidive, issues de votre proposition de loi, madame la présidente. En complément des MICAS, ces mesures de sûreté constituent un enjeu essentiel pour lutter contre le terrorisme et sont un atout important, alors que des personnes condamnées pour terrorisme, notamment en 1992, s’apprêtent à recouvrer la liberté. Nous devons nous assurer qu’elles s’inscriront vraiment dans une démarche de réinsertion, tout comme nous devons prévenir toute tentation mortifère. Le suivi et l’accompagnement sont donc impératifs.

Si nous partageons largement les objectifs du Gouvernement, mon groupe veillera à l’équilibre de ces dispositions afin qu’elles soient effectives le plus rapidement possible et qu’elles visent strictement leurs objectifs. La conciliation de la lutte contre le terrorisme et du respect de nos principes constitutionnels mais, aussi, des droits et libertés de nos concitoyens guide en effet l’action du groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés et constitue pour nous un point de vigilance essentiel.

Le travail que nous menons aujourd’hui s’inscrit donc dans la parfaite continuité de celui que nous avons commencé dès 2017. Tant que la menace terroriste subsistera, je ne doute pas que notre assemblée saura se mobiliser et travailler à son éradication. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de ce texte.

Mme Marietta Karamanli. Ce texte s’inscrit en effet dans la continuité d’un certain nombre de lois. Sauf erreur de ma part, celle-ci est la quinzième, depuis dix ans, visant à titre principal ou de façon subsidiaire à lutter contre le terrorisme et à compléter notre arsenal législatif. J’inclus, bien entendu, dans cette liste les lois de 2015 et 2016 relatives à l’état d’urgence.

Le terrorisme a changé et il semble que les mesures soient toujours prises avec retard : des attaques ont été préparées depuis l’étranger, des assaillants ont fui au-delà de nos frontières, les flux de financement passent par des comptes internationaux, des terroristes isolés ou en petit nombre, agissant ou non de concert, passent entre les mailles des filets de surveillance…

Ce texte comporte plusieurs dispositifs et intègre le principe d’une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. L’écart entre la fin de la peine et la mesure de sûreté est un peu bref, ce qui est contestable, et le projet prévoit d’étendre jusqu’à deux ans la durée des mesures administratives décidées par les préfets contre les personnes sortant de prison, cette extension permettant, au-delà des obligations judiciaires, d’imposer un pointage quotidien dans les commissariats.

D’autres mesures visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, prises à la suite de l’état d’urgence, sont étendues. Il sera désormais possible, comme le préconisait un certain nombre de rapports parlementaires, de procéder à la fermeture de locaux annexes à des lieux de culte.

Le texte vise également à pérenniser la technique algorithmique expérimentée par la loi de 2015 relative au renseignement et prévoit aussi l’échange de renseignements pouvant relever d’une finalité différente de celle ayant justifié leur recueil entre différents services. Le principe de l’individualisation de la surveillance, qui prévalait jusqu’ici, est ainsi un peu perdu de vue.

Enfin, le projet autorise une nouvelle technique de renseignement : l’interception des correspondances émises ou reçues par voie satellitaire. Je note que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est prononcée sur les dispositions du texte intéressant la protection des données personnelles et que, concernant la technique algorithmique, elle n’a pu disposer des éléments nécessaires à l’appréciation de sa pérennisation, le bilan détaillé étant couvert par le secret de la défense nationale et n’étant accessible qu’à la CNCTR et à la délégation parlementaire au renseignement. Une nouvelle expérimentation aurait donc pu être envisagée sans méconnaître les impératifs de sécurité.

Je ne suis pas naïve : si le premier fichier de renseignement est constitué par les profils Facebook, je fais partie de ces parlementaires qui se battent depuis plusieurs années pour que les citoyens puissent accéder à leurs données et que le droit international reconnaisse le droit de savoir ce qui leur est imposé et selon quelles règles. Lorsque cette surveillance automatisée déclenchera une alerte, les autorités pourront demander l’autorisation à la justice de lever l’anonymat du suspect. En cas de récidive, une autre autorisation doit leur permettre d’instaurer une surveillance spécifique de la personne visée. Le champ est donc large.

Je note à ce propos que la France a été rappelée à l’ordre en octobre 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne – nous finalisons un rapport sur cette décision que nous rendrons dans quelques jours à la commission des Affaires européennes. Il lui est reproché d’obliger les fournisseurs d’accès à internet à conserver pendant un an les données de connexion de leurs utilisateurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cette disposition a certes été confortée par le Conseil d’État sans que les autres États membres, concernés par la même jurisprudence, y aient vu une quelconque atteinte à leurs traditions constitutionnelles. Nous aurons l’occasion d’en reparler mais je souhaiterais d’ores et déjà vous poser trois questions.

Les correspondances des messageries instantanées sont-elles concernées ? L’internet français l’est-il dans sa globalité ? Le renforcement des dispositifs internes est à l’ordre du jour, or l’enjeu de la coopération entre États est tout aussi important, car le terrorisme est un fléau international. Il est donc nécessaire de prendre des mesures à cette échelle. Seuls, nombre d’États ne peuvent être efficaces et une coopération s’impose. Or les services de renseignement ne partagent pas toujours les informations recueillies. Une base de données antiterroristes commune entre États européens, comportant des garanties élevées, est-elle envisagée ?

M. Dimitri Houbron. Ce texte s’inscrit dans un contexte délicat où la défiance quant à notre capacité à intercepter et punir les auteurs d’actes terroristes atteint des dimensions inquiétantes. Nos concitoyens ont confiance dans l’investissement des femmes et des hommes chargés de neutraliser et de condamner ces individus – certains le paient d’ailleurs de leur vie – mais ils doutent aussi que ces professionnels disposent des moyens juridiques et logistiques pour accomplir leurs missions, constat qui est aussi à l’origine du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en cours d’examen.

Chacun en sera d’accord, le manque d’efficacité des moyens conférés aux forces de l’ordre et aux services de renseignement, à quoi s’ajoute la lourdeur des procédures, est de nature à altérer la confiance de la société dans les capacités de l’État à la protéger. Négliger toute actualisation législative de ces éléments conduirait à une rupture de notre pacte social à moyen terme.

Chacun conviendra également que le risque zéro n’existe pas. Néanmoins, comme le rappelle à juste titre régulièrement le ministre de l’Intérieur, il ne faut pas occulter les trente-six attaques terroristes qui ont été déjouées depuis 2017, la dernière étant celle de Béziers, au début du mois d’avril. Cela prouve que notre capacité à lutter contre cette menace est réelle et qu’il ne faut en rien parler d’attentisme ou de laxisme.

Ce texte, que notre groupe soutient pleinement, comprend deux volets : l’un consacré aux mesures de luttes antiterroristes, l’autre, au renseignement.

Le premier prévoit une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste pour les condamnés à des peines de prison lourdes. Elle sera prononcée par le tribunal d’application des peines et durera au maximum un an, renouvelable dans la limite de cinq ans. Ce nouveau dispositif concernera donc des individus particulièrement dangereux et pourra être décidé en l’absence de mesures de suivi judiciaire et sera cumulable avec les mesures de surveillance. Il a vocation à remplacer les mesures de sûreté incluses dans la proposition de loi du 10 août 2020 déposée par la présidente de notre Commission et qui ont été malheureusement censurées par le Conseil constitutionnel. Nous le soutenons. Comme le garde des Sceaux l’a rappelé, ce nouvel outil de notre arsenal de surveillance s’impose, car il concerne une centaine de détenus dont la dangerosité mérite un suivi très poussé et spécifique.

Les services de renseignement, quant à eux, pourront analyser massivement les adresses URL des sites internet consultés par nos concitoyens. Je rappelle qu’en 2015, le gouvernement de Manuel Valls avait imaginé un cadre juridique leur permettant de placer ce que l’on pourrait appeler trivialement des « boîtes noires » chez les opérateurs téléphoniques ou chez les hébergeurs français afin de récolter les métadonnées des internautes français et, grâce à des algorithmes, de créer une alerte en cas d’activités pouvant être jugées suspectes. À ce jour, ces métadonnées ne concernent que des informations techniques comme l’heure de la connexion à un site web ou l’adresse IP d’un internaute. Avec ce texte, les URL pourront être analysées, comme le préconisait le rapport d’information de Loïc Kervran, Jean-Michel Mis et Guillaume Larrivé, publié en juin dernier.

À ceux qui affirment que cette disposition porte atteinte aux libertés individuelles, je souhaite opposer trois arguments.

Tout d’abord, les allers-retours entre le Conseil d’État et le ministère ont été nombreux puisque l’on dénombre pas moins de six saisines, ce qui prouve que le Gouvernement s’est attaché à concilier le renforcement de la lutte contre le terrorisme et l’adaptation des techniques de renseignement avec la préservation des droits et des libertés garantis par la Constitution, portés par une jurisprudence constitutionnelle et administrative particulièrement évolutive, restrictive et dense.

Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur l’a relevé, les grandes entreprises utilisent les algorithmes à des fins commerciales. Il serait donc ubuesque d’interdire à l’État de recourir au même procédé pour assurer la sécurité nationale.

Enfin, Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, a lui-même souligné que cette technique était indispensable, car elle vise des individus de plus en plus isolés, qui ne laissent que des traces numériques, comme ce fut le cas pour l’auteur de l’attaque terroriste de Rambouillet.

J’en viens, enfin, à l’article 12 qui prévoit les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut recourir, sur le territoire national, à des opérations de brouillage des drones dans des cas précis. Ces engins peuvent être utilisés pour cartographier un établissement pénitentiaire afin d’organiser une évasion. L’on suppose, d’ailleurs, que c’est par ce moyen que Rédoine Faïd a réussi à s’évader. Des drones sont aussi utilisés pour faire passer en contrebande des téléphones portables, des drogues, des contenus pornographiques, voire des armes. Est-il envisagé de permettre aux agents pénitentiaires d’utiliser les outils créés par cet article ? Des dispositions spécifiques au milieu carcéral seront-elles prévues ?

M. Philippe Dunoyer. Notre groupe approuve la pérennisation des outils créés par la loi SILT et par celle de 2015 relative au renseignement. Depuis quatre ans que la loi SILT est entrée en vigueur, nous pouvons constater que les services de l’État ont su appliquer avec discernement les mesures de police administrative antiterroristes, en les adaptant aux menaces qui continuent de planer sur nos concitoyens. Pas moins de trente-six attaques terroristes ont été déjouées depuis 2017, soit un peu moins d’une par mois, ce qui est considérable. Je salue les hommes et les femmes qui nous protègent et qui ont su adapter la force que ces mesures leur conféraient aux atteintes qu’elles impliquent. La pérennisation de ces dispositifs est donc, malheureusement, nécessaire et bienvenue.

Je salue l’extension de certaines mesures, en particulier l’élargissement, prévu à l’article 2, de la mesure de fermeture des lieux de culte aux locaux dépendant d’un lieu de culte visé par la mesure et dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient susceptibles d’être utilisés pour la contourner. Je salue de même la durée maximale cumulée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance portée à vingt-quatre mois. C’est une disposition qui peut soulever quelques questions, dont nous débattrons lors de l’examen des articles mais, d’une manière générale, nous y sommes favorables.

Le chapitre II, consacré au renseignement, ne soulève pas davantage de réserves de notre part. Il était devenu nécessaire d’adapter les outils mis à la disposition des services de renseignement aux évolutions technologiques qui, malheureusement, profitent aux organisations terroristes. Les techniques du renseignement et les traitements algorithmiques sont adaptés à l’évolution de ces technologies, tout comme l’interception des correspondances par voie satellitaire. Ces outils répondent à l’évolution des actes terroristes qui sont, de plus en plus, le fait d’individus isolés, dont la radicalisation est très difficile à identifier, et non plus de groupes. L’adaptation de ces outils à des techniques de collecte plus large renforceront l’efficacité des services de renseignement.

Je dirai un mot, enfin, d’une mesure présentée par le garde des Sceaux, et issue d’une proposition de loi de madame Braun-Pivet, que nous avons soutenue tant il paraissait impensable de ne pas suivre les détenus pour actes de terrorisme, une fois leur peine de prison purgée, et tenter ainsi d’éviter la commission de nouvelles infractions terroristes. Les recommandations formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2020 ont été suivies. Notre groupe proposera quelques amendements pour améliorer la rédaction de l’article 5 et prévenir tout acte de terrorisme au cas où l’individu sortirait de prison toujours aussi radicalisé, sans avoir pu profiter des mesures de réinsertion qui lui auront été proposées durant sa détention.

Ce projet de loi répond aux attentes des Français et nous le soutiendrons.

M. Paul Molac. Nous allons donc vivre à présent dans un état d’urgence permanent puisque toutes les dispositions liées à l’état d’urgence devraient passer dans la loi ordinaire ! Je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une bonne nouvelle mais nous commençons à nous y habituer puisque, depuis 2015, les régimes d’exception deviennent la règle. L’état de notre démocratie, de plus en plus sécuritaire et de plus en plus méfiante à l’égard de ses propres citoyens, m’inquiète.

Remarquons que les services de renseignement font du bon travail puisqu’ils réussissent à déjouer nombre d’attentats. C’était l’une de nos principales sources d’inquiétude en 2014 et 2015, mais il s’avère qu’ils ont amélioré leurs compétences et qu’ils ont réussi à infiltrer des groupes terroristes islamistes. Pour autant, le renforcement de l’autorité administrative, la possibilité de réaliser des perquisitions, que vous appelez des visites domiciliaires, les MICAS auraient-ils permis d’éviter la commission des récents attentats, dont on sait qu’ils sont le fait de personnes radicalisées, isolées et atteintes, pour la plupart, de troubles psychologiques ? D’ailleurs, la question se pose : a-t-on affaire à des personnes radicalisées ou tout simplement dérangées ?

Ces nouvelles mesures auraient-elles permis d’éviter l’assassinat de Samuel Paty ou de la fonctionnaire de police à Rambouillet ? Je n’en suis pas certain, et je me demande si nombre de ces mesures ne sont pas prises sous l’effet d’une émotion, certes bien compréhensible puisque nos concitoyens ont pu être touchés en plein cœur par ces attentats.

Bien sûr, certaines mesures sont utiles, comme le renforcement du contrôle des services de renseignement ou celles prévues pour suivre la remise en liberté des quelques soixante-dix individus radicalisés pour lesquels une sortie sèche de prison ne serait pas admissible. En revanche, nous sommes beaucoup plus critiques vis-à-vis d’autres dispositions.

M. Ugo Bernalicis. Bien évidemment, je partage l’objectif que vous avez tous rappelé : prévenir la commission d’actes terroristes. Nous devons faire tout notre possible pour l’atteindre, avec discernement et équilibre. Ce texte permet-il de prendre des décisions avec discernement ? Prévoit-il des mesures proportionnées ? Garantit-il l’exercice des libertés fondamentales ? L’application des nouveaux outils ne se fera-t-elle pas au détriment des libertés individuelles ? Déjà, lors de l’examen de la loi SILT, nous nous étions opposés aux MICAS. Notre position n’a pas varié. Nous continuons à nous demander pourquoi la procédure n’est pas judiciaire. Vous avez parlé des visites domiciliaires qui auraient permis de déjouer des attentats : si l’attentat était imminent, pourquoi la procédure n’a-t-elle pas été judiciarisée ? Il nous avait été donné comme explication, lors des auditions, qu’il ne fallait pas que d’éventuels renseignements provenant de l’étranger apparaissent dans la procédure. Je vous pose donc à nouveau la question : quelle est la proportion de MICAS décidées en raison de ce type de renseignements étrangers ?

S’agissant des mesures de sûreté, rappelons que le Conseil constitutionnel a censuré la proposition de loi qui les instaurait. Nous y restons opposés puisque le concept de dangerosité instille le poison de la suspicion dans notre pays, ce qui peut conduire à des dérives inacceptables. Faut-il rappeler le tollé des questionnaires établis pour repérer les signaux faibles dans les universités, à partir notamment de certaines caractéristiques physiques, ce qui est discriminatoire ? Ces mesures de sûreté mettent en évidence le fait que, trop souvent, des personnes condamnées pour des actes terroristes n’ont pas accès aux mesures d’aménagement de peine et se retrouvent sans perspective à leur sortie de prison. Nos collègues, qui s’amusent, de texte en texte, à coups de surenchère démagogique, à durcir la répression pénale, devraient s’en alarmer. Nous nous opposerons à ces mesures de sûreté avec la même détermination.

Que dire, par ailleurs, du nombre pléthorique de nouveaux moyens numériques ? Vous inscrivez dans le marbre l’utilisation des boîtes noires. Pourtant, Le Monde s’était fait l’écho d’un rapport parlementaire très critique par rapport à cet outil qui n’aurait pas apporté la preuve de son efficacité. On nous demande à présent d’autoriser l’accès aux adresses URL ! Moins on trouve, plus on veut des moyens supplémentaires ! C’est inquiétant ! Quand l’évaluation d’un dispositif donne des résultats insatisfaisants, la première réaction ne devrait pas être de le pérenniser. D’autres pistes devraient être explorées, par exemple le renforcement des moyens humains, que rien ne remplacera jamais. Vous aurez beau autoriser l’usage de tous les moyens technologiques et numériques possibles, vous vous heurterez toujours à la limite de celui qui prend toutes les précautions nécessaires ou du loup solitaire.

Je m’associe aux questions posées sur les nouvelles dispositions concernant les moyens numériques : comment seront organisés l’accès aux messageries cryptées et la conservation des données ? Le Gouvernement va-t-il imposer aux opérateurs ou aux gestionnaires de ces messageries l’installation de portes dérobées ? Les services de renseignement pourraient s’y engouffrer sans demander l’accord de qui que ce soit, ce qui serait évidemment problématique pour les libertés individuelles et fondamentales.

Plus globalement, vous souhaitez davantage de traitement algorithmique. La question de la manière dont il est réalisé se pose. Bien évidemment, cela ne relève pas de ce projet de loi. Mais ceux que le sujet intéresse savent bien que Palantir, entreprise américaine, est la seule à opérer puissamment ce traitement massif de données numériques. Il avait été question que le Gouvernement s’appuie sur Thales pour disposer d’une solution souveraine. Même si je n’approuve pas cette fuite en avant vers la surveillance généralisée, je préférerais qu’elle s’effectue dans un cadre souverain et non au vu et au su des services étrangers.  

Le contrôle parlementaire a souvent été évoqué. Qu’il y en ait un plutôt qu’aucun est préférable, c’est certain. Mais si l’on pense que la lutte contre tous les actes de terrorisme – et principalement contre le terrorisme djihadiste – doit être une cause nationale suscitant l’union entre les différentes forces politiques, alors il faut aller plus loin dans le contrôle parlementaire. Chaque groupe politique, à l’Assemblée nationale et au Sénat, devrait avoir un représentant au sein de la délégation parlementaire au renseignement, pour que ces sujets soient mieux partagés. Lorsque l’on prend connaissance des rapports qui nous sont remis par le Gouvernement ou des fuites dans la presse, on se dit que, bien qu’étant parlementaires, nous sommes fort mal informés, alors que nous devons prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences attentatoires aux libertés fondamentales.

M. Stéphane Peu. Je serai bref, car le rythme de travail de notre Commission est très soutenu et parfois difficile à suivre pour les petits groupes politiques. Je réserve donc l’essentiel de mes interventions, après un travail plus approfondi, pour l’examen du texte en commission et la séance publique.

À chaque fois que nous sommes confrontés à de tels projets de loi, nous nous interrogeons : comment la démocratie et l’État de droit, qui reposent sur la séparation des pouvoirs et la protection des libertés individuelles, peuvent-ils, sans se renier, relever le défi du combat efficace contre le terrorisme ? Je pose à nouveau cette question car, depuis maintenant un peu plus de cinq ans, nous avons vécu plus de la moitié du temps sous le régime de l’état d’urgence, pour lutter soit contre le terrorisme, soit contre la pandémie. Ce faisant, ne donnons-nous pas un point à l’adversaire ? Par ailleurs, nous risquons de légitimer tous ceux qui appellent de leurs vœux un État fort, autoritaire, moins démocratique ; on en voit un peu partout en Europe et la menace existe en France. Peut-être leur donne-t-on parfois trop facilement du grain à moudre, en instillant dans le débat public l’idée qu’un tel État pourrait être une solution plus efficace.

La question se pose d’autant plus que l’on sait qu’une partie des dispositions figurant dans l’état d’urgence de 2015 ont été intégrées dans le droit commun par la loi SILT, avec des expérimentations qui vont l’être aussi avec ce projet de loi.  Finalement, ce qui relevait d’un état d’exception va devenir la règle commune.

Tout ce qui concourt à rendre plus efficace la lutte contre le terrorisme reçoit, bien entendu, notre approbation, mais sous réserve de respecter les principes que je viens rapidement d’évoquer en introduction.

Je ferai trois remarques à ce stade.

Premièrement, nous aimerions disposer de bilans plus étoffés avant d’aller plus loin. Je prends le cas de la fermeture des lieux de culte. J’aurais aimé, par exemple, avoir le retour d’expérience éclairé du ministère de l’Intérieur après la fermeture de la mosquée de Pantin, décidée à la suite de l’assassinat de Samuel Paty. Si j’en comprend les raisons et les motivations, je ne suis pas certain qu’avoir été aussi radical et expéditif ait été la démarche la plus adaptée, car la mesure a englobé, et par là-même puni, toute la communauté musulmane d’une ville. Il était possible d’agir de manière plus individuelle. Ces mesures d’exception nous font parfois perdre de vue l’individualisation des poursuites et des sanctions. La punition collective est toujours incomprise et n’est jamais pédagogique.

S’agissant de l’article 5, qui porte sur le suivi des personnes condamnées pour terrorisme, je crois percevoir un angle mort. Je n’y vois pas les outils destinés à traiter le phénomène massif et inquiétant de la radicalisation en prison de condamnés de droit commun.

Enfin, nous avons lu avec attention et satisfaction la lettre rectificative du 12 mai, notamment sur la question des archives. Nous aurons quelques amendements pour en préciser les termes, mais c’est une bonne chose qui était attendue par les historiens, particulièrement ceux qui travaillent sur la guerre d’Algérie. On sait l’attachement du Président de la République à essayer de faire progresser notre pays en regardant en face cette période de l’histoire nationale.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je remercie les rapporteurs pour leurs propos, que je partage, ainsi que M. Eliaou pour son soutien au texte.

Des questions ont été posées au sujet des MICAS, et le garde des Sceaux y répondra bien mieux que je ne peux le faire. Si je comprends ce débat, j’espère qu’il est tranché au moins par la majorité parlementaire ; je souhaite que ces mesures soient aussi adoptées par l’ensemble des parlementaires en raison de l’importance de la question.

Je voudrais souligner que, grâce au travail qui a été fait précédemment, on a évité jusqu’à présent que des sortants de prison condamnés pour terrorisme ou qui s’y sont radicalisés aient été les responsables premiers d’attentats en France. Cela montre l’efficacité des dispositions qui ont été votées par le Parlement.

Je remercie Guillaume Larrivé pour ses propos très justes sur le fait que le travail doit être réalisé en commun par les gouvernements républicains successifs. Cela suppose un échange d’informations approfondi et un respect mutuel. Je souligne, comme lui, que l’arrêt du 21 avril 2021 est vraiment très important et que nous devons le mettre en avant. Le Conseil d’État y est à la fois très juridique et très patriote. D’autres questions seront posées au juge judiciaire, mais nous n’en sommes pas là.

Comme l’a relevé Loïc Kervran, il ne s’agit pas un texte révolutionnaire, mais d’un texte d’ajustements et d’améliorations, afin de s’adapter à la menace tout en respectant l’État de droit. Sur ce point, je suis en parfait désaccord avec l’essentiel de l’argumentation de Stéphane Peu.

Madame Karamanli a évoqué trois sujets de nature et d’importance différentes.

L’internet français sera-t-il concerné dans son ensemble ? Ce que nous essayons de faire, qui n’est jamais facile, est évidemment le contraire de ce que font certains États. Ugo Bernalicis a évoqué des sociétés ou des pays qui ont la réputation d’effectuer en quelque sorte une pêche au filet – ce qu’on pourrait considérer à juste titre comme parfois attentatoire aux libertés individuelles, ou en tout cas ne protégeant pas les données personnelles. Sous plusieurs gouvernements, et notamment celui de Bernard Cazeneuve qui nous a précédé, c’est bien l’inverse qu’ont essayé de faire les services de renseignement français en procédant de manière ciblée. Et les dispositions que nous vous proposons n’ont pas pour objet de viser toutes les informations de l’internet français, comme vous le craignez, mais bien de cibler les personnes.

C’est la raison pour laquelle, au travers de la technique dite de l’algorithme, se pose la question des URL. Un certain nombre de connexions mises bout à bout peut faire naître un doute, que nous devons lever. Mais je rappelle que la levée de l’anonymat de cette connexion est autorisée par une autorité administrative indépendante ; elle suppose quatre signatures : celles du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur, du chef du service demandeur et de la CNCTR. Cela ne me paraît donc pas attentatoire aux libertés individuelles, d’autant qu’il s’agit bien d’URL précises.

J’ai déjà eu l’occasion de dire que quelqu’un qui se connecterait plusieurs fois au cours d’une même journée pour regarder des vidéos de décapitation sur un site de Daech n’est pas identifiable par les services de renseignement français. Se connecter plusieurs fois par jour pour visionner de telles vidéos est une information intéressante, car ce n’est pas un très bon signe ; cela justifie que la personne qui consulte ces sites soit suivie, pour vérifier si les motifs de cette connexion sont légitimes – par exemple dans le cas d’un journaliste faisant son travail – et qu’il n’y a pas de risque. C’est ce que nous demandons à pouvoir faire dans ce projet de loi. Ce ciblage par les connexions fait l’objet de tout notre travail ; nous ne voulons pas « tout prendre » pour ensuite trier.

Vous me demandez s’il existe des bases de données de gens dangereux que nous pourrions échanger entre pays européens. Ce n’est pas le cas. Il existe un certain nombre de fichiers européens, comme le Passenger Name Record (PNR), qui recense les passagers aériens, ou le système d’information Schengen (SIS), que le départ de nos amis britanniques fragilise d’ailleurs, mais il n’y a pas de base de données européenne que l’ensemble des pays pourrait enrichir et consulter.

Le troisième sujet sur lequel vous m’interrogez est sans doute le plus important ; c’est en tout cas celui qui fait naître le plus de fantasmes. Il s’agit des nouveaux moyens de communication utilisés par les terroristes. Nos services de police, de renseignement et de gendarmerie doivent constamment s’adapter à ces nouveaux modes de communication : c’est vrai aussi pour le trafic de drogue et la grande criminalité. Il y a peu, la gendarmerie nationale est parvenue à démanteler un réseau de trafiquants de stupéfiants qui utilisaient l’application EncroChat sur des téléphones qui ne servaient qu’une fois. Ceux qui veulent échapper aux écoutes téléphoniques imaginent sans cesse de nouveaux moyens de communication.

Il faut faire une distinction entre les réseaux sociaux qui ont un système de messagerie, d’une part, et les messageries cryptées, d’autre part.

L’utilisation des messageries des réseaux sociaux par des terroristes est très inquiétante. Pour ne pas parler d’affaires couvertes par le secret de l’enquête ou par le confidentiel défense, j’en évoquerai deux qui ont été rendues publiques dans la presse. Le terroriste qui est entré dans la basilique de Nice et qui a massacré de pauvres fidèles, il y a quelques mois, a circulé pendant plusieurs semaines sur le territoire européen avant d’arriver en France. Pendant tout ce temps, il n’a jamais utilisé la ligne téléphonique de son GSM et n’a pas envoyé un seul SMS ; il n’est passé que par la messagerie de Facebook, à laquelle nous n’avons pas accès. Qu’il n’ait pas utilisé son téléphone pour téléphoner devrait attirer notre attention ! L’homme qui a tué Samuel Paty, quant à lui, a manifestement communiqué avec des personnes qui se trouvaient sur le théâtre irako-syrien à travers la messagerie d’Instagram. Des écoutes téléphoniques classiques ne nous auraient donc rien appris.

Pour ce qui est des messageries cryptées, comme Telegram, WhatsApp ou Signal, elles ont précisément bâti leur modèle économique sur la garantie de ne pas pouvoir être écouté. Que les choses soient claires : il ne s’agit pas d’écouter les conversations téléphoniques qui se font sur ces applications mais de profiter du fait qu’elles passent par des connexions internet. Pour les cibles les plus dangereuses, et sous le contrôle de la CNCTR, le recueil des données informatiques permettra d’accéder au terminal informatique de la personne qui utilise ces messageries pour recueillir les données qui sont stockées dans ces messageries. Il ne s’agit donc pas d’écoutes classiques, vous l’aurez compris.

La mesure qui vise à neutraliser les drones malveillants a été proposée par la ministre des Armées ; elle est frappée au coin du bon sens et est très importante. Les drones sont déjà utilisés sur des théâtres de guerre mais il pourrait très bien arriver que, sur des théâtres civils, des drones munis d’une charge explosive soient lancés sur un bâtiment, une personnalité, par exemple le Président de la République ou un chef d’État, ou une foule, pour provoquer un attentat. Il est désormais possible de neutraliser des espaces aériens et d’y stopper les drones à l’aide d’un champ magnétique. Nous aurions les moyens techniques de procéder au brouillage des drones à proximité des maisons d’arrêt ou des prisons de notre pays mais tel n’est pas l’objet de cette disposition : elle vise des sites particulièrement sensibles, comme des centrales nucléaires.

La fermeture de lieux de culte en lien avec des entreprises terroristes est-elle efficace ? Monsieur Peu, vous avez employé des mots tels que « autoritaire » et « expéditif ». Cela ne me paraît pas très juste. La fermeture de la mosquée de Pantin n’a pas été expéditive ; elle a succédé à l’assassinat ignoble de Samuel Paty, après qu’il a été prouvé qu’un lien existait entre les dirigeants et certains responsables religieux de cette mosquée et l’assassinat de ce professeur, qui a marqué toute la France. Par ailleurs, la décision que j’ai prise a été validée par le tribunal administratif, puis par le Conseil d’État, qui est très soucieux de la liberté de culte. Et cette mosquée, qui devait être fermée pour une durée de six mois, a finalement rouvert un peu plus tôt : si certaines personnes ne sont pas fréquentables dans cette mosquée, d’autres le sont évidemment et j’avais dit que j’étais prêt à leur tendre la main.

Les ministres qui m’ont précédé ont fait avancer les choses. Au moment des premiers grands attentats terroristes, il y avait deux grands sujets d’inquiétude. Le premier concernait une menace projetée depuis le théâtre irako-syrien. Or, depuis novembre 2015, plus aucun attentat n’a été commis par des personnes revenant de cette zone. Cela ne veut pas dire que cela ne se reproduira jamais, mais c’est un constat important. Peut-être est-ce dû à la coopération internationale de nos services de renseignement et aux moyens d’action que vous nous avez donnés. La deuxième inquiétude était que certains lieux de culte favorisent une forme de radicalisation organisée. Or nous constatons que les lieux de culte musulmans sont de moins en moins responsables de la radicalisation des personnes qui commettent des attentats terroristes.

Cela ne veut pas dire que cela ne peut plus jamais arriver, que nous ne surveillons plus les lieux de culte et que nous ne procédons pas à des expulsions –  mes prédécesseurs et moi-même avons déjà expulsé un certain nombre de responsables religieux radicalisés. Cela ne veut pas dire non plus que, dans la loi relative au séparatisme, nous n’avons pas demandé des mesures supplémentaires pour lutter contre le « djihadisme d’atmosphère », comme le nomme Gilles Kepel. Cela veut dire que la mesure très forte de fermeture des lieux de culte a porté ses fruits, puisque ces derniers ne sont plus un lieu de radicalisation. Internet et les phénomènes d’autoradicalisation jouent aujourd’hui un rôle beaucoup plus important que les mosquées qui, dans leur immense majorité, respectent les lois de la République. Elles sont d’ailleurs les premières à demander que l’État soit ferme vis-à-vis des lieux de culte qui s’écartent du vrai message des religions révélées. Le projet de loi vise à élargir cette disposition aux dépendances des lieux de culte. Sans rouvrir le débat que nous avons eu à propos de la loi sur le séparatisme, la distinction entre le cultuel et le culturel n’est pas toujours évidente, notamment pour les associations régies par la loi de 1901.

S’agissant, monsieur Bernalicis, de la judiciarisation, je vous ferai remarquer que les visites domiciliaires, qui sont extrêmement efficaces et utiles, sont toujours autorisées par le juge des libertés. Le ministre de l’Intérieur ne peut pas décider des perquisitions en s’affranchissant des règles. Au lendemain de la mort de Samuel Paty, j’ai pris la décision, à la demande du Président de la République, d’organiser plus de 200 visites domiciliaires. Leur objet était de consulter, sur des tablettes, des ordinateurs et des téléphones tenus cachés, les messages qui ne pouvaient pas être écoutés à distance, parce qu’ils avaient été échangés sur les nouveaux types de messagerie que j’ai évoqués tous à l’heure. Ces visites nous ont permis d’ouvrir nombre de procédures judiciaires. Mais je répète aussi qu’en amont, nous avions obtenu l’autorisation du juge des libertés. Lorsque nous pensons avoir identifié une personne dangereuse, nous adressons un dossier au juge ; s’il estime que ce dossier n’est pas assez solide, il ne donne pas son autorisation et il n’y a pas de visite domiciliaire. En France, le ministre de l’Intérieur ne peut pas décider seul d’entrer chez les gens, quand bien même ils seraient soupçonnés de préparer un acte terroriste.

Les services de renseignement qui sollicitent ces visites domiciliaires informent le parquet national antiterroriste (PNAT). Si vous auditionnez ses représentants, ils vous expliqueront dans quel cas ils judiciarisent. C’est bien le procureur qui décide de cette judiciarisation en amont des MICAS et des visites domiciliaires. Il ne faut pas inverser les rôles : si je vous disais que c’est nous qui décidons de la judiciarisation, vous diriez que la séparation des pouvoirs n’est pas respectée, et vous auriez raison. Le PNAT pourrait vous expliquer mieux que moi pourquoi il judiciarise, en fonction des échanges qu’il a avec les services de renseignement, de police et de gendarmerie.

De façon plus générale, on ne peut qu’acquiescer à ce qu’ont dit messieurs Molac et Bernalicis : bien sûr, l’humain ne doit pas être remplacé par la technologie. C’est d’ailleurs bien pour cela que l’actuel gouvernement – sans faire le procès des précédents, car c’était une autre époque, avec un autre terrorisme et d’autres considérations – a mis 1 900 personnels de plus à la disposition de la DGSI et du renseignement territorial. Et encore ne s’agit-il que de mon ministère : le garde des Sceaux pourrait aussi évoquer la création du renseignement pénitentiaire, et la ministre des Armées les moyens importants de la DGSE. Bref, lorsqu’on augmente de 1 900 équivalents temps plein en trois ans les effectifs des services de renseignement, on ne peut pas dire qu’on néglige l’humain, autrement dit ce qui fait la grandeur et l’efficacité des services de renseignement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nous avons effectivement pris un certain nombre de dispositions pour renforcer les quartiers d’évaluation de la radicalisation, pour en augmenter le nombre, ainsi que celui des quartiers de prise en charge de la radicalisation, et pour accroître les effectifs de ceux qui, au sein de l’administration pénitentiaire, s’occupent du renseignement.

Contrairement à ce que laisse entendre Ugo Bernalicis, qui a déjà reçu une réponse très claire, nous sommes loin du « police partout justice nulle part » : il y a d’abord une intervention judiciaire, celle du juge des libertés et de la détention, qui accorde ou non la demande de visite domiciliaire.

S’agissant des mesures que le judiciaire pourra prononcer à la sortie de la détention, il faut noter qu’en raison de la décision du Conseil constitutionnel, à ce jour nous n’en avons aucune. Avec ce projet de loi, on pourra prononcer des mesures de suivi d’un détenu à la condition qu’il ait commis lui-même un acte terroriste. Ce qui m’amène à l’observation de monsieur Peu sur les radicalisés : il est tout de même difficile, d’un point de vue constitutionnel, de suivre des personnes pour une infraction qu’elles n’ont pas commise ! Mais il faut relativiser ce que monsieur Peu appelle un angle mort, car les radicalisés, qui sont naturellement identifiés et surveillés en prison, pourront être suivis par les services administratifs.

Ces obligations donc qui pourront être imposées au détenu qui vient de sortir, monsieur Larrivé a bien fait de rappeler qu’elles ne pouvaient être prononcées que dans un contexte ultra-contraint. Les voici : fixer sa résidence en un lieu déterminé ; répondre à toute convocation du juge de l’application des peines ; communiquer au service pénitentiaire d’insertion et de probation les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle desdites obligations ; exercer une activité professionnelle ou suivre une formation professionnelle ; ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ; respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre la réinsertion ou l’acquisition des valeurs de la citoyenneté, le cas échéant dans un établissement d’accueil adapté.

Parmi ces obligations judiciaires, Guillaume Larrivé regrette qu’il n’y ait pas d’obligation de pointage. C’est vrai, mais cela doit être relativisé. Ces obligations peuvent être cumulées aux mesures administratives qui, elles, permettent le pointage, l’interdiction de fréquenter certaines personnes ou l’interdiction de sortir d’un périmètre déterminé. Ayant affaire à des individus considérés comme potentiellement dangereux, je pense qu’il y aura naturellement une coordination entre le judiciaire et l’administratif, et que les deux types de mesures pourront s’exercer.

S’agissant des drones, certaines données, effectivement inquiétantes, nous ont conduits à prendre des décisions. Ainsi, entre janvier 2018 et le 12 avril 2021, 173 survols d’établissements pénitentiaires ont été enregistrés. Depuis 2016, l’administration pénitentiaire est associée à des groupes de réflexion initiés par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Nous avons acquis quinze système antidrones pour quinze établissements pénitentiaires, dont deux sont déjà opérationnels, les autres étant en cours de déploiement. Pour répondre à Dimitri Houbron, ces dispositifs antidrones, acquis par la direction de l’administration pénitentiaire, s’inscrivent bien dans les dispositions de l’article 12 du projet de loi.

Une dernière chose : je suis assez surpris qu’on puisse se demander si des mesures qui n’existaient pas auraient pu interdire la commission d’un crime. Pardon, mais le bon sens me conduit à vous dire que nul ne peut le savoir. Ce qui est une évidence, c’est que ces mesures sont un progrès et que, venant d’un système sans suivi – nous avions tenté d’y travailler, et chacun a à l’esprit la décision du Conseil constitutionnel –, elles représentent un renforcement considérable de nos dispositifs.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci messieurs les ministres.

La réunion se termine à 18 heures 55.

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Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.