Compte rendu

Délégation aux collectivités territoriales
et à la décentralisation

 Audition de Mme Amélie de MONTCHALIN, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.  2

 

 


Mardi
17 Novembre 2020

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 05

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Jean-René CAZENEUVE, Président

 

 


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La réunion débute à 9 heures.

 

Présidence de M. Jean-René Cazeneuve, président

 

 

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

http://assnat.fr/7ZuJr3

 

 

La Délégation procède à l’audition de Mme Amélie de MONTCHALIN, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.

 

M. le président Jean-René Cazeneuve. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je tiens, tout d’abord, à souligner l’ambition de transformer l’action publique qui figure dans l’intitulé même de votre ministère et votre volonté de simplification, particulièrement nécessaire dans le contexte du plan de relance de notre économie.

Nous aborderons avec vous de nombreux sujets, en particulier la présence des fonctionnaires et des services publics dans les territoires, qui correspond à une attente forte de nos concitoyens. Vous venez de présenter, devant le Conseil des ministres, les réformes que vous souhaitez conduire en faveur d’un État efficace, plus proche des Français, d’une action publique concrète et effective, qui n’oublie aucun territoire. Cela rejoint les préoccupations de notre délégation et nous serons heureux de vous entendre sur cette question.

Le plan de relance et sa territorialisation sont également au centre de nos travaux. Où en êtes-vous s’agissant du déploiement des sous-préfets dans les territoires, de la déconcentration de l’État – afin de laisser plus de responsabilités aux acteurs de terrain – et de la délocalisation de certains services ? Sur le dernier point, le ministère des finances a montré l’exemple : d’autres vont-ils le suivre ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Merci, monsieur le président. Je suis très heureuse de pouvoir échanger avec vous. Une grande partie de ma mission consiste, effectivement, à rendre l’action publique efficace. Celle-ci ne s’arrête pas aux frontières de l’État : elle s’appuie aussi, largement, sur les collectivités et associe les citoyens et les acteurs économiques. Nous avons besoin d’une forme de coalition collective, plutôt que d’un état d’esprit technocratique ou « en silos ».

Je ferai, pour commencer, une présentation en quatre temps, en essayant d’être aussi synthétique et, je l’espère, intéressante que possible.

Mon ministère, inédit sous la Ve République, a vocation à travailler sur trois grands sujets et réunit, sous un même toit, trois directions. La première, historique, est la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), créée il y a soixante‑quinze ans par le général de Gaulle pour participer à la mise en œuvre du statut général des fonctionnaires, ces hommes et ces femmes qui font vivre le service public. La seconde, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), s’intéresse en particulier aux services rendus aux usagers, qu’il s’agisse des citoyens, des entreprises ou des collectivités. L’action publique doit être plus proche de leurs attentes. Enfin, la direction interministérielle du numérique (DINUM), est en charge du chantier transversal de la transformation numérique de l’État. C’est la première fois que ces trois services sont ainsi regroupés, ce qui est vraiment cohérent : pour transformer notre action, au XXIe siècle, nous devons être en phase avec les usagers, recourir pleinement au numérique et associer les hommes et les femmes qui mènent l’action publique au quotidien.

J’ai vu que vous avez travaillé sur les conséquences de la crise sanitaire et sur les moyens d’action des collectivités locales. La vocation de mon ministère est renforcée par la triple crise économique, sanitaire et sécuritaire que nous traversons. Nous avons plus que jamais besoin de travailler en partenariat et d’aller au-delà des silos ministériels : tenir compte des attentes des usagers, des élus et de tous ceux qui font vivre le pays est au cœur de ma mission.

La transformation ne se réalise pas en surplomb, comme on organiserait un jardin à la française, depuis un bureau ministériel. Ce n’est pas une action qui se décrète. Elle passe très peu par la loi, et bien plus par la pratique. Une des clefs de la réussite sera notre capacité à rester en lien avec les acteurs de terrain, à être attentifs à leurs remontées, à nous assurer que tout ce que nous faisons est bien calibré, compte tenu des besoins, et à être un ministère qui donne des impulsions, expérimente et s’engage dans une démarche d’évaluation et d’amélioration continue. Je n’annoncerai pas de grands chocs ni de grands plans ; je suis des priorités dans la durée, tout en faisant des ajustements en permanence.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder est la manière dont nous voulons territorialiser le plan de relance, qui nous force à repenser certains fonctionnements internes, administratifs et collectifs. À la demande du Premier ministre et du Président de la République, j’ai proposé – et nous le faisons, bien sûr, avec Gérald Darmanin – la création, dans chaque département, d’un guichet unique de la relance : un haut fonctionnaire compétent, dédié à cette mission, qui aura du temps pour recueillir les informations nécessaires, animer son territoire, rencontrer les élus et les entreprises, définir la stratégie du département en matière de relance et, ensuite, faire remonter les blocages rencontrés, les raisons pour lesquelles le plan de relance, de 100 milliards d’euros, aurait du mal à se déployer.

L’idée d’un guichet unique de la relance va s’incarner très concrètement : au 1er janvier 2021, vous connaîtrez, en tant que parlementaires – j’insiste sur ce point car vous serez amenés à être en lien permanent avec elle –, le nom de cette personne dédiée dans chaque département. Il s’agira soit d’un sous-préfet déjà en place qui assumera une charge supplémentaire, soit, parfois, d’un secrétaire général de préfecture, soit d’un renfort humain – c’est une partie de la nouveauté. En effet, nous avons pris la décision très pragmatique d’envoyer des renforts quand les préfets nous ont dit que personne n’avait la bande passante nécessaire pour faire ce travail supplémentaire.

Trente nouveaux sous-préfets « à la relance » auront ainsi pour mission, non pas de s’occuper d’un arrondissement ou de mener une politique publique en particulier, mais d’être les chevilles ouvrières du plan de relance. Les dix premiers d’entre eux ont été nommés vendredi dernier, par décret : ce sont des hauts fonctionnaires – cinq hommes et cinq femmes –, âgés de 27 à 63 ans, qui ont eu des parcours très divers et qui, pour la plupart, auraient rejoint des postes en administration centrale sans cet appel à candidature. Nous ne créons pas de nouveaux postes mais nous réaffectons des moyens pour mettre les compétences au bon endroit. Le recrutement a été très intéressant, car très diversifié.

Ces sous-préfets à la relance rejoindront des préfectures de région – l’Île-de-France, le Centre-Val de Loire ou l’Occitanie – mais aussi des préfectures de département, comme l’Indre-et-Loire, les Pyrénées-Orientales, la Charente, la Creuse, l’Isère et les Bouches-du-Rhône. Ils seront des ascenseurs, très concrets, entre les ambitions que nous avons au niveau national et les besoins de chaque territoire. Le plan de relance est un plan d’investissement qui, par son ampleur et sa portée, implique de réfléchir à des politiques publiques un peu différentes de celles que nous menons habituellement – je pense, par exemple, aux dotations d’équipement des territoires ruraux (DETR) et aux dotations de soutien à l’investissement local (DSIL). Il est normal de donner aux services départementaux des ressources et des outils un peu nouveaux si on veut produire des effets différents.

Un des enjeux est de parvenir à mettre en musique, de manière cohérente, tous les services de l’État – ce qui est plus facile à dire qu’à faire… Je remercie Éric Poulliat, membre de votre délégation, pour ses travaux montrant la cacophonie qui peut exister entre les opérateurs, les agences et les services déconcentrés, départementaux ou régionaux, et l’espèce de sentiment de submersion qui en résulte parfois : l’élu ou l’entreprise qui a un projet se trouve confronté à un État parlant avec plusieurs voix. Les sous-préfets à la relance seront nos meilleurs relais pour faire en sorte qu’au niveau départemental, qui est une maille correspondant bien à la réalité quotidienne de l’action publique, les services de l’État convergent et gèrent, en interne, leur complexité. La réinternalisation de la complexité est, pour moi, une ambition très forte : la puissance publique doit être capable d’envoyer des messages clairs et d’être un interlocuteur fiable, qui intègre, en lui-même, sa complexité quand il s’adresse à un élu ou à une entreprise.

Ces sous-préfets seront, très concrètement, les meilleurs vecteurs de la simplification dans les mois à venir. Nous avons créé, avec le secrétariat général de France Relance, un guichet unique, en lien avec la DITP, qui permettra, à chaque fois qu’un blocage se produira, de choisir entre quatre options.

La première consiste à renforcer le droit de dérogation, locale, du préfet, qui a été étendu au mois d’août dernier à la suite d’une expérimentation. La seconde est de recourir à une dérogation temporaire nationale, si le blocage a lieu partout. Pour les projets très spécifiques et liés à une norme, une troisième option est d’utiliser le dispositif France Expérimentation, qui offre la possibilité, pour une entreprise ou un projet donné, de lever, pour un certain temps, telle ou telle réglementation, dans une logique de sandbox, comme le disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire de « bac à sable » : à l’intérieur d’un terrain de jeux déterminé, certaines normes ne s’appliquent pas, dans l’intérêt d’un projet. Cela fonctionne objectivement très bien, même si le dispositif est méconnu. Le caractère borné de l’expérimentation permet de faire le nécessaire si elle ne se passe pas comme il faudrait. Enfin, la quatrième option est un changement normatif. Si tous les sous-préfets à la relance font remonter des difficultés qui ne relèvent ni d’une dérogation locale ou nationale, ni de la levée ponctuelle et bornée de certaines normes, il faudra alors réfléchir à un changement du droit, au niveau législatif ou réglementaire.

Le guichet unique disposera d’une adresse e-mail et d’un numéro de téléphone. J’essaie de faire des choses très simples, très pratiques, dans une logique d’amélioration continue du service.

Par ailleurs, nous devons maintenir une continuité absolue des services publics durant le reconfinement – c’est une ambition en soi car, au printemps dernier, des guichets ont parfois été fermés et des politiques publiques ont été mises en suspens. Nous devrons également nous assurer de conserver tous les efforts déployés actuellement. Je pourrais vous donner des éléments sur le télétravail, les nouvelles modalités d’accueil des citoyens, l’innovation menée, très rapidement, dans la plupart des services afin de s’adresser aux publics fragiles et d’identifier les usagers pour lesquels de nouvelles politiques, ciblées, doivent être conduites.

Winston Churchill a dit : « Il ne faut pas gaspiller une bonne crise ». Je ne suis pas sûre que cette crise soit bonne, mais elle pousse les institutions à évoluer de manière accélérée en ce qui concerne leur organisation, leurs modes de management et le pilotage par les objectifs – être à distance amène parfois à reconcentrer l’action sur des objectifs plus clairs ou moins nombreux. Je vois que des évolutions positives ont lieu sur le terrain. Le fait de redonner aux agents publics une capacité d’initiative, une marge de manœuvre, une responsabilité, de rendre du pouvoir à l’échelon local, en cassant les boucles hiérarchiques infinies qui allongeaient les délais, permet d’avoir des services publics qui continuent à fonctionner.

Je suis allée à la rencontre de centres communaux d’action sociale (CCAS) qui mènent des actions très novatrices. Après nos échanges, j’irai voir Pôle emploi, qui appelle désormais les demandeurs d’emploi au lieu d’attendre qu’ils se déplacent : plus de 30 % d’entre eux ont ainsi été appelés pendant le premier confinement, de manière volontariste.

Je m’attache à ce que toutes les démarches permettant de servir plus et mieux les Français se déploient à fond, et je veillerai à ce qu’elles se poursuivent.

J’ai pris une initiative qui vous paraîtra sans doute pleine de bon sens – c’est mon avis –, mais qui est assez inédite : il s’agit de réunir sous un même chapeau tous les grands réseaux de services publics – des administrations, comme la direction générale des finances publiques, des organismes appartenant au monde de la sécurité sociale, notamment la caisse d’allocations familiales, la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse nationale d’assurance vieillesse, ainsi que des opérateurs de droit privé, tels que La Poste et Pôle emploi. Les placer sous un même toit permet de définir des objectifs communs : assurer la protection de tous, en développant le télétravail mais aussi en pensant à ceux qui doivent exercer en présentiel et aux usagers ; maintenir les guichets ouverts, que ce soit grâce au téléphone, virtuellement ou physiquement, pour les cas d’urgence ; s’assurer que l’on ne prend pas de retard ou que l’on n’augmente pas les délais ; adopter, enfin, une attitude volontariste consistant, comme disent les travailleurs sociaux, à « aller vers » les publics les plus fragiles. Ces quatre engagements sont partagés par tous les réseaux de service public. Ils sont parvenus à définir une doctrine commune de service, malgré des statuts et des tutelles très différents, ce qui me paraît très intéressant.

J’ai également des échanges avec les collectivités locales – avec France urbaine, hier encore, ou avec l’Association des maires ruraux de France – qui sont très intéressés par une reprise à leur compte de ces engagements. Comme je le dis souvent, je n’ai pas le monopole du service public. Nous essayons de mieux faire et si d’autres acteurs veulent s’engager dans la même démarche, cela ne peut être que positif. S’agissant de la continuité du service, je maintiens un dialogue permanent avec les collectivités, en leur qualité d’employeurs publics – j’échange tous les quinze jours avec les employeurs territoriaux –, ou de fournisseurs de services, sur la meilleure manière de poursuivre le travail en matière d’urbanisme et de politique sociale ou encore d’éducation et d’enfance.

En un mot, il s’agit de s’assurer que le pays tourne et que nous tirons de la situation actuelle des leçons qui s’inscrivent dans la durée, c’est-à-dire que les améliorations du service perdurent.

J’en viens à ma volonté d’inscrire la transformation au cœur des territoires. Je conduirai, dans les prochaines semaines, trois chantiers principaux.

Le premier vise à vous permettre, en tant que parlementaires, de réaliser le service « après vote » et l’action de terrain qui sont au cœur de votre mandat – j’y étais moi-même très attachée lorsque j’étais députée – en vous fournissant un baromètre des résultats de l’action publique dans le cadre des trente chantiers majeurs que nous menons depuis trois ans – certains d’entre eux ayant été lancés par nos prédécesseurs. Vous aurez ainsi, département par département, une vue factuelle, incontestable, fact checkable, si je puis dire, de la situation. Quand nous faisons remonter des données départementales, nous constatons que certaines politiques publiques se déploient bien, mais qu’il existe aussi beaucoup de disparités. Des réformes avancent très bien, voire de manière inespérée, dans certains départements tandis que dans d’autres, à l’inverse, elles rencontrent des difficultés.

Vous le voyez sur le terrain, mais vous n’avez pas forcément des éléments pour échanger à ce sujet. Les acteurs de la transformation – élus, entreprises, services de l’État ou même citoyens – n’ont pas la visibilité nécessaire pour engager un dialogue horizontal, sur les différences entre l’Ille-et-Vilaine et les Côtes-d’Armor, par exemple. Il s’agit de dresser un état des lieux de la politique de l’apprentissage, des maisons de santé, du dispositif France Services ou des pylônes haut débit – tous ces sujets sont au cœur de la vie quotidienne des Français et prioritaires pour que le pays avance –, de faire le point sur la situation, factuellement, de montrer où nous étions il y a trois ans et où nous souhaiterions être à la fin du quinquennat.

Nous voulons aussi remobiliser les acteurs de terrain, dont vous êtes les premiers relais, et porter nos ambitions au bon échelon en faisant en sorte qu’il y ait un aiguillon et un soutien pour les acteurs déconcentrés, afin que nos objectifs, qui sont fondamentalement d’intérêt général, soient plus facilement atteints.

Le second chantier concerne la transformation, la mise à niveau numérique. J’ai beaucoup poussé pour qu’un milliard d’euros y soit consacré dans le plan de relance – 500 millions en faveur de l’accélération des chantiers numériques des ministères et 500 millions « à ma main », de façon interministérielle, dont 200 millions destinés à l’amélioration des outils de travail des agents publics.

Quand j’ai pris mes fonctions en juillet dernier, j’ai été étonnée de voir qu’il était beaucoup question de la transformation numérique pour les usagers, des démarches que l’on dématérialisait, des sites internet, et beaucoup moins du numérique du point de vue de l’agent, de celui qui instruit le dossier, qui s’occupe, derrière son guichet, virtuel ou physique, des démarches des citoyens. J’investis 200 millions d’euros dans les outils de travail, étant entendu qu’une grande partie d’entre eux seront mis à la disposition des élus, pour que les agents territoriaux puissent aussi en bénéficier.

Par ailleurs, 200 millions d’euros seront utilisés pour que les 250 démarches les plus usuelles des Français soient vraiment et bien numérisées, c’est-à-dire qu’au moins 80 % des usagers s’en déclarent satisfaits – nous n’en sommes pas là, et une cinquantaine de démarches ne sont pas du tout dématérialisées. Nous allons accélérer le mouvement sur des sujets qui sont très pratiques. J’ajoute que les collectivités ont souvent intérêt, pour le bon déploiement de leurs propres politiques publiques, à ce que ces démarches fonctionnent bien.

Enfin, 90 millions d’euros serviront à soutenir la mise à niveau numérique des collectivités. Il existe de grandes disparités en la matière : certaines collectivités sont objectivement en avance sur l’État – elles mènent des actions très intéressantes en ce qui concerne le pilotage de la donnée, la gestion prédictive au service des politiques publiques –, alors que d’autres sont très en retard, non par manque de volonté mais parce qu’elles n’ont pas toujours eu les moyens, le soutien ou tout simplement la couverture réseau permettant d’avancer – j’observe néanmoins que cette couverture progresse très fortement : 96 % du territoire sont désormais couverts par la 4G, contre à peu près 80 % il y a trois ans.

Nous nous sommes concertés avec les associations d’élus pour recourir non pas à un système d’appels à projets qui profite toujours aux mêmes, mais à des dispositifs qui aident vraiment à déployer, à la bonne échelle, des solutions numériques. Je donnerai deux exemples : nous faciliterons l’accès au service d’identification unique FranceConnect – mon ministère financera son déploiement au sein des collectivités ; j’investirai également dans ce qu’on appelle les API (Applications Programming Interface), c’est-à-dire des branchements automatiques qui permettront, par exemple, que le revenu fiscal de référence soit pré-rempli dans les applications des services sociaux des collectivités, comme les CCAS, pour faciliter le calcul des tarifs de cantine et la conduite des politiques sociales locales.

Pour mener à bien ces actions, nous avons besoin d’agents publics, femmes et hommes, pleinement en mesure de prendre des initiatives, à qui on fait confiance et qui pourront être des apporteurs de solutions, capables de donner des réponses à leurs interlocuteurs au lieu de collecter des dossiers et de les faire remonter vers des sphères très lointaines qui finissent par prendre des décisions très décalées par rapport aux besoins du terrain.

Nous avons prévu dans le cadre de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique que 99 % des décisions individuelles doivent être prises au niveau déconcentré – c’est une très bonne nouvelle pour le fonctionnement général de l’État. Nous avons également réformé une partie de son organisation territoriale afin de recentrer les objectifs, grâce à de nouvelles directions focalisées sur l’insertion, à la fois sociale et professionnelle, ou dédiées spécifiquement aux enjeux de la jeunesse, y compris la question du service national universel.

Je mènerai avec vigueur, dans les mois à venir, un autre chantier qui concerne la déconcentration en matière budgétaire et de ressources humaines. La déconcentration budgétaire vise à revenir aux fondements de la loi organique relative aux lois de finances – la fongibilité, l’existence de marges de manœuvre et, au fond, l’agilité publique sur le terrain. La déconcentration en matière de ressources humaines est, par ailleurs, nécessaire : si on veut des hommes et des femmes engagés, leur carrière, les promotions et l’avancement doivent dépendre de leur action.

Voilà autant de sujets qui mêlent la transformation, la déconcentration, la simplification et les enjeux de ressources humaines. Comme je le dis souvent, la République ne vit que parce qu’elle a des agents : on peut écrire autant de lois qu’on veut, mais elles ne seront pas appliquées s’il n’y a pas des acteurs pour le faire. C’est pourquoi mon ministère s’occupe à la fois des politiques concernant les ressources humaines de l’État et de celles qui sont relatives à la transformation.

Parmi les points que je pourrais encore développer – mais je vais m’arrêter là –, je pense notamment à l’attractivité de la fonction publique, notamment territoriale, au sujet de laquelle il reste énormément à faire. En vingt ans, le nombre de jeunes et de moins jeunes qui se présentent aux concours publics a été divisé par deux, voire trois selon les cas. Les collectivités locales, partout en France, expriment le besoin qu’on restaure l’attractivité de leurs métiers, qui sont concrets, qui requièrent des compétences et de la qualification, et pour lesquels on recrute désormais majoritairement par contrat et non plus par concours.

M. le président Jean-René Cazeneuve. Merci, madame la ministre, pour ce panorama, complet mais synthétique, de votre action et de vos priorités – vous connaissant un peu, je sais que vous pourriez en parler pendant des heures.

M. Didier Martin. Ma question porte sur le télétravail, que 40 % des agents de la fonction publique, hors police et éducation nationale, pratiqueraient actuellement. Quel est le bilan du déploiement de ce mode de travail au sein de nos territoires – en particulier depuis le décret de mai dernier – et quelle stratégie adoptez-vous pour garantir à la fois la santé des agents et l’accès à un service public constant et de qualité pour tous ?

M. Rémy Rebeyrotte. Pouvez-vous nous parler du travail que vous menez sur l’élargissement de la garantie de prévoyance dans la fonction publique territoriale ?

Le numérique n’est pas encore développé à l’intérieur même des services et, vis-à-vis du grand public, on a connu quelques sinistres importants comme des sites ou des outils qui étaient inadaptés, incompréhensibles, et qui n’ont pas donné satisfaction. Je pense, en particulier, à l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui a réalisé un travail sur cette question, mais aussi à d’autres cas dans lesquels le lien entre les usagers et l’administration par l’intermédiaire du numérique pose encore problème. Travaillez-vous sur ce sujet ?

Troisième élément, je voudrais souligner la grande hétérogénéité des centres de gestion de la fonction publique territoriale. Prévoyez-vous de généraliser les pratiques qui fonctionnent ?

Enfin, nous sommes souvent sollicités par des jeunes, ou des moins jeunes, qui se sont présentés à un concours de l’administration et ont ensuite été recalés lors de la visite médicale. Pourquoi ne commence-t-on pas par elle, ou du moins par une vérification de l’aptitude des intéressés, au lieu de les laisser passer des concours et de leur refuser ensuite, notamment dans les forces armées, l’entrée dans le métier ?

M. Éric Poulliat. Merci, madame la ministre. Je partage très largement vos propos.

Vous avez notamment parlé du besoin d’État et de la nouvelle place que celui-ci a su prendre aux yeux de nombreux élus et de nombreux citoyens pendant la crise. Il a montré sa capacité à être réactif et à s’adapter dans les territoires. Mais on a vu aussi que la relation avec les citoyens était un peu distante et qu’il était parfois assez difficile de la concrétiser.

Nous avons besoin d’un État fort dans les territoires, d’une véritable territorialisation de son action. Je déduis de ce que vous avez dit que vous êtes favorable à une nouvelle étape de la déconcentration, qui est essentielle pour la différenciation que nous souhaitons. Cela devra s’accompagner d’une évolution de la DGAFP – je pense que vous y travaillez.

Vous avez aussi évoqué le management : pouvez-vous nous en dire plus sur les pistes que vous suivez ? Je suis très sensible à l’idée qu’il faut permettre aux agents de l’État de prendre des initiatives – ils sont parfois un peu limités à un rôle d’instruction, comme vous l’avez souligné.

En ce qui concerne l’attractivité, je voudrais aborder une question qui m’est chère, et à vous aussi, je le sais : celle de l’égalité des chances pour l’accès à la fonction publique. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce que vous faites en la matière ?

M. Arnaud Viala. Merci pour votre présentation exhaustive, madame la ministre.

Vous avez longuement parlé de la territorialisation des moyens de l’État, notamment grâce aux sous-préfets à la relance, qui me paraissent indispensables. J’aimerais que vous reveniez sur la territorialisation des modalités d’application du plan de relance en tant que tel. Nous avons parfois le sentiment que les petits projets, ceux des petites collectivités et des petites entreprises, risquent de passer à travers les mailles du filet.

Vous avez parlé de la différenciation et de l’expérimentation, qui nous sont très chères au sein de cette délégation. La loi 3D, ou 4D, permettra-t-elle de parachever le processus, d’aller jusqu’au bout de ces dispositifs de rapprochement des territoires ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. À l’heure actuelle, 40 % des agents, hors éducation nationale, police et gendarmerie, sont en télétravail. Nous ne pourrons pas arriver à 100 %, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objectif. Beaucoup de missions ne se prêtent pas au télétravail et je reconnais volontiers que nous avions en mars un énorme déficit en matière d’équipement. Nous le comblons à marche forcée, comme aucune entreprise ne le fait.

Je vais vous donner des chiffres qui montrent l’investissement majeur que nous réalisons : nous avons équipé 125 000 agents en téléphones, ordinateurs, VPN – réseaux privés virtuels – et autres outils de connexion, pour qu’ils puissent travailler chez eux comme au bureau, et j’ai repassé une commande interministérielle, la semaine dernière, pour permettre à 50 000 agents supplémentaires d’en faire autant d’ici à la fin de l’année. Entre mars et décembre, nous aurons plus que doublé le nombre d’agents publics réellement en mesure de travailler chez eux comme ils le feraient au bureau. Par ailleurs, nous continuerons à déployer très activement, dans le cadre du plan de relance, des outils permettant de faire en sorte que si l’intégralité d’une mission n’est pas télétravaillable une majorité d’agents puissent au moins travailler deux ou trois jours par semaine à distance et exécuter l’autre partie de leurs tâches en présentiel. L’effort réalisé est massif.

D’après ce qui me remonte des différents ministères au sujet des équipements, de la nature des missions et des objectifs que nous pouvons nous fixer, je considère que nous aurons atteint un niveau, sinon maximum, du moins vraiment significatif quand autour de 50 % des agents seront concernés.

Les chiffres relatifs au télétravail sont le fruit d’un effort que j’ai moi-même engagé : quand je suis arrivée, nous n’avions aucun mécanisme de remontée centralisée, fiable, pour suivre les pratiques en la matière et la question, importante pour la continuité du service, des agents bénéficiant d’une autorisation spéciale d’absence – l’équivalent du chômage partiel ou technique. Le taux est de 0,4 ou 0,5 %, alors qu’il était monté à près de 30 % à un moment, pendant le premier confinement – il y avait un parallélisme avec ce qu’on voyait dans le secteur privé.

Mon ambition est d’équiper au maximum tous ceux qui peuvent l’être, de nous assurer que tout ce qui peut être télétravaillé, même une partie de la semaine, l’est effectivement, de suivre la question avec beaucoup de pragmatisme et surtout d’assurer la continuité. Elle implique parfois un redéploiement d’effectifs conduisant certains à assurer des missions différentes durant la crise – c’est très bien, mais cela demande de faire de la formation et du management. Nous avons un effort considérable de formation à réaliser en ce qui concerne le pilotage des équipes à distance, car ce n’est pas une pratique très usuelle. Je pourrai vous faire parvenir des documents pour que vous puissiez voir le type de travail qui est mené.

J’ai deux remontées hebdomadaires, sur le télétravail et sur la continuité des services. Les indicateurs sont très simples : le taux de guichets ouverts pour les urgences, le pourcentage d’appels téléphoniques auxquels on a répondu – et en combien de temps on a décroché –, ainsi que l’évolution des délais de traitement. Il faut marcher sur une ligne de crête afin d’assurer la pleine participation de l’État aux efforts de la nation pour limiter la diffusion du virus tout en préservant la continuité des services. J’échange sur ce sujet avec les collectivités locales qui, je crois, ont toutes pris des initiatives pour trouver aussi un point d’équilibre.

On doit réaliser un pilotage très fin. J’ai émis des circulaires le 1er septembre, puis le 7 et le 29 octobre – nous avons beaucoup anticipé et travaillé dans la continuité. Le cadrage est fait dans mon ministère, mais tout repose, en réalité, sur la culture de la confiance, sur le management, sur des équilibres à trouver équipe par équipe. Nous nous sommes massivement adaptés : nous sommes passés, en quelques semaines, d’environ 10 % de télétravail à près de 40 %, ce qui montre notre agilité en matière de management.

Nous avons un énorme problème, monsieur Rebeyrotte, en ce qui concerne l’attractivité mais aussi la protection sociale complémentaire des agents publics, en matière de prévoyance ou de santé. Il y a beaucoup de disparités, notamment entre les collectivités. Les plus grandes offrent des couvertures de même niveau que celles du secteur privé, voire d’un niveau supérieur, tandis que d’autres, notamment les plus petites, n’assurent absolument pas de prise en charge, ce qui conduit beaucoup de personnes à avoir une couverture qui n’est pas à la hauteur de leurs besoins.

La loi de transformation de la fonction publique a demandé au Gouvernement de prendre une ordonnance avant mars 2021 pour renforcer la prise en charge par l’employeur public de la protection sociale complémentaire. C’est un chantier que je mène avec ardeur. Nous avançons rapidement, avec tous les employeurs publics, territoriaux mais également hospitaliers, et les organisations syndicales. Je serai normalement en mesure de présenter d’ici à la fin de l’année un point d’équilibre.

Il faut traiter trois sujets. Quelle prise en charge les employeurs publics doivent-ils assurer ? Quelle trajectoire se fixe-t-on ? À cela s’ajoute la question de la prévoyance, en particulier du capital décès, qui dépend non pas d’une couverture contractuelle, par des mutuelles ou des assureurs, mais d’une auto-assurance. À la suite d’une réforme intervenue en 2015, le montant mis de côté par l’État pour le capital décès est passé d’environ 40 000 euros par personne, en moyenne, à moins de 13 000 euros. Quand un fonctionnaire décède au cours de sa vie active, sa famille reçoit trois fois moins qu’auparavant, et ce qui est versé n’est pas à la hauteur des attentes que peuvent avoir les enfants ou les conjoints survivants. Je pense notamment que les systèmes de rente sont beaucoup plus adaptés aux besoins concrets des familles.

La direction générale des collectivités locales (DGCL) mène une concertation spécifique avec les employeurs territoriaux, et la DGAFP réalise une synthèse du tout. Je suis personnellement très impliquée dans ce dossier : c’est un enjeu majeur en matière d’attractivité, de considération et de pouvoir d’achat, une complémentaire santé coûtant 1 000 euros en moyenne. Dans le privé, du fait des accords de branche et de l’accord national interprofessionnel, 50 % sont pris en charge par l’employeur. Dans le public, c’est très disparate : cela dépend des ministères, des collectivités et des versants de la fonction publique. Il faudrait arriver à rendre la situation beaucoup plus claire.

S’agissant du numérique, je suis d’accord avec vous. C’est parce qu’il y a eu, parfois, de graves échecs que j’applique une méthode partant de l’usager. Les grands projets numériques de l’État, conçus « en chambre », étaient très coûteux et très longs. On livrait un gros logiciel et on considérait qu’on avait fait son travail. Ce n’est pas adapté à ce que les Français expérimentent dans leur vie de tous les jours : cela ne correspond pas au niveau du service que certains acteurs, notamment privés, offrent au quotidien.

J’ai inversé la logique, en m’appuyant sur des travaux déjà menés depuis quelques années – je remercie vraiment Cédric O, qui les a conduits avec beaucoup de force. Il s’agit de se baser sur un observatoire qui s’intéresse aux usagers – en particulier sous l’angle de leur satisfaction –, selon des paramètres très facilement observables. Le site est-il accessible à des personnes en situation de handicap ? Se charge-t-il rapidement, ce qui veut dire qu’on peut le consulter dans des zones où le débit n’est pas forcément très élevé ? Les données sont-elles pré-remplies au maximum ? Autrement dit, arrête-t-on de vous demander cent fois la même chose ? Nous faisons une publication tous les trois mois. Dans le cadre du plan de relance, je vais financer une aide, qui sera notamment apportée par des spécialistes en design numérique, pour toutes les démarches qui n’ont pas un taux de satisfaction d’au moins 80 %.

S’agissant de l’ANTS, dont j’ai rencontré hier les équipes, on est revenu à une situation dans laquelle la plupart des démarches sont jugées très satisfaisantes par les usagers, après quelques années objectivement très difficiles. Les chiffres ne sont pas trafiqués : on demande aux gens leur avis, à chaque fois. Une démarche connaît encore des difficultés, unanimement reconnues. Il s’agit de l’immatriculation d’un véhicule qui n’est pas acheté chez un concessionnaire mais transféré d’un particulier à un autre ou au sein d’un couple. Cela reste très complexe, et le taux de satisfaction est de 50 %, ce qui n’est pas suffisant. Nous sommes en train de regarder comment on peut faciliter et simplifier juridiquement les démarches.

Les centres de gestion constituent des relais majeurs pour la transformation. Ce sont les principaux interlocuteurs de la majorité des collectivités, notamment les petites communes. J’ai eu des échanges très fournis avec le président des centres de gestion, et je rencontre souvent ces acteurs lors de mes déplacements. Ils ont beaucoup de maturité en matière de numérique, notamment en ce qui concerne le « puits de données » et leur capacité à comparer les collectivités, à observer les choses de très près mais aussi à produire une vision d’ensemble. Je soutiens beaucoup l’action des centres de gestion, et le travail avec eux se renforce. La mutualisation qu’ils permettent de réaliser, en termes de ressources humaines mais aussi de transformation, est un outil très précieux.

En ce qui concerne la visite médicale, je rappelle qu’une ordonnance « santé famille », qui a fait l’objet d’un travail très important, se trouve actuellement devant le Conseil d’État – elle sera publiée très prochainement. Nous avons revu la condition générale d’aptitude physique à l’entrée dans la fonction publique : elle sera remplacée par des conditions spécifiques, en fonction des risques des métiers. Cela devrait permettre de réduire la discrimination liée à l’aptitude physique. Les métiers de la fonction publique sont différents : tout le monde n’a pas besoin de pouvoir courir un marathon en moins de cinq heures ; cela présente sûrement une utilité quand on travaille dans les forces de l’ordre, mais c’est peut-être moins nécessaire quand on est agent administratif. Au-delà de ce trait d’humour, il s’agit de faire preuve de réalisme par rapport aux métiers exercés et aux aptitudes physiques nécessaires, notamment afin de limiter les situations auxquelles vous avez fait référence, monsieur Rebeyrotte.

La déconcentration que nous aspirons à réaliser concerne, bien sûr, les ressources humaines, et elle mobilisera la DGAFP, monsieur Poulliat. Nous voulons notamment élargir les missions des plateformes régionales d’appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH). C’était une très bonne intuition de considérer que tout n’a pas besoin d’être décidé à Paris, notamment en ce qui concerne la mobilité et le régime indemnitaire. Par ailleurs, je crois qu’il faut vraiment valoriser tout ce qui a été fait dans le cadre du site Place de l’emploi public, qui permet de mettre en commun toutes les offres d’emploi public d’une manière territorialisée – le site est national, mais on peut y accéder par code postal. Je vous invite à regarder dans votre département le nombre d’offres d’emploi actuellement disponibles dans le secteur public. Ce site est un outil qui facilite la mobilité pour les fonctionnaires mais aussi le recrutement, sous contrat, de personnes qui ont des compétences adaptées aux besoins.

La nouvelle directrice de la DGAFP, Nathalie Colin, une préfète qui a été à la tête des ressources humaines (RH) du ministère de l’intérieur et qui a connu de nombreuses expériences dans sa vie professionnelle, notamment à la DGCL, a été choisie, par mes soins, notamment parce que son parcours va lui permettre d’appréhender toutes les opportunités et tous les besoins concrets, en particulier en matière de déconcentration dans le domaine des RH, à la suite de Thierry Le Goff, qui a réalisé un travail très important.

Je vais essayer d’être brève au sujet de l’égalité des chances – on pourrait y passer beaucoup de temps… C’est évidemment un chantier majeur : si la haute fonction publique et la fonction publique en général ne ressemblent pas à la France parce qu’il y a une autocensure, comme on le voit aujourd’hui chez certains jeunes, ou moins jeunes, qui pensent que servir l’intérêt général est devenu le privilège ou, en tout cas, le monopole d’une forme d’élite, on abîme profondément la confiance en l’État et en l’action publique. Le nombre de personnes qui se présentent aux concours reflète aussi un recul de l’égalité des chances.

Du point de vue sociologique, qui sont les élèves de nos écoles de service public, l’École nationale d’administration (ENA), mais aussi l’Institut national des études territoriales (INET) ou l’école qui forme les directeurs d’hôpitaux ? Les sept écoles étudiées dans le rapport de Frédéric Thiriez connaissent toutes un recul de la diversité sociale et territoriale. J’insiste sur le dernier point : nous voyons tous l’autocensure qui peut être celle de jeunes qui ont grandi dans les quartiers prioritaires de la ville, mais nous percevons moins bien celle de personnes issues de petites villes ou de zones rurales. L’enjeu n’est pas nécessairement financier : cela concerne aussi l’ouverture du champ des possibles, ce qui implique d’utiliser d’autres outils.

Vous avez voté, à l’unanimité, et je vous en remercie, les crédits qui permettront de porter de 1 600 à 1 700 le nombre de places dans les classes préparatoires intégrées des écoles de service public. Nous travaillons avec les réseaux des Instituts d’études politiques, de Paris et de province, et avec la Conférence des présidents d’université pour permettre à beaucoup plus de jeunes sortant des filières de droit, d’économie et de sciences humaines de se préparer aux métiers du service public dans de bonnes conditions, avec un mentorat, un tutorat, partout en France, et attirer de nouveau des profils variés aux concours.

Nous investissons financièrement : les élèves des classes préparatoires intégrées pourront avoir 4 000 euros de bourse par an – l’allocation pour la diversité est aujourd’hui de 2 000 euros. Il y a parmi ces élèves des demandeurs d’emploi et des personnes en reconversion : l’ascenseur social que nous cherchons à recréer peut aussi concerner des gens qui ont déjà eu une carrière et qui souhaitent accéder à la fonction publique par concours, sur la seule base de leurs mérites et de leurs compétences.

Il faut aussi réaliser tout un travail avec l’INET, les instituts nationaux spécialisés d’études territoriales (INSET), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les élus. La fonction publique territoriale a moins investi dans la logique des classes préparatoires intégrées et dans la visibilité de ses métiers. J’ai notamment eu un échange très positif avec l’association des maires Ville & Banlieue de France. Certaines associations d’élus sont vraiment des partenaires dans cette démarche.

Les sous-préfets à la relance seront naturellement des acteurs de la territorialisation. Toute la question, comme l’a souligné M. Viala, est de savoir comment le plan de relance sera déployé de manière effective dans les territoires. J’ai déjà installé cinq ou six comités départementaux de suivi : je me suis rendu en Moselle, dans l’Allier, dans l’Orne, en Essonne, territoire qui m’est cher, et en Mayenne pour rassembler autour de la table les services de l’État, les élus – des communes, des départements et des régions – et les entreprises, au sein d’instances d’échange et de décision sur le déploiement des crédits du plan de relance à l’échelle d’un arrondissement sous-préfectoral ou d’un département.

Nous avons fait tout un travail, avec Jacqueline Gourault, sur la manière dont des contrats de relance et de transition écologique seront établis dans les toutes prochaines semaines en partant des problèmes des territoires. Afin d’éviter un phénomène d’appels à projets permanents qui alimente les incertitudes et fatigue les élus et les entreprises – ils se demandent tout le temps s’ils ne sont pas en train de passer à côté de crédits ou de soutiens –, il s’agit de prendre les différentes lignes du plan de relance, de regarder les problèmes et les besoins des territoires et de dire ce qui sera déployé dans les deux ans qui viennent. C’est tout le travail des sous-préfets à la relance. J’ai tenu à ce qu’ils soient des sous-préfets, c’est-à-dire à ce qu’ils soient installés à des échelons territoriaux de proximité.

Lors des différents déplacements que j’ai pu faire avant la crise sanitaire – ma capacité à me déplacer a été un peu réduite depuis –, j’ai toujours demandé aux sous-préfets et aux préfets si les projets qu’ils me montraient étaient ceux dont les territoires avaient besoin, et pas seulement ceux qui leur avaient été remontés : ce n’est pas parce qu’une grosse agglomération et le département ont fait part de projets tout à fait intéressants que ce sont les seuls à financer. Nous devons nous assurer – je suis entièrement d’accord avec vous – que nous finançons ce dont le territoire, y compris les plus petites communes, a besoin, et pas seulement ce qui remonte naturellement – les projets viennent, le plus souvent, des acteurs qui ont de l’ingénierie, des compétences, des instances pour y travailler. C’était un des enjeux du comité interministériel aux ruralités qui a eu lieu samedi dernier. Joël Giraud souhaite notamment le déploiement de volontaires territoriaux en administration pour aider toutes les collectivités à avoir une ingénierie et à développer des projets qui recevront ensuite un financement. Mais c’est aussi toute la vocation des sous-préfets à la relance.

Ils ont beaucoup été moqués depuis Paris : puisque ce sont des sous-préfets, cela voudrait dire qu’ils auront de petits moyens. En réalité, c’est le contraire : les sous-préfets sont des acteurs de proximité que les élus, notamment ceux des plus petites communes, connaissent. Tous les élus de France et toutes les entreprises savent qui est le sous-préfet.

La loi 3D – et même 4D – aura effectivement pour ambition d’aller au bout de la démarche d’expérimentation et de différenciation. Nous travaillons sur beaucoup de chantiers très concrets – réarmer les plateformes RH locales, mais aussi remettre des effectifs au niveau déconcentré : 2021 sera la première année, depuis quinze ans, où nous renverrons des hauts fonctionnaires des administrations centrales sur le terrain départemental et où nous stabiliserons les effectifs déconcentrés. Il n’y aura pas de coupes dans les effectifs des préfectures : tous ceux qui peuvent être mis en commun dans le cadre de la réorganisation de l’État – je pense, par exemple, aux secrétariats généraux communs – seront redéployés au niveau déconcentré.

M. le président Jean-René Cazeneuve. Comme il reste plusieurs demandes de prise de parole, je vous invite à éviter les questions multiples et à faire des réponses équilibrées.

Mme Anne Brugnera. Je voudrais évoquer les compétences partagées entre les collectivités territoriales et l’État, notamment en matière d’éducation et de jeunesse, sujet qui m’inquiète particulièrement en ce moment. Il s’agit de partager des ambitions, des objectifs, des moyens mais aussi des outils – en matière de numérique, par exemple. Nous avons besoin d’une clarification et, pourquoi pas, d’une contractualisation ponctuelle.

Le télétravail éloigne des agents de leur équipe et de leur manager. Les risques psychosociaux, qui existaient déjà, sont donc encore plus élevés. J’aimerais savoir ce qui peut être fait pour aider. Des systèmes de hotline et de soutien psychologique voient le jour dans des entreprises et des petites start-up. C’est également une nécessité dans la fonction publique.

J’aimerais aussi revenir sur la question du jour de carence, qui s’est posée lors du premier confinement. Je crois que vous avez été interpellée par les employeurs territoriaux. Qu’en pensez-vous ?

M. le président Jean-René Cazeneuve. Je vous invite vraiment à poser des questions courtes, chers collègues.

M. Didier Le Gac. Je voulais interroger la ministre sur la couverture prévoyance mais elle a répondu à ma question. J’ai bien noté son implication, sa détermination à boucler ce dossier d’ici à la fin de l’année. C’est important en matière d’attractivité mais aussi de lutte contre l’absentéisme, très élevé dans la fonction publique territoriale.

M. Charles de Courson. Où en êtes-vous s’agissant de la réforme ou de la suppression de l’ENA et, dans cette dernière hypothèse, par quoi la remplacerait-on ?

Comment rendre plus attractives les trois fonctions publiques ? Quels sont vos grands axes de travail ?

Pour ce qui est de la déconcentration des pouvoirs, pourquoi ne pas confier aux préfets de département la gestion de la DSIL ? Ils gèrent déjà la DETR.

Mme Laurence Gayte. Ma question concerne l’égalité femmes-hommes. La loi de transformation de la fonction publique, dont j’étais rapporteure pour avis, a permis des avancées, mais beaucoup reste à faire. Si 62 % des agents sont des femmes, elles sont bien moins nombreuses dans la catégorie A+. En outre, leur salaire net est inférieur de 13 % à celui des hommes – nous n’avons pas vraiment apporté de réponse en la matière. Enfin, les carrières les plus féminisées sont sous-valorisées. Avez-vous prévu d’agir sur ces trois sujets dans un avenir proche ?

M. Jean-Claude Leclabart. Madame la ministre, vous avez eu l’air de penser que les centres de gestion n’allaient pas si mal. Sur le terrain, ils me paraissent parfois un peu mous. Les formations sont soit beaucoup trop longues, soit beaucoup trop courtes.

Dans les petites communes rurales, le niveau de formation des secrétaires de mairie baisse, alors que les questions à traiter sont de plus en plus techniques. Cela pose de nombreux problèmes, notamment aux nouveaux maires, qui viennent d’arriver et qui, bien souvent, sont un peu dépourvus devant ce manque de compétences.

Mme Stella Dupont. Si j’ai bien entendu, une de vos priorités est de réorganiser l’administration déconcentrée et de donner plus de moyens aux préfets. Depuis deux ans, l’exécutif a clairement renforcé ses attentes à leur égard – ils sont en première ligne sur tous les sujets. Dans le Maine-et-Loire, nous avons la chance d’avoir des agents et des hauts fonctionnaires de grande qualité, mais il est urgent de renforcer les équipes et les moyens des préfectures de département. Des postes de sous-préfets à la relance ont été créés. Quand un tel sous-préfet sera-t-il nommé dans mon département ? Notre préfet s’en va, l’activité de la préfecture est intense et nous avons vraiment besoin de soutien.

M. le président Jean-René Cazeneuve. Y a-t-il des projets de délocalisation de services centraux de l’État, sur le modèle de ce qu’a fait le ministère des finances dans vingt à trente petites villes ?

Une mission de notre délégation concernant le pouvoir réglementaire local devrait rendre ses conclusions avant la fin de l’année – nous vous les transmettrons. Les préfets utilisent encore trop timidement le droit de dérogation qui leur est reconnu : ils hésitent car ils prennent un risque et il leur faut justifier la dérogation, alors qu’ils sont habituellement là pour appliquer la loi.

La question du rôle de l’État dans les territoires, qui fait l’objet d’une relation parfois un peu conflictuelle avec les collectivités, prend une tournure délétère : les Français ont le sentiment que l’État recule et qu’il y a moins de fonctionnaires. C’est assez logique puisque l’État a transféré certaines de ses compétences aux collectivités territoriales, mais ce n’est pas la perception des citoyens. Même s’il y a globalement plus de fonctionnaires, quand on prend aussi en compte la fonction publique territoriale et hospitalière, le sentiment prédominant est que l’État et le service public sont moins présents. Comment faire pour modifier la perception actuelle, pour gommer la « couture » entre services des collectivités territoriales et services de l’État ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vais m’efforcer d’être très synthétique mais j’essaie d’être exhaustive, de présenter les différents aspects de la réalité.

Madame Brugnera, les risques psychosociaux liés au télétravail sont un sujet bien identifié. Dans chaque ministère, nous nous efforçons de mettre en place un numéro d’appel pour ceux qui sont isolés et potentiellement en difficulté. Lorsque c’est nécessaire – si un risque est détecté –, nous essayons d’éviter le télétravail cinq jours sur cinq. Cela n’aurait aucun sens de contraindre des gens à être isolés. Nous sommes très vigilants.

Entre le 23 mars et le 10 juillet, le jour de carence a été suspendu pour tous les Français et pour toutes les pathologies, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Désormais, les employeurs territoriaux souhaitent une suspension uniquement en cas de covid ; à ce stade, le secteur privé n’exprime pas la même demande. Je comprends la logique suivie, mais nous ne savons pas faire, à moins de rompre le secret médical. En France, quand vous êtes en arrêt maladie, votre employeur ne sait pas de quoi vous êtes malade.

Il y a un lien avec l’isolement plus strict des personnes testées positives au covid que l’on pourrait peut-être souhaiter mais qui doit faire l’objet d’un débat parlementaire : on touche à des sujets, notamment le secret médical, de nature législative.

J’entends la demande, mais nous ne savons pas faire pour les seuls cas de covid, et je pense qu’il serait dangereux de séparer public et privé. Tout cela va au-delà des compétences de mon ministère.

Monsieur de Courson, votre question sur la gestion de la DSIL et de la DETR est liée à celle de la déconcentration en matière budgétaire et de ressources humaines. De même que pour les compétences partagées, qui ont été évoquées par Mme Brugnera, il s’agit de clarifier la situation et de trouver le bon échelon pour la prise de décision et le portage des politiques publiques. Les arbitrages ne sont pas encore rendus, mais cela entre typiquement dans le cadre du projet de loi 3D-4D.

Il faut notamment réfléchir à la péréquation permise par la DSIL. On pourrait très bien gérer des enveloppes au niveau départemental tout en laissant la main aux préfets de région pour des allocations d’urgence. Je suis, en tout cas, très ouverte à des discussions sur les outils et les moyens que l’on donne à l’échelon que l’on juge pertinent pour mener une politique.

Vous m’avez également interrogée sur l’attractivité des trois versants de la fonction publique et sur la réforme de l’ENA.

Je suis convaincue que nous avons besoin de plus, et non de moins, de formation. La question qui se pose n’est pas seulement celle d’une réforme de l’ENA – sinon ce serait réglé depuis longtemps. Les sujets compliqués à traiter ne sont pas les épreuves du concours, ce que l’on apprend dans cette école et ce qui se passe quand on en sort, mais la diversité dans la haute fonction publique.

Ce que demandent ceux qui veulent une réforme de l’ENA n’est pas la suppression de l’école en tant que telle, mais de ce qu’elle peut comporter en matière d’endogamie et d’homogénéité sociales et de perte de diversité territoriale. D’où notre action en ce qui concerne les classes préparatoires intégrées, l’ouverture territoriale et la lisibilité des modalités de préparation aux concours de la haute fonction publique, y compris celui de l’ENA. Mais il faut aussi un travail sur les mobilités à la sortie de cette école et sur la manière dont on pourrait être titularisé dans les grands corps après une période probatoire, et non de manière automatique. Par ailleurs, il convient de redonner toute sa place au concours interne et à la formation continue, afin d’attirer les talents et de développer les possibilités de promotion et d’accès aux responsabilités. Il s’agira plutôt d’une réforme de la haute fonction publique, allant bien au-delà de la question de l’ENA qui ne doit être ni un totem ni un tabou.

Je mène plusieurs chantiers pour rendre les trois versants de la fonction publique plus attractifs.

Il y a, tout d’abord, la question de la marque « employeur ». Que signifie servir l’État aujourd’hui et pourquoi a-t-on besoin de services publics ? Il faut mettre un terme au fonctionnaire bashing : la confiance que les Français ont dans l’action publique a été abîmée par des attitudes qui consistent à dire, à chaque fois qu’il y a un problème, que c’est la faute des fonctionnaires. Les politiques doivent assumer davantage leurs responsabilités : si des décisions ont été prises, ce sont les leurs. Il faut rappeler que les fonctionnaires appliquent les politiques publiques décidées par les politiques et par le Parlement.

L’attractivité passe également par la publicité et la transparence des postes. Il faut promouvoir le site Place de l’emploi public. Je vous serais extrêmement reconnaissante de m’aider à le faire encore plus. Parfois, il faut aussi recruter en se donnant plus de temps, au lieu de faire le choix de la facilité qui conduit à beaucoup d’incompréhensions sur la manière dont le système fonctionne.

Par ailleurs, l’attractivité dépend de la gestion des carrières. Il est très difficile de rendre une institution attractive si ses agents ont l’impression d’être enfermés ou de ne pas être reconnus. Nous avons mis fin aux commissions administratives paritaires pour les promotions et l’avancement. À partir du 1er janvier prochain, les employeurs publics devront définir des lignes directrices de gestion et jouer pleinement leur rôle.

Enfin, une organisation est attractive si elle respire, c’est-à-dire si elle est capable de recruter mais aussi de laisser partir, dans de bonnes conditions, notamment grâce à la rupture conventionnelle, ceux qui voudraient la quitter. Une organisation saine sait attirer, permet à ceux qui travaillent en son sein de s’engager pleinement et gère correctement les entrées et les sorties.

En matière d’égalité hommes-femmes, madame Gayte, la situation a progressé, mais elle n’est pas satisfaisante. Les derniers chiffres font état d’un écart de rémunération d’environ 12 %, qui s’explique notamment par la féminisation massive de certaines filières où les primes sont plus faibles. Cela s’explique, mais cela ne signifie pas que c’est acceptable.

Lors du rendez-vous salarial du mois de juillet dernier, j’ai beaucoup poussé pour une revalorisation indemnitaire de toutes les filières sociales. Par ailleurs, la loi de transformation de la fonction publique a prévu des plans d’action : les ministères ne devront plus seulement fournir des statistiques sur l’égalité hommes-femmes, mais me présenter d’ici à la fin de l’année, sur la base d’un diagnostic, ce qu’ils comptent faire. Les plans d’action devront comporter, ministère par ministère, des mesures de rattrapage salarial, d’identification des talents féminins et de promotion des femmes. Je dois m’assurer qu’il existe un vivier interministériel et des viviers ministériels de talents, que les femmes sont coachées et accompagnées, et surtout, en cas de diagnostic faisant apparaître des inégalités, qu’on se donne des moyens concrets et effectifs de les réduire.

Les plans d’action sont très importants car ils seront opposables. Ils contiendront des engagements. Bien évidemment, le ministère des armées aura plus de difficultés à atteindre la parité que celui des affaires sociales et celui de la justice, déjà très féminisés. Mais on pourra regarder si les actions menées sont cohérentes avec ce qui est prévu. Les statistiques réalisées jusqu’à présent sont intéressantes, mais elles n’ont pas aidé l’égalité à progresser autant que nous l’aurions souhaité.

Monsieur Leclabart, vous m’avez interrogée sur les centres de gestion. Ils ne s’occupent pas de formation – elle est du ressort du CNFPT. Une petite commune travaille avec deux instances : le centre de gestion, notamment pour le dialogue social et la politique de ressources humaines, et le CNFPT s’agissant de la formation. Globalement, cela fonctionne bien. Le CNFPT a beaucoup travaillé en distanciel pendant la crise, et je pense qu’il continuera à le faire en partie car cela peut permettre d’accéder plus rapidement à des formations. Je souhaiterais qu’on aille plus loin en ce qui concerne le numérique mais aussi la laïcité et d’autres sujets sur lesquels il faut poursuivre les efforts.

Vous avez évoqué les secrétaires de mairie. Je travaille avec Joël Giraud afin de présenter rapidement un plan très ciblé qui doit permettre de renforcer l’attractivité de ces postes. Les secrétaires de mairie s’occupent, d’une certaine manière, de la bonne tenue d’une commune, de sa stratégie et du bon déploiement de ses politiques publiques. La question est bien identifiée partout en France, mais rarement traitée au niveau politique. Je m’engage à le faire car c’est important : les compétences de gestion des secrétaires de mairie doivent être à la hauteur de la complexité des sujets dont ils sont en charge. Je remercie d’ailleurs tous ceux qui exercent ce métier, absolument essentiel à la cohésion de notre pays.

Madame Dupont, vous avez évoqué le rôle des préfets, en plaidant pour le renforcement de leurs équipes. En 2021, nous enverrons trente sous-préfets chargés de la relance dans les départements et nous stabiliserons, pour la première fois depuis au moins quinze ans, les effectifs en préfecture. Tous les postes qui pourraient être libérés par la création de secrétariats généraux communs et par la réforme territoriale de l’État resteront affectés à l’échelle déconcentrée. Enfin, la déconcentration des ressources humaines vise à laisser aux préfets la possibilité d’organiser leurs équipes d’une manière beaucoup plus adaptée à leurs besoins.

Vous m’avez interrogée, monsieur le président, sur la délocalisation de services de l’État. On a souvent en tête la dichotomie Paris-territoires hors de Paris, mais il faut aussi penser aux différents échelons – les préfectures de région, les villes moyennes ou encore les sous-préfectures – si on veut arrêter le mouvement de concentration permanent. Affecter des agents à Guingamp, Béthune, Lisieux ou Redon ne demande pas forcément de grands plans nationaux de délocalisation depuis Paris.

Tous les ministres ont des ambitions intéressantes en la matière. Le futur projet de loi – dont un des D vise la déconcentration – doit insister sur la nécessité de faire redescendre certains services à l’échelon départemental, voire sous-préfectoral. Par ailleurs, le télétravail tel que nous l’expérimentons à l’heure actuelle montre que l’on peut très bien être localisé dans une ville moyenne et mener une partie de ses actions avec des équipes situées un peu plus loin.

L’usage, par les préfets, de leur pouvoir de dérogation est davantage une question d’appétence, de culture du risque ou de l’innovation qu’un sujet juridique. L’extension de ce pouvoir date d’août dernier et nous ne sommes qu’en novembre. Je peux comprendre qu’il ne soit pas immédiatement intuitif de déroger à des règles nationales intangibles depuis des années.

Le ministère de l’intérieur a créé une unité d’appui lors de l’expérimentation, notamment afin de s’assurer que les préfectures concernées avaient bien accès à tous les outils. On a constaté que les préfets étaient assez preneurs de dérogations quand il s’agissait des élus mais beaucoup plus réticents vis-à-vis des entreprises. C’est surtout au sujet de la vie économique qu’il faut continuer à travailler. L’unité d’appui, guichet unique de la simplification, a vocation à permettre aux préfets de connaître la palette d’outils dont ils disposent.

On doit aussi valoriser la prise de risque – la bonne prise de risque – dans les carrières. Tout le monde parle de l’expérimentation mais on n’a jamais réfléchi à ce qu’on doit faire quand elle n’est pas concluante. Il est normal qu’elle marche parfois moins bien que ce qu’on pensait. Comment faire, dans ce cas, pour que des gens ne soient pas mis au rebut ou pénalisés dans leur carrière ? Et quel discours tenir aux élus locaux ? Il faut développer toute une culture.

Que se passe-t-il dans le monde de l’entreprise et des start-up ? Bien que 30 % d’entre elles ne vivent pas plus de trois ans, on les valorise, même quand elles se plantent, car on pense qu’il était utile d’essayer. Les parlementaires ont un rôle important à jouer. Il faut valoriser les expérimentations et, quand elles n’ont pas fonctionné, reconnaître le caractère néanmoins positif de la démarche.

Dernier point, une partie de la décentralisation est analysée uniquement comme une perte car l’État fait moins. Mais c’est parce que d’autres agissent à sa place – ce sont les compétences partagées dont parlait Mme Brugnera. Ce n’est pas parce que les effectifs de l’État sont moins nombreux pour beaucoup d’actions que moins d’agents s’en occupent. Je tiens à votre disposition les mouvements totaux, département par département. S’il y a eu parfois des transferts, les effectifs ont tenu au niveau global. Quand on regarde ce qui s’est passé dans beaucoup de départements, ruraux ou non, on voit que les effectifs totaux des trois versants de la fonction publique ont été stables ou en hausse entre 2010 et 2018. Le taux d’administration n’a pas baissé dans les territoires.

Un tel exercice statistique est parfois complexe car on n’a pas toujours suivi ces éléments en tant que tels. En Dordogne, néanmoins, il y avait 29 000 agents publics en 2010 et il y en a aujourd’hui 31 000 ; en Ariège, on est passé de 12 076 à 12 629. Les effectifs de la fonction publique, d’État, territoriale et hospitalière, sont passés de 5 millions d’agents à 5,2 millions au total, et de 4,895 millions à un peu plus de 5 millions hors outre-mer – les dynamiques y sont parfois différentes.

Le but n’est pas de s’inscrire dans une hausse perpétuelle, mais il faut casser l’idée que l’État serait parti et qu’il aurait laissé les territoires à l’abandon. Le baromètre que je vais publier montre que toutes les politiques publiques sont menées dans tous les territoires. Aucun n’est oublié, négligé. Toutes les données seront disponibles sur le site data.gouv.fr., car la transparence est nécessaire à la confiance.

M. le président Jean-René Cazeneuve. Je vous remercie pour ces réponses très complètes. Nous attendons le baromètre avec impatience. Vous pouvez compter sur nous pour défendre le travail des fonctionnaires, la délégation ne faisant pas partie des acteurs qui tapent sur eux. Au contraire, nous avons salué à plusieurs reprises le travail réalisé par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ou encore par la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour aider les entreprises lors du confinement : elles ont réagi de manière rapide et remarquable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vous remercie à mon tour, pour votre écoute et vos questions variées. Je suis toujours disponible pour échanger avec la délégation, et individuellement avec ses membres si nécessaire.

 

 

La réunion s’est achevée à 10 heures 25.

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Stéphane Baudu, Mme Anne Brugnera, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, Mme Stella Dupont, Mme Laurence Gayte, M. Jean-Claude Leclabart, M. Didier Le Gac, M. Didier Martin, M. Jean‑Paul Mattei, Mme Monica Michel, Mme Christine Pires Beaune, M. Éric Poulliat, M. Rémy Rebeyrotte, M. Stéphane Travert, M. Arnaud Viala.

 

 

Excusés.Mme Véronique Louwagie.