Compte rendu

Mission d’information commune
sur le suivi de la stratégie
de sortie du glyphosate

 

– –.......................Audition, en visioconférence, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, et de M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation              2

 


Jeudi
5 novembre 2020

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de
M. Julien Dive,
Président
 

 


  1 

La séance est ouverte à 10 heures 15.

M. le président Julien Dive. Créée il y a deux ans, après l’adoption de la loi du 30octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, notre mission d’information commune a depuis lors entendu plusieurs dizaines de personnes et remis un rapport d’étape en novembre 2019. Pour notre dernière audition avant la remise de notre rapport final, nous avons l’honneur de recevoir Mme la ministre de la transition écologique et M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Le 9 octobre dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a procédé au retrait de plusieurs autorisations de mise sur le marché (AMM) de produits à base de glyphosate, et rendu publiques des préconisations relatives à l’usage de cette substance en France, en restreignant l’utilisation aux cas dans lesquels l’impasse technique est avérée en agriculture, viticulture et arboriculture. Madame et monsieur les ministres, que pensez-vous de ce travail ?

Par souci de transparence, j’indique que si les agriculteurs sont les principaux utilisateurs de glyphosate, ils ne sont pas les seuls ; la SNCF et les sociétés d’autoroute en usent également beaucoup. L’utilisation des produits phytosanitaires, dont le glyphosate, est interdite aux collectivités depuis le 1er janvier 2017 et aux particuliers depuis le 1er janvier 2019. Enfin, le glyphosate ne représente « que » 30 % des herbicides vendus sur notre territoire.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Alors députée, j’avais voté en faveur de la création de cette mission d’information commune, car sortir du glyphosate n’est pas une option mais une nécessité pour la santé humaine, l’environnement et la biodiversité. Or, bien que personne ne puisse plus ignorer les conséquences de l’utilisation de cet herbicide, il constitue toujours 30 % de ceux qui sont utilisés en France. Mon collègue Julien Denormandie et moi-même travaillons de concert à la sortie du glyphosate, et notre stratégie est cohérente avec le rapport d’étape rendu par votre mission en novembre 2019. Le travail que vous avez réalisé nous permet de progresser ensemble.

Je dis à nouveau la détermination totale du Gouvernement à interdire toute utilisation du glyphosate si une alternative existe. Ce disant, je ne montre personne du doigt, tout au contraire. Je sais les bouleversements que cela implique dans les manières de faire et les habitudes de milliers de nos concitoyens mais nous, ministres et députés, avons la responsabilité politique d’être à la hauteur du moment, de répondre aux attentes de nos concitoyens et d’engager le pays dans un autre modèle en accompagnant chaque filière.

Nos efforts commencent à payer : les usages non agricoles du glyphosate ont diminué des deux tiers depuis 2011 en raison des interdictions d’utilisation précitées. Nous allons amplifier ce mouvement en interdisant très prochainement son usage dans les campings, les terrains de sport et les copropriétés. Les usages agricoles se sont également amenuisés en 2019, année où les ventes de glyphosate ont été les plus basses depuis une décennie ; elles sont passées de 8 800 tonnes en 2017 à 6 100 tonnes. C’est mieux, mais nous devons faire plus, plus vite. C’est pourquoi l’intégralité des usages pour lesquels des alternatives existent seront prochainement interdits. Quels sont-ils ?

Le sujet faisant débat, nous devions écouter les scientifiques. Nous avons donc eu recours à l’expertise indépendante, transparente, précise et rigoureuse de l’ANSES et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, l’INRAE. Leurs travaux ont démontré que le glyphosate peut être remplacé par le désherbage mécanique plutôt que par d’autres herbicides de synthèse. Nous ne laissons donc aucun agriculteur sans solution en interdisant certaines utilisations, par exemple entre les pieds de vigne ou dans les grandes cultures régulièrement labourées, et par rapport au début du quinquennat, l’utilisation du glyphosate sera réduite de moitié en 2021.

Même si je suis la première à souhaiter que l’on aille encore plus vite et encore plus loin, nous devons nous satisfaire que la France soit pionnière en Europe à ce sujet. Les premiers résultats sont là. C’est un premier pas, certes, mais nous allons dans le bon sens et il faut continuer. Les travaux de l’INRAE et de l’ANSES nous le disent : nous pouvons, filière par filière, enclencher une dynamique de transition vers des alternatives aux herbicides chimiques plus respectueuses de notre environnement et de nos écosystèmes. Voyez le réseau des fermes DEPHY : 78 % des exploitations d’arboriculture et 66 % des exploitations en viticulture ont déjà réduit de manière draconienne l’usage du glyphosate et l’ont parfois même supprimé sans dégrader leur résultat d’exploitation. Cela montre que la sortie du glyphosate est réaliste à condition d’accompagner le changement d’échelle. Le Gouvernement a défini plusieurs outils à cette fin.

Le premier est le centre de ressources en ligne qui vise à diffuser les alternatives existantes et à accompagner les agriculteurs dans la recherche des solutions les plus adaptées à leur situation. Il existe aussi un accompagnement financier : le plan de relance destine 135 millions d’euros à l’acquisition par les agriculteurs d’agroéquipements tels que le matériel de désherbage mécanique. Enfin, des outils incitatifs sont également prévus pour rémunérer les agriculteurs à raison des services environnementaux qu’ils rendent à la Nation ; 164 millions d’euros ont été provisionnés jusqu’en 2024 pour réduire l’usage d’herbicides dans les aires d’alimentation de captage d’eau potable, et une centaine de territoires ont déjà été déterminés par les agences de l’eau. Malgré cela, restent 50 % des usages pour lesquels la recherche d’alternatives est notre priorité. Aussi avons-nous lancé le programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement », doté de 30 millions d’euros sur six ans ; il doit permettre l’émergence d’une agriculture sans pesticides conventionnels et sans glyphosate.

Parce que la transparence complète, qui évite bien des phantasmes, est l’une des conditions clés de la sortie du glyphosate, le Gouvernement a publié en accès libre l’intégralité des données territorialisées ; chacun peut donc savoir quelle quantité de cette substance a été achetée dans son département. C’est une bataille quotidienne que nous gagnerons avec toutes et tous, dans la confiance.

Il ne s’agit plus de savoir si ou quand on va sortir du glyphosate mais comment. Nous avons déjà parcouru la moitié du chemin ; la deuxième partie se fera en accompagnant les agriculteurs, filière par filière, afin de trouver des solutions adaptées à des situations pour lesquelles il n’existe pas d’alternative immédiate. J’y veillerai. Mais sortir du glyphosate doit aussi conduire à s’interroger sur la consommation globale d’herbicides de synthèse. Si nous voulons mettre au point un nouveau modèle moins dépendant des intrants chimiques, protecteur de la santé humaine et de la biodiversité, nous devons récompenser à leur juste valeur les efforts du secteur agricole en faveur de l’environnement. C’est l’enjeu de la prochaine politique agricole commune (PAC), outil de transition agroécologique assez massif pour permettre de changer d’échelle et de faire vivre cet autre modèle qui nous rassemble toutes et tous. Je sais que mon collègue M. Julien Denormandie partage cette ambition, et vous pouvez compter sur ma totale détermination.

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie également pour vos travaux, d’une importance considérable étant donné les enjeux. Notre approche politique est claire : sortir du glyphosate avec méthode et avec un accompagnement. La méthode consiste à trouver des alternatives non chimiques, car celles qui existent, outre qu’elles ne correspondent pas à ce que nous souhaitons, ne sont pas applicables ou ne remplissent pas leur office. Nous comptons donc interdire l’usage du glyphosate pour autant qu’il existe une alternative non chimique viable pour nos agriculteurs. Cette démarche déterminée et pragmatique permet de progresser. Elle suppose la transparence, à laquelle je sais votre mission très attachée et Mme Pompili l’a indiqué : toutes les données sont disponibles à tous, car il s’agit d’un débat de société.

Parce que nous devons agir avec raison, nous avons demandé à l’ANSES et à l’INRAE de définir les nouvelles autorisations de mise sur le marché (AMM). Elles viennent d’être publiées et comportent des restrictions d’usages ; sont ainsi définis, selon les modes de culture, les limites de l’utilisation du glyphosate, les cas où il ne doit plus être utilisé et les impasses techniques persistantes. Dans cette dernière rubrique, je classerai les cultures viticoles en forte pente, différentes arboricultures fruitières, certains modes de culture où des plantes indésirables vivaces pourraient perdurer. D’autre part, aucune alternative appropriée n’est actuellement disponible pour l’agriculture de conservation des sols.

Les AMM, qui définissent utilisations et dosages, sont délivrées par l’ANSES après qu’elle a déterminé s’il existe une alternative économiquement viable à l’usage du glyphosate. Vous aurez constaté que figure dans les résultats de son étude l’impact des diverses méthodes sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) en fonction des modes de culture.

Lorsque des impasses techniques subsistent, nous souhaitons accompagner les agriculteurs – c’est la manière d’agir si l’on veut progresser. L’accompagnement consiste d’abord à allouer les moyens nécessaires à la recherche d’alternatives au glyphosate. Aussi avons-nous décidé, pour aller encore plus vite, de doter de 7 millions d’euros supplémentaires, dès le projet de loi de finances pour 2021, le plan de 30 millions sur six ans consacré à cette recherche. Je sais que le sujet vous importe, et c’est chose faite.

Vous avez reçu le préfet Pierre-Étienne Bisch, coordonnateur interministériel du plan d’actions sur les produits phytopharmaceutiques et du plan de sortie du glyphosate ; il a beaucoup fait avancer les choses. Nous allons maintenant préciser l’accompagnement des agriculteurs filière par filière, individualiser les solutions et accélérer la dynamique. Pour ce faire, nous avons nommé un chef de projet, l’ingénieur en chef M. Henri Durand. Il vient de prendre ses fonctions et il sera chargé d’accompagner la transition sur le plan opérationnel aux côtés du préfet Bisch.

Toute transition ayant un coût, l’accompagnement des agriculteurs doit aussi avoir un volet financier. Plus vite on parvient à régler la question de leur revenu, plus rapides sont les transitions. Nous avons l’opportunité du plan de relance, et Mme Pompili a mentionné la ligne de 135 millions d’euros consacrée dans ce plan à l’agroéquipement. Nous irons même plus loin : depuis des années, les viticulteurs réclament le bénéfice du crédit d’impôt alloué aux exploitations certifiées « haute valeur environnementale » (HVE) ; nous proposerons par un amendement au projet de loi de finances pour 2021 de faire droit à cette demande.

Enfin, ces questions ont une dimension communautaire plus large que le seul renouvellement de l’autorisation d’utilisation du glyphosate au niveau européen. Aussi avons‑nous poussé, au niveau européen, nos objectifs : la réduction des usages de produits phytopharmaceutiques de moitié d’ici 2025, et les objectifs figurant dans le plan Ecophyto II+ dont Mme Pompili et moi-même avons signé le week-end dernier le cahier des charges pour 2021. Ce plan, doté de 71 millions d’euros, dont 13 millions pour le réseau des fermes DEPHY, accompagne la transition. Mais pour que la concurrence au sein du marché unique soit loyale, la transition doit se faire au niveau communautaire. C’est l’enjeu du travail de conviction que nous menons à ce sujet au sein des conseils des ministres européens de l’environnement et de l’agriculture. Nous nous y efforcerons particulièrement au cours de la présidence française dans quelques mois mais nous avons été l’un des quatre pays moteurs de l’étude à remettre fin 2021 sur l’utilisation des pesticides – le glyphosate en particulier –, des alternatives et des risques liés à ces utilisations.

Notre approche traduit une vision ambitieuse, pragmatique et déterminée. Elle met en œuvre une méthode que Mme Pompili et moi-même portons ensemble. Il ne s’agit aucunement d’opposer économie, écologie et agriculture mais de faire bloc pour encourager une méthode qui prévoit et l’accompagnement de nos agriculteurs et un projet européen, puisque nous sommes dans un marché unique.

M. le président Julien Dive. Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous remercie pour vos propos complémentaires. Nous tenions à vous entendre ensemble pour connaître votre état d’esprit respectif.

M. Jean-Luc Fugit, co-rapporteur. Scientifique et fils de paysans, je suis rassuré d’entendre que le Gouvernement s’appuie sur la science et je saisis cette occasion pour saluer les travaux menés par l’INRAE et de l’ANSES ; en France, pays de l’auto-flagellation, il est bon de rappeler la qualité de nos chercheurs. La trajectoire vers la sortie du glyphosate me semble assez positive et je suis heureux qu’un chef de projet ait été nommé ; cette manière de faire devrait être plus souvent utilisée à l’avenir. Je me félicite aussi des financements supplémentaires alloués à la recherche sur les alternatives au glyphosate. Cela étant, les évolutions annoncées doivent être considérées comme un socle minimum pensé pour nous permettre d’accélérer la trajectoire vers la sortie du glyphosate quand des alternatives crédibles existent. Tout cela doit se faire de manière transparente, exigeante et bienveillante pour créer un climat de confiance. Le volume de glyphosate utilisé a commencé de diminuer, le nombre d’AMM a été fortement réduit et nous qui, depuis deux ans, auditionnons différents acteurs du monde agricole avons senti l’évolution des mentalités, un état d’esprit extrêmement positif. Beaucoup d’agriculteurs sont conscients qu’il faut évoluer, mais pour cela confiance et accompagnement s’imposent.

La délivrance ou le retrait d’une AMM sont des outils au service d’une politique, mais il faut aussi accompagner les changements de pratiques ; que comptez-vous faire à ce sujet pour les usages non agricoles, qui ne doivent pas être négligés ? Les retraits d’AMM proposés par l’ANSES vous paraissent-ils suffire et concorder avec votre volonté politique ? L’Agence recommande de réduire les quantités maximales de glyphosate autorisées, mais les doses moyennes utilisées aujourd’hui étant inférieures aux nouveaux plafonds définis, n’est-ce pas un simple affichage, une proposition de réduction en trompe-l’œil ? En ma qualité de député du sud du Rhône, où se trouvent les vignobles de Côte-Rôtie et de Condrieu, je m’interroge sur la notion, relative, de « forte pente », qui paraît devoir être interprétée en fonction des types de culture ; surtout, comment respecter les autorisations pente par pente ? À partir de quand une pente est-elle dite « forte » ?

Et encore : quel est l’horizon lointain de l’agriculture de conservation des sols ? Pour ce mode d’agriculture, on peut certes placer l’utilisation du glyphosate dans la colonne des externalités négatives mais, selon moi, le positif l’emporte largement, qu’il s’agisse de la préservation de la biodiversité et de la qualité du sol ou des moindres émissions de carbone. Pouvez-vous aussi préciser si les aides financières à l’investissement en agroéquipements sont toutes liées au plan de relance ? La formation me tient à cœur et j’aimerais savoir quelles évolutions vous envisagez dans l’enseignement agricole ; c’est aussi important que les mesures de court terme.

En matière européenne, comment entraîner les autres États de l’Union dans une stratégie similaire à la nôtre de manière à ce que nos agriculteurs ne se sentent pas soumis à une pression que leurs homologues européens ne connaissent pas ? Enfin, lors du débat sur le projet de loi visant à permettre l’utilisation de produits contenant des néonicotinoïdes par l’enrobage des semences pour la culture des betteraves sucrières, je vous avais interrogé, monsieur le ministre, sur le plan de protection des pollinisateurs ; quels en sont les axes, quand sera-t-il présenté et selon quel calendrier s’appliquera-t-il ? Je ne vous parlerai pas ce matin de la campagne nationale exploratoire de recherche des pesticides dans l’air, mais tout cela est lié, bien entendu.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Un climat de confiance s’installe, puis s’entretient. Une grande incompréhension persiste entre une partie des citoyens et le monde agricole, certainement parce que nous n’avons pas réussi à créer un dialogue suffisant pour écarter certains phantasmes. Nous devons continuer de promouvoir ce dialogue pour que tout le monde se comprenne. Nous nous attelons à ce travail, auquel nous devons tous contribuer pour éviter que ne s’expriment les seuls extrêmes.

Pour les usages non agricoles, des arrêtés d’extension de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national dite loi Labbé, qui vise à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, interdiront cet usage dans de nouvelles zones. L’interdiction s’appliquera le 1er juillet 2022 dans tous les lieux de vie hormis les terrains de sport haute compétition, pour lesquels l’échéance sera fixée au 1er janvier 2025. De nombreuses collectivités ont déjà commencé à sensibiliser la population au fait que si des herbes poussent dans un cimetière, cela ne signifie pas que le cimetière est sale… Il faudra poursuivre cet effort pédagogique.

L’ANSES a pris en considération la réduction constatée des dosages pour fixer la baisse attendue. Ce n’est pas de l’affichage : il est tenu compte du fait que le plafond actuellement autorisé n’est pas atteint. Les réductions de doses réelles, loin d’être symboliques, sont estimées entre 60 % et 80 %.

Les expérimentations prévues dans la loi EGALIM d’épandages par drones de produits utilisés en agriculture biologique sur les parcelles pentues sont en cours. Nous apprécierons à la fin de l’année 2021 comment les généraliser. Nous cherchons à trouver des solutions pour chaque situation où des problèmes objectifs se posent car le désherbage mécanique est compliqué.

M. Denormandie vous parlera plus en détail de l’accompagnement des agriculteurs. Je rappelle simplement que nous avons mis à leur disposition une documentation technique par le biais du centre de ressources glyphosate et que plusieurs dispositifs existent, dont le paiement pour services environnementaux (PSE) ; 150 millions d’euros sur trois ans ont été provisionnés à cette fin et cent territoires sont déjà concernés. On sent une attente de la profession à ce sujet.

Le plan de relance prévoit des mesures de soutien à la certification bio, à la certification HVE et aux équipements alternatifs, pour le désherbage mécanique par exemple. Nous vous l’avons dit, 135 millions d’euros du plan de relance sont consacrés à l’investissement dans les agroéquipements, somme qui s’ajoute aux 30 millions de l’appel à projets lancé par FranceAgriMer en 2020 et aux 35 millions d’euros annuels du financement par les agences de l’eau.

Nous présenterons avant la fin de l’année une série de mesures tendant à protéger les pollinisateurs, indispensables à la vie de notre agriculture, après concertation avec les filières, les citoyens et les associations, de manière qu’ayant participé à leur définition, ils se les approprient et qu’elles s’appliquent aisément. Le principe fondant le plan « pollinisateurs » est de réduire l’exposition principale. La situation actuelle est objectivement préoccupante : on trouve des traces de pesticides dans 75 % des ruches, en particulier des traces de fongicides, reconnus par l’ANSES pour être responsables de l’intoxication des abeilles. Nous travaillerons donc avec les filières à la généralisation contraignante de bonnes pratiques existantes : il ne faut plus pulvériser de produits sur les abeilles en train de polliniser les plantes en fleurs, sachant que l’on parle de quelques semaines dans l’année. Déjà, les aspersions d’insecticides pendant ces périodes ont cessé ; nous travaillons à généraliser cette abstention pour les fongicides et les herbicides. Certes, si un champignon se développe, il faut agir, et les agriculteurs ne seront jamais laissés sans solution : des produits inoffensifs existent que l’on pourra utiliser et si une impasse technique apparaît, nous travaillerons avec les agriculteurs pour définir les modalités et les moments d’épandage possibles. L’important est d’établir que les pollinisateurs ne seront plus perturbés pendant les périodes de floraison, comme cela doit être et comme le recommandent les professionnels.

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je le redis, la méthode qui sous-tend notre démarche est d’accompagner celles et ceux à qui l’on demande des transitions ou que l’on souhaite voir le faire. C’est pourquoi le plan de relance comporte un volet d’accompagnement du monde agricole d’une ampleur inédite. Nous avons aussi la responsabilité de trouver des alternatives à l’utilisation des pesticides et herbicides de synthèse ; c’est l’objet des plans Ecophyto et aussi Ecophyto II+, lequel dispose déjà d’un financement important, auquel nous ajoutons 71 millions d’euros. Mais ce plan qui suscite interrogations et critiques doit être amélioré. Nous avons lancé une évaluation dont les conclusions seront connues au début de l’année 2021.

Nous avons engagé une dynamique dans les parcours de formation accompagnés des lycées agricoles et plus encore dans les fermes qui font partie du complexe de cet enseignement pour diffuser les bonnes pratiques ; c’est l’objectif des fermes DEPHY.

La forte pente n’est pas définie précisément : est considéré comme en pente forte un lieu pentu où l’on ne peut passer avec le matériel mécanique habituel sauf à mettre en péril la personne qui le conduit. Les contrôles in situ montreront que le bon sens permet de répondre à cet impératif. Les choses variant selon la topologie des exploitations, il faut faire confiance à l’intelligence collective sans estimer que le degré d’inclinaison désignant une forte pente doit être fixé par la loi ou l’AMM.

Nous devons en effet entraîner les pays européens à adopter notre stratégie. C’est l’immense avancée que j’ai obtenue : une politique agricole commune enfin plus verte, beaucoup moins naïve et beaucoup plus juste, avec de forts engagements contraignants au titre du premier pilier s’imposant à tous les États.

Des bonnes pratiques existent. Une dynamique, qu’il faut accompagner puissamment, doit être lancée sur les champs nourriciers. Mais il faut prendre en considération le faisceau des contraintes associées. J’appelle à ce sujet l’attention sur un sujet de société : les horaires. La question n’est pas seulement économique ou écologique ; se pose aussi celle de l’acceptation sociétale. Une vision d’ensemble est nécessaire.

M. le président Julien Dive. Je donne la parole à Mme Maillart-Méhaignerie, que d’autres obligations appellent, puis au rapporteur M. Jean-Baptiste Moreau, comme il se doit.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. Deux actions sur les cinquante-cinq possibles pour obtenir des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) sont à l’origine de la moitié des certificats délivrés en 2019 : la lutte contre les bioagresseurs au moyen d’un produit de biocontrôle à base de soufre ; la réduction du nombre de traitements par la plantation de variétés de blé tendre assez résistantes aux bio-agresseurs. Peut-on, en partant de ces certificats, estimer la baisse d’utilisation de ces produits ? Quels moyens l’État utilisera-t-il pour développer les variétés de biocontrôle, alternatives souvent intéressantes à l’usage de produits phytosanitaires ?

M. Jean-Baptiste Moreau, co-rapporteur. Le bon sens paysan auquel le ministre a fait allusion est l’essence même du monde agricole ; on y est pétri de convictions sans jamais l’être de certitudes. Chez ses détracteurs, ceux qui le critiquent abondamment dans les media ces derniers temps, on note plutôt l’inverse : beaucoup de certitudes et assez peu de convictions. Je salue donc la réponse pragmatique faite pour la sortie du glyphosate.

Quel tonnage représentera le retrait d’AMM de certains produits contenant cette substance ? Quelle évolution a constaté la Banque nationale des ventes réalisées par les distributeurs de produits phytopharmaceutiques (BNVD) au cours des trois dernières années et au premier trimestre 2020 pour les produits à base de glyphosate ? Dans le cadre du plan Ecophyto II+, des appels à projets nationaux sont lancés chaque année visant à réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ; où en est l’appel à projets lancé par l’Office français de la biodiversité ?

On comprend entre les lignes, madame la ministre, que le plan « pollinisateurs » obligera les agriculteurs à pulvériser les produits la nuit. Mais contraindra-t-on aussi les gens à ne se déplacer que nuitamment pour éviter de perturber la biodiversité, le premier confinement ayant montré l’impact de la diminution de l’activité humaine sur les pollinisateurs – une production de miel record et des pollinisateurs sans doute beaucoup plus nombreux ? Stigmatiser les agriculteurs est excessivement dangereux, et il est à la limite de la provocation de leur dire qu’ils devront travailler la nuit au moment où l’on veut les entraîner à la conversion écologique, que l’on ne fera pas contre eux. De plus, imaginez la réaction des riverains à des pulvérisations faites à 11 heures du soir autour des maisons ! Je ne suis pas sûr que ce type de mesures aille dans le sens d’une transition agroécologique aboutie.

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Le tonnage global sera réduit de 50 %, proportion calculée par toutes les structures d’évaluation statistique de nos ministères à partir des AMM, qui déterminent des pourcentages en fonction des utilisations. On est au-dessus pour la viticulture mais en dessous pour certains modes culturaux : ainsi, une réduction significative est possible pour la grande culture mais des impasses techniques persistent quand sont présentes des adventices que le labour ne suffit pas à éradiquer.

Les données rassemblées par la BNVD étant disponibles l’année N+1, le dernier résultat dont nous disposons porte sur 2019. Il montre une baisse d’utilisation de 10 % en 2019 par rapport à 2017, sachant que l’année 2018 a été caractérisée par l’augmentation des achats, stockés pour anticiper la taxation annoncée. La moyenne triennale est au plus bas depuis toujours ; cela montre que la dynamique est enclenchée.

Sur le dernier point, je souhaite que l’on mène un débat méthodique, ambitieux et apaisé, en prenant en compte les contraintes de chacun.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Si les obligations nécessaires à l’obtention des CEPP ont été allégées en raison de la séparation opérée entre vente et conseil, ils permettent toujours de documenter les bonnes pratiques de baisse d’utilisation des produits phytosanitaires.

Ce dont nous parlons en ce moment est en discussion depuis six ans avec les agriculteurs. Pour bon nombre de cultures, de bonnes pratiques sont déjà mises en œuvre, portées par la profession, syndicat majoritaire compris. La question précise des horaires sera travaillée avec les filières pour faire les choses de la manière la plus sereine et la plus utile possible, puisque nous avons tous besoin des pollinisateurs, les agriculteurs au premier chef.

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Parce la fonction de conseil et la fonction de vente ont été dissociées, les anciens CEPP et les CEPP actuels ne sont pas comparables. Les arrêtés entreront en vigueur le 1er janvier 2021 ; c’était un engagement politique très fort, qui modifie de facto la philosophie du dispositif.

M. Dominique Potier. Mes compliments pour le travail fait, dont je ne mets pas en doute le sérieux. Je n’entends pas répéter encore ce que le groupe socialiste a dit tant de fois en séance publique sans être forcément entendu, mais puisqu’une perche m’est tendue je la prends : il faut avoir la franchise de dire que la mort des CEPP est actée. C’est une erreur politique majeure de cette législature, qui remonte à l’élection présidentielle, d’avoir séparé conseil et vente ; on la paye très cher, et le courage commande d’admettre non pas que la philosophie du dispositif a changé mais qu’il n’y a plus de CEPP.

Pour ce qui est des comités de suivi, mieux vaut réhabiliter Ecophyto II – puisque les réponses sont systémiques, les déverrouillages le seront aussi, tous les scientifiques et tous les praticiens le disent – que recréer de la comitologie par molécule et par plante. Je plaide en faveur d’une gouvernance réactivée et efficiente du plan Ecophyto II, en panne depuis trop longtemps.

Je vous mets en garde, monsieur le ministre de l’agriculture, sur l’utilisation des fonds d’accompagnement des agriculteurs, qui doit être juste. Beaucoup de paysans font de grands efforts : la polyculture, l’élevage, les rotations longues se sont depuis longtemps affranchis de la dépendance aux produits phytosanitaires. Je ne voudrais pas que de l’argent public aille inconsidérément à ceux qui crient le plus fort et qui ne sont pas forcément ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés. Un grand discernement s’impose en matière socio-économique dans la diffusion des moyens destinés à créer des substituts au glyphosate ; sinon, il y aura une sorte de double injustice à l’égard des agriculteurs qui ont adopté des pratiques agroécologiques pénalisantes en termes de main-d’œuvre, d’exigences et de travail. Un souci de justice doit fonder la distribution des aides.

Je salue le fait que vous mettiez enfin en œuvre une politique de certification HVE équivalente aux mesures agro-environnementales et climatiques « systèmes » (MAEC « systèmes ») – à condition qu’une réforme des HVE soit engagée. En effet, les décrets d’application et les règlements de ce dispositif sont très datés ; ils n’intègrent pas les émissions de carbone et le pourcentage d’intrants est lié au chiffre d’affaires, ce qui entraîne des distorsions inacceptables entre productions végétales. En bref, en même temps que le déploiement des crédits, une réforme urgente de la certification HVE est nécessaire pour qu’elle puisse enfin être dans la future PAC, au moins à titre expérimental, une alternative aux MAEC « systèmes » ou aux « eco-schemes ». Je souhaite que la France mette en œuvre la certification HVE comme une solution de subventionnement spécifique.

J’appelle votre attention sur le fait qu’un amendement voté pendant la législature précédente, permet d’avoir des crédits post-AMM pour vérifier l’impact des molécules autorisées sur l’environnement et sur la santé humaine après la mise sur le marché. Ces crédits sont certainement insuffisants ; en tout cas, comme les crédits « phyto-victimes », affectés sur la même ressource fiscale, ils sont mal gérés par l’ANSES, qui est la première à se définir comme un mauvais collecteur d’impôt auprès des opérateurs de l’agrochimie. Une taxe affectée à Bercy permettrait d’avoir une base fiscale plus juste pour permettre une contribution équitable des acteurs de l’agrochimie à la prévention et à la réparation. La question peut paraître technique mais elle n’a rien d’insignifiant.

Enfin, les perspectives européennes portent sur l’aspect réglementaire mais aussi sur la recherche, et je me dois de souligner la dynamique lancée autour de l’INRAE, qui réunit dix‑huit instituts à l’échelle européenne. Nous avons beaucoup à apprendre de nos voisins européens sur l’affranchissement de la dépendance à la phytopharmacie, notamment au glyphosate.

M. Nicolas Turquois. Je suis partagé. Agriculteur, même si je ne maîtrise pas toutes les cultures, je sais que les doses maximales de glyphosate nouvellement autorisées par l’ANSES sont largement supérieures aux doses moyennes utilisées actuellement. Alors, y a‑t‑il vraiment réduction ? Je ne le crois pas.

La baisse des ventes de glyphosate en 2019 est logique puisqu’en 2018 l’évocation de sa possible suppression avait poussé à la constitution de stocks. D’autre part, il m’arrive certaines années d’acheter du glyphosate pour mon exploitation sans l’utiliser mais d’en utiliser davantage d’autres années. Aussi, pour savoir si les ventes baissent réellement, convient-il de faire une moyenne sur trois ans. Le succès du glyphosate tient à ce qu’il est très peu cher et d’usage très facile. Il est paradoxal pour l’agriculteur que je suis de le dire, mais aussi longtemps qu’il n’y aura pas un signal prix, certains décideront de passer au bio et de s’en dispenser, mais d’autres absorberont ce faible coût dans leurs coûts d’exploitation sans problème particulier. Cela étant, il faudrait évidemment trouver une solution européenne car un signal prix en France seulement entraînerait une concurrence déloyale.

Va pour les équipements alternatifs si ce sont des équipements de désherbage mécanique, mais subventionner l’achat de nouveaux pulvérisateurs ne changerait rien à l’utilisation du glyphosate. En revanche, cela a du sens pour la protection des abeilles – lors des traitements du colza par fongicides, par exemple. Je comprends la réaction de M. Jean‑Baptiste Moreau, car il y a quelque chose de terrible dans l’idée que les agriculteurs doivent travailler de nuit pour pas se faire voir ; de plus, ce n’est pas possible pour tous, qu’ils soient aussi éleveurs ou pour des raisons familiales. Mais traiter quand les abeilles sont dans les plantes en fleurs a un fort impact ; disposer de pulvérisateurs très bien éclairés pour permettre à ceux qui le peuvent de pulvériser la nuit a vraiment du sens, surtout au printemps, quand le traitement est plus efficace.

Enfin, bien des agriculteurs ont nettement amélioré leurs pratiques mais j’en connais au moins un, dans ma commune, qui traite l’après-midi, en plein vent, empestant le village et les autres agriculteurs. Il faut faire des contrôles en cuve, des contrôles en condition, et il n’y en a pas : je n’ai jamais été contrôlé avec mon pulvérisateur. Des contrôles montreraient pourtant que certains agriculteurs jouent les apprentis chimistes sans du tout maîtriser le sujet ; sauraient-ils qu’un agriculteur a été contrôlé dans la commune voisine qu’ils se comporteraient mieux.

M. Didier Martin. Les ministres font cause commune pour aller vers le progrès que nous attendons tous. La mission d’information sur les produits phytopharmaceutiques que présidait Mme Elisabeth Toutut-Picard et dont M. Gérard Menuel et moi-même étions les rapporteurs avait identifié toutes les pistes dont on a parlé ce matin, à l’exception peut-être de la taxation de l’agrochimie chère à notre collègue M. Potier, dont on reconnaît là la sensibilité politique. Peut-être devrait-on parler du prix du glyphosate mais je concentrerai mon propos sur la pratique culturale agroécologique de conservation des sols. Cette technique est mise en œuvre dans mon département, la Côte-d’Or, et n’a que des vertus à l’exception de l’utilisation ponctuelle de glyphosate lorsque les conditions climatiques le rendent nécessaire. J’aimerais connaître le point de vue des ministres sur les exceptions concernant ce mode d’agriculture. D’autre part, si les pentes sont douces en Côte-d’Or, la question des zones de non-traitement en viticulture reste posée, car les vignes sont au pied des murs des maisons, la terre est très précieuse et les rendements sont ce qu’ils sont. J’aimerais des précisions sur les interdictions en ce cas, car il ne doit pas y avoir deux poids, deux mesures.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Pourriez-vous préciser comment les agriculteurs peuvent avoir accès aux subventions pour le remplacement de leurs équipements agricoles ? Dans notre rapport d’étape, nous avions pointé la faible fréquence des enquêtes culturales menées par le ministère de l’agriculture et leur manque d’exhaustivité. Les enquêtes portant sur la viticulture, l’arboriculture et les cultures légumières devaient être disponibles début 2020 ; le sont-elles ? Plus généralement, peut-on accroître leur fréquence et leur exhaustivité pour pouvoir mieux suivre les pratiques ?

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Il est vrai que la dissociation du conseil et de la vente complique singulièrement l’application des CEPP. L’obligation est maintenue, mais on passe d’une obligation de résultat à une obligation de moyens. M. Potier a raison, cela modifie la philosophie du mécanisme, mais c’est le pari que nous avons fait : changer de modèle.

Je sais l’attachement de votre mission d’information au plan Ecophyto II+, qui donne une vision globale. Pour avoir fait le point récemment, nous pouvons vous indiquer qu’en 2019 les quantités vendues ont été de 63 % inférieures à celles recensées en 2018 pour les substances de type CMR 1, et de 49 % pour les substances de type CMR 2. Ce sont les dernières données connues. Le week-end dernier, nous avons donné notre aval au plan de travail d’Ecophyto II+, et donc à la ventilation des 71 millions d’euros dont il est doté ; nous vous la communiquerons si vous la souhaitez.

J’ai pris note des réserves exprimées par M. Potier sur les modalités de l’accompagnement financier en faveur de l’acquisition de matériel ; cette aide doit bien sûr être répartie justement, mais notre premier défi est de la rendre accessible simplement. Vous avez souligné à raison, monsieur Turquois, qu’il faut définir les types d’engins les plus à même de répondre aux demandes. Le volet « financement » du plan sera présenté au conseil d’administration de FranceAgriMer le 17 novembre prochain de manière que le dispositif soit opérationnel avant la fin de l’année ; j’ai pris note de vos recommandations.

Nous nous attachons à rendre les exigences conditionnant la certification HVE3 équivalentes à celles de l’eco-scheme qui va s’appliquer à tous les États européens. Nous devrons déterminer s’il nous faut aussi créer une certification « HVE2+ » également éligible à l’eco-scheme, pour « embarquer » plus d’agriculteurs dans la transition.

En 2018, le prix du glyphosate a été augmenté d’un euro par kilo. La difficulté tient à ce que, parallèlement, de nombreuses autres actions ont été conduites ; nous devrons donc évaluer l’impact exact de l’augmentation de prix. Vous savez mon manque d’appétence, sinon mon aversion, pour les taxes, mais le débat étant posé, nous fournirons à la mission, dès que ce sera possible, l’estimation des effets des différentes mesures prises pour vous permettre d’évaluer ce qui a été le plus efficace.

J’ai signé le week-end dernier le décret relatif à la mise en place du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques ; il sera publié très prochainement.

La baisse d’utilisation du glyphosate a été mesurée en comparant le triennat 2017‑2019 au triennat précédent.

Sur l’agriculture de conservation des sols, le débat n’est pas allé assez loin ; aussi avons-nous demandé au chef de projet nouvellement nommé d’installer un comité scientifique chargé de définir des solutions pratiques. Aujourd’hui, en présence de plantes vivaces indésirables, il n’y a pas d’alternative à l’usage de glyphosate avec ce mode d’agriculture qui interdit le labour. Le débat se poursuit sur l’apport de l’agriculture à l’écologie et sur la préservation de la biodiversité ; ces deux objectifs impérieux se télescopent parfois, comme on le voit, et ce débat démocratique doit avoir lieu. Pour ne donner qu’un exemple, je suis incapable de dire quelle quantité de carbone serait rejetée dans l’atmosphère si, demain, on labourait toute la surface agricole dite cultivée en mode de conservation des sols – superficie d’ailleurs très compliquée à mesurer, puisque, en France, les surfaces ne sont pas définies comme de conservation des sols mais en fonction du mode de labour. Je n’ai aucune idée préconçue, mais Mme Pompili et moi-même avons la responsabilité politique de dire au monde agricole le chemin qu’il doit prendre pour ce volet agroécologique. Ingénieur agronome, j’ai été formé à l’agriculture de conservation des sols. C’était il y a vingt ans ; on peut dire que ce n’est plus l’objectif, mais cela signifie alors former et accompagner les agriculteurs. L’une des missions confiées à M. Hervé Durand est de poser les bases de ce débat de manière raisonnée.

Deux types d’enquêtes sont menés : les enquêtes sur les quantités, réalisées par la BNVD sous la houlette du ministère de la transition écologique et disponibles l’année N+1 ; les enquêtes sur les pratiques culturales conduites par mon ministère, parfois avec retard. Le problème est de parvenir à les mettre toutes en adéquation.

Enfin, nous réalisons quelque 6 300 contrôles par an ; si j’en crois M. Turquois, c’est manifestement insuffisant.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Nous devons en effet essayer d’améliorer le contrôle, et aussi les enquêtes. À ce sujet, vous avez proposé la création d’une plateforme nationale d’enregistrement des produits phytopharmaceutiques utilisés. Cette piste est intéressante. Il faut étudier sa faisabilité car les registres tenus par les agriculteurs sont encore sur papier pour beaucoup ; mais le passage au numérique s’accélère, ce qui peut permettre d’en venir à une plateforme nationale.

J’approuve mon collègue : il faut vérifier le cahier des charges des certifications HVE pour vérifier qu’elles sont accessibles à tous, suffisamment ambitieuses, et cohérentes avec les objectifs de transition visés.

Le principe « pollueur payeur » est peu appliqué en France, mais il l’est au moins par le biais des redevances perçues par les agences de l’eau, payées par ceux qui sont susceptibles de polluer. Comme les agences de l’eau les reversent en vue d’opérations visant à aider les professionnels à aller vers la transition, cet argent est bien utilisé. J’ajoute que les agriculteurs récupèrent plus qu’ils ne versent ; c’est positif, puisqu’ils sont ainsi accompagnés sur la voie que nous soutenons tous.

Enfin, je pense, comme M. Potier, que l’on ne peut plus travailler en silos. Une approche globale intégrant santé, environnement, agriculture et modes de vie est indispensable, la pandémie de Covid-19 ne nous le montre que trop.

M. le président Julien Dive. L’ANSES a préconisé début octobre une dérogation pour l’agriculture de conservation des sols. Mais les agriculteurs exploitent parfois des parcelles sur lesquelles ils peuvent pratiquer le non-labour et d’autres où ils ne le peuvent pas ; il faudra être vigilant et prendre des décisions en bonne intelligence dans les cas comme ceux-là, très fréquents. D’autre part, l’analyse coût-avantage a-t-elle été faite pour l’ensemble des exploitants de l’interdiction du glyphosate face aux alternatives mécaniques et aux alternatives non chimiques, culturales ou de biocontrôle ?

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. L’ANSES a fait cette analyse et l’a publiée. Mme Pompili va la détailler. Pour ce qui est du labour et du non-labour : l’approche est à la parcelle, ce qui répond à votre préoccupation.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Le coût varie selon les types de culture et les pratiques culturales, comme le montrent les trois évaluations dont je dispose. Pour la viticulture, le principe est que l’on ne pourrait plus pulvériser de glyphosate entre les rangs mais qu’une tolérance demeurerait, avec des doses moindres, sous les rangs. Cette approche induit des surcoûts non négligeables qui exigent un soutien : ils sont de l’ordre de 250 euros par hectare, soit 5 % environ de l’EBE. Pour l’arboriculture, le surcoût par hectare serait de 120 euros mais pourrait s’élever à 432 euros en cas de désherbage entièrement mécanique ; c’est pourquoi le plan de relance alloue une forte somme à l’achat d’équipements, ce surcoût représentant environ 10 % de l’EBE. Pour les grandes cultures, agriculture de conservation des sols mise à part, le surcoût, bien moindre, est estimé entre 5 et 10 euros par hectare.

M. le président Julien Dive. L’approche est faite à la parcelle, soit, mais l’on en revient à ce que M. Turquois a dit du contrôle : donner une dérogation à un agriculteur qui cultive certaines parcelles en agriculture de conservation des sols et d’autres différemment ne l’empêchera pas d’utiliser du glyphosate sur des parcelles labourées. Il faudra être vigilant.

Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité et la qualité de nos échanges. Mes remerciements vont aussi aux députés qui ont participé activement aux auditions que nous avons menées depuis deux ans. Le rapport qui résultera de nos travaux au long cours sur un sujet difficile sera remis mi-décembre.

La séance est levée à 11 heures 40.