Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
(pouvoirs d’enquête)

 

– Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé 2

 


Mercredi
4 novembre 2020

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 75

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence de M. Julien Borowczyk

 


  1 

Mission d’information de la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions
de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d’information

 

M. le président Julien Borowczyk. La crise sanitaire provoquée par la pandémie de coronavirus a débuté en France et en Europe en début d’année. Monsieur le ministre, vos prédécesseurs au ministère de la santé avaient malheureusement déjà été confrontés à des risques épidémiques, mais jamais avec une telle violence ni pour une durée aussi longue puisque la France, pas plus que ses voisins, n’en a fini avec le virus. Cela veut dire qu’il a fallu apporter des réponses rapides et adaptées dans un contexte scientifique qui a évolué. Mais cela signifie aussi que toutes les personnes confrontées directement à la gestion de la crise ont dû soutenir un effort considérable dans la durée, en particulier les soignants, mais aussi l’ensemble des Français.

Nous avons, à ce stade et conformément à l’objet de notre mission, un premier regard rétrospectif à porter sur ce qui a été fait, mais il est clair que les tendances actuelles et les conséquences du reconfinement vont aussi nous occuper aujourd’hui.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le ministre, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Olivier Véran prête serment.)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Nous n’allons pas parler ensemble d’un sujet passé, hélas ! Si des questions légitimes se posent sur les décisions prises depuis l’apparition du virus sur notre territoire, chacun doit garder à l’esprit que l’heure est toujours à la lutte contre le coronavirus et non aux conclusions définitives. Avant tout, j’aimerais rendre hommage à celles et ceux qui font face à cette crise, dans nos hôpitaux, dans nos EHPAD, en ville, sans oublier naturellement les professionnels du soin à domicile et tous ceux qui permettent à la France de résister au choc et de tenir. Je veux aussi rendre hommage et dire toute ma gratitude aux agents des administrations centrales.

J’ai été nommé ministre alors que le virus circulait depuis peu en France. Soixante-dix mille personnes étaient alors infectées à travers le monde, dont un millier hors de Chine. En franchissant les portes du ministère, je n’ignorais donc pas les risques associés à cette épidémie, sans pour autant m’attendre à son évolution en pandémie au 11 mars 2020.

Nous allons parler ensemble des choix qui ont été faits. Des choix difficiles, lourds, souvent faits dans l’urgence – agir dans l’urgence ne signifie pas agir dans la précipitation mais alors même que certaines inconnues persistent.

Je viens devant vous avec humilité. La période que nous traversons en demande beaucoup aux politiques et à tous ceux qui se prononcent sur l’action publique. Je ne viens pas non plus partager avec vous une opinion. Je viens décrypter devant vous les chemins que nous avons empruntés depuis le premier jour dans un contexte d’incertitude jamais égalé dans notre histoire contemporaine, un contexte dans lequel il s’est agi d’apporter des réponses à des problèmes qui se sont présentés devant nous chaque jour.

Quand surgit un événement de cette nature, les avis se multiplient, les opinions se juxtaposent et les jugements sont rendus aussi vite qu’ils peuvent être contredits. Depuis que j’ai endossé mon costume de ministre, je me suis efforcé d’écouter. Séparer le bon grain de l’ivraie a constitué mon quotidien, tandis qu’au même moment les Français attendaient légitimement des réponses fermes.

Dans une crise comme celle que nous traversons, les connaissances d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier. Les connaissances évoluent, la science évolue, seul le bon sens est immuable, à jamais figé dans l’esprit de ceux qui s’en réclament à tout-va.

Il pourrait être tentant de lire les stratégies d’hier à l’aune des connaissances d’aujourd’hui, mais je vous demande de tenir compte du caractère évolutif de ces connaissances. Nous apprenons tous les jours en même temps que nous agissons. De même, le temps politique n’est pas le temps scientifique, et cette donnée ne doit pas être oubliée dans les échanges que nous aurons. Rechercher la vérité à la lumière des faits, c’est à quoi nous nous attelons aujourd’hui, et je ne doute pas que cet exercice servira autant la justesse du regard que nous portons sur le passé récent que l’efficacité de l’action que nous menons aujourd’hui encore contre l’épidémie.

L’information judiciaire sur la gestion ministérielle de la crise du covid-19 permettra également de rendre compte de cette action. Je tenais à le rappeler.

Vous l’aurez compris, ma mission est de piloter la réponse à la crise. La crise d’hier, la crise d’aujourd’hui, mais aussi la crise de demain. Je suis aujourd’hui devant vous parce que nous devons toutes et tous apprendre d’une crise qui a placé la santé publique au cœur de nos préoccupations. Je suis devant vous parce que le Parlement doit être une force motrice dans les politiques de protection et de prévention. Je suis ici parce que je suis le ministre des solidarités et de la santé. À ce poste, depuis le premier jour, j’ai toujours agi et parlé avec responsabilité et en toute transparence. Je ne choisirai pas une autre ligne aujourd’hui devant vous.

M. le président Julien Borowczyk. Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je m’associe à vos remerciements au personnel soignant, dont on sait à quel point il est disponible, courageux et engagé depuis le début de cette crise.

D’abord, quels enseignements a-t-on tirés de la première vague, quelles adaptations a-t-on réalisées s’agissant des personnels, des lits, des équipements de protection ?

Une deuxième question a trait aux particularités de la prise en charge des personnes âgées, tout particulièrement dans les EHPAD. Certains, assurément peu nombreux, ont sous-entendu ou affirmé au cours de nos auditions que des personnes âgées n’avaient pas bénéficié de tous les soins, de toutes les prises en charge hospitalières dont elles auraient pu bénéficier en temps normal. J’aurais voulu avoir votre avis sur ce sujet.

Le troisième point porte sur Santé publique France, et surtout sur la réponse que nous devons pouvoir apporter à cette crise et aux éventuelles crises sanitaires futures. Vous l’avez dit dans votre propos liminaire, nous faisons face à un virus jusqu’alors totalement inconnu, dont les modes de contamination, de transmission et d’évolution sont inédits. Il faut donc savoir faire preuve de réactivité et d’adaptabilité alors même que la science progresse au jour le jour. Nous l’avons vu au cours de l’audition de l’ancien premier ministre Édouard Philippe, qui disait que si nous avions pris en charge les patients selon les modalités du plan pandémie grippale, nous n’aurions probablement pas fait autant de tests, voire pas de tests du tout. Nous souhaitons connaître votre point de vue sur l’adaptabilité de notre système et sur une question à laquelle je sais que notre collègue Jean-Pierre Door sera particulièrement attentif, à savoir l’avenir et la visibilité de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS), qui a été intégré à Santé publique France et qui avait ce rôle de prévision.

Enfin, quelle est aujourd’hui la stratégie relative aux tests antigéniques, en cours de déploiement ? Quel est votre point de vue sur leur nombre, leur utilité, les services qu’ils pourront nous rendre dans cette période de confinement, puis, comme nous l’espérons tous, lors du déconfinement ?

M. Olivier Véran. Alors même que la première vague n’était pas achevée, nous avons engagé un « retex », un retour d’expérience, pour faire toute la lumière sur la crise sanitaire, sur les éléments en lien avec le virus et sur la façon de répondre à l’épidémie dans notre pays. Nous l’avons lancé dès le printemps. Il a donné lieu à de nombreuses observations et démarches en vue de préparer notre système de santé dans l’éventualité d’une deuxième vague – je pourrais vous en citer plusieurs exemples ; sachez notamment qu’un guide de préparation des réanimations a été élaboré avec les professionnels de santé au cours de l’été.

En voici une illustration concrète. Initialement, d’après les témoignages dont je dispose, la quasi-totalité des patients qui présentaient un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), conséquence grave d’une maladie à coronavirus, et qui étaient transférés en réanimation étaient intubés et ventilés, c’est-à-dire qu’on les plaçait en coma avec un tube dans les poumons pour permettre une respiration automatisée.

Progressivement, les expertises en France et dans le monde ont permis d’élaborer d’autres méthodes de soin, visant notamment à différer ou à éviter l’intubation, laquelle peut provoquer des dégâts sur des poumons fragiles et prolonger la durée de réanimation, voire entraîner des séquelles importantes.

Ainsi, un certain nombre de patients ont pu bénéficier de ce que l’on appelle l’Optiflow, à savoir de l’oxygène à très fort débit – cinquante litres par minute –, livré en continu à des patients qui présentent des besoins élevés en oxygène, retardant ainsi le besoin d’intubation. Ce constat a évidemment un impact sur les prises en charge. D’abord parce qu’un certain nombre de patients sous oxygène à haut débit n’ont pas forcément besoin d’être pris en charge dans un service de réanimation proprement dit. S’ils disposent d’un monitorage cardiaque et respiratoire, ils peuvent aller, par exemple, en soins intensifs. Cela nous a permis d’adapter des services de soins intensifs pour pouvoir y adresser des patients pris en charge par Optiflow. Ces points ont fait l’objet de recommandations élaborées avec les professionnels.

Par ailleurs, concernant les retours d’expérience territoriaux, chaque agence régionale de santé (ARS) a instauré une gouvernance territoriale tenant compte d’un certain nombre de points essentiels. Je peux vous en citer quelques-uns. Quelle place pour la démocratie sanitaire ? C’est-à-dire : comment intégrer davantage les usagers des soins aux processus décisionnels ou d’information à l’échelle des territoires ? Comment mieux coordonner les relations entre le monde hospitalier et celui de la médecine de ville pour être plus réactifs, éventuellement anticiper les sorties d’hospitalisation, ou retarder les hospitalisations lorsqu’elles ne sont pas indispensables ? Quelles relations avec les élus ? Comment s’assurer de la pleine coopération et de la pleine mobilisation du secteur privé autant que du secteur public ?

Par ailleurs, nous avons bien évidemment entamé la reconstitution du stock national d’équipements de protection. Nous avons communiqué en toute transparence, avec Édouard Philippe lorsqu’il était Premier ministre, pour donner les objectifs, puis avec Jean Castex, en conférence de presse, pour annoncer quel était l’état des stocks de masques, de blouses, de surblouses, de gants, de respirateurs, ou encore de médicaments de réanimation permettant de maintenir le patient en coma lorsqu’il est intubé en réanimation – des médicaments si précieux qu’ils nous ont donné des suées, pour dire le moins, au cours de la première vague, quand nous nous demandions si nous serions en mesure d’en fournir suffisamment.

Ces stocks ont été reconstitués en même temps que les activités chirurgicales reprenaient progressivement au cours de l’été dans nos hôpitaux, ce qui a évidemment nécessité un gros travail.

S’est également posée la question de la mobilisation des ressources humaines, qui est au cœur du sujet de la prise en charge de la deuxième vague. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de services de réanimation supplémentaires ou de lits de soins intensifs supplémentaires si nous n’avons pas de personnels capables d’assurer des soins de qualité spécifiques dans ces services.

Une équipe de réanimation de Corbeil-Essonnes me disait hier que, par exemple, lorsqu’un patient est en SDRA, intubé et ventilé, il faut parfois le mettre en décubitus ventral, c’est-à-dire sur le ventre, puis le remettre sur le dos, et à nouveau sur le ventre, et ce plusieurs fois par jour. Cela nécessite une technicité qu’un soignant qui n’a pas été formé est en peine d’assurer. Par ailleurs, des patients atteints des formes les plus graves sont sous oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), ce qui implique aussi une technicité très particulière, tant au plan médical que paramédical.

Bref, il a fallu former des soignants et ce sont les hôpitaux et les universités qui se sont chargés de lancer des programmes de formation. Dans le Territoire de Belfort ou à Grenoble, j’ai assisté à des séances de formation par simulation où des mannequins figuraient des patients intubés et ventilés en décubitus ventral. C’est ainsi que l’on a pu former des centaines d’infirmiers et d’aides-soignants pour qu’ils puissent prêter main-forte le moment venu dans les services de réanimation.

Mais hélas, comme vous le savez, on ne peut pas former de réanimateurs en trois ou six mois – c’est dix à douze ans qu’il faut –, et il a fallu développer les compétences d’un certain nombre de soignants pour qu’ils puissent venir en aide leurs collègues. C’est un enjeu majeur pour nous d’être capables de mobiliser des professionnels de santé supplémentaires.

Nous avons également créé des cellules de soutien psychologique.

Votre deuxième question, relative à la prise en charge des personnes âgées, notamment en EHPAD, revient, si je la comprends bien, à demander si l’on a bien pris en charge ces dernières pendant la crise épidémique ou si, au contraire, on les a laissées de côté.

Sachez que tout a été fait pour offrir les meilleurs soins, dans le contexte difficile que nous connaissions, à toute personne quel que soit son âge, sa condition physique, sa condition sociale, ce qui est le fondement même du serment d’Hippocrate.

Il a fallu organiser des filières de prise en charge associant de très près les EHPAD et les hôpitaux. Nous avons développé des services hospitaliers, dans les secteurs public et privé, quasiment spécialisés dans l’accueil de patients covid issus des EHPAD. Nous avons également développé la gouvernance médicale dans les EHPAD pour y faire intervenir l’hospitalisation à domicile ainsi que la médecine de ville et les SAMU, partout où cela était nécessaire et pour que chaque patient puisse recevoir les soins appropriés.

Il en va du covid comme d’autres pathologies. Pour certaines personnes se trouvant dans un état de santé grave, un transfert en hospitalisation est décidé, compte tenu à la fois de la sévérité de la maladie et de leur condition physique, qui doit laisser présager qu’une sortie de réanimation sera possible. D’autres personnes sont dans un état de santé physique préexistant tellement grave que les services de réanimation ne prennent pas la décision d’intuber et de ventiler, qui entraînerait 100 % de risques de décès, dans des circonstances parfois encore plus difficiles.

C’est la raison pour laquelle nous avions notamment sollicité la Société française de gériatrie pour qu’elle formule des recommandations de prise en charge et d’accompagnement des derniers moments de vie des personnes âgées ne pouvant pas aller en réanimation.

J’enfile un instant ma blouse de neurologue. Lorsque j’ai travaillé dans un service d’unité neuro-vasculaire qui prenait en charge des patients atteints d’AVC, certains d’entre eux étaient transférables en réanimation, et transférés lorsque leur état s’aggravait. D’autres patients étaient accompagnés faute de pouvoir supporter une réanimation.

Votre troisième question porte à la fois sur Santé publique France et sur l’ÉPRUS, et plus précisément sur la disparition de ce dernier ou sa « phagocytose », si je puis me permettre ce mot, par Santé publique France. Jean-Pierre Door a émis des propositions et rédigé des rapports précieux sur le sujet.

Santé publique France a accompli sa mission au niveau national et régional en matière de contact tracing, notamment dans les clusters. Pour être très franc avec vous, il est très compliqué de réaliser pendant une crise un retour d’expérience complet et détaillé du fonctionnement d’une structure, parce que vous ne pouvez pas mobiliser des équipes qui le sont déjà constamment – je salue ici les équipes de Santé publique France qui n’ont pas eu de vacances cet été et qui continuent à travailler d’arrache-pied au quotidien.

Mais il faudra naturellement tirer toutes les leçons de ce qui s’est passé pendant la crise, notamment concernant la gestion logistique de certains stocks. J’ai d’ailleurs diligenté une mission d’inspection de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à ce propos, en vue de nous permettre de nous améliorer et de ne pas à avoir à attendre la fin d’une crise pour changer ce qui doit l’être. Le retex suivra et vos travaux parlementaires seront extrêmement utiles. Nous verrons s’il convient de définir une structure ad hoc, comme c’était le cas avant 2007, ou s’il faut modifier certaines façons de fonctionner.

Votre dernière question porte sur les tests antigéniques. Ils ont fait leur apparition assez récemment et j’ai saisi à plusieurs reprises la Haute Autorité de santé (HAS), cette instance scientifique chargée de nous guider dans les décisions de santé publique, afin qu’elle émette des recommandations sur leur usage.

Je rappelle que ces tests reposent sur le même mécanisme qu’un test par PCR, c’est-à-dire un écouvillonnage nasopharyngé. Mais l’écouvillon, au lieu d’être envoyé dans un laboratoire pour être traité sur plateforme PCR, ce qui peut prendre un certain temps, est directement traité par l’opérateur, ce qui permet d’obtenir un résultat obtenu en quinze à vingt minutes – un petit trait rouge apparaît lorsque le patient est positif au covid.

Ce test présente l’avantage évident d’être utilisable partout et de donner des résultats rapides. Il présente en revanche une moindre sensibilité, c’est-à-dire la capacité à diagnostiquer les personnes positives, surtout les asymptomatiques. C’est pourquoi j’ai saisi la Haute Autorité sur ces deux sujets : les patients asymptomatiques et les patients symptomatiques.

La Haute Autorité a émis deux recommandations. L’une reconnaît l’usage des tests antigéniques en dépistage, c’est-à-dire en population asymptomatique. C’est ce que nous faisons dans les universités, dans les EHPAD, auprès des personnels soignants, dans les aéroports, les ports, les gares... Et nous allons démultiplier cet usage sur tout le territoire dans les jours et les semaines à venir.

L’autre recommandation concerne les patients symptomatiques en diagnostic individuel, où la sensibilité est bonne, la spécificité excellente, et où les tests permettent de guider les conduites diagnostiques. J’ai signé il y a quelques jours l’arrêté autorisant cette utilisation en médecine de ville, en pharmacie d’officine ou par des infirmiers et infirmières libérales et par d’autres professionnels de santé dont la liste sera amenée à évoluer en fonction des besoins.

Ces tests se déploient et je crois savoir que plus de la moitié des pharmacies d’officine en auraient déjà commandé deux millions en début de semaine.

Par ailleurs, nous avions déjà déployé dans l’ensemble des hôpitaux et EHPAD de notre territoire, avant même les recommandations de la Haute Autorité, cinq millions de tests antigéniques que nous avions achetés dans le cadre du stock d’État, afin de mener des expérimentations grandeur nature.

Il s’agira donc d’une aide supplémentaire qui ne remplacera pas le test PCR mais qui permettra de renforcer notre arsenal diagnostique.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Monsieur le ministre, votre audition intervient presque au terme des travaux de notre mission, du moins des prérogatives de la commission d’enquête qui lui sont octroyées. Nous étions bien sûr impatients de vous écouter et d’écouter les réponses que vous pouvez apporter à nos questions.

Nous n’avions pas imaginé que votre audition interviendrait au cœur d’une seconde vague de la crise sanitaire qui touche notre pays et qui, naturellement, vous mobilise, comme elle mobilise, sous votre autorité, toutes les équipes sanitaires dans nos établissements de santé, publics ou privés. Je veux dire ici à titre personnel à l’ensemble des acteurs de santé ma reconnaissance et mon soutien dans des moments qui s’annoncent redoutablement éprouvants. Vous avez rappelé hier soir que le pire était devant nous – dans des termes dont j’espère, mais j’en suis convaincu, que vous leur préférerez des formulations plus apaisées cet après-midi.

Avant que nous n’abordions des questions plus techniques, avez-vous le sentiment que cette seconde vague, annoncée devant nous par le Conseil scientifique le 18 juin, puis par le professeur Flahault début septembre, n’a pas été anticipée à sa juste mesure et a fait l’objet d’erreurs d’anticipation ? N’a-t-on pas sous-évalué ou sous-estimé la gravité de la situation ? Regrettez-vous de n’avoir pas mis en œuvre certaines actions, ou pas assez amplement ? 

Je pense en particulier à ce qui s’est passé lors du Conseil de défense du 11 septembre dernier, suivi d’une conférence de presse du Premier ministre dont on disait qu’elle annoncerait des mesures restrictives fortes, car l’inquiétude était déjà présente, mais qui n’avait finalement débouché sur aucune annonce ou presque, ce qui nous avait surpris, ainsi que les commentateurs. Je me rappelle, monsieur le ministre, vous avoir interrogé moi-même à ce sujet le 22 septembre en commission des lois.

N’y a-t-il pas un mois de retard dans les annonces, qu’il s’agisse de la fermeture de certains établissements recevant du public, du couvre-feu, du confinement ou encore de la fermeture des frontières ? Au regard de la gravité de la situation, que certains avaient pourtant prévue, n’y a-t-il pas eu un manque cruel d’anticipation et de préparation ?

M. Olivier Véran. Il ne me revient pas et il ne m’est jamais revenu d’émettre quelque prédiction que ce soit. Ainsi, vous ne m’avez jamais entendu nier la possibilité qu’il puisse y avoir une deuxième vague, ni l’affirmer avant l’heure. Mon rôle est d’anticiper et de prendre toujours les décisions les plus à même de protéger la population et de préparer notre système de santé.

Le Conseil scientifique, vous l’avez dit, avait évoqué la possibilité d’une deuxième vague. Nous la considérions nous aussi, dès la première vague, comme une hypothèse susceptible de se réaliser. Et je crois même m’être un jour emporté – moins qu’hier, monsieur le rapporteur – contre une prédiction d’un scientifique qui affirmait qu’il n’y aurait jamais de deuxième vague et que le virus mourrait sous l’effet de la chaleur de l’été. Vous pouvez m’accorder cela.

Quoi qu’il en soit, nous avons toujours envisagé la possibilité qu’il puisse y avoir une deuxième vague, d’autant plus qu’il y en a eu dans d’autres pays. L’Allemagne a ainsi appliqué des reconfinements partiels dans certains secteurs de son territoire alors même que nous venions d’achever notre propre déconfinement.

Je pourrais également vous parler des épisodes épidémiques qui ont émaillé la période en Guyane, où je me suis rendu avec Jean Castex, et que nous avons réussi à endiguer avec l’ensemble des professionnels de santé sur place. Je pourrais aussi vous entretenir de la Mayenne, où je me suis également rendu au début de l’été dans un contexte de reprise épidémique, notamment dans les abattoirs, ce qui nous a amenés à déclencher des tests massifs auprès de la population et à mettre en place des mesures d’isolement et de protection. Et nous avons réussi, là aussi, à endiguer ce départ potentiel de deuxième vague.

Dans nombre de mes interventions estivales, que vous pourrez retrouver aisément, j’ai expliqué qu’il y avait des signes de départs épidémiques dans certains territoires français, en lien avec certaines pratiques de convivialité telles que les événements organisés sur les rooftops, dont j’ai parlé à plusieurs reprises. Il y avait également des indicateurs de pilotage au quotidien, que nous n’avons pas cessé de suivre et de publier en toute transparence, et qui montraient que le virus commençait à repartir chez les jeunes dans certaines villes du Sud de la France, dont Marseille, mais pas seulement.

Forts de ce constat, nous avons tenu un Conseil de défense, non pas le 11 septembre, mais dès le mois d’août, qui a été dédié au moins en partie à la situation marseillaise et a donné lieu à des décisions telles que la fermeture anticipée des bars et restaurants à Marseille, à compter de 23 heures.

Nous étions bien avant le 11 septembre – j’y insiste, monsieur le rapporteur –, et d’ailleurs cela ne s’est pas fait sans douleur. Je me suis rendu le 26 août à Marseille, où j’ai rencontré des membres du secteur hospitalier et un grand nombre d’élus de la métropole pour leur expliquer ce qui était en train de se passer. Nous faisions alors face à des taux d’incidence, de l’ordre de 20 pour 100 000, qui nous paraîtraient bien faibles aujourd’hui mais où l’on décelait déjà une reprise épidémique, notamment chez les jeunes. Dans la mesure où ces derniers font moins de complications, il n’y avait pas d’impact sur les hospitalisations. De plus, comme il existe un décalage de quinze jours entre les diagnostics et le recours à l’hôpital, rien n’était visible.

À l’époque, nombre d’observateurs, dans le champ politique et au-delà, ont fait l’hypothèse que le virus aurait muté pour devenir moins dangereux, ou bien que seuls les jeunes seraient touchés, ou encore qu’une deuxième vague était impossible… « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Le couvre-feu qui avait été fixé à 23 heures a ensuite été porté à minuit et demi. Il a fallu revenir sur la situation marseillaise lors d’un deuxième Conseil de défense.

Je crois m’être rendu à quatre reprises à Marseille entre août et octobre, mais je ne dis pas cela pour stigmatiser cette ville. Beaucoup trop d’encre a coulé à propos des difficultés que nous y aurions connues. J’ai partagé le diagnostic de la situation avec la maire de Marseille dès la mi-août, comme d’ailleurs avec l’ensemble des élus de la métropole. Il fallait des mesures qui soient comprises par la population, acceptables et efficaces.

Nous n’avons eu de cesse de tenir des conseils de défense et de sécurité nationale abordant la question de la reprise épidémique du virus et de prendre des décisions visant à enrayer sa diffusion sur l’ensemble du territoire, de façon d’abord territorialisée et différenciée, puis nationale avec le couvre-feu et, ensuite, le reconfinement.

J’aurais pu entendre le reproche d’avoir ignoré la possibilité d’une deuxième vague si nous étions restés les bras croisés à regarder le virus se développer et se multiplier. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Je laisse chacun apprécier si nous avons fait suffisamment et agi suffisamment tôt, mais enfin, quelles que soient les décisions que nous ayons prises depuis le mois de mars, c’était soit trop tôt, soit trop tard, ou encore les deux à la fois ! Sachez toutefois que nous avons agi en conséquence des données qui nous étaient transmises, de manière à toujours garantir la protection de la population.            

M. Éric Ciotti, rapporteur. Mon propos consistait à savoir si vous éprouviez personnellement un regret quant à ce retard. Vous avez toujours, semble-t-il, prôné des mesures de protection fortes. Pour ma part, et quitte à sortir de mon rôle de rapporteur, je partage à titre personnel cette approche et je suis plutôt de ceux qui considèrent qu’on n’en fait jamais trop. J’ai toujours soutenu des mesures de protection fortes. Mais il semblerait que des arbitrages aient été rendus lors du Conseil de défense du 11 septembre, ou à d’autres dates, qui ne correspondaient pas aux décisions plus restrictives et plus protectrices que vous souteniez personnellement, et qui, si elles avaient été adoptées, auraient pu mieux anticiper l’avancée du virus. Avez-vous des précisions à nous apporter sur ce point ?

M. Olivier Véran. J’entends votre attachement à une réunion du Conseil de défense en particulier, mais sachez qu’il y en a eu à ce jour une bonne trentaine, si ce n’est davantage, sur la question du coronavirus. Vous savez que ce qui se dit au sein d’un conseil de défense et de sécurité nationale relève précisément de la défense et de la sécurité nationale et non d’une commission d’enquête, même parlementaire, et ce n’est pas faire preuve d’un manque de respect que de le préciser.

Je tiens néanmoins à vous dire que j’ai toujours été très à l’aise et parfaitement en phase avec les décisions qui ont été prises en Conseil de défense ou dans d’autres enceintes depuis le début de la pandémie. Pas une seule fois, en tant que ministre des solidarités et de la santé, je ne me suis senti en décalage ou en porte-à-faux vis-à-vis d’une décision actée. Et je suis reconnaissant à l’ensemble de mes collègues ministres, au Premier ministre et au Président de la République pour cette capacité d’écoute, de dialogue, de discussion, d’échange, comme je le suis à l’égard de l’ensemble des représentants de la communauté scientifique et des experts des différentes agences d’État ou indépendantes, qui ont toujours guidé avec soin et bienveillance toutes les décisions que nous avons prises. De ce point de vue, donc, soyez tranquille.

Quant à savoir si j’éprouve des regrets, je répondrai que l’heure n’est pas aux regrets mais à apprendre en marchant, à anticiper, à comprendre, à accompagner, à s’interroger, encore et toujours, sans jamais rien graver dans le marbre tant les connaissances scientifiques sont appelées à évoluer en matière épidémique.

Je rappellerai que le coronavirus est un phénomène naturel. Que les virus préexistaient à l’homme sur terre et qu’il faut composer avec eux, même s’ils ne sont pas de bonne compagnie. Qu’il y a toujours eu des épidémies et qu’il y en aura toujours, avec des virus qui peuvent être d’une férocité exceptionnelle comme celui que nous connaissons actuellement, ou au contraire beaucoup plus banals et qui passent sans faire de vagues et sans entraîner des situations de catastrophe. Et je rappellerai enfin que face à ce phénomène, nous devons rester très humbles, et apprendre les uns des autres, y compris – c’est un point très important – des acteurs et des experts étrangers.

Pas une semaine ne s’écoule sans que je sois amené à échanger avec mes homologues. La semaine dernière, c’était avec mon homologue québécois, hier avec mon homologue allemand, il y a trois jours avec le ministre espagnol, ou encore avec mes homologues italien ou suisse. Nous nous appelons, nous échangeons les informations et les données, nous partageons les constats et les stratégies, nous nous appuyons les uns sur les autres. Nous avançons et nous progressons ensemble. Il en va de la même manière pour le confinement et pour les mesures de freinage, qui sont de plus en plus analogues dans les pays où elles sont mises en œuvre, y compris à l’autre bout de la planète, en Australie ou sur le continent asiatique, et, plus près de nous, dans le Nord de l’Europe.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Dans les quinze premiers jours de mars, soit juste avant le confinement décidé le 17 mars, notre pays a réalisé un peu moins de 15 000 tests, alors que, pendant la même période, l’Allemagne en a réalisé 250 000.

La question de notre capacité de tests est au cœur de la problématique de la diffusion du virus. Plusieurs acteurs que nous avons auditionnés ont remis en cause les stratégies adoptées et ont dénoncé des lourdeurs, des blocages administratifs qui ont entraîné un mois de retard avant le déploiement d’une capacité de tests suffisante.

Cela s’est vérifié à propos des laboratoires vétérinaires départementaux : les présidents de département ont été saisis autour de la mi-mars, et la décision de faire intervenir ces laboratoires est intervenue, sauf erreur, le 6 avril. Cela s’est vérifié également pour les laboratoires privés, dont nous avons auditionné tous les représentants : eux aussi ont évoqué un mois de retard et une forme d’« hospitalo-centrisme ». Cela s’est vérifié encore pour la mobilisation de certains laboratoires publics, hors centres hospitaliers universitaires : ainsi, dans mon département, est apparu un conflit entre certains laboratoires publics de recherche et des laboratoires hospitaliers, conduisant le préfet à intervenir en personne.

Comment expliquer ces retards, ces lenteurs de décision, toutes ces lourdeurs observées au cours de la première vague ?

Pour la deuxième vague, les tests étaient en nombre suffisant, vous l’avez évoqué, mais le délai d’obtention du résultat les a rendus quasi inopérants. En effet, entre les délais pour obtenir un rendez-vous et ceux précédant la transmission du résultat, on dépassait sept jours, pendant lesquels les personnes potentiellement atteintes pouvaient en contaminer d’autres, ce qui a pu favoriser la propagation du virus et mettre complètement en échec la stratégie « tester, tracer, isoler » que vous aviez énoncée. En conséquence de quoi la situation est aujourd’hui totalement hors de contrôle.

Pourquoi de telles difficultés concernant les tests, encore plus graves lors de la deuxième vague, et indissociables de l’accélération de la propagation du virus comme de notre capacité à freiner ou à interrompre sa propagation ?

M. Olivier Véran. La question des tests de dépistage à réaliser à grande échelle, c’est-à-dire au-delà d’une certaine population composée des cas graves, des cas douteux ou encore des soignants, n’a jamais été évoquée, ni en janvier, ni en février de cette année, dans le cadre des échanges internationaux, que ce soit avec les pays du G7, lors du Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs (EPSCO) du 13 février, ou encore à l’occasion des échanges entre la ministre de la santé et le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à l’époque le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus.

La première recommandation de l’OMS sur la réalisation des tests en laboratoire date du 12 février 2020 ; je n’étais alors pas encore ministre. Elle a été suivie de deux autres recommandations, le 2 mars puis le 21 mars. Tous ces recommandations étaient purement techniques et ne donnaient aucune stratégie de dépistage. Elles n’indiquaient pas, c’est là un point important, qu’il fallait tester d’autres personnes que les malades. Dans une allocution du 16 mars, le directeur général de l’OMS invitait à tester massivement, en précisant que « de nombreux pays ne sont pas encore dotés de capacités à tester, donc à identifier les cas suspects, et n’ont pas accès à la PCR ». Son appel revenait à dire aux pays qu’ils devaient tester massivement pour diagnostiquer et déterminer de la sorte si le coronavirus circulait sur leur territoire.

En début d’année, nous ne disposions pas davantage de recommandations du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) relativement à des stratégies de dépistage différentes des façons de procéder qui étaient les nôtres à l’époque.

Quelques chiffres sur les tests. Les tests PCR sont devenus disponibles en France à partir du 27 janvier. On a assisté au développement d’un test diagnostic rapide par l’institut Pasteur permettant de donner un résultat en quelques heures, puis à la montée en puissance rapide des tests : cinq laboratoires ont été équipés le 31 janvier, vingt le 21 février, quarante-trois le 7 mars. À partir du 6 avril, les laboratoires autres que ceux de biologie médicale, notamment les laboratoires vétérinaires départementaux, ont été autorisés à réaliser des tests.

Vous me demandez pourquoi cela a pris tant de temps d’autoriser les laboratoires départementaux à faire des tests. J’ai beaucoup aimé la réponse de l’ancien Premier ministre lorsque vous lui avez posé la question, et je vais aller dans son sens. Il y a parfois des changements réglementaires que vous pouvez mener à bien rapidement, ce fut le cas par exemple lorsque le Gouvernement a autorisé les pharmacies d’officine à fabriquer leur gel hydroalcoolique. La main n’a pas tremblé – d’ailleurs ma main n’a jamais tremblé –, et l’autorisation a été donnée très vite, comme cela a été souligné même par des parlementaires de l’opposition. De même lorsqu’il a fallu plafonner le prix des masques. Car ces mesures n’emportaient pas de conséquences sur la santé humaine.

S’agissant de l’autorisation de dépistage par des laboratoires qui n’en ont jamais pratiqué sur les humains et qui fonctionnaient pour beaucoup d’entre eux par système de pooling, procédé par lequel plusieurs prélèvements sont mis en même temps dans une machine afin de déterminer si l’un d’entre eux est positif, un temps d’expertise plus important s’est révélé nécessaire, et je ne jetterai pas la pierre aux services et aux différentes autorités qui ont été saisies. Leur travail a été réalisé dans des délais rapides, ce qui a permis de délivrer l’autorisation le 6 avril.

S’agissant des capacités en tests PCR, nous en étions à deux mille par jour fin février-début mars, et à cinq mille début avril. Les laboratoires ont demandé à pouvoir acheter des machines pour réaliser ces tests. Ce sont des grosses machines, coûteuses, venant de l’étranger, et faisant l’objet d’une forte demande mondiale. Nous avons soutenu la répartition de ces machines en en achetant nous-mêmes et en les installant dans certains hôpitaux. Nous avons encouragé et accompagné les laboratoires en leur assurant un tarif et en leur garantissant qu’un grand nombre de ces tests seraient réalisés dans la durée.

Nous sommes passés, au moment du déconfinement, à cinquante mille tests par jour. Entre avril et début mai, nous avons multiplié par dix le nombre de tests. Puis nous l’avons augmenté pendant l’été, dans un contexte où, le virus circulant peu, il y avait moins de personnes désireuses de se faire dépister que de capacités de dépistage. Moins de 1 % des tests se révélaient alors positifs.

Nous avons garanti pour tous les Français l’accès aux tests PCR avec une prise en charge à 100 % par l’assurance-maladie, en conséquence de quoi nul n’a eu à débourser le moindre centime, et ce depuis le début de l’épidémie. Il convient de le souligner, alors que certains pays ont mis en place des systèmes de dépistage incluant un reste à charge, d’où, parfois, un risque d’inégalité dans l’accès au dépistage.

Nous sommes désormais passés à deux millions de tests par semaine. C’est un effort sans précédent dans l’histoire de la lutte épidémique dans notre pays. J’en remercie les techniciens de laboratoire, les laborantins, les biologistes, ainsi que tous les professionnels que j’ai autorisés par arrêtés successifs à réaliser des prélèvements : infirmières, étudiants en santé, secouristes, etc. À chaque fois qu’il a fallu lever des barrières pour permettre aux laboratoires de tester davantage, nous l’avons fait.

À la rentrée scolaire, un bouchon s’est formé dans l’accès aux tests, et très vite, comme nous l’avons constaté grâce à nos indicateurs de suivi des remises de résultat. Les délais se sont allongés subitement. Les causes en sont connues. Beaucoup de personnes retrouvaient le chemin du travail et voulaient être testées avant de regagner leur entreprise. D’autres voulaient l’être avant de rentrer à l’université. D’autres encore continuaient à se déplacer dans des pays où un test était exigé. Toutes ces situations ont conduit à une massification de la demande de tests.

Mais la France n’a pas fait exception. Ce phénomène s’est observé partout, et les rares pays qui testaient davantage que nous, ont rencontré les mêmes difficultés. La Grande-Bretagne a ainsi dû envoyer des camions de tests de prélèvements PCR jusqu’en Italie pour pouvoir rattraper le retard pris ! D’autres pays, comme l’Allemagne, ont également enregistré des retards.

Je ne dis pas que cette situation était acceptable, mais qu’il n’existait à ce moment-là aucune façon de procéder différemment, aucune solution alternative. Les tests antigéniques constitueront clairement une aide, car s’il survient de nouveau une très forte concentration de population voulant se faire tester, ils réduiront significativement les délais. Quoi qu’il en soit, au cours des mois de septembre et octobre, nous avons non seulement augmenté la capacité de tests et le nombre de tests réalisés, mais aussi fait chuter rapidement les délais.

Monsieur le rapporteur, vous tirez une conclusion sur laquelle j’émets des réserves. Vous affirmez que c’est parce qu’il y a eu des retards et que la vague épidémique s’est développée. Je pourrais au contraire vous montrer que les courbes ont connu une ascension beaucoup plus importante après que les délais de test ont baissé, lorsque tout le monde a pu se faire tester dans de bonnes conditions. Il n’y a donc pas forcément de corrélation.

D’ailleurs, les pays qui n’ont pas rencontré à ce moment-là de difficultés dans l’accès aux tests ont connu aussi un départ épidémique, je pense par exemple à l’Italie, qui a vu l’épidémie repartir il y a moins d’un mois et qui n’était pas en difficulté pour tester, ou bien à la Suisse, un modèle en matière de testing et de contact tracing, et qui a enregistré en quelques jours une flambée de nouveaux cas.

Encore une fois, l’accès aux tests est un outil de lutte important contre l’épidémie, mais n’allons pas croire une seconde qu’il y aurait une solution matérielle humaine capable à elle seule d’éviter un départ épidémique quand le virus recommence à circuler et que les conditions de sa circulation sont réunies.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le ministre, je ne reviens pas sur le feuilleton polémique des masques ni sur la question de l’ÉPRUS, sur laquelle vous connaissez ma position.

Avez-vous répondu favorablement à la proposition de la Fédération de l’hospitalisation privée de fournir environ quatre mille lits de réanimation et leurs soignants pour pouvoir compléter l’ensemble public ?

Ma deuxième question a trait à la surmortalité invisible qui est occultée par le covid-19, due au cancer ou aux maladies cardiovasculaires. Comme j’ai pu le constater dans ma ville, des certificats de décès de personnes très âgées ont été établis avec la mention « covid-19 », alors que ces patients ne l’ont jamais contracté. On ignore pourquoi les médecins y ont porté cette inscription. J’ai posé la question au professeur Salomon, qui m’a dit qu’il regardait cela en détail. Avez-vous des éclairages à nous apporter sur ce point ?

Un pays d’Europe a obtenu des résultats très positifs en testant plus de la moitié de sa population : il a enregistré très peu de décès et de contaminations ; c’est la Finlande. Faut-il augmenter encore la cible de la campagne de dépistage en visant 50 % de notre population ? Je pense pour ma part que ce serait nécessaire.

Par ailleurs, j’ai voulu faire procéder à des tests antigéniques dans un centre communal d’action sociale (CCAS) où un cas positif avait été détecté. L’ARS a refusé et demandé que soient pratiqués des tests PCR, ce qui est de nature à interrompre le fonctionnement du CCAS.

Enfin, je vous pose une question que j’avais déjà adressée à M. Édouard Philippe. Que pouvez-vous répondre au rapport critique du général Lizurey, au rapport de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, enfin au livre de l’un de vos prédécesseurs au ministère de la santé sur la gestion de la crise, je veux parler de M. Philippe Douste-Blazy ?

M. Boris Vallaud. L’objet de la mission d’information est d’évaluer l’action du Gouvernement pour comprendre ce qui s’est passé et pour en tirer les conclusions utiles. C’est là notre devoir, et c’est la réalité. Je sais que vous êtes prêt à l’entendre. Ce travail est d’autant plus nécessaire que, comme vous l’avez vous-même rappelé, l’éventualité d’une deuxième vague était connue depuis le mois de juin et qu’un récent rapport du Conseil scientifique évoque même la possibilité d’une troisième vague – et pourquoi pas d’autres encore.

Vous nous avez appelés à l’humilité dans cette situation compliquée et inédite, ce qui n’interdit pas d’être exigeant pour comprendre ce qui s’est passé, surtout en plein cœur d’une seconde vague dont on nous dit qu’elle sera plus importante que la première.

Pour approfondir quelques questions que notre rapporteur vous a déjà posées à ce sujet, je voudrais revenir sur la stratégie des tests, dont on sait qu’elle sera essentielle au moment du déconfinement.

La stratégie « tester, tracer, isoler », le Conseil scientifique en a parlé comme d’un relatif échec. D’autres ont été plus sévères encore, comme Dominique Costagliola, qui a évoqué un déconfinement raté. Ne pensez-vous pas que la décision prise fin juillet de permettre l’accès de tous aux tests sans ordonnance a conduit à court-circuiter les professionnels de ville, à saturer les laboratoires, à allonger considérablement les délais et, en définitive, à paralyser la stratégie prescrite par l’OMS ?

Vous avez dit qu’il n’y avait pas de corrélation entre l’embolie et le départ de l’épidémie. Du coup, on se demande si vous avez une explication sur le départ épidémique.

Enfin, n’a-t-on pas manqué, lors de la massification des tests, d’une stratégie politique s’agissant de la priorisation, des délais de restitution des résultats, de l’utilité opérationnelle en vue du contrôle de l’épidémie ?

Par ailleurs, n’avons-nous pas manqué d’outils pour prendre la mesure de ce que pourrait être la deuxième vague ?

Le 14 juillet dernier, le Président de la République avait indiqué que la France était prête pour une deuxième vague. Le Premier ministre avait lui-même déclaré fin août qu’il n’y avait pas de quoi s’affoler face à la pandémie. Pourtant, le Conseil scientifique faisait à ce moment-là des points de situation inquiétants et appelait à des décisions difficiles. Cependant, dans sa conférence de presse du 15 septembre, le Premier ministre n’a pas pris de mesures. Les mesures sont venues ensuite. N’avons-nous pas pris du retard, comme l’a laissé entendre Éric Ciotti ?

À propos de la préparation de cette deuxième vague, le Conseil scientifique dit qu’il regrette que le plan de prévention et de réduction des risques s’agissant de la protection des personnes à risque n’ait pas été suffisamment mis en œuvre pendant l’été. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions ? N’avons-nous pas mis fin trop rapidement au recours systématique au télétravail, y compris dans l’administration ? S’agissant des écoles, le protocole sanitaire de la rentrée n’a-t-il pas été excessivement allégé par rapport à celui qui avait été mis en œuvre au moment du déconfinement ?

Enfin, deux questions connexes. D’une part, quelles conclusions tirez-vous du rapport Lizurey concernant la chaîne de commandement, le caractère insuffisamment interministériel du centre interministériel de crise (CIC), les insuffisances de partage de l’information ? Tous ces obstacles ont-ils été surmontés de manière à gérer la seconde vague ?

D’autre part, c’est là une préoccupation qui nous est commune, des soins dont l’absence est lourde de conséquences sanitaires ont été différés à cause du covid, je pense aux maladies chroniques ou au cancer. Comment prenez-vous en compte dans cette deuxième vague ce qui a été constaté dans ce domaine au cours de la première ?

M. Damien Abad. Ma première question porte sur les lits de réanimation. Nous avons besoin de comprendre comment l’on passe de deux mille à sept mille, puis de sept mille à douze mille. Cela signifie-t-il des déprogrammations, et, le cas échéant, dans quelles proportions ? Quelle est notre capacité maximale en lits de réanimation, compte tenu de la mobilisation du personnel soignant ? S’établit-elle à quatorze mille ? Nous avons besoin de clarté sur cette question extrêmement sensible touchant un indicateur regardé de très près.

Ma deuxième question porte sur les tests antigéniques. On peine à comprendre pourquoi ils ont été si longs à déployer. Par ailleurs, demain, n’importe qui pourra-t-il accéder partout et sans délai à ces tests rapides ?

Une troisième question, sur le recours au 15. Nous avons eu l’impression que ce service avait été engorgé au cours de la première vague et que le médecin généraliste avait été quelque peu oublié dans le dispositif d’urgence. Avez-vous des regrets à ce sujet ? Envisagez-vous de continuer à tout centraliser sur le 15 ?

Une dernière question, qui est d’actualité. Il se dit que le nouveau confinement pourrait être durci. Selon vous, un tel durcissement devrait-il passer par un couvre-feu dans certaines zones comme à Paris et en Île-de-France, par la fermeture des lycées, ou par une autre mesure prioritaire ?

M. Olivier Véran. Concernant la mobilisation du secteur privé, je l’ai dit, il y a eu un retard à l’allumage dans certains territoires et dans certains établissements privés, du fait non pas des établissements eux-mêmes, mais des décisions qui avaient été prises. Vous avez auditionné l’ancien directeur général d’une ARS qui a pu vous éclairer sur la façon dont les choses ont été entreprises en région.

Je ne comprenais pas la persistance d’une polémique sur la faible mobilisation du secteur privé alors même que l’ensemble des indicateurs et des témoignages de terrain dont je disposais à l’époque me disaient le contraire. Mais je suis un pragmatique, monsieur le député Door. J’ai donc appelé le président de la Fédération de l’hospitalisation privée, M. Lamine Gharbi, que vous avez d’ailleurs auditionné, me semble-t-il. Il a fini par se fendre d’un communiqué de presse pour expliquer que le secteur privé était pleinement mobilisé.

Vous me demandez donc de commenter des tweets et des commentaires qui ont été publiés par les uns et par les autres – appartenant rarement à la majorité – pour critiquer à un moment donné de l’épidémie une situation qui n’était constatée ni par les appareils d’État, ni par les ARS, ni par les acteurs eux-mêmes, ni publics ni privés, dans les territoires !

Entre le début et la fin du mois d’avril, nous sommes passés de 10 % à 19 % de patients covid hospitalisés dans les établissements de santé du secteur privé non lucratif – les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) –, de 9 % à 14 % dans les établissements du secteur lucratif et de 80 % à 76 % dans les établissements du secteur public. Le secteur privé a donc pris sa part de l’effort à due proportion.

Concernant la deuxième vague, je me suis rendu il y a dix jours à Antony, dans une clinique du groupe Ramsay. Son directeur m’a présenté les chiffres de participation des établissements de son groupe à l’effort de guerre dans la prise en charge des malades du covid. Tout le monde est mobilisé !

Je n’ai jamais compris l’origine de cette polémique : au même moment, nous organisions des évacuations sanitaires par TGV médicalisés, par avion, par bateau, parfois même à l’étranger pour y trouver des places de réanimation. Je n’ai jamais compris non plus l’intérêt que nous aurions pu avoir à laisser de côté des lits de réanimation en raison du statut privé des établissements.

J’en viens à la surmortalité invisible, ce qui me donne l’occasion de tordre le cou à une fake news qui circule sur Facebook et Twitter, selon laquelle nous donnerions 5 000 euros de prime à un hôpital s’il déclarait qu’un patient était décédé du covid. Je veux bien essayer de tout comprendre, mais certaines choses dépassent l’entendement – je trouve cela insultant, pour les soignants, pour les médecins, pour les équipes, pour les familles de malades et les malades eux-mêmes.

Notre pays est pollué par de fausses informations, qui peuvent aller jusqu’à dire que l’épidémie n’existe pas et qu’elle n’a jamais existé. Parfois, ceux qui disaient il y a trois semaines ou un mois que la deuxième vague n’existait pas et que tout était faux sont les mêmes qui disent aujourd’hui que le Gouvernement n’a rien préparé et que le pays est submergé. Soyons vigilants collectivement. Je m’adresse à des représentants de la nation et je sais que vous l’êtes. Il va nous falloir travailler sur ce sujet. En période de crise, épidémique ou d’autre nature, ce genre de diffusion de fausses informations relève presque de la haute trahison. Franchement, cela est très grave, au moment où la nation doit être soudée ! C’est une fake news.

Quand une épidémie a été identifiée dans un EHPAD et qu’un décès a eu lieu avec suspicion de covid, nous ne réalisions pas de test PCR post mortem. Si le décès est lié à une autre cause, comme un cancer ou une autre pathologie, sans suspicion de covid, il n’est pas indiqué que la personne soit morte du covid.

Monsieur le député, voyez les données de l’INSEE sur la surmortalité au cours de la première vague. Ces données sont publiées et transparentes. Quand nous les comparons avec les données de l’année 2019 ou celles de l’année précédente, nous constatons entre 20 000 et 30 000 morts supplémentaires ; or nous avons déclaré 30 000 morts du covid. Je reconnais la qualité des données et des chiffres publiés. À la même époque, avant que les données ne soient publiées, une autre rumeur laissait entendre que 10 000 morts à domicile n’étaient pas comptabilisés et que nous avions minimisé le nombre de décès. Une fois que l’on s’est rendu compte que nous n’avions pas minimisé le nombre de morts, l’on nous a demandé si nous n’avions pas exagéré ce nombre. Ainsi va la vie. Les chiffres sont transparents ; ils sont publiés par l’INSEE, non par le ministère.

Concernant les pays qui connaissent peu de cas, vous citez la Finlande. Je peux vous en citer d’autres, comme la Grèce ou le Portugal, au cours de la première vague. Le Portugal et la Grèce sont-ils dotés d’un système sanitaire et d’alerte sanitaire supérieur au nôtre, à celui des Anglais, des Italiens, des Espagnols, des Américains, des Australiens, des Japonais, des Israéliens ? Je ne le crois pas.

En revanche, pourquoi certains pays ont-ils connu des épidémies graves et d’autres pas du tout ? Nous en avons discuté avec le ministre allemand de la santé, qui est cerné de pays colorés en rouge, et qui lui-même fait face à une augmentation de la circulation du virus, mais de façon moindre que l’ensemble de ses voisins, dont les Suisses allemands, qui ne sont pas très éloignés des Allemands, les Néerlandais, les Belges, les Autrichiens et évidemment les Français.

Nous n’avons pas d’explication, monsieur le député. Probablement qu’avec du recul nous en disposerons. Sont-elles d’ordre stratégique ? Je ne le crois pas. Nos stratégies sont les mêmes que celles de nos voisins. Sont-elles d’ordre phylogénétique ? Sont-elles liées à une sensibilité particulière ? La densité urbaine est-elle différente ? Un grand nombre de chercheurs se penchent sur ces questions, à l’échelle nationale également. Pourquoi certains départements français ont-ils vu si peu de cas, contrairement à leurs voisins ? Pourquoi, au cours de la deuxième vague, constatons‑nous que l’épidémie est nettement moins importante dans l’ouest du pays, notamment en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine ? Je ne sais pas répondre à ces questions, et personne ne le sait.

Nous considérons que des conditions météorologiques ont pu entraîner une accélération de la vague épidémique au mois d’octobre, en France, en Belgique, en Suisse et en Italie, que la baisse des températures et la densification de l’air par des brumes et de l’humidité semblent propices à la circulation du virus. Nous tenons compte de ces données pour les semaines et les mois à venir, car les températures vont à nouveau se rafraîchir. Cependant, nous ne savons pas expliquer cette évolution.

Il est difficile de s’inspirer de stratégies quand les pays ont été peu touchés. Les pays scandinaves, de manière générale, ont été moins touchés, mais la Suède a payé un lourd tribut, avec une stratégie de gestion du virus différente. Elle a enregistré huit fois plus de morts que ses voisins, avec une chute du PIB identique – ce que l’on dit assez peu quand on évoque le modèle suédois.

Les tests antigéniques sont en cours de déploiement. Stratégies et recommandations apparaissent de toutes parts. M. Door, s’il y a un retard à l’allumage, j’examinerai bien volontiers votre situation particulière. Il m’arrive souvent d’appeler les uns et les autres en cas difficultés objectivées. C’est ainsi que l’on apprend aussi.

Je ne peux pas commenter le rapport Lizurey, car je ne l’ai pas lu. Les bonnes feuilles ont été publiées dans la presse. Il parle effectivement de communication interministérielle. Je n’ai pas d’éléments supplémentaires à vous livrer autres que ceux qui y figurent. Mais, quand le rapport évoque les sites de réunions interministérielles et les coordinations, nous étions à l’époque tous en visioconférence. Je ne comprends pas pourquoi l’on nous reproche que les réunions aient eu lieu au ministère de la santé et non pas dans un autre ministère, dans la mesure où tous les ministères – j’ai participé à plusieurs de ces réunions – étaient représentés en audio ou visioconférence, car nous étions tous confinés. Je prendrai connaissance de ce rapport. Je ne botte pas en touche, je ne l’ai simplement pas lu. Il en va ainsi, parfois, dans le fonctionnement des institutions : la presse peut obtenir le rapport avant le ministre concerné.

Quant au livre du grand auteur que vous avez évoqué, je ne l’ai pas lu, monsieur le député. Je me garderai donc bien d’avoir un avis sur le livre ou sur son auteur, et je ne suis pas sûr d’en avoir un jour.

Monsieur Vallaud, vous demandez si le confinement a été raté. Si en déconfinant le 11 mai, nous avions reconfiné le 11 juin ou le 11 juillet, je vous aurais dit que ce n’était peut-être pas le déconfinement qui était raté, mais que, dans tous les cas, nous serions vite passés d’un confinement à un reconfinement. Ce fut le cas dans certains pays, y compris dans des pays voisins, avec des reconfinements partiels. En l’occurrence, le déconfinement a eu lieu le 11 mai et le reconfinement le 30 octobre. Les Français ont pu retrouver une vie normale pendant plusieurs mois, notamment des activités professionnelles, le chemin de l’école, la rentrée scolaire. La deuxième vague est indépendante de la première. Quand le taux de positivité des tests s’élève à moins de 1 %, vous ne pouvez pas considérer que le couvercle n’était pas bien mis sur la marmite. Je l’avais dit : « Ce n’est plus le virus qui nous traque, c’est nous qui le traquons. »

Concernant la rentrée scolaire, je salue le travail réalisé par mes collègues, Jean‑Michel Blanquer et Frédérique Vidal. Il n’a pas été facile d’organiser le retour des enfants à l’école. D’autres pays ont fait le choix de ne pas permettre aux enfants d’y retourner dans de bonnes conditions, ou du moins dans des conditions normales. Je m’enorgueillis que la France ait décidé de sanctuariser son éducation et son école, comme nous le faisons d’ailleurs au cours de ce nouveau confinement. Pour les enfants, l’éducation est essentielle. La rentrée scolaire s’est passée dans de bonnes conditions et le ministre de l’éducation nationale a eu l’occasion, lors d’une conférence de presse, de dire publiquement le nombre de cas, de clusters, d’enseignants et d’élèves contaminés. Franchement, la rentrée scolaire s’est bien déroulée, monsieur le député.

La suppression d’une ordonnance pour pratiquer un test a-t-elle été problématique ? Cela a été moins problématique que compliqué. Le virus circulait à cette époque beaucoup moins, et notre capacité de tests dépassait largement le nombre de personnes qui souhaitaient se faire tester. Nous suivions alors une stratégie de tests massifs, y compris pour les personnes asymptomatiques, dans l’ensemble des milieux professionnels. La levée de l’ordonnance a été vue comme un moyen d’augmenter le nombre de tests réalisés, non pas pour le plaisir de réaliser des tests, mais pour dépister plus tôt un certain nombre de clusters. La levée de l’obligation de l’ordonnance a permis d’identifier des clusters et sans doute – il est difficile de l’affirmer, mais je le pense – d’éviter des départs de feu bien plus précoces que ceux que nous avons connus pendant l’été.

La logique de priorisation a été pensée dès le mois d’août, en Conseil de défense et de sécurité nationale; elle a été mise en place dans la douleur, au mois de septembre, quand tout le monde a été dépassé par l’afflux massif de Français qui voulaient se faire tester en même temps. Il nous a fallu accélérer son déploiement, lorsque des embouteillages ont été constatés dans l’accès aux tests. Je remercie les équipes pour leur mobilisation. Tous les barnums de tests des personnes asymptomatiques ont été réorientés vers les populations prioritaires.

Avons-nous manqué d’un outil dans la gestion du départ de la deuxième vague ? Je ne sais pas, mais nous devrons travailler collectivement sur la notion d’acceptabilité par les Français et par les élus des mesures de gestion nécessaires pour freiner la circulation du virus, quand nous aurons redéconfiné le pays. Quand elles ne sont pas acceptées ou comprises, les mesures ne sont ni respectées ni applicables et sont contre-productives.

La prise en charge des maladies chroniques au cours de la deuxième vague est une priorité absolue pour mon ministère : cancers, maladies chroniques, troubles psychologiques, qui sont importants dans la population. Il est fondamental que chacun puisse avoir accès aux soins dans de bonnes conditions. Une évolution de taille entre la première et la deuxième vague en matière d’offre de soins : la médecine libérale est pleinement active et dispose des équipements de protection. Nous avons appris et nous savons désormais – je réponds à la question de M. Abad – que nous ne sommes plus obligés de passer par le SAMU et l’hospitalisation systématique, et que nous pouvons nous appuyer davantage sur la médecine de ville et les infirmiers libéraux, sur les pharmaciens d’officine. Cela nous permet d’améliorer considérablement l’accès aux soins par rapport à la première vague, puisque chacun est libre, aujourd’hui, d’exercer son métier.

Par ailleurs, comme je l’ai fait pendant la première vague, j’ai autorisé certaines pratiques dérogatoires de la télémédecine, de la pratique de la consultation téléphonique à la rééducation de kinésithérapie par visioconsultation. Je me trouvais hier avec le président du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, qui me demandait d’autoriser, pendant la période, la consultation de dentistes, pour regarder des radios, faire des soins, donner des conseils. Je lui ai dit que je regarderais cela de très près. Nous faisons tout pour maintenir la prise en charge des malades au cours de cette période.

J’en viens aux questions du président Abad. 5100 lits de réanimation étaient disponibles avant la crise. En France, nous faisons la distinction entre un lit de réanimation, un lit de soins intensifs et un lit de soins continus. À l’étranger, comme en Allemagne, cette distinction n’existe pas. Tout lit est considéré comme « intensive care », soit « soins intensifs », et donc comme lit de réanimation. Nous avions 5 100 lits de réanimation, auxquels il faut ajouter, pour se placer dans un référentiel identique à celui des Allemands, entre 6 000 et 7 000 lits de soins intensifs et quasiment autant de lits de soins continus. Dès lors, vous obtenez un nombre de lits par habitant beaucoup plus proche du ratio de l’Allemagne.

La particularité d’un lit de réanimation est qu’un malade peut être intubé et ventilé en coma. Cela est beaucoup plus rare pour un lit de soins intensifs, car cela demande une équipe spécifique, composée d’un médecin réanimateur et d’une infirmière de réanimation, avec un ratio de soignants par malade important, afin d’assurer une bonne prise en charge.

Nous sommes passés stricto sensu de 5 100 lits en réanimation disponibles avant la crise à 5 800 lits après la crise. Cela représente une augmentation notable du nombre de lits en réanimation dans la durée, le tout dans l’urgence de l’été. Cette augmentation doit être notée, et nous devons saluer l’effort des soignants. On ne sort pas du chapeau un médecin réanimateur, un anesthésiste et une infirmière spécialisée. La semaine dernière, nous disposions de 6 400 lits de réanimation. Le palier pour la fin de semaine sera d’environ 7 700 lits, et le prochain palier envisagé pourrait s’élever à 10 500 lits de réanimation. Comment faisons-nous ? Comme pour la première vague, nous transformons des lits de soins intensifs en les équipant de respirateurs et en renforçant les personnels, pour transformer ces lits en lits de réanimation. Nous fermons des blocs opératoires en déprogrammant les opérations et les transformons, ainsi que les salles de réveil, en chambres de réanimation. C’est ainsi que nous avons réussi à atteindre 10 700 lits de réanimation armés et occupés au 15 avril dernier.

Cet effort sans précédent dans l’histoire de nos hôpitaux n’avait jamais été réalisé. Nous disposons du matériel nécessaire. Cependant, les ressources humaines posent de grandes difficultés. Nous l’avons dit et redit. Nous avons formé des milliers de soignants pour qu’ils puissent prêter main-forte, tout comme nous mobilisons des milliers d’étudiants en santé.

Par ailleurs, au cours de la première vague, un grand nombre de malades étaient concentrés sur quelques régions. D’autres régions étaient moins exposées, et des soignants ont pu se déplacer pour prêter main-forte à leurs collègues, notamment en région Grand Est. Dans cette deuxième vague, la carte épidémique est celle des métropoles. Il est extrêmement compliqué de demander à des hôpitaux qui subissent une pression épidémique de bien vouloir se départir d’une partie de leurs soignants pour qu’ils aillent aider dans une autre région.

C’est cependant le cas à Marseille. Depuis plusieurs semaines déjà, plusieurs dizaines de soignants sont parties du Grand Est pour aller aider leurs collègues. Nous les remercions. Nous devons gérer cette question des ressources humaines, qui constitue le point de tension principal. À moins que l’on m’explique – je le dis sans provocation – comment former des médecins réanimateurs en si peu de temps, je n’ai pas la possibilité de trouver sur le marché des réanimateurs qui seraient sans travail. Nous faisons vraiment tout ce qui est en notre pouvoir. En Nouvelle-Aquitaine, 300 aides-soignants se sont inscrits à Pôle Emploi en vue de changer de carrière. Ils ont été rappelés, et nous leur avons demandé de bien vouloir retarder leur changement de carrière et de revenir prêter main-forte. Nous innovons partout.

Lorsque nous déprogrammons des activités de soin, nous pouvons permettre aux personnels concernés de venir aider en réanimation. C’est aussi la raison pour laquelle nous déprogrammons des opérations. Lors de la première vague, j’ai déclenché le plan blanc national très tôt et très vite, pour vider les services de réanimation et équiper tous les lits de réanimation autant que cela était possible, pour renforcer les services, afin d’absorber la vague, dont la trajectoire était alors très verticale. Le virus, désormais, circule un peu moins vite qu’au printemps, sa trajectoire est un peu moins verticale, ce qui nous permet de réaliser du travail à façon, hôpital par hôpital. L’hôpital déprogramme des soins au fur et à mesure que les lits de réanimation se remplissent, de manière à ne pas déprogrammer inutilement des soins importants pour d’autres malades que les malades du coronavirus.

Monsieur Abad, la question m’est posée jour après jour : « Pourquoi ne disposons-nous que de 6 400 lits de réanimation armés, alors que l’on avait dit que nous pourrions en disposer de 10 000 ou 12 000, voire plus ? » Nous disposons du nombre de lits de réanimation nécessaires, à une date donnée, par rapport au nombre de malades. Disposer de 10 000 lits de réanimation pour 6 400 patients n’aurait aucun sens, puisque cela signifierait que 3 000 malades hors covid ne seraient pas soignés. Nous libérons les lits de manière plus progressive. Nous organisons aussi des transferts sanitaires. La région Auvergne-Rhône-Alpes est la plus sensible en matière de saturation des services de réanimation. Les modélisations indiquent que d’ici à quelques jours la saturation sera complète. Nous réalisons huit évacuations sanitaires par jour depuis cette région, pour anticiper et garder des places libres pour de nouveaux malades.

Nous ne devons plus raisonner en termes de lits de réanimation. Certains patients font des syndromes de détresse respiratoire aiguë, qui relève non pas d’une intubation, mais d’une oxygénation à 50 litres par minute par voie nasale. J’ai vu ce type de patients en service de réanimation ou de soins intensifs, en fonction des places disponibles. Parfois, les médecins aiment garder près d’eux les malades sous Optiflow, en réanimation, car leur état de santé peut s’aggraver assez vite, et il faut pouvoir les intuber rapidement pour éviter l’étouffement. Il arrive aussi que leur état de santé soit suffisamment stable pour qu’ils restent dans un service de soins intensifs, qui n’est pas armé comme un service de réanimation. Si cela est nécessaire, le malade est envoyé dans le service voisin, il est intubé et hospitalisé en réanimation. Comment considérer le patient sous Optiflow en soins intensifs ? Est-ce un lit de réanimation ? Cela n’a pas de sens. Il nous faut plutôt envisager les statistiques en termes de patients en état grave pris en charge dans nos hôpitaux. Nous ne devons pas fonctionner en termes de structure mais en termes de besoins. Notre objectif est de faire en sorte que tous les besoins de soins des malades graves du covid soient satisfaits.

Concernant l’accès aux tests antigéniques, mon sentiment personnel – je suis sous serment, et je pense qu’un sentiment personnel ne m’engage pas devant la Cour de justice – est que ces tests vont fonctionner. Nous allons en déployer un grand nombre, dans les pharmacies et par l’intermédiaire des médecins et des infirmiers. Ils participeront de l’offre de tests. Certains pays les ont déjà développés. De notre côté, nous les proposons au sein des aéroports et dans des barnums ad hoc. Ce dispositif fonctionne bien. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a déjà pu bénéficier d’un test antigénique ; ils sont réalisés vite et bien.

M. Damien Abad. Les autotests existent-ils ?

M. Olivier Véran. Les autotests n’existent pas encore. Il est possible de s’autotester en prélèvement nasopharyngé, quand on connaît le geste ; sinon, il est déconseillé de réaliser ce type de test.

J’en viens à un point important. Peut-être qu’en cas de dilemmes, il serait utile de les exposer et de montrer quelles sont nos réflexions. Imaginez que demain – ce n’est pas encore le cas – des tests salivaires fonctionnent. S’il suffit de cracher sur un bâtonnet, de mettre deux gouttes sous un lecteur et de regarder si un trait apparaît, à la manière d’un test de grossesse, nous devrions être en mesure de proposer de tels tests, n’est-ce pas ? Vous les trouveriez formidables, dans la mesure où ils permettraient à tout le monde de se tester. Mais imaginons que vous réalisiez un test salivaire à la maison et qu’il soit positif. Comment le ministre de la santé, Santé publique France, l’ARS et tous les statisticiens, qui nous permettent de savoir si nous sommes en phase de reprise épidémique ou non, seraient au courant que vous êtes positif ? Allons-nous vous demander de vous déclarer sur un site ad hoc ? Ce n’est pas simple. L’autotest peut être le meilleur moyen de perdre la trace de la contamination et, partant, de la chaîne épidémique.

Le jour où les autotests seront disponibles, des parlementaires me demanderont sans doute, de manière très légitime et dans des termes amènes, pourquoi je n’en ai toujours pas déployé. Nous sommes en train de travailler pour faire en sorte que le déploiement des autotests salivaires reste compatible avec la possibilité de tracer les malades, sans quoi nous ne pourrions plus piloter la gestion de la crise. J’ai une quinzaine de décisions comme celles-ci à prendre par jour ! Au minimum ! Si j’exposais nos réflexions avant que nous ne prenions les décisions, peut-être que les solutions seraient mieux comprises et acceptées. Dans tous les cas, je vous rassure : nous trouvons des solutions, mais cela peut prendre un peu de temps.

J’en viens enfin aux mesures de durcissement du confinement. Vous ne m’interrogez pas sur la gestion de la crise, mais sur un avenir. Étant sous serment, je me permettrai de botter en touche sur cette question, qui a trait à des discussions qui ne relèvent pas de votre commission d’enquête. Néanmoins, j’espère sincèrement que le confinement sous sa forme actuelle nous permettra d’enrayer l’épidémie et de ne pas avoir à nous poser la question.

M. Bertrand Pancher. L’adhésion de nos concitoyens aux décisions est essentielle, vous venez de le rappeler. Faute de quoi, les mesures ne sont pas acceptées, et nous ne pouvons pas nous résoudre à n’imposer que des obligations et des contraintes. Si tel était le cas, nous ne pourrions d’ailleurs pas surveiller le comportement des Français et des Françaises, y compris chez eux. Le professeur Delfraissy, président du Conseil scientifique a appelé notre attention sur la nécessité absolue de faire comprendre et accepter les décisions sanitaires attentatoires aux libertés fondamentales. Vous avez souvent consulté les élus locaux et nationaux, les représentants des organisations représentatives des professionnels de santé, des entreprises et des salariés, mais souvent après que les décisions ont été prises ; or ces décisions sont souvent incomprises et rejetées. Ma question est très simple : avez-vous tiré des enseignements de la crise dans ce domaine, notamment afin d’améliorer les processus de décision ? Si tel est le cas, quelles recommandations avez-vous faites et à qui ?

M. Olivier Becht. Je souhaiterais revenir avec vous sur la stratégie pour sortir de la deuxième vague et éviter que nous nous retrouvions dans la même situation, d’ici à quelques mois, face à une potentielle troisième vague.

Premièrement, quelle est votre opinion sur l’éventualité d’un vaccin, sur son efficacité et sur sa capacité à être disponible et protecteur à long terme ? Sera-t-il acceptable par une part suffisante de la population pour la protéger dans son ensemble ?

Deuxièmement, si le vaccin ne devait pas être disponible ou pas suffisamment protecteur sur une échelle suffisamment vaste de la population, quelles mesures envisageriez‑vous pour assurer une bonne prévention et éviter de nouvelles vagues de contamination massive ? Quelles adaptations des comportements et des techniques seraient nécessaires ?

Troisièmement, peut‑on envisager de sanctionner les personnes positives au covid ainsi que les cas contacts qui ne respecteraient pas l’isolement ? Dans la plupart des pays voisins des amendes dissuasives existent, allant de 5 000 euros à 600 000 euros en Espagne. Certes, elles ne règlent pas la situation, car certains de nos voisins sont dans des situations épidémiques aussi graves que la nôtre. Peut-on cependant envisager, en France, des sanctions pour celles et ceux qui ne respecteraient pas l’isolement et qui seraient positifs au covid ou cas contacts ?

M. Olivier Véran. La question de la contrainte à la mise à l’abri n’est pas facile. Nous nous sommes posé cette question. J’en parle au passé, mais elle peut aussi se poser à l’avenir. Dans l’histoire contemporaine de notre pays, cela n’a jamais été fait, y compris pour des maladies extrêmement contagieuses comme la tuberculose. Nous demandons et recommandons aux personnes de s’isoler, mais nous n’avons pas de mesures de sanction et de contrainte. Depuis le début, nous avons fait le choix de la confiance et de la responsabilisation des Français. Ce choix a été gagnant pendant le confinement, que les Français ont formidablement respecté, au-delà de mes attentes personnelles.

Le choix de la confiance est allé de pair avec un accompagnement des personnes isolées parce qu’elles étaient positives ou cas contacts. Il en va toujours ainsi. Quand une personne est appelée par l’ARS ou l’assurance maladie, des services lui sont proposés, lorsqu’elle est seule, pour faire ses courses ou être hébergée dans de bonnes conditions. Si le choix de la confiance devait être remis en question dans la perspective d’une troisième vague – je réponds ainsi au président Pancher –, ce débat pourrait justifier une intervention parlementaire.

Je vous demande souvent de nous faire des propositions. Si vous ne souhaitez pas telle mesure, que proposez-vous pour plus protéger ? Pourquoi ne pas tenir un débat parlementaire sur cette question ? Ce débat toucherait au cœur de notre rapport aux libertés fondamentales et aux libertés publiques. Vu la situation que nous vivons et que nous connaissons, ce débat mérite sans doute de se tenir dans des conditions démocratiques.

Concernant les vaccins, des États membres de l’Union européenne ont donné mandat de négociation le 16 juin à la Commission européenne pour conclure des accords de précommande avec des laboratoires qui portent des projets de vaccin covid-19 prometteurs. Trois accords ont été signés : le 27 août avec AstraZeneca, projet de recherche développé par l’université d’Oxford, le 18 septembre avec Sanofi et GSK, et le 8 octobre avec Janssen et Johnson & Johnson. Des échanges sont en cours avec les autres candidats au vaccin. Notre objectif est d’identifier un vaccin sur-efficace et de sécuriser une mise à disposition sûre du vaccin pour le monde. Quant à la date, je ne sais pas. Pour pouvoir vous répondre, il me faudrait avoir accès aux données scientifiques, et il faudrait que l’Agence européenne des médicaments (EMA) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) puissent examiner ces données pour nous dire si tel ou tel vaccin présente les critères de qualité et de sécurité requis. Certains de mes homologues me disent qu’ils se tiennent prêts, peut-être pour janvier. J’aimerais pouvoir vous répondre plus précisément, monsieur le député. Personne ne sait : tant que l’étude de phase trois en population réelle n’est pas terminée et que les données n’ont pas été publiées, ma réponse ne serait qu’un pronostic. Comme vous le savez, je me refuse systématiquement à en faire.

Le chantier est immense. Je pourrais vous décrire la logistique à venir en matière de campagne vaccinale. Nous sommes mobilisés au sein du ministère, avant même l’arrivée du vaccin. Président Becht, vous avez très justement parlé de l’acceptabilité des mesures par la population, alors qu’une partie des Français est vaccino-sceptique. La question logistique sera très dépendante de la nature du vaccin. Un vaccin pourrait arriver bientôt, qui devrait être conservé à moins 60 ou moins 80 degrés. À moins 80 degrés, la vaccination dans un cabinet médical ou dans un gymnase est impossible. Des camions frigorifiques, des sites de stockage et d’accueil pour les patients sont nécessaires. Imaginez le travail titanesque que cela représenterait ! Nous ne réinventons pas l’eau chaude. Nous nous concertons avec nos voisins allemands et anglais, pour identifier les meilleurs moyens de fonctionner. Un énorme chantier nous attend. La vaccination de la population ne se fera pas d’un claquement de doigts. Le Président de la République a rappelé qu’il souhaitait un vaccin pour l’été.

Je crois fondamentalement en la science, en sa capacité à produire des résultats et à identifier un vaccin. Ne m’en veuillez pas de refuser de me projeter dans un environnement dans lequel le virus continuerait de circuler et où nous serions dans l’incapacité de créer un vaccin, d’autant plus qu’un grand nombre de laboratoires travaillent sur des vaccinations différentes. Je suis résolument optimiste sur notre capacité à disposer d’un vaccin un jour prochain. Je ne choisis pas le scénario du pire.

Mme Bénédicte Taurine. Ma collègue Caroline Fiat ne pouvant malheureusement pas être présente, je vous poserai ses questions. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si, le 16 février dernier, Mme Agnès Buzyn vous a effectivement dit que, au regard du contexte sanitaire, les élections municipales ne devaient pas avoir lieu ? Vous a-t-elle aussi parlé du fameux « tsunami », comme elle l’a déclaré au Monde ?

Santé publique France a adressé un courrier à la direction générale de la santé (DGS) en septembre 2018, informant de la péremption du stock de masques et recommandant d’en racheter un milliard. Nous souhaiterions savoir si vous connaissiez l’état exact du stock de masques au moment de votre prise de fonction. Pendant plusieurs semaines vous avez répété que nous disposions de masques, alors que tout le monde vous alertait du contraire. Pouvez-vous nous dire qui est responsable de ce mensonge ? Qui vous faisait dire que nous disposions de masques ? Connaissiez-vous au jour le jour les stocks des équipements de protection individuelle (EPI) ? Comment nos soignants ont‑ils pu finir en surblouse sac-poubelle ?

Santé publique France vous a aussi alerté le 12 mars 2020 : « L’impact [du covid-19] sera substantiel et supérieur, voire très supérieur à celui de la grippe saisonnière, en particulier du fait des capacités françaises en lits de réanimation […]. Ces projections justifient d’une part de fortes mesures d’atténuation afin de limiter la pression sur le système de santé et d’autre part de préparation opérationnelle et d’organisation du système de soin. » Nous constatons que la décision du confinement à partir du 17 mars constitue la principale mesure d’atténuation, et que celle-ci a fonctionné. Concernant la préparation opérationnelle et l’organisation du système de santé, pouvez-vous nous dire quelles ont été les mesures engagées lors de la première vague pour rouvrir les lits fermés ces dernières années ?

Enfin, avez-vous essayé d’adopter une stratégie pour rendre pérenne l’organisation du système de soin en réanimation, dans ce contexte ?

M. Nicolas Démoulin. Monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur les risques et les modes de transmission de ce virus. Vous avez parlé d’acceptabilité et de compréhension. Un sujet revient très souvent depuis la première vague, celui des Français qui vont tous les jours au travail et utilisent les transports en commun. Ils s’étonnent des risques encourus, les acceptent, mais ne les comprennent pas forcément, par exemple par rapport à l’ouverture d’un restaurant. Pour ce type de décision, vous appuyez-vous sur des études, même si nous savons que beaucoup d’informations nous manquent encore pour comprendre ce virus ?

Concernant les vaccins, ne serait-il pas temps de mutualiser les recherches ? Près de 200 laboratoires dans le monde sont en train de mener ce type de recherches, notre planche de salut pour sortir de cette crise. Est-il utopique de penser que des laboratoires pourraient travailler en synergie, associer leurs équipes et leurs savoir-faire, peut‑être pas au niveau mondial, mais au moins au niveau européen ?

M. Olivier Véran. Madame Taurine, j’imagine que vous faites allusion à la passation de pouvoir entre Mme Buzyn et moi-même, lorsque vous évoquez la date du 16 février – il s’agit peut-être du 17 février au matin. Nous avons abordé un certain nombre de dossiers relatifs au fonctionnement du ministère des solidarités et de la santé et ses grands enjeux. Nous avons évidemment abordé la question de l’épidémie de covid-19. Nous y avons tous deux fait allusion dans nos discours respectifs de passation de pouvoir.

Les discussions que nous avons eues portaient sur l’organisation des structures, à la fois nationale et décentralisée, pour lutter contre l’épidémie. Par ailleurs, je ne découvrais pas le virus, madame Taurine : non seulement je suivais la question de près, en tant que parlementaire médecin, mais aussi, comme député de Grenoble, j’étais, quelques jours avant d’être nommé ministre, et bien loin de savoir que j’allais l’être, au CHU de Grenoble pour accompagner Mme Buzyn. Nous nous sommes rendus dans un service de maladies infectieuses, où étaient hospitalisés un père anglais et ses deux enfants, contaminés à Contamines-Montjoie. J’avais rencontré les équipes médicales et m’étais intéressé à cette question aux enjeux essentiels. Nous n’avons pas évoqué les élections municipales ni le terme que vous avez employé. Néanmoins, nous avons accordé le plus grand sérieux à la question du risque épidémique, tant et si bien que mon premier déplacement, le soir même du jour de ma prise de fonction, a eu lieu à l’hôpital Bichat, à la rencontre du directeur de l’AP‑HP, du directeur de l’ARS, des équipes de médecins infectiologues et réanimateurs. J’ai rencontré la fille du premier patient décédé en France, le fameux patient chinois, qui était en phase de guérison. Cette préoccupation a été constante et immédiate, dès ma prise de fonction.

Concernant les stocks de masques, j’étais évidemment informé lors de ma prise de fonction de l’état des stocks, puisque les chiffres avaient été donnés à Agnès Buzyn avant son départ, à savoir 117 millions de masques adultes non périmés et une absence de stocks stratégiques de masques FFP2. J’ai communiqué très régulièrement sur l’état de ces stocks, notamment puisque nous déstockions des masques à destination des professionnels de santé. Chaque conférence de presse faisait l’objet d’un rappel des chiffres à date.

Sur la gestion des masques ces dix dernières années, je ne peux rien vous dire. Premièrement, je ne dispose pas de tous les éléments qui permettraient de répondre. Deuxièmement, il appartient à ceux qui étaient en charge sur la période de répondre et d’expliciter leurs choix et leurs décisions. La mission d’information a eu l’occasion d’entendre l’ensemble de mes prédécesseurs. En revanche, je partage votre souhait de faire la lumière sur les processus qui ont conduit à cette situation. Vous pouvez compter sur ma participation et sur celle de mes services ministériels.

Sur l’augmentation et la préparation des services de réanimation, je pense avoir longuement répondu, chiffres à l’appui, sur nos actions au cours de la première vague, et sur les dispositifs que nous mettons en place, jour après jour, dans les hôpitaux.

Monsieur Démoulin, vous souhaitez savoir pourquoi nous fermons les restaurants et laissons ouverts les transports en commun. Les différences sont nombreuses. Dans un restaurant, nous enlevons le masque lorsque nous mangeons, et nous retrouvons avec d’autres personnes, en milieu fermé, sans masque alors que dans les transports en commun, le port du masque est obligatoire tout le long du trajet. Des données et des études tendent à montrer que le risque de contamination n’est pas négligeable. Nous sommes dans une démarche empirique, puisque nous apprenons de l’expérience et de l’observation. J’ai cité hier soir, dans l’hémicycle, l’exemple québécois, où, grâce à la fermeture des bars et des cafés, une stabilisation de l’épidémie a été constatée. Cet argument s’ajoute aux nombreuses études publiées sur le sujet en Europe et aux États-Unis.

Les transports en commun sont fondamentaux pour le fonctionnement de notre pays. Si nous les supprimons en Île-de-France, comment pourrions‑nous permettre aux habitants des petite et grande couronnes de travailler à Paris, et vice‑versa ? Nous souhaitons préserver la dynamique de l’emploi et de l’éducation. Nous menons une politique de réduction des risques, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas, sans paralyser le pays. Nous avons fait le choix de maintenir l’éducation pour les enfants, le travail pour les Français, les achats absolument indispensables au quotidien. Pour le reste, nous demandons aux Français de rester chez eux. Pour faire leurs achats, travailler et emmener leurs enfants à l’école, un grand nombre de Français utilisent les transports en commun, raison pour laquelle nous les maintenons. Nous ne constatons pas d’explosion de clusters dans les transports en commun. Les études en cours ne permettent pas d’identifier un risque plus élevé. Cependant, ce n’est pas parce que le risque n’est pas identifié qu’il n’existe pas. Par exemple, le président Mélenchon avait dit que la plupart des clusters étaient liés au travail : factuellement, cela est vrai, mais cela ne rend pas compte de la situation épidémique, puisque les clusters constituent une part infime des contaminations. Il existe un énorme biais dans la manière dont on peut déterminer l’origine de la contamination. Une étude très intéressante est actuellement menée par le professeur Fontanet, qui permet une analyse rétrospective assez fine des conditions de contamination dans un certain nombre de cas.

La coordination des résultats de la recherche est évidemment nécessaire, pour évaluer les solutions efficaces. La production industrielle devra aussi être coordonnée ; toutes les chaînes de production devront se concentrer sur les vaccins qui fonctionnent. Cependant, il nous faut aussi diversifier la recherche. Pour dix vaccins en cours d’étude, je ne sais pas combien seront efficaces et sûrs. Quatre grandes modalités de vaccination, très différentes, sont en cours d’étude. Le moment venu, toutes les forces devront être concentrées pour produire des vaccins en milliards d’exemplaires ! Le temps de production des vaccins sera forcément long.

Mme Annaïg Le Meur. Monsieur le ministre, vous avez dit que le confinement avait été très bien respecté. Nous partageons tous cet avis. Cependant, il semblerait que les jeunes aient plus de mal à s’accommoder aux restrictions nécessaires, face à la nouvelle aggravation de la situation sanitaire. En matière de communication et de pédagogie, comment pourrait‑on les aider à prendre conscience qu’ils font partie des chaînes de contamination, et que la probabilité qu’ils rencontrent des personnes atteintes de formes minimes, voire asymptomatiques du coronavirus, est très grande, étant donné leur jeune âge, et ce sans même qu’ils s’en aperçoivent ? Comment le Gouvernement intègre‑t‑il notre jeunesse dans la prise de conscience des dangers du coronavirus et la lutte contre le virus ?

Par ailleurs, il semblerait que les 16-25 ans soient très touchés. Disposons-nous de données qui pourraient aider à une meilleure prévention, par exemple dans les universités, qui enseignent toujours en distanciel ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Monsieur le ministre, en tant que médecin biologiste, je ne peux qu’être d’accord et rappeler l’importance de déployer des tests antigéniques très rapidement. La commande de 5 millions est certes nécessaire, mais encore insuffisante, notamment pour les EHPAD. Dans mon département des Vosges, les EHPAD ont déjà utilisé tous leurs tests antigéniques, et n’en ont plus. Il est important de les réapprovisionner et de permettre ces dépistages au niveau de la population, en dehors des cas que vous avez cités – EHPAD, personnels soignants, universités, aéroports –, pour soulager les laboratoires qui sont de nouveau saturés. Nous courons de nouveau le risque de voir les délais de résultat augmenter.

Je souhaite vous interroger sur le décret du 19 septembre 2020, qui prévoit des compléments de traitement indiciaire pour les agents d’établissements publics de santé. Les agents de centres hospitaliers de psychiatrie qui se répartissent en unités sanitaires ont droit à ce complément, tandis que ceux qui se répartissent en unités médico-sociales, de type foyer d’accueil médicalisé ou maison d’accueil spécialisée, n’y ont pas droit. Ces agents, parfois, sont amenés à remplacer leurs collègues et passent d’un type d’unité à l’autre. Par ailleurs, des clusters existent dans les maisons d’accueil spécialisées, comme ce fut le cas dans mon département des Vosges. Quel est votre avis sur cette différence de traitement ?

La reconnaissance comme maladie professionnelle de la covid-19 pour les soignants l’ayant contractée est conditionnée au recours à une oxygénothérapie ou à une assistance respiratoire. Or tous les malades de la covid ne se sont pas retrouvés dans ce cas. Quel est votre avis sur cette autre différence de traitement ?

Mon dernier point porte sur le besoin de personnel formé en réanimation. Avez‑vous sollicité des renforts étrangers ? Je ne parle pas au niveau européen, tous les pays européens étant débordés. Le professeur Juvin, urgentiste bien connu, avait évoqué devant le Premier ministre la possibilité de demander des renforts de médecins et infirmières chinois, la situation chinoise étant revenue à la normale. L’ambassadeur de France à Pékin et le consul de France à Wuhan nous l’ont confirmé. Avons-nous interrogé les autorités chinoises à ce sujet ?

Mme Sereine Mauborgne. Je souhaitais aborder la question des renforts sanitaires. Le début de la crise a vu une rapide saturation – je l’ai vécue directement – de la réserve sanitaire telle qu’elle avait été pensée avant la crise. Un redéploiement des moyens en lien avec les ordres professionnels et les ARS, du moins en région PACA, a permis d’envoyer des renforts dans les autres régions et de soutenir les établissements qui manquaient de personnel, soit parce que trop de personnels étaient malades, soit en raison d’un surcroît d’activité. Comment voyez‑vous l’avenir de la réserve sanitaire, pour assurer une résilience supérieure dans les années à venir ?

Mme Josiane Corneloup. Vous avez évoqué le nombre de lits disponibles et les déprogrammations. En Saône-et-Loire, le directeur de l’ARS a déjà demandé à nos hôpitaux de déprogrammer des soins ; or nous savons que certains patients, qui ont été déprogrammés en mars, n’ont pas encore été reprogrammés. Savez‑vous combien de patients n’ont pas encore été reprogrammés à ce jour ? Avez-vous imaginé des solutions innovantes ou pris des mesures particulières ?

Nous attendons un pic d’admission à l’hôpital important pour la deuxième semaine de novembre. Avez-vous imaginé des solutions innovantes pour y répondre ? La combinaison d’une infection au covid ou à la grippe serait une catastrophe, à la fois pour les patients et pour le système de santé. Trois semaines après le début de la campagne de vaccination grippale, entre 70 et 90 % des pharmacies sont en pénurie de vaccins. Vous évoquiez, lors des questions au Gouvernement, une amélioration. Je vous informe que la plupart des officines ne recevront pas de vaccin avant le 20 novembre et que les quantités reçues seront très loin de satisfaire les besoins, notamment des personnes prioritaires. Je ne parle même pas des personnes qui souhaiteraient se faire vacciner et qui, à ce jour, ne sont pas prioritaires. Comment se fait-il que cela n’ait pas été anticipé ?

L’Académie nationale de médecine a appelé à rendre obligatoire la vaccination contre la grippe pour l’ensemble du personnel soignant. Comptez-vous faire vacciner massivement les personnels de santé, tant à l’hôpital qu’en EHPAD, sachant que nous avons besoin d’eux plus que jamais ?

Mme Valérie Gomez-Bassac. Vous avez insisté, monsieur le ministre, sur le caractère évolutif de l’épidémie, alors que la seconde vague est en cours. Comment améliorer, à l’avenir, la gestion des crises sanitaires, au regard de la gestion de la première vague et du déconfinement ? Quels points pourraient être améliorés – diversification de la recherche, gestion des stocks stratégiques, généralisation de l’application TousAntiCovid, qui a pris un certain temps, gestion du covid et des visites dans les EHPAD ?

M. Olivier Véran. La prise de conscience par les jeunes du risque épidémique est d’autant plus difficile qu’ils se sentent souvent à l’abri. Certains peuvent même considérer que ce ne serait pas très grave d’attraper le virus, alors même que des cas graves existent parmi les jeunes. Mais, pour les cas non graves, perdre le goût et l’odorat pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, est extrêmement problématique. Une sensibilisation est nécessaire.

Cet été, j’avais le désagréable sentiment, au fil des interviews, quand je voyais que l’épidémie repartait chez les jeunes, de passer pour un censeur. Je ne souhaitais pas les empêcher de mener leur vie. Cependant, je leur ai adressé à maintes reprises des messages d’alerte, car nous avons compris que l’épidémie repartait par leur intermédiaire. Une bascule des jeunes aux moins jeunes a ensuite eu lieu à la rentrée. Ce message doit être porté.

Le Président de la République a raison de dire qu’il n’est pas drôle d’avoir vingt ans en 2020, pas plus que d’être étudiant et de voir son université fermée. Cette génération connaît le réchauffement climatique, les attentats terroristes, la pandémie, le bouleversement des formations et le chômage. Cependant, nous devons arriver à les sensibiliser et à leur faire passer le message. Une grande majorité de jeunes a compris qu’il fallait protéger non seulement eux-mêmes, mais aussi les leurs, leur famille et leur entourage. Nous avons déployé des campagnes spécifiques à destination des jeunes et des plus petits et mobilisé les réseaux sociaux, notamment par le biais de ce spot où un jeune joue de la guitare pour sa grand-mère, qui lui confectionne un gâteau : ils portent un masque et se tiennent à distance. Ce sera un objectif important après la deuxième vague.

Monsieur Gaultier, une première commande de 5 millions de tests a été passée ; ils ont été déployés. Nous avons ensuite réalisé une commande supplémentaire de 5 millions de tests. Désormais, nous suivons un fonctionnement normal : les professionnels de santé n’ont plus besoin de passer par l’État et passent commande directement auprès des producteurs de tests antigéniques. L’État s’est substitué aux professionnels de santé pendant la vague épidémique pour acheter du matériel de protection, qu’un médecin ou une infirmière aurait alors été bien en peine de commander. Les chaînes d’approvisionnement classiques fonctionnent bien. J’espère tout comme vous que des campagnes massives de test antigéniques auront lieu pour compléter les tests PCR.

Une certaine catégorie de professionnels du secteur public médico-social et social n’a pas bénéficié de l’ensemble des revalorisations du Ségur de la santé. Le protocole d’accord signé avec les syndicats majoritaires tient compte du fait qu’une certaine catégorie de professionnels, qui ne sont pas des professionnels des établissements sanitaires ou médico‑sociaux, ne bénéficient pas de toutes les revalorisations. Des discussions devront avoir lieu dans un second temps. Elles ont commencé avec mon ministère, et auprès de Sophie Cluzel pour tout le champ du handicap, et permettront d’aboutir à des mesures de revalorisation. Nous suivons cela de près. L’objectif principal du Ségur visait l’hôpital et les EHPAD, étant donné les difficultés et les retards salariaux accumulés, mais je ne néglige pas du tout l’enjeu consistant à revaloriser l’ensemble des métiers du care.

Une maladie professionnelle ne peut être reconnue que s’il s’agit d’une maladie au long cours ; or les séquelles connues, identifiées par les experts du covid, sont des séquelles respiratoires. L’estimation des besoins en oxygène correspond à une évaluation des séquelles respiratoires, lesquelles justifient une classification en maladie professionnelle. Pour les soignants, la reconnaissance comme maladie professionnelle est automatique. L’ensemble des salariés français peut prétendre à une reconnaissance comme maladie professionnelle, dès lors que l’imputabilité de l’origine professionnelle est démontrée. Ce système de droit commun fonctionne bien.

Nous avions évidemment réfléchi à la question des renforts étrangers, avant même d’avoir été sollicités. Il nous faut des procédures de reconnaissance des compétences, ce qui demande une approche européenne. Des médecins cubains, sollicités par la France, sont intervenus en Martinique, et nous les en remercions. Par ailleurs, le monde entier étant touché, il n’est pas si facile de solliciter des professionnels étrangers diplômés, y compris en provenance de Chine, capables de faire état de leurs compétences et qui pourraient venir instantanément prêter main-forte dans les hôpitaux français. Un grand nombre de pays européens sont soumis à une forte pression dans leurs services de réanimation et de soins intensifs.

Madame Mauborgne, concernant la réserve sanitaire, plus de 30 000 journées de mission cumulées ont été effectuées, par plus de 2 500 réservistes. Vous-même avez prêté main-forte, et je vous en remercie. Plusieurs parlementaires ont remis la blouse pendant la crise, ce qui nous a tous rendus très fiers. Au 3 avril, la réserve sanitaire comptait encore 40 000 inscrits, soit 19 000 de plus par rapport à la période hors covid. La mobilisation a été bonne. La réserve a été mobilisée une première fois le 26 janvier 2020, dans le cadre de la gestion de l’épidémie, pour accueillir les passagers des vols en provenance de Chine à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Le site internet a été saturé pendant un moment, ce qui a bloqué l’inscription de nouveaux soignants. Par ailleurs, à un moment donné, un grand nombre de personnes inscrites sur la plateforme de la réserve ne disposaient pas des qualifications recherchées dans les hôpitaux et les EHPAD, comme des dentistes. Ces derniers ont pu réaliser des prélèvements nasopharyngés, mais ne pouvaient pas remplacer une aide‑soignante en EHPAD, ou alors de manière très sporadique. Nous avons également créé des plateformes Renfort-Covid et des plateformes régionales, pour compléter les ressources humaines. Nous remercions les soignants vivement : les retraités ont repris leur activité, les étudiants ont aidé, les soignants ont changé d’hôpital et de ville. Monsieur le président Borowczyk lui-même a aidé de manière très active. Voilà qui est remarquable. Les soignants ont effectivement été des héros, et ils le sont toujours.

Madame Corneloup, d’après mes informations, la quasi-totalité des patients déprogrammés a été prise en charge au cours de la période printanière et estivale. Ce n’est peut-être pas le cas dans certaines zones géographiques ou pour certaines pathologies, mais toutes les interventions de chirurgie ont été effectuées. Je peux néanmoins me pencher sur la question, mais je n’ai pas d’écho selon lesquels des soins déprogrammés n’auraient pas encore été reprogrammés. Peut-être y a-t-il des difficultés pour accéder à des IRM ou à certains examens complémentaires. Pour la chirurgie, nous n’avons aucune information en ce sens.

Concernant la vaccination grippale, madame la députée, vous dites que les besoins n’ont pas été anticipés. Chaque année, au mois de décembre, les pharmaciens font des commandes pour la campagne vaccinale de l’année suivante. Au mois de décembre, anticiper l’épidémie de covid eût été difficile. Les pharmaciens ont néanmoins effectué davantage de commandes que les années précédentes, puisqu’ils sont désormais autorisés à vacciner eux‑mêmes. Ils ont commandé un peu plus de vaccins, soit 12,2 millions de doses. À la date d’hier soir, 5,9 millions de doses avaient été distribuées par les pharmacies d’officine, ce qui signifie qu’elles n’ont pas encore consommé la moitié des stocks commandés. La semaine dernière, 1,3 million de doses ont réachalandé les pharmacies d’officine ; cette semaine, 1,1 million de doses supplémentaires leur sont parvenues, et 900 000 doses leur parviendront la semaine prochaine.

Les livraisons sont étalées dans le temps, comme chaque année. Les commandes arrivent progressivement, car le vaccin est produit en temps réel par les laboratoires, et des vaccins arriveront encore. Madame la députée, hier soir, 19 % des pharmacies ne disposaient d’aucun des deux vaccins, mais certaines d’entre elles sont amenées à être réapprovisionnées ; 50 % des pharmacies ne disposaient plus de l’un ou l’autre des deux vaccins ; et 64 % des pharmacies se déclaraient en situation de tension sur l’un ou l’autre des vaccins, mais sans être pour autant en rupture. J’ai moi-même appelé un certain nombre de pharmaciens ; l’un d’entre eux m’a dit être en rupture de stock, cela signifiant qu’il conservait des vaccins pour les personnes qui en avaient commandé ou les patients réguliers. Ces pharmaciens recevront des doses complémentaires de vaccins.

La grippe n’arrive jamais avant fin décembre. Il faut donc que les personnes vulnérables – personnes âgées de plus de 65 ans, porteurs de maladies chroniques, personnels soignants et aides à domicile – soient le plus massivement possible vaccinées avant que la crise n’arrive. Cela nous laisse encore un mois ou un mois et demi de délai, comme chaque année dans les campagnes vaccinales. Nous avons connu un effet de ruée assez prévisible sur les vaccins, au même titre que d’autres produits de consommation. La forte consommation des premiers jours s’est stabilisée et retrouve des niveaux plus classiques. Nous avions consommé hier l’équivalent de trente-deux jours de campagne vaccinale en dix-sept jours. Nous avons atteint hier 30 % de la cible des populations vulnérables vaccinées, dans quatre‑vingt‑dix départements, et 40 % de la cible dans quatre départements français, alors que la campagne n’en est même pas encore à la moitié. C’est une bonne nouvelle !

L’année dernière, nous n’avions vacciné que 48 % des publics cibles, ce qui n’est pas suffisant. L’OMS souhaite que nous vaccinions 75 % de ces populations. Des vaccins vont continuer à arriver. Par ailleurs, environ un million de doses de vaccin sont destinées aux établissements de santé et aux EHPAD. Cette année, au printemps, lorsque l’épidémie a démarré, pour la première fois, l’État a passé lui-même une commande supplémentaire auprès des laboratoires, alors que tous les carnets de commandes étaient clôturés. Nous avons identifié 1,45 million de doses complémentaires, avec des compléments possibles si cela était nécessaire. La campagne vaccinale contre la grippe suit donc son cours. Je comprends votre inquiétude, mais nous travaillons de concert avec les pharmaciens.

Madame Gomez-Bassac concernant le retour d’expérience et l’évolution des pratiques, vous avez cité deux excellents exemples. StopCovid a évolué en TousAntiCovid, et les EHPAD, qui ont connu au cours de la première vague un isolement strict, ont vu leurs protocoles sanitaires s’adapter, forts de l’expérience de la première vague. Nous sommes dans une démarche empirique fondée sur l’observation des données : face à un risque inconnu pour lequel personne au monde ne disposait d’expertise ou d’expérience, nous nous adaptons au fur et à mesure. C’est ce que je disais dans mon propos introductif : nous devons être humbles pour gérer et piloter une crise épidémique de cette nature. Certaines choses sont vraies un jour, et se révèlent inexactes un autre jour. Gardons-nous de nous engouffrer dans des certitudes qui peuvent être erronées, et gardons l’esprit ouvert tout le temps. Il nous faut constamment consulter les experts scientifiques, les parlementaires, les élus, les citoyens, les ressources qui se trouvent à l’étranger en matière d’expertise, apprendre les uns des autres, être capables de dire quand il faut adopter une autre stratégie, comme cela s’est passé pour la politique de distribution des masques. Forts de l’évolution des connaissances, nous devons chaque fois nous enorgueillir que la science progresse et nous aide à progresser dans la gestion d’une crise sanitaire.

M. le président Julien Borowczyk. Nous pouvons effectivement nous réjouir de ce taux de vaccination. Vous le savez, monsieur le ministre, j’y étais très attentif. Certains m’ont dit que je n’aurais pas dû publier sur cette question, car nous connaissions alors une situation de pénurie.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Concernant les masques, je ne reviendrai pas sur la genèse de la stratégie et sur vos propos. Cependant, votre cabinet ou vous-même, vous tenez-vous régulièrement informés de l’évolution des stocks stratégiques et de leur composition, au-delà des seuls masques ?

L’hôpital recommence à déprogrammer. L’AP-HP vient d’annoncer la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu cet après-midi, pour redéployer les personnels vers les services de réanimation. Nous orientons-nous vers une déprogrammation totale, hors urgence vitale, de tous les actes chirurgicaux, mais aussi de dépistage hors covid ? Nous en connaissons les risques. La fédération Unicancer a mentionné des chiffres de surmortalité extrêmement importants et préoccupants, de 5 000 à 30 000 selon les estimations.

Concernant la prise en charge de nos aînés, comme vous l’avez évoqué, cette question rejoint celle de la déprogrammation. Le discours officiel a été de dire que, lors de la première vague, l’hôpital a tenu, naturellement grâce à la mobilisation extraordinaire de nos soignants. Les travaux de notre mission d’information nuancent cette appréciation, non pas sur la qualité et l’engagement des soignants, mais sur les deux aspects suivants : l’hôpital a tenu au prix de la déprogrammation – tout le reste a été annulé –, mais aussi, semble-t-il, du fait d’un moindre accès de nos aînés à l’hôpital, en tout cas aux services de réanimation.

D’après les chiffres de la direction générale de la santé et de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) en période normale, le taux d’hospitalisation des personnes âgées de plus de 75 ans en réanimation est en moyenne de 25 %. Au pic de la crise, au tournant des mois de mars et avril, ce taux est tombé à 14 %, et même à peine 6 % en Île-de-France.

Parallèlement, le décret no 2020-360 du 28 mars sur le Rivotril pourrait laisser penser que des choix ont été faits pour mettre en œuvre massivement des soins palliatifs pour accompagner le décès des personnes âgées, sachant que 15 000 personnes âgées venant des EHPAD sont décédées : 4 000 d’entre elles sont décédées à l’hôpital et 11 000 en EHPAD, avant qu’elles n’aient eu accès à l’hôpital.

Pour compléter cette question, qui me paraît être l’une des plus importantes et des plus graves de cette crise, je rappellerai le propos de la commission en charge du social et du médico-social (CSMS) de la Haute Autorité de santé du 21 avril, qui indique que : « les critères de priorisation pour l’hospitalisation des résidents des établissements et services sociaux et médicosociaux atteints du covid-19 n’ont pas été clairement posés, ce qui a provoqué des inquiétudes légitimes chez les professionnels, les personnes concernées et leur entourage. Certains médecins régulateurs ont demandé le maintien au maximum des résidents dans les établissements, avec la mise en place de soins palliatifs, alors même que les établissements ont dû faire face à des difficultés d’accès à l’oxygène, en raison d’une priorisation de ces ressources vers les hôpitaux. » La régularisation vers l’hôpital des personnes âgées a-t-elle été pertinente, adaptée et juste ?

M. Olivier Véran. Je me tiens naturellement informé de l’état des stocks stratégiques d’équipements de protection et de médicaments. Nous assurons, en centre de crise, un suivi hebdomadaire de la situation s’agissant des équipements de protection individuelle (EPI) et nous disposons de documents donnant tous les chiffres. J’ai déjà évoqué les tensions rencontrées concernant les gants. Je pourrais revenir longuement sur leurs raisons.

Concernant les patients non covid, nous travaillons avec Santé publique France à la sécurisation de l’ensemble des stocks, notamment pour faire face aux risques chimiques ou infectieux.

La déprogrammation des soins est proportionnée, territorialisée et progressive. Ainsi, la région Auvergne Rhône-Alpes a commencé mi-octobre à déprogrammer des soins, lesquels n’incluaient pas les soins de chirurgie ambulatoire, ni de chirurgie cancérologique, ni de chirurgie urgente ; dans un second temps, elle a également déprogrammé des soins de chirurgie ambulatoire afin de libérer des ressources humaines et de transformer des blocs opératoires pour épargner des lits de réanimation. Dans d’autres régions, la déprogrammation a été à peine amorcée, compte tenu de leur situation épidémique.

L’objectif consiste bien évidemment à limiter au maximum les déprogrammations. C’est pourquoi, à ce jour, nous n’avons pas atteint, pour les patients atteints du covid, le chiffre de 10 000 lits de réanimation, un seuil supérieur aux besoins actuels. Mais à mesure que la vague épidémique progressera – et n’en doutez pas, elle va progresser –, nous serons amenés à déprogrammer des soins pour libérer des lits supplémentaires et mobiliser des moyens humains.

Comme pour la première vague, nous avons relevé une réduction du nombre d’entrées aux urgences hors covid. Je voudrais d’ailleurs profiter de cette audition pour dire aux Français qui souffrent d’une maladie chronique, quelle qu’elle soit – diabète, hypertension, cancer ou toute autre maladie nécessitant un suivi –, de ne pas interrompre leurs soins. Tous les professionnels de santé sans exception, en médecine de ville comme à l’hôpital, sont sur le terrain, peuvent recevoir les patients ou les accompagner à distance par télémédecine.

Sur la question des malades de plus de 75 ans et sur l’accès en réanimation, comparer les chiffres d’entrée à l’hôpital pour 2020 avec ceux portant sur les années antérieures reviendrait à se livrer à une utilisation détournée des données fournies par la DGOS.

Lors du pic épidémique, le profil des patients hospitalisés en réanimation s’est révélé totalement différent de ce qu’il était l’année précédente. Leur nombre s’est élevé à 2 700 personnes, contre moins de 1 200 l’an dernier, à la même date. Au-delà de la seule question des volumes, la déprogrammation des opérations non urgentes dans les unités chirurgicales a eu un impact majeur et elle explique ces variations.

Les données font l’objet d’analyses de la part des équipes hospitalières, notamment au sein de l’AP-HP, qui travaillent à rendre les comparaisons pertinentes en prenant en compte d’autres critères, tels que les durées de séjour ou le parcours des patients en post-réanimation.

Par ailleurs, le chiffre auquel vous faites référence et qui est particulièrement bas en Île-de-France doit faire l’objet d’une analyse complémentaire afin de s’assurer de l’exhaustivité des données. Il ne correspond pas à celles que nous avons recueillies à l’échelle régionale. Il convient en la matière de s’entourer de toutes les précautions.

J’ajoute que la décision d’hospitaliser un patient en réanimation est toujours de nature médicale. Les facteurs qui la déterminent sont fixés par des règles élaborées par les sociétés savantes et nourries par la connaissance des pathologies, lesquelles peuvent évoluer au cours d’une épidémie. Tout choix d’admission en réanimation procède d’une analyse par les médecins, qui doivent évaluer les bénéfices et les risques qu’une telle admission présente pour les malades concernés.

J’ai travaillé en EHPAD. J’y ai même consacré les premières années de ma vie professionnelle. Je rencontrais à l’époque des personnes âgées atteintes parfois d’une démence, mais se trouvant dans un état de santé physique tout à fait satisfaisant et dont la perte d’autonomie était limitée. Lorsque ces patients contractaient une maladie grave ou faisaient face à des complications, nous appelions l’hôpital. Les médecins réanimateurs procédaient à une évaluation lorsque la situation relevait d’une hospitalisation en réanimation ou d’une chirurgie invasive et dans la plupart des cas, les malades étaient admis en réanimation.

Mais lorsque vous vous trouvez confronté par exemple – c’est un cas extrême –, à un patient âgé de 97 ans, dément, privé de toute autonomie, perfusé la nuit pour être hydraté et dépourvu de toute capacité de communication, alors il est clair que la probabilité qu’il soit admis en réanimation pour une pathologie aiguë, quelle qu’elle soit, sera très faible, l’équilibre entre bénéfices et risques ne justifiant pas le transfert.

Je le sais par mon expérience de neurologue : un hématome cérébral chez un patient de 60 ans ne sera pas nécessairement pris en charge de la même façon, quand l’éventualité d’un traitement invasif et d’une intubation en réanimation sera envisagée, que le même hématome chez un centenaire esseulé.

Quant à la question du Rivotril, le décret du 28 mars 2020 en a autorisé l’utilisation sous sa forme injectable pour une prise en charge des patients covid à domicile ou en EHPAD présentant une difficulté ou une détresse respiratoire. Il a été établi que cette utilisation devait être conforme au protocole exceptionnel et transitoire établi par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, laquelle regroupe des professionnels qui vouent leur existence à des patients en fin de vie se trouvant dans des situations de souffrance non soulagée.

Ce sont ces acteurs qui ont émis la recommandation dans le cadre de laquelle la prescription est prise en charge par l’assurance-maladie. Elle était liée au fait que les médicaments à base de midazolam, habituellement utilisés pour améliorer le confort de la fin de vie, n’étaient pas disponibles en quantité suffisante, car ils étaient utilisés pour les patients intubés et ventilés en réanimation – ces médicaments étant également destinés aux patients placés en coma. Dès lors, pour des patients sur le point de mourir et dont l’agonie est assortie d’une détresse respiratoire, deux options se présentaient à nous : soit les laisser agoniser en EHPAD dans les conditions les plus pénibles, soit les accompagner et les soulager en leur administrant un autre médicament, à savoir le Rivotril, une benzodiazépine puissante et répondant aux recommandations des sociétés françaises œuvrant dans le domaine des soins palliatifs.

Ce décret a entraîné un mauvais procès. Des personnes très mal intentionnées ou très mal informées ont affirmé qu’il conduisait à faire de l’euthanasie précipitée pour éviter des transferts en réanimation. Voilà qui est proprement honteux ! Il est difficile de conserver son calme face à ce genre d’allégations visant des professionnels qui vouent leur vie à des personnes âgées fragiles et qui les accompagnent jusqu’à leur dernier souffle. À travers eux, ce sont les familles de ces personnes, et ces personnes elles-mêmes, qui sont atteintes par ces attaques. De tels procédés d’euthanasie précipitée n’ont pas cours en France et je n’ai cessé de dénoncer ceux qui cherchent à exploiter la souffrance humaine à des fins politiques et dans le seul but de nuire.

Une dernière précision sur les stocks stratégiques. Il convient de distinguer le temps de crise des autres périodes. Je me tiens informé parce que la crise est en cours ; mais, avant la crise, je n’avais pas d’avis sur le bon niveau d’information du ministre, de la DGS et de Santé publique France. Pardon d’enfoncer une porte ouverte, mais j’entends être précis de bout en bout !

M. Éric Ciotti. Nous nous sommes étonnés du fait qu’à un moment donné, aucun regard n’a porté sur l’évolution des stocks stratégiques.

Permettez-moi de revenir très rapidement sur la question des personnes âgées. J’avoue ne pas avoir compris la réponse que vous nous avez apportée sur l’accès des personnes âgées aux services de réanimation. Peut-être suis-je insuffisamment compétent en la matière, mais je ne saisis pas l’argument selon lequel la comparaison avec les années précédentes n’est pas pertinente parce qu’il y a eu davantage de personnes en réanimation cette année.

Il est établi que les personnes âgées sont les plus touchées par la maladie. C’est une donnée publique incontestable. Or ces personnes ont été moins nombreuses à accéder en réanimation en 2020 qu’au cours des années précédentes. Nous attendons toujours certains éléments qui nous ont été promis et qui permettront de faire la lumière sur ce point.

D’ici là, nos interrogations demeurent sur cette diminution du nombre des personnes âgées en réanimation, et les arguments que vous nous opposez nous apparaissent en l’état difficilement recevables. Alors que les personnes âgées sont les plus touchées par le covid, elles ont été moins nombreuses que les années passées à entrer en réanimation. La confrontation de ces deux données continue à me troubler, monsieur le ministre.

M. Olivier Véran. On ne peut pas comparer l’année 2020, en pleine crise épidémique, avec les années précédentes.

Premièrement, parce qu’en raison de la déprogrammation des soins, le profil des malades admis en réanimation n’est pas du tout le même. Sur ce point, nous conduisons actuellement des analyses fines, hôpital par hôpital.

Deuxièmement, parce qu’en augmentant le nombre de lits de réanimation, on dilate l’ensemble du système. Pardonnez-moi, mais vous confondez pourcentage et valeur absolue. Si on double le nombre de lits, le pourcentage des personnes en réanimation âgées de plus de 75 ans va diminuer de moitié. Or l’âge moyen des patients en réanimation pour covid est de 62 ans, et ce, qu’il y ait 50 ou 5 000 patients en réanimation dans toute la France. Le départ de la deuxième vague, et ses conséquences sur les admissions en réanimation, n’a pas modifié cet âge moyen.

Votre question soulève implicitement celle du tri entre les patients. Elle revient à demander : « Faute de place, avez-vous cessé d’admettre en réanimation les personnes de plus de 75 ans ? » Mais, monsieur le rapporteur, même lorsqu’il y a de la place, l’âge moyen ne change pas : 62 ans !

Si l’âge moyen s’était établi à 70 ans au début de l’épidémie pour baisser à 60 ans à son pic, alors vous auriez disposé d’arguments statistiques. Mais il était de 62 ans il y a un mois, toujours de 62 ans il y a quinze jours et il est encore à 62 ans aujourd’hui ! L’âge moyen des patients n’est pas influencé par le nombre de places en réanimation… et cette réalité fournit le meilleur argument contre ce que vous dites !

M. le président Julien Borowczyk. Ainsi que nous l’a expliqué le directeur de l’ARS d’Île-de-France, on a observé de nombreuses déprogrammations des actes de chirurgie concernant les patients âgés et n’étant pas passés par un service de réanimation. Avant de conclure, il m’importe, en tant que médecin, d’évoquer un mot qui n’a pas encore été prononcé : l’acharnement thérapeutique. Je crois que c’est une notion importante, qui doit être prise en considération dans notre rôle de médecin en matière d’accompagnement et de prise en charge des patients.