Compte rendu

Commission d’enquête sur l’évaluation
des politiques publiques
de santé environnementale

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic, président de Pornic Agglo Pays de Retz 2


Vendredi
30 octobre 2020

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Élisabeth Toutut-Picard,
présidente


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L’audition débute à onze heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous accueillons M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic et président de Pornic Agglo Pays de Retz.

Pornic est une commune littorale qui compte quinze mille habitants. L’agglomération Pornic Agglo Pays de Retz comporte quinze communes et plus de soixante mille habitants. Comment les communes et l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) s’insèrent-ils dans la mise en œuvre des politiques publiques liées à la santé environnementale ? Quelles sont leurs relations avec les différents acteurs de ces politiques ?

M. Jean-Michel Brard, maire de Pornic, président de Pornic Agglo Pays de Retz. Je pense que vous m’auditionnez ce matin en raison du cluster de cancers pédiatriques dit de Sainte-Pazanne, qui impacte de six à huit communes sur notre territoire. J’interviens en tant que président de l’agglomération et maire de Pornic. La municipalité n’est pas impactée par ce cluster, à la différence d’un certain nombre de communes de l’agglomération.

En raison de l’actualité de ce cluster, et de la réaction des citoyens, en particulier du collectif mis en place sur le territoire de Sainte-Pazanne, j’ai été sollicité, en tant que président d’agglomération, pour siéger aux réunions organisées par l’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire. En collaboration avec son directeur, j’ai exprimé la volonté d’établir un contrat local de santé (CLS) sur notre territoire. Nous en avons débattu lors de la dernière mandature avec des élus siégeant à l’intercommunalité, et nous avons décidé, dans le cadre du projet de territoire, de nous inscrire dans ce CLS.

Un partenariat a ainsi été étudié avec l’ARS. Nous avons notamment créé un poste permanent. Son recrutement revient à notre collectivité, mais ses charges salariales sont partagées à 50 % entre nous. Depuis lors sont survenus un certain nombre d’événements, en particulier la crise sanitaire. Le recrutement est donc toujours en cours. À l’issue de ce recrutement et de la réécriture du projet de territoire de notre agglomération, le CLS sera rédigé, puis validé par les élus. Ils ne sont installés que depuis le 23 juillet dernier. Une commission doit ainsi se réunir dans les semaines à venir, selon l’évolution de la crise sanitaire, pour mettre en place ce CLS.

Les élus considèrent que l’analyse des causes de ce cluster de cancers pédiatriques exigera du temps. Il n’est du reste pas certain que nous parvenions à les découvrir. Nous devons néanmoins mener une prévention auprès de nos citoyens. C’est la raison pour laquelle la collectivité s’est inscrite dans la démarche du CLS.

Je suis également président du syndicat départemental d’eau potable Atlantic’eau, et c’est aussi à ce titre que je siégeais au comité de suivi organisé par l’ARS. Je suis également intervenu pour rendre les plus transparentes possible les analyses d’eau potable à la sortie de notre système de production, de transport et de distribution. Je me suis attelé à cette tâche en collaboration avec le collectif, et notamment avec le professeur Mickaël Derangeon. Celui-ci a les compétences pour mener ces analyses, et déterminer si l’eau potable est la cause de ces cancers, ce qui ne semble pas nécessairement être le cas aujourd’hui.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. En tant qu’élu, comment avez-vous vécu la découverte de ce cluster ? Comment vous êtes-vous mobilisé ? Les questions de santé environnementale vous avaient-elles intéressé et mobilisé jusqu’alors ? Comment vous positionnez-vous dans le dispositif des politiques publiques en matière de santé environnementale de votre région ? Cela a-t-il été pour vous l’occasion d’une prise de conscience, et pour les élus, d’une mobilisation ? Quelles sont les données scientifiques auxquelles vous avez accédé ? Où en est le diagnostic de la situation ?

Vous avez indiqué ne pas disposer encore de toutes les réponses à ces questions et avoir mis en place une démarche de prévention. Comment cela est-il possible sans connaître les causes du problème ?

M. Jean-Michel Brard. N’ayant pas de compétence particulière en la matière, l’élu local que je suis a vécu la découverte de ce cluster comme une arrivée d’informations inquiétantes. Elle a remis en cause notre système. Les citoyens sont naturellement venus nous interroger sur la manière dont nous comprenions la situation. Qu’en pensions-nous ? Comment pouvions-nous les aider ? Que faire ? Pourquoi ce cluster existait-il sur notre territoire ?

Je n’avais jamais été questionné de la sorte, ni les autres maires, notamment celui de Sainte-Pazanne. En tant que parents, ces informations nous ont nécessairement alertés. Nous devions savoir pourquoi, d’où l’intérêt de participer avec assiduité aux comités organisés par l’ARS et les services de l’État. Pour autant, nous avons bien vu que les analyses de Santé publique France ou de l’ARS conduisaient à des réflexions techniques, dont la lecture était délicate pour moi, n’ayant pas les compétences pour comprendre les termes utilisés, les rapports d’études, etc. Ces rapports sont très techniques et exigent d’être lus par des experts qui peuvent par la suite en restituer la substance aux élus.

Les analyses concluaient par la nécessité de faire preuve de pédagogie auprès de nos populations sur un certain nombre de gestes de prévention qui, de toute façon, amélioreront la santé de notre territoire : ouverture des salles de classe ; aération des maisons ; faire couler l’eau un peu avant de la consommer ; mener un certain nombre d’analyses dans les puits ; se pencher sur la présence de radon dans les sols ; etc. Les scientifiques ont formulé un certain nombre de préconisations, et il nous a semblé important d’informer la population des bons gestes à suivre dans la vie courante.

C’est un peu le rôle qui nous a été proposé par l’ARS dans l’écriture du CLS. Les services n’ont pas spontanément songé à cet outil. C’est bien l’ARS qui nous l’a proposé, pour devenir acteur de la prévention sur notre territoire. Nous ne nous appuyons pas sur des résultats locaux, mais sur des indicateurs qu’elle nous a donnés, afin de rendre visibles les gestes à mettre en place au titre de la prévention sanitaire de nos populations.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pour mes collègues d’autres régions, pouvez-vous dresser un bilan de la situation actuelle en matière de cancers pédiatriques ? Comment avez –vous fait face aux remontées d’informations quand des phénomènes préoccupants ont été constatés ? Vers qui vous êtes-vous tourné ? Existe-t-il des pistes d’amélioration selon vous ? Quels sont vos moyens propres à l’échelle communale et intercommunale pour traiter ces questions ? Vous avez évoqué le CLS, mais d’autres pistes doivent-elles également être envisagées ?

Enfin, comment évaluez-vous l’information de la population de vos communes sur l’enjeu de la santé environnementale ?

M. Jean-Michel Brard. C’est une question importante pour les années à venir. La population dispose aujourd’hui de multiples canaux d’information pour se renseigner et connaître les tenants et aboutissants des problématiques. Les élus doivent aussi s’armer de certains services pour rendre plus lisible leur action. À mon sens, il reste cependant à éclaircir qui en a la compétence, ce qui fait défaut aujourd’hui.

J’entends bien que les maires doivent endosser davantage de compétences et de responsabilités. Je disais tout à l’heure à votre collègue, M. Yannick Haury, que dans la crise sanitaire, tout le monde était applaudi à l’exception des maires. Nous voulons bien nous charger de davantage de responsabilités, et nous les assumerons. Il faudra cependant clarifier à qui revient telle compétence, et si ce devait être à nous, quels moyens nous seraient alloués pour ce faire. Je vous renvoie cette question aujourd’hui.

Je suis proche du collectif, et de ceux qui l’alimentent en première ligne. Vous connaissez mon engagement sur le plan local. Pour autant, je sens que nos actions sont minimes. Nous devons en faire plus, mais il reste à établir ce que nous devons faire en plus. Parler pour parler n’est pas mon style. Mais quelles actions dois-je mener ? J’avoue être un peu démuni.

Nous ne sommes pas structurés. Nous n’avons pas cette compétence, qui est aujourd’hui largement réservée au système étatique de l’ARS. Ma réponse ne vous convient peut-être pas, mais j’ai été très surpris d’avoir du mal à obtenir des réponses lors du comité. Lorsque je reviens sur mon territoire, lorsqu’on me questionne, je sens les échappatoires. On fait confiance au maire, mais je trouve qu’il y a un décalage entre les responsabilités qu’on veut nous confier et les moyens dont nous disposons réellement.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Il y a ainsi de nombreuses choses à améliorer, tant sur le plan des délégations et des effectifs que sur le plan opérationnel et financier. Il manque quelque chose. Il existe des dysfonctionnements notables. Avez-vous mis des choses en place en ce qui concerne la prévention des risques, la sensibilisation des professionnels, ou encore l’alerte des publics par des outils de communication ? Avez-vous bénéficié d’une aide en la matière ?

M. Jean-Michel Brard. Nous ne sommes pas encore entrés dans cette phase de communication, car le CLS n’est pas signé, pour des raisons que l’on connaît bien. C’est l’actualité sanitaire en France qui a également empêché l’installation des conseils municipaux, la réinstallation des EPCI, etc., ce que j’ai expliqué dans mon introduction. Les freins ne sont pas volontaires, mais ils sont liés à l’actualité.

Je pense néanmoins qu’il va falloir définir des outils de communication adaptés à chaque territoire. Comme pour nombre des questions qui se posent à nous, nous dépendons de notre environnement proche. Lorsqu’on parle de bassins versants, ce sont ceux d’un territoire spécifique. Les typologies des territoires ne sont pas les mêmes dans toute la France. Il faut donc y faire attention, et le cluster des cancers de Saint-Nazaire n’est pas le même que celui de Sainte-Pazanne. La réflexion doit être adaptée et de proximité. C’est du reste pour cette raison que les maires sont sollicités. La réflexion doit être co-construite. Il me semble important que la compétence de santé publique reste à l’État, à condition que le discours et les analyses de ce dernier soient plus lisibles, pour lever les doutes de nos populations.

L’absence de lisibilité suscite en effet leur défiance vis-à-vis de l’État. Les maires et les présidents d’EPCI constituent un filtre entre les deux. Ils jouissent d’une certaine confiance, mais celle-ci diminue de jour en jour. Je ressens très nettement qu’elle ne nous sera accordée que si nous prouvons que nous agissons. Faute de cette preuve, la reconnaissance dont bénéficient les élus locaux ne sera pas meilleure que celles dont jouissent les autres élus.

Une boîte à outils lisible par tous les citoyens est donc absolument nécessaire. Elle ne peut se résumer aux études techniques et scientifiques, que les collectivités ne peuvent assumer. Nous avons besoin d’outils de communication, et d’un discours lisible, compréhensible, qui permette de dire la vérité, afin de prendre par la suite les mesures nécessaires.

Si un problème est décelé, il est préférable d’en être informé que de le cacher. Une fois connu, il est possible d’apporter des solutions. Mais qui nous communique les éléments dont nous avons besoin pour agir ? Il y a aujourd’hui des « trous dans la raquette ». En tant que président d’EPCI, je comprends bien les enjeux de prévention. Nous allons nous y atteler, car nous disposons d’outils en la matière. Mais en ce qui concerne le traitement du problème à proprement dit, je suis démuni.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience du CLS ? Comment avez-vous décidé de le mettre en place ? Qu’est-ce qui pourrait aider les élus, et les motiver encore plus à se saisir de ces sujets ? Des formations, ou d’autres mesures, seraient-elles utiles ? Il convient peut-être de créer une certaine culture en la matière. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel Brard. L’argumentaire en faveur du CLS n’a pas été difficile à faire accepter aux élus. Aucun élu n’a témoigné d’inquiétude ou ne s’y est opposé. On pose aujourd’hui aux élus que nous sommes des questions au quotidien, et on attend des réponses immédiates. C’est la raison pour laquelle pas un élu n’a considéré dangereux de mettre en place ce CLS ou que nous traitions là d’un domaine qui ne nous regardait pas. Je n’ai pas eu le sentiment d’une inquiétude de la part des élus, ni dans la précédente ni dans l’actuelle mandature. Les élus jugent normal aujourd’hui de se charger de ces responsabilités, et de poser les bonnes questions aux bonnes structures, pour pouvoir apporter des réponses à nos concitoyens.

Je n’ai pas le sentiment qu’existent des freins en la matière. Néanmoins, la mise en place du CLS demande du temps. Ce qui m’intéresse, c’est que celui-ci puisse être un filtre de vérité, et soit l’occasion d’une véritable discussion, nous permettant de mieux communiquer auprès de nos populations. Si nous nous apercevons que cela n’est pas sérieux, le retour de flamme sera violent, en particulier parce qu’il existe des doutes dans notre territoire. Ceux-ci risquent d’en sortir renforcés, augmentant la défiance à notre égard.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Nous comprenons très bien que les CLS doivent être construits à partir d’un diagnostic pertinent, et qui soit partagé par tous les acteurs. C’est indispensable pour permettre une appropriation et une crédibilité des élus de terrain quand ils mènent leur démarche.

Vous êtes au bout d’un processus que vous ne maîtrisez pas complètement, alors que la population vous demande des comptes. Nous comprenons très bien votre inconfort, d’autant plus que vous n’avez pas forcément la compétence scientifique pour répondre à des questions qui le sont hautement. Aussi, comme pour le site de Saint-Nazaire dont nous avons auditionné un représentant, il faudra laisser le temps aux scientifiques d’avancer dans leurs démarches, même s’il existe de fortes attentes de la population, légitimement inquiète. Ce délai va nous permettre de poser des questions de fond, d’organisation, de recueil, de partage, d’analyse et de traitement des données, afin de déboucher sur des politiques concrètes.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Hormis l’existence des cancers pédiatriques, y a-t-il d’autres volets importants dans le diagnostic santé-environnement en provenance des élus, des citoyens, ou des associations ?

M. Jean-Michel Brard. Sur notre territoire, l’actualité est avant tout liée à ces cancers pédiatriques. Mais j’ai le sentiment en tant qu’élu, et après plusieurs mandats, que de nombreuses choses restent cachées. Un certain nombre de fléaux dans nos territoires ruraux soulèvent des questions de santé. Je pense par exemple à la consommation d’alcool et de stupéfiants, ou à un certain nombre de dérives comportementales de notre jeunesse. Ce sont de petites incivilités, mais elles posent néanmoins un problème de santé. Je le ressens très clairement. J’ignore si cela entre dans le champ de votre question, mais mon instinct me pousse à en parler. On voit des jeunes de quatorze ans alcoolisés ou consommant des stupéfiants. Ce sont pour moi de vraies questions de santé.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. Cela répond à ma question. Quelles actions spécifiques pourraient être conduites à destination des enfants et des jeunes ? Qui pourrait les porter, notamment en termes de prévention ?

M. Jean-Michel Brard. J’ai juré de dire ce que je pense. Je le ferai. Je pense qu’il faut remettre en place le service national, pour recadrer une population qui a besoin de l’être. Il existe un vrai vide en la matière.

Mme Sandrine Josso, rapporteure. C’est très intéressant. Ce lundi est paru le quatrième plan national santé-environnement (PNSE), qui comprend un volet sur le service national universel et sur la dimension que vous soulignez. Vous êtes donc tout à fait en accord avec ce plan. Il s’agit certainement d’une piste intéressante.

Mme la présidente Élisabeth Toutut-Picard. Je vous remercie d’avoir répondu sincèrement à nos questions, avec humilité, et en même temps avec beaucoup de transparence. Votre tâche n’est pas simple. Les élus de terrain sont confrontés directement à la population, et ils ne disposent pas toujours des réponses nécessaires. Nous vous souhaitons bon courage et nous espérons que vous pourrez rapidement bénéficier de toutes les informations et de toutes les connaissances scientifiques dont vous avez besoin pour prendre les décisions adaptées aux problèmes.

L’audition s’achève à douze heures cinq.

 

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