Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’état
des lieux, la déontologie, les pratiques
et les doctrines de maintien de l’ordre
 
 

 

 Audition commune de Mme Brigitte Jullien, directrice de l’Inspection générale de la police nationale, et du Général Alain Pidoux, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale                            2

 


Mercredi
14 octobre 2020

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 11

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Présidence
de M. Jean-Michel Fauvergue, président


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La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d’enquête entend en audition commune Mme Brigitte Jullien, directrice de l’Inspection générale de la police nationale, et le Général Alain Pidoux, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous accueillons Mme Brigitte Jullien, directrice de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), et le général Alain Pidoux, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

Avant de vous écouter, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « je le jure ».

(Mme Brigitte Jullien et le général Alain Pidoux prêtent serment.)

Mme Brigitte Jullien, directrice de l’inspection générale de la police nationale. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, avant d’en venir à la déontologie du maintien de l’ordre, je rappellerai que l’IGPN est une communauté d’hommes et de femmes réunis par des valeurs communes : l’objectivité, l’exemplarité, l’expertise. Nous sommes soucieux d’améliorer le fonctionnement de la police nationale et de faire de la déontologie un facteur de performance. Notre institution au service des citoyens remplit cette mission depuis plus d’un siècle au sein de la police nationale.

L’IGPN, ce sont 285 agents, dont 72 % de policiers et 118 enquêteurs officiers de police judiciaire qui agissent dans le cadre des enquêtes judiciaires et administratives.

En 2019, nous avons traité 1 460 enquêtes judiciaires et 224 enquêtes administratives, contre 1 180 enquêtes judiciaires en 2018, soit une augmentation de 23 % de l’activité judiciaire. Paradoxalement, le nombre des enquêtes administratives est en baisse, conséquence d’une meilleure appréhension par la hiérarchie des processus d’enquête, car l’IGPN n’a l’exclusivité ni des enquêtes judiciaires ni des enquêtes administratives.

En 2019, les forces de sécurité ont eu à gérer un type de manifestations particulier qui, comme en 2018, s’inscrivait dans un contexte dégradé d’extrême violence. Elles ont, à cette occasion, fait un plus grand usage des armes de force intermédiaire et de la force physique, soit pour maintenir à distance ou disperser des personnes hostiles, soit pour se défendre contre des actions violentes dirigées directement et à courte distance contre elles.

Certains usages de la force ont occasionné des blessures à des manifestants. Les plus graves ont été constatées au niveau des yeux et du visage – notamment après usage du lanceur de balles de défense (LBD) ou d’une grenade à main de désencerclement – ou au niveau des mains, sous l’effet de souffle d’une grenade lacrymogène instantanée (GLI).

Sur les 1 460 enquêtes judiciaires traitées en 2019, 389 avaient un lien avec l’ordre public, soit 27 %. En 2018, 95 enquêtes judiciaires sur les 1 180 effectuées avaient une relation avec l’ordre public, soit 8 % de nos saisines.

Les violences exercées contre les forces de l’ordre lors des manifestations ont atteint un nouveau degré et entraîné des ripostes nombreuses et plus fermes, donc un plus grand nombre de blessés. La récurrence des épisodes entraîne mécaniquement un risque plus élevé pour l’intégrité des personnes, usagers et forces de l’ordre. Si des blessures graves ont été provoquées par l’usage de la force ou des armes, aucun des moyens utilisés n’apparaît significativement de nature à créer plus de dommages que les autres.

Pour garantir l’accomplissement de sa mission de protection des personnes et des biens, le policier est autorisé par la loi, dans les limites de la nécessité et de la proportionnalité, à employer la force ou la contrainte légitime. Ces principes de proportionnalité et de nécessité dans l’usage de la force sont consacrés tant par le droit international et européen des droits de l’homme que par le droit interne, c’est-à-dire le code pénal et le code de la sécurité intérieure.

Il est permis de constater la tendance nette et très contemporaine à contester l’action de la police dès lors qu’elle recourt à la force – bien que ce recours soit a priori justifié juridiquement par la théorie de l’apparence. L’usage de la force est contesté au motif qu’il est violent. Or la violence incontestable, consubstantielle à l’usage de la force, n’est pas le signe et encore moins la preuve qu’elle soit injustifiée, pas plus du reste qu’une blessure causée.

Les manifestations des Gilets jaunes ont conduit les forces de sécurité à faire usage de la force dans des contextes souvent inédits d’extrême violence dirigée directement contre elles. Les manifestations répétées et la violence qui les a accompagnées ont donné lieu à une augmentation sans précédent du nombre de saisines judiciaires de l’IGPN. Ces saisines ne procédaient pas d’une suspicion, par une autorité judiciaire ou un service d’enquête, d’illégitimité de l’action de la police mais de la seule contestation de cette action par un usager.

Au sujet des Gilets jaunes, nous avons traité, depuis le 17 novembre 2018, 406 dossiers judiciaires, dont 311 ont été retournés à l’autorité judiciaire. Les suites connues de l’IGPN sont les suivantes : quatre condamnations, six poursuites, quatre mises en examen. Quinze policiers ont fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites. Par ailleurs, 205 dossiers ont été classés par les parquets.

Soixante-sept enquêtes administratives ont été ouvertes par l’IGPN, dont trente ont déjà été retournées à l’autorité administrative. Dans huit enquêtes, il a été ou il va être retenu un usage disproportionné de la force à l’encontre de dix-sept policiers. Ces chiffres ne tiennent pas compte des enquêtes traitées par les autorités locales, puisque nous n’en avons pas l’exclusivité.

On assiste à une nette tendance à contester par principe tout usage de la force et même de la contrainte au nom de la liberté d’aller et de venir, quand bien même les ripostes et usages de la force par les forces de sécurité intérieure seraient pleinement justifiés. Cette judiciarisation systématique remet en question toute action de police. Ce constat qui touche essentiellement le maintien de l’ordre semble s’étendre au droit commun de l’opération de police judiciaire, voire des services d’intervention, tels que l’unité de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ou la brigade de recherche et d’intervention (BRI), dans des interventions périlleuses.

Il résulte de cette situation un risque de paralysie des agents, au-delà de l’action de l’institution de la police, et un engorgement réel de l’inspection générale. Il convient de rassurer et de protéger les agents de police placés désormais dans une position d’incertitude et confrontés à un risque juridique exorbitant. Agir les expose de facto au risque contentieux. Ne pas agir ou différer le moment du recours à la force les expose physiquement et peut les conduire à échouer dans leur mission de protection des personnes et des biens. Cette question interroge la police nationale, mais aussi ses donneurs d’ordres, ses partenaires et la société, car c’est bien la légitimité du dernier rempart qui est ici contestée.

Général Alain Pidoux, chef de l’inspection générale de la gendarmerie. Merci de votre invitation à partager le regard du chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale, également référent déontologie de la gendarmerie.

Au cours des trois dernières années, nous avons été fortement sollicités. En 2018, on a compté 361 gendarmes mobiles blessés en mission de maintien de l’ordre, et 196 en 2019.

J’irai à l’essentiel pour indiquer le regard que nous portons, le constat que nous faisons et le travail que nous réalisons en matière de déontologie.

En ma qualité de chef de l’inspection, je peux dire que l’emploi de la force a été maîtrisé. Il n’y a pas eu de dysfonctionnement majeur et l’emploi des armes a été contenu.

Au regard du niveau de l’emploi, nous dénombrons très peu de signalements à l’IGGN. De 2018 aux six premiers mois de 2020, nous avons reçu soixante-sept réclamations de particuliers pour usage injustifié ou disproportionné de la force, dont vingt-trois liées aux manifestations des Gilets jaunes. En 2018, nous en avons eu vingt-sept, dont sept liés aux manifestations des Gilets jaunes. Seize saisines ont été clôturées, cinq ont donné lieu à un classement sans suite par l’autorité judiciaire, six n’ont pas encore fait l’objet de décision judiciaire et deux ont conduit à des poursuites ; les gendarmes ont été convoqués devant le tribunal correctionnel. En 2019, on dénombre trente-trois saisines, dont seize liées aux manifestations des Gilets jaunes et vingt-et-une saisines pour l’inspection générale. Dix ont été clôturées, quatre ont donné lieu à un classement sans suite de l’autorité judiciaire et six n’ont pas encore fait l’objet de décision. En 2020, nous avons eu sept saisines dont aucune n’est clôturée et qui toutes ont été transmises aux magistrats.

Comme l’IGPN, l’IGGN n’a pas le monopole des enquêtes internes. Quand elles sont simples, elles sont traitées par les sections de recherches, voire les brigades de recherches des régions.

S’agissant des statistiques disciplinaires, qui ne concernent que l’usage illégitime de la force, faute de pouvoir rechercher dans les bases, nous avons effectué des recherches manuelles. En 2018, dix-sept sanctions administratives ont été prononcées pour usage non maîtrisé de la force, quatorze en 2019 et treize depuis le début de l’année. Ces sanctions sont prises par les chefs des formations administratives.

Je peux formuler des propositions au directeur général ou au commandant des formations administratives, mais je n’ai pas le pouvoir de sanctionner. Le suivi que j’effectue me permet de dire que les gendarmes mobiles ont agi dans la quasi-totalité des cas avec beaucoup de discernement. La proportionnalité est avérée. Même si on en parle peu, nous sommes toujours confrontés à des maintiens de l’ordre très durs. Cette nuit encore, à Mayotte, nous étions engagés dans des opérations difficiles. Nous avons employé des grenades lacrymogènes et un tir de LBD. On parle peu de la France d’outre-mer, mais le maintien de l’ordre y est très difficile et la situation par endroits dégradée.

Mme George Pau-Langevin, rapporteure. On connaît l’existence de vos deux inspections, mais on a moins l’occasion de vous entendre et d’apprendre concrètement comment vos structures fonctionnent. Pourquoi les saisines sont-elles plus nombreuses en matière de police que de gendarmerie ? Madame la directrice, vous avez donné quelques chiffres pour 2019. Qu’advient-il des saisines ne donnant pas lieu à enquête judiciaire ? Pouvez-vous nous dire un mot des enquêtes administratives et des sanctions administratives prises à l’encontre d’agents en l’absence d’enquête judiciaire ?

Comment menez-vous vos investigations ? Vous n’avez pas l’un et l’autre de pouvoir de sanction direct, mais c’est sur vos rapports et vos recommandations que des sanctions sont éventuellement prises. Entendez-vous les personnes concernées ? Des conseils ou des avocats peuvent-ils intervenir ?

Nous avons entendu des critiques sur l’objectivité et la neutralité des inspections. Certains leur reprochent d’être juges et parties. À quels obstacles vous heurtez-vous pour faire la lumière sur les affaires dont vous êtes saisis ?

En novembre 2014, dans un rapport de l’IGGN et de l’IGPN – une commission d’enquête de l’Assemblée s’était également penchée sur les événements de Sivens – vous souligniez la complexité du cadre légal et réglementaire applicable à la gradation des moyens et matériels utilisés dans le cadre du maintien de l’ordre. Est-ce toujours d’actualité ? Comment rendre la gradation conforme aux principes ? Qu’en est-il de l’instruction commune d’emploi des munitions et des armes au maintien de l’ordre du 2 août 2017 ?

Il semble qu’un outil ait été mis en place pour faciliter les retours d’expérience des forces de gendarmerie et de police engagées dans des opérations de maintien de l’ordre. Avez-vous des éléments à ce sujet ? J’ai reçu récemment, comme certains de mes collègues, un fascicule où il est question des traumatismes subis par des agents engagés dans des opérations difficiles et des moyens de les traiter.

Avez-vous été associée à l’élaboration du nouveau schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) ? Avez-vous des préconisations à faire pour l’améliorer ?

Mme Brigitte Jullien. L’IGPN est davantage saisie que l’IGGN non parce que les gendarmes sont moins souvent en cause que les policiers, mais parce que les affaires ont souvent lieu en zone de police.

L’IGPN agit sous l’autorité du directeur général. En matière d’enquêtes administratives, nous pouvons être saisis par quatre autorités : le ministre de l’Intérieur, le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le directeur général de la sécurité intérieure, en ce qui concerne les agents de la police nationale. L’IGPN est aussi compétente pour la préfecture de police. Les enquêtes administratives sont menées sur des manquements, puisque nous nous fondons sur le code de déontologie, que tous les policiers et les gendarmes ont constamment avec eux.

L’IGPN est la seule inspection à avoir contribué à la modélisation de l’enquête administrative, puisque nous avons créé en 2014 un guide pratique de l’enquête administrative prédisciplinaire. Validé par le tribunal administratif et le Conseil d’État, il est notre règle pour agir en ce domaine. L’enquête administrative n’a rien à voir avec une enquête judiciaire puisque nous n’avons pas de moyens de coercition. C’est un mémento que nous utilisons pour former les services de police à la réalisation de petites enquêtes administratives. L’IGPN n’est pas saisie de tout. Un vol dans un vestiaire entre collègues n’est pas traité par l’IGPN mais par l’autorité hiérarchique, dans le cadre du devoir de réaction de l’autorité administrative.

L’enquête administrative est menée selon les règles que nous avons établies et peut aboutir à des sanctions. Tout policier entendu dans une enquête administrative peut être assisté d’un conseil : avocat, collègue, syndicaliste, journaliste ou même psychologue.

Comme l’a dit très justement le général Pidoux, nous ne sommes ni une autorité de sanction ni une autorité de justice, mais une autorité d’enquête. Nous ne faisons que proposer des sanctions. En 2019, l’IGPN a proposé environ 300 sanctions ; l’autorité hiérarchique de la police nationale en a prononcé 1 678. En ce qui concerne les mauvais traitements à la personne, nous n’avons pas relevé de manquements spécifiques en matière d’ordre public. Le manquement au devoir de respecter la dignité de la personne, le manquement au devoir de protection de la personne interpellée et l’usage disproportionné de la force ou de la contrainte sont les trois types de manquements que nous avons relevés lors d’une opération de maintien de l’ordre, sur cinquante-deux sanctions enregistrées en 2019, c’est-à-dire 3 % de l’ensemble.

Bien que nous n’ayons pas de moyens de coercition, nous menons des enquêtes approfondies. Nous travaillons comme en enquête criminelle, car il y va de la responsabilité de l’administration et de l’honneur d’un policier. Ce n’est pas rien, puisqu’on se demande à chaque fois si le policier est digne de rester parmi nous. C’est la question que nous avons tous en tête lorsque nous conduisons une enquête.

L’instruction du 2 août 2017 régissant l’usage des armes au sein de la police et de la gendarmerie n’a pas été modifiée.

Quant à l’élaboration du SNMO, nous y avons été associés au début. Après les recommandations que nous avons faites, nous n’avons pas travaillé régulièrement avec le ministre de l’Intérieur, mais il a pris en compte les remarques de l’inspection sur le port de la cagoule, l’identification du policier, la grenade à main de désencerclement et l’information des manifestants.

Général Alain Pidoux. La gendarmerie mobile, ce sont 14 000 personnels, niveau comparable à celui des CRS. Notre cadre d’emploi, c’est à 80 % en zone de police et à titre exclusif outre-mer. J’ai évoqué nos difficultés à Mayotte, auxquelles s’ajoutent celles rencontrées en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. Notre emploi est soutenu. Nous nous retrouvons souvent côte à côte avec les unités de CRS. Sur le terrain, on trouve des unités solides, rodées au maintien de l’ordre, tandis que des structures moins habituées aux confrontations peuvent rencontrer plus de difficultés.

L’IGGN compte vingt gendarmes enquêteurs qui réalisent les enquêtes administratives sensibles. Je dispose en outre d’un bureau des enquêtes administratives et d’un peu plus d’une dizaine de gendarmes répartis entre Paris et chaque zone de défense – où ils travaillent en binômes. Comme pour la police, nous avons rédigé un memento. Nous ne mettons pas les personnes en garde à vue, mais les enquêtes sont contraignantes, précises et réglementées. À l’issue d’une enquête administrative, nous déterminons les responsabilités et présentons au numéro deux de la gendarmerie, le major général, nos préconisations et nos propositions de sanction, de mobilité ou le recours à un conseil d’enquête pouvant aboutir à une radiation des cadres.

Il est facile de nous reprocher d’être juge et partie. Des études comparatives montrent que tous les pays ont, comme le nôtre, un système intégré dans lequel policiers et gendarmes enquêtent sur leurs propres troupes. Cette critique extérieure suscite de l’inquiétude dans les rangs de la gendarmerie où l’on éprouve un profond respect pour les personnels de l’IGGN. Comme souvent, nos amis canadiens ont essayé un autre système, qui fait appel à des personnels civils recrutés et formés. Mais depuis trois ans, ils subissent de graves dysfonctionnements et ont limogé leur directeur, jugé coupable de malversations. Je suis prudent. Le système actuel donne satisfaction. Nous connaissons la maison, nous avons des capacités d’investigation.

Je rappelle que nous agissons sous le contrôle quotidien des magistrats et d’autres autorités administratives indépendantes. Vous recevrez le Défenseur des droits, qui nous saisit environ trois fois par an. Nous faisons des enquêtes et nous lui répondons. La police comme la gendarmerie française sont des institutions très contrôlées et très observées.

Nous rencontrons parfois des difficultés à cause du manque de preuve, c’est-à-dire, souvent, d’images. Dans une enquête que nous venons de clore, nous avons pu montrer, grâce à une vidéo, qu’une personne âgée était tombée à une trentaine de mètres du premier gendarme, donc sans relation avec la présence des forces de l’ordre. Les magistrats s’appuient sur l’élément décisif qu’est la preuve par l’image. Je ne peux qu’être très favorable à une réflexion sur le développement du recours à l’image et au fait que policiers et gendarmes puissent capter les images et les retransmettre en direct. Convié à témoigner devant la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), j’ai exprimé le souhait que policiers et gendarmes aient les mêmes droits que les autres citoyens de capter les images et de les utiliser pour se défendre.

On dénonce souvent la complexité du cadre légal, mais quand la justice se prononce clairement, l’application de ses décisions est simple. Ce fut le cas dans une affaire récente relative à une centrale à gaz de production électrique, à Landivisiau. La sanction ayant été précisément énoncée – 5 000 euros d’amende pour les personnels entrant dans le périmètre fixé –, nous n’avons plus rencontré de problèmes. Il faut une grande clarté dans la volonté de faire respecter ce qui a été décidé et une grande cohérence dans les décisions régaliennes.

Depuis 2017, les instructions relatives à l’usage des armes sont claires. Au cours de ma carrière, j’ai vu notre arsenal s’enrichir pour le bien de tous et pour nous mettre en mesure de réagir avec toute la progressivité nécessaire. Nous avons vu arriver des LBD, puis des pistolets à impulsion électrique (PIE). Du bâton à l’arme à feu, toute une panoplie nous permet de graduer notre réponse. Un audit est en cours, qui débouchera sur des propositions au directeur général en vue de limiter le nombre de blessés dans les rangs de la gendarmerie départementale. J’ai invité l’officier général qui en est chargé à proposer le développement du PIE, qui est l’arme la plus facile d’emploi et la plus dissuasive. Quand on intervient à deux, le PIE permet de neutraliser en sécurité, par exemple une personne sous imprégnation alcoolique qui a frappé violemment sa compagne.

Une cellule de retour d’expérience (RETEX) a été constituée, dirigée par un général et un colonel. Le dispositif a été très utilisé pour la crise du covid. De tout temps, il y a eu, à Saint-Astier, une structure destinée à exploiter les rapports des commandants d’escadrons et des commandants de roulement intervenant pour le maintien de l’ordre. Nous avons une culture militaire du retour d’expérience. Dans la gendarmerie départementale, il est bien plus exploité qu’avant. En gendarmerie mobile, c’était déjà un réflexe.

L’inspection générale n’a pas été associée à la rédaction du schéma national du maintien de l’ordre, ce qui est tout à fait normal. Le directeur général connaissait l’ensemble des saisines et des difficultés auxquelles nous avions été confrontés. En trois ans, nous n’avons eu que neuf blessures par LBD, dont une grave. La direction des opérations et de l’emploi pour la gendarmerie a contribué avec le directeur général à l’élaboration du SNMO.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous avons entendu à plusieurs reprises ce plaidoyer en faveur du PIE, communément appelé Taser, que détiennent certains policiers et gendarmes, en service spécialisé ou non. Il est décrit comme un moyen moderne de suppléer à la neutralisation par étranglement et mise au sol, qui pose problème. Je suppose que le groupe de travail de la police nationale qui étudie les techniques d’interpellation a étudié l’usage du PIE. Vous avez tous et toutes, dans vos unités respectives, de très bonnes idées mais l’observateur a parfois l’impression d’un manque de transparence et d’ouverture à des gens de l’extérieur pour travailler sur les techniques professionnelles. Ces méthodes opérationnelles se traduisent par des faits sur la voie publique et, à ce titre, doivent être débattues par l’ensemble de la société. Quelques spécialistes sont venus participer à ces groupes de travail, mais pourquoi la police et la gendarmerie n’ouvrent-elles pas portes et fenêtres afin d’être moins critiquables par les médias et par une partie orientée de l’opinion publique, alors que, dans la majorité des cas, leur action sur le terrain est incontestable ?

Mme Brigitte Jullien. Deux groupes de travail ont été successivement constitués : le premier a été conduit par son directeur général, pour la gendarmerie ; le second a été confié par le directeur général de la police nationale à un directeur départemental de la sécurité publique, qui lui rendra ses conclusions. La restitution des conclusions est en cours. Ce dernier groupe de travail comprenait un médecin, des sportifs de haut niveau et d’autres personnes extérieures à la police nationale, ainsi que des usagers des techniques, c’est-à-dire des policiers de terrain. Il n’y avait pas que des formateurs en techniques et sécurité en intervention (TSI) enseignant sur leur tatami. Ce groupe de travail produira des conclusions intéressantes.

Si je ne peux dire pourquoi il n’y a pas plus d’ouverture, je puis indiquer que l’IGPN a proposé la création d’un comité d’évaluation de la déontologie de la police nationale, qui a été validée par le ministre de l’Intérieur. Ce ne sera pas une structure permanente, mais j’ai proposé d’y associer un député, un sénateur, des professeurs d’université, un magistrat, des avocats, des représentants d’associations comme l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) et Amnesty International, avec lesquelles je travaille, le Défenseur des droits, un journaliste. J’espère pouvoir le réunir au moins une fois d’ici à la fin de l’année pour échanger sur l’usage des armes et de la force. Je souhaite recueillir des propositions sur nos techniques d’intervention, sur notre façon de travailler et avoir l’avis de la société civile.

Mme George Pau-Langevin, rapporteure. Lors de la table ronde précédant votre audition, on nous a dit que les armes non létales comme le LBD ou le Taser pouvaient se révéler dangereuses, dans la mesure où elles sont utilisées plus facilement que des tirs à balle réelle.

Général Alain Pidoux. Depuis dix ans, dans la gendarmerie, nous avons réduit annuellement le nombre d’ouvertures du feu de 23 %, celui-ci étant passé de quatre-vingt-dix en 2010 à soixante-quinze aujourd’hui. En trois ans, nous avons utilisé mille fois le LBD. J’estime que c’est un emploi d’une grande maîtrise. D’emblée, nous avons institué des superviseurs. Croyez bien que les gendarmes qui utilisent cette arme de force intermédiaire en mesurent la sensibilité et le danger potentiel. À l’évidence, il est bien moins dangereux de tirer avec un LBD qu’avec un pistolet et cela contribue à la diminution du nombre de tirs par arme à feu.

Je confirme que le PIE est une arme décisive, très dissuasive, certainement la plus dissuasive. Son développement et les nouveaux moyens attendus nous permettront d’être encore plus performants, d’autant que chaque PIE sera désormais équipé d’une caméra.

Je suis surpris que vous fassiez état d’un défaut de transparence. Depuis que nous travaillons sur les techniques d’intervention, c’est-à-dire depuis 2002, nous avons toujours associés aux réflexions des chercheurs, des médecins, pas seulement du service de santé des armées, et des sportifs. Nous avons supprimé tout ce qui pouvait être dangereux, ce qui a d’ailleurs conduit le ministre à ne pas nous convier au groupe de travail de la police nationale sur les techniques d’intervention, parce que nous n’étions pas concernés par certaines pratiques. En revanche, à Saint-Astier, un groupe de réflexion permanent travaille avec nos amis partenaires de la Guardia Civil, qui ont développé des méthodes éprouvées.

Les techniques que 80 000 personnels doivent maîtriser de manière réflexe doivent être accessibles au plus grand nombre. Face à quelqu’un qui a bu, qui a perdu la raison, qui est dangereux, qui fonce sur vous, le maniement doit devenir réflexe et les gestes doivent être faciles. Les hommes et les femmes que nous faisons intervenir ne sont pas toujours des deuxièmes lignes de rugby. Le PIE permet de maîtriser un adversaire parfois hors de contrôle, en réduisant au mieux sa dangerosité.

Mme George Pau-Langevin, rapporteure. Vous avez évoqué les difficultés du maintien de l’ordre en outre-mer. Pourriez-vous les préciser selon les territoires ? Des incidents ont-ils donné lieu à des suites disciplinaires ?

Général Alain Pidoux. J’ai insisté dans mon propos introductif sur la difficulté des outre-mer. Le directeur général de la gendarmerie a cité des chiffres : en dix ans, le nombre des blessés en intervention dans les outre-mer a augmenté de 118 %, contre 63 % dans l’Hexagone.

À Mayotte, il y a quasiment tous les soirs des confrontations, des barrages, des barricades. Les gendarmes sont soumis à des caillassages. Il y a trois jours, l’un d’entre eux a été touché à la gorge par un tesson de bouteille. Des jeunes sont hors de contrôle et nous devons continuer à rétablir la sécurité et à ramener le calme. Presque toutes les nuits, nous sommes à la manœuvre. J’ai rencontré des gendarmes mobiles de retour après trois mois d’emploi, épuisés et heureux de rentrer.

Avant de parler des sanctions, je soulignerai l’absence de problème. Cette année, je suis saisi d’une seule difficulté outre-mer. On ne peut pourtant pas dire que ces territoires sont exempts de crispations sociales. Ceux qui les connaissent peuvent témoigner que la présence de gendarmes, y compris de gendarmes mobiles, y est considérée comme un puissant régulateur social.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire difficile. Nous avons dû remplacer le blindage de nos véhicules, parce que des tirs d’armes de grande chasse avaient traversé le blindage de véhicules blindés à roues (VBRG). Nous avons maintenant une vingtaine de véhicules de l’avant blindé (VAB). L’État doit continuer d’intervenir dans des conditions difficiles, même en dehors des périodes électorales que nous venons de vivre.

En Guyane, la violence est permanente. La proximité du Brésil, du Surinam, le trafic de produits stupéfiants provoquent de vives tensions. Regardez le nombre d’homicides dans ce département ! Le nombre d’ouvertures du feu par les services de gendarmerie représente environ la moitié de celui enregistré dans l’ensemble du territoire français.

Aux Antilles, le climat social reste fragile, en particulier à Fort-de-France. Le groupe Rouge Vert Noir, très virulent, oblige l’ensemble des partenaires de l’État à agir avec discernement. Les gendarmes présents pour réguler et intervenir en zone de gendarmerie, mais aussi en secteur de police, puisque nous sommes les seuls dans les territoires d’outre-mer, le font avec grande difficulté.

M. Meyer Habib. La police et la gendarmerie étant détentrices de la force légitime, j’ai beaucoup de mal, dans un État de droit, à entendre parler de « violences policières ». Je réfute fermement l’expression. Le maintien de l’ordre, mission de l’État régalien par excellence, repose avant tout sur la capacité de dissuasion, c’est-à-dire la possibilité d’emploi réel et proportionné de la force. Même si la prévention des dysfonctionnements motive votre présence aujourd’hui, je ne peux pas ne pas penser à ce qui s’est passé à Herblay, à Champigny-sur-Marne ou à Savigny-sur-Orge. Je vois des provocations, des policiers bousculés, insultés. Je vois des agressions des forces de l’ordre en meute. Ceux qui sont censés assurer l’ordre sont souvent paralysés, impuissants face au déchaînement de la violence. La peur de la police disparaît, ce qui est dramatique non seulement pour eux mais aussi pour la France et tous ses citoyens.

Il y a peut-être 25 % d’enquêtes en plus, mais aujourd’hui, tout est filmé. C’est pourquoi il me paraît urgent que des webcams filment toutes les interventions, comme c’est le cas dans certains pays comme Israël, que je connais bien. Cela tranquillise tout le monde. C’est une piste pour les législateurs que nous sommes.

Concernant la légitime défense, entre le système américain où des malheureux se font tirer dans le dos et le système français, il existe un juste milieu. Je suis d’accord avec Éric Ciotti pour dire qu’à Champigny-sur-Marne, on aurait dû ouvrir le feu face à une agression par des mortiers et des armes lourdes qui aurait pu tuer. Il convient d’assurer la protection juridique des forces de l’ordre. Un cadre doit leur permettre d’assurer leur fonction en toute sécurité, sans être tétanisés par la peur de perdre leur emploi ou de voir leur vie brisée pour une réaction qu’ils n’auraient peut-être pas dû avoir, mais qu’ils doivent déclencher en quelques dixièmes de seconde. Nombre de policiers sont à bout. Quand on parle de riposte, les gens pensent à une bavure, alors qu’il y en a très peu.

Mme George Pau-Langevin, rapporteure. Nous avons bien entendu fait part de notre émotion face à un certain nombre de faits récents qui ont mis en cause la sécurité ou la vie de policiers.

M. Jérôme Lambert. Quelle est, parmi les saisines liées au maintien de l’ordre, la répartition entre celles concernant les forces spécialisées que sont les CRS et les gendarmes mobiles, et les autres ? Au cours de nos auditions, sont apparues les difficultés de la gestion par des forces non spécialisées d’une manifestation qui dégénère. On nous a dit que les CRS ou les gendarmes mobiles, plus rompus et mieux formés au maintien de l’ordre, géraient mieux ce genre de situation. Est-ce votre avis ?

Mme Brigitte Jullien. Depuis quelques années, les policiers sont équipés de caméras-piétons. Nous en avons expérimenté deux modèles. De fait, la vidéo s’impose désormais dans toutes les opérations de police. En matière judiciaire, tout support vidéo, quel qu’il soit, et pas seulement la caméra-piéton tenue par un policier, est admis par la justice. Dans de nombreuses affaires où des policiers sont mis en cause, les scènes filmées par des téléphones portables ont été prises en compte par la justice.

Les caméras-piétons sont acceptées et même réclamées par les forces de l’ordre. À la demande du directeur général, nous venons de rendre un rapport sur le prochain marché public à passer conjointement avec la gendarmerie. Nous notons qu’il existe une forte attente de la part des policiers d’un dispositif de caméras-piétons au rechargement rapide et facile d’utilisation. Nous ne devons pas les décevoir, au risque de voir le matériel finir à la poubelle.

La vidéo est indispensable. Dans nos enquêtes judiciaires, nous exploitons tous les supports vidéo. Nous visionnons des milliers d’heures, qu’elles proviennent de la préfecture de police, de Facebook, d’Instagram et de tous les autres réseaux sociaux, pour avoir toutes les prises de vue possibles et établir la chronologie des faits.

Je rappellerai que les armes de force intermédiaire nous ont été attribuées en tant que moyen de gradation d’usage. On ne veut pas dire aux policiers qu’ils n’ont que leur arme létale pour remplir leur mission. Il y a des bâtons de défense, le tonfa, le LBD, les grenades, dont la grenade à main de désencerclement. Je précise que le PIE n’est pas utilisé en mission de maintien de l’ordre. Il est destiné à neutraliser un individu en crise de folie, suicidaire ou autre.

Du point de vue juridique, en vertu du principe de protection fonctionnelle, dès qu’un policier est mis en cause, un dispositif suivi par les directions se met en place automatiquement. Il n’a pas de frais d’avocat à débourser et peut être représenté devant les tribunaux.

Nous n’avons pas établi la part du nombre de saisines effectuées selon qu’il s’agisse des CRS, des brigades anticriminalité (BAC), des brigades de répression de l’action violente (BRAV) ou des compagnies départementales d’intervention (CDI). Sur les 406 dossiers d’enquête relatifs aux manifestations des Gilets jaunes, 206 ont été classés, parce que l’usage de la force était légitime ou parce qu’on n’a pu identifier l’auteur du tir. En regardant les images de manifestations de Gilets jaunes, notamment dans les premiers mois, nous n’arrivions pas à identifier l’unité en présence au moment où la personne a été blessée, en raison du brassage phénoménal des forces en présence. Prévues, par exemple, porte de Vincennes, elles se sont retrouvées porte Maillot, parce qu’elles ont travaillé douze heures d’affilée et parcouru jusqu’à quarante kilomètres par jour en courant dans tous les sens. Or nous devons commencer par relever le positionnement des gens pour identifier le tireur. Il arrive aussi que la victime ne sache pas où elle était, beaucoup de provinciaux étant montés à Paris pour manifester. Si on ne sait pas où elle a été blessée, on ne peut savoir qui elle avait en face d’elle.

Si nous avons eu moins de personnes blessées par les tirs de LBD par les CRS ou autres unités constituées, que par les unités en civil, BRAV, BRI et BAC, c’est parce que les CRS n’utilisent pas le LBD en maintien de l’ordre. En revanche, les BAC et les CDI, habituellement positionnées dans les quartiers difficiles, emploient cet outil de lutte contre les violences urbaines. Projetées dans les manifestations, elles étaient dotées des outils pour interpeller. Davantage d’unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre ont fait usage du LBD, mais elles ne faisaient pas du maintien de l’ordre, elles étaient utilisées pour interpeller les fauteurs de trouble. Le dispositif global comprenait des unités constituées pour rétablir l’ordre et des unités en civil spécialisées pour faire de l’interpellation.

Général Alain Pidoux. Mesdames et messieurs les députés, je partage partiellement vos observations, mais soyez assurés que je ne ressens nulle impuissance. Je vois des gendarmes qui n’ont pas du tout peur de s’engager. Il y a trois mois encore, je voyais une gendarmerie capable de se mobiliser très rapidement sur le terrain pour faire face à des incidents. Soyez assurés que je ne ressens aucune impuissance de la part de l’État pour faire face à quelque problème que ce soit.

Je partage avec vous, et je l’ai dit d’emblée, le besoin de captation d’images qui doit nous amener à progresser, et les réflexions en cours nous conduiront certainement à le faire.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec vous sur la légitime défense. Non, on n’aurait pas dû tirer. Ce n’est pas parce qu’on lance des pétards et des fusées sur elles que les forces de l’ordre doivent ouvrir le feu.

M. Meyer Habib. Au mortier !

Général Alain Pidoux. Dans la nuit du premier de l’an, on a tiré au mortier sur les gardes républicains de la caserne Kellermann, et nous n’avons pas ouvert le feu. Nous sommes sortis pour aller chercher les agresseurs et ils sont partis.

Il faut savoir raison garder et revenir à la proportionnalité. Comme au rugby, il faut aller sur le terrain de l’adversaire pour le faire reculer. La légitime défense, c’est grave ; ouvrir le feu, c’est d’une gravité absolue. En 2017, nous avons eu quatre morts liés à l’usage des armes par les gendarmes, sept en 2018, deux en 2019 et deux depuis le début de l’année. Aller voir les parents après que vous avez neutralisé quelqu’un, c’est très dur. Avant de tirer avec son pistolet, le gendarme fait preuve de maîtrise. Le GIGN se situe à un stade encore supérieur. Utilisons la panoplie de moyens de force intermédiaire dont nous disposons.

La protection fonctionnelle se déploie quand un gendarme a besoin d’être accompagné par un avocat. En six ans, le nombre de demandes de protection fonctionnelle a doublé, ce qui montre bien que l’adversité ne cesse de grandir.

Je voulais souligner un point qui n’a pas encore été évoqué, à savoir la place du chef. Sur le terrain, il faut des chefs. C’est le chef qui régule, agit, mobilise. C’est lui qui dit : « On monte ! », ou bien : « On va ouvrir le feu ! ». Les gendarmes ne sont pas toujours en binôme. La place du chef est essentielle. À la direction générale, nous travaillons sur la place du chef. Un document a été rédigé à ce sujet. En une phrase, un vrai chef est bienveillant, profondément humain, mais il est hyper exigeant et intransigeant sur les principes fondamentaux. C’est à ces conditions qu’un chef est respecté. Plus la situation devient périlleuse, plus il y a d’explosions, et plus le chef doit être serein et capable de mener ses hommes dans la bonne direction. Le premier d’entre eux est le directeur général, auquel je soumets des propositions de formation pour préparer les chefs de demain. Face à une plus grande adversité, à des difficultés croissantes et à la médiatisation, il doit être capable d’agir de la même façon lorsque tout va bien et le jour où, démuni de tout moyen technique, il doit commander à la voix.

Des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) ont été très utilisés pour renforcer les forces de police devant des préfectures. À Quimper, le directeur général a décidé de les équiper et de former le numéro un et le numéro deux de chaque PSIG. J’ai été surpris de constater à quel point ces personnels ont agi avec proportionnalité et discernement. Nous sommes intervenus au début, en tenue d’intervention mais sans bouclier et sans équipement spécifique. J’avais l’avantage en Bretagne d’avoir un PSIG qui, à ma demande, avait été exceptionnellement équipé pour gérer les matchs de football à Guingamp, quand l’équipe d’En avant Guingamp avait le bonheur de jouer en première division. Nous avons utilisé l’expérience acquise. Dans tous les départements, des moyens permettent aux personnels des PSIG d’intervenir avec de tels équipements et des chefs qui ont suivi à Saint-Astier la formation élémentaire nécessaire.

Mme George Pau-Langevin, rapporteure. Comment l’action de ce chef s’articule-t-elle avec celle du superviseur de LBD ? Qui donne l’ordre ?

Général Alain Pidoux. Il y a quatre LBD dans chaque escadron, un par peloton, dirigé par un commandant de peloton. À côté du tireur de LBD, le superviseur identifie la personne la plus agressive qui a, par exemple, envoyé des bouteilles d’acide ou des jets divers. Ce sont des petites structures de sept personnes. Le chef qui est juste derrière lui donne le top pour procéder à un tir de LBD. Tout cela se passe dans un périmètre très réduit, une largeur de rue, qui permet de commander à vue et à la voix.

Mme Aude Bono-Vandorme. L’arrêté du 10 juin 2020 instituant un collège des inspections générales présidé par le chef de service de l’inspection générale de l’administration (IGA) prévoit qu’il soit réuni au moins quatre fois par an afin de veiller « à la cohérence méthodologique et déontologique des pratiques professionnelles de l’inspection générale ». Ce collège s’est-il déjà réuni et, le cas échéant, qu’est-il ressorti de cette réunion ?

Mme Camille Galliard-Minier. Notre commission d’enquête examine la question du respect de la déontologie dans le cadre du maintien de l’ordre. Au cours de nos auditions, nous avons constaté un défaut de confiance entre les forces chargées du respect de l’ordre public et les personnes venues manifester. Celui-ci résulte de l’impression que l’attitude des personnes chargées du respect de l’ordre public va parfois au-delà de la violence légitime ou proportionnée et que les sanctions – quand il y en a – sont prononcées tardivement. Le Premier ministre avait rappelé le triptyque confiance, respect et exigence, dont les deux premiers éléments sont aussi importants que le dernier. Vous êtes les détenteurs de l’exigence.

Madame la directrice, vous avez souligné dans vos propos liminaires que l’IGPN devait veiller à ce que les policiers soient correctement traités, ce qui est parfaitement normal, mais je vous ai peu entendue dire que vous étiez là aussi pour sanctionner ceux qui ne faisaient pas bien leur travail. Un policier qui ne fait pas bien son travail jette l’opprobre sur l’intégralité de la profession, ce qui a un effet déstabilisant pour notre société. Une société qui n’a pas confiance en sa police est une société qui va mal. Votre institution étant au cœur de cette problématique, il importe de recentrer cette notion pour assurer les personnes confrontées aux policiers que votre institution est là aussi pour les sanctionner.

Lorsque quelqu’un pense avoir été victime d’une blessure et de violences non justifiées, qui doit-il saisir ? Comment obtenir de la lisibilité sur les personnes sanctionnées et la nature de la sanction ? Cela me paraît nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.

Mme Brigitte Jullien. Le collège des inspections générales ne s’est pas encore réuni ; il doit tenir une réunion préparatoire début novembre et être installé officiellement d’ici à la fin de l’année par Mme Marlène Schiappa.

En ce qui concerne le défaut de confiance envers les forces de sûreté intérieure et les sanctions jugées tardives, comme le directeur général vous l’a dit, la police nationale représente 7 % des effectifs de la fonction publique et totalise 50 % du nombre de sanctions prononcées pour l’ensemble de la fonction publique. En 2019, sur les 1 678 sanctions infligées, vingt-et-une prononçaient la révocation de policiers. On ne peut pas dire que la police nationale ne sanctionne pas.

Dans mon propos liminaire, j’ai évoqué l’ordre public et la déontologie mais je n’ai pas parlé de sanctions, parce que l’IGPN ne sanctionne pas. Comme l’IGGN, elle ne procède qu’à des enquêtes. Nous ne faisons que des propositions de sanctions à l’issue de nos enquêtes administratives. Nous ne jugeons pas non plus, ni ne condamnons. Comme tout enquêteur de police judiciaire, nous envoyons nos dossiers au procureur de la République. Nous avons fait près de 300 propositions de sanction qui sont détaillées dans le rapport annuel disponible sur le site internet du ministère de l’Intérieur

Les sanctions sont tardives parce qu’elles sont nombreuses. Les enquêtes sont longues et minutieuses, parce que nous nous demandons toujours si le policier est digne de rester parmi nous, s’il est encore digne d’être un des nôtres. Nous ne gardons pas les policiers indignes de l’être. Notre code de déontologie est notre droit. Tous les manquements commis par les policiers sont relevés et il n’y a pas d’indulgence à leur égard, car ce ne serait pas acceptable.

Les enquêtes sont longues en matière d’ordre public, parce que l’usage de la force est légitime. La loi autorise le policier à y recourir. Lorsqu’il y a une blessure dans une manifestation, même si elle est grave et mutilante, il faut toujours se demander si l’usage de la force était nécessaire, proportionné et légitime. Or aujourd’hui, l’action de la force publique est systématiquement contestée. Dans les 406 dossiers relatifs aux Gilets jaunes, il y a bien sûr des blessures mutilantes, mais il y a aussi la personne qui n’a pas pu aller où elle voulait parce que les policiers lui ont dit que la rue était barrée et qui dépose plainte parce qu’elle n’a pas pu exercer sa liberté d’aller et venir. Pour les personnes qui veulent se plaindre de l’action de la police, l’inspection générale a créé une plateforme de signalement accessible par internet. Nous y recevons près de 6 000 signalements par an. Soit nous les orientons vers le dépôt de plainte, soit nous appelons le service territorialement compétent afin qu’il rappelle la personne et lui explique ce qui s’est passé. Dans les cas farfelus, nous discutons avec la personne et le dossier n’est pas traité. Nous voyons de tout, de la victime au témoin, en passant par celui qui passe sa nuit sur les réseaux sociaux et qui nous envoie des vidéos.

Les images ne font pas tout. Pendant les manifestations des Gilets jaunes, une vidéo a tourné sur les réseaux sociaux où l’on voyait un policier ramasser tranquillement dans un sac des objets de la boutique du Paris Saint-Germain. Nous avons reçu le signalement et la vidéo par la plateforme. Nous avons regardé si une procédure pour vol à l’étalage en réunion sur les Champs-Élysées avait été engagée. En réalité, ce policier ramassait certainement du matériel qui avait échappé au vol afin de le joindre à la procédure. Ne pas approfondir les recherches peut conduire à des erreurs. La plateforme de signalement est ouverte à tous et nous traitons tous les signalements. Nous recevons aussi des courriers, des appels téléphoniques et, à la délégation de Paris, nous accueillons les plaignants physiquement pour prendre leurs plaintes comme dans un commissariat classique.

Général Alain Pidoux. Je ne reviendrai pas sur le collège des inspections générales. Nous travaillions déjà ensemble sur les caméras piétons, mais cette structure a pour objet de nous permettre de travailler conjointement sur des missions plus complexes ou sur des affaires comme celle de Sivens.

Nous avons, dans chacune des maisons, un référent déontologique – j’assure cette fonction pour la gendarmerie. Un référent déontologue ministériel, Christian Vigouroux, nous réunit environ cinq fois par an sur des thématiques comme la tenue ou le respect du secret professionnel. Nous pouvons également le saisir.

Je rappelle que la gendarmerie dispose aussi d’une plateforme sur laquelle nos concitoyens peuvent adresser leurs doléances. Nous en recevons en moyenne 1 500 par an, dont certaines farfelues, mais dont environ 150, soit 10 %, donnent lieu à des sanctions à l’encontre des gendarmes qui ont mal agi. Un gendarme qui, dans une gendarmerie, refuse de prendre une plainte commet une faute professionnelle qui est sanctionnée. Toute sollicitation donne lieu à une enquête. Nous demandons au commandant de groupement du département concerné de faire une enquête, de répondre directement ou de faire remonter le dossier en fonction de la gravité des faits.

Je le répète, je note une accentuation des violences ; des gens percutent des policiers ou des gendarmes parce qu’ils n’ont plus de permis. On assiste à une perte de repères. Il y a peut-être un défaut de confiance, mais ne nous laissons pas emporter. Je vois parmi nos concitoyens des hommes et des femmes qui aiment bien leurs gendarmes et leurs policiers. Dans la vallée de la Roya ou à Nice, j’entends des témoignages exceptionnels sur le travail des personnels. Je reviens d’outre-mer où j’ai également recueilli des témoignages forts. Ne nous laissons pas emporter par une composante certes réelle mais dont il faut bien mesurer l’ampleur réelle.

J’ai récemment accueilli un chercheur qui réalise pour la fondation Jean-Jaurès une étude sur les forces de sécurité. Nous avons exploré toutes les hypothèses. Pour ramener de la confiance, il faut redonner toute sa place à la transparence dans l’action, dans la sanction et dans le rôle des chefs. Parce que nous sommes capables de sévir en cas de faute, la transparence est décisive pour emporter la confiance de nos concitoyens. Ce respect, cette confiance et cette exigence nous animent et nous essayons de les faire vivre.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Madame la directrice, le ratio de 50 % des sanctions prononcées dans la fonction publique, que vous évoquiez, concerne-t-il des sanctions à la fois administratives et judiciaires ?

Mme Brigitte Jullien. Uniquement administratives.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Merci mon général, merci madame la directrice. Nous aussi, nous les connaissons, ces policiers et ces gendarmes qui sont au service de la population jour et nuit, souvent au péril de leur intégrité physique et parfois de leur vie. Soyez auprès d’eux les porte-parole de cette commission d’enquête pour les remercier de ce qu’ils font.

La séance est levée à 18 heures 30.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Camille Galliard-Minier, M. Fabien Gouttefarde, M. Jérôme Lambert, Mme Constance Le Grip, Mme George Pau-Langevin

 

Excusé. - M. Christophe Naegelen

 

Assistait également à la réunion. - M. Meyer Habib