Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports 2

– Présences en réunion.................................26

 

 

 

 

 

 


Jeudi
17 décembre 2020

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. François de Rugy, président


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Jeudi 17 décembre 2020

La séance est ouverte à douze heures quarante-cinq.

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La commission spéciale procède à l’audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, après avoir entendu le ministre de l’intérieur, nous enchaînons avec l’audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports.

Tout le monde a perçu l’importance de l’éducation, dont il a d’ailleurs été question lors de l’audition précédente, pour le sujet qui nous occupe : la transmission des valeurs au sein de l’école est fondamentale. Nous sommes donc très heureux de vous entendre, Monsieur le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Le projet de loi, présenté en conseil des ministres le 9 décembre, comporte des dispositions importantes concernant l’éducation et le sport, rassemblées dans le chapitre V du titre Ier. À mes yeux, ce n’est pas un texte contre, c’est un texte pour – pour la République, dont l’école est le pilier, la colonne vertébrale.

Les mesures concernant mon ministère font progresser l’école. Or, l’école, c’est bon pour les enfants ; la pandémie a été l’occasion de le redire et surtout de le ressentir. Tous les enfants, sur le territoire français, doivent aller à l’école. L’école, c’est bon pour les enfants : il est important de rappeler ce principe simple – après, on peut discuter des modalités. Du reste, ce principe n’est pas valable seulement en France : il vaut pour l’ensemble du genre humain.

Aller à l’école est un droit. Ce texte a donc pour enjeu de défendre non seulement la République, mais aussi les droits de l’enfant – les deux allant de pair. L’obligation de scolariser les enfants est l’expression d’une conviction profonde ; elle est liée aux grandes lois de la République, notamment celles des années 1880, qui ont rendu l’instruction obligatoire. Dès le début de la Troisième République, on était conscient du fait que l’école était le vecteur majeur de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ; la psychologie et l’ensemble des disciplines permettant de mieux connaître l’être humain ont conforté cette idée. Par ailleurs, le premier confinement, entre le 15 mars et 11 mai, a aussi permis de convaincre ceux qui en auraient douté qu’enseigner est un métier, et que l’on est bien content que les enfants puissent aller à l’école.

Depuis plusieurs années, on constate pourtant un phénomène de fuite de l’école, pour diverses raisons – certaines sont compréhensibles, d’autres mauvaises. En dix ans, le nombre d’enfants concernés a été multiplié par trois, pour atteindre 62 000 cette année. Ce phénomène, qui ne concerne pas seulement la France, pourrait être qualifié de « séparatisme ». En tout cas, il fragmente notre pays. Or, et c’est l’un des sens du mot « République », nous devons nous efforcer d’unir la société, notamment grâce à l’école.

L’évolution que je décrivais se traduit par une augmentation du nombre d’enfants inscrits au Centre national d’enseignement à distance (CNED), en général pour des motifs de santé ou de handicap, le nombre d’enfants dans ces catégories restant relativement stable. À cet égard, je rappelle que nous sommes engagés de manière très déterminée dans une dynamique d’école inclusive : les élèves, même s’ils ont un handicap, sont autant que possible scolarisés.

Quoi qu’il en soit, un grand nombre de familles considèrent donc que leurs enfants ne doivent pas côtoyer d’autres enfants, d’autres milieux ou d’autres confessions. Cela peut conduire à des situations préoccupantes, néfastes à l’apprentissage et au bien-être de l’enfant. L’islamisme radical n’est pas seul en cause, même s’il est dans tous les esprits : il y a aussi les phénomènes sectaires et d’autres formes de radicalisation.

Depuis deux ans, avec la loi Gatel et la loi pour une école de la confiance, nous avons engagé la fermeture des écoles clandestines et des écoles hors contrat qui ne respectent pas les valeurs de la République. Or nous avons constaté que plus de la moitié des enfants présents dans ces structures étaient en principe sous le régime de l’instruction en famille. Autrement dit, le dispositif était détourné : alors qu’ils étaient censés recevoir l’instruction en famille, ils fréquentaient en réalité des structures clandestines et illégales. C’est évidemment préoccupant.

Nous voulons mettre fin à ce phénomène qui met en cause les droits de l’enfant – car lorsque les parents ou les responsables légaux d’une fillette de 3 ans envoient celle-ci, couverte de la tête aux pieds, dans un hangar pour y recevoir un enseignement, ils violent les droits de cet enfant. En outre, on ne peut pas faire comme si ce phénomène était marginal : il est important, même si, bien entendu – et je veux être très clair sur ce point –, tous les cadres de l’instruction à domicile ne correspondent pas à cette description.

On me demande parfois quels sont la proportion et le nombre d’enfants concernés par ce phénomène. Il est vrai qu’à ce stade nous avons plutôt des évaluations qu’un véritable décompte – justement parce que nous ne disposons pas encore des outils législatifs, et ultérieurement réglementaires, permettant de prendre la mesure exacte du problème. Quoi qu’il en soit, sur le terrain, nous voyons bien que le phénomène est loin d’être marginal.

Bien entendu, notre objectif n’est pas de porter atteinte aux pratiques positives à travers notre combat contre celles qui sont négatives. Nous souhaitons restreindre la possibilité d’avoir recours à l’instruction en famille, mais, comme l’a dit dès le début le Président de la République, il ne s’agit pas d’interdire aveuglément tous les dispositifs d’instruction en famille : nous voulons définir de manière restrictive les exceptions à la scolarisation, de manière à ne conserver que les cas relevant de demandes légitimes et à lutter contre toutes les tendances qui mettent en cause l’unité de la République.

Je précise d’emblée qu’à mes yeux cette proposition ne heurte en aucun cas la Constitution. Le Conseil constitutionnel n’a jamais jugé que l’instruction en famille constituait une composante de la liberté d’enseignement : seule la possibilité pour les familles de choisir des modalités d’enseignement différentes de celles mises en œuvre par l’État a été consacrée par la décision du 23 novembre 1977. Vous observerez aussi, à la lecture de l’avis qu’il a rendu sur le présent projet de loi, que ce n’est pas non plus la position du Conseil d’État.

Par ailleurs, d’autres pays européens ont interdit l’instruction en famille ou l’ont encadrée très strictement. En Suède, elle n’est autorisée que dans des cas exceptionnels : pour raisons de santé, ou encore dans le cas des familles en voyage. Les raisons philosophiques ou religieuses ne sont pas admises.

Les restrictions sont plus fortes encore en Allemagne, où même les raisons de santé sont strictement contrôlées. Après la deuxième guerre mondiale, ce pays a voulu éviter toute forme de sortie du système scolaire.

En Espagne, l’instruction à domicile n’est pas prévue par le système constitutionnel ; la scolarisation est obligatoire.

Ces trois cas méritent d’être soulignés, car la Cour européenne des droits de l’homme n’y a rien vu de contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Si la liberté de l’enseignement a valeur constitutionnelle, l’instruction à domicile n’est pas une de ses composantes. Elle peut éventuellement en être une modalité, tout à fait susceptible d’être encadrée.

Par cette loi, nous voulons protéger les enfants contre toute forme de violation de leur droit à l’éducation. Dans cet esprit, il sera inscrit dans le code de l’éducation que l’instruction à l’école est le principe et que l’instruction en famille ne peut intervenir que de manière dérogatoire, donc motivée. Le paradigme change dans la mesure où nous passons d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation préalable. Les familles devront se fonder sur des motifs particuliers.

Premièrement, l’« état de santé de l’enfant ou son handicap ». À ce propos, nous venons de déployer un dispositif permettant à des enfants hospitalisés pour une longue durée de suivre les cours à distance. C’est une manière de montrer que, quoi qu’il arrive, et même lorsque l’état de santé d’un enfant peut justifier une modulation de la règle, le lien avec l’école reste un élément très important.

Deuxièmement, la « pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ». Hier, lors des questions au Gouvernement, un député a évoqué des cas concrets d’enfants apprenant le violon ou pratiquant le handball de manière intensive et bénéficiant à ce titre de l’instruction en famille : avec cette loi, ce sera toujours le cas.

Troisièmement, l’« itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ». Cette condition concerne notamment les gens du voyage.

Quatrièmement, l’« existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ». J’insiste sur cette dernière condition : l’intérêt supérieur de l’enfant sera le critère absolu.

En dehors de ces situations particulières, les enfants devront donc aller à l’école, que celle-ci soit publique ou privée, sous contrat ou hors contrat – étant entendu, par ailleurs, que nous avons légiféré au cours des trois dernières années pour mieux encadrer les écoles hors contrat. Au début du quinquennat, il était plus facile d’ouvrir une école qu’un bar ; ce ne sera plus le cas. Je considère que l’on peut en être fier, car le fait d’enseigner n’est pas anodin. La liberté d’enseigner emporte aussi la liberté de créer une structure éducative, et il est important de consacrer ce principe, mais cette liberté est encadrée : elle doit s’exercer dans le respect des droits de l’enfant.

En réalité, non seulement la liberté d’enseignement n’est pas limitée par ce texte, mais elle est précisée et confortée. En 1977, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une valeur constitutionnelle. Elle peut également se prévaloir de son ancienneté. L’étape législative que vous vous apprêtez à franchir aura certainement des conséquences que je considère comme positives sur la façon de la définir : il doit s’agir d’une liberté au service des enfants.

Le travail de préparation a permis, me semble-t-il, de dissiper les inquiétudes relatives aux différentes formules d’instruction en famille : celles-ci pourront perdurer dès lors qu’elles seront fondées sur un motif légitime.

La deuxième mesure du texte que je voudrais évoquer concerne les établissements privés hors contrat. À mes yeux, elle est aussi importante que la précédente, même si l’attention s’est beaucoup focalisée sur les enjeux de l’instruction à domicile – à juste titre, car c’est un sujet important, mais cela ne devrait pas pour autant conduire à relativiser les autres mesures. Grâce à cette loi, nous pourrons fermer des écoles – en réalité des pseudo-écoles – sitôt que nous aurons constaté des manquements à leurs obligations éducatives et à leur mission de protection des enfants ; ce n’est donc pas seulement le respect des normes de sécurité – notamment en matière d’incendie – qui est visé, comme c’est souvent le cas.

Par ailleurs, actuellement, la fermeture définitive d’un établissement ne peut être ordonnée que par le juge pénal, ce qui implique de longs délais laissant libre cours à la poursuite des manquements constatés. Peut-être avez-vous à l’esprit un certain nombre de procédures que j’ai engagées : j’ai obtenu la fermeture de plusieurs établissements, mais cela a pris plusieurs mois. La loi Gatel, si elle a constitué un progrès très important pour empêcher l’ouverture de certaines écoles – plusieurs dizaines ont ainsi été bloquées au cours des deux dernières rentrées –, nous laisse encore assez impuissants pour ce qui est de les fermer, car les délais qu’elle prévoit sont beaucoup trop longs. Dans la région de Grenoble, par exemple, nous considérions une école comme étant d’inspiration salafiste. Nous l’avons attaquée en justice. Nous avons gagné en première instance, mais l’appel a été suspensif, et, pendant ce temps, les enfants ont pu continuer à fréquenter l’établissement. C’était, pour les responsables de cette école, une manière de narguer les autorités de la République.

Il convient donc de se doter d’un outil législatif plus efficace contre des structures de ce type, tout en respectant la liberté d’enseignement, bien entendu. La procédure sera contrôlée par le juge administratif.

Les trois autres mesures du projet de loi qui concernent l’éducation nationale visent, de la même façon, à s’assurer de la protection des élèves inscrits dans les établissements privés hors contrat.

Nous allons, d’une part, étendre à l’ensemble des personnels l’obligation pour ces établissements de déclarer annuellement leurs enseignants. Cela permettra à l’administration de s’assurer que l’ensemble des personnels de l’établissement, et pas seulement le directeur et les professeurs, ne font pas l’objet d’une incapacité juridique quelconque. L’administration pourra en effet consulter le bulletin no 2 du casier judiciaire des intéressés et vérifier, par exemple, qu’ils ne sont pas inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).

Nous allons ensuite renforcer le contrôle de l’État sur les comptes et les sources de financement des écoles privées hors contrat. Ce contrôle n’avait lieu qu’au moment de l’ouverture ; il pourra désormais être permanent.

Enfin, l’État exigera, pour la conclusion d’un contrat simple ou d’un contrat d’association, le respect d’un enseignement conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, autrement dit le respect des normes minimales de connaissances requises par le code de l’éducation. Là encore, il s’agit de protéger les droits de l’enfant, en l’occurrence en s’assurant que le socle commun de connaissances, de compétences et de culture est réellement acquis par les enfants durant leur parcours scolaire.

Je voudrais aborder également les enjeux du monde sportif. J’ai demandé que nous nous engagions, en matière de défense des valeurs de la République, dans une démarche de qualité comparable à celle de l’éducation nationale. La fusion du ministère de l’Education nationale et de la jeunesse avec celui des sports a de nombreuses vertus, que Roxana Maracineanu et moi-même soulignons souvent, dont celle-ci : il y a désormais une vision commune et volontariste s’agissant du respect des valeurs de la République dans nos activités.

À l’instar de l’ensemble du monde associatif, le projet de loi permettra de faire évoluer la tutelle de l’État sur les fédérations sportives, lesquelles devront s’engager expressément à respecter les principes républicains. Nous leur donnerons à la fois plus d’autonomie et plus de responsabilités. Elles s’engageront à respecter les principes républicains et, plus généralement, des règles d’éthique – ce qui englobe le combat contre les violences sexuelles dans le milieu sportif, que Roxana Maracineanu mène avec beaucoup d’énergie et d’efficacité. Cet engagement conditionnera la délivrance de l’agrément, qui permet de solliciter des subventions et de bénéficier des services des cadres d’État et, le cas échéant, de la délégation de service public.

Les évolutions législatives relatives au sport contenues dans ce texte s’adressent aux fédérations reconnues par l’État, aux fédérations agréées et aux fédérations délégataires.

Pour toutes les fédérations reconnues par l’État, le régime de tutelle sera remplacé par un régime de contrôle.

Pour les fédérations agréées, l’agrément ministériel sera conditionné à la signature du contrat d’engagement républicain. L’agrément sera limité dans le temps pour faciliter le contrôle de cette obligation. Les fédérations auront jusqu’au 31 décembre 2025 pour se mettre en conformité.

Pour les fédérations délégataires, la délégation ministérielle sera conditionnée à l’établissement d’un contrat de délégation par lequel la fédération s’engagera à promouvoir et préserver les principes républicains.

Ces évolutions législatives s’inscrivent dans le cadre d’une feuille de route globale que nous venons d’adresser à l’ensemble des acteurs du monde du sport. Nous allons d’abord et surtout accompagner ces derniers. Très souvent, les clubs essaient de trouver des solutions, mais se sentent démunis. Certaines situations sont donc comparables à celles que l’on a connues dans l’éducation nationale. Les normes doivent être claires et il faut être en mesure d’aider les clubs à faire respecter les valeurs de la République, notamment en leur envoyant des équipes dédiées.

Le projet de loi va donc permettre de couvrir tous les domaines entrant dans le champ de mon ministère, en protégeant les enfants et les jeunes pendant le temps scolaire et en dehors. Ces dispositions, qui viennent compléter des mesures prises au cours des dernières années, sont importantes. Au-delà de l’école elle-même, c’est le projet républicain qu’elles permettront de consolider.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Merci, Monsieur le ministre, d’avoir accepté de répondre à nos questions aussitôt après l’installation de la commission spéciale.

Je ne reviendrai ni sur les objectifs généraux du texte, dont nous avons parlé longuement avec le ministre de l’intérieur, ni sur les outils concernant directement le domaine éducatif et le sport – je laisserai le soin à ma collègue Anne Brugnera, rapporteure pour cette partie du texte, de vous interroger à ce propos. Je voudrais savoir, pour ma part, quelle est la portée exacte de l’article 18, créant un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui, qui entend répondre à la mort du professeur Samuel Paty, qui a été assassiné par un terroriste. Quelle protection supplémentaire ce texte apportera-t-il à la communauté éducative, que vous représentez ici ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République traite, dans le chapitre V du titre Ier, de l’instruction dans la famille et des établissements d’enseignement privés afin de garantir à chaque enfant une éducation conforme aux principes de la République. Pour cela, il faut, d’une part, vérifier que chaque enfant bénéficie d’une instruction, d’autre part, que celle-ci, qu’elle soit dispensée dans une école publique ou dans une école privée sous contrat, hors contrat ou à domicile, soit conforme aux principes de la République.

Pour vérifier que chaque enfant de France âgé de 3 à 16 ans bénéficie d’une instruction, il nous faut savoir s’il est inscrit dans une école ou à domicile. Ce contrôle est actuellement de la responsabilité de l’éducation nationale. Il nécessite de disposer de différentes données. D’abord, la liste des enfants scolarisés ; pour cela, il faut les listes complètes et à jour des enfants inscrits dans toutes les écoles, privées comme publiques. Il faut aussi disposer de la liste des enfants instruits à domicile ; ceux-ci étaient jusqu’à présent déclarés comme tels par leur famille auprès de la mairie et des services de l’éducation nationale, qui en établissaient une liste annuelle. En compilant ces différentes listes, on obtient celle des enfants qui bénéficient d’une instruction. Afin de vérifier qu’aucun enfant n’est oublié, négligé ou voit ses droits à l’instruction bafoués, il faut comparer cette liste avec celle des enfants en âge d’être instruits. Selon nos lois en vigueur, cette liste doit être constituée chaque année par la mairie. C’est une tâche qui n’est pas ou qui est mal faite ; elle est difficile, notamment dans les territoires où la mobilité résidentielle est forte. Les mairies manquent de connaissances, d’outils et souvent de moyens pour la mener correctement ; je pense que nous devrions essayer d’y remédier.

En 2018, j’avais rendu un rapport sur la déscolarisation. Sa première préconisation était d’améliorer le recensement et le suivi des enfants non scolarisés. Pour cela, je préconisais d’attribuer un numéro d’identification, l’identifiant national élève (INE), à tous les enfants, qu’ils soient scolarisés ou non – en somme d’en faire un identifiant national enfant. L’INE n’est aujourd’hui attribué qu’aux enfants scolarisés dans le public ou le privé sous contrat ; du fait de cette absence d’exhaustivité, il n’est pas un outil efficace. Monsieur le ministre, quel est votre avis sur son éventuelle généralisation et, si vous y êtes favorable, comment en envisagez-vous les modalités pratiques ?

Si j’ai souhaité, à l’époque, réaliser cette mission, c’est que j’étais préoccupée par la situation de certains enfants : les enfants censés être instruits à domicile, c’est-à-dire déclarés comme tels mais ne recevant pas ou peu d’instruction ; les enfants n’ayant jamais été instruits à l’école ou à domicile ; et, surtout, ceux qui étaient retirés de l’école par leurs parents. Il convient, je crois, d’être particulièrement attentif aux changements de situation des enfants, notamment aux retraits de l’école. Chaque changement de situation doit être enregistré dans les bases de données et faire l’objet d’un suivi. La mission préconisait d’ailleurs de créer une commission chargée du partage de données et du suivi des enfants non scolarisés et, surtout, déscolarisés. Une fois l’INE généralisé et attribué à chaque enfant, le plus important sera son suivi. Comment celui-ci pourrait-il être réalisé, avec toutes les contraintes de gestion et de partage de données que nous connaissons en France ?

Mme Fabienne Colboc. Cent quinze ans après l’adoption de la loi de 1905 qui consacre la séparation de l’Église et de l’État et garantit le libre exercice des cultes, le présent projet de loi vient renforcer les principes de la République.

La République française est indivisible, laïque, démocratique et sociale. Ce texte est nécessaire pour endiguer le radicalisme et les dérives sectaires qui se développent dans certaines poches de notre société. Le Président de la République a voulu cette réforme pour combattre les discours et les actes qui éloignent de la République, défient ses principes et divisent les Français.

La partie du projet de loi qui vous concerne plus particulièrement, Monsieur le ministre, traite des enfants et des jeunes – cette jeunesse que nous devons protéger des dérives et à laquelle nous devons inculquer les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Vous l’avez dit : l’école est le lieu d’apprentissage de ces principes fondamentaux. Il est de notre devoir de nous assurer que par l’instruction, chaque enfant pourra disposer des outils qui lui permettront de développer son esprit critique, d’exercer sa citoyenneté et d’élever son niveau de formation.

Ces principes sont, dans certains cas, dévoyés. Pour y remédier, nous devons renforcer notre vigilance collective, notamment envers les établissements hors contrat. La loi Gatel a déjà permis des avancées importantes en la matière, notamment pour ce qui concerne les ouvertures d’établissements.

Préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, protéger nos enfants, notre jeunesse, des dérives du communautarisme, c’est agir avec les associations, qui jouent un rôle essentiel pour notre cohésion nationale et notre vie démocratique et sociale, mais aussi repérer celles dont la finalité est détournée.

Tout l’enjeu de ce projet de loi est d’agir sans toucher à nos libertés fondamentales, lesquelles sont nombreuses et indispensables à notre démocratie. Le groupe La République en marche estime que le texte qui nous est présenté respecte bien l’équilibre indispensable entre préservation des libertés et lutte contre le séparatisme.

Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi prévoit un encadrement plus important de l’instruction en famille et des écoles hors contrat. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous donner plus d’informations sur la notion d’autorisation pour l’instruction en famille ?

Vous dressez le constat qui amène à cet encadrement plus strict. Comment expliquez-vous que nous n’ayons pas, jusqu’à présent, réussi à lutter contre ces dérives ? Quid des contrôles, qui permettent notamment de lutter contre elles ? Auriez-vous, si ce ne sont des chiffres, du moins une tendance à nous donner concernant ces dérives ? Comment faire pour, comme nous y invite notre collègue Anne Brugnera, lutter contre la déscolarisation, qui est un enjeu essentiel, et repérer les enfants qui ne sont inscrits nulle part ?

Par l’introduction d’un contrat d’engagement républicain, le projet de loi vise à s’assurer que les associations et fédérations, y compris sportives, utilisent les subventions dans le respect de nos valeurs fondatrices. Par quels moyens le Gouvernement envisage-t-il de s’assurer du bon respect de cet engagement républicain et du suivi de ces acteurs indispensables à l’intégration des jeunes et à la mixité sociale ? Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement est fortement mobilisé en faveur de l’éducation prioritaire et de l’égalité des chances. Comment le projet de loi s’articule-t-il avec cette ambition ?

C’est un texte de liberté que nous sommes appelés à examiner, afin de promouvoir l’ouverture plutôt que la haine de l’autre, la fraternité plutôt que le repli communautaire. Il saura, j’en suis certaine, nous rassembler autour de la nécessité de préserver les principes de la République.

Mme Annie Genevard. Je ne peux commencer mon intervention sans avoir une pensée émue pour Samuel Paty, puisque ce projet de loi est aussi censé répondre au terrible engrenage qui a conduit à l’abominable exécution de ce jeune enseignant.

Lorsque j’ai pris connaissance du texte, j’ai pressenti que la question de l’instruction en famille serait probablement l’une des plus débattues. On touche là en effet à l’intime, au lien entre les parents et les enfants. Parmi les parents qui enlèvent leurs enfants de l’école, il y a bien sûr ceux que nous voulons combattre, mais il y a aussi – je ne vous apprendrai rien, Monsieur le ministre – des parents qui prennent cette décision, non pas par philosophie ou par conviction religieuse, mais par choix familial, par choix de vie, par volonté, tout simplement, d’instruire eux-mêmes leurs enfants. Et les nombreux témoignages que nous avons pu recueillir – parce qu’ils se sont mobilisés d’une façon incroyable – nous ont montré tous les efforts qu’ils faisaient pour les instruire convenablement.

Par ce texte, on passe d’un régime de déclaration et de contrôle à un régime d’interdiction, avec dérogations : c’est un changement fondamental, il ne faut pas le nier. On limite là une liberté constitutionnelle, qui est la liberté d’enseigner.

Monsieur le ministre, vous avez fait là un choix radical, qui sera, je le pense, très discuté. Les membres du groupe Les Républicains sont très attachés à la liberté des familles. Il faut que nous trouvions les voies et moyens, comme disent les préfets, de conserver cette liberté des familles quand elle est exercée dans le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant, tout en luttant de manière déterminée contre le mauvais usage qu’en font certains.

M. Éric Diard. Tout le monde le dit : il y a un avant et un après l’assassinat de Samuel Paty. Entre le discours prononcé aux Mureaux par le Président de la République et ce terrible attentat qui a frappé notre pays, les choses ont changé.

Le 6 novembre, vous aviez déclaré, Monsieur le ministre, qu’il y avait eu 400 signalements pour violation de la minute de silence en hommage à Samuel Paty. Le 10 novembre, vous avez reconnu, lors des questions au Gouvernement, que ce chiffre ne correspondait pas à la réalité parce que certains établissements n’avaient pas organisé la minute de silence ou que des incidents n’avaient pas été signalés. Vous avez fait un travail de recensement complémentaire, ce dont je vous félicite, puisque, la semaine dernière, vous êtes arrivé à un chiffre de 793 incidents, qui me semble plus proche de la réalité, même si je suis certain que des établissements ont évité de rendre hommage à Samuel Paty.

Mon intervention porte précisément sur ce point : il faut impérativement que, grâce à ce texte, le personnel qui est victime de pressions ou de menaces se sente soutenu par sa hiérarchie ; il faut que le rectorat soit derrière le personnel enseignant. Quand un citoyen signale un cas de radicalisation aux autorités, il passe un coup de téléphone, sans attendre de retour ; sauf en cas de signalement abusif, on ne lui reprochera pas d’avoir fait cette démarche. Les services de renseignement feront leur travail et concluront par l’affirmative ou la négative. Il ne faut plus que les enseignants craignent que leur hiérarchie ne les suive pas. Je souhaite vraiment que les différents rectorats s’engagent auprès du personnel enseignant pour le défendre ; à défaut, l’article 4 du projet de loi, qui est pourtant intéressant, sera sans utilité et les informations ne remonteront pas.

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le ministre, votre venue au premier jour de nos auditions sur ce projet de loi prend tout son sens tant il est vrai que votre ministère et votre action occupent une place prépondérante dans la réponse que la République peut apporter au phénomène du séparatisme et dans la promotion des valeurs qui nous sont communes. C’est aussi parce que l’école et le monde de l’enseignement en général sont particulièrement visés et contestés, notamment par le militantisme politique islamiste, que nous devons réagir de manière forte et décidée.

Je ne vous apprends rien à ce sujet, vous qui avez saisi le problème à bras-le-corps et qui, dès votre arrivée, avez pris des mesures qui concourent à la réponse globale que nécessitent de tels débordements – je pense notamment à la création du conseil des sages de la laïcité, au soutien aux enseignants, à leur formation à ces sujets difficiles et sur lesquels ils sont en première ligne. Nous vous avons toujours soutenu en ce domaine, car nous considérons qu’il s’agit d’une question grave qui a trop longtemps été laissée sous le tapis. Ce fut aussi le cas, bien avant ce projet de loi, des écoles hors contrat, à propos desquelles des mesures fortes ont été prises à l’occasion de la loi Gatel, que nous avons adoptée il y a deux ans.

Les dérives communautaristes se nourrissent bien souvent de nos insuffisances et de nos manques. Si la République est une idée et un projet, elle doit proposer à ses enfants des perspectives d’évolution à la hauteur des attentes de chacun. Ces principes, nous les avons défendus avec vous depuis le début du quinquennat et nous vous savons gré d’avoir présenté l’une des mesures de justice les plus fortes de ces dernières décennies avec le dédoublement des classes, de la grande section au CE1, dans les réseaux d’éducation prioritaire. C’est sur le terrain que se gagne et que s’est toujours gagnée l’adhésion républicaine.

Pour l’heure, avec ce texte, il convient de nous interroger sur le dysfonctionnement de notre organisation actuelle. La question de l’instruction en famille a fait grand bruit et nous en comprenons les motifs. Sans doute y a-t-il des aménagements à trouver pour que cette liberté reste possible. Les outils de l’éducation nationale – je pense en particulier au Centre national d’enseignement à distance (CNED) – ont prouvé leur pertinence et leur efficacité, et sont certainement à promouvoir. Néanmoins, on ne peut contester que des difficultés existent et qu’elles conduisent à ce que plusieurs dizaines de milliers d’enfants, souvent des jeunes filles, soient écartés de l’école commune. Vous avez raison de lier ce sujet à celui des écoles hors contrat, car il semble qu’il existe en la matière des vases communicants.

Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés est attaché à ce que l’école soit un creuset républicain et un outil d’épanouissement de chacun. Il sera attentif à ce qu’elle le demeure et soutiendra les initiatives que vous prendrez en ce sens.

Mme Cécile Untermaier. Je veux moi aussi rendre hommage, au nom du groupe Socialistes et apparentés, à Samuel Paty. Il me semble toutefois que ce drame ne soulève pas la question de l’instruction libre ou en famille, dans la mesure où il s’est produit dans une école de la République.

Le Président de la République avait d’ailleurs annoncé antérieurement sa décision de limiter strictement l’instruction à domicile afin de s’attaquer au séparatisme islamiste, rompant ainsi avec cinquante années de régime d’autorisation. Faire porter sur l’instruction à domicile la responsabilité du séparatisme islamiste me paraît excessif et injuste. C’est selon nous à la non-scolarisation des enfants que nous devons plutôt nous attaquer, pour des raisons de sécurité et pour enraciner la République dans toutes ses dimensions et dans toutes les générations. Cette difficulté, nous ne sommes pas parvenus à la résoudre : la mission parlementaire conduite par ma collègue George Pau-Langevin et une députée du groupe LaREM avait dénoncé le trop grand nombre d’enfants passant « sous le radar » ; si l’instruction en famille concerne entre 35 000 et 50 000 enfants, 4 000 à 5 000 le sont prétendument pour des motifs religieux, mais nous n’avons aucune certitude en la matière – je ne vous en fais pas le reproche, Monsieur le ministre, la question étant pendante depuis des années.

Cela m’amène à trois séries de questions. D’abord, la liberté du choix de l’instruction en famille ne serait donc plus une réalité ; or je suis pour ma part toujours soucieuse, lorsqu’il est question de supprimer un droit, de m’assurer que c’est à bon escient et qu’il n’existe pas d’autre solution qui permettrait de préserver la liberté de chacun. Ensuite, comment envisagez-vous le contrôle des autorisations ? Ne craignez-vous pas que ce régime d’autorisation n’incite ceux qui souhaiteraient y échapper à ne pas scolariser leurs enfants ? Enfin, quelles solutions proposez-vous pour renforcer les moyens de contrôle de la réalité de la scolarisation ? Il me semble que l’objectif que nous partageons tous, à savoir lutter contre l’islamisme radical, à travers une instruction et des principes républicains qui s’expriment dans les familles, implique que nous ayons la certitude qu’en France, tous les enfants sont scolarisés d’une manière ou d’une autre, que ce soit dans les écoles de la République ou par l’instruction en famille, à travers un contrôle renforcé, qui ne pourra évidemment pas reposer sur les maires, dont ce n’est pas le travail.

M. Pierre-Yves Bournazel. Alors que débutent nos travaux sur ce projet de loi, il me semble important de revenir sur ses fondements et sur la raison d’être de notre commission spéciale : la question du séparatisme, la multiplication des discours de haine qui remettent en cause les principes républicains, l’exacerbation des tensions communautaristes, la perte de repères sur ce qui fonde l’unité de notre nation, les attaques d’un islamisme radical qui frappent notre pays, les tentations d’amalgame, inconscient ou à dessein, qui traversent notre société. Ce sont des sujets complexes, sensibles, fondamentaux ; ils n’en sont pas pour autant nouveaux. Trop longtemps, ils ont fait l’objet d’indignations successives, qui n’ont pas été suivies de réponses ; trop longtemps, on les a réduits à de simples faits divers, refusant de voir la gravité de la situation.

C’est précisément pourquoi nous devons les traiter aujourd’hui. Je trouve cette démarche courageuse, et je la crois nécessaire : nous devons réparer les failles que chaque petit renoncement durant ces trente dernières années a contribué à creuser. Je souhaite que nous abordions ces débats intenses dans la sérénité, dans l’écoute de la diversité de nos sensibilités politiques. Il me semble possible de garder à l’esprit que l’avenir de la République mérite que nous dépassions les considérations électorales, car c’est un projet sur plusieurs générations qui se présente à nous.

Il s’agit non pas de traiter de tous les sujets, ce qui serait vain, ni d’entreprendre ce combat républicain à travers des cas particuliers, mais d’établir – ou de rétablir – des principes et des lignes directrices. Le groupe Agir ensemble partage la philosophie d’un texte qui, d’une part, place au cœur de son ambition la neutralité du service public et, d’autre part, vise à consolider l’exercice des cultes et à moderniser tout en le confortant le cadre de la loi de 1905. L’État ne reconnaît aucun culte, il protège la foi, mais celle-ci n’est jamais au-dessus de la loi. La laïcité est un principe de liberté : liberté de croire, liberté de ne pas croire, liberté de conscience ; elle assure ainsi une protection à tous les citoyens, sans aucune distinction.

L’école est le creuset de la République. Nous savons combien l’école de la République est l’engagement de votre vie. Si l’État ne reconnaît aucune religion, il existe une transcendance dans la République, une transcendance laïque, qui s’exerce à l’école, l’école qui élève, qui permet de dépasser sa condition sociale pour atteindre sa vocation de femme ou d’homme. C’est le lieu de la liberté, de la fraternité et de l’égalité. Pour tenir cette promesse des Lumières, il doit rester le lieu de la laïcité ; c’est un projet d’émancipation. L’école de la République est généreuse parce que sa vocation est de favoriser l’égalité des chances en accordant davantage à ceux qui ont moins de capital social et culturel au départ – tel est le sens du dédoublement des classes que vous avez engagé et qui fonctionne très bien : je le vois dans mon arrondissement, le dix-huitième de Paris. Mais si l’école de la République est généreuse, elle n’est pas pour autant naïve ; l’État doit être implacable envers ceux qui tentent de détruire le pacte républicain. C’est ce que vous soutenez avec force et avec conviction.

C’est pourquoi ce projet de loi ne se réduit pas, à mon sens, à un texte contre des ennemis de la République. Il s’inscrit dans une vision positive de ce que doit être notre Nation, de ce qu’elle peut produire de commun : mettre hors d’état de nuire des idéologies mortifères, séparatistes, radicales ; offrir à chaque enfant la liberté d’apprendre, donc d’être instruit, de comprendre le monde dans lequel il vit, en éveillant son esprit critique et en assurant ainsi son émancipation. Monsieur le ministre, nous travaillerons avec vous avec confiance et détermination.

M. Meyer Habib. Monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler l’échange que nous avions eu le 1er octobre dernier dans le cadre de la mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme. J’avais évoqué la haine qui ronge les territoires perdus de la République, sur fond d’islamisme, de racisme anti-blanc, d’antisémitisme et de haine de la France. Je rappelais la triste réalité d’une génération qu’il était devenu de fait impossible de scolariser dans l’école publique qui nous est si chère : aujourd’hui, dans le département de la Seine-Saint-Denis, plus un enfant juif n’est scolarisé dans l’école publique. À l’époque, vous m’aviez trouvé trop inquiet ; vous vous déclariez pour votre part bien plus optimiste.

Quinze jours plus tard, Samuel Paty était décapité au cri d’Allahou akbar à la sortie du collège de Conflans-Sainte-Honorine. Depuis, vous l’avez rappelé, 800 signalements pour radicalisation islamiste ont été effectués par différents établissements scolaires.

Le projet de loi renforce certes l’encadrement des écoles hors contrat et de l’instruction en famille. C’est bien, mais cela reste timide. L’enjeu doit être de faire de l’école le terrain prioritaire de la reconquête républicaine. C’est à l’école que les citoyens de demain doivent apprendre l’autorité de l’État, la primauté de la loi. On pourrait imaginer, par exemple, que tous les élèves chantent l’hymne national chaque lundi matin en classe, comme c’est le cas chez nos amis américains. La Marseillaise n’est pas forcément démodée ! Hélas, de reculades en compromis, chaque chose s’est brisée dans la promesse républicaine portée par l’école. Trop nombreux sont les minutes de silence profanées, les Marseillaise sifflées, les cours perturbés par l’islamisme, le complotisme, l’antisémitisme, les enseignants menacés, intimidés, agressés ; beaucoup se sentent seuls, abandonnés, impuissants. Dans certains quartiers, les professeurs ne peuvent plus enseigner l’histoire de la Shoah, ni celle de la création de l’État d’Israël, ni celle de la guerre d’Algérie !

L’école de la République est là pour former des citoyens, mais pas pour se substituer aux parents. Aucun enfant ne naît raciste, antisémite ou islamiste radicalisé, mais un certain climat peut favoriser de telles dérives. L’assassinat du regretté Samuel Paty en est la terrible démonstration.

Je poserai quatre questions.

Premièrement, comment responsabiliser les parents pour faire reculer l’emprise de l’islam politique dans certaines classes et dans certains établissements ? En cas de dérives, d’absences injustifiées, de menaces ou d’intimidations, je préconise, depuis plusieurs années, la suppression de toutes les aides et allocations versées aux familles concernées. Qu’en pensez-vous, Monsieur le ministre ?

Ma deuxième question porte sur l’instruction en famille. Le Conseil d’État vous a obligé à revoir votre copie, mais le texte qui nous est soumis ne fait qu’alléger l’interdiction de principe que vous prévoyiez initialement, en introduisant une liste limitative d’exceptions. Ne craignez-vous pas une censure du Conseil constitutionnel ? Pourquoi n’avez-vous pas tout simplement inversé la logique, en préservant la liberté d’enseignement tout en prévoyant des exceptions à ce principe ?

Ma troisième question porte également sur l’instruction en famille, et plus précisément sur un sujet très cher à mon collègue Grégory Labille, qui vous a déjà interrogé à ce propos. On estime que 700 000 élèves sont victimes de harcèlement dans notre pays ; or le régime d’autorisation préalable empêche une déscolarisation d’urgence dans une telle situation. Comment comptez-vous résoudre ces cas de détresse scolaire ?

Enfin, le projet de loi prévoit de renforcer la transparence du financement des écoles hors contrat. Cette évolution est très positive. Cependant, s’agissant des écoles confessionnelles présentant des risques de dérives islamistes, comment renforcer le contrôle des financements étrangers dont nous parlions tout à l’heure avec le ministre de l’intérieur et qui interviennent le plus souvent lors de la construction ou de l’achat du bâtiment, généralement via des fondations établies dans le Golfe ?

M. Charles de Courson. Ma première question porte sur l’articulation entre l’article 1er du projet de loi, qui affirme les principes de neutralité et de laïcité y compris pour les organismes privés gérant un service public – ce qui est le cas de tous les établissements privés, notamment sous contrat –, et le maintien du caractère propre de ces établissements privés. Dans son avis, le Conseil d’État indique que le champ d’application de l’article 1er « vise à ne pas remettre en cause des restrictions à l’application du principe de laïcité du service public aujourd’hui admises par des lois, telles que les dispositions du code de l’éducation relatives aux établissements d’enseignement privé ou celles du code de la santé publique relatives aux établissements de santé privés d’intérêt collectif […] ». Ne faudrait-il pas le mentionner explicitement ?

Par ailleurs, le projet de loi ne semble pas permettre de s’assurer que l’ensemble des enfants de 3 à 16 ans bénéficient effectivement de l’instruction en France. Ne faudrait-il pas vérifier que l’intégralité de ces enfants soient inscrits dans une école publique ou privée, ou fassent l’objet d’un enseignement en famille, en s’appuyant sur les fichiers de l’INSEE, comme l’un de nos collègues le proposait tout à l’heure ? Les maires, auxquels la loi a confié le soin de vérifier l’exhaustivité de l’instruction des enfants de leur commune, n’ont pas les moyens d’accomplir cette tâche, en particulier dans les villes les plus peuplées.

Ma troisième question concerne l’instruction en famille. Pourquoi en êtes-vous arrivés à substituer à l’obligation d’instruction l’obligation de scolarisation ? Depuis les lois de la fin du XIXe siècle, l’enseignement en famille est l’une des formes possibles d’instruction publique. Vous entendez limiter cette possibilité à quatre cas spécifiques, le quatrième étant « l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant ». Il faut préciser ce terme. Plusieurs familles qui éduquent elles-mêmes leurs enfants m’ont par exemple expliqué qu’elles le faisaient pour des raisons psychologiques ; elles font valoir que leurs enfants, psychologiquement fragiles, apprennent mieux en étant soumis à des horaires différents de ceux de l’éducation nationale. Seriez-vous prêt, Monsieur le ministre, à soutenir des amendements visant à préciser à quoi correspond cette « situation particulière propre à l’enfant » ?

Enfin, combien d’enfants éduqués en famille ont-ils été endoctrinés et sont-ils devenus des séparatistes, voire des terroristes ? Certains terroristes ont-ils fait l’objet d’un enseignement en famille ? Tous ceux que j’ai vus ont été scolarisés à l’école publique. La limitation de l’instruction en famille permettra-t-elle vraiment de lutter contre le séparatisme ?

Voilà, Monsieur le ministre, les quatre questions que vous pose le représentant d’un groupe très attaché à la liberté, sous toutes ses formes.

M. Alexis Corbière. Je l’ai expliqué tout à l’heure, les mesures contenues dans ce projet de loi n’auraient pas permis d’éviter l’assassinat dramatique de Samuel Paty. À ce sujet, je pense qu’il y a eu un dysfonctionnement de l’éducation nationale, comment tend d’ailleurs à le montrer la récente interview de l’avocat de la famille Paty – nous en parlerons dans un autre cadre, mais je ne veux pas que nous mentions aux Français.

Vous l’avez dit, Monsieur le ministre, l’école publique est la matérialisation concrète de la République. Elle est la caisse de résonance de tous les maux de la société. Elle a été singulièrement affaiblie ces dernières années, et ce projet de loi ne résout rien.

Tout d’abord, l’école publique est soumise à une concurrence déloyale de l’enseignement privé sous contrat. Nous devons nous demander pour quelle raison, au fil des années, de plus en plus de parents mettent leurs enfants dans le privé. En réalité, ils constatent souvent une dégradation de l’école publique et estiment que l’école privée apporte des réponses que l’école publique n’apporte pas. Nous devons donc imaginer une école publique conquérante. Mais le fond du problème, c’est que nous finançons aussi l’école privée. Les Français savent-ils que 12 milliards d’euros d’argent public – 20 % des recettes de l’impôt sur le revenu – servent à financer l’enseignement privé sous contrat, qui est à 97 % confessionnel ? (Exclamations.) Il y aurait matière à contrôler davantage ce type d’enseignement, ce que le projet de loi n’envisage pas du tout. Je vous ferai la liste de tous les établissements privés sous contrat où se sont encore passées récemment des choses absolument intolérables. Je pense à l’utilisation de manuels présentant des contenus homophobes, à des violences… Au collège Stanislas, à Paris, on a déploré dernièrement des violences répétées de la part d’un éducateur, alors qu’une forme d’omerta règne dans l’établissement. Mais dans ce texte, on ne touche pas à l’enseignement privé sous contrat, dont je sais, Monsieur le ministre, que vous êtes en réalité un ami. (Protestations.) Vous avez promu, dans des quartiers de Seine-Saint-Denis, des écoles privées comme celles du réseau Espérance Banlieue, en affirmant qu’elles donnaient l’exemple. Vous avez tort de faire cela. La scolarisation dès 3 ans a d’ailleurs constitué pour ces établissements un effet d’aubaine, car elle leur permet de recevoir plus d’argent public. Nous ne pouvons pas concevoir de mesures significatives visant à revigorer l’enseignement public sans mettre fin à cette concurrence déloyale, sans cesser de donner des moyens au privé. C’est ainsi que nous redonnerons aux familles confiance en l’école publique.

De plus en plus de gens scolarisent leurs enfants à la maison, mais 67 % de ces familles sont contrôlées par les services de l’éducation nationale – on pourrait même imaginer des contrôles supplémentaires. Quels sont les chiffres qui montrent que ces familles favorisent des phénomènes de radicalisation liée à l’islam ? En réalité, ces phénomènes sont quasi inexistants. Ce n’est pas la radicalisation liée à l’islam qui pousse les familles à garder leurs enfants chez eux, mais une inquiétude face à l’école publique ou une volonté de pédagogies alternatives. Puisque ce projet de loi est censé nous permettre d’agir rapidement, vous devez nous apporter plus d’éléments sur ces tendances et améliorer votre étude d’impact.

De même, vous savez très bien que les écoles confessionnelles liées à l’islam représentent à peine 5 % de l’ensemble des écoles hors contrat. Là encore, ce projet de loi ne nous donne pas toutes les clés pour bien comprendre ce phénomène.

Il existe dans notre pays des départements où, à l’école publique, l’éducation civique est remplacée par une éducation religieuse : je veux parler de l’Alsace-Moselle, où cet enseignement représente une heure de cours par semaine. Allons-nous accepter que les élèves des écoles publiques de ces départements continuent d’être privés d’une heure d’enseignement civique dont bénéficient leurs camarades des autres départements français ? Allons-nous accepter cette emprise de l’enseignement religieux en Alsace-Moselle ? Au-delà des thèmes d’agitation que vous mettez en avant, je vous apporte ici des éléments concrets.

Je termine en soulignant l’absence réelle de mixité scolaire, notamment en Seine-Saint-Denis, où les établissements publics n’accueillent plus que les enfants des classes les plus défavorisées. Les classes moyennes ont quitté l’enseignement public : c’est à cela qu’il faut remédier au lieu d’agiter des thèmes qui divisent le pays.

Mme Anne-Christine Lang. Nous avons bien conscience que ce texte ne pourra pas résoudre tous les problèmes relatifs à l’éducation. Son objectif premier, que nous partageons pleinement et que nous ne devons pas perdre de vue, est de combattre ceux qui veulent mettre à mal le pacte républicain. Cela étant, nous ne pouvons pas faire totalement l’impasse sur la question de la promesse républicaine d’égalité des chances, qui était un aspect important du discours du Président de la République aux Mureaux ; si nous n’en tenions pas compte, nous ne serions à la hauteur ni du moment, ni des engagements du Président, ni des attentes de nos concitoyens.

J’aimerais donc revenir sur un sujet majeur, pour lequel je suis très engagée depuis longtemps, qui est celui de la mixité dans les établissements scolaires. Il se trouve que j’ai dans ma circonscription le collège le plus ségrégué de France. Malgré la meilleure volonté du monde, la politique de l’offre et le travail remarquable effectué par les équipes sur le terrain, nous nous heurtons à un mur : nous ne parvenons pas à éradiquer ces phénomènes de ségrégation sociale et scolaire qui tuent la promesse républicaine. Je plaide donc pour que soit adossé à ce texte un grand plan, une sorte de « GPRU des collèges », sur le modèle du grand projet de renouvellement urbain, qui prévoirait la fermeture voire la destruction des collèges les plus ségrégués et leur reconstruction avec des objectifs de mixité clairement définis et partagés.

M. Gaël Le Bohec. J’ai rencontré plus d’une centaine de familles, et j’ai pu sentir combien certaines ont été blessées par des propos qui les qualifiaient de familles sans culture, sans histoire, sans citoyenneté voire sans valeur, alors que la grande majorité d’entre elles ne s’inscrivent pas du tout dans un projet séparatiste.

Comme vous, Monsieur le ministre, je pense que l’école est bonne pour les enfants. Dans votre discours liminaire, vous avez parlé d’unité, de fraternité, de valeurs républicaines et de la nécessité de renforcer tous ces principes. Vous les avez effectivement consolidés dans le cadre de l’école inclusive, en permettant à tous les enfants en situation de handicap d’être scolarisés. Pourrait-on élargir ce principe à l’ensemble des enfants, quelle que soit leur situation – je pense en particulier à ceux qui sont accueillis en institut médico-éducatif (IME) ou qui font l’objet des dérogations dont vous avez parlé pour l’instruction en famille –, qui seraient inscrits dans des écoles de secteur, par exemple ? Cela permettrait de renforcer encore les valeurs républicaines.

Mme Perrine Goulet. Vous le savez, je porte une attention particulière aux droits et à l’intérêt supérieur de l’enfant. On a beaucoup entendu que l’éducation en famille présentait un risque de radicalisation religieuse, mais je tiens aussi à rappeler un autre risque, celui de violences exercées sur des enfants qui ne seraient pas détectées par l’éducation nationale. Je propose donc que les enfants faisant l’objet d’une instruction à domicile soient regroupés quelques jours, une fois par an, avec des personnels de l’éducation nationale, pour bénéficier d’enseignements relatifs à la laïcité, à la République et à l’éducation au corps.

Vous avez évoqué tout à l’heure les mesures que vous souhaitiez voir appliquer aux écoles hors contrat. Pourquoi n’allez-vous pas plus loin en interdisant purement et simplement ces écoles et en mettant toutes les écoles privées sous contrat ? Nous pourrions ainsi mieux suivre et contrôler ces établissements.

Enfin, vous souhaitez remplacer la tutelle de l’État sur les fédérations sportives par un contrat d’engagement républicain que ces dernières devraient conclure. Je ne vois pas ce que cette mesure pourra nous apporter dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires dans les clubs.

Mme Constance Le Grip. Le chapitre V de ce projet de loi, intitulé « Dispositions relatives à l’éducation et aux sports », comprend cinq articles concernant notamment les établissements d’enseignement privé, l’instruction en famille, les associations sportives et le contrat d’engagement républicain. C’est assez peu, compte tenu de l’importance et de la gravité des défis auxquels est confrontée notre République ainsi que du rôle fondamental que doit jouer l’éducation pour transmettre et faire aimer les principes républicains. Nous déplorons que ce texte ne comporte pas beaucoup de dispositions relatives à l’éducation et à l’université. Vous avez dit qu’il couvrait tous les champs de votre ministère, mais il faut bien constater une certaine parcimonie législative. Pour preuve, assez peu d’articles du code de l’éducation sont modifiés : cela ne donne pas à la représentation nationale beaucoup de possibilités de soutenir des propositions par le biais d’amendements. Nous aurions aimé défendre certaines idées à propos des sorties scolaires ou de la restauration de l’autorité des professeurs, par exemple. Le Gouvernement déposera-t-il lui-même des amendements sur ces sujets ?

Mme Géraldine Bannier. Je veux d’abord revenir sur un sujet très polémique : l’article 21 autorise, par dérogation, l’instruction en famille pour plusieurs motifs dont le quatrième est « l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant ». Pour rassurer les familles, pouvez-vous confirmer, Monsieur le ministre, que tout projet particulier d’éducation à domicile, provisoire ou éventuellement renouvelé, pourrait entrer dans ce cadre, sous réserve, évidemment, de la capacité des personnes responsables et du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Plus généralement, on sait que l’école est le lieu par excellence de la transmission des valeurs de la République, un rempart et un levier majeur permettant de renforcer l’adhésion à ces valeurs. Outre la poursuite du travail de prévention et de détection de la radicalisation, ainsi que la promotion de la laïcité, ne faut-il pas renforcer les mesures visant à lutter contre l’homogénéité sociale et pour l’égalité des chances ? La remise en cause des valeurs de la République vient aussi du sentiment que l’on n’a pas exactement les mêmes chances de réussir suivant le lieu où l’on grandit. N’est-il pas indispensable d’ajouter quelques mesures fortes allant dans ce sens, dans le champ éducatif, aux côtés des dispositions relatives au contrôle et au renforcement des procédures visant à faire cesser les manquements, également fort utiles ?

M. François Cormier-Bouligeon. Je voudrais rendre hommage à Samuel Paty, comme l’ont déjà fait plusieurs de nos collègues, ainsi qu’aux 800 000 enseignants qui exercent une fonction absolument essentielle dans notre République.

Le titre du projet de loi est très clair : il s’agit de conforter le respect des principes de la République. L’un de ces principes est la neutralité du service public. Dans l’éducation nationale, ce principe résulte d’un corpus de droit assez étoffé comprenant la loi de 1905, les circulaires de Jean Zay relatives à la neutralité politique et religieuse de 1936 et 1937, ainsi que la loi de 2004 élargissant le principe de neutralité aux usagers de l’éducation nationale que sont les élèves. Monsieur le ministre, pourrions-nous profiter du présent projet de loi pour étendre l’obligation de neutralité politique et religieuse aux collaborateurs occasionnels du service public que sont les accompagnateurs ?

Dans un très beau texte intitulé « Le serpent et la corde », Atiq Rahimi cite Roland Barthes : « Le dictateur, ce n’est pas celui qui interdit, mais celui qui oblige. » Nous devrions y réfléchir.

M. Julien Ravier. Je ne reviendrai pas sur le fait que les termes « séparatisme » et « islamisme » ont été gommés de ce projet de loi. Les candidats au baccalauréat ont ici un bel exemple de hors-sujet, et je ne peux que le regretter. Pour autant, je salue le renforcement de la protection des agents publics, notamment des enseignants – j’ai une pensée pour Samuel Paty et sa famille.

Ce projet de loi va parfois dans le bon sens, et parfois pas assez loin. Il y manque des mesures sur l’université, alors qu’il s’agit d’un foyer potentiel de recrutement de terroristes ou de séparatisme. Il y manque également des dispositions sur le port du voile lors des sorties scolaires, où le principe républicain de laïcité doit trouver à s’appliquer.

Vous avez décidé, à tort, de vous attaquer à l’instruction en famille, en instaurant un régime d’autorisation, alors qu’aucun lien n’a été démontré entre cette pratique et le séparatisme. Juridiquement, une liberté soumise à autorisation n’est plus une liberté. Nous défendrons donc des amendements de suppression de cette mesure. En la matière, je vous propose de maintenir un système de déclaration renforcé, dans lequel les familles devraient remplir un document fourni par l’éducation nationale contenant une présentation des valeurs républicaines, avec un contrôle renforcé et identique en tout lieu du territoire français. C’est cela qui permettra, à mon avis, de déceler du séparatisme.

Mme Caroline Abadie. Le lien entre les mots et les actes n’est plus à démontrer. Les mots s’échangeant par millions sur la toile dès le plus jeune âge, il est important d’agir aussi dans le cadre de l’école. La régulation et la répression sont également essentielles – ce texte fait d’ailleurs le lien entre deux ministères, l’éducation nationale et l’intérieur, qui ne se partagent pas souvent le banc du Gouvernement.

Un enseignement de prévention contre les mauvais usages d’internet existe déjà : plus communément appelé « permis internet », il est dispensé à la demande des enseignants par des brigades spécialisées de la gendarmerie. Seriez-vous favorable, Monsieur le ministre, à une généralisation de ces formations visant à sensibiliser les élèves de primaire et de collège aux risques numériques et à lutter contre l’endoctrinement numérique ?

M. Jean-François Eliaou. La formation des professeurs est indispensable pour diffuser le discours républicain ainsi que les valeurs républicaines à l’école. Or nous savons que certaines formations dispensées à l’université ou dans d’autres écoles ne correspondent pas à ce discours et ces valeurs.

M. Francis Chouat. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Jean-François Eliaou. Même si cette question dépasse les limites de votre portefeuille ministériel, comment pouvez-vous, dans le cadre du présent projet de loi, empêcher ces contre-discours qui ont évidemment des répercussions sur l’enseignement de nos enfants ?

M. Frédéric Petit. Monsieur le ministre, je soutiens votre action depuis deux ans. Au-delà du dédoublement des classes de CP et CE1 en réseau d’éducation prioritaire, vous avez introduit dans l’éducation nationale une innovation qui force l’admiration de tous : je veux parler du quatrième apprentissage fondamental. Il ne suffit plus seulement de savoir lire, écrire et compter : il faut également respecter autrui.

J’ai été pendant quinze ans éducateur dans ce que l’on appelait une zone à urbaniser en priorité (ZUP) ; du fait de cette expérience et de mon statut de Français mobile, je connais l’enseignement en famille, que j’ai vu des deux côtés de la barrière. Sur ce sujet, je pense que nous pourrons trouver des points de convergence.

Pendant la préparation et la discussion de ce projet de loi, pourrions-nous travailler avec vous sur deux sujets ? Vous avez parlé des fédérations sportives, mais nous devons faire la même chose avec les fédérations d’éducation populaire qui, il y a trente ans, ont disparu du paysage de nos quartiers ; l’examen de ce texte doit être l’occasion de les faire renaître. Par ailleurs, nous aimerions travailler avec vous sur le Centre national d’enseignement à distance (CNED), qui a un rôle à jouer dans cette nouvelle forme d’éducation en famille.

Mme Sonia Krimi. Monsieur le ministre, je suis généralement d’accord avec votre vision des choses : c’est pourquoi j’ai voté toutes les mesures que vous avez proposées, jusqu’à aujourd’hui. En revanche, comment pourrez-vous garantir aux membres de la majorité que l’article 21 n’est pas inconstitutionnel ?

M. François Pupponi. Nous nous étions déjà demandé, lors de l’examen d’un précédent projet de loi, comment empêcher que des individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ou au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) soient autorisés à devenir enseignants, dans le public comme dans le privé.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il faudrait faire en sorte que l’État finance un poste, dans les écoles privées hors contrat, pour que des cours sur la laïcité et la République y soient dispensés ? Ces établissements n’en ont pas l’obligation.

Mme Valérie Oppelt. Je suis convaincue que l’enseignement de la citoyenneté, de la laïcité et du devoir de mémoire est une condition du bien vivre ensemble. Il existe déjà des outils en la matière : la charte de la laïcité à l’école, le livret laïcité, l’enseignement moral et civique.

L’examen du présent projet de loi pourrait être l’occasion d’étendre l’enseignement philosophique aux plus jeunes. En effet, la philosophie, dans sa tâche de construction de la connaissance rationnelle, met en jeu les aptitudes qui sont au fondement du projet des Lumières, donc du projet républicain : elle développe les capacités de débat, d’argumentation, de tolérance et d’écoute d’opinions opposées. Alors que ce texte prend en compte l’importance des programmes qui peuvent amenuiser ou renforcer l’applicabilité des principes républicains, pourrions-nous envisager une généralisation de l’enseignement philosophique au lycée, dès la classe de seconde, voire au collège ou dans le cadre d’autres dispositifs éducatifs comme le service national universel ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’ai été très intéressé par vos interventions – ce ne sont pas des propos convenus. Il y a bien sûr des sujets sur lesquels j’ai des désaccords ; cependant, vos interventions me laissent penser que nous pourrons non seulement enrichir ce projet de loi, mais également commencer à envisager ce qui suivra le texte, puisque de nombreuses questions ne relèvent pas du domaine législatif mais de l’état d’esprit, de la précision, de la mise en œuvre et surtout de l’organisation de l’éducation nationale. Vous avez parfois évoqué des sujets périphériques, comme les problèmes de société importés à l’école, auxquels je suis assez sensible. Vous avez aussi parfois exprimé des idées précises, dont certaines peuvent être retenues ou tout du moins débattues pour aller de l’avant.

Vous m’avez demandé, Monsieur le rapporteur général, ce que je pensais de l’article 18 et du nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui. Je vous répondrai en allant du général au particulier. Tout d’abord, je pense beaucoup de bien de ce projet de loi et de chacun de ses articles. Nous vous présentons un texte robuste et complet, très travaillé. L’article 18, qui vise à répondre à un problème spécifique, donne tort à ceux qui prétendent que ce projet de loi ne résout en rien les problèmes soulevés par l’assassinat de Samuel Paty. Je veux à mon tour rendre hommage à cet enseignant, ainsi qu’à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, pour la manière dont ils ont traversé ce drame et dont ils exercent leur métier au quotidien. Pour autant, l’élaboration de ce texte est largement antérieure à ce drame. Par ailleurs, il est évident que c’est une palette de solutions qui permettra de consolider les valeurs de la République. L’argument selon lequel tel dispositif ne constitue pas la solution n’est pas recevable ; ce qui compte, c’est que nous disposions d’une boîte à outils permettant de conforter le respect des principes de la République – elle existe déjà, fort heureusement, mais le présent projet de loi vient la renforcer, et nous la compléterons certainement aussi à l’avenir.

L’article 18 me paraît une excellente disposition, qui protège tout un chacun, a fortiori les agents publics, contre des phénomènes qui existent bel et bien. Ce qui arrive aux fonctionnaires derrière un guichet arrive aussi aux personnels de l’éducation nationale : toute personne en contact avec le public est susceptible de se faire insulter, voire menacer – nous l’avons encore vu récemment. Fort heureusement, toute menace n’est pas suivie d’un assassinat ; il n’empêche qu’il s’agit là de phénomènes très désagréables et qu’il est tout à fait normal que ces faits soient poursuivis en justice.

Nous le savons bien, notre société est traversée par des formes de nervosité et d’agressivité. L’école n’échappe pas à cette tendance, que nous observons parfois dans la relation entre les enseignants et les parents d’élèves. Je rappelle que l’article 1er de la loi pour une école de la confiance a déjà posé le principe du respect de chaque professeur par tout un chacun, notamment par les familles : c’est une base légale utile pour poursuivre un certain nombre de faits auxquels nous sommes confrontés. C’est d’ailleurs sur cette base que nous avons pris des mesures au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty. L’un d’entre vous a rappelé que nous avions reçu 797 signalements à la suite de ce drame : certains correspondaient à des menaces sur des fonctionnaires, en l’occurrence des professeurs, et nous avons engagé des poursuites contre leurs auteurs. Ainsi, un parent d’élève se trouve aujourd’hui en prison pour avoir proféré des menaces de mort contre des personnels de l’éducation nationale.

L’article 18, auquel nous avons travaillé avec Amélie de Montchalin, Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, complète ces dispositions en permettant de poursuivre l’intention de nuire à autrui, donc, sa mise en danger à travers par exemple la diffusion d’informations sur les réseaux sociaux. Comme tel, il constitue une protection supplémentaire et un très bon dispositif, dont nous pourrons bien sûr encore largement discuter.

Le recensement de l’ensemble des élèves, Madame Brugnera, est en effet un enjeu fondamental. Je l’ai dit : l’école, c’est bon pour les enfants, donc, tout enfant qui vit sur le territoire de la République a vocation à y aller. De ce point de vue, la loi pour une école de la confiance présente une avancée juridique essentielle puisque l’inspecteur d’académie peut inscrire d’office un enfant en cas de manquement du côté de la municipalité. Le droit d’aller à l’école doit être sanctuarisé et garanti, ce qui suppose de savoir où se trouvent les enfants. Nos dispositifs doivent donc évoluer sur un plan législatif et infra législatif afin de nous assurer d’un recensement exhaustif sur un territoire donné.

Il est possible que je défende un amendement gouvernemental, d’ailleurs nourri de plusieurs idées que vous avez formulées. Les enfants qui sont dans l’enseignement public et dans l’enseignement privé sous contrat ont déjà un identifiant ; les écoles privées hors contrat doivent déclarer les enfants qui s’y trouvent à l’éducation nationale et à la commune – sans doute conviendrait-il d’ailleurs de s’assurer plus encore qu’elles le font bien. Les enfants instruits en famille, comme l’a dit M. Le Bohec, pourraient être quant à eux également inscrits à l’école la plus proche de leur domicile de façon à créer un lien organique.

Je trouve également très intéressante l’idée de Mme Goulet visant à rassembler ces enfants au moins une fois par an pour évoquer les valeurs de la République, de liberté, d’égalité, de fraternité, les enjeux de sociabilité étant évidents.

Les caisses d’allocations familiales pourraient également transmettre les noms des enfants qu’elles connaissent aux maires des communes concernées, lesquels sont en relation avec l’éducation nationale.

Quoi qu’il en soit, cet éventuel amendement gouvernemental devra être efficace de manière à tendre à l’exhaustivité. Il faut sortir d’un certain flou, au point que des enfants se trouvent complètement « hors radar ».

Pourquoi, depuis plusieurs décennies, n’avons-nous pas été vraiment capables de cerner cette pratique de l’instruction en famille ? Parce qu’il régnait une forme d’anarchie, Madame Colboc, comme autour des écoles hors contrat avant la loi Gatel. La tolérance était alors possible car aucun phénomène de société ne venait troubler le jeu – quoique des violations des droits de l’enfant aient pu être constatées – mais, aujourd’hui, l’islamisme radical, notamment, modifie la donne sur un plan qualitatif et quantitatif. Il convient donc de disposer d’un cadre juridique mieux défini.

La notion d’intérêt supérieur de l’enfant, Madame Genevard, nous vient du Conseil d’État, et sera le maître concept de notre dispositif – il est en effet d’usage qu’il y en ait un dans le droit public, notamment, administratif. Les droits de l’enfant, en particulier à une éducation complète, seront le critère principal.

Monsieur Diard, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire dans l’hémicycle, je demande à tout un chacun, à commencer par vous, de me signaler les manquements à l’hommage qui devait être rendu à Samuel Paty dans les établissements scolaires. La consigne donnée était très claire : une minute de silence dans chaque établissement. Nous avons fait montre d’une très grande vigilance et je souhaite, au lieu de propos généraux, que l’on me fasse précisément savoir ce qui s’est passé. Dès lors, je garantis que nous irons dans ces établissements, avec les équipes « Valeurs de la République », et que nous ferons le nécessaire. Suite à la mobilisation républicaine qui a eu lieu après l’assassinat de Samuel Paty, nous avons reçu force signalements, dont le suivi a également été renforcé. J’ai d’ailleurs rendu publics un certain nombre d’exemples.

Les équipes « Valeurs de la République », dans chaque rectorat, sont désormais très professionnelles et capables de témoigner que la force est du côté du droit, de la République. Il est faux de prétendre que l’éducation nationale mettrait les problèmes sous le tapis et prônerait le « pas de vagues ». Le choc psychologique que nous venons de vivre l’interdit absolument.

Avons-nous pour autant résolu tous les problèmes ? Non. C’est aussi pour cela que nous avons besoin d’avancées juridiques. Notre intention est très claire et nos méthodes de signalement, je crois, sont assez efficaces, même si je reste évidemment ouvert à toutes les suggestions pour aller plus loin.

Je remercie Isabelle Florennes pour ses propos. J’ai bien entendu consulté le Conseil des sages de la laïcité. Cette institution, qui a montré son utilité, est bien installée au sein de l’éducation nationale et permet de nourrir le débat intellectuel autour de la laïcité, notion à la fois simple et complexe : il s’agit en effet d’un principe de liberté, comme l’a rappelé M. Bournazel, mais dont les incidences sont nombreuses, jusqu’à la formation des professeurs. J’ajoute que nous avons créé il y a un an, au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), une chaire « Laïcité » qui contribue aux formations dont nous avons besoin.

Madame Untermaier a estimé, comme d’autres, qu’il était excessif d’attribuer la radicalisation à l’instruction en famille. Je n’ai jamais prétendu que la mesure prévue en la matière était l’alpha et l’oméga de ce qu’il fallait faire : j’ai dit tout à l’heure qu’on ne devait pas se focaliser exclusivement sur elle. Il ne faut pas caricaturer les dispositions que nous présentons. Par ailleurs, il ne s’agit pas de supprimer l’ensemble de l’instruction en famille mais de faire preuve de discernement.

Si vous me le permettez, je voudrais dire que certaines interventions de l’opposition, à force de vouloir critiquer le Gouvernement à tout prix, finissent par renier ses propres traditions politiques. Je le dis notamment à propos de l’intervention de M. Corbière, sur laquelle je reviendrai : elle me paraît contradictoire avec sa tradition politique, même si je n’en suis pas le juge. Je crois, en outre, qu’être attentif au respect des valeurs de la République pour l’ensemble des enfants fait partie de la tradition politique du parti socialiste. L’encadrement de l’instruction en famille ne devrait pas donc choquer à ce point.

Madame Untermaier a dit qu’il fallait réussir à scolariser les enfants qui ne vont pas à l’école. C’est ce que j’ai indiqué lorsque j’ai évoqué une disposition figurant dans la loi pour une école de la confiance. J’ai été très attentif au rapport parlementaire qui a été remis sur ce sujet, et je suis assez d’accord avec plusieurs de ses préconisations.

La liberté de choix de la famille disparaîtra-t-elle ? Plusieurs d’entre vous ont posé cette question, évidemment très légitime. La liberté de choix fait partie de la liberté de l’enseignement, qui est un principe clair : elle ne disparaîtra donc pas. Le fait d’encadrer l’instruction en famille ne signifie pas qu’on limitera la liberté de choix des parents. En revanche, nous créerons un cadre pour la liberté de l’enseignement.

Quel contrôle de l’instruction en famille restera-t-il ? C’est une grande et bonne question mais elle n’est pas d’ordre législatif : elle relève de notre organisation administrative. Nous allons franchir un cran quant à notre capacité de travail, dans les rectorats, les inspections d’académie, sur ces questions. Je n’entre pas dans tous les détails, car je vois le président de Rugy s’inquiéter de l’heure : sachez néanmoins que je suis complètement mobilisé. Nous avons déjà franchi plusieurs caps lors des trois années précédentes en ce qui concerne l’organisation de l’éducation nationale sur ces enjeux, et nous allons continuer.

Je remercie Pierre-Yves Bournazel pour ses propos et pour la fresque qu’il a dressée. La bataille à mener prendra du temps. Ce texte n’est pas le seul outil, mais il constitue une étape très importante.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble du débat que nous avons eu dans le cadre de la mission parlementaire à laquelle M. Meyer Habib a fait référence. Il a évoqué mon optimisme mais celui-ci n’est pas exempt d’inquiétude – les deux peuvent aller de pair. Nous devons être lucides s’agissant de certains phénomènes, mais nous ne les résoudrons pas si nous nous enfermons dans des constats négatifs. Il faut, au contraire, montrer la force de la République, le fait qu’il est possible de remonter certaines pentes, surtout quand on a une approche complète, reposant à la fois sur la fermeté régalienne et l’ouverture sociale. Je pense, par exemple, à la mixité sociale que j’aborderai plus en détail tout à l’heure.

M. Habib m’a demandé, comme Mme Krimi, si je ne craignais pas une censure du Conseil constitutionnel. J’ai déjà répondu quelque peu à cette question. J’ai rédigé en 1985, si je peux faire ce clin d’œil, un mémoire qui s’intitulait « Les freins constitutionnels aux politiques publiques d’éducation ». J’y réfléchissais à la manière dont le cabinet de M. Savary avait essayé d’anticiper une censure constitutionnelle – la liberté de l’enseignement était notamment en cause. La vie vous permet de temps en temps de renouer avec vos anciennes amours et de suivre un sillon… Je ne suis pas du tout omniscient dans ce domaine, mais les éléments que j’ai déjà indiqués, notamment le dialogue avec le Conseil d’État, le cadre européen et notre histoire constitutionnelle et législative en matière de liberté de l’enseignement, me laissent penser que ce projet de loi est constitutionnel, même si le dernier juge en sera le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, nous pourrons continuer à avoir des discussions sur ce texte que nous sommes en train de façonner.

M. Habib m’a également demandé si on pourrait encore retirer un enfant en cas de harcèlement. La réponse est oui : la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui sera notre boussole, permet d’englober ce type de situations. Il faut évidemment faire preuve de bon sens.

J’ai déjà répondu à certaines questions posées par M. de Courson, notamment en ce qui concerne la liberté de l’enseignement. Il est clair que les établissements sous contrat ne sont pas concernés par l’article 1er : les débats permettent de le dire, mais je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire de le préciser davantage dans le texte – ce serait une forme de dénégation. Nous allons franchir une nouvelle étape, non pas dans le but de remettre en cause la liberté de l’enseignement mais, je l’ai indiqué d’emblée, pour la préciser.

J’ai répondu à Mme Brugnera au sujet de l’exhaustivité des fichiers. J’ai aussi expliqué pourquoi nous passerons de l’obligation de l’instruction à celle de la scolarisation.

Combien d’enfants instruits en famille sont-ils devenus des terroristes ? Je pense que ce n’est vraiment pas la bonne façon de poser le débat. Nous ne visons pas que les futurs terroristes – heureusement. Ce que nous souhaitons, c’est assurer l’unité de notre société et prévenir des phénomènes que je qualifierai de fragmentation.

J’ai déjà répondu, pour l’essentiel, à l’intervention de M. Corbière, et je serai synthétique puisqu’il est parti. J’avais prévu d’être un peu tonique, comme il l’a été, mais je trouve que ce serait trop facile puisqu’il n’est plus là. Nous poursuivrons plus tard le débat. J’observe seulement que certaines attaques deviennent de plus en plus offensives, si je puis dire, et directes depuis deux mois. Je trouve que c’est une coïncidence fâcheuse.

Mme Lang m’a interrogé sur la mixité sociale, comme M. Corbière et d’autres. Nous sommes évidemment tous d’accord pour ce qui est du constat. Ce n’est pas un problème facile à traiter, car cela renvoie à d’autres questions, notamment l’habitat. Nous pouvons nous entendre sur une vision d’ensemble et sur l’idée qu’il faut reconstituer autrement la réalité scolaire à certains endroits. L’enjeu peut être, parfois, immobilier, en lien avec l’habitat social aux alentours, mais cela peut être aussi une question de climat scolaire. J’ai souvent vu des établissements ayant des caractéristiques socio-économiques et culturelles très comparables fonctionner différemment sur le plan de l’attractivité. C’est le projet éducatif qui compte avant tout, avec l’attention portée au climat scolaire. Il peut être bon même lorsqu’une majorité des enfants viennent de familles pauvres. Cela existe dans l’histoire de la République.

La question de la mixité sociale doit être prise à bras-le-corps, mais il faut traiter en même temps celle du climat scolaire, qui peut avoir des effets à plus court terme. La loi pour une école de la confiance a créé, je l’ai dit, un conseil de l’évaluation, qui commence à produire ses premiers résultats. L’évaluation systématique des établissements, au cœur de laquelle se trouvent les enjeux pédagogiques mais aussi la question du climat scolaire, doit nous permettre de recréer de l’attractivité là où il n’y en a pas. L’évolution de notre politique d’éducation prioritaire insistera beaucoup sur cet enjeu – Nathalie Elimas y travaille spécifiquement à mes côtés. Il faut avoir une stratégie d’ensemble pour la mixité sociale et l’attractivité de l’éducation prioritaire. Je l’ai dit cette semaine lors d’un débat, le dédoublement des classes de CP et de CE1 a parfois recréé un peu de mixité sociale en REP et en REP+ parce que cela « réattirait » les classes moyennes – cet effet indirect n’était pas forcément attendu mais il est extrêmement intéressant. Il mérite d’être observé et analysé.

J’ai répondu à M. Le Bohec, dont la proposition me semble intéressante. Je compte l’instruire, en vue de l’intégrer dans l’amendement du Gouvernement que j’évoquais.

De même, je suis favorable à la proposition de regroupement annuel des enfants instruits à domicile formulée par Mme Goulet. L’idée de soumettre les établissements privés hors contrat au régime des établissements sous contrat est audacieuse, et à mon avis irréalisable. En revanche, celle dont elle procède, plusieurs fois formulée au cours de cette réunion, me semble importante : il faut envisager une évolution de la liberté d’enseignement. À l’occasion de la dernière session du baccalauréat, nous avons dû tenir compte des bulletins de notes des élèves de Terminale, ce qui nous a amenés à établir une distinction, au sein des établissements hors contrat, entre ceux qui fonctionnent normalement et ceux qui sont hors des clous, pour ainsi dire. Nous devons élaborer des critères de reconnaissance permettant de distinguer un enseignement hors contrat s’inscrivant dans le cadre républicain et pédagogique souhaité et un enseignement qui ne s’y inscrit pas. Cela n’implique pas de faire passer tous les établissements dans l’enseignement sous contrat, mais suppose d’exercer une reconnaissance, donc de faire évoluer nos règles du jeu.

Mme Le Grip estime que peu d’articles du projet de loi portent sur l’éducation, déplorant une forme de parcimonie législative. Nous sommes parfois accusés du travers inverse ! Je rappelle que ce projet de loi, fort heureusement, n’est pas le premier texte relatif à l’éducation du quinquennat. Nous en avons notamment adopté deux, évoqués à de nombreuses reprises aujourd’hui : la loi Gatel et la loi pour une école de la confiance. Nous disposons donc de jalons législatifs. Au demeurant, de nombreux aspects des questions législatives ne sont pas d’ordre législatif. Nous disposons désormais d’un ensemble législatif en trois temps, qui est assez riche. S’agissant de l’enseignement privé hors contrat, il y aura vraiment un avant et un après les quatre dernières années.

J’ai répondu par anticipation à la question de Mme Bannier sur la situation particulière de l’enfant. L’enjeu est d’adopter des précisions dans le cadre de nos travaux futurs. Il s’agit d’élaborer un standard de référence, qui a vocation à s’enrichir avec le temps.

Je remercie M. Cormier-Bouligeon d’avoir rappelé que les enjeux de neutralité ne sont pas exclusivement de nature religieuse, et qu’ils sont aussi de nature politique. Il a aussi eu fort raison d’évoquer les circulaires de Jean Zay, qui allaient au-delà de ce que je peux faire sur ces questions – mais je serais prêt à aller aussi loin que lui ! La neutralité politique et religieuse est indispensable dans l’enceinte scolaire. Au demeurant – soit dit en réponse à certains propos tenus tout à l’heure par M. Corbière –, certains établissements sont devenus peu attractifs en raison du non-respect, souvent par des gens qui sont ses amis, de la neutralité politique aux abords de ces établissements. Il arrive que l’on déplore des faits dont on est la cause. Toute forme d’appropriation politique de l’enceinte scolaire est un repoussoir. Nous devons y faire respecter la neutralité politique et religieuse. Nous nous concentrons, à bon droit, sur l’enjeu de la neutralité religieuse, mais il ne faut pas négliger celui de la neutralité politique. Personne ne souhaite envoyer ses enfants dans un endroit où on essaie de les endoctriner d’une façon ou d’une autre. Il faut être clair sur cette question.

M. Ravier considère qu’il est hors sujet de s’attaquer à l’IEF. Toute l’IEF n’est pas le sujet et tout le sujet n’est pas l’IEF, nous serons d’accord au moins sur ce point. Toutefois, l’un et l’autre se recoupent. Je rappelle que, dans chaque structure démantelée, la moitié des enfants étaient inscrits à l’IEF. Telle qu’elle existe juridiquement, elle sert de paravent à des phénomènes inacceptables, ce qui ne signifie pas que tout ce qui s’y passe est inacceptable. Tel est tout l’enjeu de la finesse dont nous devons faire preuve dans le déploiement de cette nouvelle approche.

Mme Abadie a évoqué la formation à la maîtrise des risques numériques. Cet enjeu recoupe ceux du projet de loi. Nous avons prévu une certification, intitulée Pix, englobant les aspects techniques et les aspects éthiques de la compétence numérique de nos élèves.

M. Eliaou a parlé de la formation des professeurs. Il s’agit d’un sujet essentiel. La loi pour une école de la confiance prévoit la systématicité des formations initiales sur la laïcité. Il faut aussi s’assurer de la qualité de l’enseignement dispensé. Nous menons une première révolution : au sein du concours, l’épreuve de mise en situation professionnelle inclura des questions sur les valeurs de la République et la laïcité. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué tout à l’heure en évoquant la chaire « Laïcité » du CNAM, nous prévoyons des effets matriciels, issus du conseil des sages de la laïcité, sur les références nécessaires en matière de laïcité et de valeurs de la République.

Je remercie M. Petit. Je retiens les deux idées qu’il a exposées, sur le rôle du CNED et le renouvellement de l’éducation populaire. Il s’agit de grandes questions. Je prends date, en indiquant d’emblée que j’adhère totalement à ses propos. Nous devons développer une vision du périscolaire très complémentaire du scolaire sur ces questions. Sarah El Haïry et moi-même y travaillons beaucoup.

J’ai tenté de répondre aux questions de Mme Krimi. Je suis plutôt favorable à la proposition de M. Pupponi de généraliser la systématisation des enseignements sur la laïcité.

Mme Oppelt m’a interrogé sur l’élargissement de l’enseignement de la philosophie. Je suis particulièrement sensible à ce sujet. Nous connaîtrons quelques progrès ces prochains temps. Ce domaine ne relève pas du présent projet de loi, mais de son environnement. Nous parviendrons certainement à des avancées en la matière, dont nous pourrons reparler.

M. le président François de Rugy. Merci pour ces réponses extrêmement précises.

 

 

La séance est levée à quatorze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 12 heures

Présents.  Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Philippe Benassaya, M. Yves Blein, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, Mme Sonia Krimi, Mme Anne-Christine Lang, M. Guillaume Larrivé, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Patrice Perrot, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, Mme Laurianne Rossi, M. François de Rugy, M. Pacôme Rupin, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet