Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Table ronde de représentants de courants philosophiques, réunissant :

– Grand Orient de France – M. Benoît Graisset-Recco, troisième Grand Maître adjoint, en charge de la laïcité, et M. Jean Javanni, Grand Officier délégué à la laïcité

– Grande Loge Mixte de France – M. Édouard Habrant, Grand Maître

– Grande Loge de France – M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître, et Me Philippe Nugues, avocat et membre de la Grande Loge de France

– Grande Loge Féminine de France – Mme Marie-Claude Kervella-Boux, présidente, et Mme Marie Bidaud, présidente de la commission nationale de la laïcité

– Grande Loge Nationale Française – M. Jean-Pierre Rollet, Grand Maître, et M. Patrick Meneghetti, collaborateur en charge des affaires juridiques

– Fédération française de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain – M. Georges Voileau, Grand Maître national, et M. Sylvain Zeghni, conseiller national

– Fédération nationale de la libre pensée – M. Dominique Goussot, vice-président 2

– Présences en réunion.................................57


Mardi
5 janvier 2021

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 12

session ordinaire de 2020-2021


Présidence de M. François de Rugy, président


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Mardi 5 janvier 2021

La séance est ouverte à huit heures trente-cinq.

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La commission spéciale procède à l’audition en table ronde des représentants de courants philosophiques.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui M. Benoît Graisset-Recco, troisième Grand Maître adjoint, en charge de la laïcité, et M. Jean Javanni, Grand Officier délégué à la laïcité du Grand Orient de France, M. Édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge mixte de France, M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître, et Me Philippe Nugues, avocat et membre de la Grande Loge de France, Mme Marie-Claude Kervella-Boux, présidente, et Mme Marie Bidaud, présidente de la commission nationale de la laïcité de la Grande Loge féminine de France, M. Jean-Pierre Rollet, Grand Maître, et M. Patrick Meneghetti, collaborateur en charge des affaires juridiques de la Grande Loge nationale française, M. Georges Voileau, Grand Maître national, et M. Sylvain Zeghni, conseiller national de la Fédération française de l’Ordre maçonnique mixte international Le droit humain, M. Dominique Goussot, vice-président de la Fédération nationale de la libre pensée.

Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je précise que l’ensemble du programme des auditions est établi par le bureau de la commission spéciale. Nous avons souhaité entendre celles et ceux qui peuvent éclairer notre examen du projet de loi confortant les principes de la République, déposé par le Gouvernement. Le cas échéant, nous pourrons amender ce texte, dont la version présente n’est absolument pas définitive. Mesdames et messieurs, parce que vous avez travaillé sur ces sujets depuis de très nombreuses années, nous avons estimé qu’il était intéressant d’entendre votre point de vue.

Pour cette audition groupée, sous forme de table ronde, un représentant par fédération ou grande loge prendra la parole pour un propos liminaire, afin d’exposer son point de vue sur l’ensemble du projet de loi et sur le contexte dans lequel il est présenté. Sans doute souhaiterez-vous attirer notre attention sur certaines mesures. Les rapporteurs, les orateurs des groupes puis ceux de nos collègues qui le souhaitent vous adresseront ensuite leurs questions.

M. Benoît Graisset-Recco, troisième Grand Maître adjoint du Grand Orient de France, en charge de la laïcité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie, au nom du Grand Orient de France, de nous recevoir et de bien vouloir entendre notre point de vue sur ce projet de loi. La question des principes de la République nous tient particulièrement à cœur : nous y travaillons depuis plusieurs décennies, et même depuis plus d’un siècle. Elle est au cœur de nos préoccupations, notamment son articulation avec le principe de laïcité. Même si la laïcité n’est pas explicitement mentionnée dans le titre du projet de loi, elle y occupe une place centrale.

Nous avons examiné le projet de loi tel qu’il a été déposé le 9 décembre. Dans un contexte où les valeurs et les principes de la République sont contestés, alors que notre société voit l’obscurantisme et la radicalisation progresser dans des proportions très importantes, il est tout à fait satisfaisant qu’un projet de loi vienne renforcer les principes de la République et donner aux citoyens des points de repères essentiels, pour que ces principes soient vécus par chacun comme des facteurs de paix et d’émancipation. Six points ont particulièrement retenu notre attention et nous semblent positifs.

Le premier concerne la généralisation de l’obligation de neutralité laïque à tous les salariés et organismes publics ou privés assumant une charge de service public. Le deuxième point est l’inclusion du principe de neutralité dans les motifs de contrôle des collectivités territoriales par les préfets. Le troisième est la généralisation des prescriptions de la loi de 1905 à toutes les associations à objet cultuel, quel que soit leur statut, et le renforcement des contrôles sur leur fonctionnement et leurs ressources, ce qui pourra mettre fin à la confusion trop souvent entretenue entre le cultuel et le culturel ; depuis de nombreuses années, nous tentons d’éclairer le débat public sur cette confusion. Le quatrième point est le renforcement des contrôles sur les enseignements prodigués en dehors de l’école publique ; c’est une question cruciale qui fait l’objet d’une actualité renouvelée. Le cinquième point, lui aussi au cœur de l’actualité, est la lutte contre la haine en ligne, qui devrait renforcer le droit à la libre expression des personnes. Le sixième et dernier point est la lutte contre les comportements communautaires, notamment sexistes et contraires aux lois de la République.

Nous émettons toutefois des réserves sur l’article 28, qui autorise les associations cultuelles à exploiter des biens immobiliers reçus à titre gratuit. Cette disposition est de nature à rompre l’équilibre financier issu de la loi de 1905, si elle n’est pas assortie de conditions. Ce point doit être retravaillé et nous pourrons vous proposer une solution alternative.

D’une manière générale, il nous semble essentiel de garder à l’esprit, au cours de nos échanges et dans le débat parlementaire, que ce projet de loi poursuit un objectif d’apaisement. Nous l’avons vécu lors de l’examen de la loi du 15 mars 2004 : une loi claire, nette et adoptée à la quasi-unanimité permet de résoudre les problèmes. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une montée de l’obscurantisme. Nous espérons que ce projet de loi sera un facteur d’apaisement du débat, qu’il aidera chacun de nos concitoyens, élus ou non, à aborder ces questions et qu’il apportera des solutions législatives à des problèmes concrets – je pense notamment au contrôle des collectivités locales par les préfets, au renforcement du contrôle des enseignements en dehors de l’école publique ou à la clarification entre objets cultuels et objets culturels. Voilà qui nous paraît essentiel pour apaiser le débat.

M. Édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge mixte de France. Monsieur le président, vous avez souligné l’importance du contexte de l’élaboration de ce projet de loi : voilà qui me paraît essentiel. Il n’est pas opportun de rédiger des lois sous le coup de l’émotion mais, dans la vie d’un peuple ou d’une nation, il est parfois légitime que l’émotion persiste – je pense à l’abominable assassinat terroriste de Samuel Paty. Loin de céder à la colère, nous devons garder à l’esprit l’humanisme et la quête de sens qui se sont manifestés à la suite de cet attentat et comprendre la résonance qu’il a eue dans notre pays.

Rappeler le contenu des principes républicains qui doivent être confortés me semble important. Certes, ils sont mieux mis en exergue dans l’exposé des motifs du projet de loi. Cependant, le texte parle plutôt des fondements de la République, à savoir la liberté, l’égalité, la fraternité, l’éducation et la laïcité. Je ne veux pas relancer l’éternel débat entre éducation et instruction, mais la question se pose tout de même, d’autant plus que le droit à l’éducation risque d’être mis à l’épreuve dans cette loi. Par ailleurs, c’est à l’aune de ces principes que, dans un second temps, le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité sera mené. Enfin, rappeler ces principes est nécessaire au regard des exigences qu’impose la vie en commun dans une société démocratique, comme ce fut le cas lors du débat sur la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

Nous sommes auditionnés en tant que représentants d’un courant philosophique. Je m’exprime au nom d’une obédience, la Grande Loge mixte de France, et pas au nom de chacun de ses membres, qui sont en droit d’avoir leur propre opinion, qui pourra souvent différer de celle de l’obédience. Toutefois, la loge a dégagé une réflexion et un travail communs, que j’exposerai devant vous.

La laïcité ne représente pas seulement un cadre juridique mais une philosophie, et même une philosophie politique. Alain nous en donne une idée juste. Il dit, ce qui peut sembler être un paradoxe, que l’esprit laïque n’est « pas une doctrine mais une manière hardie de juger toute doctrine et un profond mépris pour les moyens extérieurs ». Cette promesse d’émancipation et de liberté est ce qui nous permet de ne pas faire de choix entre être laïque et être religieux. La laïcité, d’un point de vue philosophique, offre à la société des espaces vides de toute croyance : c’est ce vide qui permet à chacun de définir ensuite ses propres valeurs. Telle est la liberté de conscience.

Ce texte est ambitieux, mais cette ambition exige cohérence, équilibre et mesure. M. Graisset-Recco a souligné l’importance de l’esprit d’apaisement et d’adhésion ; je le rejoins parfaitement. D’une manière générale, il manque peut-être dans ce texte la dimension généreuse de la République. Il contient un grand nombre de mesures de police et de contrôle. S’agissant d’un texte qui met en avant des principes républicains, notamment le principe de liberté, voilà qui peut paraître paradoxal. Nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion sur les questions d’égalité des chances ou de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, le texte contient un grand nombre de dispositions, ce qui rend sa lecture difficile. Un fil conducteur serait souhaitable.

Je note que ne sont mentionnés ni l’Observatoire de la laïcité – peut-être n’est-ce pas le lieu adéquat pour le faire –, ni les collaborateurs occasionnels du service public – je souhaiterais y revenir – ni la possibilité d’étendre le champ d’application de la loi de 1905, en particulier en Alsace-Moselle.

Trois points ont retenu mon attention. Premièrement, le contrat d’engagement républicain porte mal son nom, puisqu’il ne s’agit pas vraiment d’un contrat, comme le Conseil d’État l’a déjà dit. Ces termes figurant toujours dans le texte, nous souhaiterions connaître le contenu d’un tel contrat. Deuxièmement, concernant le combat contre la haine en ligne, l’établissement des preuves d’intentionnalité sera difficile. Établir le caractère intentionnel de la diffusion d’informations, dans le but d’exposer une personne ou un membre de sa famille à un risque d’atteinte à la vie, ne sera pas aisé. Troisièmement, le droit de disposer d’immeubles de rapport, prévu à l’article 28, et l’exemption du droit de préemption, prévue à l’article 32, constituent la difficulté la plus importante. Je pourrai développer ce point plus avant.

M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France. Monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation. La Grande Loge de France est une obédience de 34 000 membres et nous n’avons pas l’habitude de nous exprimer en public. En revanche, nous répondons volontiers aux invitations quand sont en jeu des questions aussi importantes.

Nous sommes heureux d’être considérés comme une organisation philosophique et non confessionnelle et de ne pas avoir été invités en même temps que les représentants des cultes, comme cela avait été le cas il y a un certain temps, ce qui nous avait un peu crispés. Cette loi appelle toute notre attention, puisque le respect des principes de la République nous intéresse au plus haut point. J’interviendrai plutôt sur l’aspect philosophique de la loi, tandis que mon collègue et frère, Me Philippe Nugues, qui est avocat, répondra aux questions d’ordre juridique.

Ce projet de loi est vu favorablement par la majorité de nos 34 000 frères, même si je n’ai pu les interroger tous individuellement. Les points qui nous intéressent sont : les questions portant sur les cultes, notamment le renforcement de la laïcité en général, mais aussi le renforcement de la laïcité et de la neutralité dans les services publics ; le contrat d’engagement républicain, même s’il manque sans doute une charte de déontologie qui viendrait s’adosser à ce contrat et qui serait opposable, pour le cas où il ne serait pas respecté ; la protection des agents publics et de la dignité humaine, surtout lorsqu’il s’agit des femmes et du débat sur les certificats de virginité ; enfin, la répression de la haine en ligne. Comme je le disais à Mme Laetitia Avia, j’ai moi-même été menacé, sur un réseau social, d’être étripé en place publique par un abruti, parce que j’avais eu la funeste idée de mettre en avant notre Marianne, qui se trouve être en bronze – et donc plutôt « bronzée », si je puis m’exprimer ainsi. J’ai donc été accusé de valoriser une Marianne noire.

Font consensus la lutte contre l’islam radical, même si nous regrettons que les termes « séparatisme », « communautarisme » et « islam radical » aient été supprimés du projet de loi, et le respect de l’équilibre entre la défense des libertés nécessaires et la sanction des atteintes à cette défense des libertés – ce qui renvoie à la « loi Avia ». Nous nous interrogeons sur un point : pourquoi limiter ces dispositifs aux convictions religieuses ? Je croyais d’ailleurs qu’il s’agissait de croyances, mais sans doute me trompé-je… Sont oubliées les sectes et autres associations à caractère philosophique, qui sont sans doute tout aussi dangereuses que les religions.

Certains désaccords se sont manifestés, par exemple sur l’instruction à domicile. Certains se demandent pourquoi remettre en cause une loi qui fonctionne. Il faudrait simplement, de leur point de vue, s’assurer qu’il s’agit bien d’instruction, que les parents qui instruisent en sont capables et que les enfants ne sont pas confiés à d’autres structures que l’éducation nationale pour faire autre chose qu’apprendre à lire, écrire et compter. Ils s’interrogent sur les moyens de contrôler ce type d’enseignement. D’autres sont tout simplement contre l’instruction à domicile. Enfermer les enfants dans un lieu, fût-il familial, sans ajouter du sport, de la culture, des sorties, du mélange et de la mixité dès le plus jeune âge reviendrait, selon eux, à les exclure de la société. L’instruction à domicile devrait être complétée par des obligations de partage hors de la cellule familiale.

Concernant les cultes, il semble effectivement nécessaire d’apprécier la qualité des associations cultuelles et d’exercer un contrôle sur toute la durée du contrat signé avec ces associations. Il faut veiller à ce que les associations qui ont une portée culturelle n’enferment pas les enfants dans le communautarisme, comme cela peut être le cas dans les piscines ou dans les vestiaires d’associations sportives. Il est nécessaire de vérifier que la neutralité républicaine soit bien appliquée par les associations en question, qui doivent s’engager non seulement par la signature d’un contrat, mais aussi d’une charte respectant les principes de la République.

Mon dernier point sera un peu plus critique. N’est-il pas flou d’utiliser les termes « principes » et « valeurs », les premiers étant d’ordre institutionnel et les secondes d’ordre moral ? Ces termes sont utilisés indifféremment dans le projet de loi. N’est-ce pas une erreur de parler de « Gouvernement » plutôt que d’« institutions » de la République ou de la nation ? Ne nous trompons-nous pas en parlant de « circonscriptions religieuses » ? Qu’est-ce qu’une circonscription religieuse pour un catholique, un musulman ? Quelles en sont les limites ? On parle aussi de « polygamie », ce qui laisse penser qu’elle existe. Or je pensais qu’elle n’existait pas dans le droit français…

Mme Marie-Claude Kervella-Boux, présidente de la Grande Loge féminine de France. Monsieur le président, mesdames, messieurs, si le terme de laïcité ne figure pas dans le titre du projet de loi, la primauté donnée à la laïcité reste sous-jacente dans ce texte et la loi du 9 décembre 1905 est directement concernée par de nombreux articles.

La Grande Loge féminine de France, avec 14 000 membres, est la première obédience féminine mondiale. Dans notre déclaration de principes, nous avons tenu à parler de la laïcité : « La Grande Loge féminine de France proclame sa fidélité à la patrie ainsi que son indéfectible attachement aux principes de liberté, de tolérance, de laïcité, de respect des autres et de soi-même. » Elle déclare aussi « œuvrer à l’accomplissement et au respect des droits des femmes, conditions indispensables à l’universalité des droits humains ».

En tant que femmes franc-maçonnes, travaillant en loge pour nous construire et construire la cité, nous savons ce que la laïcité nous apporte. Sans la laïcité, nous n’aurions pas acquis la liberté qui est la nôtre aujourd’hui. Elle nous a émancipées par rapport au dogme religieux, favorisant l’égalité des hommes et des femmes, le droit des filles comme des garçons à l’instruction, le droit de vote pour les femmes, leur accès à la contraception, à l’égalité professionnelle et à la parité en politique, ainsi que le mariage pour tous, d’où l’importance toute particulière que nous accordons à ce projet de loi.

Depuis plusieurs années, en interne, dans notre obédience, notre commission nationale de la laïcité nous alerte lors des attaques multiples portées contre ce principe et nous informe des combats menés par les associations et mouvements laïques pour défendre et promouvoir ce principe, qui est un pilier de notre République. Les revendications communautaristes se sont de plus en plus manifestées depuis les années 1980. Depuis l’épisode des lycéennes de Creil, les attaques portées à la loi de 1905 n’ont pas cessé.

Les revendications régressives remettent en cause nos libertés individuelles, comme les actions d’opposition à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’exigence d’un certificat de virginité, les obstacles au droit de mourir dans la dignité, l’inégalité entre les hommes et les femmes, revendications portées par des responsables et des mouvements religieux relevant du communautarisme. Et le nombre d’écoles hors contrat continue de progresser sur notre territoire.

Il nous faut aussi souligner l’abandon des structures locales, régionales ou nationales laïques, comme les patronages, les colonies de vacances ou le suivi scolaire, au profit de structures confessionnelles ou sectaires, ainsi que la démission face à l’application stricte des règles et des lois votées. Quid, par exemple, des amendes pour les femmes intégralement voilées sur la voie publique ?

Depuis 2005, les espaces publics, l’école, les services publics sont le théâtre de nouvelles tensions, qui sont autant de remises en cause involontaires où délibérées des règles régissant la vie en société. Certaines de ces tensions sont révélatrices de la contestation de la légitimité même de la loi républicaine par de nouveaux fondamentalismes religieux, convaincus du primat des préceptes religieux sur le droit institutionnel.

Ces remarques ne sont pas exhaustives. En revanche, il est certain que le manque de travail social associé à une absence de construction culturelle favorise le développement du communautarisme comme refuge et constitue un danger constant pour la République, qui est fondée sur le principe d’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens, quels que soient leur sexe et leur origine, leurs convictions et leur appartenance religieuse.

Les événements qui ont dernièrement secoué la France ont accentué l’urgence pour le Gouvernement de réagir, en dotant notre pays de nouveaux outils. Nous avons pris connaissance des articles de ce projet de loi. Ils sont porteurs d’espoir pour renforcer les principes républicains, qui sont le socle de notre République laïque actuellement malmenée. Ils clarifieront probablement certains points, comme le statut des associations cultuelles, la neutralité religieuse dans le service public, les écoles hors contrat, l’enseignement à domicile et le financement des cultes d’origine étrangère. Nous pourrons, si vous le souhaitez, revenir plus en détail sur ces différentes dispositions.

Nous avons le privilège, dans notre pays, d’exprimer notre engagement citoyen de liberté, d’égalité et de fraternité au sein d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Pour vivre dans un pays en paix, il est important de réaffirmer la suprématie de la loi civile sur des préceptes religieux, ainsi que la priorité à donner à l’école publique et laïque, et au non-financement des cultes par l’État. Aussi, nous, franc-maçonnes de la Grande Loge féminine de France, souhaitons exprimer notre intérêt pour certaines dispositions de ce projet de loi et apporter notre contribution à un renforcement effectif de nos principes républicains. Nous resterons toujours vigilantes et en alerte, car les équilibres demeurent fragiles. Il est essentiel de préserver nos libertés individuelles et d’œuvrer à la construction d’une vie en société préservant nos droits communs.

M. Jean-Pierre Rollet, Grand Maître de la Grande Loge nationale française. Monsieur le président, mesdames, messieurs, notre grande loge, créée en 1913, est particulière dans le paysage maçonnique français, puisqu’elle ne regroupe, parmi ses 31 000 membres, que des croyants, des hommes qui croient en Dieu, que nous appelons le grand architecte de l’Univers. Que ces hommes soient juifs, musulmans, chrétiens ou bouddhistes, ils se retrouvent dans l’absolue unité et harmonie, parce qu’ils ont comme principe fondamental la croyance en un grand principe divin.

Il en découle un principe qui s’accorde bien avec cette loi, celui de la neutralité. Il est absolument interdit en loge, et même en grande loge, de s’exprimer ou de tenir un débat à caractère politique ou religieux. C’est la caractéristique fondamentale de notre obédience. Nous souhaitons non seulement contribuer à la réflexion, mais aussi évaluer si un certain nombre de mesures ne sont pas de nature à perturber notre fonctionnement direct.

M. Patrick Meneghetti, collaborateur en charge des affaires juridiques de la Grande Loge nationale française. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, nos questions portent essentiellement sur l’article 1er et sur les articles 6 à 10 du projet de loi.

Nous sommes attachés, comme tout citoyen français, au principe de la laïcité, définie comme le respect des convictions de chacun, le droit de croire ou de ne pas croire ; il ne s’agit pas de privilégier l’une ou l’autre de ces options. Il nous faut donc veiller à ce que la nécessaire imposition du respect de la laïcité ne puisse pas aboutir, à terme, à restreindre la liberté individuelle de croyance ou de foi. Ce point a attiré notre attention, notamment dans les articles relatifs à l’obligation de neutralité. Évidemment, nous souscrivons à cette obligation, mais il faut être attentif au risque de dérive et veiller à ce que toutes les manifestations religieuses individuelles relevant de la liberté de conscience ne puissent pas être sanctionnées à ce titre.

En ce qui concerne les articles 6 et suivants sur la liberté d’association, nous nous interrogeons notamment sur la notion de contrat d’engagement républicain au regard de la charte du 14 février 2014, qui n’avait pas de valeur réglementaire et ne précisait pas spécifiquement tous les engagements tels qu’ils sont repris ici. Nous aurions souhaité que le contenu de ce contrat soit précisé, sachant que l’appréciation du non-respect de cet engagement peut conduire à une dissolution administrative de l’association. Il s’agit d’éviter des atteintes directes ou indirectes à la liberté d’association. L’étude d’impact estime qu’il n’existe pas d’atteinte directe à ce principe, ce qui sous-entend qu’une atteinte indirecte n’est pas à exclure. Nous entendons donc rester vigilants car, faute d’une définition plus précise, le risque existe que l’on interprète des réunions fondées sur la foi ou réservées à une population masculine ou féminine, qui ne sont absolument pas contraires aux lois de la République, comme faisant obstacle à certains principes ou à certaines valeurs. Enfin, nous nous interrogeons également sur l’ajout des mots « contribuent par leurs agissements », prévu à l’article 8 ; nous pourrons y revenir.

M. Georges Voileau, Grand Maître national de la Fédération française de l’Ordre maçonnique mixte international Le Droit humain. L’ordre maçonnique mixte international Le Droit humain a vu le jour en 1893. Nous sommes la deuxième plus ancienne obédience a-dogmatique de France. Nous sommes aussi les premiers à avoir proclamé l’égalité des femmes et des hommes, principe fondateur inscrit dans notre constitution internationale. La fédération française, que j’ai l’honneur de présider, est forte de 16 500 membres. Nous allons bientôt fêter notre centenaire, puisque nous avons vu le jour en novembre 1921.

Notre démarche, tournée vers le progrès de l’humanité, repose sur deux piliers : le perfectionnement personnel, grâce à une démarche initiatique, et l’amélioration permanente des conditions de vie des femmes et des hommes dans la société civile. C’est pourquoi, au sein de notre obédience, un grand nombre de francs-maçons sont engagés dans des associations. Cette démarche d’amélioration continue est fondée, en France, sur nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, ainsi que sur la laïcité, dans le respect de la liberté absolue de conscience. Je dois reconnaître que promouvoir la notion de laïcité au niveau international est un sport de haut niveau.

La fédération française approuve les grandes lignes du projet de loi. Nous constatons que le principe coercitif de la loi, qui vise à lutter contre le radicalisme religieux à l’origine d’actes criminels commis envers la République et ses institutions, envers la nation et ses membres, est souvent présenté dans les médias comme dirigé contre l’islam radical. Or, nous tenons à le souligner, les dérives auxquelles s’attaque ce projet de loi ne sont pas le fait de cette seule confession. Celles que l’on observe dans l’enseignement à domicile ou dans les écoles privées hors contrat concernent toutes les religions et les mouvements sectaires. Il en va de même pour la question des mariages forcés. Si nous insistons sur ce point, ce n’est pas par angélisme ou par naïveté. Les maçons que nous sommes doivent porter leur regard au-delà de l’actualité et savoir prendre en compte les mouvements de fond de notre société.

Particulièrement attachés aux principes républicains, nous tenons à ce que cette loi, dont l’objectif est de lutter contre toute forme de radicalisation religieuse ou sectaire, n’entrave pas la liberté d’organisations, associations ou individus qui ne sont en aucune manière concernés ni ne constituent une menace pour la République – je pense, par exemple, à l’instruction dans le cadre de la famille.

Face aux attentats terroristes perpétrés par des islamistes radicaux, on peut comprendre que l’État cherche à renforcer et à élargir les dispositifs légaux pour éradiquer ce phénomène. Cependant, tous les citoyens ou résidents sur le territoire français de culture ou de religion musulmane ne sont pas les ennemis de la République. Par ailleurs, on peut se demander si les lois existantes en matière de sécurité publique, pourvu qu’on les applique dans toute leur rigueur, ne sont pas suffisantes pour faire face à ces attaques.

Nous souhaitons que le projet de loi visant à conforter les principes de la République s’accompagne d’un projet visant à faire vivre ces principes concrètement, notamment en matière de mixité sociale et d’égalité des chances. Les territoires perdus de la République ne sont pas perdus pour tout le monde. Les insuffisances et les échecs de trente ans de politique d’intégration sont patents : quand de vrais ghettos urbains se forment où l’on n’est plus qu’entre soi, où l’on prône le repli et la mise en congé de la société, où l’État n’est plus présent, comment aller vers la République et saisir la main fraternelle qu’elle nous tend ?

Deux points retiennent notre attention : l’enseignement en famille ou à domicile, auquel nous sommes attachés, et la nécessaire élaboration d’un projet d’intégration. La lutte pour conforter les principes de la République repose en effet sur deux piliers. L’un, régalien, est constitué des mesures d’ordre public destinées à lutter contre le radicalisme religieux et sectaire ; l’autre, social, vise à améliorer l’égalité des chances et à lutter contre les discriminations, en favorisant notamment la mixité sociale. Le groupe majoritaire a présenté seize mesures qu’il ne nous appartient pas de commenter ici. En tout état de cause, nous resterons vigilants, car doit pouvoir émerger de ce débat un ensemble cohérent de propositions visant à remédier aux problèmes structurels de notre société.

Nous identifions des oublis, s’agissant notamment des accompagnants scolaires et plus largement des participants occasionnels au service public. Nous déplorons par ailleurs des insuffisances, notamment en ce qui concerne la réserve héréditaire, les mariages forcés, la polygamie et la fermeture des écoles hors contrat. Enfin, nous demandons l’abrogation de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 et la suppression de la possibilité pour les associations cultuelles d’exploiter des biens immobiliers. Nous pouvons aussi légitimement soulever la question des moyens financiers qui seront mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par la loi.

La commission des droits de l’homme et de la laïcité de la fédération française, présidée par M. Sylvain Zeghni, a rédigé sur le projet de loi une note que nous tenons à votre disposition. Nous espérons que les échanges de ce matin nous permettront de vous présenter nos arguments et nos propositions.

M. Dominique Goussot, vice-président de la Fédération nationale de la libre pensée. Nous concentrerons notre propos sur la question des associations cultuelles, puisque c’est en quelque sorte notre fonds de commerce. Je rappelle que c’est Ferdinand Buisson, alors président de l’Association nationale des libres penseurs de France, qui présidait la commission chargée d’élaborer la loi du 9 décembre 1905.

Sur les questions d’enseignement, nous nous faisons les avocats de la Ligue de l’enseignement, qui n’a apparemment pas été invitée à s’exprimer devant votre commission. Nous estimons qu’elle aurait pourtant des choses intéressantes à dire à la représentation nationale, même si nous ne partageons pas toujours le même point de vue sur ces sujets.

S’il réaffirme le principe selon lequel les associations cultuelles ont pour seul objet l’exercice public du culte, le projet de loi tend néanmoins, en pratique, et sous couvert de leur permettre d’accroître leurs sources de financement, à étendre l’objet de ces associations. La loi du 9 décembre 1905, telle que modifiée par la loi du 25 décembre 1942 adoptée sous le régime de Vichy, les autorise actuellement à recevoir des libéralités grevées d’obligations cultuelles et de charges pieuses. Le texte proposé ferait sauter ce verrou, de sorte qu’elles seraient légalement fondées à gérer un patrimoine immobilier sans que celui-ci soit affecté à une fin cultuelle.

Ensuite, le projet de loi vise à imposer aux associations cultuelles, actuellement soumises aux seules dispositions des articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901, une obligation de déclarer préalablement leur caractère spécifique, obligation qui serait renouvelable tous les cinq ans. L’administration aurait le pouvoir de s’opposer à cette déclaration dans les deux mois. Il s’agirait en réalité d’un système d’agrément qui poserait un problème juridique sérieux, au regard non seulement du principe de liberté d’association, mais aussi du principe de non-reconnaissance des cultes prévu à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905.

En dernier lieu, les associations cultuelles devraient déclarer tout financement de plus de 10 000 euros provenant de l’étranger. L’administration serait autorisée à s’opposer à l’utilisation de ces fonds au motif qu’ils proviendraient d’un État étranger ou que les membres de l’association tiendraient des propos jugés hostiles à la République. Or le seul motif d’opposition à l’utilisation de tels fonds ne peut être que leur caractère frauduleux ou leur origine criminelle.

Autre sujet de préoccupation : les mesures qui ont trait à la fermeture des lieux de culte et à l’aggravation des sanctions pénales. L’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure permet déjà à l’État, « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme », d’aboutir au même résultat. Le projet de loi vise néanmoins à donner à l’administration le pouvoir, en dehors de tout objectif de lutte contre le terrorisme, de fermer un lieu de culte pour une durée maximale de deux mois, en raison de l’expression de propos et de théories incitant à la haine ou à la violence. Cette disposition nous paraît excessive. S’il était adopté en l’état, le texte fragiliserait très sérieusement, sans menace grave et imminente à l’ordre public ou à la sûreté des biens et des personnes, l’exercice de la liberté de culte, qui n’est qu’un sous-ensemble de la liberté de conscience garantie par la loi de 1905.

Par ailleurs, le projet de loi aggrave très sensiblement un certain nombre de sanctions pénales alors qu’à l’origine, dans un contexte de tension entre l’État et l’église catholique, le législateur avait évité, dans un souci d’apaisement, de recourir au juge pénal de manière trop sévère. Dans le cas présent, on tord le bâton dans l’autre sens.

Enfin, les associations relevant de la loi de 1901 ayant un objet cultuel ainsi que les associations inscrites de droit local alsacien, qui sont pour l’essentiel des associations musulmanes, seraient soumises aux mêmes obligations, grosso modo, que les associations cultuelles, sans bénéficier pour autant des avantages attendus, notamment fiscaux. Cette mesure nous préoccupe, car elle remettrait en cause le cadre juridique équilibré issu de la combinaison de la loi du 1er janvier 1901 sur les associations, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État et de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes, qu’il a fallu adopter quand l’église catholique a refusé de constituer des associations cultuelles. Depuis cent quinze ans, un équilibre existe ; il ne faut y toucher qu’en prenant beaucoup de précaution.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je précise tout d’abord que la Ligue de l’enseignement sera entendue par les rapporteurs dans le cadre de leurs auditions, lesquelles sont distinctes de celles de la commission spéciale.

Monsieur Habrant, le texte, avez-vous dit, manque de générosité. Permettez-moi de rappeler que dix des quarante-quatre articles de la loi de 1905 portent sur la police des cultes. Et si son article 1er est d’une très grande générosité, puisqu’il garantit la liberté de conscience et le libre exercice du culte, il n’omet pas les restrictions rendues nécessaires par l’ordre public. Ce que l’on considère comme une marque de générosité en 2021 n’a pas toujours été interprété comme tel en 1905. À l’époque, le débat fut intense. Nous pourrons y revenir, comme sur la notion de circonscriptions religieuses, qui est en effet ambiguë mais qui figure déjà à l’article 19 de la loi de 1905.

J’en viens à mes questions, la difficulté de l’exercice étant lié à votre nombre, puisque vous êtes douze – est-ce un signe ? (Sourires.)

La définition des principes de la République fait débat – ce qui est heureux – alors qu’ils constituent la colonne vertébrale de ce texte et figurent même dans son titre. Quelle est votre définition de ces principes ? Certains points peuvent susciter la discussion. Ainsi, dans son avis, le Conseil d’État indique qu’il est difficile d’étendre aux associations qui signeront le contrat d’engagement républicain le principe de laïcité, qui s’applique aux agents de l’État.

Que pensez-vous de la notion de contrat d’engagement républicain – ce contrat ne devant pas être entendu au sens juridique du terme ? Est-elle de nature à réinscrire le million d’associations qui reçoivent des subventions publiques dans une logique de lien citoyen au sein de la communauté républicaine ou considérez-vous que cet outil est de nature symbolique, voire qu’il est inutile ?

Ma troisième question porte sur les associations mixtes. L’un des objets principaux du texte est de faire en sorte que ces associations, qui mêlent et confondent parfois activités cultuelles et activités culturelles, socio-éducatives ou même caritatives, puissent être distinguées de manière beaucoup plus claire, y compris sur les aspects simplement comptables. Que pensez-vous de la volonté affichée par ce texte de renforcer les contraintes qui leur sont imposées ?

M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV. Mes questions portent sur la police des cultes et la préservation de l’ordre public.

Premièrement, vous avez dressé à plusieurs reprises un parallèle entre, d’une part, l’article 6, relatif au contrat d’engagement républicain que toutes les associations devront signer pour pouvoir bénéficier de subventions publiques, et, d’autre part, l’article 35, qui tend à contrôler le financement étranger des seules associations cultuelles. Quel regard portez-vous sur le fait que ces deux obligations nouvelles n’ont pas le même champ d’application ?

Deuxièmement, vous avez tous évoqué certaines des mesures relatives à la police des cultes sans jamais mettre en cause leur proportionnalité. Je vous en suis reconnaissant, mais je souhaite appeler votre attention sur un point. L’article 39 vise à aggraver la répression des propos délictueux tenus dans les lieux de culte ou à leurs abords. Cela n’est pas en soi une difficulté puisque la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne s’appliquait pas jusqu’à présent dans les lieux de culte ; le régime était plus souple et les peines moins importantes. Le Conseil d’État a recommandé, dans un souci d’uniformisation, l’abrogation de l’article 35 de la loi de 1905. Selon vous, faut-il privilégier l’unité du droit ou maintenir l’aggravation des sanctions réprimant les provocations à la haine ou à la violence commises dans un lieu de culte ou à ses abords ?

M. le président François de Rugy. Nous allons à présent entendre les représentants des groupes.

M. Guillaume Vuilletet. Je veux tout d’abord remercier le bureau de notre commission d’avoir pris la décision d’organiser votre audition selon ce format qui, je le sais, a fait débat. La franc-maçonnerie a accompagné et a parfois été à l’origine d’un grand nombre d’évolutions sociétales et sociales de notre pays. Cette profondeur historique justifie que nous vous entendions, en particulier sur la laïcité, à laquelle on vous sait attachés.

Si le groupe LaREM se réjouit des appréciations plutôt positives que vous avez pu porter sur le texte, nous ne pouvons pas ne pas réagir à certaines de vos remarques. Ce projet de loi a été élaboré pour tenir compte de la réalité actuelle de notre pays. Je pense, par exemple, à son article 28. Le point de savoir si les associations cultuelles peuvent gérer des immeubles de rapport est un débat ancien dans l’histoire de la laïcité. Mais la situation actuelle est différente de celle de 1905 : les cultes concernés sont différents et les convictions s’organisent différemment. Ces dispositions ne répondent-elles pas au besoin de trouver un nouvel équilibre ?

De la même manière, nous devons prendre en compte le principe de réalité quand nous abordons l’instruction en famille. Bien entendu, il ne s’agit pas de contraindre les parents dont les enfants sont, pour des raisons de santé ou des raisons géographiques, dans l’obligation d’être instruits à domicile. Aussi une discussion doit-elle sans doute avoir lieu pour définir le périmètre pertinent. Mais comment ne pas tenir compte du fait qu’au sein de notre République, des enfants sont volontairement évincés de l’école et placés dans un cadre communautarisé, voire radicalisé ?

Bien entendu, ce projet de loi n’est pas l’alpha et l’oméga du contrat républicain. Du reste, le discours des Mureaux du Président de la République ne portait pas que sur cette question – le Gouvernement et l’ensemble de l’exécutif ont été assez clairs à cet égard ; d’autres initiatives sont envisagées. Mais ce projet de loi, qui vise à renforcer le respect des principes républicains, se suffit à lui-même.

M. Éric Diard. Je souhaite vous poser deux questions, au nom du groupe Les Républicains.

En dix ans, le nombre des enfants recevant une instruction en famille a doublé et le nombre de ceux qui reçoivent une instruction hors du Centre national d’enseignement à distance (CNED) a augmenté de 275 % ! Le Conseil d’État, dans sa sagesse, a étendu les motifs d’autorisation de l’instruction en famille, en y incluant notamment l’existence d’une situation particulière pour l’enfant, sous réserve que les personnes responsables puissent justifier de leur capacité à assurer l’instruction en famille. Il est bien question de l’intérêt de l’enfant, et c’est une bonne chose. Je souhaite connaître votre point de vue sur cette question car j’ai constaté que vos appréciations divergeaient, ce qui est tout à fait normal – n’y voyez pas une critique de ma part.

Par ailleurs, l’article 4, qui tend à réprimer les pressions et menaces exercées pour motifs religieux sur des agents de la fonction publique, a été créé en réaction au terrible attentat perpétré contre Samuel Paty. Peut-être permettra-t-il de réprimer enfin le nombre faramineux des atteintes à la laïcité et des manifestations de communautarisme constatées au sein de nos établissements d’enseignement, dont même le ministre de l’éducation s’est aperçu, puisqu’après avoir mentionné 400 infractions lors de l’hommage à Samuel Paty, il a finalement indiqué que leur nombre avait été supérieur à 700 – sans parler de tous ceux qui ont évité d’assister à cet hommage pour ne pas créer de troubles. Pensez-vous que l’article 4 permettra de lutter contre le communautarisme rampant et les atteintes à la laïcité qui gangrènent depuis de nombreuses années l’école de la République ?

Mme Géraldine Bannier. La philosophie du texte repose sur un renforcement des contrôles et de la réglementation, ce qui requiert l’adhésion et même la solidarité des différents courants religieux. Ceux-ci peuvent se sentir ciblés alors que ce sont l’extrémisme et les dérives sectaires – qui n’ont plus rien à voir avec le phénomène religieux – qui sont en fait visés. Je souhaiterais savoir, au nom du groupe MODEM, si, selon vous, le volet consacré au contrôle et à la répression doit être complété par un volet consacré à la promotion et à la diffusion des principes de la République. Auriez-vous des propositions à nous faire en ce sens ? Quelles mesures concrètes pourraient être apportées pour lutter contre les dérives des jeunes ? En tant qu’ancienne enseignante, j’estime qu’il manque, dans ce texte, un volet sur la prévention. Quant à vos propos sur l’égalité des chances, j’y souscris complètement.

M. Boris Vallaud. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je vous remercie pour vos interventions.

Le régime des associations, tel qu’il est défini par l’article 18 de la loi de 1905 et l’article 5 de la loi de 1901, est fondé sur une déclaration simple, qui produit d’emblée des effets juridiques. Or l’article 27 du projet de loi introduit une procédure de déclaration préalable pour les associations cultuelles créées sur le fondement de la loi de 1905, en donnant la possibilité à l’autorité administrative, en l’occurrence le préfet, de s’opposer à leur création. L’article 30, quant à lui, permet au préfet de vérifier le caractère cultuel des associations créées sur le fondement de la loi de 1901.

Ma question porte précisément sur ce nouveau pouvoir donné au représentant de l’État de se prononcer sur le caractère cultuel de certaines associations et de leurs activités. Selon vous, sur quels critères devrait-on fonder cette appréciation pour ne pas risquer de porter atteinte, d’une part, à la liberté d’association et, d’autre part, à la liberté de culte ? Ce pouvoir de contrôle, et les modalités de celui-ci, ne risquent-ils pas d’entrer en contradiction avec l’un des principes fondateurs de la laïcité, selon lequel l’État ne reconnaît aucun culte ?

Par ailleurs, j’aimerais savoir si, parmi les loges que vous représentez, certaines ont évolué sur la question de leur mixité.

M. le président François de Rugy. Cette deuxième question excède un peu le cadre du projet de loi.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je souhaite, au nom du groupe UDI et Indépendants, vous interroger sur trois points.

Premièrement, vous avez été nombreux à dénoncer la possibilité donnée aux associations qui administrent des cultes de gérer des biens immobiliers. J’aimerais savoir ce qui vous dérange réellement dans cette affaire. Cette disposition permettrait à ces associations de garantir leur fonctionnement en limitant, notamment pour la religion musulmane – même si on évite généralement de le dire –, la part du financement étranger et en favorisant les financements intérieurs, plus traçables et sécurisés. Autant je ne comprends pas que le texte introduise une exemption de préemption, autant je ne vois pas ce qui est problématique dans le fait que des associations cultuelles puissent gérer un bien immobilier. Nombre d’associations, y compris les vôtres, tirent une partie de leurs ressources de la gestion de biens immobiliers : pourquoi faire une différence pour les associations cultuelles ?

Deuxièmement, le contrôle que l’État va exercer sur le caractère cultuel des associations est une question centrale. Là encore, c’est la religion musulmane qui est visée, puisqu’une minorité de ses représentants l’instrumentalise et la met au service d’un projet politique. Ce projet consiste notamment à utiliser des institutions sociales pour diffuser moins une religion qu’une idéologie. Il faut agir, mais comment trouver un équilibre ? L’arbitrage de l’État n’est pas une garantie absolue : il peut y avoir des différences d’appréciation selon les gouvernements ou les préfets.

Troisièmement, je vous remercie, monsieur Voileau, d’avoir rappelé que si l’on a besoin d’un tel projet de loi, c’est parce qu’on a abandonné certains quartiers, qui ne sont pas perdus pour tout le monde puisque les ennemis de la République y propagent l’idéologie que j’ai évoquée.

Enfin, je crois que la deuxième question de M. Boris Vallaud n’est pas anecdotique. En effet, certaines de vos associations refusent la mixité, alors que le projet de loi impose, entre autres principes, le respect de celle-ci. L’un de vous a indiqué que cela pourrait poser des problèmes mais j’aimerais que vous soyez plus explicites sur ce sujet.

M. Charles de Courson. Je souhaite, au nom du groupe Libertés et territoires, vous poser quatre questions.

Premièrement, pensez-vous que ce projet de loi permettra de lutter efficacement contre le séparatisme, et surtout contre le terrorisme inspiré par le fondamentalisme, notamment musulman ?

Deuxièmement, nombre d’entre vous ont estimé, à la suite du Conseil d’État, que le concept de « contrat d’engagement républicain » était inadapté. La République n’est pas un contrat, c’est une adhésion à des valeurs et à des principes. À cette notion de contrat, certains préfèrent, et c’est mon cas, l’idée d’une charte ou d’un engagement à respecter les principes républicains. Pouvez-vous nous dire ce qui, selon vous, pourrait remplacer ce contrat ?

Troisièmement, certains ont estimé que les dispositions relatives à l’instruction à domicile pouvaient porter atteinte à la liberté des familles. Êtes-vous favorables à l’alinéa 8 de l’article 21 qui dispose que ne peuvent être invoquées, pour justifier l’enseignement en famille, « les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant » ? N’y a-t-il pas là une atteinte à la liberté de conscience et d’opinion ?

Enfin, plusieurs d’entre vous ont soulevé le problème que pose, à l’article 27, l’introduction d’un contrôle par le préfet, préalablement à la constitution d’une association cultuelle. Cela ne risque-t-il pas de porter atteinte à la liberté d’association ? Un mécanisme plus classique ne serait-il pas préférable, dans lequel il reviendrait à la justice, le cas échéant, de déterminer si une association a bien une activité cultuelle ? Cette solution ne serait-elle pas plus équilibrée ?

M. Alexis Corbière. Au nom du groupe La France insoumise, j’aimerais vous interroger sur plusieurs points.

Les représentants du Grand Orient de France se sont félicités que ce projet de loi introduise un contrôle de l’enseignement dispensé en dehors de l’école publique mais, pour ma part, je ne vois nulle trace de ce contrôle. Ma conscience républicaine affirmée me fait pourtant penser que l’enseignement privé sous contrat devrait faire l’objet d’un tel contrôle. Ce texte entend faire respecter les principes républicains et c’est dans l’école, et dans l’école publique, que ces principes s’incarnent au premier chef. Or, dans mon quartier, je vois de plus en plus de familles qui refusent de mettre leur enfant à l’école publique. Je suis donc étonné que vous acceptiez cet essor de l’école privée et que vous n’appeliez pas à renforcer les contrôles en son sein. L’actualité montre qu’il vaudrait la peine de regarder ce qui se passe dans les écoles privées sous contrat : propos sexistes, homophobes, antirépublicains... Ce projet de loi ne prévoit rien pour favoriser le retour de nos enfants dans l’école publique, alors que c’est un enjeu fondamental.

Vous vous êtes félicités, ensuite, que ce texte fasse une distinction claire entre le cultuel et le culturel. Pour ma part, je n’ai pas vu cette clarification. Le financement public du cultuel, au nom du culturel, va donc se poursuivre, puisque ce texte n’aborde pas ce problème. Le contrat qui sera demandé aux associations n’a pas grand sens ; pour ma part, je crois qu’il faudrait s’en tenir au respect de la loi. Lorsqu’on appelle à respecter des principes, on est déjà dans l’interprétation.

Je suis absolument opposé à la disposition relative à la gestion des immeubles de rapport, introduite à l’article 28. Selon moi, elle modifie totalement le caractère des associations cultuelles et j’aimerais avoir votre avis là-dessus. Loin de mettre fin au mélange du cultuel et du culturel, ce texte va favoriser le mélange du cultuel et du business : ce n’est pas acceptable !

Si l’on veut que les principes républicains soient respectés, il faut appliquer la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire. Soyons sérieux et mettons fin au Concordat en Alsace-Moselle, qui prive les enfants d’une heure d’instruction et qui leur impose une heure d’enseignement religieux. N’y a-t-il pas là quelque chose de choquant ?

Enfin, ne pensez-vous pas que les dérives actuelles et le non-respect de la laïcité sont dus au fait que les lois existantes ne sont pas appliquées par manque de moyens et de fonctionnaires ? Ne faudrait-il pas commencer par donner des moyens à l’école publique dans nos quartiers, mais aussi à la police et au renseignement pour lutter contre le terrorisme ? Le projet de loi comporte des dispositions intéressantes mais n’y a-t-il pas là une forme de bavardage législatif destiné à donner l’impression qu’on agit, alors qu’il suffirait peut-être d’appliquer les lois existantes, en y mettant les moyens, pour que nos principes républicains soient bien vivants ?

M. Dominique Goussot. Les associations cultuelles, depuis 1905, ont un seul objet : l’exercice public du culte. Si on leur donne la possibilité de gérer un patrimoine acquis gratuitement, elles auront un autre objet : celui de gérer ce patrimoine. Or le législateur avait tenu, en 1905, à distinguer nettement les associations cultuelles et les associations de droit commun sur ce point : c’était même un critère essentiel. Alors que la loi de 1901 prévoyait que les associations pouvaient posséder un patrimoine acquis à titre gratuit et en faire ce qu’elles voulaient, le législateur a décidé, en 1905, compte tenu du caractère très particulier des associations cultuelles, que celles-ci ne pourraient pas avoir un tel patrimoine. Toucher à ces dispositions, c’est modifier en profondeur l’équilibre établi en 1905.

J’en viens à la question des associations mixtes. Au départ, il n’était pas question de donner aux associations de droit commun le pouvoir d’exercer le culte. Le législateur du début du XXe siècle avait bien distingué le droit commun de la liberté d’association du problème particulier de l’exercice du culte. Il se trouve que l’église catholique a refusé cette distinction et qu’il a fallu, pour assurer l’exercice public du culte catholique, permettre à la fois à des personnes physiques et à des associations de droit commun d’exercer le culte. Cela a introduit une certaine confusion.

Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas modifier les textes, mais si nous le faisons, revenons à la situation de 1905 qui, intellectuellement, est extrêmement claire. Il y a, d’un côté, le droit d’association, qui a valeur constitutionnelle et, de l’autre, la liberté de conscience, avec l’exercice public du culte, qui nécessite un dispositif particulier pour contrôler le non-financement public du culte – l’un des grands principes de la loi de 1905 – et s’assurer que les associations cultuelles ne remettent pas en cause l’ordre public. En tout cas, je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’aux mesures extrêmement sévères prévues par ce projet de loi. L’article 35, par exemple, reprend l’essentiel des délits visés à l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse mais il prévoit une sanction infiniment plus lourde. Or le Conseil d’État a dit, et je pense qu’il a raison sur ce point, que si l’on veut appliquer la loi de 1881, il faut appliquer toute la loi de 1881 et rien que la loi de 1881. Pourra-t-on l’appliquer ? Je n’en suis pas sûr, mais l’affichage politique est inquiétant de ce point de vue.

Le contrat d’engagement républicain n’a pas la nature d’un vrai contrat, comme l’a souligné le Conseil d’État. Il peut, en outre, poser certains problèmes. Prenons l’exemple d’une association de femmes immigrées de culture musulmane qui œuvre à l’intégration dans les quartiers difficiles. Va-t-on leur demander, au moment de leur accorder une subvention, d’adhérer à des valeurs ou à des principes ? Ne suffit-il pas que leur travail soit utile ? De même, va-t-on, au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes, interdire toutes les associations masculines ou féminines ? Cela pose de sérieux problèmes…

Vous nous demandez, monsieur de Courson, si ce texte sera efficace. Il me semble que le droit existant, qui a été fortement enrichi pour lutter contre le terrorisme, offre déjà d’importants moyens : on peut fermer des lieux de culte, et le ministère de l’intérieur s’en prévaut pour montrer qu’il agit. Dans ces conditions, je ne crois pas que le texte contribuera à améliorer la situation. Ce qu’il faut, c’est renforcer les moyens des services de renseignement. Sur la question du financement, Tracfin fait également un travail fabuleux.

M. Sylvain Zeghni, conseiller national de la Fédération nationale de la libre pensée. Je reviendrai, en premier lieu, sur la question de l’enseignement. Il a beaucoup été question de l’instruction en famille mais cela ne veut pas dire que nous ne nous intéressons pas à l’enseignement dans sa globalité. Nous devons effectivement nous interroger sur les raisons de la perte d’attractivité de l’école publique. Pourquoi les parents mettent-ils leurs enfants dans des écoles privées, qu’elles soient sous contrat ou hors contrat ?

L’instruction à domicile ou en famille est généralement fondée sur des motifs réels. On nous dit de revenir à un principe de réalité, mais tout dépend de la manière dont on voit la réalité ! Ce qui pose un problème, ce n’est pas l’enseignement à domicile en général mais les écoles clandestines, et le fait qu’elles ne sont pas contrôlées. Or ce projet de loi ne prévoit pas grand-chose à ce sujet.

Je suis assez satisfait de la manière dont l’article 21 a été réécrit à la suite de l’avis du Conseil d’État, puisqu’on a désormais une liste des motifs qui peuvent justifier l’enseignement en famille, alors que le texte renvoyait, auparavant, à un décret en Conseil d’État, après le vote de la loi. Les membres du Parlement auraient donc voté une disposition qu’ils ne connaissaient pas, ce qui aurait été une manière de les déposséder de leur pouvoir législatif. On dispose désormais d’une liste de motifs et c’est une bonne chose – même s’il y manque, selon moi, le projet personnel des parents. Mais nous n’allons pas passer tout notre temps sur la question de l’enseignement en famille, qui ne concerne que 50 000 enfants, environ ! Il faudrait réfléchir à l’éducation en France d’une manière beaucoup plus globale.

Ce projet de loi sera-t-il efficace ? Certains d’entre vous ont probablement lu l’opuscule de M. Didier Leschi sur l’évolution de l’immigration en France. Il montre que cette immigration est de plus en plus lointaine, et donc de plus en plus éloignée de nos principes et de nos valeurs. On a évoqué la question de la haine sur internet, mais il faut parler aussi des télévisions satellitaires, qui sont sous le contrôle de certains États, notamment du Qatar. Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile d’amener des populations qui, en outre, vivent dans des ghettos, vers nos principes. On ne peut pas faire une loi sur les principes de la République quand la République elle-même tend à oublier de les mettre en œuvre.

Si nous demandons l’abrogation de l’article 4 de la loi de 1907, c’est parce qu’il ne nous paraît plus utile. Il a répondu à un besoin au moment de la dévolution des bâtiments liés aux cultes, puisque l’église catholique ne souhaitait pas entrer dans le système de la loi de 1905. La création des associations diocésaines, quoi qu’on en pense, a résolu le problème en grande partie. Si l’on veut mettre fin à l’ambiguïté qui caractérise les associations mixtes, il faut les supprimer.

S’agissant, enfin, du financement de ces associations, le président de la Conférence des évêques de France, que vous avez auditionné hier, a bien dit qu’il prendrait ce qu’on lui donnerait mais qu’il n’avait rien demandé. De plus, vous risquez d’introduire une inégalité : les catholiques et les protestants ont sans doute un patrimoine à léguer mais je ne vois pas bien quel patrimoine immobilier pourraient léguer les fidèles musulmans. Il serait intéressant d’étudier le patrimoine de chacune des religions avant d’adopter une telle disposition, car l’église catholique pourrait être très favorisée par rapport au culte musulman, alors que c’est à celui-ci qu’on veut apporter de nouvelles sources de financement.

M. Jean-Pierre Rollet. Comme tout à l’heure, nous interviendrons à deux voix. Mesdames et messieurs les élus de la République, vous avez posé, sur les principes généraux, des questions de fond auxquelles il est difficile de répondre.

Premièrement, il est effectivement essentiel de s’interroger sur l’utilité de ce projet de loi, dont on perd un peu le fil directeur. On a le sentiment que tout y est un peu mélangé ; on est parti de la notion de séparatisme et elle a complètement disparu. J’espère que les élus de la République sauront clarifier tout cela.

Deuxièmement, cette loi sera-t-elle efficace ? Je n’en sais rien. Je le souhaite vivement.

S’agissant, enfin, du contrat d’engagement républicain, mon contrat à moi est simple : c’est la Constitution du 4 octobre 1958 et son préambule, qui mentionne la Déclaration de 1789. En tant que républicain, voilà à quoi je me réfère. Faut-il demander à chaque association de respecter, dans un contrat social, les valeurs de la République ? Je suis étonné que nous en soyons là... À ce sujet, je souscris aux propos qui ont été tenus à l’instant par deux éminents représentants de la République.

M. Patrick Meneghetti. Le respect de la loi est un principe qui s’impose à tous et l’idée qu’il faudrait s’engager à respecter les principes de la République me paraît superfétatoire. Soit cette obligation ne recouvre que le respect de la loi et elle n’est pas nécessaire, puisque cette obligation s’impose déjà à tous ; soit elle recouvre autre chose et je voudrais bien savoir de quoi il s’agit pour pouvoir juger de sa pertinence.

S’il s’agit simplement de réaffirmer le respect de la loi, il n’y a pas de difficulté, mais je ne vois pas l’utilité pratique d’une telle disposition. Mais s’il s’agit de promouvoir une laïcité de combat, si, à terme, des associations qui ne recrutent que des hommes, que des femmes, que des croyants ou que des athées risquent d’être accusées de violer les principes de la République, alors il y a lieu de s’inquiéter.

Je dirai un mot, pour finir, de l’article 8, qui modifie le code de sécurité intérieure. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je veux dire clairement que nous partageons l’objectif de ce texte, qui est de lutter contre le séparatisme et contre les mouvements qui contestent la République. Mais nous devons aussi être vigilants quant à l’application des règles de droit : c’est notre devoir à tous, en tant que citoyens. Et lorsqu’on dit que peuvent être sanctionnées de dissolution les associations qui, non seulement provoquent, mais « contribuent par leurs agissements » à la discrimination, à la haine ou à la violence, j’estime que cette formulation est trop vague. La dissolution est une sanction lourde, qui porte atteinte à la liberté fondamentale d’association ; or on ignore tout des critères qui seront retenus par l’administration pour en décider, sans contrôle préalable du juge. Telles sont les questions qui, en tant que citoyens, nous interpellent.

Mme Marie-Claude Kervella-Boux. Nous interviendrons également à deux voix.

Nous ne pouvons pas préjuger de l’efficacité de ce texte mais il a au moins le mérite de remettre à l’ordre du jour des questionnements qui, s’ils nous sont familiers, à nous qui y réfléchissons quotidiennement, méritent un écho plus large. Peut-être un projet de loi n’est-il pas le cadre idéal pour évoquer toutes ces questions, mais nous n’allions pas organiser un colloque…

L’expression « contrat d’engagement républicain » n’est pas très bien choisie car il est évident qu’un tel engagement doit être respecté par tous, mais il peut être utile de le dire explicitement car tout le monde ne l’a pas toujours à l’esprit. Rappeler dans une charte que la République française repose sur des principes intangibles nous semble important et nous ne sommes pas défavorables à ce que l’on rappelle ces principes à une association, dès lors qu’elle est financée par l’État.

La question des moyens est effectivement essentielle. Ce projet de loi est plein de bons principes mais s’il ne peut pas être appliqué faute d’une réelle présence du service public, il ne servira à rien. Il serait dommage que tout cela ne soit qu’un vœu pieux – surtout dans un système laïque !

L’instruction par les familles n’est effectivement qu’un point d’entrée vers la question de l’enseignement en général. Nous ne sommes pas défavorables à l’instauration d’un contrôle plus strict de l’enseignement dispensé par les familles car ce sont les petites filles et les jeunes filles qui souffrent le plus de cette situation : ce sont les premières à être retirées de l’école, avant les garçons. Se donner les moyens d’exercer un contrôle plus strict serait une bonne chose. On pourrait par exemple introduire l’obligation d’un regroupement régulier des enfants instruits en famille dans une école, ou dans un autre lieu, afin qu’ils ne soient pas seulement soumis à la pression familiale – particulièrement forte sur les filles dans un système patriarcal.

Mme Marie Bidaud, présidente de la commission nationale de la laïcité de la Grande Loge féminine de France. Pour mettre fin à l’imbroglio juridique autour des associations mixtes, ne serait-il pas préférable d’abroger la disposition qui, dans la loi du 2 janvier 1907, a autorisé des associations créées sur le fondement de la loi de 1901 à exercer des cultes ?

L’essentiel, comme l’a dit notre présidente, c’est que les propositions contenues dans ce projet de loi soient réellement appliquées, qu’il y ait à la fois une vraie volonté politique et des moyens. C’est cette volonté, ce sont ces moyens, qui nous permettront de juger de l’efficacité de ce projet de loi.

S’agissant de l’enseignement par les familles – et je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus –, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de faire sortir les enfants de leur famille de façon très régulière et très officielle, dans le cadre d’activités périscolaires. Sans interdire l’enseignement par les familles, il importe de les désenclaver, de les ouvrir, en faisant participer les enfants à des activités périscolaires. Il ne faut jamais oublier que le rôle de l’école est d’abord de faire des citoyens.

Me Philippe Nugues, avocat et membre de la Grande Loge de France. Je laisserai au Grand Maître Pierre-Marie Adam le soin de répondre aux questions relatives à l’engagement républicain et à l’instruction.

En tant que juriste, monsieur de Courson, je m’interroge effectivement sur la compatibilité de l’article 21 avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui donne un certain nombre de droits aux familles et qui permet notamment que leurs enfants soient instruits en fonction de leurs convictions religieuses.

Mon sentiment, c’est qu’il ne faut toucher à cette réalité vieille de plus d’un siècle qu’avec la plus grande prudence. On a coutume de distinguer entre associations cultuelles et associations culturelles. S’agissant des associations cultuelles, il faudrait toujours garder en tête l’avis du Conseil d’État du 24 octobre 1997 sur ce qu’est l’exercice d’un culte : « la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques ». Il existe donc une définition jurisprudentielle de ce qu’est une association cultuelle. Ce qui importe, c’est de contrôler tout ce qui entoure ces associations : le culturel, les fonds de dotation et les différents moyens de financement utilisés. Or, sur ces questions, le projet de loi manque parfois de clarté.

Je prendrai deux exemples. L’article 43 interdit à une personne condamnée pour faits de terrorisme de diriger une association cultuelle ; or la logique voudrait que cette disposition soit étendue aux associations culturelles. L’autre exemple concerne les fonds de dotation. Si je veux la liste des dirigeants d’une association de type loi de 1901, je peux aller la demander en préfecture mais je ne peux pas, en tant que citoyen, connaître l’identité des membres d’un fonds de dotation.

Dans un même souci de pragmatisme, il me semblerait utile d’ajouter des dispositions relatives aux personnes qui concourent au service public, notamment dans le domaine de l’éducation. Les agents du service public sont tenus à la neutralité, les usagers font ce qu’ils veulent, mais qu’en est-il de toutes les personnes qui sont dans une situation intermédiaire ? Les délégataires de service public sont soumis, avec ce projet de loi, à davantage d’obligations. Mais quand on concourt au service public de l’éducation, on doit également adhérer à ses principes. La question se pose donc d’un meilleur encadrement de ces personnes.

M. Pierre-Marie Adam. Ce projet de loi sera-t-il efficace ? Il ne le sera que si l’on se donne les moyens de l’appliquer : c’est aussi simple que cela.

Il est vrai qu’à la notion de contrat d’engagement républicain, je préfère celle de charte. Je partage, à cet égard, le point de vue de mon homologue de la Grande Loge féminine de France et, comme Jean-Pierre Rollet, j’estime qu’il convient, avant toute chose, de respecter notre Constitution. Que l’on parle de contrat ou de charte, il faut s’assurer que les principes inscrits dans la Constitution sont bien respectés, dans la durée.

Au sujet de l’instruction en famille, je souscris aux propos de la présidente de la Grande Loge féminine et j’ai deux questions complémentaires. S’assure-t-on que la famille est capable d’instruire ? Et, surtout, s’assure-t-on qu’elle ne délègue pas cette instruction à une association dont on ne sait rien et qui échappe à tout contrôle ?

Pour favoriser la mixité sociale, il me semble indispensable qu’un enfant ne reste pas enfermé dans sa famille. Il est nécessaire qu’il se confronte aux autres, que ce soit dans la cour d’école, dans le cadre d’une activité sportive ou d’un cours de musique, pour apprendre la vie en société. Il ne faut pas attendre qu’il ait seize ans pour lui offrir cet apprentissage.

J’en viens au contrôle du caractère cultuel des associations. On n’imagine pas qu’un tel contrôle vise les personnes qui exercent le culte catholique, juif ou protestant… Cette loi est strictement faite pour les musulmans : il faut le dire. Ne faisons pas, pour le culte musulman, ce que nous ne ferions pas pour les autres : ne créons pas des discriminations. Un préfet est-il compétent pour décider de l’aspect cultuel d’une association ?

Personne ne parle de la haine en ligne mais j’insiste sur l’importance de cette question : il faudrait qu’elle ait une place importante dans cette loi.

J’imagine, enfin, que nul n’ignore qu’il existe, dans le contrat de constitution d’une association, l’affectio societatis, qui permet de dire qui est fondé à en devenir membre. La question de la mixité ne se pose donc pas dans cette affaire.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi de faire une petite mise au point.

Quand vous dites que personne ne parle de la haine en ligne, nous sommes un certain nombre à sursauter dans cette salle. Je rappelle que ces auditions ont vocation à vous entendre, et non à présenter le projet de loi. Mais en vous écoutant, je me dis que nous aurions peut-être dû procéder à une lecture, au moins partielle, du projet de loi, car certaines interventions ne correspondent pas au contenu du texte.

Par ailleurs, ce projet de loi serait, dites-vous, fait pour ceci ou pour cela : c’est votre interprétation. La parole est totalement libre ici : vous dites ce que vous voulez, et nous aussi. Je l’ai dit hier devant des représentants des cultes et je le répète devant vous : nous votons, à l’Assemblée nationale, des lois de portée générale. Il peut nous arriver de préciser les choses, mais nous ne dirons jamais que telle disposition s’applique à telle religion et pas à telle autre. L’histoire de notre pays explique bien des particularités actuelles et les choses ne remontent pas seulement à 1905 mais bien au-delà : la loi de 1905 n’a fait qu’entériner certaines réalités. À cette époque, certains cultes n’existaient pas en France, d’autres étaient très minoritaires ou n’étaient pas reconnus comme tels : c’est le cas du culte musulman, mais aussi du bouddhisme. Il est évident, en tout cas, que la loi que nous voterons aura une portée générale.

Enfin, renvoyer, dans la loi, à un décret en Conseil d’État est une procédure tout à fait classique : c’est le bon fonctionnement d’un ordre juridique fondé sur la distinction du législatif et du réglementaire. Tout projet de loi comporte des dispositions législatives dont l’application nécessite un décret ou une circulaire d’application. Je tiens à le rappeler pour ne pas laisser penser que, dans cette loi, le législateur déléguerait une partie de son pouvoir. Il ne faut pas faire de confusion avec les cas où le Parlement habilite, sur certains sujets, le Gouvernement à prendre des ordonnances.

M. Édouard Habrant. Compte tenu du grand nombre de questions qui nous ont été posées et du peu de temps que nous avons pour y répondre, je me permettrai, si vous m’y autorisez, à vous faire parvenir une petite note complémentaire. Je me contenterai ici de quelques remarques.

Tout d’abord, vous voyez que tous les francs-maçons n’ont pas les mêmes idées sur tout, loin de là : à mesure que le débat avance, des divergences commencent à se faire jour. De la même manière, tous les juristes n’ont pas le même regard sur cette loi. Je ne suis pas du tout certain, par exemple, que la Cour européenne des droits de l’homme sanctionnerait le dispositif introduit à l’article 21 au sujet de l’enseignement en famille car elle laisse, en la matière, une grande latitude aux États.

On nous a demandé pourquoi nous étions opposés à la possibilité donnée aux associations cultuelles de gérer des immeubles de rapport. Pour ma part, j’ai envie de vous demander en quoi, concrètement, cette disposition va permettre d’atteindre les objectifs fixés par la loi. Pour l’instant, je n’ai pas eu de réponse à cette question. Je note que cette disposition avait été soumise à la représentation nationale en 2018 dans le cadre de la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) et qu’elle avait été écartée. Elle était sortie par la porte et elle revient par la fenêtre. Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ? Je n’en sais rien…

D’une manière plus générale, je fais une différence entre les droits-créances et les droits-libertés. Si l’on fait une comparaison avec le droit de propriété, j’ai le droit d’acheter un yacht, mais ai-je le droit de demander à l’État de m’aider à acheter ce yacht ? Si je demandais cela en tant que particulier, personne ne l’accepterait. Pourquoi accorderait-on ce droit aux cultes ? Ce que l’on demande à l’État, c’est d’aider les cultes à constituer leur patrimoine : je ne vois pas en quoi cette disposition est conforme à la liberté de culte.

De plus, on bascule insidieusement – et même assez sournoisement – d’un régime purement laïque à un régime où les cultes sont pour ainsi dire reconnus d’intérêt public, et cela me gêne. Ces dernières années, certains hommes politiques ont pu écrire que la religion et l’espérance donnent du sens, du contenu, mais pour moi, cela relève de la liberté individuelle et de la liberté de conscience, c’est-à-dire de la liberté de chacun. Ce n’est pas à l’État de dire que les religions ont un rôle positif à jouer et qu’elles sont d’intérêt public. De même, je ne vois pas ce qui justifie l’exemption de préemption : elle sanctuariserait la donation et la mettrait complètement à l’abri de l’intérêt public, ce qui me paraît très problématique.

Ce projet de loi a le mérite d’ouvrir un débat dans un contexte qui n’est pas évident et de rappeler que la nation française, avec laquelle chacun entretient des liens différents, est une communauté de citoyens libres et égaux – c’est une formule qui a été reprise dans l’avis du Conseil d’État. Cette dimension universaliste me paraît importante – il me semble que ce mot n’a pas encore été prononcé – et de nature à enrichir ce débat, dans une période qui, je le répète, est assez compliquée.

Je ne reviens pas sur la notion de contrat d’engagement républicain, car je ne perçois pas la nature de ce contrat.

S’agissant du risque de discrimination ou d’atteinte à la dignité au sein des associations, je veux noter que le concept de « dignité » est flou et susceptible d’interprétations très diverses. La question des discriminations au sein des associations se pose et j’aimerais, à l’occasion, analyser la jurisprudence car les choses ne sont pas si simples. Globalement, je ne pense pas que les associations soient autorisées à pratiquer les discriminations. Quand des hommes disent qu’ils veulent travailler entre eux, on ne voit pas le problème. Mais si, tout à coup, on dit qu’il est interdit à des hommes de couleur ou d’une certaine origine de fréquenter une association, on aura tout de suite un autre regard sur la question. Pourquoi les choses seraient-elles différentes sur la question du genre ?

Je finirai en rappelant l’importance de l’État de droit : ce n’est pas dans cette enceinte qu’on me dira le contraire. Cette année, les travaux parlementaires ont été compliqués, le rôle du Parlement dans le fonctionnement des institutions a été rendu difficile. Or je pense qu’il faut systématiquement faire prévaloir le travail du Parlement, mais aussi celui du juge. Le juge judiciaire est le gardien des libertés et il faut le rappeler.

Enfin, il faudrait effectivement favoriser l’enseignement de la laïcité et de la philosophie à l’école. Pour ma part, j’ai appris ce qu’était la laïcité à l’âge de 18 ou 20 ans : c’est une notion qui ne nous est pas familière et qui devrait être enseignée beaucoup plus tôt.

M. Benoît Graisset-Recco. Tout d’abord, je veux rassurer M. Corbière : le Grand Orient de France est tout à fait favorable à l’abrogation du Concordat et à la constitutionnalisation des deux premiers articles de la loi de 1905.

La question de l’efficacité de la loi est au cœur de nos discussions car le problème dont traite le texte est une réalité, et je sais, pour habiter Montreuil, combien elle est difficile. Nous ne pouvons pas faire comme si les dérives n’existaient pas. La situation n’est plus la même qu’en 1905 ou en 1980 : elle a changé depuis l’affaire de Creil, en 1989, et les années 2000. En tant que citoyens et législateur, nous ne devons pas céder à l’angélisme.

La notion d’engagement républicain est un moyen de diffuser les principes de la République, notamment la laïcité, dans la société. Prêter le serment de respecter ces principes ou s’accorder sur un texte qui les rappelle est indispensable et utile car, que ce soit à l’école, dans les quartiers ou dans le monde associatif, ces repères sont parfois oubliés ou n’ont même jamais été perçus. Nous sommes donc tout à fait favorables à cet élément, ainsi qu’au contrôle du respect de cet engagement. Il revient à la loi de favoriser l’apaisement et de protéger l’action des uns et des autres en rappelant quels sont les règles et les principes qui sont au fondement de notre société et de la République.

M. Jean Javanni, Grand Officier du Grand Orient de France délégué à la laïcité. L’article 28 du projet de loi remet en cause l’équilibre de la loi de 1905, qui justifiait les avantages fiscaux dont bénéficient les associations cultuelles. Mais avant de rejeter définitivement cet article, il nous semble nécessaire d’avoir une image claire de la situation financière et fiscale des principaux cultes, d’une part, en dressant un inventaire des revenus du patrimoine, notamment immobilier, des associations à objet cultuel et de l’ensemble des personnes morales de droit privé qui en dépendent et, d’autre part, en procédant à une étude sérieuse de l’impact fiscal d’une telle mesure et des modalités d’application du droit commun. Si l’on estime que les associations cultuelles doivent pouvoir gérer leur patrimoine, il faut les soumettre au droit commun et apporter diverses précisions sur les conditions de mise en œuvre, les montants, les modalités de déclaration, les plafonnements le cas échéant, et le régime fiscal applicable. Une telle étude permettrait de compléter utilement l’article 28, dont les conditions d’application seraient bien entendu renvoyées à un décret en Conseil d’État.

Nous ne comprenons pas pourquoi le principe de neutralité s’applique aux salariés du service public et non aux collaborateurs bénévoles de celui-ci. Dans un État laïc et cohérent, la neutralité de l’action publique ne se divise pas. Quiconque participe à une mission de service public n’est plus un citoyen qui exerce ses droits politiques mais devient bel et bien un collaborateur occasionnel du service public. On pourrait donc compléter l’article 1er en y ajoutant, par exemple, les mots : « bénévoles et collaborateurs occasionnels du service public ».

Enfin, M. Corbière a évoqué le dualisme scolaire. En tant que représentant du Grand Orient de France, je dis : chiche, messieurs les députés ! Abrogez la « loi Debré » et la « loi Carle » : nous serons très heureux que ces mesures de discrimination sociale qui conduisent au communautarisme soient supprimées du droit français. J’ai dit.

M. le président François de Rugy. Comme quoi, on peut être successivement pour le statu quo et pour des bouleversements importants.

Nous en venons à présent aux questions.

M. François Cormier-Bouligeon. Ma première question, d’ordre politique, porte sur votre définition des principes de la République, puisque certaines de vos obédiences ont participé à leur construction depuis le siècle des Lumières. Comment percevez-vous le combat idéologique qui oppose, sur la laïcité, les tenants d’un libéralisme multiculturel et les partisans d’une conception universaliste et républicaine ?

Deuxièmement, vous estimez que l’extension du devoir de neutralité dans le cadre de l’exercice de missions de service public, qui découle de la jurisprudence du Conseil d’État, est un progrès important. Le texte va-t-il assez loin en la matière ou êtes-vous favorable à ce que l’obligation de neutralité politique, philosophique et religieuse soit étendue aux collaborateurs occasionnels du service public ?

Ma dernière question est plus prosaïque. Le texte ayant trait notamment au financement des cultes, je souhaiterais savoir, même si plusieurs de vos obédiences sont a-dogmatiques, comment vous financez vos activités et vos temples. Recevez-vous de l’argent de puissances étrangères, percevez-vous des deniers publics ou avez-vous exclusivement recours aux contributions de vos membres ?

Mme Cécile Untermaier. Je suis très intéressée par la proposition qui a été faite de substituer au contrat d’engagement républicain – qui, en effet, ne nous paraît pas pertinent – une charte déontologique. Si l’on impose une telle charte aux associations, ne faut-il pas l’imposer également aux collectivités locales et à toute personne morale, publique ou privée, qui bénéficie de financements publics ? Par ailleurs, qui contrôlerait le respect de cette charte ? Ne pourrait-on pas profiter de ce texte pour faire émerger une culture déontologique et promouvoir le rôle du juge ?

Enfin, que pensez-vous de l’article 16, qui vise à interdire à un professionnel de santé d’établir un certificat aux fins d’attester de la virginité d’une personne, et de l’article 17, relatif aux mariages forcés ?

M. Jean-Paul Mattei. Le principe de neutralité, que vous avez évoqué à maintes reprises, n’est mentionné que trois fois dans le texte, à l’article 1er et à l’article 2. Cette notion ne devrait-elle pas figurer également à l’article 6, relatif au contrat d’engagement républicain ?

Ma deuxième question est plus taquine. Comment interprétez-vous l’obligation de respecter le principe d’égalité entre les hommes et les femmes dans vos associations, qui peuvent être concernées par la mise à disposition de biens par des collectivités ?

Je n’ai pas tout à fait la même interprétation que vous de l’article 28, qui vise à modifier l’article 19 de la loi de 1905, relatif à la capacité pour les associations cultuelles de recevoir des dons. Actuellement, ces dernières sont obligées de vendre le bien qu’elles reçoivent en don. Ne pourraient-elles pas l’exploiter dans le cadre de l’article 910 du code civil, qui réglemente les dons ?

Enfin, le renforcement de l’agrément préalable des associations ne doit-il pas être vu comme une sécurité juridique plutôt que comme une contrainte, notamment pour les associations cultuelles qui reçoivent des dons ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier. Première question : quelles mesures préconisez-vous pour mieux lutter contre le phénomène de la haine en ligne ?

Deuxièmement, la franc-maçonnerie renvoie, dans l’imaginaire collectif, au secret. Or, à l’heure de la viralité numérique, qui dit secret, dit conspirationnisme et complotisme. Comment protéger les esprits et développer l’esprit critique, notamment des plus jeunes ?

Enfin, l’article 18 du projet de loi tend à créer un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui sur internet. Considérez-vous la révélation de l’appartenance d’une personne à la franc-maçonnerie comme une information de nature à mettre en danger la vie ou l’intégrité physique ou psychique de cette personne ?

Mme Marietta Karamanli. S’agissant de la vie associative, jugez-vous utile de modifier le code de la sécurité intérieure pour lutter contre les agissements des groupements portant atteinte à la légalité républicaine ? De même, faut-il modifier l’article 31 de la loi de 1905, qui punit ceux « qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte » ?

Enfin, quels critères vous semblent pertinents pour sanctionner les dérives de l’instruction à domicile et quelles sont les mesures d’ordre social ou culturel qui seraient de nature à rendre effective la promesse républicaine auprès des publics fragiles, notamment dans les quartiers ?

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier. Le chapitre III, qui regroupe les « dispositions relatives à la dignité de la personne humaine » – chapitre que, pour ma part, je serais tentée d’intituler « Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité femmes-hommes » – a pour objet de lutter contre les pratiques dégradantes, de s’assurer qu’aucun avantage ne peut être tiré d’une situation de polygamie, de protéger la succession des enfants sans discrimination et de prévenir les mariages forcés. Pensez-vous que ces articles nous permettront d’atteindre la population ciblée et que les sanctions prévues sont utiles et applicables ? Quelles propositions pourriez-vous nous faire pour les compléter ?

Mme Perrine Goulet. Je m’étonne de vos réactions aux mesures concernant l’instruction en famille et du fait que vous ayez rarement abordé la question des écoles hors contrat, lesquelles sont, il est vrai, moins concernées par le texte. Estimez-vous que ces dernières doivent être fermées ?

Que pouvez-vous dire de l’article concernant la réserve héréditaire, sur laquelle les représentants de la Fédération française de l’ordre maçonnique mixte international ont indiqué vouloir revenir ?

Les représentantes de la Grande Loge féministe (Sourires)… féminine – pardon pour ce lapsus – ont évoqué le communautarisme sexiste. S’agissant de l’interdiction des certificats de virginité, le texte concerne uniquement les professionnels de santé. Or on sait que la virginité des femmes est parfois évaluée, au cours de rituels, non pas par des médecins mais par des membres de la communauté. Faut-il, par conséquent, aller jusqu’à interdire ces rituels ? J’ajoute qu’il conviendrait selon moi de traiter également des violences gynécologiques – je pense notamment à la pratique dite du « point du mari » après un accouchement.

Enfin, vous estimez que l’article 6 limite la liberté d’association. Or tel n’est pas le cas : les associations pourront toujours se créer mais, si elles ne veulent pas respecter le contrat d’engagement républicain, elles ne pourront pas percevoir de subventions publiques. Pour ma part, je souhaite que l’association concernée ne puisse pas non plus bénéficier des avantages fiscaux liés aux dons.

M. Benoît Graisset-Recco. Le projet de loi participe au combat idéologique de défense de l’universalisme dans lequel nous nous inscrivons. Il tente en effet de contribuer à la lutte contre l’obscurantisme ; c’est essentiel, et c’est la raison de notre présence à tous ce matin. L’article 16, qui vise à interdire la délivrance de certificats de virginité, est un élément positif, à l’instar de toutes les dispositions qui tendent à limiter les atteintes à la personne.

M. Jean Javanni. Les principes de la République sont définis par un corpus juridique clair, constitué des Préambules de 1946 et de 1958, notamment de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, dont le respect est soumis au contrôle du juge administratif. Il me paraît nécessaire de demander l’application de ces principes – car, oui, nous en sommes là !

S’agissant du financement des obédiences maçonniques, nous refusons toute subvention – c’est un point d’honneur. Pour conserver notre indépendance, nous ne nous finançons que par les cotisations de nos membres – ce qui, je ne vous le cache pas, est parfois problématique.

Le secret maçonnique n’est pas le secret du conspirateur, c’est le secret de la personne. Nos discussions se déroulent dans un lieu à part, dans une structure totalement archaïque où la parole est maîtrisée, de manière que nos échanges soient sincères et échappent aux postures du monde extérieur. Pour que la vérité des personnes existe effectivement, leur secret doit être respecté. La révélation de l’appartenance à la franc-maçonnerie non seulement est contraire à la déontologie maçonnique mais peut également, compte tenu de l’ambiance générale, mettre en danger la sécurité des personnes, voire leur vie. Quant aux autres questions, il faudrait, pour y répondre, organiser un colloque de trois jours !

M. Édouard Habrant. Je ne suis pas fâché que vos questions portent en partie sur les activités maçonniques, car celles-ci reposent sur la notion centrale d’engagement, un engagement inconditionnel. C’est pourquoi l’expression « contrat d’engagement » nous apparaît comme un oxymoron : en l’espèce, on ne peut pas s’engager, comme dans le cadre d’un contrat classique de la vie civile et commerciale, « sous réserve » ou « à condition que ». Nous nous engageons de manière inconditionnelle et nous attendons de celles et ceux qui participent à une action associative qu’ils en fassent autant.

Madame Goulet, je vous rassure : la Grande Loge mixte de France est aussi féministe ! (Sourires.)

Il me semble préférable de parler de respect des droits des personnes plutôt que de dignité, car cette notion est sujette à des interprétations si diverses qu’elle peut, par exemple – nous l’avons vu lors des débats sur la bioéthique –, être invoquée pour justifier aussi bien l’euthanasie que l’interdiction de l’assistance au suicide.

Il est vrai que nous avons peu évoqué la question des écoles hors contrat, mais on se rappelle que certaines obédiences se sont manifestées lors des débats sur la « loi Gatel ». Nous avions alors insisté sur la nécessité d’un contrôle a priori, lequel n’a pas été suffisant. Et l’on s’aperçoit aujourd’hui qu’il faut aller plus loin, voire beaucoup plus loin.

Le financement de notre obédience repose, lui aussi, exclusivement sur les cotisations de nos membres. Non seulement nous ne percevons pas de subventions publiques, mais nous nous refusons à recourir aux aides publiques. Ainsi, lors du confinement, nous avons continué à verser les salaires de nos employés sans solliciter le bénéfice du dispositif d’activité partielle, estimant que nous n’en avions pas le droit moral.

S’agissant de la gestion par les associations cultuelles d’immeubles de rapport, l’article 28 autorise bien leur possession et leur administration, c’est-à-dire la possibilité d’en tirer des revenus.

Enfin, l’article 18 me semble mal rédigé. Le nouveau délit consisterait en effet à diffuser « des informations relatives à la vie privée ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens ». Or, si quelqu’un dévoile mon appartenance maçonnique, par exemple, il sera très difficile d’établir sa volonté de m’exposer à un risque immédiat, de sorte que l’infraction ne sera pas constituée. Je préférerais donc que le délit soit caractérisé dès lors qu’une personne est exposée à un risque d’une particulière gravité que ne pouvait ignorer – nul besoin, ici, de sonder les reins et les cœurs – celui ou celle qui a diffusé des informations personnelles. Il me semble qu’une telle rédaction améliorerait substantiellement l’efficacité du texte.

M. Pierre-Marie Adam. Tout d’abord, les obédiences, qui ne sont pas des cultes, vivent des cotisations de leurs adhérents. La seule facilité que nous accordent les collectivités consiste dans la mise à disposition à titre gratuit d’une salle pour l’organisation d’une conférence. Au demeurant, la Grande Loge de France est une association loi 1901, tous ses administrateurs sont connus ; il n’y a donc, sur ce point, pas de secret au sens strict du terme. Celui-ci est du reste en partie un fantasme et, pour la presse, un marronnier.

Si nous attachons une si grande importance à la lutte contre la haine en ligne, c’est parce que cette dernière facilite la lâcheté et le défoulement raciste, l’anonymat des auteurs d’insultes et de menaces les protégeant contre d’éventuelles poursuites. Il nous semble donc nécessaire de mettre fin à cet anonymat de façon que les personnes concernées soient à tout le moins responsables de leurs propos.

Pour nous, la dignité consiste dans le respect de la personne en tant que telle : nous n’établissons pas de distinction entre hommes et femmes à cet égard.

L’instruction à domicile, ce n’est pas l’école. Il faudrait, du reste, définir le mot « école », que celle-ci soit sous contrat ou hors contrat. Par ailleurs, je ne sache pas que le projet de loi contre le séparatisme, comme il s’intitulait au départ, doive traiter du concordat, des écoles sous contrat, etc. Délimitons précisément l’objet du texte pour éviter qu’il n’englobe l’ensemble des dispositifs existants.

M. Philippe Nugues. Sur la définition des principes de la République, je vous renvoie à l’article 1er de la Constitution, qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », et à son article 2, qui rappelle la devise de la République.

S’agissant de la charte déontologique, dont on a dit qu’elle pourrait se substituer au contrat d’engagement républicain, je rappelle qu’en l’espèce, il s’agit de respecter, non pas une déontologie, mais des règles juridiques. Cependant, la notion de contrat est unanimement considérée comme problématique. Dès lors, une charte pourrait être envisagée dans le cadre de ce que l’on appelle les actes unilatéraux : chaque association serait libre d’adhérer ou non à la charte, sous le contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles.

Nous n’avons pas utilisé le terme d’agrément à propos des associations cultuelles. Du reste, à ma connaissance, il est fait mention dans le texte d’une déclaration et d’opposition. Cela signifie, je suppose, que le préfet vérifiera in concreto si l’association concernée pratique l’exercice d’un culte. Quant à savoir s’il convient de priver une association qui ne pratiquerait pas cet exercice du dispositif fiscal applicable aux dons, pourquoi pas ? Cela me paraît logique.

À l’article 18, relatif à la haine en ligne, il conviendrait, me semble-t-il, de mentionner la vie scolaire et universitaire – je pense à l’affaire Mila. De fait, on peut également mettre en danger une personne si l’on permet son identification en révélant l’établissement où elle étudie.

Tout secret n’est pas un complot : un juge, un médecin, un avocat a besoin du secret. Pour lutter contre le complotisme, peut-être faut-il développer les mécanismes de contradiction.

Il manque, à l’article 225-1 du code pénal, relatif aux discriminations, la discrimination liée aux opinions philosophiques.

Il me paraît nécessaire que les parents d’élèves qui exercent un mandat au sein du conseil d’administration d’un collège ou d’un lycée s’engagent à respecter les principes de la République.

Enfin, il arrive que des bénéficiaires de l’aide juridique refusent l’avocat commis d’office parce que c’est une femme, une personne de confession juive, etc. La loi de 1991 n’est pas suffisamment claire sur ce point. Par ailleurs, le Conseil d’État a reconnu, en avril 2020, qu’en tant qu’auxiliaires de justice, les avocats concourent au service public de la justice ; ils sont, à ce titre, un exemple pour leurs clients. Or – c’est un phénomène mineur mais qui prend de l’ampleur – certains avocats souhaitent porter le voile ou d’autres signes distinctifs. En 2016, la conférence des bâtonniers a clairement appelé les autorités à réglementer cette question, car celle-ci est actuellement régie par le règlement intérieur de chaque barreau, qui est un instrument juridique trop faible.

Mme Marie-Claude Kervella-Boux. Je ne reviendrai pas sur la question du financement des obédiences maçonniques : sous cet aspect, toutes sont dans la même situation.

Nous sommes évidemment favorables à l’extension de l’obligation de neutralité aux collaborateurs du service public, notamment aux personnes accompagnant les élèves lors des sorties scolaires.

Par ailleurs, ce n’est pas la franc-maçonnerie qui est secrète, c’est l’appartenance à une obédience. Lorsque nous entrons en maçonnerie, nous nous engageons à ne pas dévoiler l’appartenance maçonnique des frères et des sœurs. Mais rien n’interdit à un franc-maçon de dire qu’il est franc-maçon, sachant que cela peut, encore de nos jours, l’exposer à un réel danger.

Certes, la dignité humaine concerne les hommes et les femmes, mais force est de constater que ces dernières sont plus particulièrement visées.

Nous sommes bien entendu a priori tout à fait favorables à l’interdiction des certificats de virginité, mais nous nous demandons si une telle mesure ne risque pas de renforcer le contrôle de la famille sur les filles. De fait, le médecin est aussi un garde-fou. Le mieux ne doit pas être l’ennemi du bien. Quant aux mutilations sexuelles, qui ne sont pas abordées dans le texte, elles demeurent encore de nos jours un véritable problème qui nous préoccupe beaucoup.

Je pense également, plus largement, aux certificats de complaisance délivrés, par exemple, pour dispenser un élève de piscine. Là encore, les filles sont les principales concernées. Comment contrôler tout cela ? Enfin, nous ne pouvons qu’être d’accord sur les mesures destinées à lutter contre les mariages forcés, mais se pose la question de savoir comment disposer des moyens nécessaires pour les faire respecter.

Mme Marie Bidaud. À propos des certificats de virginité, j’ajoute qu’il n’est pas normal que la consultation au cours de laquelle ils sont délivrés soit remboursée par la sécurité sociale. Peut-être conviendrait-il de revenir sur ce remboursement.

S’agissant des écoles confessionnelles sous contrat, elles sont bien entendu tenues de respecter la liberté de conscience. Mais pourquoi ne pas leur imposer, en contrepartie du financement dont elles bénéficient, une formation à la laïcité qui leur permettrait de satisfaire à l’obligation de faire de chaque enfant un futur citoyen ? La charte de la laïcité devrait être affichée et signée par les parents. Par ailleurs, les classes mixtes devraient être obligatoires, ce qui n’est actuellement pas le cas dans ces écoles.

L’article 31 du projet de loi vise à étendre aux associations de droit local à objet cultuel d’Alsace-Moselle certaines obligations de droit commun ; c’est un pas vers l’application sur l’ensemble du territoire de la loi de 1901 dont nous nous en réjouissons.

Enfin, le texte tend également, et c’est un point qui nous paraît très important, à étendre l’obligation de neutralité aux salariés des entreprises qui exécutent une commande publique, lesquels pouvaient jusqu’à présent s’en dispenser du fait de leur statut de droit privé – je pense en particulier aux personnels des entreprises de transport public.

M. Jean-Pierre Rollet. Premièrement, la Grande Loge nationale française, comme toute autre structure associative obédientielle, ne perçoit aucune subvention ; elle est financée par les cotisations de ses membres. Lorsque celles-ci sont suffisamment importantes et que nous avons réalisé des économies suffisantes, nous pouvons acquérir les locaux qui abritent nos temples en souscrivant des prêts bancaires, lesquels sont remboursés grâce à la location des immeubles à nos membres. Si tel n’est pas le cas, nous nous entendons très bien avec celles des obédiences qui sont les principaux bailleurs, le Grand Orient et la Grande Loge de France. Nous n’avons aucun tabou sur ce sujet.

Édouard Habrant a indiqué qu’il avait découvert le principe de laïcité à 18 ans ; pour ma part, c’est lors de ma première année d’études politiques que j’ai appris ce qu’est une nation. Selon Ernest Renan, celle-ci se définit, au-delà d’une langue et d’un territoire communs, comme un vouloir vivre ensemble. Or cette expression n’a pas été prononcée une seule fois depuis le début de nos échanges : là est le nœud du problème. Qu’est-ce que le vouloir vivre ensemble à l’heure actuelle, dans notre pays ? L’enseignement est fondamental à cet égard. Sans être vieux jeu, je me rappelle avec émotion les cours d’éducation civique de mon enfance, lors desquels on nous expliquait ce qu’est la liberté, l’État, le respect de la personne…

Enfin, nous sommes très attachés à la lutte contre la haine en ligne parce que nous en sommes des cibles potentielles – certains d’entre nous ont été visés. N’oublions pas que plusieurs de nos illustres aïeux ont fini dans les camps. Tant que l’on maintiendra la possibilité de s’exprimer anonymement sur les réseaux sociaux, il sera très difficile de venir à bout de ce phénomène.

M. Patrick Meneghetti. Je précise, pour éviter toute ambiguïté, que chaque membre de la Grande Loge nationale française s’engage, lorsqu’il entre en maçonnerie, à respecter les lois de l’État. Il va de soi que le respect des valeurs et principes républicains s’impose à tous les citoyens et associations. La seule difficulté réside dans la définition de la limite. Je souscris à l’idée selon laquelle toute structure ou tout citoyen qui ne respecte pas ces principes doit être sanctionné dès lors qu’il contrevient à la loi. Si la notion d’engagement républicain consiste en un simple rappel de l’obligation de respecter la loi, elle nous paraît un peu superfétatoire ; si cet engagement va au-delà du respect de la loi, il doit être précisé.

M. Sylvain Zeghni. Lorsque j’ai évoqué tout à l’heure les normes juridiques, je faisais allusion au principe – que le Conseil d’État a d’ailleurs rappelé dans son avis – selon lequel les exceptions doivent être précisées par la loi ; il ne s’agit évidemment pas de supprimer les décrets.

Sur les certificats de virginité, je partage entièrement les propos des représentantes de la Grande Loge féminine de France. On ne peut évidemment pas approuver la délivrance de certificats de virginité, mais nous redoutons que, du fait de la mesure proposée, les jeunes femmes concernées soient davantage encore reléguées dans leur communauté – nous sommes là sur le fil du rasoir. Quant aux mutilations sexuelles, notamment l’excision, on sait qu’elles continuent, hélas, de se pratiquer, voire se développent.

S’agissant de la réserve héréditaire dans le cadre des successions internationales, le texte marque un progrès très important. Mais, là encore, on se heurte aux limites imposées par les engagements internationaux, notamment européens. Surtout, le texte semble ne viser que les lois étrangères conduisant à une exclusion totale. Or, dans beaucoup de pays, celle-ci n’est que partielle. On a ainsi le sentiment qu’on tolère la différence de traitement entre hommes et femmes, pourvu que les épouses ou les filles aient tout de même un petit quelque chose. Certes, il est très difficile d’intervenir dans une législation étrangère, mais le problème n’est que partiellement réglé.

Nous sommes évidemment pour la lutte contre les mariages forcés. Toutefois, on a le sentiment que le texte ne vise, en la matière, que ce qui se passe sur le territoire français. Mais peut-être avons-nous une mauvaise interprétation du texte. Toujours est-il que, nulle part, il n’est précisé que, dans le cadre d’une demande de certificat de capacité à mariage adressée aux autorités consulaires, les futurs époux doivent être auditionnés de manière séparée. Or, une telle mesure nous semble très importante et de nature à rééquilibrer le projet de loi sur ce point. De même, il faudrait, même si c’est très difficile, assurer l’information et la protection des personnes concernées avant qu’elles quittent le territoire français car, lorsqu’elles sont dans leur pays d’origine, il est souvent trop tard.

M. Georges Voileau. Nous vous transmettrons les travaux réalisés par notre commission sur le projet de loi.

S’agissant des écoles hors contrat, nous avons appelé à leur fermeture.

Être maçon, c’est un engagement. Nous ne nous dévoilons que si nous le voulons. N'oublions pas que nous avons été excommuniés et pourchassés par tous ceux qui n’aiment pas la liberté. À un ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Fred Zeller, qui lui demandait d’autoriser l’ouverture de loges en Union soviétique, Khrouchtchev a répondu qu’il ne voulait pas avoir de puces dans le dos… Dans certains pays, la franc-maçonnerie n’est toujours pas acceptée et l’appartenance à une loge est parfois punie de mort.

La laïcité est-elle un combat ? Oui, et il faut le mener avec des outils pédagogiques. Il en est de même pour le combat en faveur de l’égalité femmes-hommes, lequel ne doit cependant pas faire oublier le combat pour l’égalité de tous les êtres humains. C’est là toute la force de notre engagement à l’intérieur de l’école.

Au Droit Humain, les principes que je viens d’évoquer sont inscrits dans notre constitution internationale, qui a été rédigée en 1900. Je suis donc particulièrement fier d’être membre de cette obédience en ce moment. J’ai dit.

M. Dominique Goussot. Faut-il compléter le code de la sécurité intérieure par des dispositions relatives à la vie associative ? Si j’ai bien compris le projet de loi sur ce point, il s’agit d’étendre les possibilités de dissolution administrative des associations dans le cas où certains de leurs membres tiendraient des propos ou défendraient des théories condamnables. À notre sens, il est impossible de faire porter la responsabilité d’un acte individuel à une organisation collective. Par ailleurs, la dissolution administrative est apparue en 1936, dans un cadre historique particulier puisqu’elle visait les ligues, puis elle a été étendue aux groupes de hooligans. Il faut, me semble-t-il, s’en tenir là et laisser au juge, qui est constitutionnellement le garant des libertés individuelles, le soin de dissoudre, le cas échéant, une association.

Quant à l’école, elle repose, aux termes des grandes lois des années 1880, sur trois piliers : l’école publique, gratuite et obligatoire, l’instruction à domicile et l’enseignement privé. Nous sommes favorables au maintien de ces trois piliers, à condition – mais c’est un autre débat – de supprimer le financement public des écoles confessionnelles sous contrat, qui représente chaque année une somme considérable. Il faudrait par ailleurs renforcer le contrôle de certaines écoles privées, hors contrat ou sous contrat, musulmanes ou non – je pense à un établissement catholique situé dans le département de l’Indre qui aurait mérité de faire l’objet d’un contrôle approfondi.

S’agissant de la loi de 1905, la question a été posée de savoir s’il fallait modifier son article 31. Il ressort des quelques recherches que j’ai faites sur le contentieux lié aux infractions à la police des cultes que le nombre des personnes condamnées pénalement à ce titre est ridiculement faible. Répondant, en 1973, à une question écrite portant sur ce point, le Gouvernement a même indiqué qu’il avait cherché et qu’il n’avait rien trouvé ! On peut toujours augmenter les peines mais, jusqu’à présent, on n’a pas rencontré de problème majeur dans ce domaine.

Enfin, la possibilité pour les associations cultuelles d’administrer leur patrimoine est problématique, car elles pourraient faire ce qu’elles veulent des locaux concernés et les utiliser pour tenir des réunions étrangères au culte, notamment politiques.

M. le président François de Rugy. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour les éclairages que vous avez apportés à notre travail législatif.

Mes chers collègues, je vous informe que l’audition du Conseil français du culte musulman, qui n’a pas pu être se tenir hier en raison de l’état de santé de son président, aura probablement lieu lundi prochain à huit heures trente.

 

 

 

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du mardi 5 janvier 2021 à 8 heures 30

Présents.  Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Yves Blein, Mme  Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Yves Hemedinger, M. Pierre Henriet, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Anne-Christine Lang, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, Mme Laurianne Rossi, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet