Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Audition de Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville              2

– Présences en réunion.................................11

 

 

 

 

 

 


Lundi
11 janvier 2021

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. François de Rugy, président


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Lundi 11 janvier 2021

La séance est ouverte à quatorze heures six.

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La commission spéciale procède à l’audition de Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.

M. le président François de Rugy. Nous accueillons Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville, pour une série de questions-réponses.

Mme Anne Brugnera, rapporteure thématique. Je suis rapporteure pour le chapitre V, qui traite de l’éducation et prévoit de modifier les modalités de l’instruction en famille, en passant notamment d’une déclaration à une autorisation préalable. Ce sujet fait écho à la recherche d’enfants non instruits, soit qu’ils n’aient pas été inscrits à l’école, soit qu’ils n’aient pas été déclarés au titre de l’instruction en famille. Les représentants de la caisse d’allocations familiales (CAF) du Nord, que nous avons récemment auditionnés, croisent leurs fichiers avec ceux des mairies de certaines villes du département pour retrouver ces enfants. Ils disposent pour cela d’une cellule de suivi de l’évitement scolaire, présidée par le préfet délégué pour l’égalité des chances. La cellule se réunit sur la base de signalements d’enfants qui ne seraient pas instruits. Elle contacte les parents et cherche avec eux la meilleure solution. Elle a été instaurée dans de grandes villes, comme Douai, Tourcoing, Maubeuge. Dans ces territoires, la mobilité résidentielle des familles est importante et il y est certainement plus difficile de suivre l’instruction des enfants que dans de petites communes. Que pensez-vous d’un tel dispositif, madame la ministre ?

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Votre question nous rappelle tout le travail qu’a réalisé le préfet délégué pour l’égalité des chances, Daniel Barnier, dans la préfecture du Nord, avant d’être nommé préfet de la Nièvre.

Des cellules de prévention de l’évitement scolaire ont en effet été créées. Elles répondent à un enjeu majeur, celui de l’instruction et de la scolarisation des enfants, pour éviter le repli communautaire et lutter contre la radicalisation dans certaines communes. Dans cette optique, la préfecture du Nord a fait travailler ensemble des acteurs qui œuvrent dans quatre domaines : l’absence d’instruction ; l’absentéisme scolaire – volontaire ou involontaire – ; le contrôle de l’instruction dans la famille et les écoles hors contrat. Outre les villes que Mme Brugnera a citées, Lille, Roubaix et Denain sont concernées.

Les cellules regroupent autour des services municipaux concernés les services départementaux de l’Éducation nationale et du conseil départemental, de la CAF du Nord, du parquet ainsi que les délégués du préfet, qui jouent un rôle essentiel. Elles réalisent un travail minutieux pour identifier les situations d’évitement scolaire. À Maubeuge, où soixante-cinq situations ont nécessité une vérification, les services de l’État ont dénombré dix-sept enfants invisibles, grâce à un protocole qui évalue tous les aspects de la scolarisation. À Roubaix, trente enfants invisibles ont été recensés.

Avec le ministre de l’éducation nationale, j’ai souhaité mettre en avant ce dispositif à travers le déploiement des cités éducatives. Nous avons donné, par voie de circulaire, des instructions, afin d’intégrer le protocole des cellules de prévention de l’évitement scolaire dans leur labellisation. Nous comptons ainsi déployer un protocole qui a fait ses preuves et dont les méthodes – faire travailler ensemble les acteurs et améliorer la circulation de l’information entre les différents services – permettent de détecter les enfants invisibles et de lutter plus efficacement contre l’évitement scolaire.

M. Éric Poulliat, rapporteur thématique. Je suis rapporteur pour la partie du texte relative aux associations, dont la principale disposition est le contrat d’engagement républicain. Certaines associations, on le sait, travaillent avec les populations de leur territoire. Elles s’efforcent de travailler efficacement et, sans être en rupture avec la République, elles pourraient voir dans le contrat d’engagement républicain une nouvelle contrainte, qui s’ajoute aux chartes existantes. Concrètement, comment ferez-vous vivre la notion d’engagement républicain dans ces territoires ?

En outre, la question de la restitution des subventions par les associations qui ne respecteraient pas le contrat d’engagement se pose particulièrement dans ces territoires. Beaucoup d’argent public y est donné, souvent à juste titre, d’ailleurs, pour mener des politiques publiques d’insertion ou lutter contre les discriminations. Qui contrôlera le respect de cet engagement, lorsqu’il y a plusieurs financeurs ? Et comment ? La situation est parfois confuse.

Mme la ministre. Monsieur le député, je vous félicite de votre implication car je sais à quel point vous avez participé à la réflexion sur le projet de loi.

Le ministère de la ville est le premier financeur des associations. L’article 3 de la convention pluriannuelle d’objectifs qui nous lie aux associations prévoit un contrôle des subventions que nous octroyons. Dès lors que l’association ne respecte pas les valeurs de la République ou le principe de laïcité, nous pouvons dénoncer la convention et demander le remboursement des subventions. Le contrat d’engagement est donc, en quelque sorte, déjà intégré dans nos critères d’octroi de subventions.

Le projet de loi va plus loin car il rend effectif l’engagement que doivent tenir les associations en faveur de nos valeurs républicaines et du respect de la laïcité. Il prévoit aussi les critères de dissolution de l’association. Aujourd’hui, lorsque nous constatons un manquement, nous retirons la subvention mais l’association peut continuer à vivre normalement puisque rien ne permet de la dissoudre, en raison du principe de liberté d’association. Le projet de loi permettra de mettre fin à l’activité, mais il faudra veiller à ce que les bénéficiaires de l’association ne restent pas sans solution et qu’une autre solution soit trouvée avec l’aide de l’État.

Nous sommes donc très vigilants. Dans le cadre de la préparation de ce projet de loi, nous avons été associés à la réflexion sur le financement du secteur associatif. Le ministère est également très engagé dans la promotion des valeurs républicaines. Les équipes de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et du Centre national de la fonction publique territoriale délivrent une formation aux valeurs de la République et à la laïcité. Il y a quelques mois, j’ai annoncé le doublement de son financement par le ministère de la ville, pour que nous passions de 20 000 à 40 000 personnes formées par an, dans le milieu associatif, ce qui nous permettra de faire face à des situations où les valeurs de la République et la laïcité sont compromises.

Nous sommes également engagés dans la lutte pour protéger le milieu associatif. Nous devons envoyer un message clair et sécurisant aux associations. Le projet de loi renforce l’action du ministère de la ville et ouvre la possibilité de dissoudre plus facilement les associations.

Mme Cécile Untermaier. Notre préoccupation est qu’aucun enfant ne passe sous les radars de l’instruction obligatoire. À ce titre, pour quelles raisons le projet de loi ne fait-il plus référence à l’identifiant national de l’élève (INE) ?

Ma seconde question concerne l’article 6 et son fameux contrat d’engagement républicain. Vous l’avez rappelé, les subventions d’État sont déjà attribuées à la condition de respecter ces engagements. Un formulaire CERFA de demande de subvention a d’ailleurs été fort utilement adjoint dès 2014. Le terme de contrat pose cependant problème et appelle des précisions. L’article 6 s’adresse aux associations qui relèvent des lois de 1901 et de 1905. Du coup, les associations diocésaines s’inquiètent que l’on puisse leur reprocher de bafouer l’ordre public si elles accueillent des étrangers en situation irrégulière ou des déboutés du droit d’asile. La notion de sauvegarde de l’ordre public, qui pourrait être une condition du contrat passé avec l’État s’agissant d’associations œuvrant dans des domaines divers, n’est pas adaptée à un engagement de cette nature car elle pourrait fonder une dissolution.

Mme la ministre. Nous avons mené de très nombreuses concertations avec les associations. La dissolution administrative n’est pas leur principale crainte. Elles ont en effet bien compris que seuls les associations ou les groupements de fait troublant gravement l’ordre public ou portant atteinte à des droits et libertés fondamentaux étaient concernés. Le dispositif repose sur des règles précises de droit et ne laisse pas de place à la subjectivité quant aux faits reprochés. Les articles 6 et 7 renforcent le tronc commun des valeurs de la République. Le ministère de la ville n’a donc pas reçu ce type de remontées.

Pour ce qui est de l’INE, les parlementaires pourront se pencher sur la question au cours de leurs prochains travaux, en demandant éventuellement au ministère de l’éducation nationale ce qu’il en pense. À mon niveau, je n’ai pas davantage d’informations à vous donner que celles que vous a transmises Jean-Michel Blanquer lorsque vous l’avez auditionné.

La question rejoint celle des cellules de prévention de l’évitement scolaire dont l’objectif est de rechercher les enfants invisibles et de faire en sorte qu’ils puissent suivre une éducation républicaine. La démultiplication du protocole de lutte contre l’évitement scolaire que réalise le ministère de la ville avec les cités éducatives y répond. C’est de cette manière que nous atteindrons l’objectif. Pour tout le reste, je vous renvoie aux propos de Jean-Michel Blanquer, qui vous a certainement transmis les éléments que vous attendiez.

Enfin, j’ai donné instruction aux préfets de rendre public le nom des associations auxquelles nous avons accordé des financements, pour renforcer la transparence et faciliter le contrôle des subventions octroyées.

M. Pierre-Yves Bournazel. Les associations jouent un rôle fondamental dans notre société, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Sans elles, la République reculerait car elles conduisent de nombreuses actions utiles, notamment dans les domaines de l’aide alimentaire ou du soutien scolaire. Pour autant, elles doivent accomplir un travail de défense des principes de la République, notamment de la laïcité. À cet égard, le contrat d’engagement républicain est une bonne initiative mais il devra être complété de formations à la laïcité, notamment pour les cadres associatifs. Étant en première ligne, ils peuvent faire face à des citoyens ou à d’autres associations, malheureusement infiltrées par des personnes qui font de la politique, en plaçant leur religion au-dessus de la loi civile et des lois de la République. Il faudra aussi former ces cadres à la lutte contre les discriminations car les associations doivent nous permettre de faire nation et société. Elles y contribuent fortement, mais il y a toutefois un délitement face aux attitudes qui peuvent être liées au racisme, à la haine de l’Autre, à l’homophobie, à l’inégalité entre les femmes et les hommes, à l’antisémitisme.

Que pensez-vous de la formation des cadres associatifs à la laïcité et à la lutte contre les discriminations ? Par ailleurs, quelles actions comptez-vous mener dans les prochains mois ?

Mme la ministre. Vous avez raison, les associations jouent un rôle fondamental dans nos quartiers : elles permettent de faire vivre la République. C’est pourquoi je tiens à soutenir leurs actions, comme à éviter que l’on ne procède parfois à des amalgames. Pour mieux protéger le tissu associatif, il faut être vigilant et lui donner des outils, afin qu’il puisse jouer ce rôle de défense de la République, dont vous avez parlé.

J’ai évoqué la formation aux valeurs de la République et à la laïcité, qui est à la main des élus pour former les agents territoriaux, le milieu associatif et les services des collectivités. Les associations représentent 44 % des employeurs qui demandent cette formation. C’est dire combien le milieu associatif est désireux de se doter des outils pour lutter efficacement contre les situations où les valeurs de la République et la laïcité sont mises à mal. Là aussi, le ministère de la ville joue pleinement son rôle pour les maintenir.

Il s’agit aussi de soutenir les associations car elles sont un acteur fondamental pour lutter contre le séparatisme. Quand il y a un espace vide, déserté par la République, ce sont les séparatistes qui s’en saisissent et qui développent une offre alternative. L’objectif du ministère de la ville et de la politique de la ville en général est de faire reculer les séparatistes, avec cette offre républicaine afin d’apporter l’égalité des chances, le soutien social, l’accompagnement économique et les outils pour lutter contre toute forme de discrimination. C’est l’objet de notre intervention, par le soutien au milieu associatif, la définition de nouvelles méthodes de travail, par de nouvelles actions, telles les cités éducatives, ou, dans quelques semaines, les cités de l’emploi, ainsi que les plans de lutte contre les discriminations, que nous développons à travers l’ANCT.

M. Charles de Courson. Pour aider les maires à contrôler l’exhaustivité de l’obligation d’instruction publique, ne faudrait-il pas passer du code INE au code INSEE ? Aujourd’hui, les maires – je l’ai été pendant trente-deux ans – n’ont pas les moyens techniques pour effectuer ce contrôle. Je l’ai vérifié auprès de dizaines d’élus.

S’agissant du contrat d’engagement républicain, on nous a expliqué qu’il y aurait un contrat type, valable pour toute association, sans variabilité des principes républicains qui doivent être respectés. Ne pensez-vous pas, comme le suggère le Conseil d’État, qu’il faudrait passer d’un contrat d’engagement républicain à un engagement de respecter tout ou partie des principes républicains ?

Par ailleurs, si l’on conserve le texte en l’état, faut-il exclure de toute possibilité de subvention publique des associations d’origine confessionnelle, qui œuvrent dans le domaine social, sportif ou de l’éducation populaire ? Si, comme le prévoit Mme Schiappa, il y a un contrat d’engagement type, dans lequel le principe de laïcité est posé, peut-on aider les Éclaireuses et éclaireurs israélites de France, les Éclaireuses et éclaireurs unionistes de France, les Scouts et guides de France, ou, dans le domaine social, le Secours catholique ou les Entraides protestantes ? Quelle est votre position ? Si l’on pousse le raisonnement à son terme, on détruira une partie du tissu associatif.

M. le président François de Rugy. Le sujet a été évoqué à de nombreuses reprises, notamment par les représentants des cultes que nous avons auditionnés, qui gèrent des associations culturelles, sportives, caritatives, notamment. La question a également été posée par les loges maçonniques.

Mme la ministre. L’interrogation est collective, d’où la nécessité de séparer les activités cultuelles des activités culturelles, et de distinguer les associations qui relèvent de la loi de 1901 de celles qui relèvent de la loi de 1905. Cette clarification des actions des associations permettra de répondre à votre question. Il n’est pas question d’arrêter de financer les activités du Secours populaire ou du Secours catholique, qui proposent des activités sportives, culturelles, fournissent de l’aide alimentaire ou sociale. Dès lors que le culte n’entre pas en ligne de compte, la situation est claire. On n’arrêtera pas de subventionner les associations dont les activités sont clarifiées.

M. Charles de Courson. Comment interprétez-vous le principe de neutralité ?

Mme la ministre. Ce n’est pas une question de neutralité dès lors que le culte n’intervient pas dans l’activité de l’association.

M. le président François de Rugy. C’est une définition, en effet.

Mme la ministre. Je ne peux pas être plus claire. Prenons une association culturelle qui propose du soutien scolaire. Si ses intervenants suivent le programme scolaire, on n’a pas de question à se poser. Mais si l’accompagnement scolaire se traduit par un exercice ou un enseignement du culte, l’association déborde dans le cultuel. Il faut donc clarifier les activités des associations. Le projet de loi y contribue, puisqu’il vise à distinguer les associations qui relèvent de la loi de 1901 de celles qui relèvent du cultuel et doivent se référer à la loi de 1905.

Les associations qui proposent des activités cultuelles ont d’ailleurs tout intérêt à sortir du régime de la loi de 1901 et à s’inscrire dans celui de la loi de 1905, qui leur offrirait de nombreux avantages, qu’il s’agisse des droits de mutation ou de la taxe foncière. En contrepartie, la condition est d’être plus transparente et de se soumettre aux contrôles comptables qui s’imposent. Là encore, il n’est pas question de revoir le financement des associations dites nationales, qui opèrent dans tout le territoire, au prétexte que leur nom aurait un rapport avec le culte.

S’agissant de l’INE et du code INSEE, je vous renvoie à ma réponse précédente. Sur ce sujet, l’intervention du ministère de la ville consiste à travailler sur la lutte contre l’évitement scolaire. Je l’ai dit, nous sommes en pleine action dans ce domaine.

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, je voudrais vous poser trois questions.

Tout d’abord, le regroupement de populations homogènes, pour ce qui est de leur appartenance sociale, religieuse, culturelle ou de leurs origines géographiques, favorise le communautarisme, engendre le repli sur soi et peut nourrir un sentiment de rejet. Comment casser ce mécanisme si l’on ne dispose pas de données sur la nature précise de cette homogénéité ? C’est très bien de ne pas créer de nouveaux ghettos mais comment briser ceux qui existent si on n’en connaît pas la réalité, faute de statistiques ethniques ? Peut-être serait-il temps de sortir de cette position de principe et de ne plus avoir peur d’affronter la réalité ? Il faut mieux la connaître pour pouvoir agir.

Par ailleurs, certains proposent d’insérer la charte régionale du respect des valeurs de la République et du principe de laïcité dans la convention d’objectifs et de moyens signée par une association. Cela ne risquerait-il pas de dévaloriser cet engagement, en le réduisant à une simple case à cocher dans un document, sans conséquence pour les adhérents de l’association ?

Enfin, ce projet de loi n’aborde pas le problème du port du voile alors que chacun constate sa prolifération, jusque dans nos plus petites villes. Que pensez-vous du fait que, sur certaines places publiques, quasiment aucune femme ne sort si elle n’est pas voilée ?

Mme la ministre. S’agissant du regroupement de populations et de l’absence de mixité dans les quartiers, le constat est dressé à partir de critères sociaux et non ethniques. Par expérience, je peux vous dire que cette ghettoïsation, qui existe dans certaines communes de France, est le résultat de plusieurs années d’une certaine politique. Volontairement ou non, on a organisé des quartiers dans lesquels on a concentré de la pauvreté. Les différentes vagues d’immigration n’ont fait qu’aggraver la situation. Les études ne sont pas établies à partir de critères ethniques, ce qui est heureux puisqu’ils sont interdits. En revanche, nous travaillons à partir de critères sociaux. Le ministère de la ville peut s’appuyer sur l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) pour renforcer la mixité sociale de nos quartiers en diversifiant l’offre de logements. C’est l’un des objectifs de l’Agence et nous avons pu constater, dans certaines communes, une baisse flagrante de la proportion de logements sociaux.

Concernant l’insertion de la charte dans les contrats qu’une association serait conduite à souscrire pour obtenir des subventions, rappelons qu’il ne s’agit pas de cocher une simple case. Au contraire, les associations prennent un véritable engagement. Puisque vous me demandez ce que j’en pense, sachez que cette charte est déjà intégrée dans les conventions pluriannuelles d’objectifs que nous demandons aux associations qui souhaitent des subventions, de signer. Ce n’est pas une case à cocher mais un article à part entière de la convention, qui permettra de dénoncer le contrat si les associations ne respectent pas les valeurs de la République ou le principe de laïcité. Elles prennent un véritable engagement. L’intérêt d’insérer cette disposition dans le projet de loi est que l’adhésion à cette charte ne serait plus laissée à l’appréciation d’une collectivité ou d’un ministère, mais deviendrait obligatoire.

Quant au port ostentatoire de signes religieux, je vous renvoie à la loi, rien que la loi et toute la loi : ils ne sont pas interdits dans l’espace public. Ce projet de loi vise à renforcer la neutralité des services publics, ce qui est une bonne chose pour l’exercice de leurs missions. Je n’ai pas d’autre remarque à faire.

M. Guillaume Vuilletet. Madame, votre ministère est au cœur de la problématique qui nous occupe. Bien évidemment, ce projet de loi ne suffira pas pour tout résoudre. Il suffit de se remémorer les cinq piliers de la stratégie présentée par le Président de la République aux Mureaux pour s’en convaincre. Vous avez évoqué l’action de l’ANRU, celle de l’ANCT. Vous avez expliqué comment, en luttant contre les discriminations, vous souteniez des quartiers en souffrance, qui peuvent devenir des lieux de relégation et favoriser le séparatisme. À ce propos, il est fréquent que le tissu associatif se développe d’autant plus que les services publics ont déserté. Au passage, je me demande quelles actions le Gouvernement mène pour impliquer à nouveau les services publics dans des quartiers qui ont l’impression d’en avoir été privés.

Le projet de loi prévoit des mesures pour éviter que des associations s’engagent dans un mouvement qui irait à l’encontre de la vie en société et conduirait à l’isolement. Cela arrive. La signature d’un contrat d’engagement républicain permet de clarifier l’action de ces associations. Du reste, les articles 6 et 7 du projet de loi prévoient les mesures à prendre en cas de manquement à cette charte. La réalité sera sans doute plus complexe. Il faudra prévoir un accompagnement. Vous avez d’ailleurs conçu la formation « Valeurs de la République et laïcité ». Dans ce contexte, vous vous êtes rendue dernièrement dans mon département, à Argenteuil, pour rencontrer les acteurs et les bénévoles d’une association qui avaient tous reçu cette formation. D’ailleurs, les cadres associatifs ne devraient pas être les seuls à en bénéficier. Tous ceux qui reçoivent une délégation de service public pourraient en avoir besoin et je me demande si nous ne pourrions pas prévoir une telle disposition dans la loi.

Surtout, les associations qui servent de paravent aux séparatistes ne se laisseront pas faire aussi facilement. J’ai bien compris la séparation entre le cultuel et le culturel mais la distinction est parfois subtile. Comment accompagner les associations appelées à les remplacer ? Comment accompagner la séparation des actions cultuelles et culturelles ? L’enjeu n’est pas négligeable, notamment pour ce qui concerne la gestion des ressources, en particulier celle des bénévoles. Souvent, il s’agit d’associations de très petite taille, qui devront recevoir un soutien. Comment ferez-vous pour vérifier qu’au sein de ces associations, des lieux ne sont pas interdits aux femmes ou qu’elles ne sont pas le siège secret de pratiques religieuses ?

Mme la ministre. Vous avez eu raison de rappeler le discours du Président de la République aux Mureaux car, pour lutter contre le séparatisme, il faut actionner deux leviers. Tout d’abord, il faut conforter nos principes républicains et compléter notre arsenal législatif afin de supprimer les derniers angles morts. Il faut également renforcer l’égalité des chances afin de faire reculer tout ce qui fait le lit des séparatistes, sans abandonner le discours d’inclusion de notre diversité, qui n’est pas un discours communautaire, loin de là, mais un outil pour lutter contre le séparatisme.

Vous avez rappelé la désertion, par les services publics, de certains territoires. C’est en effet le constat que nous avons dressé, il y a quelque temps, notamment lors du grand débat national. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que le Président de la République a voulu instaurer ces maisons France Services pour que les services publics reviennent en force dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Des bus France Services circulent même jusque dans les quartiers les plus enclavés.

Il est fondamental de soutenir l’action des associations de nos quartiers qui, pour la grande majorité d’entre elles, œuvre au quotidien afin de promouvoir les valeurs de la République. C’est le cas, vous l’avez rappelé, monsieur le député, de l’association La Maison pour tous, dont les acteurs ont reçu la formation « Valeurs de la République et laïcité » et qui l’ont délivrée ensuite aux bénévoles, pour qu’ils puissent lutter au mieux contre certaines idées délétères.

N’oublions pas non plus les délégués du préfet, dont le rôle est si fondamental que j’ai demandé, dès mon arrivée au ministère, que le plafond d’emplois des préfets soit maintenu. En effet, ils connaissent les citoyens, ils réalisent un véritable travail de dentelle, en recherchant les différents dispositifs existants et en les communiquant aux publics concernés. C’est ainsi que cette formation aux valeurs de la République a pu être délivrée. Ils sont nos ambassadeurs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville pour défendre les principes républicains. Un dernier mot sur cette formation : elle est dispensée au travers de plusieurs canaux. Je vous ai parlé de l’action de mon ministère mais Jean-Michel Blanquer et Amélie de Montchalin y travaillent également de leur côté.

Je terminerai en insistant sur le rôle fondamental des femmes dans ces quartiers. Depuis mon arrivée au ministère, j’ai à cœur de rendre visible leur action trop souvent passée inaperçue, de leur rendre une place trop longtemps désertée dans certains quartiers. Nous devons les accompagner, y compris par des financements, pour les aider à mieux structurer et organiser leur action. Si elle est plus visible et plus forte, elle touchera beaucoup plus de jeunes filles et de jeunes femmes dans les quartiers.

M. Frédéric Petit. La politique de la ville est, depuis son origine, une politique transversale et une politique positive. On parle, depuis quarante ans, de brassage sociologique, de lutte contre les inégalités, de déterminisme, d’émancipation des citoyens. Je voudrais vous poser deux questions. Dès lors qu’elle est transversale, la politique de la ville est quasiment toujours cofinancée. Si vous demandez à une association de s’engager à respecter les valeurs de la République, que se passera-t-il si elle bafoue le contrat ? Le contrôle pourrait varier d’un acteur à l’autre et nous pourrions nous retrouver avec un maire qui valide une association et un préfet qui ne l’approuve pas. Comment votre ministère jouera-t-il son rôle de régulateur entre les différents financeurs ?

Par ailleurs, votre ministère mène de nombreuses actions pour lutter contre les inégalités mais elles ne trouvent pas leur traduction législative dans ce texte. Est-il envisagé d’y remédier, dans ce texte ou dans un autre ?

M. François Pupponi. Je compléterai la question de notre collègue Charles de Courson en prenant l’exemple d’une association relevant de la loi de 1901, qui aurait notamment des activités cultuelles, et qui obtiendrait tous les ans d’une collectivité locale, une salle pour l’exercice d’un culte. C’est une pratique courante dans toutes les municipalités. Cette association demandera une subvention. Pourra-t-on considérer qu’elle respecte le contrat d’engagement républicain, conformément à l’article 6, si, lors de l’utilisation de la salle municipale, transformée en lieu de culte, les femmes sont séparées des hommes par un drap ?

Mme la ministre. Puisque M. Pupponi m’a posé une question claire et directe, ma réponse sera claire et directe. Pour commencer, mettons-nous bien d’accord : le ministère de la ville ne finance pas d’association cultuelle. Par ailleurs, si ce genre de pratique est constaté dans une association financée par le ministère de la ville, les subventions seront coupées car l’association n’aura pas respecté les valeurs de la République, en particulier le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes. La réponse est la même au niveau des collectivités locales puisque, là encore, l’engagement républicain n’aura pas été tenu. Il faut bien distinguer entre les associations cultuelles et les associations culturelles. Je vous réponds pour les activités culturelles. Si ces associations culturelles ne respectent pas leurs engagements, leurs subventions seront retirées, pour violation de l’article 3 de nos conventions, aujourd’hui, de la loi demain. Les sanctions pourront être plus sévères si les faits reprochés sont plus graves. Je ne me prononce pas pour ce qui relève de l’exercice du culte par les associations cultuelles.

Monsieur Petit, la politique de la ville est, en effet, une politique transversale et positive, c’est-à-dire une politique d’exception qui s’adresse à des territoires d’exception, dans lesquels nous avons l’ambition de porter l’égalité des chances. Sur le terrain, tout se passe très bien, en général, entre les cofinanceurs. Si l’un d’eux, l’État ou la collectivité, est amené à retirer ses subventions, l’autre le suit. Cela étant, nous avons eu connaissance de cas où l’État avait retiré ses subventions sans que la collectivité territoriale ne le suive. Le contrat d’engagement républicain permettra, dans ce type de situation, de loger tout le monde à la même enseigne, en soumettant les associations aux mêmes règles.

Quant à la lutte contre les inégalités, sa traduction est beaucoup plus financière que législative. Nous menons des actions déterminées pour intensifier l’accompagnement social, lutter contre les discriminations, renforcer l’attractivité économique de nos territoires. Le budget de la politique de la ville, que vous avez voté récemment, est supérieur de 10 % au précédent. Par ailleurs, un comité interministériel à la ville se tiendra fin janvier. Il nous permettra de revoir toutes les mesures qu’il faudra développer en faveur de l’égalité des chances.

 

 

 

La séance est levée à quatorze heures cinquante-neuf.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du lundi 11 janvier 2021 à 14 heures

Présents.  Mme Caroline Abadie, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Yves Blein, Mme Anne-Laure Blin, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Anne-Christine Lang, M. Ludovic Mendes, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Julien Ravier, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet