Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales 2

– Présences en réunion.................................12

 

 

 

 

 

 


Lundi
11 janvier 2021

Séance de 19 heures 30

Compte rendu n° 26

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. François de Rugy, président


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Lundi 11 janvier 2021

La séance est ouverte à dix-neuf heures trente.

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La commission spéciale procède à l’audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. le président François de Rugy. Madame la ministre, nous avons souhaité vous auditionner, comme plusieurs autres membres du Gouvernement, même si vous n’êtes pas directement en charge du projet de loi confortant le respect des principes de la République, parce que nous avons considéré que vous seriez, si elles sont votées, concernée par l’application d’un certain nombre de ses dispositions.

Nous avons également considéré qu’au-delà du texte, il y a le contexte. Or les collectivités locales, notamment les maires, sont en première ligne dans la lutte contre les séparatismes, les communautarismes et les remises en cause de la laïcité et de la neutralité du service public. Nous venons d’évoquer ces questions avec la ministre de la transformation et de la fonction publiques et nous avons également auditionné, la semaine dernière, les représentants des associations d’élus locaux. Ce sont eux qui, sur ces questions, ont peut-être été les plus clairs, les plus concrets et les plus offensifs.

Madame la ministre, avant que les rapporteurs thématiques et les orateurs des groupes ne vous posent leurs questions, je vais vous donner la parole pour une brève intervention liminaire. En tant que ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et en tant qu’ancienne élue locale et nationale, pouvez-vous nous décrire la réalité, sur le terrain, de cette remise en cause du pacte républicain, fondé sur la laïcité, c’est-à-dire sur la séparation des religions et de la politique – et pas seulement des religions et de l’État ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République intéresse au premier chef les collectivités territoriales, d’abord du fait du champ très vaste des services publics qu’assument ces collectivités, notamment ceux qui se traduisent par l’accueil d’usagers ; ensuite parce que les élus locaux sont précisément l’incarnation de la République dans la vie de nos concitoyens et qu’ils sont confrontés aux doutes, aux questionnements, aux évolutions de la pensée citoyenne.

Indépendamment de la question du séparatisme et du respect des principes républicains, on a vu les pratiques évoluer. J’ai été maire pendant vingt-cinq ans. Durant mes premiers mandats, lorsque certains de nos concitoyens avaient un problème, ils prenaient rendez-vous avec moi pour en parler. Or, au fil des années, j’ai constaté que leur premier mouvement n’était plus de venir voir le maire mais de lancer une pétition, alors que c’était autrefois l’ultime recours. La montée du radicalisme et de l’extrémisme, la contestation des principes républicains sont des choses beaucoup plus graves et je soutiens avec force ce projet de loi, dans la mesure où il va donner des moyens d’action à l’État et aux élus locaux.

J’ai particulièrement travaillé sur l’article 2, mais aussi sur l’article 1er, dont il découle, et sur l’article 4, qui vise à mieux protéger les agents chargés du service public contre toute tentative d’intimidation. Les articles 6 et 21 concernent également les collectivités locales.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure thématique. Madame la ministre, je suis plus particulièrement en charge des cinq premiers articles du projet de loi.

J’aimerais savoir si la rédaction de l’article 1er pose des difficultés aux collectivités locales. Avez-vous eu des remontées en ce sens ?

La réécriture de l’article 2, à la suite de l’avis du Conseil d’État, me semble avoir abouti à une rédaction équilibrée. Est-ce aussi votre avis ? La seule difficulté qui avait été soulevée concernait l’extension de cette disposition – pourquoi la procédure du référé n’était‑elle pas étendue à d’autres établissements ? La réponse qui nous a été donnée, relative à la différence de gouvernance, me paraissant satisfaisante, je n’y reviens pas.

S’agissant, enfin, de l’article 4, pensez-vous qu’il serait utile de prévoir un mécanisme autorisant l’administration ou le délégataire à déposer plainte pour le compte de son agent ?

Mme la ministre. Les collectivités territoriales sont très intéressées par l’article 1er, même s’il ne s’applique pas seulement à elles mais à l’ensemble des services publics. Il a pour objet d’inscrire sans ambiguïté dans la loi le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel les organismes de droit privé ou public chargés de l’exécution d’un service public sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité du service public. Je n’ai pas de remontées négatives à ce sujet et je pense que toutes les associations d’élus y sont favorables.

La rédaction de l’article 2, sur lequel j’ai beaucoup travaillé, me convient. Il était essentiel pour moi que la décision de suspension relève entièrement du juge et j’ai veillé, à mesure que cet article était réécrit, à ce que cette disposition demeure. Je pense qu’on est arrivé à une solution satisfaisante.

L’article 4 crée une nouvelle infraction pénale afin de mieux protéger les agents chargés du service public, en sanctionnant les menaces et les violences dont ils pourraient faire l’objet. C’est un article important pour les exécutifs locaux et pour les agents des collectivités. Si j’ai bien compris, vous me demandez si un élu pourrait porter plainte pour le compte d’un agent.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure thématique. Je voulais savoir si l’option qui consisterait à donner la possibilité à l’administration ou au délégataire de porter plainte vous semble intéressante. En l’état, cette possibilité n’existe pas, puisque nul ne plaide par procureur, mais j’envisage de l’introduire et le garde des sceaux semble avoir accueilli cette proposition plutôt positivement. Elle serait exclusive de la possibilité d’engager des poursuites, de se porter partie civile ou de demander des dommages et intérêts. L’agent craint souvent des représailles : ce serait une façon de l’accompagner, indépendamment de la procédure prévue par l’article 40 du code de procédure pénale.

Mme la ministre. Vous avez bien fait de consulter le garde des sceaux. Je vais également m’entretenir de cette question avec lui, ainsi qu’avec la ministre de la transformation et de la fonction publiques, car je ne suis pas une spécialiste de ces questions. Il faudra veiller aux « effets de bord » qui pourraient résulter d’une telle décision.

M. Éric Poulliat, rapporteur thématique. Madame la ministre, je suis rapporteur du chapitre II du titre IER, relatif aux associations. Lors des précédentes auditions, les questions ont essentiellement porté sur le contrat d’engagement républicain, introduit à l’article 6, et sur deux points en particulier.

Le premier concerne l’attribution de subventions. Chaque collectivité a sa convention d’objectifs, son mode d’attribution des subventions, en un mot, son propre formulaire CERFA. Faudrait-il, selon vous, aller vers un formulaire CERFA unique, commun à l’État et aux collectivités territoriales, qui inclurait le contrat d’engagement républicain ?

Le second concerne le contrôle des associations ayant bénéficié de subventions. L’article 6 prévoit que l’autorité publique qui a attribué la subvention doit en demander la restitution en cas de non-respect du contrat d’engagement républicain. Certaines collectivités estiment que ce contrôle est parfois difficile à réaliser et elles n’ont pas envie de jouer le rôle de gendarme sur leur territoire. Comment les aider à le faire de façon à la fois efficace et bienveillante ?

Mme la ministre. Le rôle d’un élu, c’est aussi d’assumer ses responsabilités. En tant que maire, je n’ai jamais attribué une subvention à une association sans lui demander son budget chaque année. C’est basique et c’est très important.

Désormais, le versement de toute subvention à une association sera conditionné par l’engagement, de la part de celle-ci, à respecter les principes de liberté, d’égalité et de fraternité au travers d’un contrat d’engagement républicain. Si cet engagement n’est pas respecté, la collectivité qui aura attribué la subvention devra en demander la restitution.

En règle générale, les élus connaissent leurs associations et ils peuvent s’appuyer sur les services de l’État lorsqu’ils sont confrontés à un cas sensible. Tendre vers un formulaire CERFA unique, c’est tout l’objet de ce projet de loi, et j’y suis tout à fait favorable.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure thématique. Ce texte a pour objectif de lutter contre différentes formes de séparatisme et de garantir le respect des principes républicains pour faciliter le vivre ensemble.

Je suis rapporteure du chapitre III du titre IER, qui porte des dispositions relatives à la dignité de la personne humaine.

L’article 17 vise à renforcer la lutte contre les mariages forcés en protégeant le consentement des futurs époux. Il est demandé à l’élu, s’il a des doutes « au vu des pièces fournies par ceux-ci, des éléments recueillis au cours de leur audition commune ou des éléments circonstanciés extérieurs reçus », de procéder à un entretien individuel avec chaque futur époux et, si le doute persiste, de faire un signalement au procureur de la République. Pensez-vous qu’un entretien individuel avec les époux, suivi d’un entretien avec le couple, soit envisageable ? Ne pourrait-on proposer aux élus d’harmoniser leurs pratiques grâce à un guide des bonnes pratiques ? Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’accompagner et de former les nouveaux conseillers municipaux ? Ne serait-il pas souhaitable, enfin, que l’avis du procureur puisse être motivé et circonstancié, notamment quand il y a une différence d’appréciation ?

Les autres articles du chapitre III concernent notamment l’attribution et le renouvellement du titre de séjour et de la pension de réversion. Pensez-vous que les collectivités locales sont capables d’accompagner et de protéger les femmes, souvent en situation difficile avec leurs enfants, en matière de logement, d’aide au travail et sur le plan financier, dans l’attente d’une demande individuelle de titre de séjour ?

J’ai une question subsidiaire, qui ne relève pas de ce chapitre : entre le besoin de formation, le souhait de formation et la réalité de la formation à la laïcité et au principe de neutralité, il existe encore un grand décalage ; est-il possible d’améliorer les choses pour accompagner réellement les agents des collectivités territoriales ?

Mme la ministre. S’agissant, premièrement, des mariages forcés, mon expérience m’a montré qu’ils sont très minoritaires. Le bon sens des élus les amène généralement à se poser des questions et à interroger le procureur pour demander ce qu’ils doivent faire. Cela m’est arrivé à plusieurs reprises. Il m’est arrivé aussi de faire des entretiens particuliers avec une future mariée ou un futur marié : même si je n’ai pas toujours pu obtenir des « aveux », la suite m’a donné raison. Tout cela doit évidemment être encadré et une instruction du garde des sceaux dira précisément dans quel contexte tout cela doit se dérouler.

Vous m’avez interrogée également sur la formation. Il existe déjà de nombreuses formations à destination des fonctionnaires territoriaux. C’est le Centre national de la fonction publique territoriale qui les organise, en collaboration avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires ; à ce jour, près de 50 000 acteurs de terrain ont bénéficié de ces formations. Tout est perfectible et l’on peut sans doute encore améliorer les choses, mais vous voyez qu’elles existent.

J’ai oublié de répondre à votre seconde question, relative à la protection des femmes et des enfants. Elle est prise en charge, en général, par la protection maternelle et infantile, qui est gérée par les départements, ainsi que par l’aide sociale à l’enfance, qui dépend également des départements. Et il ne faut pas oublier les centres communaux d’action sociale et les centres intercommunaux d’action sociale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure thématique. En tant que rapporteure chargée des questions d’éducation, je souhaite vous interroger sur les obligations des maires s’agissant de l’instruction des enfants et de son contrôle. Les maires, vous le savez, ont une double obligation à cet égard : en vertu de l’article L. 131-6 du code de l’éducation, ils doivent établir une liste exhaustive des enfants résidant dans leur commune et en âge d’être instruits ; par ailleurs, ils doivent mener une enquête auprès des familles qui ont fait le choix de l’instruction en famille. Il s’avère que nombre de maires méconnaissent ces obligations ; parmi ceux qui les connaissent, certains ont des difficultés à les mettre en œuvre ou le font de façon incomplète – ignorant par exemple que les enfants doivent être pris en compte jusqu’à 16 ans, âge de l’instruction obligatoire dans notre pays.

Le projet de loi encadre les modalités de l’instruction en famille et en école privée afin de mieux garantir le droit à l’éducation et l’intérêt supérieur de chaque enfant. Mais nous ne pourrons faire ce travail efficacement que si les maires, en amont, font mieux le leur. Comment l’État, en particulier les services qui relèvent de votre ministère, peuvent-ils faire en sorte que tous les maires de France connaissent leurs obligations en la matière ? Je sais qu’il existe un vade-mecum, mais il ne semble pas suffire. Comment peut-on aider les maires à mieux remplir leurs missions ? Faut-il modifier la loi en ce sens, alors que tout y est déjà inscrit ?

Mme la ministre. D’abord, je pense qu’il est très important de passer d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation : c’est un grand changement, qui permettra à un certain nombre d’enfants qui ont besoin d’un enseignement ou d’un accompagnement différents, par exemple pour des raisons médicales, d’en bénéficier.

Vous demandez comment faire connaître aux élus le contenu de leur mission. Je crois que, d’une manière générale, les maires connaissent la mission qui leur incombe. Cela étant, il faut peut-être faciliter leur travail car il n’est pas automatique qu’un maire connaisse tous les enfants de sa commune. Il faut trouver un moyen de connaître tous les enfants qui résident dans une commune, y compris ceux dont la famille ne s’est pas présentée à la mairie. Je sais que le ministère de l’éducation nationale y travaille. Cela pourrait reposer sur le croisement des fichiers existants : ceux de l’Éducation nationale, de la caisse d’allocations familiales (CAF), etc. Il ne doit pas être très difficile d’identifier tous les enfants résidant dans une commune : on le fait bien dans d’autres domaines. Il faut, en tout cas, que les choses soient précisées.

M. Alexis Corbière. Madame la ministre, pouvez-vous nous donner des chiffres ? Nous manquons de données concrètes. Connaissez-vous, par exemple, le nombre de collectivités qui ont engagé une procédure pour que des subventions qui avaient été attribuées soient retirées ou que des sanctions soient prises ? Combien de contrôles ont abouti à l’annulation d’une subvention après une infraction à la laïcité ?

Ce projet de loi est né du discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, dont la dernière partie était très forte : il soulignait un problème d’aménagement du territoire, évoquait les quartiers populaires, abandonnés depuis des années par la puissance publique. Or tous ces aspects, malgré la parole forte du Président de la République, sont totalement absents du texte. Ne croyez-vous pas que cela affaiblit l’ensemble du dispositif, qui ne marche que sur un pied ? Le projet de loi introduit des tracasseries administratives qui ne sont pas toujours fondées ; le législateur manque d’informations, par exemple sur le nombre d’associations qui ne respecteraient pas la loi ; surtout, il n’y a aucune réflexion dans ce texte sur notre aménagement du territoire.

Au nom du groupe La France insoumise, j’aimerais vous demander comment le débat a eu lieu. Avez-vous, en tant que ministre, demandé à ce que ces aspects figurent dans le texte ? Des arbitrages ont-ils eu lieu et ont-ils abouti à la disparition de ces thématiques ? Considérez‑vous, finalement, que le texte, tel qu’il est, se suffit à lui-même ?

Mme la ministre. Je n’ai pas ces chiffres, car on ne demande pas aux maires de faire remonter ce genre d’information à la direction générale des collectivités locales.

Dans la plupart des cas, les subventions qui sont versées aux associations sont bien gérées. Peu importe si ce projet de loi ne concerne qu’un nombre de cas très limité : cela en vaut tout de même la peine, car le rôle de la République est de protéger nos concitoyens et les valeurs de la République.

S’agissant de ce qui, d’après vous, manquerait dans ce projet de loi, je rappelle que l’objet de chacune des dispositions de ce texte est de lutter contre la manifestation des projets idéologiques contraires aux principes démocratiques. L’idée est donc de dresser des barrières protectrices contre ces projets et leur manifestation.

Je vois bien ce que vous voulez dire : ces projets prospèrent sur des fragilités de notre société, des crises identitaires, des inégalités sociales, un sentiment d’exclusion. Ce n’est pas inexact mais ils prospèrent également dans d’autres pays, aux histoires et aux spécificités sociales totalement différentes, tant en Europe qu’en Amérique du Nord ou même au Moyen‑Orient. Il ne faut pas toujours lier les difficultés sociales et les prises de position idéologiques. J’ai connu des cas qui démontraient strictement l’inverse : les idées séparatistes se développent parfois dans des milieux inattendus.

L’élaboration du projet de loi a donné lieu à divers débats sur la politique du logement et sur la politique migratoire. J’ai fait savoir que traiter du logement dans ce texte ne me paraissait pas être une bonne idée car cela pouvait susciter des raccourcis déplaisants entre le logement social et le séparatisme. La politique d’un gouvernement, loin de se borner à un seul texte, se traduit dans tous les textes qu’il propose. Nous sommes ainsi en train de développer des dispositions sur le logement dans le futur projet de loi « 4D » (décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification) que je défendrai au Parlement.

M. Francis Chouat. Le groupe La République en Marche tient à souligner l’importance que revêt votre audition par la commission spéciale. Au-delà de la rigueur indispensable à la rédaction de chaque article, vous incarnez la mise en œuvre de la loi. Une alliance républicaine de l’ensemble des territoires de l’État est indispensable, faute de quoi cela ne fonctionnera pas. De même, nous devons poursuivre nos efforts, voire opérer des ruptures s’agissant de la sécurité globale, de la loi sur l’école de la confiance ou encore du logement. Cela nécessite une très grande interministérialité, laquelle doit être également renforcée concernant la politique de la ville.

Ma question portera sur le seul article 2. Je vous ai écoutée avec attention, ainsi que notre rapporteure, Laurence Vichnievsky, dont je partage souvent les propos. Permettez-moi tout de même de ne pas être totalement convaincu par le fait que le Gouvernement a accepté la position du Conseil d’État concernant le référé-liberté. Le caractère suspensif n’est pas contradictoire avec le contrôle du juge. Cela modifie l’équilibre des relations entre les préfets et les collectivités locales ; j’aurais préféré maintenir la version initiale. Passons...

Par ailleurs, le Conseil d’État propose de ne pas inclure « les actes qui méconnaissent l’obligation de refuser ou de retirer la subvention prévue aux deuxième et troisième alinéas de l’article 10-1 de la loi du 12 avril 2000 », au motif qu’ils ne sont pas de même gravité et que le nombre de parties susceptibles d’être en cause est important. Je ne suis absolument pas convaincu par cette argumentation. Cela alourdira une procédure dont il serait au contraire souhaitable qu’elle soit rapide.

Enfin, le Conseil d’État signale, à juste titre, que les collectivités territoriales ne sont pas les seules concernées et que les autorités compétentes de l’État doivent prendre les mesures propres à faire cesser sans délai d’éventuels manquements au sein de leurs propres services. Que pensez-vous du ciblage des seules collectivités territoriales dans l’article 2 ?

Mme la ministre. Le Conseil d’État a proposé de simplifier le dispositif en modifiant les dispositions existantes en matière de déféré-liberté, afin que le préfet puisse, sur cette base, assortir son recours d’une demande de suspension lorsque l’acte attaqué est de nature à porter gravement atteinte au principe de neutralité des services publics. Le délai laissé au juge administratif pour statuer est extrêmement court puisqu’il est de quarante-huit heures. Nous nous sommes alignés sur la position du Conseil d’État puisque la suspension peut être prononcée suffisamment vite pour éviter que ce type d’acte ne produise des effets. Cela nous a semblé raisonnable et assez clair pour les élus, qui connaissent déjà l’existence du déféré-liberté.

Les collectivités locales ne sont pas ciblées mais la Constitution confie aux préfets le contrôle du respect des lois. Si le contrôle de légalité concerne exclusivement les collectivités territoriales, les actes des autorités de l’État peuvent également faire l’objet de contentieux. Dès lors, pouvez-vous nous préciser ce qui vous gêne sur le fond ?

M. Francis Chouat. Les services de l’État agissent souvent au même niveau que les collectivités territoriales et sont confrontés aux mêmes difficultés. Le problème n’est pas celui du contrôle de légalité mais du champ d’application de cette disposition car l’État n’est pas infaillible.

Mme la ministre. Il faudra que nous en rediscutions.

M. Robin Reda. Madame la ministre, je souhaite, au nom du groupe Les Républicains, vous poser trois questions sur l’article 6.

Le contrat d’engagement républicain viendra-t-il, de façon systématique et obligatoire, en substitution des chartes proposées par des collectivités, voire des préfectures – c’est le cas de la préfecture de l’Essonne – et qui, souvent, sont afférentes au seul principe de laïcité ?

Deuxièmement, vous avez indiqué que les élus locaux seraient responsables de l’application des contrats d’engagement républicain. Seriez-vous favorable à la création d’un délit de clientélisme permettant de sanctionner un élu, un maire par exemple, qui déciderait de déroger à un tel contrat pour pouvoir verser des subventions ?

La troisième question porte sur l’absence de dispositions relatives au logement et à la mixité sociale. Vous êtes ministre de la cohésion des territoires ; il me semblait que le discours prononcé aux Mureaux par le Président de la République avait été très clair lorsqu’il associait les phénomènes de repli communautaire, de prosélytisme et d’affirmation identitaire à la ghettoïsation d’une partie de nos territoires. On ne peut que regretter que le projet de loi n’aille pas plus loin, dès maintenant, en proposant des dispositions relatives à la mixité sociale réelle. Une fois n’est pas coutume, je rejoins le constat dressé par mon collègue Alexis Corbière, même si je ne partage sans doute pas les solutions qui seraient proposées.

Mme la ministre. Je répondrai par l’affirmative à votre première question : le contrat d’engagement républicain remplacera toutes les chartes de l’État. Cela concerne donc le préfet.

Vous me demandez ensuite ce qu’il se passera si le maire ne respecte pas ce contrat. Le préfet pourra demander à la collectivité de s’expliquer et aura la possibilité de déférer. Cela peut même aller jusqu’au pénal si cela est nécessaire.

J’ai déjà répondu à votre question sur le logement, et je vous demande de soutenir la politique que nous mènerons au travers de la loi « 4D ». Je précise, pour lever toute ambiguïté, que ce cadre national n’interdira pas aux collectivités de poursuivre par ailleurs les politiques de subvention qui leur sont propres, avec des chartes locales, même si elles n’ont pas de valeur contraignante.

M. Philippe Vigier. Vous êtes, madame la ministre, chargée de la cohésion des territoires. Étant en première ligne avec les élus, vous savez parfaitement que le séparatisme que nous constatons tous exige une loi ambitieuse, rappelant que la République est fondée sur des principes, des valeurs, des symboles. La promesse républicaine doit être inscrite au fronton de cette loi, pour une raison majeure : le séparatisme prospère non seulement sur le terreau de la pauvreté, mais également dans d’autres domaines. Si je comprends que vous ne souhaitiez pas traiter de l’immigration ou du logement dans ce texte, la protection des principes républicains nécessite une véritable ambition concernant l’éducation, la laïcité et l’accès aux soins.

Pourquoi ne pas confier aux collectivités locales ou à des associations un fonds de développement de la République ? Celui-ci serait chargé d’expliquer à nos concitoyens qu’ils ont la chance d’appartenir à une communauté de destin, que le fait de vivre dans un pays qui leur apporte tant comporte des exigences et qu’ils doivent se comporter en adultes responsables. Cela pourrait se faire au travers de conventions d’objectifs et de moyens, avec des financements. La réserve parlementaire a été supprimée mais un tel outil à disposition des élus et des associations permettrait, comme cela a été fait pour la politique de la ville, d’aller beaucoup plus loin et d’expliquer qu’il faut se montrer plus exigeant face à la fragilisation de la République.

Ma seconde question, à laquelle j’associe ma collègue Perrine Goulet, porte sur l’instruction à la maison. Le système actuel, qui repose sur une déclaration, concerne près de 50 000 enfants. Vos services ont-ils examiné les conséquences que pourrait avoir le passage à un régime d’autorisation, notamment la possibilité que certains de ces enfants sortent du champ ?

Votre longue expérience d’élue locale imprègne tous vos propos. Je me permets d’ajouter un élément d’information : les meilleurs fichiers pour identifier les résidents dans une commune sont ceux de la sécurité sociale. Ils seront d’ailleurs utilisés pour les vaccinations. Au nom du groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, je vous invite à suivre ce chemin.

Mme la ministre. Il n’existe pas de budget consacré spécifiquement à la défense des valeurs républicaines. C’est une préoccupation que l’on retrouve dans toutes les politiques. L’objectif, quand on dédouble des classes maternelles et primaires dans les écoles en REP+, est de mieux éduquer les enfants et de soutenir les plus fragiles. Cette mission est fondamentale. Je crois beaucoup à la vertu de l’éducation et, même si ce n’est pas le débat, il me semble très important de développer certains enseignements dans les classes supérieures, notamment dans les programmes d’histoire.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de consacrer une ligne budgétaire ou un fonds à la défense des valeurs républicaines. C’est une démarche globale : développer la culture dans les territoires, comme le directeur de La Villette l’a fait avec les Micro-Folies, ou encore consacrer des montants importants à la politique de la ville, tout cela contribue à la lutte pour le respect des valeurs de la République.

Votre question sur l’école relève du ministère de l’éducation nationale. J’ai entendu votre suggestion de recourir aux fichiers de la sécurité sociale. La réflexion du ministre de l’éducation nationale aboutira, je l’espère du moins, à la constitution d’un tel fichier.

M. Christophe Euzet. Madame la ministre, je vous remercie pour vos explications si nourries qu’elles privent la moitié de mon intervention de toute portée. Je partage votre avis sur le fait que l’éducation, la sécurité globale et la justice de proximité sont des problématiques parallèles, qui doivent être traitées dans des véhicules législatifs distincts de celui que nous examinons.

Si le groupe Agir ensemble pense que la formation aux principes républicains aurait pu être davantage abordée dans le présent texte, la question du logement est à la marge de ce projet de loi et aurait probablement été considérée comme un cavalier législatif si elle y avait figuré. L’existence d’un volet logement dans la future loi « 4D » est de nature à nous rassurer.

En revanche, vous n’avez répondu que partiellement à notre seconde préoccupation, très technique. Je ne reviendrai pas sur le principe initial de substitution du préfet en cas de carence de la collectivité locale en matière de respect des principes républicains. La solution juridique qui a été trouvée est en effet globalement équilibrée : le préfet aura la possibilité de déférer les actes selon une procédure dite de carence républicaine, reposant sur la technique du déféré-liberté et sur la suspension prononcée par le juge. Toutefois, qu’en est-il des actes des collectivités territoriales qui ne font pas l’objet d’une procédure formelle ? Je pense notamment à la décision de retirer des ouvrages d’une bibliothèque, qui ne nécessite pas un acte formel. Le texte prévoit-il des mesures pour contrecarrer ce genre de dérives et éviter que certains élus ne cèdent à la tentation clientéliste ou à des pressions communautaires ?

Mme la ministre. Les agissements des élus qui ne prendraient pas la forme d’une délibération peuvent déjà faire l’objet d’un contrôle, dès lors que cela constitue une décision portant atteinte aux principes républicains, qu’elle soit exprimée par voie de presse, dans une émission de radio ou dans un discours de vœux. Le préfet peut déjà intervenir. Avec cette loi, nous allons le formaliser de façon plus évidente.

M. Charles de Courson. Madame la ministre, je souhaite vous poser, au nom du groupe Libertés et Territoires, cinq questions.

Commençons tout d’abord par l’article 21 : les maires doivent juridiquement contrôler que tous les enfants de 3 à 16 ans demeurant sur le territoire de leur commune respectent le principe d’instruction obligatoire. Mais ont-ils les moyens juridiques de ce contrôle ? Ne faudrait-il pas substituer au numéro INE (identifiant national unique) de l’Éducation nationale le numéro INSEE et autoriser le rapprochement avec les listings de la CAF ou les fichiers fiscaux ? Cela permettrait de vérifier si certains enfants ne relèvent d’aucune structure d’éducation obligatoire.

Ma deuxième question porte sur le contrat d’engagement républicain lié à l’attribution de subventions publiques prévu à l’article 6. Ne pensez-vous pas qu’il y a un vrai risque d’exclusion de certaines associations, notamment à caractère confessionnel, voire ethnique, dans le domaine social, culturel ou sportif ? Appliquer à une association de nature confessionnelle le principe de neutralité ou de laïcité pose problème. Or l’une de vos éminentes collègues ministres nous a expliqué que le contrat d’engagement républicain serait un document standard, applicable à tout le monde : il n’y aura pas d’adaptation aux spécificités des associations.

J’aurai ensuite trois questions concernant l’article 1er. En l’état actuel du texte, les collaborateurs bénévoles sont exclus du champ de cet article. Êtes-vous favorable à leur inclusion ?

Ne faudrait-il pas préciser dans la loi les exceptions à l’article 1er concernant l’enseignement sous contrat ou hors contrat et certains établissements de santé ?

Enfin, peut-on exclure les sociétés anonymes d’habitations à loyer modéré (HLM) du champ de l’article 1er et inclure les offices d’HLM ? Il y a une véritable incohérence concernant la politique du logement : soit on exclut tout le monde, soit on inclut tout le monde. On ne peut pas faire un système à géométrie variable.

Mme la ministre. J’ai déjà répondu à plusieurs reprises à la première question : je suis favorable à la constitution d’un fichier reposant sur toutes les sources que vous avez indiquées. Je n’en maîtrise pas les aspects techniques mais je suis favorable à cet objectif.

La deuxième question est très importante. L’exposé des motifs pour l’article 6 précise que « cet article n’a ni pour objet ni pour effet d’empêcher les associations d’inspiration confessionnelle d’obtenir et d’utiliser des subventions pour leurs activités d’intérêt général. Le contrat d’engagement républicain, dont le contenu est délimité par la loi, ne saurait étendre l’application du principe de laïcité au-delà de l’administration et des services publics ». La laïcité n’a pas pour but d’empêcher l’expression et la pratique des religions. La loi fixe les grands principes et un décret d’application viendra en préciser le contenu.

Votre troisième question, si je vous ai bien compris, concerne les accompagnateurs. Le principe de laïcité doit être respecté par les fonctionnaires et ceux qui concourent à l’exercice républicain. Je ne pense donc pas qu’il soit nécessaire d’étendre l’article 1er.

Concernant votre quatrième question, le texte est clair sur les champs qu’il couvre : s’il fallait lister tout ce qu’il ne couvre pas, il serait relativement long !

Enfin, dans votre cinquième question, vous me demandez de confirmer si les offices d’HLM figurent dans le périmètre de l’article 1er, mais pas les sociétés anonymes d’HLM. Je dois étudier ce sujet.

M. Charles de Courson. Prenez l’exemple de l’enseignement sous contrat ou hors contrat : ces établissements font partie du service public de l’enseignement mais la loi leur accorde un caractère propre. Tel qu’il est rédigé, l’article 1er est général. Le Conseil d’État indique qu’une loi existante admet déjà des restrictions pour l’enseignement hors contrat ou sous contrat et pour les établissements de santé privés d’intérêt collectif. Toutefois, cela n’est que son avis : ce n’est pas le Conseil d’État qui décide de la loi ! Ne faudrait-il pas l’écrire explicitement dans la loi pour qu’il n’y ait pas de discussions devant les juridictions en cas de contentieux ?

Mme la ministre. Le Conseil d’État admet le choix que nous avons fait mais recommande au Gouvernement d’améliorer et de préciser l’étude d’impact pour qu’elle explique plus concrètement ce champ d’application : c’est ce qui a été fait.

 

 

 

La séance est levée à vingt heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du lundi 11 janvier 2021 à 19 heures 30

Présents.  Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, Mme Anne-Christine Lang, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. Robin Reda, M. François de Rugy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet