Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Suite de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649 rect.) (M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre I du titre II, Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre I du titre Ier, M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier, Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier, Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier, Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier, M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV)              2

– Présences en réunion.................................41

 

 

 

 

 

 


Vendredi
22 janvier 2021

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2020-2021


Présidence de M. François de Rugy, président


  1 

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Vendredi 22 janvier 2021

La séance est ouverte à neuf heures dix.

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La commission spéciale poursuit l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649 rect.) (M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre I du titre II, Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre I du titre Ier, M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier, Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier, Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier, Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier, M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV).

M. le président François de Rugy. Nous reprenons nos travaux avec l’examen de l’article 21 qui, vous le savez, monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, suscite une forte mobilisation dans le pays et dans notre commission.

Je vous propose, chers collègues, d’entendre les représentants de chaque groupe et les non-inscrits, puis Mme la rapporteure, Anne Brugnera, et M. le ministre avant que ne soient présentés dans leur globalité les nombreux amendements de suppression qui ont été déposés. Nos débats seront ainsi bien organisés, comme nous en sommes convenus hier avec les représentants des groupes, tout en permettant l’expression du pluralisme, auquel je suis très attaché.

Chapitre V

Dispositions relatives à l’éducation et aux sports

Section 1 : Dispositions relatives à l’instruction en famille

Article 21 (art. L. 131-2, L. 131-5, L. 131-5-1 [nouveau] et L. 131-11 du code de l’éducation ; art. L. 552-4 du code de la sécurité sociale) : Encadrement des possibilités de recours à l’instruction en famille

La commission examine les amendements de suppression CS2 de M. Pierre Cordier, CS9 de Mme Anne-Laure Blin, CS53 de M. Fabien Di Filippo, CS87 de Mme Annie Genevard, CS105 de Mme Sandra Boëlle, CS121 de M. Philippe Gosselin, CS138 de M. Emmanuel Maquet, CS191 de M. Xavier Breton, CS207 de M. Philippe Meyer, CS215 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CS233 de M. Jean-Jacques Ferrara, CS239 de M. Yves Hemedinger, CS259 de M. Matthieu Orphelin, CS266 de M. Philippe Latombe, CS470 de M. Olivier Gaillard, CS483 de Mme Marine Le Pen, CS495 de M. David Lorion, CS514 de Mme Agnès Thill, CS704 de M. Charles de Courson, CS739 de M. Xavier Batut, CS749 de Mme Anne-France Brunet, CS792 de M. Julien Ravier, CS823 de Mme Emmanuelle Ménard, CS846 de Mme Delphine Bagarry, CS1235 de M. Benoît Potterie, CS1334 de M. Grégory Labille, CS1346 de Mme Frédérique Meunier, CS1372 de M. Jean-François Parigi, CS1411 de M. Max Mathiasin, CS1474 de Mme Béatrice Descamps, CS1501 de M. Cédric Villani, CS1571 de M. Mohamed Laqhila, CS1649 de Mme Cécile Untermaier, CS1666 de M. Paul-André Colombani et CS1702 de Mme Sonia Krimi.

Mme Anne-Laure Blin. Nous commençons en effet l’examen d’un chapitre relatif au versant éducatif du texte, monsieur le ministre, que vous avez conçu d’une manière très restrictive puisqu’il concerne seulement l’instruction en famille (IEF) et les écoles hors-contrat. Il est regrettable qu’il ne soit pas question de l’école publique, où le problème de l’islam radical se pose également, et que les amendements déposés par le groupe Les Républicains à ce sujet n’aient donc pas été retenus.

Cet article aborde donc un sujet sensible depuis que le Président de la République a prononcé un discours indiquant qu’il existait un lien étroit entre la radicalisation et le domaine éducatif et qu’il a ciblé l’instruction en famille. Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez déclaré au Sénat que ce mode d’instruction était suffisamment encadré et contrôlé pour résoudre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés mais, malheureusement, vous semblez avoir changé d’avis depuis les propos présidentiels, ce que nous ne pouvons que regretter.

Lors des auditions, auxquelles j’ai participé, Mme la rapporteure a entendu des parents, des enseignants, des chercheurs et je pense sincèrement que vous vous trompez de cible. L’instruction en famille repose sur ce principe fondamental, constitutionnel, qu’est la liberté d’instruire. L’instruction doit être laissée à l’appréciation des familles, qui doivent pouvoir jouer un rôle bien plus important que celui que vous voulez leur concéder. Ce sont elles, les premiers éducateurs des enfants ! Vous devez leur laisser la liberté de choisir le mode d’instruction qu’elles souhaitent : école publique, écoles privées, instruction en famille. Ne sacrifiez donc pas celles qui respectent les règles à celles qui ne les respectent pas !

Je partage votre objectif de lutte contre toutes les dérives mais l’instruction en famille en est exempte, à moins que vous disposiez d’éléments que nous ignorons.

M. Guillaume Vuilletet. Nous avons tous reçu des familles pour nous faire part de ce qu’elles vivent et de la façon dont leurs enfants s’épanouissent dans un système qu’elles ont conçu. Elles ne comprennent pas pourquoi, en raison des agissements d’une infime minorité, tout le monde devrait être touché par les dispositions qui seront prises. Nous avons tous tenu à leur répondre, tant à partir de notre engagement personnel qu’à partir des dispositions du texte.

Nous devons absolument maintenir que le cadre scolaire commun, laïque, est une bonne chose pour la société et permet aux enfants de s’épanouir, de faire l’apprentissage de la citoyenneté, d’acquérir les connaissances nécessaires. Il faut évidemment tenir compte des situations où cela n’est pas possible, où des enfants ont besoin d’un autre système, où des apprentissages nécessitent une autre organisation, mais nous ne devons pas non plus sombrer dans le déni : quelques milliers d’enfants, en particulier des filles, sont soustraits à la République dans une logique purement séparatiste. Ils doivent être repérés et sauvés.

Le groupe La République en marche soutient donc le système d’autorisation proposé par le Gouvernement, remplaçant celui de la déclaration. Je ne crois pas qu’il soit disproportionné par rapport à l’objectif que nous poursuivons car il contient un certain nombre de dispositions permettant de prendre en compte les situations particulières.

Nous allons débattre, ce système évoluera, mais nous souhaitons sauver ces quelques milliers de personnes et nous répèterons aussi sans cesse que l’instruction à l’école est une très bonne chose pour tous les enfants, comme pour la société.

Mme Géraldine Bannier. Le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés partage l’objectif du Gouvernement visant à mieux contrôler l’instruction en famille mais souhaite également que soit préservée la liberté de l’enseignement, consacrée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et le Conseil constitutionnel.

Il convient bien entendu de répondre aux situations problématiques – il y en a, il ne faut pas le nier – mais nous souhaitons aussi rassurer toutes les familles pour qui l’instruction en famille, souvent momentanée et qui répond à une situation particulière, demeure adaptée.

Le MODEM proposera donc des aménagements à cet article, sans vouloir le supprimer, et souhaite évidemment être entendu.

M. Boris Vallaud. Le groupe Socialistes et apparentés, moi-même, sommes attachés à l’école et, en particulier, à l’école publique. On peut regretter que le Serment de Vincennes n’ait pas été tenu, on peut être favorable à la scolarisation de tous les enfants et, en même temps, constater les remous que suscite votre proposition.

Comme beaucoup de collègues, j’ai été interpelé par des parents d’élèves qui se demandent en quoi ils contreviennent aux lois de la République alors qu’ils ont le sentiment de les respecter. Ils s’interrogent d’autant plus compte tenu de l’objectif poursuivi. La question de la proportionnalité, évidemment, se pose.

Pour essayer de comprendre, nous aurions aimé nous reporter à l’étude d’impact mais elle est indigente : aucun chiffre ne nous permet de prendre la mesure des choses, de connaître la répartition géographique des élèves en IEF, la structure de scolarisation des familles qui ont plusieurs enfants, etc.

De plus, nous aurions aimé que la question de la mixité sociale au sein des établissements scolaires soit posée. Nous avions déposé à ce propos des amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Pourtant, fin 2015, début 2016, ont été lancées plusieurs dizaines d’expérimentations dont il aurait été utile de débattre : lorsque, pour les plus jeunes, les promesses d’égalité de la République sont démenties, lorsque l’on n’a pas étudié ensemble, comment prétendre, plus tard, vivre ensemble ?

Nous écouterons vos réponses attentivement mais nous avons surtout le sentiment que nous discutons d’une loi d’injonction qui ne fera vivre aucune des promesses de la République.

M. Pierre-Yves Bournazel. Monsieur le ministre, vous incarnez fort bien le respect des principes de la République, en ce qui concerne tant l’égalité des chances que la laïcité. Rappelons tout de même la réforme la plus importante de ce quinquennat : le dédoublement des classes en zone d’éducation prioritaire et en zone d’éducation prioritaire renforcée, qui permet de donner plus à ceux qui, au départ, ont un moindre capital social et culturel. À cela s’ajoute le renforcement de la formation des enseignants et des agents de l’éducation nationale à la laïcité.

Nous allons parler de l’autorisation de l’instruction des enfants en famille, pas de son interdiction ! Il n’est pas question de revenir sur cette liberté. Le groupe Agir ensemble est attaché aux libertés, mais toute liberté doit être encadrée pour être protégée et, en l’occurrence, il convient de distinguer les familles qui respectent les principes de la République et celles qui choisissent de contourner le droit : nous savons que des enfants sont soustraits à l’école par des familles qui haïssent les principes de la République et qui veulent les séparer d’elle et de notre nation. Nous envisagerons ce débat dans ce cadre, de manière constructive.

M. Stéphane Peu. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera cet article, dont il se félicite de la rédaction finale.

Nous considérons que ce n’est pas l’instruction qui devrait être obligatoire mais l’école avec, le cas échéant, des dérogations. L’école, creuset d’intégration, lieu de socialisation, est en effet la clé de voûte de l’édifice républicain.

M. Bournazel vient de le dire, cet article n’interdit pas l’instruction en famille. Comme tous les collègues, j’ai été sollicité par des administrés : s’ils ont été d’abord inquiets, ils comprennent maintenant que, simplement, un meilleur contrôle sera appliqué, ce qui conviendra très bien à ceux qui respectent les lois et qui ne conviendra pas à ceux qui les enfreignent en soustrayant leurs enfants à la République.

Je suis l’élu d’une circonscription où, dans certaines écoles publiques, un quart seulement des élèves est scolarisé, avec tous les problèmes que cela pose en termes de mixité sociale. Je regrette que ce texte ne traite pas de cette question, alors qu’elle est indissociable de celles de la laïcité et de la République.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, je vous plains, parce que vous êtes chargé d’appliquer une décision du Président de la République formulée dans son discours des Mureaux : « L’instruction à l’école sera rendue obligatoire (…) et l’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment, aux impératifs de santé. »

L’étude d’impact établit un faux diagnostic. Les deux cas qui se sont posés en Seine-Saint-Denis ont été résolus dans le cadre de la loi existante ; par ailleurs, si 10 % des enfants en IEF présentent des lacunes majeures, qu’en est-il dans les autres modalités d’enseignement ? La forte croissance de l’instruction en famille, selon l’étude d’impact, « rend les conditions de contrôle de plus en plus complexes compte tenu des moyens disponibles et de l’expertise nécessaire. » Précisément, c'est l’insuffisance des moyens qui est problématique !

De plus, seuls sept pays de l’Union européenne ont pris des mesures analogues. Je vous invite à ne pas faire valoir le cas allemand : c’est le régime nazi qui, en 1938, a supprimé l’instruction en famille, considérant que l’État devait éduquer tous les enfants !

Par ailleurs, l’article 21 est-il constitutionnel ? En l’état, non. Comment interdire à des familles le recours à l’IEF pour des motifs politiques, philosophiques ou religieux ? C’est inacceptable dans un pays libre, or, c’est ce que propose votre texte !

Vous rendez-vous compte où nous allons, avec le remplacement d’un système de déclaration par un système d’autorisation ? Vers une atteinte fondamentale à la liberté d’enseignement ! Celle-ci, de plus, est un bloc : pourquoi les établissements sous contrat ou hors contrat ne sont-ils pas soumis à ce système ?

Cet article n’est ni fait ni à faire. L’augmentation du nombre de familles recourant à l’IEF traduit un malaise, et c’est ce problème qu’il convient de résoudre.

M. Grégory Labille. En France comme dans de nombreux pays, c’est l’instruction qui est obligatoire et pas l’école. L’instruction en famille constitue l’une des modalités de l’expression de la liberté d’enseignement reconnue comme principe à valeur constitutionnelle.

Instruire ses enfants en famille est un choix exigeant, minoritaire et très mal connu. Ce mode d’enseignement est, de plus, très encadré par le code de l’éducation : tous les deux ans, les familles sont contrôlées par la mairie et tous les ans, par les services de l’éducation nationale.

En juin 2020, vous avez rappelé, monsieur le ministre, que la liberté d’instruction est l’un des fondements de la Constitution et que l’on ne peut qu’appliquer les règles établies par la loi de 2019. Sur le plan juridique, avez-vous déclaré, « je pense que nous sommes parvenus à un bon équilibre ».

Les familles qui pratiquent l’IEF nous regardent et sont très inquiètes : elles ne comprennent pas ce débat, alors qu’hier encore nous évoquions les certificats de virginité, la neutralité et la laïcité dans les services publics, les fichiers concernant les auteurs d’infractions terroristes, la lutte contre la polygamie. Que fait donc l’IEF dans ce projet de loi ?

Environ quarante amendements de suppression cosignés par plus de cent-soixante députés – dont quelques-uns de la majorité – ont été déposés. Selon le groupe UDI et Indépendants, la liberté d’enseignement doit demeurer telle qu’elle est définie et pratiquée.

M. Éric Coquerel. J’ai dit hier que nombre d’articles de ce texte visent à s’en prendre, en fait, à une seule pratique religieuse, ce que le rapporteur a démenti. Je rappelle donc l’exposé des motifs de la loi, selon lesquels « un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. » Tout y est !

Le Gouvernement se prend encore une fois les pieds dans le tapis faute de s’être soucié des chiffres. Il soulève une question, pour lui, explosive alors que, selon M. Castex, sur les 62 500 enfants relevant de l’IEF, la question de l’intégrisme religieux se pose pour seulement 5 000 d’entre eux. Si j’en crois Le Canard enchaîné, le ministère de l’intérieur a expliqué ne pas savoir d’où provenaient ces chiffres… Nous légiférons donc à l’aveugle !

Par ailleurs, les parents qui réagissent le plus sont ceux qui estiment que leurs enfants ne doivent pas fréquenter l’école pour des motifs de liberté pédagogique ou des raisons philosophique personnelles.

La suppression de l’instruction en famille ne pose aucun problème au groupe La France insoumise car nous considérons que l’école est la matrice de la formation des citoyens, de leur émancipation, et qu’elle apporte ce que l’enfant ne saurait trouver au sein de sa famille. Cet article n’en reste pas moins déloyal car il n’est pas possible de traiter le problème sous ce seul rapport : il faudrait également qu’un article donne les moyens à l’école publique d’accueillir ces enfants, ce qui est loin d’être le cas.

Il convient également d’évoquer le problème des contrôles, qui n’ont pas lieu faute de personnels – nous proposerons un amendement permettant au Délégué départemental de l’éducation nationale (DDEN) d’y prendre part. N’est pas non plus abordé le cas, pourtant beaucoup plus répandu, des enfants privés d’école pour des raisons sociales : 100 000, selon la Défenseure des enfants. Cet article devrait être intégré dans une loi plus vaste qui donnerait à l’école publique tout son sens, tous les moyens nécessaires à son bon fonctionnement, et qui convaincrait ainsi les parents de scolariser à nouveau leurs enfants.

Mme Marine Le Pen. Nos libertés constitutionnelles sont en péril.

On ne peut indéfiniment rogner nos libertés, sauf à accorder d’incroyables victoires aux minorités antinationales et antirépublicaines. Le Conseil d’État vous en fait d’ailleurs le reproche en jugeant que vous cherchez à appliquer à tous des décisions alors que « les risques » que ces décisions « ont pour objet de prévenir ne concernent que les agissements d’une faible minorité. »

De même, la loi « Avia » restreint notre liberté d’expression à cause d’une minorité agissante haineuse, et notre liberté de manifestation se réduit à cause d’une minorité violente perturbant les manifestations ! Jusqu’à quand nos grandes libertés constitutionnelles seront-elles rognées au motif que des minorités refusent de se soumettre à la Constitution et aux lois ?

Je suis convaincue que, tous ensemble, nous pouvons trouver les moyens de renforcer les contrôles sans attenter à ces libertés constitutionnelles, pourquoi pas en renforçant les dispositions de l’article R. 131-3 du code de l’éducation nationale visant à lutter contre la déscolarisation ?

Contrairement à ce que disent certains, il n’est pas seulement question ici d’une autorisation préalable mais d’une autorisation qui ne sera accordée que pour des raisons médicales ou pour des enfants engagés dans un parcours d’excellence sportive ou artistique.

Oublions donc la communication politique et attachons-nous à préserver pour l’ensemble des Français un droit fondamental des familles : celui de choisir l’instruction à donner à leurs enfants, avec tous les contrôles qui s’imposent afin que certains ne profitent pas d’un « trou de souris » pour nourrir le séparatisme, lequel est également à l’œuvre au sein de l’éducation nationale, probablement bien plus que dans l’IEF !

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Je ferai une réponse générale aux amendements de suppression et aux amendements visant à réécrire cet article, à supprimer des alinéas ou à revenir sur l’autorisation.

Cet article 21 me paraît essentiel dès lors qu’il vise en premier lieu à garantir l’intérêt supérieur de l’enfant qui, dans la très grande majorité des cas, consiste à se rendre à l’école afin d’être socialisé, à accéder à la mixité sociale et à l’égalité des chances, à partager les valeurs de la République.

Notre République laïque française s’est construite avec l’école, une école à qui nous confions nos enfants pour qu’ils accèdent au savoir mais, aussi, pour qu’ils se construisent et partagent le socle de ces valeurs communes que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la dignité, la justice, la solidarité, le respect de la personne, l’égalité des femmes et des hommes, la tolérance et le rejet de toute forme de discrimination, cela même qui constitue l’éducation morale et civique.

À l’école, les enfants découvrent une sphère publique et collective, apprennent l’altérité, la différence et le respect. Ingénieure agronome, j’aime à dire que l’école est le biotope des enfants. Les conséquences délétères de l’épidémie de covid-19 et du confinement qu’elle a entraîné ont d’ailleurs montré à quel point la scolarisation est cruciale.

Selon la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, « la non-fréquentation des établissements porte gravement préjudice aux élèves les plus en difficulté, qu’il s’agisse de difficultés scolaires, sociales, psychologiques, ainsi qu’aux élèves en situation de handicap. »

C’est pourquoi, après de nombreuses auditions, je maintiens que l’instruction en famille doit rester une possibilité dérogatoire et encadrée afin de garantir qu’elle ne s’effectue que dans l’intérêt supérieur de l’enfant et, surtout, qu’elle ne soit pas dévoyée de son objectif premier.

J’ai relu les commentaires d’un maître de conférences en sciences de l’éducation à propos des lois Ferry de 1881 et 1882 définissant le rôle de l’État, de la famille et de la religion dans l’éducation : l’État a instauré l’instruction primaire obligatoire et gratuite dans les écoles publiques ou libres en même temps qu’il autorisait explicitement le mode d’instruction au sein de la famille mais en le contrôlant à travers des examens. Selon ce spécialiste, l’instruction en famille se définit dès l’origine comme une forme de « liberté contrôlée ». Hier comme aujourd’hui, il s’agit de garantir le droit à l’éducation de l’enfant qu’il convient, selon lui, de prémunir contre le risque de l’ignorance. Il conclut ainsi ses propos de 2014 : « Comme l’affirmait avec force Ferdinand Buisson en 1913, ainsi même, dans ce cas extrême de l’enseignement familial, on ne saurait parler d’absolue liberté d’enseignement. »

Si, la plupart du temps, l’instruction en famille se déroule dans de bonnes conditions, cela peut également ne pas être le cas lorsqu’il n’est pas tenu compte de l’intérêt ni des droits de l’enfant, notamment, du droit à l’éducation. De telles situations peuvent sembler marginales mais si, hors le cadre réglementé du Centre national d’enseignement à distance (CNED), seuls 3 000 enfants étaient concernés il y a une quinzaine d’années, ils étaient près de 45 600 à la rentrée scolaire 2020.

Les détournements et les dérives de l’instruction en famille, même minoritaires, ne peuvent pas être considérés comme insignifiants et appellent une réaction des pouvoirs publics et du législateur. Dans certains cas, ils traduisent une forme de rejet de l’école, une forme de séparatisme qui doivent également nous alerter.

Parmi ces dérives, plus encore que les lacunes de l’enseignement nous préoccupent celles qui portent atteinte à l’intégrité morale et physique des enfants. Nous avons auditionné la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), selon laquelle l’instruction en famille peut s’inscrire dans des projets néfastes de société fermée où sont utilisées des techniques psychologisantes pouvant entraîner un enfermement de l’enfant et un embrigadement des consciences.

Le lien entre instruction en famille et séparatisme est difficile à mesurer mais il existe. Plusieurs contrôles pédagogiques ont conduit des inspecteurs à transmettre des signalements aux cellules de prévention de la radicalisation motivés par des comportements inadaptés de parents ou d’enfants. La moitié des enfants qui ont été identifiés après le démantèlement d’écoles clandestines étaient officiellement déclarés comme étant instruits en famille.

L’enquête de mairie, tous les deux ans, et les contrôles annuels de l’autorité pédagogique ne suffisent pas. Les inspecteurs de l’éducation nationale, dont le travail est précieux, sont chargés de vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction et à l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. De plus, ces contrôles se déroulent après que l’IEF a été engagée et deux contrôles portant un jugement d’insuffisance sont nécessaires pour mettre en demeure les parents de scolariser à nouveau leur enfant.

C’est pourquoi il est nécessaire de mieux encadrer l’instruction en famille. Il ne s’agit pas de la supprimer mais de la préserver, car elle est une solution pour certains enfants, à un moment de leur parcours ou pour une durée plus longue. Pour garantir qu’elle se déroule dans de bonnes conditions et qu’elle est motivée par l’intérêt supérieur de l’enfant, l’article 21 prévoit une autorisation préalable. Cet encadrement permettra de vérifier les motifs invoqués par les personnes responsables de l’enfant, notamment leur capacité à assurer l’instruction et leur disponibilité. Le recours à l’instruction en famille ne doit être choisi que pour répondre aux besoins spécifiques de l’enfant. La liste retenue me paraît satisfaisante, même si le quatrième motif pourrait être clarifié.

J’en viens aux arguments juridiques qui ont été invoqués. Le dispositif retenu est juridiquement solide, tant au regard du droit français que du droit international. Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur la question de savoir si le droit de pratiquer l’instruction en famille était une composante essentielle ou une modalité secondaire de notre socle constitutionnel. À ce jour, seules ont été retenues comme des composantes essentielles du principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement, l’existence de l’enseignement privé, le respect dû au caractère propre des établissements privés et l’octroi à leur profit de financements publics.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé, en 2006, que ni l’article 2 du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni les articles 28 et 29 de la convention relative aux droits de l’enfant ne s’opposent à ce qu’un État partie impose la scolarisation, cela relevant de sa marge d’appréciation. En 2019, elle est allée plus loin, en considérant que le placement des enfants en foyer dans le cas où les parents refuseraient de respecter l’obligation de scolarisation est acceptable.

Enfin, vous le savez, d’autres États interdisent ou restreignent l’instruction en famille plus strictement que nous proposons de le faire à l’article 21, sans que cela ait créé de difficultés vis-à-vis de l’Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour toutes ces raisons, je donnerai un avis défavorable aux amendements de suppression.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Ce débat est essentiel car il touche à la liberté de l’enseignement et à son évolution. La loi soumise à votre examen – qui est une loi de liberté – permettra de la préciser, donc de la renforcer.

Il y a, dans notre société, des facteurs qui unissent, et d’autres qui fragmentent. Cette loi vise à la mobilisation républicaine, dans une logique d’unité. L’école de la République est le facteur d’unité par excellence. L’école, c’est ce qui, dès la petite enfance, permet la transmission de savoirs et de valeurs, c’est ce qui cultive la différence et permet l’épanouissement.

Ce texte est non seulement une loi de défense de la République mais aussi de défense des droits de l’enfant. Ce qui se joue derrière tout ce que nous allons dire, au-delà des arguments de droit subjectifs qui seront invoqués, ce sont les droits de l’enfant, qui présentent un caractère objectif. Le premier des droits de l’enfant est d’être préservé de pressions qui l’empêchent de se développer et de faire usage de sa liberté. Cela renvoie à des enjeux philosophiques qu’il ne faut pas négliger. Beaucoup d’entre vous ont manié le concept de liberté ; or, la première des libertés de l’homme, c’est d’interagir avec ses semblables. Sans cette liberté, un enfant devient sauvage : c’est une réalité anthropologique. Pour reprendre le mot d’Aristote, l’homme est « l’animal social » par excellence. L’école est ce qui lui permet de se réaliser. Elle complète le cadre d’épanouissement majeur que constitue la famille, même si celui-ci n’est pas toujours parfait. La société doit savoir regarder ces réalités. Elle sait intervenir en présence de violences intrafamiliales.

Un droit absolu ne saurait exister en ces matières, sous peine de heurter d’autres droits, en l’occurrence le droit de l’enfant d’être protégé ainsi que notre désir que la société soit unie et non fragmentée. La radicalité, qu’elle provienne de l’islamisme fondamentaliste, de manifestations sectaires ou d’autres tendances, contribue à fragmenter notre société, mais cette division peut aussi être le fruit de l’individualisme exacerbé.

La loi soumise à votre examen est une loi d’équilibre et de liberté, ce qui explique qu’on fasse souvent référence à la loi de 1905, qui présente les mêmes caractéristiques. Pourtant, cette dernière a souvent été critiquée, à l’époque, voire ultérieurement, comme étant une loi déséquilibrée et liberticide. La situation actuelle n’est donc pas nouvelle. On peut aussi se référer, comme l’a fait la rapporteure, à l’œuvre législative de 1881 et 1882. Les débats de l’époque influent sur le jugement que l’on peut porter sur la constitutionnalité de la disposition proposée. Je ne doute pas que le juge constitutionnel, comme le juge administratif, s’y reporteront. À l’époque, l’instruction en famille n’était absolument pas envisagée comme un droit absolu, tant s’en faut. Lorsque l’instruction est devenue obligatoire en France, l’instruction à domicile a été perçue comme un phénomène devant être accepté, d’un point de vue sociologique, mais non comme un élément consubstantiel au nouveau régime juridique. Elle avait d’ailleurs vocation à être provisoire. Un système de contrôle fut institué. À l’époque, les monarchistes et la gauche républicaine s’accordaient à reconnaître que cela permettrait surtout de maintenir le préceptorat, alors très répandu dans les familles aristocratiques. L’instruction en famille n’était absolument pas vue comme une liberté consubstantielle à la République, que toutes les familles pourraient exercer.

La liberté d’enseignement s’est construite étape par étape – nous en franchissons une nouvelle aujourd’hui. Dans une décision de 1977, le juge constitutionnel a reconnu cette liberté en se fondant notamment sur une loi de finances de 1931. Depuis lors, la jurisprudence en a défini les contours, parallèlement à la loi. Ce qui se joue au travers de nos débats, non seulement sur l’article 21, mais sur d’autres sujets, c’est la capacité à préciser une liberté. Si nous ne le faisions pas, cela pourrait conduire à des déséquilibres, comme la pratique nous le montre.

La définition de la liberté d’enseignement s’inscrit dans le cadre d’une vision globale. J’ai souvent entendu la critique selon laquelle nous aurions une approche partielle – et partiale – des enjeux, au motif que nous ne traiterions qu’un sujet, celui de l’instruction en famille. Il est évident, pour quiconque étudie la question, que c’est faux. Il serait souhaitable qu’on ne répète pas cet argument à l’envi alors que son inexactitude a été démontrée. Il ne s’agit pas, faut-il le rappeler, de notre première initiative en la matière. La loi Gatel a considérablement amélioré l’encadrement des écoles hors contrat. En 2017, il était plus facile d’ouvrir une école qu’un bar ; en 2022, nous aurons encadré l’ouverture – grâce à la loi Gatel – et la fermeture – grâce au texte en discussion – de ces établissements.

Il est également faux de dire que nous ne portons pas la même attention à l’école publique. Nous avons pris de multiples mesures en sa faveur, parmi lesquelles je citerai l’institution du conseil des sages de la laïcité et la création des équipes « valeurs de la laïcité » – tous les sujets, en la matière, ne sont pas de niveau législatif. J’ai été le premier à dire que le problème dont nous débattons concernait tant l’école publique que l’école privée, sous contrat comme hors contrat.

Le projet de loi en discussion a vocation à compléter les réponses qui ont été apportées à quatre enjeux.

Le premier est l’éducation de l’ensemble des enfants présents sur le territoire, ce qui pose la question des enfants non scolarisés. Il faut que tout enfant, sur le territoire de la République, aille à l’école.

Le deuxième est la création des écoles hors contrat, objet de la loi Gatel. Le projet de loi n’a pas vocation à aller plus loin en la matière.

Le troisième est la fermeture des écoles hors contrat, que le projet de loi traite de très près, et qui est aussi important que l’instruction en famille, cette dernière question ne devant pas l’occulter.

Le quatrième enjeu est, précisément, l’instruction en famille. Nous manquerions complètement les objectifs que nous nous fixons si nous faisions semblant de ne pas voir ce qui se passe. Il faut regarder en face ce phénomène de société, qui ne concerne pas tous les enfants dont l’instruction est assurée en famille. C’est pourquoi l’article 21, qu’il ne faut pas caricaturer, prévoit des exceptions assez larges.

Les confinements pratiqués dans le monde entier peuvent conduire à la déscolarisation, ce qui n’est pas sans lien avec l’article en discussion. La crise pandémique est susceptible de conduire à une catastrophe pour l’école, à l’échelle mondiale, et de faire régresser l’humanité. Au long du vingtième siècle, les enfants ont été de plus en plus nombreux à aller à l’école ; un recul serait dramatique.

Malgré le contexte, la France n’a pas eu plus de décrocheurs en 2020 qu’au cours des années précédentes ; tout au contraire, elle a continué à progresser sur ce sujet, ce qui n’allait pas de soi. En ce début d’année 2021, le fait que les enfants aillent à l’école demeure un enjeu majeur. Je répète souvent que l’école, c’est bon pour les enfants. Ce n’est pas un facteur marginal, une variable d’ajustement, mais quelque chose d’essentiel pour le développement de tous les enfants. L’instruction en dehors de l’école doit demeurer l’exception. Il est normal, à ce titre, d’instituer un régime d’autorisation, de manière ouverte et pragmatique. Nous avons été très ouverts et très pragmatiques en amont de nos discussions. Nous avons été à l’écoute de la société, nous avons eu un dialogue avec le Conseil d’État avant d’en débattre avec vous. Nous nous présentons devant vous au terme de ce cheminement, après avoir pris en compte plusieurs objections. C’est pourquoi il me semble que nous sommes parvenus à un article équilibré, qui est moins restrictif que les dispositions existantes dans des pays qui ont été cités.

Monsieur de Courson, vous avez été un peu loin en faisant référence à l’Allemagne nazie. Je vous invite à dire cela en Allemagne aujourd’hui.

M. Charles de Courson. C’est un fait historique !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pensez-vous vraiment que les Allemands pensent s’inscrire, avec cette disposition profondément ancrée dans leur droit, dans la continuité du régime nazi ? La réponse est évidemment non. De la même façon que leur droit interdit les partis extrémistes, dans un objectif de défense de la République, ils ont vu dans l’instruction en famille un risque d’embrigadement dès la petite enfance.

Par ailleurs, la Suède, l’Espagne et d’autres pays sont allés beaucoup plus loin que ce que nous proposons, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

Défendre une conception sans limites de l’instruction en famille…

M. Charles de Courson. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. …n’est pas raisonnable tant du point de vue de l’histoire que de celui des réalités sociales actuelles. En revanche, il serait intéressant de parvenir à définir et encadrer l’instruction en famille, qui constituait jusqu’à présent un angle mort de notre droit, de même que, pour les écoles hors contrat, nous connaissions un régime très peu défini. Le travail qui vous est présenté marque une nouvelle étape dans l’histoire de la liberté d’enseignement, qu’elle contribuera à consolider et qui, à ce titre, dépasse le cadre de l’instruction en famille. Lorsqu’elle sera justifiée, l’instruction en famille se trouvera renforcée par la loi ; dans le cas contraire, elle ne sera plus possible. De la même façon, une distinction sera faite entre les écoles hors contrat, selon qu’elles respectent ou non les lois de la République, au travers de la loi Gatel comme du présent projet de loi.

Par définition, une liberté ne peut jamais être absolue, car elle doit être conciliée avec d’autres libertés. La liberté d’enseignement sera renforcée par son explicitation et son cadrage. Comme l’a précisé le Conseil constitutionnel, cette liberté concerne surtout le choix de l’institution à laquelle on confie ses enfants, mais elle se traduit aussi par la liberté d’établissement, qui est encadrée par le projet de loi, y compris sur la question du financement.

On peut additionner les requêtes individuelles, défendre des subjectivités, mais cela place certains d’entre vous devant des contradictions, par exemple quand vous affirmez votre attachement à l’école publique. Monsieur Peu, comme je l’ai dit à Mme Buffet, vous avez tenu un discours très cohérent, même si on peut être en désaccord sur tel ou tel point. Si nous voulons avancer, il est important d’être cohérent, d’avoir une vision complète de ce qu’est la République et la liberté, sans se contenter d’additionner des attentes.

Nous sommes ouverts à des évolutions, tout en restant très fermes sur le but fixé par le Président de la République dans son discours des Mureaux : faire progresser l’école et, ce faisant, la République.

M. le président François de Rugy. Je donne la parole à un député par groupe pour répondre à la rapporteure et au ministre.

M. Julien Ravier. Vous souhaitez conforter les principes républicains mais, pour atteindre cet objectif, vous encadrez et restreignez nos droits et nos libertés, provoquant ainsi des dommages collatéraux. L’article 21 a suscité l’émoi de beaucoup de familles qui pratiquent l’IEF, dont le nombre s’élève à environ 50 000. Elles se sont senties stigmatisées – à tort, je crois, puisqu’à aucun moment, ni dans les auditions, ni dans l’étude d’impact, le lien n’a pu être fait entre l’instruction en famille et la radicalisation et le séparatisme. Nous sommes en train de légiférer sur un faux problème – ou, en tout cas, un problème potentiel. En tant qu’élus responsables, devons-nous anticiper le fait que l’IEF pourrait devenir, demain, un foyer de radicalisation ? En tout état de cause, les éléments de preuve sont aujourd’hui insuffisants pour que l’on s’en prenne à une liberté de l’instruction qui, à mes yeux, revêt un caractère constitutionnel.

Vous vous y attaquez injustement, en passant d’un régime de déclaration, où la liberté est la règle, à un régime d’autorisation, dans lequel quatre motifs pourront être invoqués. Il en manque un cinquième : la conviction pédagogique et religieuse des parents. Ce n’est pas parce que nous sommes confrontés au séparatisme, en particulier islamiste, que nous devons empêcher des familles, qui pratiquent très correctement l’instruction en leur sein, de continuer à le faire pour des raisons tenant à leurs convictions religieuses ou pédagogiques. Nous avons été nombreux, au sein du groupe Les Républicains, à proposer des amendements de suppression, parce que nous pensons que vous vous trompez de cible et que vous créez des dommages indirects. La loi prévoit aujourd’hui des contrôles qui, lorsqu’ils sont correctement réalisés, empêchent de contrevenir à l’intérêt de l’enfant, pour reprendre votre argument. Nous aurons des amendements de repli pour rester dans un régime de déclaration renforcé et améliorer le contrôle.

Mme Anne-Christine Lang. Nous assistons à une très forte augmentation de l’instruction à domicile, qui n’est plus un phénomène marginal, comme il y a quelques années. On constate, de manière de plus en plus fréquente, une forme de rejet de l’école, du creuset républicain, au nom d’un communautarisme, d’un consumérisme, d’un entre soi, d’un individualisme qui nous inquiètent. Certes, les parents sont libres d’instruire leurs enfants à domicile, et cet article préserve cette liberté constitutionnelle. Mais, au-delà de ce qui est possible, il y a ce qui est souhaitable. Pour la société tout entière, il est souhaitable que les enfants aillent à l’école. Nous assumons, par cet article, notre volonté d’encadrer l’IEF et de convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école.

Je crois effectivement que l’école, c’est bon pour les enfants : je le dis au nom des droits de l’enfant, du droit à l’école, du « droit à une deuxième vie », pour reprendre l’expression d’Henri Pena-Ruiz. L’enfant a le droit de sortir du huis-clos familial et du seul regard de ses parents. Il a besoin d’être confronté à d’autres règles imposées par la vie en collectivité. À l’époque de Jules Ferry, déjà, certains considéraient que l’enfant appartient à la famille et se méfiaient de l’État, craignant l’endoctrinement laïc et républicain. Il faut le redire : l’enfant n’appartient à personne. Il faut entendre ces parents qui, avec la meilleure volonté du monde, décident de scolariser leurs enfants à domicile. L’école doit leur tendre la main et être toujours plus inclusive, plus bienveillante, plus ouverte : c’est le sens des amendements que je présenterai, dans l’intérêt de l’enfant.

M. Philippe Vigier. Pour nous, l’enfant est au cœur de tous les projets. Si la liberté constitutionnelle d’instruction – à laquelle je suis personnellement attaché – est préservée, la rédaction de l’article 21 peut toutefois paraître un peu restrictive, comme l’illustre le début de l’alinéa 8 : « L’autorisation mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée que pour les motifs suivants […] ».

Par ailleurs, nous appelons de nos vœux une modification de la rédaction de l’alinéa 12. Mieux vaudrait, à mon sens, parler de « situation propre à l’enfant qui motive un projet éducatif ». En effet, il arrive que des parents arrêtent leur activité professionnelle pour développer un projet éducatif. Il me paraît essentiel qu’on soit capable d’évoluer sur ce point.

Le concept d’autorisation ne me choque pas, même si on aurait préféré un système combinant la déclaration et l’autorisation. En effet, on peut craindre les lenteurs administratives, les tracasseries. On sait que les contrôles ne sont pas réalisés partout de la même façon. Nous avons besoin de garanties de votre part.

Monsieur le ministre, vous avez développé l’enseignement à distance dans le contexte du covid. Nous souhaiterions que les familles ayant fait le choix – que nous respectons – de pratiquer l’instruction en leur sein puissent bénéficier de ce dispositif.

Comme vous l’avez dit, l’école est le lieu de la socialisation. Les enfants qui ont la chance d’être instruits en famille devraient pouvoir côtoyer d’autres enfants. Ce pourrait être un moment fort du projet pédagogique.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je regrette l’approche totalement idéologique qui est faite du sujet. Ne nous faites pas le coup de la politique de l’autruche, en particulier pas à moi, député de la Seine-Saint-Denis. Personne ne nie l’existence de ce problème, dont on sait, bien qu’il ne soit pas documenté, qu’il prend de l’ampleur. Cela étant, il doit concerner moins de 10 % des enfants scolarisés en famille.

À vous écouter, monsieur le ministre, madame la rapporteure, on pourrait croire que seul l’État sait ce qui est bon pour l’enfant et ce qu’il doit devenir. L’État confère des droits à l’enfant mais ne sait pas ce qui est bon pour lui en toutes circonstances. On se demande ce que sont devenues les générations d’enfants qui ont reçu l’instruction en famille : des attardés, des reclus, des enfants sauvages ? Je ne le crois pas.

Cette approche idéologique vous conduit d’ailleurs à instituer un régime d’autorisation plutôt qu’à rendre effectif le contrôle. Il n’y a pas qu’une seule façon d’atteindre un objectif, en l’occurrence d’éviter que des gens arrachent leurs enfants à leur avenir, à la société, même si l’école est sans doute la meilleure solution pour le plus grand nombre. Les lois Ferry ont affirmé un droit – aller à l’école – et un devoir – pourvoir à l’instruction des enfants. Pour votre part, vous voulez qu’aller à l’école devienne un devoir.

L’instruction au sein de l’école publique ou de l’école privée, sous contrat et hors contrat est, selon vous, un droit essentiel, une liberté consubstantielle à la République, mais ce ne serait plus le cas de l’instruction en famille. Pour quelle raison ? La seule différence entre ces formes d’instruction tient à l’incapacité de l’éducation nationale à vérifier ce que les familles apportent à l’enfant.

Pour garantir une liberté, encore faut-il la rendre effective, lui donner les moyens d’exister. Or, vous refusez, comme vos prédécesseurs, de créer des postes dans les écoles privées, ce qui prive parfois les familles d’un choix. Que feront-elles si elles ne souhaitent pas inscrire leurs enfants à l’école publique, alors qu’elles ne pourront plus les instruire en famille ?

Pour que cette liberté soit effective, il faudrait aussi pouvoir s’adapter aux enfants différents. En Seine-Saint-Denis, dans quelle école publique scolariser un enfant précoce ? Il n’y a qu’à Paris qu’on trouve des places, ce qui est difficilement envisageable pour une femme élevant seule ses enfants.

Il faudrait que l’école publique soit exemplaire en termes de mixité sociale. De mémoire, 8 % des enfants d’ouvriers deviennent cadres, alors qu’ils étaient 40 % il y a cinquante ans. Certaines familles veulent donner plus de chances à leurs enfants même si, il est vrai, l’instruction en famille concerne majoritairement les milieux sociaux favorisés.

Enfin, je n’ai pas entendu un seul argument expliquant en quoi le contrôle a posteriori renforcé, que je proposerai, serait moins souhaitable que l’autorisation préalable. On peut se demander sur quoi celle-ci se fondera, si ce n’est sur l’appréciation a priori de la famille, sans savoir ce qu’elle fera réellement.

M. Charles de Courson. Je répondrai sur quatre points. Premièrement, sur le plan juridique, il est vrai que le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’IEF. En revanche, le Conseil d’État a considéré, dans sa décision du 19 juillet 2017, que « le principe de la liberté d’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir pour leurs enfants des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille. » Comme vous le savez, nous irons jusqu’au Conseil constitutionnel. Soyez donc très prudents, car le Conseil d’État affirme, à l’alinéa 61 de son avis, que cela pose un grave problème constitutionnel.

Deuxièmement, l’encadrement de la liberté conférée aux familles existe déjà, monsieur le ministre. Ne faites pas des opposants à votre article des libertaires ! Nous disons simplement que vous entendez réduire substantiellement le nombre d’enfants instruits en famille – mais on ne connaît toujours pas votre objectif. Combien d’enfants, parmi ces 62 000, font l’objet d’une incitation au séparatisme par leurs parents ? On a entendu les chiffres de 2 500, 3 500… En fait, vous ne le savez pas. Personne ne le sait. Nous devons nous prononcer dans des conditions qui ne sont pas acceptables.

Troisièmement, qui définit l’intérêt supérieur de l’enfant ? Nous appartenons à des familles politiques où l’on pense que ce rôle revient à la famille et que, lorsque la famille est défaillante, l’État doit se substituer à elle. Autrement dit, l’enfant n’est pas la propriété de l’État. Dans les États autoritaires, fascistes, communistes, l’enfant dépendait de l’État, comme l’illustre la loi de 1938 en Allemagne.

Quatrièmement, vous ne répondez pas aux questions sur l’insuffisance notable des moyens de contrôle, si ce n’est pour dire que vous n’avez pas les moyens de les renforcer. Peut-être pourriez-vous y consacrer une partie des économies liées au fait que les familles financent l’instruction de leurs enfants, sans rien demander à l’État ? Cela permettrait d’appliquer la loi et de sanctionner la petite frange des familles qui dérivent ; les enfants concernés seraient alors scolarisés.

M. Pierre-Yves Bournazel. Depuis 2017, des mesures ont été prises pour renforcer le principe de laïcité et l’égalité des chances. Le dédoublement des classes, qui est à l’œuvre dans le XVIIIe arrondissement de Paris – dans une partie de ma circonscription – est la plus importante des réformes menées depuis le début du quinquennat. En effet, elle a donné à des enfants qui ont reçu moins de capital social et culturel que d’autres les moyens de réussir par eux-mêmes. Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une action globale en matière d’éducation. La liberté d’enseignement doit être encadrée pour être protégée, dans l’intérêt des enfants et des familles. Le contournement des règles qu’on observe est très inquiétant, car il est l’œuvre de personnes qui cherchent à se séparer de la société, de la nation, à contester le pacte républicain. Il est normal que le Gouvernement et le législateur s’emparent du sujet. Le régime de l’autorisation constitue un progrès.

Mme Emmanuelle Ménard. En France, c’est l’instruction qui est obligatoire, et non l’école. Les parents ont la possibilité de déléguer l’instruction de leur enfant à un établissement scolaire ou de l’instruire en famille. Avec l’article 21, vous allez réduire drastiquement le nombre d’enfants instruits en famille, en soumettant l’exercice de cette liberté à une autorisation préalable – on ne sait pas sur quels critères elle sera accordée. Une dérogation à l’obligation scolaire ne pourra être obtenue qu’avec l’autorisation de l’autorité compétente de l’État pour une seule année, et sous des conditions très restrictives. Or, d’après une enquête récente, la première raison du choix de l’IEF par les parents est de suivre les motivations et les rythmes d’apprentissage des enfants. Les familles se demandent si cette raison est prise en compte par la quatrième dérogation, énoncée à l’alinéa 12.

On revient toujours au péché originel de votre texte : comme vous ne voulez pas nommer l’ennemi, si j’ose dire – l’islamisme –, vous faites un texte général, qui va punir tout le monde. L’article 21 en est l’exemple parfait : refusant de cibler les écoles coraniques, vous soumettez à autorisation l’instruction hors de l’école, qui est un droit. Ce faisant, vous pénalisez toutes les familles qui respectent les règles et qui ne comprennent pas pourquoi elles n’ont plus le droit d’offrir à leurs enfants l’enseignement adapté dont ils ont besoin.

L’instruction en famille est une modalité d’enseignement très encadrée par le code de l’éducation et très exigeante : 98 % des enfants instruits à la maison sont dans une situation jugée conforme au droit de l’enfant à l’instruction. Attaquez-vous aux 2 % restants et laissez tranquilles ces familles ! Attaquez-vous aux ennemis de la France et de ses enfants !

M. Éric Coquerel. Je ne partage pas l’avis de Charles de Courson. L’enfant n’est pas non plus la propriété des familles. Je veux bien qu’on compare dans l’histoire les visions plus ou moins progressistes des modèles d’éducation proposés par la famille et par l’État mais je ne suis pas certain que la comparaison soit favorable aux familles pour ce qui est de l’émancipation que l’on doit à tout citoyen en devenir, notamment par la critique. On ne peut pas résumer la question de l’État en évoquant l’État nazi ! Il y a des États différents et le régime auquel je me rattache est celui de la République qui donne à tous ses enfants les moyens de se qualifier et de s’émanciper pour exercer leurs droits de citoyens. Ce préalable vous montre que mes arguments diffèrent de ceux de mes collègues de droite et du centre à ce propos.

Notre collègue de La République en Marche a été assez amusant. Grosso modo, il explique qu’ils ont voulu cibler des enfants auxquels les familles délivrent une mauvaise éducation religieuse mais lui-même revendique le droit pour les parents de donner à leurs enfants une éducation fondée sur les principes d’une bonne religion. On voit bien le problème…

Selon le préfet de Seine-Saint-Denis, 900 enfants n’étaient pas scolarisés, en 2019. Ce n’est pas un chiffre délirant qui témoignerait d’une dérive intégriste dangereuse pour la République. En tout cas, les chiffres dont nous disposons ne vont pas dans ce sens.

Pour résumer, nous sommes d’accord pour mettre fin à l’instruction en famille mais cette décision ne peut être prise dans un cadre uniquement coercitif. Il faudrait par exemple que chaque famille ait une école publique dans sa commune ou à moins de trente minutes. Malheureusement, notre amendement l’imposant a été jugé irrecevable alors que de nombreuses communes n’ont pas d’école publique. La question n’est pas tant celle de la présence d’une école mais de sa nature. Nous avons présenté des amendements au sujet des écoles hors contrat et du régime d’autorisation. Ils ont été refusés. Donnons plutôt aux parents l’envie d’envoyer leurs enfants à l’école, qui est d’abord l’école publique, plutôt que de les contraindre par des mesures coercitives pour donner une certaine image idéologique à cette loi.

M. Stéphane Peu. Cet article 21, qui prévoit de passer de la notion d’instruction à celle de scolarisation obligatoire, s’inscrit dans la continuité de la décision par laquelle l’instruction a été rendue obligatoire dès l’âge de 3 ans. C’est un changement fondamental, que nous approuvons.

Cela étant, comme beaucoup d’entre vous, j’ai reçu de nombreux messages à ce sujet, ce qui m’a étonné. C’est vrai, nous avançons à l’aveugle et il est gênant de ne pas avoir idée des conséquences qu’emporteront nos décisions. Nous ne savons rien du nombre d’enfants concernés, par exemple. Soit les familles concernées sont d’un milieu social élevé et ont la capacité d’influencer le législateur, ce qui expliquerait les sollicitations que nous avons reçues. Soit les élèves en question sont effectivement beaucoup plus nombreux que les chiffres ne l’indiquent. J’espère que nous serons éclairés, d’ici la séance. En soi, cela ne changerait pas grand-chose au soutien que j’apporterai à cet article mais j’aimerais que l’on puisse mesurer les conséquences de nos décisions.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure thématique. Beaucoup de choses ont été dites et bien dites, notamment par mes collègues Stéphane Peu et Pierre-Yves Bournazel. Rappelons à Charles de Courson ce qu’il nous répète souvent : le législateur, c’est nous, pas le Conseil d’État.

Là encore, il s’agit de concilier la liberté fondamentale de l’enseignement avec l’intérêt supérieur de l’enfant. L’endroit où l’on place le curseur est déterminant pour apprécier si le bon équilibre a été trouvé. Autres temps, autres mœurs, ce point d’équilibre évolue avec le contexte socio-économique ou géopolitique. S’il appartient à la jurisprudence de bouger le curseur, la loi est nécessaire. La politique, c’est faire des choix. En l’espèce, le Gouvernement a souhaité instaurer un régime d’autorisation plutôt que de déclaration. C’est un choix politique, motivé par l’idée très simple, monsieur le ministre, que l’école, c’est bon pour les enfants. Je suis d’accord avec vous. Ce texte, qui évoluera sans doute à la faveur de nos débats, a placé le curseur au bon endroit.

M. Florent Boudié, rapporteur général. M. Labille s’interrogeait sur la pertinence d’introduire dans un texte qui vise à conforter les principes de la République, des dispositions relatives à l’instruction en famille. En réalité, nous cherchons à débusquer le séparatisme partout où il s’introduit, dans les services publics locaux, les structures associatives, les pratiques coutumières comme les certificats de virginité ou la polygamie, jusqu’au sein du système scolaire ou à la marge. On peut y trouver des signes de repli communautaire, que nous voulons pénaliser et sanctionner fortement. C’est pourquoi il nous semble utile, dans un texte visant à conforter les principes de la République, de viser toutes les activités pour lesquelles il est nécessaire de renforcer les principes, les règles, les conditions, les restrictions.

Vous pensez que cette disposition n’aurait pas sa place dans ce projet de loi. Au contraire, ce serait très cohérent.

M. Coquerel l’a dit, l’école est le creuset de l’émancipation, de la citoyenneté. Selon M. Lagarde, aller à l’école de la République n’est pas un devoir. Cela en est un, au contraire, inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui impose d’ailleurs à l’État de l’organiser. L’école de la République est bonne pour la République, pour la communauté nationale. C’est une divergence idéologique entre nous.

Nous devons nous poser une question : faut-il encadrer l’instruction en famille ? Anne-Christine Lang a essayé d’y répondre. Ses conditions ont été établies à une époque où elle restait marginale. Selon les chiffres dont nous disposons, qui datent d’une petite quinzaine d’années, 3 000 enfants étaient instruits en famille. Du fait de la hausse du nombre d’enfants, il me semble nécessaire de poser des règles supplémentaires.

Monsieur de Courson, le Conseil constitutionnel n’évoque pas, dans sa décision du 23 novembre 1977, les méthodes alternatives, contrairement au Conseil d’État, mais il est clair que le seul principe auquel il accorde une valeur constitutionnelle dans la liberté d’enseignement est celui du choix, donné aux familles, d’inscrire leur enfant dans un établissement privé ou public. Il constitutionnalise d’ailleurs le financement public d’établissements d’enseignement privés. Il ne va pas au-delà mais il sera probablement saisi de ce sujet.

Les familles ont vu dans le principe d’interdiction une vexation, voire une punition. C’est pourquoi le Conseil d’État a demandé au Gouvernement de revoir sa copie et nous sommes passés d’un principe d’interdiction à un principe d’autorisation. C’est un pas considérable. Nous sommes passés d’un système d’interdiction privatif de liberté à un système où il faudra rechercher les motivations des familles susceptibles de créer les conditions de l’instruction en famille. Nous devons prendre en compte deux considérations fondamentales. La première est celle de l’intérêt de l’enfant. Monsieur Ravier, je ne crois pas que les convictions politiques, religieuses, philosophiques doivent justifier l’instruction en famille. Ce ne serait plus l’intérêt de l’enfant, qui serait pris en considération, mais l’intérêt des convictions propres aux parents.

La seconde est le projet pédagogique. Il est indispensable que cette notion figure dans cette disposition car elle est constitutive d’une motivation fondamentale pour les familles que nous avons rencontrées.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi de vous lire, à ce stade, la lettre d’un de vos lointains prédécesseurs, monsieur le ministre : Jules Ferry. Il écrivait aux instituteurs, le 17 novembre 1883, pour la deuxième année de l’application de loi de 1882 : « La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire. D’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier. D’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. » Il conclut : « J’ai essayé de vous donner, monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate. Permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serai heureux si j’avais contribué, par cette lettre, à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens. Recevez, monsieur l’instituteur, l’expression de ma considération distinguée. » Signé : le président du Conseil, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, Jules Ferry.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Merci de nous avoir replacés dans ce contexte qui apporte un éclairage particulier à nos travaux. Nous franchissons une nouvelle étape dans la construction et la consolidation de notre République, par son école. C’est une caractéristique particulièrement forte de la France, ne l’oublions jamais face aux fragmentations, aux individualismes, au séparatisme contemporain.

Le contexte pandémique nous le rappelle : la société française exprime son attachement à l’école, beaucoup plus fortement que dans d’autres pays. C’est une force et une espérance, dans la période très difficile que nous traversons. Cet attachement particulier est lié à notre histoire et au fait que l’école fut l’un des premiers éléments de consolidation de la République, dans une vision libérale et équilibrée, les propos de Jules Ferry en témoignent, et dans un souci de construire du commun par l’éducation civique et morale en particulier, par tout ce qui se joue à l’école plus généralement.

On aura beau brandir toute une série de sujets spécifiques, il faudra toujours revenir à cet ensemble qui ne fait pas de nous une dictature, sinon nous le serions depuis cent cinquante ans. Gardons-nous de tout propos caricatural en la matière. J’espère rassurer M. de Courson et le convaincre d’être avec nous. Si cet article 21 installait une dictature en France, cela se saurait. Citons les exemples étrangers avec délicatesse et subtilité. Le cas de l’Allemagne est l’exact inverse de ce que vous avez dit : c’est au titre de la défense de la démocratie que les choses se sont jouées.

Madame Vichnievsky, l’arrêt du Conseil d’État que vous citez n’est pas un arrêt de principe mais une décision d’espèce – d’ailleurs, il ne figure pas dans le recueil Lebon. Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État ne guide pas le législateur, c’est l’inverse. Nous sommes justement arrivés à un stade où il devient nécessaire de définir, par la voie législative, le cadre de cette liberté. C’est vrai, nous devons prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et ce concept est à un point d’équilibre entre les différents acteurs qui permettent de le définir.

Je voudrais que l’on sorte de ces postures caricaturales pour deux raisons. La première tient à l’intérêt supérieur de l’enfant car tout ce que nous disons ne vise qu’un seul objectif : éviter à un enfant de se retrouver dans une situation qui serait totalement contraire à ses droits, même s’il ne s’agissait que d’un seul enfant. Ce qui a caractérisé la République, c’est d’avoir été capable de se mobiliser des mois entiers pour une seule personne. Le droit d’un seul enfant compte. L’objectif, monsieur de Courson, n’est pas quantitatif mais qualitatif : aucun enfant ne doit voir ses droits violés. Derrière chacune des décisions que vous prendrez en votre âme et conscience se trouve le cas de chaque enfant de France. Ne l’oubliez pas.

Vous dites que la réalité n’est pas assez cernée. C’est vrai, nous aimerions qu’elle le soit bien davantage. La présence d’angles morts dans les lois de la République est un problème que je suis le premier à reconnaître. C’est précisément ce que nous voulons combattre. Le régime d’autorisation nous y aidera. Nous connaissons tous suffisamment le terrain pour savoir que ces angles morts ne sont pas une invention de ma part. Nous en avons des preuves, d’ailleurs. Lorsque nous démantelons des structures clandestines, plus de la moitié des enfants sont officiellement instruits en famille. La question se pose donc bel et bien, d’autant plus que, souvent, l’instruction en famille n’est qu’un paravent à l’endoctrinement et que ces situations peuvent favoriser la violation des droits de l’enfant. Une petite fille de 4 ans, voilée de la tête aux pieds, dans un hangar de Seine-Saint-Denis : c’est une violation des droits de l’enfant, monsieur Lagarde. Vous ne pouvez ignorer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et que nous avons besoin de nouveaux moyens juridiques pour y faire face.

Nous n’avons pas voulu d’une politique de l’autruche, qui aurait été la solution de facilité. C’est justement parce que de telles politiques ont été menées dans le passé que nous nous retrouvons dans des situations compliquées. L’outil que nous vous proposons ne sera pas le seul mais il est un levier très important pour préserver un dispositif équilibré et respectueux des libertés.

La commission rejette les amendements de suppression de l’article.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1339 de M. Grégory Labille, CS992 de M. Xavier Breton, CS867 de Mme Géraldine Bannier, CS789 de M. Julien Ravier, CS1222 de M. Olivier Marleix, CS1335 de M. Grégory Labille.

M. Grégory Labille. La liberté doit rester la règle et la restriction, l’exception. Les parents doivent pouvoir décider librement du type d’instruction pour leur enfant et l’État se restreindre à un contrôle a posteriori. Les outils législatifs existent déjà pour permettre à l’État de lutter contre ceux qui détournent la liberté de l’instruction en famille. L’article L. 131-5 du code de l’éducation ordonne un contrôle annuel des familles par un inspecteur académique et le maire à un contrôle tous les deux ans. La loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 et le décret du 2 août 2019 permettent de contrôler inopinément la famille. Ce contrôle permet de respecter l’équilibre entre la liberté d’enseignement et le droit à l’instruction de l’enfant.

La restriction de cette liberté, par un régime d’autorisation, va donc à l’encontre de cette liberté de l’instruction en famille qui est déjà contrôlée et bouleverse cet équilibre sans pour autant résoudre le problème de la radicalisation au sein des familles, qui n’est pas limité à celles pratiquant l’instruction en famille. Nous vous proposons d’en rester au mode déclaratif.

M. Xavier Breton. Cet amendement tend à maintenir le principe de la liberté, qui s’exprime par un régime de déclaration et non d’autorisation, la déclaration donnant lieu à un contrôle. Il y a une différence entre exercer une liberté sans lever le doigt pour en demander l’autorisation et exercer une liberté après en avoir demandé l’autorisation. Nous n’avons pas la même conception de la liberté mais ce n’est pas notre seule divergence. J’ai été très surpris par votre vision de la famille. Vous dites, monsieur le ministre, qu’il faut préserver l’enfant des pressions qui l’empêcheraient de développer sa liberté et qu’il doit sortir de sa famille. Quelle image avez-vous donc des familles ? Croyez-vous que ce sont elles qui privent de liberté leur enfant ? Vous dites encore que l’enfant doit connaître la société. Mais que croyez-vous ? Les familles font vivre leur enfant dans la société, les font participer à des activités sportives, culturelles. Beaucoup d’entre elles ont été choquées d’entendre, pour reprendre les propos de l’un de vos prédécesseurs, dans la continuité duquel vous vous inscrivez, que pour émanciper un enfant, il fallait l’arracher au déterminisme, y compris familial. Est-ce là, votre vision de la République ? Est-ce à la République de définir, toute seule, l’intérêt supérieur de l’enfant ? Ne croyez-vous pas que les familles ont, elles aussi, leur mot à dire ? Une conception de fond nous oppose. Il n’est pas étonnant que M. Peu ait voté contre la suppression de l’article car c’est une vieille demande communiste d’inscrire non pas une obligation d’instruction mais de scolarisation.

Mme Géraldine Bannier. Nous proposons d’en rester au statu quo ante bellum de la déclaration annuelle. En revanche, pour assurer un meilleur suivi des enfants, je propose que tout enfant, qu’il soit inscrit dans un établissement ou déclaré instruit en famille, soit identifié par un numéro d’identification nationale (INE) et participe à la journée particulièrement symbolique de la rentrée scolaire. J’ai connu l’expérience d’enfants lourdement handicapés, inscrits dans des classes ordinaires mais instruits dans leur famille. Une fois de retour dans la classe, ces enfants étaient mieux intégrés. Nous avons également auditionné des parents d’enfants autistes, instruits à domicile en attendant d’être prêts pour l’école. S’ils sont inscrits dans les classes, leurs camarades pourront les connaître avant qu’ils n’arrivent. J’ai eu le cas d’une enfant déscolarisée pendant deux ans mais inscrite dans la classe. Elle était intégrée au groupe scolaire, ce qui a facilité son retour.

Il me semble important que les enfants instruits en famille participent, à un moment donné, à la vie de l’école – bien évidemment, des dispenses pour raison médicale pourront toujours être accordées.

M. Julien Ravier. Cet amendement vise à préserver l’instruction en famille en supprimant le régime d’autorisation conditionné à des motifs pour revenir à un régime de déclaration renforcée, dans lequel la liberté d’instruction demeure la règle, ce qui nous met à l’abri d’une censure du Conseil constitutionnel.

Il s’agit d’instituer un formulaire de déclaration unique, fourni par l’éducation nationale et précisé par un décret pris en Conseil d’État. Ce formulaire pourrait préciser les raisons du choix de l’instruction en famille, les méthodes pédagogiques employées et le respect des principes de la République auxquels nous sommes tous attachés.

Le caractère incomplet ou la non-conformité de la déclaration à l’égard des principes de la République ou de la maîtrise de la langue française pourraient entraîner un contrôle a priori des familles et donc l’interdiction de l’instruction en famille avant même sa prise en considération.

L’objectif est de maintenir la liberté d’instruction en famille pour ne pas pénaliser les familles qui instruisent leurs enfants à domicile sans présenter la moindre menace pour notre République, tout en instaurant un contrôle du respect des principes républicains.

M. Robin Reda. Personne ne peut sérieusement ne pas voir que l’instruction en famille est instrumentalisée, parfois pour des motifs séparatistes et bien éloignés des principes de la République. Cet amendement vise à proposer une nouvelle rédaction de l’article, en substituant au principe de scolarisation obligatoire initialement prévu, un contrôle du niveau de qualification des personnes dispensant l’instruction. Le contrôle actuel est davantage centré sur l’enfant que sur les personnes responsables de l’instruction, dont il convient de s’assurer qu’elles peuvent dispenser un enseignement de qualité en français.

M. Grégory Labille. L’amendement CS1335 vise à rédiger ainsi l’article 21 : « Dans un délai d’un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant le lien potentiel entre l’instruction en famille et la radicalisation des enfants instruits à domicile. »

Sans nier ce phénomène, constatons qu’aucune étude sérieuse n’en dessine les contours, hormis l’évocation, dans le cadre général du projet de loi, de la découverte d’écoles de fait, et la difficulté, parfois, de contrôler les familles en instruction en famille. Le cadre général n’évoque pas de rapport public. Malgré les demandes réitérées auprès des académies et du directeur académique des services de l’éducation nationale de la Somme, je n’ai eu aucun chiffre étayant en toute objectivité le lien entre la radicalisation et l’instruction en famille.

Il est donc nécessaire qu’un rapport soit remis au Parlement avant de transformer un régime déclaratif en régime d’autorisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vos amendements ont en commun de tendre à une nouvelle rédaction de l’article 21. Je donne un avis défavorable mais je vais entrer dans les détails.

Concernant les familles, monsieur Breton, je ne tiendrai jamais de propos généralistes. Elles sont libres d’éduquer leurs enfants comme elles le souhaitent, à condition de se conformer à l’obligation de l’instruction. On ne peut prétendre que tout aille bien ni déplorer que tout aille mal. Il faut être plus nuancé. Tout se passe bien pour certaines familles mais ce n’est pas le cas dans toutes. Nous en reparlerons.

Madame Bannier, vous soulevez plusieurs questions intéressantes. S’agissant de l’identifiant national, je proposerai un amendement après l’article 21. Nous souhaitons tous, en effet, trouver une solution pour mieux suivre le parcours éducatif des enfants. Nous reparlerons également de la participation des enfants à certains événements scolaires, comme du contrôle de la capacité des parents. En revanche, je suis défavorable au système de déclaration, ce qui vaut aussi pour l’amendement de M. Ravier.

Nous reprendrons également le sujet du contrôle de la capacité des personnes responsables de l’enfant.

Quant au dernier amendement qui propose une réécriture globale, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis que Mme la rapporteure. Une remarque générale : ne sombrons pas dans la caricature. Ne nous dépeignez pas en contempteurs de la famille car notre position n’est pas radicalement différente de la vôtre. La famille est un cadre essentiel pour l’enfant, personne ne dit le contraire. Le droit à la famille fait d’ailleurs partie des droits de l’enfant. Malheureusement, la réalité offre des situations très hétérogènes, indépendamment du milieu social. Une famille fortunée peut aussi rencontrer des problèmes éducatifs. Il faut simplement trouver une solution équilibrée. Bien sûr, c’est la famille qui fait les grands choix pour l’enfant. Bien sûr, elle est un cadre pour l’épanouissement de l’enfant. Mais ces affirmations trouvent leurs limites quand l’enfant est en danger et il arrive que des entités supérieures soient amenées à déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est une réalité, nous n’inventons rien. Lorsqu’un enfant subit des violences, des entités externes doivent intervenir. Nous pourrions parvenir à un large consensus. Il n’est pas nécessaire d’idéologiser le débat à l’excès. Depuis cent cinquante ans d’histoire de l’école, il subsiste des approches différentes, mais les positions sont beaucoup moins clivées et manichéennes que par le passé. Ne réveillons pas ces vieux conflits, ce serait artificiel et inutile.

En revanche, il est important d’entrer dans le détail concret des objectifs que nous partageons largement, en particulier celui que les enfants reçoivent tous une instruction de qualité. Pour cela, il faut connaître leur existence et pouvoir les repérer dans un territoire. Nous reviendrons sur la proposition de Mme Bannier de créer un INE. L’idée d’un rendez-vous républicain pour tous les enfants de France, même ceux instruits en famille, est à creuser. Nous devrons réfléchir au modèle.

Vous aurez compris que je partage l’esprit de nombre de vos propositions. Il faudra simplement réfléchir à leur donner forme.

M. Xavier Breton. Bien sûr, tout ne se passe pas bien dans les familles. Ce que nous interrogeons, c’est la position de l’État : soit il a confiance dans la capacité des familles à exercer leur mission, quitte à les contrôler en cas de problème grave, soit il est méfiant à leur égard et les soumet à un contrôle a priori, avant même qu’elles n’exercent leur liberté. C’est toute la différence entre un régime de déclaration et un régime d’autorisation.

M. Stéphane Ravier. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, votre tendance à rejeter tout dispositif fondé sur la déclaration est dogmatique. Je propose un système de déclaration renforcée : les familles devront remplir un document fourni par l’Éducation nationale et précisé par un décret pris en Conseil d’État. Si, sur la base des éléments qu’il contient, les autorités considèrent que l’instruction en famille présente des risques séparatistes ou pour l’intérêt de l’enfant, elles déclenchent un contrôle a priori. Cette solution permet de respecter la liberté d’instruction, à laquelle un grand nombre d’entre nous sont attachés, sans contrevenir à votre objectif, lutter contre le séparatisme.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS1610 de M. Jean-Christophe Lagarde, CS1499 de Mme Béatrice Descamps, CS1611 de M. Jean-Christophe Lagarde et CS1482 de Mme Béatrice Descamps.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre… Le dialogue auquel on nous a conviés se déroule surtout au sein de la majorité. C’est bien dommage car nous défendons une position qu’un libéral comme vous devrait partager : la liberté consiste à pouvoir l’exercer ; l’État se donne les moyens d’en contrôler l’abus. Vous l’avez dit, lorsque les parents, dont le rôle est d’élever leurs enfants, sont défaillants, l’État peut intervenir. Mais je conçois mal ce que peut signifier une autorisation a priori.

L’État peut lui aussi être défaillant lorsqu’il exerce le contrôle de cette liberté. Nous avons déjà évoqué l’absence de dialogue avec les élus locaux – alors que le maire est censé contrôler les conditions matérielles et l’Éducation nationale le contenu pédagogique – des contrôles trop tardifs et trop rares, des contrôles réalisés par des agents dont ce n’est pas la spécialité – ne faudrait-il pas à cet égard un corps spécifique ? Il est vrai que l’État communique difficilement les chiffres, mais je peux vous dire que, dans ma commune, le nombre d’enfants concernés par l’instruction en famille est passé de 27 à 47 en cinq ans. L’évolution est inquiétante, mais aucun moyen supplémentaire n’a été donné pour augmenter les contrôles !

Je ne cherche pas la controverse idéologique, mais j’en ai assez des politiques déclamatoires sans effet sur le terrain. Je propose de maintenir le système déclaratif, considérant que la liberté est la règle et que l’État n’intervient qu’en cas de défaillance, comme lors de maltraitances – et priver un enfant d’instruction est une maltraitance. Je propose donc, à l’amendement CS1610, de conserver une déclaration simple, mais de prévoir que dans le mois suivant sa réception, l’autorité compétente effectue un contrôle des conditions de réalisation de l’instruction. Je poursuis le même objectif, mais j’inverse la logique : il faut lutter contre ceux qui abusent, tout en permettant aux autres d’exercer leur liberté.

En outre, les parents doivent pouvoir être accompagnés par l’État, qui ne serait plus seulement censeur, mais aussi conseiller. Je propose à l’amendement CS1611 que les familles puissent demander avis et conseil à l’autorité compétente en matière d’éducation pour l’élaboration de leur projet pédagogique. J’ai dit tout à l’heure que les enfants qui ne sont pas accueillis par l’Éducation nationale dans des conditions satisfaisantes devraient se voir offrir des alternatives. J’ai rencontré de nombreuses familles, dont des parents d’enfants précoces en Seine-Saint-Denis, en demande d’aide. Mais l’éducation nationale n’est pas en capacité de faire du sur-mesure. Je ne parle évidemment pas des familles dont les enfants seraient sans doute renvoyés à l’école si elles étaient contrôlées – je suis même favorable à ce que le droit à l’instruction en famille soit dénié aux personnes figurant dans un fichier de radicalisation.

Je ne doute pas que nous trouverons, dans l’hémicycle peut-être, un équilibre grâce auquel des familles pourront jouir de cette possibilité, dans l’intérêt de leur enfant.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable sur ces amendements qui réécrivent intégralement l’article 21 et proposent de maintenir un système déclaratif.

Nous pourrons discuter ultérieurement du projet pédagogique, monsieur Lagarde, en présence des députés qui ont déposé un amendement sur cette question.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Tentons d’avoir une discussion constructive. Peu importe la paternité des amendements – ce qui m’intéresse, c’est l’effectivité de la loi –, mais je me réserve la possibilité de les présenter à nouveau.

Je terminerai en signalant que le système de l’identifiant national élève est une vraie difficulté pour les services éducatifs et qu’il conviendrait de faciliter le boulot des maires de France en prévoyant quels sont les enfants susceptibles d’entrer en maternelle.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS129 de M. Jacques Marilossian.

M. Jacques Marilossian. Cet amendement est rédactionnel. La mention « des deux sexes » n’a pas de sens dans la mesure où l’instruction est obligatoire pour tous les enfants.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est satisfait, car nous avons effectué cette suppression en 2019 dans la loi sur l’école de la confiance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Jacques Marilossian. Le site Légifrance n’est pas à jour !

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement CS1526 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. C’est l’occasion d’inscrire que « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leur enfant. Si l’instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement, elle l’est toujours dans le respect du principe de subsidiarité et le respect du choix éducatif des familles. »

Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et ils délèguent cette tâche à l’école. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la logique n’est pas celle de la co-éducation. Tout le monde n’est pas au même niveau, et chacun exerce son rôle, en complémentarité. L’État a-t-il vocation à arracher les enfants aux familles, en tant que lieu où s’exercent les déterminismes ou, au contraire, à les respecter et à favoriser l’épanouissement des enfants ? C’est tout le sens de cet amendement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’école doit être le premier recours, et l’instruction en famille possible uniquement sur autorisation. Je suis assez choquée que vous nous accusiez d’« arracher » les enfants aux familles. Je ne comprends même pas cette expression.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Mais dites-le ! Dites clairement que ce que vous voulez, c’est que tous les enfants de la République aillent à l’école de la République ! Dites ici que c’est votre objectif, et que petit à petit, vous y parviendrez !

Vous nous faites part de l’augmentation des chiffres de l’instruction en famille, mais soyez honnête : vous savez très bien qu’un grand nombre d’enfants ont été déclarés instruits en famille lorsque votre majorité a rendu l’école obligatoire dès 3 ans.

Par ailleurs, cette disposition est censée lutter contre la radicalisation mais vous nous parlez de répondre aux difficultés qui se posent dans le cadre de la crise sanitaire, des violences conjugales. Quels sont vos véritables motifs ? Nous avons bien conscience que tout ne va pas forcément bien dans ce mode d’instruction, et nous aimerions avoir des éléments chiffrés : qui, quoi, où, comment ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends que vous défendiez l’instruction en famille et que vous souhaitiez maintenir le système de la déclaration. Je respecte votre avis mais je n’accepte pas que vous nous prêtiez des intentions qui ne sont pas les nôtres et que vous usiez d’arguments fallacieux. Les chiffres figurent dans l’étude d’impact : la hausse de l’instruction en famille ne résulte pas seulement de la scolarisation obligatoire à 3 ans.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous pouvons être précis sur les chiffres. En novembre 2020, on comptait 16 392 enfants âgés de 3 à 6 ans instruits en famille. Les enfants concernés par l’abaissement à 3 ans de l’instruction obligatoire ne constituent pas la majorité des enfants instruits en famille ! D’autres phénomènes, qui remontent à une dizaine d’années et que l’on retrouve dans d’autres pays, expliquent cette progression. Ils devraient, à ce titre, retenir toute votre attention.

Mais vous préférez user d’arguments fallacieux – le terme est juste – et recréer artificiellement un débat qui se révèle contre-productif. Il ne sert à rien d’aller réveiller de fausses oppositions, alors que nous avons réussi à instaurer la paix scolaire en France.

Depuis quelques années, nous œuvrons, sur le plan législatif, à distinguer dans l’enseignement ce qui est conforme aux principes de la République et ce qui ne l’est pas. L’enseignement privé sous contrat, doté de droits et de devoirs, et qui a montré sa capacité à mieux intégrer le système scolaire, s’en trouve renforcé. Loin de remettre en question la liberté d’enseignement et la liberté des familles, nous cherchons à définir ce qui va, et ce qui ne va pas, en matière d’instruction. Cela contribue à consolider les systèmes qui fonctionnent et à mieux lutter contre ceux qui dysfonctionnent. Dire le contraire et caricaturer notre position est contre-productif.

Bien des positions sur ce texte ne s’expliquent que par une opposition au Gouvernement. On est pour l’école publique, mais on n’aime pas le Gouvernement ; on veut lutter contre l’islamisme radical, mais on ne veut pas aller dans le sens du Gouvernement. Ne perdez pas de vue les objectifs qui nous sont communs, ne faites pas semblant de ne pas voir les problèmes, tout à fait réels, que nous essayons de régler. Vous manquez votre coup en nous interrogeant sur les motifs cachés, en nous accusant de vouloir porter atteinte à la liberté d’enseignement. Si vous voulez être cohérente avec l’objectif de lutte contre le fanatisme et la radicalisation et soutenir la définition d’une liberté d’enseignement conforme aux valeurs de la République, utilisez d’autres arguments !

M. le président François de Rugy. Cela fait maintenant deux heures et demie que nous examinons l’article 21. Nous avons eu un long débat sur l’ensemble et tous les représentants des groupes se sont exprimés. Un certain nombre d’amendements reviennent sur le fond et donnent lieu à de nouveaux échanges d’ordre général sur l’instruction en famille. Pour que nous puissions achever en temps voulu l’examen des amendements à cet article, je vous demande de vous abstraire de votre point de vue particulier, de vous conformer à la volonté générale – car c’est aussi cela la République – et de concentrer désormais vos interventions sur les amendements concrets, à même de faire évoluer le texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS708 de Mme Emmanuelle Ménard et CS991 de M. Xavier Breton.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article L. 131-2 du code de l’éducation dispose que « L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. » Cette rédaction a le mérite de laisser une liberté totale aux parents dans le choix de l’éducation de leurs enfants.

Vous souhaitez modifier cette rédaction et soumettre ainsi la liberté d’instruction à une autorisation. Le rapporteur général peut se féliciter et rappeler que le projet initial prévoyait l’interdiction de l’instruction dans la famille mais – faut-il le rappeler ? – l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut souffrir d’aucun régime d’autorisation préalable dans un état de droit. La liberté doit rester la règle et la restriction, l’exception.

Comme l’a dit Mme Blin, vous voulez en réalité que tous les enfants aillent à l’école de la République. Vous rendez les choses tellement compliquées pour ceux qui veulent faire autrement que, de fait, l’école de la République deviendra un jour obligatoire pour tous.

M. Xavier Breton. Sur le déroulement de nos débats, monsieur le président, je vous rappelle que le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée et que la Conférence des présidents a choisi d’appliquer le temps programmé, ce qui limitera le nombre de nos interventions dans l’hémicycle. Prenons donc le temps d’aller au fond des choses en commission, ne nous imposez pas une marche forcée !

Monsieur le ministre, vous nous dites que nous cherchons à réactiver les oppositions. Personne ne parlait de l’instruction en famille il y a trois mois – tout se passait bien, même si les contrôles étaient insuffisants –, c’est vous qui avez lancé le débat. Maintenant qu’il est ouvert, ne vous étonnez pas de nous trouver en face !

La progression de l’instruction en famille doit être mise sur le compte de l’instruction obligatoire dès 3 ans, mais aussi de l’état de l’école publique. Je ne veux pas peindre un tableau apocalyptique et je rends hommage aux enseignants qui font leur travail du mieux qu’ils peuvent, mais le fait est que leur hiérarchie ne les soutient pas, que le harcèlement scolaire et les violences existent et que les différences pédagogiques sont souvent importantes. Il faut parfois savoir faire son autocritique !

Madame la rapporteure, le mot « arracher » n’est pas de moi mais de Vincent Peillon, lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale. Il parlait de la morale laïque, dans laquelle vous vous inscrivez, et expliquait qu’il fallait arracher l’élève à tous les déterminismes, à commencer par le déterminisme familial. Nous sommes ici dans la même logique.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CS317 de M. Jacques Marilossian et CS1348 de M. Pierre-Yves Bournazel ainsi que les amendements CS188 de M. Xavier Breton et CS798 de Mme Catherine Osson.

M. Jacques Marilossian. C’est un élève de l’école publique qui présente cet amendement inspiré par les établissements d’enseignement à distance (EAD), membres de la Fédération nationale de l’enseignement privée (FNEP).

En tant que rapporteur sur le budget de la marine nationale, j’ai entendu l’inquiétude des familles de marins, pour qui l’instruction en famille est une solution adaptée. Elles comprennent la nécessité de mieux encadrer l’instruction en famille mais espèrent que les nouvelles dispositions faciliteront leurs démarches, surtout lorsqu’elles font appel à des structures d’enseignement à distance autorisées et reconnues.

Puisque nous voulons préciser le cadre de l’instruction en famille, éviter la déscolarisation et combattre les angles morts de l’instruction en République, nous proposons un système d’agrément, délivré sous conditions aux établissements privés d’enseignement à distance, permettant de vérifier leur conformité avec le respect des valeurs républicaines et les exigences d’une scolarisation encadrée et effective. Nous proposons aussi que l’établissement d’enseignement à distance, l’éducation nationale et les parents signent une convention républicaine d’enseignement. L’amendement prévoit en outre les conditions supplémentaires de délivrance de l’agrément, notamment la conformité de l’enseignement dispensé, le contrôle de l’obligation scolaire et d’assiduité des élèves.

M. Xavier Breton. Il est proposé de préserver la liberté de l’enseignement en l’autorisant par correspondance auprès d’établissements agréés.

La rapporteure a assuré qu’il était tout à fait possible d’obtenir les informations sur la réalité de l’instruction en famille. C’est faux ; la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) vient finalement d’émettre un avis favorable à la demande d’une citoyenne qui s’était vu refuser par le ministre de l’éducation nationale la communication de l’enquête de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) relative à l’instruction en famille de 2018-2019 ; lorsque l’on veut obtenir des documents pour objectiver les choses, on se rend compte qu’il y a un barrage, certainement parce que les chiffres n’existent pas, ou que ceux qui servent de toile de fond à votre texte sont des impressions mensongères.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement soulève des questions très intéressantes. Tout d’abord, la notion d’établissement d’enseignement à distance n’existe pas – seul le CNED est considéré comme un service public de l’enseignement à distance. Les écoles, qu’elles soient publiques, privées, hors contrat ou sous contrat, sont des écoles « en dur ». Elles garantissent une socialisation que l’on ne saurait comparer avec celle que peut apporter l’enseignement à distance. Le code de l’éducation ne mentionne pas les établissements d’enseignement à distance, il distingue seulement les enfants qui vont à l’école et ceux qui sont instruits en famille.

Les parents qui font le choix de l’instruction en famille sont responsables et libres du choix des ressources pédagogiques qu’ils veulent utiliser. Agréer les ressources est une idée intéressante – je l’avais évoqué du temps de ma mission sur la déscolarisation –, mais très difficile à mettre en pratique, puisque de nombreuses plateformes sont à l’étranger, et sans effet sur le choix des familles. Il est plus sage de considérer à ce stade que les parents sont garants des ressources qu’ils utilisent – cela fait d’ailleurs l’objet d’un échange avec les inspecteurs lorsqu’ils sont contrôlés. Le débat sur l’enseignement à distance est intéressant et touche à la continuité pédagogique, question soulevée lors du confinement. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Lors des auditions, nous n’avons jamais entendu parler des difficultés rencontrées dans l’instruction en famille. En revanche, nous avons pu prendre conscience de la richesse que constitue l’enseignement à distance et nous avons été alertés sur les conséquences économiques que ne manquera pas d’entraîner votre décision. Ces plateformes emploient notamment d’anciens enseignants de l’éducation nationale, qui font ce métier pour des raisons personnelles, parfois parce qu’ils souffrent de handicap, et qui ne pourront plus réintégrer la fonction publique.

M. Frédéric Petit. Le service à distance, pour les personnes qui ne peuvent pas bouger, est un service bien plus large que l’éducation à distance, puisque c’est aussi un service de soutien – on l’a vu pendant la pandémie. Il est défini dans la loi et ne peut être réduit à son opérateur, le CNED. Il était important de le rappeler.

Les établissements privés d’enseignement à distance dont vous avez parlé sont une ressource pour les familles, notamment celles dont les enfants font partie des 500 000 jeunes français non soumis à l’obligation d’instruction – je veux parler des 200 000 familles résidant à l’étranger, employeurs d’enseignants. Celles-ci, dois-je le préciser, comprennent mal les querelles sur la place de la famille.

Il convient donc bien, pour la précision de nos débats, de faire la différence entre les établissements d’enseignement à distance et les ressources pour les parents. La confusion a souvent été faite lors des auditions et encore à l’instant par Mme Blin.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS705 de M. Charles de Courson et CS453 de Mme Géraldine Bannier.

M. Charles de Courson. Vous faites une erreur fondamentale en voulant substituer au régime déclaratif un régime d’autorisation. Contrairement à ce que vous avez dit tout à l’heure, le Conseil d’État considère que l’instruction en famille est l’un des éléments de la liberté d’enseignement et que le principe de la liberté de l’enseignement figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Je ne pense pas que vous puissiez soumettre une telle liberté à un système d’autorisation. Vous ne voulez pas nous écouter ; nous nous retrouverons dans trois mois au Conseil constitutionnel. En attendant, cet amendement permet de revenir au régime déclaratif.

Mme Géraldine Bannier. Le groupe MoDem, soucieux de trouver une solution de consensus, propose que la déclaration préalable en mairie fasse office d’autorisation provisoire, confirmée par un contrôle par les autorités compétentes dans les trois à six mois suivant son dépôt.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Mon avis sera défavorable sur ces deux amendements qui visent à maintenir le régime déclaratif. L’amendement de Mme Bannier se rapproche de celui défendu par M. Ravier, qui proposait une déclaration renforcée. Ils prévoient tous deux un contrôle a posteriori, qui se pratique déjà aujourd’hui au travers de l’enquête du maire et du contrôle pédagogique.

L’intérêt de l’autorisation, c’est qu’elle soit instruite en amont de la déscolarisation de l’enfant, s’il est d’âge scolaire, ou avant ses 3 ans. Il est préférable d’opposer suffisamment tôt un refus, dans le cas où l’instruction en famille serait motivée par des raisons autres que celles prévues par la loi.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas vous contenter de dire « défavorable » sans répondre aux questions de fond. L’instruction en famille fait-elle partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? Si oui, peut-on soumettre une telle liberté à un régime d’autorisation ?

M. le président François de Rugy. Monsieur de Courson, chacun est libre de s’exprimer comme il l’entend. Vous posez vos questions, vous intervenez, monsieur le ministre et madame la rapporteure le font également, comme ils l’entendent ; il ne saurait y avoir d’injonction ! Tout à l’heure, j’ai entendu des propos un peu menaçants. Je n’ai pas voulu les relever sur le moment, mais cela n’a pas sa place dans cette enceinte.

La liberté d’expression est totale, mais respectons aussi nos institutions. Cher collègue, ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Le ministre s’est déjà exprimé à maintes reprises et les réponses à vos questions sont aussi dans le texte. Oui, le Gouvernement pense qu’on peut encadrer cette liberté par un régime d’autorisation. En France, il existe un droit au logement. Pour autant, construire un logement, ou même changer une fenêtre, est soumis à autorisation.

Mme Géraldine Bannier. Il me semble qu’une déclaration valant autorisation, et un contrôle a posteriori, permettraient de mieux répondre aux situations d’urgence rencontrées par les familles. Ainsi, lorsqu’un enfant tombe malade et ne peut retourner à l’école pour des raisons immunitaires, la réponse de l’institution doit être rapide. Que se passe-t-il si les familles sont obligées d’attendre le contrôle et l’enquête ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. D’autres collègues ont également soulevé cette question, madame Bannier, et, vous avez raison, c’est un point très important. Que se passe-t-il lorsqu’un enfant doit interrompre en urgence sa scolarité pour des raisons de santé, de harcèlement, de phobie, de handicap, etc. ?

Ces situations sont déjà prises en compte dans le code de l’éducation : il est, bien sûr, possible de retirer immédiatement l’enfant de l’école. Contact est pris avec le directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN), le plus souvent en concertation avec le directeur d’école ou le principal de collège. Le dialogue s’instaure dans un certain délai afin de trouver, avec la famille, quelles solutions proposer à l’enfant. Si la solution est une instruction en famille, l’autorisation est alors accordée.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS709 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de supprimer les mots « par dérogation » à l’alinéa 3, pour les raisons précédemment détaillées.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1489 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Je vous sais attaché au débat parlementaire, monsieur le président. Il est important de pouvoir s’exprimer en commission car les débats qui n’y auront pas lieu se dérouleront en séance, vous le savez.

S’agissant de l’amendement, je préférerais une déclaration exigeante à une autorisation indigente. Monsieur le ministre, nous avons soutenu et voté en 2018 la proposition de loi dite Gatel visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. L’article L. 441-2 du code de l’éducation liste les pièces nécessaires au dépôt du dossier de déclaration d’ouverture d’un établissement d’enseignement scolaire privé. Je ne vais pas vous le lire dans son intégralité mais il est intéressant car exigeant, afin d’anticiper ces ouvertures et d’encadrer l’éducation des enfants.

Il doit comporter des informations sur la ou les personnes physiques déclarant l’ouverture – dans le cas de l’instruction en famille, on peut penser qu’il s’agit des parents. Il doit également comporter des informations précises sur l’établissement – dans le cas de l’instruction en famille, on peut aussi comprendre l’importance de disposer d’informations claires sur le domicile ou le lieu d’instruction. Enfin, le 3° de cet article, relatif au statut de la personne morale demandant l’ouverture de l’établissement, ne s’applique pas à l’instruction en famille.

Après analyse de cet article, comment expliquez-vous ce déséquilibre entre la simple déclaration d’ouverture, nécessaire pour les établissements hors contrat, et l’autorisation, pour l’instruction à domicile ? Est-ce une intention malencontreuse ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre amendement propose de rester sur un système de déclaration, j’y suis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Plusieurs d’entre vous l’ont dit, le régime de l’instruction en famille serait – je parle bien au conditionnel – plus sévère que celui des écoles privées hors contrat ou sous contrat.

Je l’avais déjà souligné à l’occasion des débats sur la proposition de loi Gatel, les contraintes, légitimes, qui pèsent sur une école hors contrat ne sont pas les mêmes que celles encadrant l’instruction en famille, mais elles ne sont ni plus fortes ni plus faibles.

Lors de la création d’une école, il est logique de vérifier la capacité des initiateurs, la soutenabilité financière du projet et son respect des valeurs de la République. Quand il s’agit d’une famille, on s’assure que la situation particulière de l’enfant le justifie. D’un côté, il s’agit d’une institution, de l’autre, d’un élève. Tout cela me semble parfaitement naturel.

M. Gaël Le Bohec. Si c’est naturel, est-il naturel d’avoir un point de vue différent ? Le présent projet de loi vise à renforcer les principes républicains. Je comprends les différences que vous évoquez, mais quand il existe des points communs, pourquoi les procédures ne sont-elles pas communes ?

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur le ministre, une déclaration valant autorisation serait quand même un outil beaucoup plus simple ! Cela n’empêcherait en outre pas le processus de contrôle, conformément aux dispositions de l’article L. 131-10 du code de l’éducation. C’est du bon sens ! Pourquoi embouteiller les services, ceux des mairies et les autres ? Peut-être faut-il retravailler l’amendement, mais il me semble logique, et le couperet de l’autorisation préalable, néfaste. Nous ne sommes pas contre l’article 21 mais nous souhaiterions l’aménager.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS535 de M. David Lorion.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement vise à ce que l’autorisation ne puisse être délivrée qu’après que les personnes responsables de l’enfant ont transmis par écrit un projet éducatif. J’apprécie cette idée, ainsi que celle de la signature d’une charte. Mais le délai proposé ne me paraît pas convenir. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS457 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Je remercie monsieur le ministre d’avoir évoqué au début de notre réunion le problème des 250 millions d’enfants dans le monde qui ne bénéficient pas d’instruction. C’est également un problème français.

Mon expérience est triple. Tout d’abord, je fais partie de ce demi-million de parents français qui habitent à l’étranger, où l’instruction n’est donc pas obligatoire. Ensuite, j’ai passé quinze ans dans une zone à urbaniser en priorité (ZUP) dans laquelle j’animais un projet d’action sociale. Je sais ce que cela signifie quand des parents disparaissent… Enfin, je suis rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour le budget de la diplomatie d’influence et, à ce titre, je contrôle certains opérateurs, sur lesquels je vais revenir.

Il ne faut pas idéologiser le rapport entre la famille et l’école. Je n’ai pas pu intervenir ce matin, mais les débats étaient très pénibles. Nous avons beaucoup parlé de liberté d’éducation et d’instruction, mais n’oublions pas d’évoquer l’excellence. Si notre éducation se propage dans le monde, c’est qu’elle est excellente. Certes, ce n’est pas un système d’ampleur – il est plutôt fait de petites expériences, s’inspirant de Freinet, de Montessori – mais il vise l’excellence.

Le CNED fait désormais partie du service numérique de l’éducation, défini à l’article L. 131-2 du code de l’éducation. L’amendement propose que nous adaptions ce service numérique afin qu’il devienne le soutien de l’instruction en famille, en tissant des liens et en interagissant avec l’IEF. Je suis contre l’instruction en famille qui archipellise notre société, mais pour une IEF pionnière de notre excellence éducative.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’esprit de votre amendement mais il est satisfait car de nombreuses ressources sont en ligne, et mises à disposition des familles qui pratiquent l’IEF sur Eduscol.

En outre, les familles pratiquant l’instruction en famille sont bien sûr libres d’utiliser les ressources qu’elles souhaitent, et certaines choisissent le CNED. On ne peut les obliger à utiliser ce service, pour des raisons liées au droit de la concurrence, d’autres établissements d’enseignement à distance proposant le même type de service.

Enfin, les élèves inscrits au CNED bénéficient bien d’un enseignement moral et civique, conformément aux programmes de l’éducation nationale. Ce n’est pas directement l’objet de votre amendement, mais nous y reviendrons car d’autres collègues l’ont évoqué.

Si vous le souhaitez, je vous propose de retirer votre amendement pour que nous réfléchissions ensemble à une rédaction plus adéquate.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mon avis sera le même que celui de la rapporteure. Je vous remercie d’avoir mis l’accent sur la question des ressources car c’est effectivement un enjeu. Les familles, et pas seulement celles qui choisissent l’IEF, doivent pouvoir disposer de ressources pour les aider à suivre leur enfant. Nous avons beaucoup développé ces outils au cours des dernières années.

Ainsi Eduscol, que Mme la rapporteure a cité, est extrêmement riche. Sur ce point comme sur d’autres, la crise épidémique a été à la fois révélatrice et stimulante. Ce que nous avons appelé l’opération « Nation apprenante » consiste justement à développer des ressources pour les familles. Nous avons travaillé avec l’audiovisuel public – France 4 et Radio France – ainsi qu’avec une série de partenaires. Les ressources ainsi créées sont à la fois de plus en plus riches et labellisées. Le Réseau Canopé, que vous connaissez bien, monsieur le député, est centré sur la formation des enseignants, et dispose lui aussi de plus en plus de ressources, avec des effets de bord pour les familles.

Les enfants français domiciliés en dehors du territoire sont, de fait, dans une situation spécifique par rapport à la scolarité obligatoire, vous avez raison. À l’inverse, aucun enfant sur le territoire de la République ne saurait être exclu de la scolarité.

M. Frédéric Petit. Je maintiens mon amendement. J’ai bien parlé de service numérique de l’éducation, et non uniquement du CNED. L’article L. 131-2 est plus large, et inclut Canopé et Eduscol il me semble. J’y insiste car c’est un point encore confus pour mes collègues.

Monsieur le ministre, votre action a permis le regroupement de différents opérateurs. Si l’on considère que le service numérique de l’éducation est un service public, nous devons le renforcer et inclure l’IEF dans ses missions, alors qu’elle n’y figure pas. Ce serait également un signe positif en direction de l’excellence dont j’ai parlé.

Enfin, madame la rapporteure, mon amendement n’oblige personne à s’inscrire au CNED, pas plus qu’à suivre des cours de morale !

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1884 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Toujours dans la même veine, il s’agit de revenir au système de déclaration. Puisque vous ne voulez pas me répondre, je vais vous poser ma question différemment : l’IEF ne fait-il pas partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vais finir par me vexer car j’en ai parlé pendant plusieurs minutes dans mon propos introductif, monsieur de Courson. J’ai même dit que le dispositif retenu était juridiquement solide, au regard tant du droit français que du droit international.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’espère que vous me ferez la grâce de penser que je connais un peu ces sujets pour avoir beaucoup écrit dessus. Nous l’avons déjà abordé avec la rapporteure, mais je vais le répéter : la liberté d’enseignement ne fut explicitement consacrée qu’en 1977 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle fait référence à une loi de finances du 31 mars 1931. Le juge constitutionnel, s’appuyant sur cette loi, a fait du principe de la liberté d’enseignement un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Vous le savez très bien puisque vous vous référez à la jurisprudence du Conseil d’État – sans viser celle de la Cour européenne des droits de l’homme – il n’y a pas, et il n’y a jamais eu de consécration constitutionnelle de l’instruction à domicile. La seule base constitutionnelle est celle de la liberté d’enseignement, laquelle inclut l’instruction à domicile, mais précisément dans ce cadre. Or nous pouvons tous constater que l’instruction à domicile évolue encore trop dans un fort vide juridique. C’est pourquoi nous apportons ces précisions afin de contribuer à la construction législative de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République qu’est la liberté d’enseignement.

Nous verrons ce qu’en dira le juge constitutionnel : si l’instruction à domicile fait sans aucun doute partie de la liberté d’enseignement, selon des modalités qui restent à définir, elle ne saurait constituer un principe absolu, au risque de se heurter à d’autres libertés et droits importants, notamment les droits de l’enfant.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS189 de M. Xavier Breton, CS944 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1382 de M. Arnaud Viala.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, mon collègue Gosselin avait demandé la parole sur l’amendement précédent. Veillons à ce que nous puissions parfaitement débattre de ces questions.

Monsieur le ministre, l’article 2 du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « l’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

De même, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 16 juillet 1971 relative à la loi sur la liberté d’association, a jugé que l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut pas être conditionné « à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire », c’est-à-dire à une autorisation préalable.

Nous considérons que l’instruction à domicile est une liberté fondamentale. Il ne s’agit pas uniquement d’un débat juridique, mais également d’un débat politique, que nous devons relayer. La liberté d’éducation et la liberté d’enseignement sont-elles des libertés fondamentales ? Nous le pensons ; vous ne le pensez pas et cherchez à rogner ces libertés. C’est pourquoi nous proposons cet amendement.

M. le président François de Rugy. Je rappelle qu’il s’agit de supprimer l’alinéa 5.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis également opposée au régime d’autorisation préalable – qui plus est annuel. Je le répète, une liberté soumise à autorisation n’est plus une liberté fondamentale, l’interdiction devenant la règle. Selon l’étude d’impact, environ 30 000 enfants actuellement instruits en famille risquent de ne plus pouvoir en bénéficier. En outre, ceux qui souhaiteront y avoir recours à l’avenir en seront dissuadés par des contraintes excessives.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements qui proposent de supprimer l’alinéa 5, donc le dispositif d’autorisation.

M. le président François de Rugy. Monsieur Gosselin, dans les prises de parole, je donne la priorité aux porteurs d’amendements et aux membres de la commission.

Mme Annie Genevard. La question du contrôle me semble essentielle. J’avais déposé un amendement que je n’ai pu défendre, ayant dû m’absenter. Si les contrôles ne doivent pas être excessifs, il faut sans doute les renforcer, un inspecteur de l’Éducation nationale que nous avons auditionné avec Mme Brugnera ayant convenu qu’ils étaient actuellement probablement insuffisants.

Si on veut toucher notre cible – l’absence d’enseignement ou l’enseignement dévoyé –, si on soupçonne une défaillance grave pour l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut pouvoir effectuer des contrôles. Or l’inspecteur a convenu que certains parents se dérobent délibérément aux contrôles en étant absents lorsque le contrôle est annoncé, ou en faisant intervenir des associations pour le contester. Je plaide pour le maintien de l’instruction en famille, car c’est une liberté importante pour ces dernières. Mais il faut punir ceux qui se dérobent aux contrôles. Monsieur le ministre, ne faudrait-il pas alors scolariser les enfants dans une école publique ou privée ?

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à la discussion commune des amendements CS1486 de M. Gaël Le Bohec, CS761 de M. Xavier Breton, CS1888 de Mme Géraldine Bannier, CS757, CS758, CS759, CS760 et CS762 de M. Xavier Breton, ainsi que des amendements CS1484 de M. Gaël Le Bohec, CS1050 de Mme Béatrice Piron et CS1485 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Bien entendu, l’article 21 est très important et il est hors de question de le supprimer car ce serait nier que des améliorations sont possibles. J’ai auditionné entre deux cents et deux cent cinquante familles qui plaident pour ces améliorations : modes de déclaration, anticipation des délais, etc.

C’est l’objet de l’amendement CS1486 qui prévoit que la déclaration à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation se fasse de manière préalable, avant la rentrée scolaire afin de permettre aux services de l’éducation nationale et aux familles de s’organiser. Bien sûr, dans certaines situations exceptionnelles, il faudrait faire preuve de souplesse, mais fixer une telle règle permettrait à tout le monde de s’organiser et d’améliorer la relation des familles avec l’administration.

M. Jean-Paul Mattei. Il n’est pas question de remettre en cause l’autorisation. Nous souhaitons simplement améliorer les modalités de son octroi. C’est pourquoi nous plaidons pour une déclaration préalable valant autorisation provisoire, puis un contrôle conformément à l’article L. 131-10 du code de l’éducation. Un tel dispositif serait beaucoup plus souple.

M. Xavier Breton. Je vais défendre les amendements CS761, CS757, CS758, CS759, CS760 et CS762. Ils visent à maintenir le système de déclaration car l’instruction en famille est une liberté fondamentale, la déclaration étant suivie d’un contrôle – qu’il s’agit de rendre effectif par le biais de ces amendements.

L’amendement CS761 propose un formulaire-type afin de mieux encadrer la déclaration. L’amendement CS757 dispose que les motifs de choix devront être indiqués dans la déclaration puisqu’il est important de savoir dans quelle logique la famille recourt à l’instruction en famille. Au-delà des choix pédagogiques différents de chaque parent, qui doivent être respectés dans leur diversité, l’amendement CS758 rappelle les objectifs de l’instruction, à savoir maîtriser le socle commun et réaliser tous les enseignements.

L’amendement CS759 précise que le formulaire-type doit comprendre des informations sur la participation des enfants aux activités extrascolaires. Contrairement à la vision que vous avez de ces familles, elles sont souvent très ouvertes, vivent au sein d’un quartier, dans une commune, où les enfants participent à la vie sportive et culturelle. Il faut pouvoir le vérifier a posteriori et, si on a un doute, l’indiquer.

L’amendement CS760 prévoit que la déclaration devra être accompagnée d’un dossier pédagogique afin d’expliquer la démarche pédagogique de la famille.

Je vais retirer l’amendement CS762, qui visait à préciser par décret le contenu du formulaire-type, car nous ne partageons pas les objectifs de l’exécutif et je ne souhaite donc pas lui confier cette rédaction.

L’amendement CS762 est retiré.

M. Gaël Le Bohec. Mon deuxième amendement poursuit un objectif totalement différent de l’amendement précédent. Il a trait au rattachement de l’enfant instruit au titre de l’IEF à son établissement scolaire de référence, afin d’améliorer l’efficacité de la déclaration et de renforcer les principes républicains.

Cela permettrait de maintenir un lien de confiance avec l’établissement dans la durée. L’article D. 331-4 du code de l’éducation le prévoit déjà puisqu’il dispose que « l’élève reste inscrit dans son établissement scolaire de référence s’il est contraint d’interrompre momentanément sa scolarité en raison de son état de santé et de recevoir un enseignement à domicile ». Beaucoup d’associations d’enfants handicapés ou autistes plaident pour ce continuum d’éducation, très important.

Enfin, les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont rappelé que 50 % des enfants sont instruits à domicile pour des durées inférieures à un an. Dans ce contexte, le lien avec l’établissement est d’autant plus fondamental.

Mme Béatrice Piron. Je suis très favorable à ce que tous les enfants suivent leur scolarité dans une école, mais en même temps consciente que l’IEF est un moment particulier et la solution parfois la mieux adaptée à certains enfants. Je plaide pour une école inclusive pour tous les enfants, qu’ils soient en situation de handicap ou instruits en famille.

Le rattachement à une école, comme le propose M. Le Bohec, permet de préparer l’éventuelle réintégration de ces enfants dans l’école, en la leur faisant découvrir, voire intégrer à temps partiel, comme cela se fait déjà pour certains enfants en situation de handicap. Cela permettrait de rassurer les familles qui craignent l’avis défavorable de la mairie, soucieuse d’éviter des fermetures de classes. Cela permettrait aussi de garantir une place aux enfants, s’ils ont besoin de réintégrer l’école en urgence.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Tous ces amendements réécrivent l’alinéa 5 relatif à l’autorisation. Mon avis sera donc défavorable.

À la place de l’autorisation, plusieurs d’entre vous proposent une déclaration préalable qui vaudrait autorisation provisoire et serait suivie de contrôles renforcés, le refus des contrôles étant sanctionné. Mais c’est déjà le cas ! Il s’agirait donc d’un statu quo, et non une amélioration. Il y a déjà des contrôles et, quand les parents effectuent des manœuvres dilatoires ou les refusent, il faut effectivement plusieurs contrôles et plusieurs procédures avant de conclure que l’instruction en famille n’est pas effectuée correctement.

Madame Genevard, je partage votre ambition. Si vous aviez été là pour défendre votre amendement, je vous aurais dit qu’il était satisfait. Nous traitons le problème évoqué ci-dessus par le biais de l’autorisation préalable. Elle permettra en temps et en heure de fixer des règles claires pour les familles qui veulent recourir à l’instruction en famille. Il est dommage que vous ayez retiré votre amendement, monsieur Breton, car je partage votre souci du concret et suis favorable à des règles claires.

Vos autres amendements ne règlent pas le problème actuel : en attendant que les contrôles soient diligentés, refusés, diligentés à nouveau, refusés à nouveau et que l’administration arrive au terme de la procédure, l’enfant est instruit – ou pas – en famille et ses droits ne sont pas préservés. C’est pourquoi nous préférons une autorisation en amont, sous réserve, vous avez raison, que son instruction soit réalisée dans des délais raisonnables. Nous y reviendrons probablement à l’occasion d’autres amendements.

S’agissant du rattachement, le rapporteur général va présenter un amendement. Nous en rediscuterons à ce moment.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Plusieurs d’entre vous ont signalé le manque de moyens humains pour réaliser les contrôles. Il est vrai qu’il existe depuis toujours un angle mort, puisque l’institution ne s’était jamais organisée pour les effectuer. Depuis trois ans, nous développons les moyens – trente postes d’inspecteurs ont été créés l’an dernier. Davantage d’inspecteurs peuvent se consacrer à ces contrôles, ce qui nous a permis de mieux identifier le phénomène.

L’instruction en famille, qui concerne 65 000 enfants, a récemment pris une grande ampleur. Si nous prolongions les courbes, nous aboutirions à un changement de la nature du système : l’enseignement se ferait en famille, et la mission de l’éducation nationale serait de contrôler, conseiller et intervenir dans les familles, ce qui serait très complexe.

Il est normal de développer les moyens de contrôle, nous l’avons fait, sans doute insuffisamment, nous le ferons davantage au cours des prochaines rentrées. Cet effort sera corrélé au déploiement des moyens humains que nous allons consacrer à la laïcité. Depuis trois ans, dans chaque académie de France, des équipes « valeurs de la République » ont été formées pour intervenir dans les établissements. Elles ne se consacrent pas à l’enseignement à distance, mais jouent un rôle complémentaire et connexe. À l’avenir, dans chaque rectorat de France, il y aura une équipe « valeurs de la République » et une équipe chargée de contrôler les écoles hors contrat et l’instruction en famille. La présence de ces deux équipes permettra le partage d’expérience et assurera de disposer des moyens humains suffisants pour intervenir sur ces sujets. La montée en puissance est donc prévue, mais elle ne peut pas être infinie, il faut la cadrer.

À propos du régime d’autorisation, je rappelle que le silence de l’administration vaut acceptation au terme d’un délai de deux mois. Gardons-nous des préjugés selon lesquels l’administration serait froide, bureaucratique, sans considération pour les cas particuliers. C’est une vision erronée. Il est facile de caricaturer l’administration de l’éducation nationale ; pour la fréquenter au quotidien depuis longtemps, notamment dans ses établissements déconcentrés, je sais qu’elle est composée de gens admirables dotés d’un grand sens du service public qui sont parfaitement capables de travailler sur ces sujets.

M. Philippe Vigier et Mmes Perrine Goulet, Géraldine Bannier, Isabelle Florennes. Mais ils n’ont pas les moyens suffisants !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Par leur recrutement et leur formation, les personnes chargées du contrôle auront à cœur de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le rattachement à une école est une idée intéressante, il faut en étudier les conséquences. Au premier degré, il est sans doute plus pertinent de prévoir le rattachement à une circonscription, pour éviter une concentration excessive dans une école et d’éventuels effets pervers. Au second degré, le rattachement peut se faire à un établissement.

La référence aux enfants en situation de handicap et au concept d’école inclusive est judicieuse. Le grand mouvement d’intégration des enfants en situation de handicap à l’école, en cours depuis une vingtaine d’années, s’est accéléré ces dernières années. Il est paradoxal de souhaiter accueillir de plus en plus d’enfants handicapés à l’école tout en facilitant le développement de l’enseignement au sein des familles.

Nous devons développer une vision cohérente – résumée par l’expression : l’école, c’est bon pour les enfants – qui implique de rattacher au système scolaire ceux qui reçoivent l’instruction en famille. C’est particulièrement vrai pour les enfants malades ou en situation de handicap, qui doivent rester à la maison pour des cas de force majeure. Nous souhaitons créer le lien avec l’école, la rédaction retenue sera le fruit de nos travaux.

M. Philippe Vigier. Monsieur le ministre, entendez le message qui vient de tous nos bancs. Nous ne demandons rien d’autre que d’aligner ce dispositif sur celui des écoles hors contrat : leur création est déclarée, et l’administration peut les faire fermer dans les trois mois. Dire que le silence de l’administration vaut acceptation est un mauvais message, nous souhaitons tous que nos enfants bénéficient de la meilleure éducation possible. Comment expliquer que des écoles privées hors contrat aient un régime plus facile d’accès que les écoles contrôlées ?

Dans l’Eure-et-Loir, il n’y a pratiquement aucun contrôle sur les familles. Vous demandez aux maires de contrôler les locaux, mais nous ne sommes pas capables de vérifier la qualité de l’enseignement. Ce n’est pas parce qu’un dossier d’autorisation sans véritable projet pédagogique est déposé que vous garantirez l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Gaël Le Bohec. Lors de leur audition, les chercheurs Philippe Bongrand et Dominique Glasman nous ont déclaré que le dossier d’autorisation n’est pas producteur de confiance avec les services publics, et l’autorisation constitue une sorte de mise à distance de la promesse républicaine. Ils ont étudié méticuleusement, en allant chercher les dossiers chez les directeurs académiques pour comprendre la logique de ces familles d’un point de vue sociologique.

Je suis prêt à retirer mon amendement sur le rattachement à une école, mais j’aimerais avoir quelques détails sur les propositions à venir du rapporteur général.

M. Jean-Christophe Lagarde. Les débats sont organisés, normalement, pour que nous parvenions à nous convaincre. On entend sur tous les bancs – y compris du groupe MoDem – que le principe doit être la liberté de faire, l’obligation de déclarer, et le devoir, pour l’État, de contrôler. C’est la demande de la plupart des députés présents, y compris de votre majorité. Une évolution du projet de loi au cours des débats est-elle possible ? On nous répond toujours que nos propositions ne peuvent être retenues car elles reviennent sur le principe de l’autorisation.

Dans le but, légitime, de lutter contre l’abus de liberté commis par les personnes radicalisées qui enferment leurs enfants dans leur idéologie et cherchent à leur faire prendre les armes contre la République, le Président de la République a proposé l’interdiction de l’école à domicile. Le Conseil d’État ayant jugé cette interdiction illégale, vous avez décidé d’instaurer un régime d’autorisation. Il me semble que le point d’équilibre, c’est un régime de déclaration et un contrôle effectif, pas dans un délai de trois mois, mais dans les semaines qui suivent la déclaration.

Monsieur le ministre, j’ai cité les chiffres de ma commune, vous avez cité ceux de la nation. Le ressort d’une inspection correspond à peu près à celui d’une commune. Passer de vingt-sept à quarante-sept enfants en cinq ans traduit une progression qu’il ne faut pas négliger, et la collaboration entre les communes, qui connaissent la situation de ces familles, et l’éducation nationale serait très utile. Mais ne dites pas que l’enseignement à domicile devient le modèle, alors que dans la même commune, on compte 8 000 élèves scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires. On peut trouver que quarante-sept élèves sur 8 000, c’est trop – c’est mon cas – mais ce n’est pas en train de devenir le modèle ! J’espère que nous sommes capables de nous adapter, et que les inspections suivent aussi les 380 enseignants et les 8 000 élèves.

Je suis favorable à un encadrement plus strict de l’instruction en famille, et j’espère que nos débats permettront de trouver le bon équilibre, qui permette de défendre la République et d’interdire que des enfants soient pris en otages dans des objectifs contraires aux droits de l’enfant et aux principes de la République, tout en incitant l’administration à faire confiance aux familles. La confiance n’exclut pas le contrôle.

M. le président François de Rugy. Je suis étonné par le raisonnement qui est employé. On commence par dire qu’il faut que l’instruction en famille soit aussi ouverte que possible et qu’une simple déclaration doit suffire, ce qui faciliterait l’augmentation du nombre d’enfants concernés. Puis, dans un second temps, on appelle à renforcer les contrôles.

La République ne fonctionne pas comme cela, ce n’est pas à la collectivité de supporter le coût des choix individuels. J’ai interrogé les familles qui pratiquent l’IEF, les contrôles durent deux à trois heures. Donc pour un seul enfant, un inspecteur de l’éducation nationale accompagné de l’équivalent d’un conseiller principal d’éducation sont accaparés pendant une demi-journée. Vous rendez-vous compte de la différence de moyens mobilisés par rapport aux enfants scolarisés dans des classes ? Chaque enseignant n’est pas inspecté une fois par an. Vous proposez que chaque élève, ainsi que ses parents, passent un entretien avec un inspecteur de l’éducation nationale accompagné d’un conseiller principal d’éducation, au moins une fois par an, et que l’on contrôle la progression des savoirs. Ce serait donc à la collectivité de payer les conséquences de choix individuels.

Mme Perrine Goulet. De quelle partie du texte est-il le rapporteur ? (Sourires.)

M. le président François de Rugy. Ce seront autant de moyens en moins pour l’éducation nationale, c’est-à-dire pour les enfants que les parents ont choisi de placer dans des structures collectives. Il faut considérer les conséquences des raisonnements que vous tenez !

Je vais mettre aux voix les amendements… (Protestations.)

Mme Perrine Goulet. Vous ne pouvez pas intervenir de cette façon sans nous laisser la possibilité de reprendre la parole !

M. le président François de Rugy. Je ne suis pas celui qui intervient le plus dans les débats, loin de là. Je sais que certains s’agacent parfois que je rappelle les choses, mais j’ai rencontré comme vous les parents qui défendent l’instruction en famille.

Et je continue à donner la parole en priorité à ceux qui ont déposé des amendements. Chacun a pu vérifier que je suis attentif à l’expression de tous les points de vue.

Mme Annie Genevard. Il s’agit de questions fondamentales, qui seront parmi les plus débattues de ce projet de loi.

Si le projet de loi contient ces dispositions, c’est qu’un problème a été identifié. La rapporteure explique que mon amendement sur le renforcement des contrôles est satisfait dans la pratique, en contradiction flagrante avec les propos du ministre qui a reconnu qu’il existait un angle mort et qu’il n’y avait pas assez de contrôles.

C’est le point central, il faut adresser le message de la sévérité la plus absolue en cas de manquement. Évidemment, on ne peut pas contrôler chaque année tous les enfants qui sont instruits en famille. Il faut que ceux qui font mal les choses craignent le contrôle, et soient sanctionnés.

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur le président, il me semble que le président d’une commission est tenu à une certaine neutralité, et que son rôle est d’organiser les débats, pas de les orienter.

M. le président François de Rugy. Vous confondez avec le rôle du président de l’Assemblée nationale. M. Woerth intervient régulièrement dans les débats de la commission des finances pour donner son point de vue, c’est tout à fait légitime, et il appartient d’ailleurs à l’opposition.

M. Jean-Paul Mattei. Vous savez très bien que la commission des finances obéit à des règles particulières.

M. le président François de Rugy. M. Lescure et Mme Braun-Pivet font la même chose. Et nous avons salué le fait que la regrettée Marielle de Sarnez donnait très souvent son avis au sein de la commission des affaires étrangères, et ses interventions étaient très riches.

M. Jean-Paul Mattei. Pour en revenir aux amendements, les parents seront tenus par les dispositions de l’article 21 pour établir leur déclaration, ils ne la feront pas dans le vide. Nous avons tous rencontré des familles qui ont de vrais projets éducatifs, des projets de vie, ils ne font pas les choses à la légère. La déclaration conforme à l’article 21 peut parfaitement valoir autorisation provisoire dans l’attente d’un contrôle effectif.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, vous avez pris part aux débats en soulignant que nous demandions des contrôles supplémentaires. Ce n’est pas pour contrôler l’instruction en famille en tant que telle, l’éducation n’est pas l’objet de ce projet de loi, il vise à lutter contre les séparatismes. Nous proposons que les contrôles sur l’instruction en famille permettent d’assurer l’absence de tentation séparatiste. C’est dans cet objectif que l’amendement CS759 propose de renseigner les activités extrascolaires auxquelles l’enfant participe.

Nous le constatons à nos échanges, il s’agit d’une question de principe : si la liberté d’enseignement est une liberté fondamentale, le régime de la déclaration s’impose. Sinon, il est possible de prévoir un régime d’autorisation. Le Gouvernement et sa majorité s’accrochent à l’autorisation pour une question de principe : les modalités de contrôle sont du domaine technique, nous pouvons nous entendre, mais vous voulez revenir sur la liberté de l’instruction en famille, qui fait partie de la liberté d’enseignement au sens large.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1838 de la rapporteure.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1839 de la rapporteure et CS130 de M. Jacques Marilossian.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je propose de renvoyer à un décret en Conseil d’État la définition des modalités d’autorisation de donner l’instruction en famille.

Le caractère annuel de cette autorisation est maintenu, mais il serait possible d’y déroger pour prendre en compte la situation particulière de certains enfants, dont la maladie de longue durée ou le handicap font obstacle à la scolarisation pour une durée supérieure à l’année scolaire.

M. Jacques Marilossian. Si le régime d’autorisation pour l’instruction en famille est mis en place, l’obligation de formuler une demande d’autorisation chaque année apparaît lourde et disproportionnée, dans la mesure où les contrôles annuels effectués par les pouvoirs publics sont maintenus.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable à l’amendement de la rapporteure, et je demande à M. Marilossian de retirer le sien.

M. Charles de Courson. Cet amendement va atténuer en partie les effets de l’article 21, ce qui est une bonne chose.

Les résultats des contrôles sont les suivants : il n’y a aucun problème lors du premier contrôle dans 93 % des cas. Lors du deuxième contrôle, cette proportion monte à 98 %. Les problèmes ne concernent que 2 % des cas.

Le 18 juin 2020, le ministre a déclaré devant le Sénat : « la liberté d’instruction en famille a un fondement constitutionnel puissant que l’on ne peut que reconnaître, et qui est, je pense, positif. (…) À l’heure actuelle, je pense qu’il faut appliquer les règles que nous avons établies dans la loi de 2019. (…) Mais sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre. » Tout est dit ! C’est ce que nous proposons, il faudrait donner le nom du ministre à nos amendements !

M. Julien Ravier. Selon les statistiques, 30 % des contrôles de l’instruction en famille ne sont pas effectués, faute de moyens ou de stratégie.

Vous allez instaurer un système d’autorisations préalables annuelles, dans lesquelles ne seront pas détaillées les méthodes pédagogiques, le respect des principes républicains ou la nécessité de réaliser l’enseignement en langue française. Il devrait impliquer un contrôle systématique car à défaut, le silence vaudra autorisation. Si l’administration est dépassée, tout le monde aura une autorisation, sans aucune vérification des motifs ou des raisons.

Je rappelle que j’ai proposé un système de déclaration renforcée, qui permettrait un contrôle a priori. Ce contrôle pourrait s’effectuer de manière stratégique, en fonction du contenu de la déclaration. Cela permettrait d’être beaucoup plus pragmatique, efficace et opérationnel.

La commission adopte l’amendement CS1839. En conséquence, l’amendement CS130 tombe.

Elle est saisie de l’amendement CS393 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’article 21 ne vise pas à interdire l’enseignement en famille, mais à le soumettre à autorisation. Je propose de créer un temps d’enseignement républicain pour ces élèves au sein des écoles, dont les conditions et le contenu seront fixés par décret.

Je suis surpris par nos débats. Oui, monsieur Breton, l’école de la République vise aussi à sortir les enfants de l’assignation à résidence, et j’en suis la preuve vivante. Il n’était pas évident pour le fils de paysans de la Creuse que je suis de devenir député, et je le dois à l’école de la République, à une institutrice de classe unique qui m’a enseigné la solidarité au sein de la classe, à aider ceux qui étaient moins favorisés, qui m’a fait côtoyer des gens aux capacités et aux origines différentes. C’est un socle de notre République.

Rien n’est plus normal, dans ce texte qui réaffirme les principes de la République, que de rappeler que l’école de la République l’emporte sur le reste. Elle est le creuset républicain qui peut créer l’unité, si nous voulons lutter contre les séparatismes, il faut que la République soit forte, et l’école joue ce rôle.

M. Pupponi témoignait de la tendance de certains élèves à se réfugier dans les écoles confessionnelles pour échapper aux mauvais traitements qu’ils subissent dans les écoles de la République. Nous ne devons pas nous y résigner, l’école doit réaffirmer les valeurs de la République partout, pour tout le monde, et systématiquement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre proposition de diffuser l’enseignement républicain à tous les enfants est intéressante. Néanmoins, elle soulève des problèmes au regard de la liberté d’enseignement des parents qui pratiquent l’instruction en famille.

Je vous propose de le retirer pour y retravailler. Nous pourrions appliquer cette mesure sur la base du volontariat, en proposant aux familles ou aux enfants de participer à ces enseignements. Plusieurs amendements à venir nous permettront d’approfondir cette proposition.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage évidemment l’esprit de cet amendement, nous devons réfléchir à ses modalités d’application. Cette proposition rejoint celle d’organiser un rendez-vous républicain au moins une fois dans l’année, et d’obliger les parents à s’engager au respect des principes républicains. Dans le dossier que les parents rempliront, ils prendront plusieurs engagements – on voit tout l’intérêt d’un système d’autorisation – dont celui d’assurer l’éducation civique. Il faut continuer à travailler sur ces idées, qui sont conformes à l’esprit du texte.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1549 de Mme Natalia Pouzyreff.

Mme Natalia Pouzyreff. Il n’est exigé de démontrer la capacité des personnes qui assureront l’instruction en famille que dans un des quatre motifs invocables. Nous souhaitons qu’elle soit généralisée.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les trois premiers motifs invocables pour demander l’instruction en famille permettent d’avoir recours au CNED réglementé. Les parents peuvent en effet déléguer cette instruction au CNED. C’est pourquoi l’exigence de capacité des personnes n’est prévue que pour le quatrième motif.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS816 de Mme Perrine Goulet et CS1488 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Perrine Goulet. Le ministre a parlé de moment républicain. Pour lutter contre l’instruction en famille, il faut redonner confiance aux parents dans l’école. Le problème tient souvent à des difficultés qu’ils ont pu avoir avec certains enseignants. Pour restaurer cette confiance, je pense nécessaire de rencontrer ces enfants.

Je propose de rattacher chaque enfant à un établissement d’enseignement public. Il y serait périodiquement accueilli, avec les autres enfants recevant l’instruction en famille, afin de bénéficier des enseignements sur la laïcité et les valeurs républicaines, mais également en matière d’hygiène, d’éducation au corps et de droits de l’enfant, ce qui permettrait de détecter les cas de violences au sein des familles.

Cette rencontre permettrait également d’évaluer les connaissances de ces enfants, et résoudrait la difficulté d’envoyer des inspecteurs dans toutes les familles.

M. Gaël Le Bohec. Selon les chercheurs que nous avons auditionnés, la socialisation des enfants qui reçoivent l’instruction en famille n’est pas un problème. J’aimerais avoir la réaction du ministre et de la rapporteure sur un courrier que les familles ont reçu de Matignon, en date du 20 janvier, qui peut sembler blessant. Il y est écrit : « Comme vous le savez, la progression de l’obscurantisme religieux est en grande part alimentée par le repli communautaire. À cet égard, plus de 50 000 enfants sont scolarisés à domicile, un chiffre qui augmente chaque année. Nombre d’entre eux sont totalement hors système. »

Je suis étonné de cette réponse, car les enfants qui reçoivent l’instruction en famille sont déclarés, il est impropre de dire qu’ils sont « hors système ».

L’amendement CS1488 porte sur le rattachement, j’aimerais avoir plus d’informations sur vos propositions à ce sujet.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Madame Goulet, le rattachement est une bonne idée, et je défendrai un amendement qui propose de rattacher chaque enfant qui reçoit l’instruction en famille à une circonscription dans le premier degré, ou à un établissement dans le deuxième degré. Nous pourrons débattre de l’intérêt de ce rattachement.

En revanche, je ne suis pas favorable à l’évaluation semestrielle par l’établissement. Les évaluations sont faites par des inspecteurs qui disposent d’une expérience en la matière. L’instruction en famille permet d’adopter le rythme qui convient à l’enfant, qui n’est pas forcément celui de l’école, il est préférable de laisser aux inspecteurs le soin de l’évaluation.

Le contrôle des connaissances en matière d’hygiène ou d’éducation au corps est une idée pertinente, à laquelle nous pourrions travailler. Dans le cadre du contrôle pédagogique, l’inspecteur peut aborder ces sujets avec les parents car cela fait partie du programme d’enseignement.

S’agissant de la socialisation des enfants scolarisés en famille, j’invite à faire preuve de nuance. Beaucoup d’enfants n’ont aucun problème de socialisation, mais certains éprouvent de réels problèmes. Je n’invoquerai pas mon expérience personnelle d’adjointe à l’éducation, mais j’invite à ne pas trop simplifier les propos que nous avons recueillis en audition.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage totalement l’avis de la rapporteure. Nous pourrons toujours citer des exemples positifs, ce sont les situations négatives que nous visons, et elles existent, ne nous voilons pas la face.

Mme Perrine Goulet. L’évaluation semestrielle que je propose ne serait pas faite par les enseignants mais par les inspecteurs, pendant les vacances scolaires, ce qui leur éviterait de multiplier les visites aux familles.

J’y retravaillerai, je pense que c’est une piste pour préserver les ressources de l’éducation nationale et redonner envie à ces enfants de voir des camarades et revenir dans l’école. Je propose d’organiser ces rencontres hors du temps scolaire pour préserver les enfants en phobie scolaire.

M. Gaël Le Bohec. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes en IEF, mais on ne peut pas dire que plus de 50 000 enfants sont scolarisés à domicile, et que nombre d’entre eux sont hors système. S’ils sont en IEF, nous pouvons les tracer.

L’amendement CS1488 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS816.

La séance est levée à treize heures dix.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 9 heures

Présents.  Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Éric Coquerel, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Anne-Christine Lang, M. Gaël Le Bohec, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, M. Pacôme Rupin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet

Assistaient également à la réunion. - Mme Stéphanie Do, M. Grégory Labille, M. Jacques Marilossian, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Monica Michel, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe