Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi
confortant le respect
des principes de la République

– Suite de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649 rect.) (M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre I du titre II, Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre I du titre Ier, M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier, Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier, Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier, Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier, M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV)              2

– Présences en réunion.................................47

 

 

 

 

 

 


Samedi
23 janvier 2021

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 49

session ordinaire de 2020-2021


Présidence de M. François de Rugy, président


  1 

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI CONFORTANT
LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Samedi 23 janvier 2021

La séance est ouverte à neuf heures trois.

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La commission spéciale poursuit l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République (n° 3649 rect.) (M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre I du titre II, Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre I du titre Ier, M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier, Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier, Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier, Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier, M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV).

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Chapitre V
Dispositions relatives à l’éducation et aux sports

Section I : Dispositions relatives à l’instruction en famille

Article 25 (art. L. 111-1, L. 121-4, L. 131-8, L. 131-9, L. 131-14, L. 131-15-2 [nouveau] du code du sport) : Contrôle de l’État sur les fédérations sportives et conclusion d’un contrat d’engagement républicain

La commission est tout d’abord saisie des amendements identiques CS1080 de M. Alexis Corbière et CS1389 de M. Éric Diard.

M. Alexis Corbière. Il vise à supprimer l’alinéa 2, car la tutelle de l'État sur les fédérations sportives doit être maintenue : la supprimer marquerait une forme de désengagement de l'État.

Nous craignons un mouvement de privatisation de ces fédérations, parfois obligées de trouver différentes astuces pour survivre, dans une logique de marchandisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Je vous renvoie, s’agissant de la nécessité de passer d’un régime de tutelle – à la fois très large, assez flou et pâtissant du manque de moyens du ministère des sports – à un régime de contrôle, à un rapport de l’inspection générale des sports de 2017.

Ce dernier régime est plus engageant, d’autant qu’il s’appuiera sur un contrat de délégation qui définira les objectifs des fédérations et les points sur lesquels portera le contrôle du ministère.

Je suis par conséquent défavorable aux amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Même avis.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1081 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à supprimer les alinéas 3 à 18, car nous ne connaissons pas le contenu du contrat d’engagement républicain : nous ne voulons donc pas que les fédérations sportives le signent en vue d’obtenir leur agrément.

Au-delà de l’affichage, aucune étude d’impact n’a été menée.

Nous récusons en outre l’idée selon laquelle ces fédérations, qui, dans leur immense majorité, font ce qu’elles peuvent dans des conditions extrêmement difficiles, devraient être considérées d’un œil suspicieux.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les fédérations sportives sont tout à fait conscientes de leur rôle et désireuses d’être parties prenantes dans le combat visant à conforter le respect des principes de la République : certaines mènent d’ailleurs déjà des actions très intéressantes dans ce sens.

Je suis donc défavorable à l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Vos arguments m’étonnent, Monsieur Corbière, car vous savez fort bien qu’il existe des problèmes de ce genre dans le sport, et plus particulièrement dans les clubs.

Il ne s’agit pas d’avoir vis-à-vis des fédérations une démarche de suspicion mais bien de partenariat – qui prolonge celle poursuivie depuis le début du quinquennat – qui traduise les valeurs de la République – qui convergent avec celles du sport, et notamment la neutralité politique et religieuse – à travers les contrats d’engagement, véritables contrats de confiance.

En outre, des décrets et règlements complètent presque toujours la loi : cet argument ne trahirait-il pas votre aveuglement ? Voudriez-vous jeter le voile sur ces enjeux, qui font pourtant consensus dans le milieu du sport, les fédérations se réjouissant de disposer de ce type de contrat ?

Par ailleurs, l’ensemble de l’action sportive représente une alternative aux mauvaises tentations de la jeunesse.

M. Alexis Corbière. Monsieur le ministre, je ne souhaite jeter le voile sur rien du tout, et certainement pas sur les dérives intégristes. J’ai comme vous des convictions républicaines.

M. François Cormier-Bouligeon. Le champ du sport est extrêmement important : 18 millions de licenciés et 38 millions de pratiquants.

Plusieurs rapports parlementaires ont désigné le sport comme l’une des quatre principales cibles de l’islamisme : il ne faut à cet égard pas faire preuve, cher collègue Corbière, de cécité, mais prendre de la hauteur et, en nuances, dire les choses clairement.

Si l’immense majorité de nos compatriotes de tradition musulmane vit paisiblement en respectant les institutions de la République, certaines personnes, peut-être issues d’une immigration récente, veulent fracturer la République et utilisent à cette fin, malheureusement, les lieux de socialisation que sont les écoles et les clubs sportifs, que nous devons absolument protéger.

Les présidents de fédération, les dirigeants de club et les bénévoles sont les premiers demandeurs d’outils car ils constatent bien la pression de la pénétration religieuse, qui se manifeste notamment par des refus de saluer le tatami en judo ou par des prières dans les vestiaires.

Défendons donc le sport en le protégeant : le contrat d’engagement républicain revêt à cet égard une extrême importance.

M. Éric Diard. J’abonde dans le même sens. Au cours des travaux de la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, Éric Poulliat et moi-même avions constaté que le sport était de plus en plus gangrené par le séparatisme.

J’ai eu accès à un rapport des renseignements intérieurs de 2018 qui considérait que le sport constituait le premier vecteur de radicalisation, devant les salles de prière et internet.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS281 et CS278 de M. Julien Ravier, ainsi que de l’amendement CS790 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Julien Ravier. L’idée est de remplacer le contrat d’engagement républicain par la charte.

Le sport est en effet vraiment un lieu de radicalisation, mais également de recrutement.

Les auditions menées par le groupe Les Républicains nous ont permis de constater que 100 % des terroristes français ayant agi sur notre territoire se sont radicalisés et ont été recrutés dans une association sportive ou un club sportif.

Il faut donc agir absolument sur la sphère sportive.

Mme Emmanuelle Ménard. On ne connaît effectivement pas le contenu du contrat d’engagement républicain : le mot charte serait plus explicite.

Par ailleurs une formation, qui permettrait aux membres des associations sportives ou aux fédérations sportives de signaler des pratiques contraires à la laïcité aurait tout son sens dans le milieu sportif, dans la mesure où certains dirigeants d’associations sportives se trouvent parfois très démunis face à certaines manifestations d’islamisme.

J’avais déposé un amendement dans ce sens mais il a été déclaré irrecevable.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je suis défavorable aux amendements. Nous aborderons la formation un peu plus tard, au travers de plusieurs amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Pierre-Yves Bournazel. J’ai rendu en 2017 un rapport sur la lutte contre les discriminations dans le domaine du sport, qui avait fortement recommandé de former les cadres associatifs à cette question, le sport étant un lieu de cohésion sociale et d’émancipation individuelle mais également de reproduction des discriminations : racisme, antisémitisme, haine de l’autre, LGBT-phobie.

Le contrat d’engagement républicain constitue donc vraiment un socle absolument essentiel pour défendre les principes de la République, et en particulier le principe de laïcité.

M. Alexis Corbière. Je suis, chers collègues, un républicain : si je ne suis pas pour que les clubs sportifs deviennent des lieux de radicalisation, faire signer aux clubs sportifs des propos très généraux que je ne connais pas ne réglera pas le problème concret que nous avons.

Il faut effectivement les aider à se former et à comprendre.

Je ne veux pas que l’on affiche des choses : je veux que l’on soit efficace et pas que l’on fasse croire que l’on va régler le problème uniquement grâce au contrat d’engagement républicain dont on ne connaît pas le contenu.

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, il n’y a pas de discussion générale sur chaque article.

Je note par ailleurs que des collègues qui nous demandent de nous montrer plus offensifs dans la lutte contre l’islamisme radical et contre l’entrisme communautariste proposent de passer du contrat à une charte, ce qui constitue de fait un affaiblissement.

Par ailleurs, l’histoire regorge d’exemples où, à d’autres époques, les religions ont voulu prendre la main – notamment, en France, la religion catholique, du berceau à la tombe – sur la vie des gens, à travers l’école, les clubs sportifs ou d’autres organisations.

La République a vocation à offrir d’autres possibilités de s’émanciper, notamment grâce à l’école, qui est un de ses piliers notamment dans la transmission de ses valeurs. Je regrette d’ailleurs que nous ne l’ayons vue, à l’article 21, qu’à travers le prisme de l’instruction en famille (IEF).

Le tissu associatif, notamment les clubs sportifs, constitue également un enjeu majeur.

M. Frédéric Petit. Cher collègue Corbière, les politiques publiques du XXIe siècle ne seront pas menées à 100 % par des fonctionnaires. C’est à raison que l’article 25 remet à plat la relation, dans le sport, entre l’État et les fédérations, organismes parapublics, car celles-ci sont des outils partenariaux qui manquent peut-être ailleurs.

M. Julien Ravier. Monsieur le président, vous semblez vouloir dire que parce que nous voulons dans la loi substituer la charte au contrat, nous voudrions atténuer la force de ce dernier.

Pas du tout : nous considérons seulement qu’un contrat est en principe totalement bilatéral, qu’il détermine des obligations synallagmatiques et qu’en l’occurrence il s’agit d’une obligation unilatérale.

En revanche, le projet de loi pèche s’agissant de la formation, en particulier des dirigeants d’associations, ainsi que du contrôle du respect du contrat d’engagement républicain : il faudrait y mettre les moyens.

Il ne va donc pas assez loin, et nous ratons certainement la cible.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1856 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS39 de Mme Marie-Pierre Rixain. 

M. François Cormier-Bouligeon. Nous abordons un sujet extrêmement important : les violences sexistes et sexuelles

Depuis quelques années, la parole s’est heureusement libérée pour que la honte change de camp : je pense notamment à l’action très courageuse de Sarah Abitbol au sein de la Fédération française des sports de glace (FFSG).

Pour accompagner cette libération de la parole et mettre fin à un tabou, le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports a notamment lancé une convention sur la prévention des violences sexuelles dans le champ du sport.

L’amendement vise, à l’alinéa 7, à préciser que le contrat d’engagement républicain doit également porter sur la protection des mineurs vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La précision est tout à fait bienvenue, étant entendu qu’elle n’est pas exclusive de toute autre forme de violence : je suis donc favorable à l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1390 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’article 25 prévoit la signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations et les fédérations sportives agréées afin de renforcer la défense des principes de la République.

L’alinéa 7 précise que ce contrat comporte l’« […] engagement de veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs […] ».

L’amendement vise à détailler cette protection de l’intégrité morale en listant les points cardinaux de ladite intégrité au sein de notre société républicaine, à savoir « le respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, de la laïcité, de l’indivisibilité de la République et du peuple français ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le contrat d’engagement républicain est défini à l’article 6 : je ne pense pas nécessaire d’y ajouter notamment le principe d’indivisibilité de la République. Mon avis est par conséquent défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Si l’ensemble des principes républicains doit être respecté, le cadre réglementaire de la loi les précisera : avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS814 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. La radicalisation passe aussi, malheureusement, par le sport, y compris lors des activités périscolaires : il est en effet facile de formater de jeunes esprits fragilisés, en particulier au cours de l’adolescence.

Des auditions de la rapporteure est ressorti un besoin de neutralité des encadrants. À titre d’exemple, la Fédération française de football utilise déjà ce terme, à la satisfaction générale, y compris à l’occasion de compétitions internationales.

L’amendement vise donc à compléter l’alinéa 7 par les mots : « ainsi qu’à la neutralité des encadrants ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Comme vous le savez, si la neutralité découle, en ce qui concerne l’État et ses agents, de la laïcité, elle ne peut s’imposer aux associations.

En revanche chacune d’entre elles peut tout à fait, si elle le souhaite, appliquer en la matière des règles concernant ses encadrants, notamment de mineurs.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Si je comprends bien la visée de l’amendement, on ne peut étendre aux individus une obligation faite aux institutions dès lors qu’elles sont chargées d’une mission de service public.

Rappelons que nous parlons d’associations : c’est le contrat d’engagement républicain qui doit, au quotidien, assurer une neutralité du contexte dans lequel évoluent les enfants et les adolescents.

Si je suis d’accord avec son esprit, la lettre de l’amendement pose problème pour des raisons juridiques. En l’état, j’y suis donc défavorable, même si cela mérite d’en discuter avant la séance publique.

Mme Perrine Goulet. Il existe cependant un lien fort, que matérialise le code du sport, entre l’État et le sport, qui explique le rôle particulier joué dans notre pays par les associations et fédérations sportives.

J’ai entendu que vous n’étiez pas fermé, Monsieur le ministre, à étudier comment avancer sur ce sujet.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1391 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Il vise à inscrire dans la loi le deuxième paragraphe de l'article 50 de la charte olympique, selon lequel « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

Par ailleurs, l’avis du Conseil d’État indique que « […] eu égard au développement des phénomènes relevés plus haut, [il] estime que le contrat de délégation de l’État à une fédération, créé par le projet de loi pour les fédérations délégataires, pourrait utilement comporter un engagement selon lequel la fédération assure la promotion et la plus large diffusion des valeurs et principes qui inspirent le 2 de l’article 50 de la charte olympique […]. »

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cher collègue, la charte olympique ne vaut que pour le temps olympique, dans le cadre de compétitions internationales diffusées en public où les équipes représentant les États sont alors chargées, pour ce qui concerne la France, d’une mission de service public.

Cette charte n’a donc pas vocation à s’appliquer en tout temps au milieu sportif, notamment dans les lieux gérés par des associations qui ne sont pas chargées d’une telle mission où ont par ailleurs parfois lieu, de façon ponctuelle, des meetings politiques : mon avis est donc défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage l’esprit de l’amendement. Qu’il n’y ait pas de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale ne me paraît pas une exigence excessive vis-à-vis des clubs.

Ceci étant, n’est-ce pas à nouveau dans le contrat d’engagement lui-même que nous devrions insérer cette disposition, sans avoir à multiplier les éléments dans la loi ?

Si je ne suis donc absolument pas fermé à l’objectif visé, je souhaite à ce stade le retrait de l’amendement. À défaut, mon avis serait défavorable.

M. Éric Diard. Il s’agit d’une recommandation du Conseil d’État : pourquoi donc ne pas l’intégrer au contrat d’engagement républicain ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Une telle disposition, qui correspond effectivement à une demande du Conseil d’État, peut poser une multitude de problèmes pratiques.

Il faut par ailleurs examiner les autres amendements allant dans le même sens et faire progresser la discussion jusqu’à la séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1857 de la rapporteure.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS793 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1330 de M. Éric Diard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement d’interrogation à propos du mille-feuilles de compétences réparties entre le ministère et les autres strates.

Centraliser le contrôle de l’exécution du contrat, donc le retrait éventuel de l’agrément, dans un service existant du ministère semble préférable car de nature à uniformiser les décisions prises et à minimiser le risque de divergence d’interprétation.

Par ailleurs, qui investiguera pour savoir si une association sportive viole le contrat d’engagement républicain ? À qui s’adressera-t-on pour signaler une association aux pratiques séparatistes ?

M. Éric Diard. L’amendement me paraît primordial en ce qu’il remédie à une faiblesse du projet de loi en matière de séparatisme dans le sport. Il ne faut en effet pas se contenter du contrat d’engagement républicain.

Depuis une mesure de simplification du 23 juillet 2015, l’affiliation d’une association sportive à une fédération sportive agréée par l’État vaut agrément. Auparavant, toutes les associations sportives candidates à l’agrément devaient en passer par un arrêté préfectoral, même si elles étaient déjà affiliées à une fédération.

Bien évidemment, les fédérations se saisissent rarement de leur pouvoir disciplinaire. Elles ont plutôt la culture du résultat. De plus, certaines associations ont profité de cette simplification par ordonnance pour s’affilier à plusieurs fédérations : si l’une d’entre elles les repère, ce n’est pas forcément le cas de toutes, ce qui leur permet de continuer à opérer.

Il est donc important de redonner au préfet le pouvoir de délivrer l’agrément. C’était d’ailleurs la proposition no 35 du rapport qu’Éric Poulliat et moi-même avions rédigé. Vous créez le contrat d’engagement républicain ; c’est très bien, mais, à travers lui, vous agissez en aval. Nous vous proposons d’agir aussi en amont. Il est évident que certaines associations séparatistes ne demanderont pas de subventions publiques, et ne signeront donc pas le contrat d’engagement républicain. Ainsi, elles passeront sous les radars.

Je sais que dans plusieurs ministères l’idée que je défends a été jugée intéressante et a été débattue. Le monde du sport n’y est pas opposé non plus. Parmi les préconisations du plan national de prévention de la radicalisation (PNPR) figure celle-ci, sous le numéro 25 : « Sous la coordination locale du préfet de département, développer les actions de contrôle administratif et les orienter vers les disciplines et les territoires impactés par la radicalisation. » Dans cette logique, il est important de redonner au préfet de département le pouvoir de délivrer l’agrément, sans lui enlever, évidemment, celui de le retirer.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Monsieur Diard, je comprends tout à fait votre demande et partage une partie de vos propos. En pratique, nous instaurons déjà un certain nombre de contrôles sur les associations agréées. Par ailleurs, je vous proposerai un peu plus loin, par amendement, que l’agrément des associations sportives cesse de produire ses effets trois ans après l’adoption de la loi si elles n’ont pas souscrit entre-temps au contrat d’engagement républicain. Cela répond en partie à votre demande. Le principe selon lequel l’agrément découle de l’affiliation à une fédération agréée a été retenu à l’occasion de mesures de simplification prises en 2015. Il mériterait, effectivement, d’être rediscuté.

Madame Ménard, j’entends votre volonté d’harmonisation. Néanmoins, une nationalisation du suivi de toutes les associations représenterait une charge considérable. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Diard. L’amendement auquel vous faites référence resserrerait moins les mailles du filet, madame la rapporteure. Il n’empêchera pas non plus les associations de changer de fédération.

Le fait de redonner en amont ce pouvoir au préfet me paraît de nature à lutter plus efficacement contre le séparatisme dans le sport. C’est une mesure fondamentale. Lorsque mon collègue et moi-même l’avons inscrite dans nos propositions, la quasi-totalité des autorités politiques s’y est dite plutôt favorable. Je m’étais également rapproché de plusieurs présidents de fédération, et ils n’y étaient pas hostiles non plus, considérant que ce n’était pas leur travail que de faire un tel criblage des associations ; certains étaient même demandeurs.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je souscris à une partie de vos arguments, monsieur Diard. C’est une des vertus du débat que de faire évoluer les positions.

Ce qui s’opposerait le plus à ce que vous proposez, c’est le fait que la décision inverse a été prise dans un passé très récent pour des raisons de simplification administrative ; il vaut mieux éviter de tels allers-retours. Cela dit, vous proposez de confier la délivrance de l’agrément au préfet de département, c’est-à-dire à l’autorité déconcentrée. Celle-ci devrait être en mesure de se prononcer dans des délais normaux.

Nous sommes prêts à travailler à la question d’ici à la séance. Dans l’attente de ce travail, je vous demande de retirer votre amendement.

M. Éric Diard. Monsieur le ministre, je vous fais confiance – ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Nous nous retrouverons donc dans quinze jours. Je retire mon amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est même la troisième fois depuis ce matin que vous me faites confiance : je vais essayer de ne pas en abuser…

Mme Emmanuelle Ménard. Je retire moi aussi mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement de coordination CS1858 de la rapporteure.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CS1875 de la rapporteure et l’amendement CS1331 de M. Éric Diard.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vous propose d’affirmer explicitement que l’agrément est délivré aux fédérations sportives par le ministre chargé des sports, par parallélisme avec ce qui est prévu s’agissant de son retrait. Du reste, c’est déjà ce qui se fait actuellement.

La commission adopte l’amendement CS1875. En conséquence, l’amendement CS1331 tombe.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1859 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS89 de Mme Marie-Pierre Rixain.

M. François Cormier-Bouligeon. C’est un amendement de cohérence par rapport à l’amendement CS39, que nous avons adopté tout à l’heure. L’amendement CS39 s’adressait aux associations sportives ; l’amendement CS89 concerne les fédérations sportives agréées.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1860 de la rapporteure.

Elle est saisie de l’amendement CS1266 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Le sport est affecté par des phénomènes de repli communautariste, de prosélytisme religieux et de radicalisation. L’article 25 prévoit que les associations agréées, qui exécutent une mission de service public, en plus de souscrire au contrat d’engagement républicain, doivent « veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes ». Le Conseil d’État a indiqué qu’il serait bienvenu de s’inspirer également de l’article 50 de la charte olympique. Nous proposons donc de préciser que chaque fédération agréée veille « à ce que l’appartenance religieuse des participants à une compétition sportive organisée par elle ou par les associations qui lui sont affiliées ne donne lieu à aucune manifestation ostentatoire ». Il s’agit de s’inspirer de ce qu’a fait la fédération française de football, contrairement à d’autres fédérations sportives dont on sait pourtant qu’elles sont soumises à des phénomènes d’entrisme et de radicalisation, par exemple dans le domaine des arts martiaux. Cette remarque ne vise pas à mettre en cause les fédérations en question, qui font un travail formidable.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Certaines fédérations ont déjà travaillé sur le sujet, effectivement, notamment la fédération française de football, que nous avons auditionnée. Mais ce n’est pas le cas de toutes. Or l’enjeu est important. Pour les raisons expliquées précédemment, je vous propose de retirer cet amendement pour retravailler à la question d’ici à la séance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. La fédération française de football a fait du bon travail, ce qui montre bien qu’il est possible d’agir.

Mme Marie Guévenoux. J’ai bien compris que vous vouliez vraiment travailler à la question en vue de la séance. Je m’inscris dans cette démarche avec plaisir ; je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement de coordination CS1861 de la rapporteure.

Elle en arrive à l’amendement CS1315 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à créer une mutualisation entre le sport de masse et le sport professionnel. La fracture qui se creuse entre ces deux mondes est à l’origine des difficultés que rencontre le mouvement sportif dans son ensemble. Les grands événements comme les Jeux olympiques produisent souvent beaucoup d’argent mais n’ont pas de retombées réelles dans les clubs. On estime que 300 000 équipements arrivent en fin de vie. Faire en sorte que le mouvement sportif ait davantage de moyens ne nous semble pas à côté du sujet : améliorer la vie des clubs permettra d’engager le dialogue avec eux et de leur demander de faire preuve de plus de vigilance sur les questions dont nous parlons.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’idée, mais ce que vous proposez ne relève pas de la loi : il revient aux clubs et aux différents acteurs impliqués de s’organiser. Par ailleurs, la rédaction proposée pose quelques difficultés. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Ce n’est pas la première fois que nos collègues de La France insoumise déposent des amendements qui partent certes d’une bonne intention mais sont un peu en dehors de la réalité. Hier, par exemple, l’un d’entre eux, qui concernait les délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN) et l’instruction en famille, m’a valu un coup de fil du président des DDEN de mon département, car, contrairement à ce qu’indiquait l’amendement en question, signé de M. Mélenchon, les DDEN n’appartiennent pas à l’éducation nationale et, dans leurs statuts, figure l’interdiction de contrôler le contenu des activités pédagogiques.

En ce qui concerne le lien entre le sport professionnel et le sport amateur, l’intention est bonne, mais ce qui est demandé est déjà organisé. Nos collègues de La France insoumise l’ignorent peut-être, mais nous sommes un certain nombre de députés du groupe majoritaire à nous battre depuis trois ans pour relever le plafond de la taxe Buffet, prélevée sur les droits de retransmission télévisée – notamment du football – et qui alimente le budget de l’Agence nationale du sport, ce qui permet, précisément, de financer les clubs amateurs. Je pourrais donner d’autres exemples de ce que nous faisons dans ce domaine. Oui, nous devons absolument maintenir très serré le lien entre le monde sportif professionnel et le monde sportif amateur, mais non, chers collègues de La France insoumise, on ne peut pas dire qu’il n’existe rien pour le faire.

M. Alexis Corbière. Je pourrais faire la même chose que vous pour chaque amendement : mettre le disque pendant cinq minutes, réciter la messe, dire tout le mal que je pense de La République en marche. Je suis ravi d’apprendre qu’un amendement que j’ai présenté hier vers dix-neuf heures a provoqué immédiatement un appel du président des DDEN de votre département, monsieur Cormier-Bouligeon. Nous y croyons tous, bien entendu…

Il y a des moments où l’on peut juger important de se répondre, mais si je faisais pour chaque amendement la même chose que notre collègue, monsieur le président, vous finiriez par m’expulser, et vous auriez peut-être raison, car nous y serions encore dans trois semaines !

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, je partage votre volonté que nous puissions étudier les derniers articles, non seulement dans la sérénité, mais également d’ici à la fin de journée. Cela dit, je vous rassure : je ne vous ferai pas expulser, car je suis très respectueux de la parole de chacun, mais aussi du règlement de notre assemblée, qui ne prévoit pas une telle pratique.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1594 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Je vais essayer de recréer un peu de consensus…

Cet amendement, comme les suivants, est issu des travaux du groupe d’études sur le sport, que j’ai le plaisir et l’honneur de présider. Ce groupe d’études, qui est l’un de ceux comportant le plus de membres, s’est saisi à l’automne, notamment en prévision de l’examen du projet de loi, des atteintes aux principes républicains, du communautarisme et de la radicalisation dans le monde du sport. Nous avons procédé à des dizaines d’auditions de fédérations, d’experts et d’universitaires, ce qui nous a permis d’enrichir le constat dressé par les rapports parlementaires ayant déjà abordé les enjeux du séparatisme dans le monde du sport – celui de notre collègue sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio et celui d’Éric Diard et Éric Poulliat.

Nous nous sommes demandé comment protéger le mouvement sportif. Seules 43 % des fédérations sportives se sont dotées d’un référent radicalisation, selon le chiffre rapporté par la commission d’enquête du Sénat. Seuls quarante-six référents avaient été nommés en 2018, quatre en 2019. Nous ne saurions nous contenter de ces résultats alors que la radicalisation, le communautarisme et les atteintes aux principes de la République s’immiscent dans la vie des fédérations et associations sportives. Nous devons absolument aider les fédérations, leurs dirigeants, leurs bénévoles et leurs licenciés à se protéger.

Nous proposons donc que l’État, dans la compétence régalienne qu’il lui reste dans ce domaine à travers le ministère des sports, aide les fédérations à se doter de référents sécurité. Cette dénomination couvrira un champ très large : les référents sécurité aideront les clubs, comités, ligues et fédérations au quotidien et assureront la sécurité des délégations lors des déplacements à l’étranger, à l’occasion des compétitions internationales.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage tout à fait l’objectif et l’esprit de votre proposition, et, lors des auditions, le besoin d’un tel référent sécurité a été exprimé. Néanmoins, j’appelle votre attention sur une question rédactionnelle et vous propose de retirer cet amendement pour que nous retravaillions ensemble la question en vue de la séance. En effet, il existe dans certaines fédérations des référents radicalisation, comme vous l’avez signalé ; dans cet amendement, il est question d’un référent sécurité ; dans le plan national de lutte du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, il est fait état d’un référent citoyenneté ; dans certaines fédérations, hélas, le besoin de référents dopage se fait sentir. Plutôt que d’inscrire les référents sécurité dans la loi, nous pourrions travailler à inclure cette dimension d’une manière un peu plus globale dans le contrat de délégation.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Compte tenu de la qualité de la réponse de notre collègue rapporteure, qui me tend la main, je retire l’amendement. Nous allons travailler avec le ministère.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1593 de M. François Cormier-Bouligeon et CS1267 de Mme Marie Guévenoux.

M. François Cormier-Bouligeon. Si la politique est parfois un sport, et même un sport de combat, il convient que le sport ne devienne pas un lieu d’expression politique. Ce serait trahir le vœu que formulait le baron Pierre de Coubertin devant les congrès olympiques, à l’hôtel de ville de Prague, en 1925 : « Si l’Olympisme moderne a prospéré c’est parce qu’il y avait à sa tête un conseil d’une indépendance absolue, que personne n’a jamais subventionné et qui, se recrutant lui-même, échappe à toute ingérence électorale et ne se laisse influencer ni par les passions nationalistes ni par la pesée des intérêts corporatifs. »

Nous proposons que le sport soit dégagé de toutes les influences religieuses, politiques et syndicales. Les terrains de sport doivent rester des espaces d’émancipation – d’émancipation républicaine, ajouterai-je, car je suis un républicain de progrès. Les activités physiques et sportives contribuent à l’apprentissage des valeurs et des principes de notre République. Le mouvement sportif français doit absolument conserver cette orientation. Je salue d’ailleurs la fédération française de football, qui a mis en place un programme éducatif fédéral ayant contribué à former près de 800 000 licenciés, dans 6 000 clubs, aux règles du jeu mais aussi, plus généralement, aux règles de la vie en commun et au principe de laïcité. Nous souhaitons que le contrat de délégation comporte un volet relatif à la laïcité.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces amendements visent à la fois les fédérations délégataires et les associations. Si les fédérations sont liées au ministère des sports par un contrat de délégation, ce n’est pas le cas des associations. La question de la neutralité ne saurait donc être traitée de la même façon. Je vous propose donc, dans la lignée de nos discussions précédentes, de retirer ces amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Je retire mon amendement : nous travaillerons à la question en vue de la séance.

Mme Marie Guévenoux. Je retire aussi le mien.

Les amendements sont retirés.

La commission examine les amendements identiques CS1113 de M. Jean-Luc Mélenchon et CS1905 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Se réclamer du baron Pierre de Coubertin pour défendre la République, c’est ne pas connaître le personnage : réactionnaire notoire, raciste, misogyne, il participa aussi, accessoirement, aux Jeux olympiques de 1936, adoubant ainsi Adolf Hitler. Comme référence, on peut trouver mieux…

L’alinéa 24 dispose que les fédérations sportives doivent promouvoir le contrat d’engagement républicain. Vous connaissez notre opinion sur ce contrat : à ce stade, une orientation générale est donnée, mais on ne sait pas exactement de quoi il est question.

Par ailleurs, la disposition que nous proposons de supprimer méconnaît ce qu’est le mouvement sportif : si l’on n’accompagne pas vraiment celui-ci, tout cela risque de se transformer, dans de nombreux clubs, en une sorte de bouillie. La promotion des principes républicains se limitera à l’apprentissage de La Marseillaise et à l’installation d’un drapeau tricolore. À mes yeux, les principes républicains, ce n’est pas seulement cela. Vous faites de la surenchère, sans que ces dispositions trouvent la moindre déclinaison concrète.

S’il s’agit de dire aux clubs sportifs et aux éducateurs qu’il faut apprendre aux jeunes à respecter la loi et à combattre le racisme, je suis d’accord ; mais, en l’état, le propos est trop général. En outre, il nous semble révéler une incompréhension des relations qui doivent être celles d’un État républicain avec ses clubs sportifs. Ces derniers ne doivent pas être des instruments de propagande, surtout s’il s’agit de relayer un discours très mal digéré.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. L’alinéa 24 concerne la stratégie nationale, qui est tout à fait bienvenue. Nous avons déjà échangé avec les fédérations à ce propos.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement de précision CS1862 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS1589 de Mme Fabienne Colboc.

Mme Fabienne Colboc. L’article 25 conditionne la délivrance de l’agrément aux fédérations sportives à la signature du contrat d’engagement républicain, lequel comprendra l’engagement « de veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs » et « de participer à la promotion et à la diffusion auprès des acteurs et publics de leur discipline sportive des principes du contrat d’engagement républicain ».

Les fédérations sportives sont déjà très engagées dans la promotion des valeurs de la République, notamment à travers leurs actions de formation. Il semble opportun de mettre celles-ci en avant. Dans le cadre de la stratégie nationale visant à promouvoir les principes du contrat d’engagement républicain, les fédérations seraient encouragées à intégrer des modules obligatoires, tant pour les formations encadrant l’activité des bénévoles que pour celles dispensées par les fédérations en vue de l’obtention de diplômes d’État.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1863 de la rapporteure.

Elle examine les amendements CS1393 et CS1392 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’article 6 induit une application immédiate du contrat d’engagement républicain. L’article 25, quant à lui, prévoit en réalité une application différée à l’année 2025. Je propose que le dispositif entre en vigueur en 2022. On peut comprendre que la mesure soit légèrement différée, pour laisser le temps de mettre en œuvre la disposition, mais l’année 2025 me paraît trop lointaine au vu de la nécessité de conforter le respect des principes républicains dans certains milieux sportifs. Pourquoi est-ce que je propose 2022 ? D’abord, parce que je pense à mes amis Alexis Corbière et François Cormier-Bouligeon : la Coupe du monde de rugby aura lieu en 2023 et les Jeux olympiques en 2024. Ensuite, et surtout, pour des raisons d’efficacité plus immédiate.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il est quand même préférable de prévoir une durée suffisamment longue pour permettre aux fédérations délégataires de s’adapter, d’autant plus que le renouvellement des délégations est prévu à l’issue des prochains Jeux olympiques. Toutefois, nous pourrions réfléchir à un amendement visant à avancer l’entrée en vigueur à 2024. En tout état de cause, 2023 me semble être une date trop proche.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis assez d’accord avec le raisonnement de M. Diard, mais la rapporteure a raison. Peut-être un compromis est-il possible ?

M. Éric Diard. Je vous propose de rectifier mon amendement CS1393, qui était un amendement de repli par rapport à l’amendement CS1392, en substituant « 2024 » à « 2023 ».

La commission adopte l’amendement CS1393 ainsi rectifié. En conséquence, l’amendement CS1392 tombe.

Elle en arrive à l’amendement CS1864 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il dispose : « Tout agrément accordé à une association sportive ou résultant de l’affiliation à une fédération sportive agréée par l’État en application de l’article L. 131-8 du code du sport antérieurement à la date de publication de la présente loi cesse de produire ses effets trente-six mois après la date de publication de la présente loi à défaut de signature du contrat d’engagement républicain mentionné à l’article 10-1 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. » Son objectif est d’inciter les associations agréées à souscrire au contrat d’engagement républicain.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1865 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il permet d’élargir le périmètre du contrôle de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur les fédérations agréées. Celui-ci est lié à la tutelle : dans la mesure où cette notion va être remplacée par celle de contrôle, il est nécessaire d’ajouter cette mention.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable. C’est l’occasion de souligner l’importance de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, qui résulte de la fusion, opérée il y a deux ans, entre les deux inspections générales de l’éducation nationale, celle de la jeunesse et des sports et celle des bibliothèques. Nous sommes heureux d’avoir cette grande inspection générale, qui permet justement le type de contrôle pluridisciplinaire et très professionnel que suppose cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 25 modifié.

Après l’article 25

La commission examine l’amendement CS822 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il vise à inscrire la laïcité dans le code du sport. Compte tenu du fait que M. le ministre s’est montré ouvert à une discussion sur cette question, je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1627 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Cet amendement est une déclaration de confiance, de respect et d’amour au mouvement sportif français. Nous proposons d’enrichir l’article L. 100-1 du code du sport en y ajoutant que les activités physiques et sportives « contribuent notamment à la construction de la citoyenneté et à l’apprentissage des principes et valeurs de la République ». Aimé Jacquet – j’espère que cette référence conviendra à Alexis Corbière – a dit : « Le sport est une école de la vie. » J’ajoute qu’il est une école de la citoyenneté et de l’apprentissage des valeurs de la République.

Le mouvement sportif est percuté de plein fouet par une pression politico-religieuse qui dévoie parfois le rôle positif du sport. Ces phénomènes existent, mais les polémiques et les stigmatisations qu’ils provoquent ne doivent pas faire oublier le rôle social très fort du sport. Des millions de jeunes licenciés apprennent les règles de vie au sein de leur club. Lorsque l’on s’incline face à son adversaire au judo, on lui témoigne une forme de respect. Le sport permet d’apprendre les valeurs qui nous rassemblent, au-delà de nos différences : il apprend à vivre en société. Les valeurs du mouvement sportif français sont simples et positives. Ce sont des valeurs qui nous rassemblent. Le sport est pour les jeunes une école de la citoyenneté, de nos valeurs et de nos principes. Les fédérations et associations sportives y contribuent pleinement. L’amendement vise à ancrer la reconnaissance de ce rôle dans la loi.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous avez raison de rappeler l’importance du sport dans l’apprentissage de la citoyenneté et des règles de la vie collective. De nombreux sports permettent d’acquérir le sens du respect, notamment, dès le plus jeune âge. L’inscrire dans la loi contribue à valoriser le travail que font tous les acteurs du sport. Avis favorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cet amendement est tout à fait bienvenu : il permet d’ancrer les principes qui devraient nous rassembler autour de ce projet de loi. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle en arrive à l’amendement CS1626 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Nous avons créé en 2019 l’Agence nationale du sport, conformément à notre ambition de réformer le modèle sportif français. Nous avons créé un espace de gouvernance partagée représentant l’ensemble des acteurs : l’État, les collectivités locales, le mouvement sportif et les acteurs économiques du monde du sport. Je suis un peu étonné qu’aucune disposition du projet de loi ne fasse état de cette agence – qui, dit par parenthèse, était présidée il y a quelques mois encore par notre Premier ministre. Le ministère des sports ne distribue plus la majorité des subventions publiques : c’est l’Agence nationale du sport qui s’en charge, avec un budget qui dépassera cette année les 300 millions d’euros, sans compter le plan de relance. Si le contrat d’engagement républicain permet de reprendre les subventions aux associations qui ne respectent pas nos principes, je souhaite que des engagements forts en la matière s’appliquent tout autant à l’Agence nationale du sport, chargée de distribuer ces subventions. C’est une question de cohérence politique.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement permet d’inclure explicitement l’Agence nationale du sport dans ces enjeux, pour conforter le respect des principes de la République. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1112 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à démocratiser les fédérations sportives : dans nombre d’entre elles, les licenciés ne sont pas représentés dans les instances dirigeantes. L’absence de transparence et de démocratie d’une partie du mouvement sportif affaiblit celui-ci plutôt qu’elle ne le renforce.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La démocratie dans le sport est un enjeu extrêmement important, qui pourrait être précisé dans le contrat de délégation qui découlera du projet de loi, mais ne relève pas du domaine de la loi. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. François Cormier-Bouligeon. Je rappelle un point de droit : les fédérations sportives sont des fédérations de clubs. L’objet du renforcement de la démocratie au sein des fédérations est donc de permettre davantage l’expression des clubs, par exemple lors de l’élection des instances dirigeantes. C’est précisément l’une des dispositions que nous voulons inscrire dans le futur projet de loi relatif au sport et à la société ; j’espère qu’elle bénéficiera du plein soutien de Jean-Michel Blanquer – mais je n’en doute pas un seul instant.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CS811 de Mme Perrine Goulet est retiré.

La commission étudie l’amendement CS817 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il s’agit de consacrer la neutralité des encadrants, notamment dans leur formation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est satisfait par l’adoption de celui de Mme Colboc.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1690 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Selon les chiffres communiqués en 2017 par le directeur de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), près de 10 % des 8 000 personnes fichées au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) évoluaient dans le milieu sportif. Parmi elles se trouvaient des éducateurs, décrits par le chercheur Médéric Chapitaux comme des « éducateurs sportifs recruteurs ». Et d’ajouter que le danger est immense car l’influence que peut avoir un éducateur sportif recruteur sur un sportif ou un groupe d’individus est particulièrement forte. Elle est même plus importante que la seule influence spirituelle que l’on reproche à certains prêcheurs puisque les éducateurs sportifs recruteurs peuvent préparer en même temps le corps et l’esprit. Vous connaissez tous la différence entre le petit djihad et le grand djihad, qui a notamment été décrite par Gilles Kepel.

Ce type de profil existe et il convient de les empêcher d’œuvrer du fait du danger qu’ils représentent pour la société. Dans notre pays, près de 8,5 millions de mineurs ont une licence sportive. Il est absolument nécessaire de protéger ce public contre ceux qui sèment la division dans notre République. Par cet amendement, nous proposons d’étendre le contrôle d’honorabilité prévu pour les encadrants sportifs à la consultation des fichiers de prévention de la radicalisation, dans le strict respect des droits fondamentaux.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La consultation du FSPRT est impossible. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La question se pose toujours dans les mêmes termes pour la consultation des fichiers de renseignements mais n’oublions pas le travail de concertation interministériel qui peut être réalisé sur le terrain, notamment dans le cadre des cellules départementales. Je partage l’esprit de cet amendement mais il ne sera pas possible de l’adopter. En revanche, le fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) pourrait être pris comme référence.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Peut-on utiliser un fichier qui, comme le FSPRT, recense les personnes susceptibles de commettre des actions terroristes ou violentes, pour surveiller certaines professions sensibles ? Le législateur l’a accepté pour les policiers et les gendarmes. Les métiers d’éducateur sportif ou d’enseignant sont-ils suffisamment sensibles pour justifier une telle consultation ? Je ne le pense pas car, dans ce cas, beaucoup d’autres métiers pourraient être considérés comme sensibles et, si tout le monde accède à ces fichiers, ils ne servent plus à rien. Leur principe est justement de tenir secret le nom des personnes qui y sont recensées pour que les services de renseignement puissent continuer à les surveiller. À force d’étendre le nombre de ceux qui peuvent les consulter, ils ne serviront plus à rien et on ne pourra plus prévenir les attentats.

En revanche, nous pourrions renvoyer à la séance publique la question de la consultation d'autres fichiers, comme le FIJAIT, qui recense les auteurs de certaines infractions terroristes. L’acte est alors avéré et public puisque la personne a été condamnée ou mise en cause pour ces infractions.

Si je devais résumer ma position par un slogan, ce serait : oui au FIJAIT, non aux fiches S.

M. François Cormier-Bouligeon. Très bon slogan, monsieur le ministre. Nous modifierons l’amendement en conséquence. Aujourd’hui, le monde associatif sportif a le sentiment de ne pas être totalement protégé contre les agissements de ces personnes et de servir de lieu de surveillance, ce qui leur est fort désagréable. Ils ont l’impression qu’au motif de renseignement, on peut mettre les mineurs en danger. Le débat est sensible.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends votre préoccupation. Lorsque des rumeurs circulent, rien n’empêche le président de l’association de prendre contact avec les renseignements territoriaux ou le préfet, pour, sans accéder au fichier, demander ce qu’il en est. Il arrive par ailleurs que des personnes soient fichées alors qu’elles ne représentent pas un danger immédiat. Je peux, avec le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, redonner des consignes pour que, si un éducateur sportif est fiché, les services puissent en discuter avec le président de l’association. Il ne s’agit pas forcément de le renvoyer de l’association mais, au moins, de ne pas le mettre en contact avec des jeunes. Cette discussion républicaine est possible.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS818 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il s’agit de compléter les dispositions du code du sport relatif aux équipements sportifs afin d’y interdire les manifestations ou activités cultuelles. Nous avons auditionné le référent radicalisation de la fédération de boxe qui nous a fait part de pratiques problématiques, comme des prières dans ces équipements sportifs avant ou après les matchs, assorties de pressions sur les jeunes s’ils ne veulent pas s’y soumettre. Il faudrait envoyer un signal fort pour que ces instances sportives ne deviennent pas des lieux de pratique de la religion.

Bien sûr, le préfet, après avis du maire de la commune, pourrait déroger à cette interdiction dans les cas où il peut être nécessaire de prêter des équipements sportifs ponctuellement, pour certaines célébrations, afin d’éviter qu’elles ne se déroulent dans la rue.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’article L. 312-2 du code du sport vise tous les équipements sportifs, y compris les équipements privés. Or, on ne peut pas imposer une telle neutralité à des équipements qui ne relèvent pas d’une mission de service public. Avis défavorable ou retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Perrine Goulet. L’amendement est en effet mal placé. J’y réfléchirai d’ici la séance.

L’amendement est retiré.

La commission passe à l’amendement CS375 de Mme Anne-Laure Blin.

M. Julien Ravier. L’amendement tend à insérer, après l’article 25, l’article suivant : « Chaque fédération ou club sportif, professionnel ou amateur, organise une cérémonie de levée des couleurs, hymne national, suivi de salut au drapeau, avant toute manifestation ou compétition sportive. » L’objectif est de conforter les principes républicains dans le domaine du sport.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cette proposition est intéressante mais il faudrait préciser le type de manifestation. Je vous invite à le retirer.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Julien Ravier. Je ne peux me permettre de le retirer mais j’espère que nous pourrons y réfléchir ensemble.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS1601 de Mme Brigitte Liso.

TITRE II
Garantir le libre exercice du culte

Chapitre Ier 
Renforcer la transparence des conditions de l’exercice du culte

Section I : Associations cultuelles

Avant l’article 26

La commission examine l’amendement CS671 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je vous propose une nouvelle rédaction de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Ce projet de loi qui vise à conforter le respect des principes de la République pose quelques problèmes puisque, au lieu de garantir les libertés individuelles, il instaure des principes à portée uniforme qui sanctionnent de façon disproportionnée le libre exercice des cultes, notamment la liberté de l’église catholique.

Au lieu de nommer spécifiquement les dérives islamistes comme ennemi des principes qui fondent notre pays, ce texte risque de contredire un travail mené de longue date entre l’Église catholique et l’État alors que, depuis plus de cent ans, l’un et l’autre ont appris à vivre à la fois séparément et dans le respect mutuel.

Cet équilibre ne s’est d’ailleurs pas trouvé sans douleur puisque la loi de 1905 a conduit à l’exil de plus de 30 000 religieux et religieuses catholiques.

Alors que la blessure infligée aux catholiques était béante, la loi de 1905 a été fermement combattue par eux-mêmes et le Pape Saint Pie X. C’est au prix de longues négociations qu’un statut légal a été garanti à l’Église catholique par convention internationale entre le Saint-Siège et la France.

Aujourd’hui, c’est tout ce travail que vient remettre en question ce projet de loi discuté en temps législatif programmé, empêchant ainsi tout débat et défense de position.

Si je vous explique tout cela à présent, monsieur le président, c’est parce que je n’aurai sans doute pas une seule minute de temps de parole dans l’hémicycle en ma qualité de députée non inscrite. C’est pourquoi j’ai assisté à toutes les réunions de la commission spéciale même si je n’en suis pas membre.

Ce texte ne tient pas suffisamment compte des garanties offertes aux catholiques par l’échange de lettres Poincaré-Cerretti en 1923 et 1924, toujours en vigueur et publiées au Journal officiel à la faveur d’un échange de lettres Baldelli-Védrine en décembre 2001, interprétatif du précédent.

Au-delà de l’inefficacité du texte pour combattre activement les dérives islamistes, il s’agit bien d’une atteinte aux équilibres obtenus au sujet du statut légal de l’Église catholique en France, grâce aux relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège.

Cet amendement vise à rappeler que ce n’est pas la République, simple régime politique, qui garantit la liberté de conscience, mais bien l’État français, à travers tous les régimes politiques assumés. Par sa présence multiséculaire en France et son lien avec l’histoire de notre nation, l’Église catholique ne peut être traitée tout à fait de la même manière que d’autres cultes arrivés plus récemment dans notre pays.

M. le président François de Rugy. Selon une disposition de notre règlement, que le président Jean-Louis Debré faisait rigoureusement respecter à l’époque où il était président de notre assemblée, il est interdit de lire une défense d’amendement, en particulier l’exposé des motifs,

M. Florent Boudié, rapporteur général. La réécriture de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 pose de grandes difficultés, d’autant plus que vous ne cherchez pas à faire respecter les principes de la République mais à les modifier et à les transformer. Je préfère l’écriture de cet article tel qu’il est rédigé depuis 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Restons-en à l’un des piliers fondamentaux de notre République plutôt que d’aller dans le sens de votre travestissement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous modernisons le régime des cultes tout en restant fidèles aux grands principes de la loi de 1905, inscrits notamment à l’article 1er de cette loi, qui a valeur constitutionnelle. L’organisation des cultes est particulièrement complexe, parfois un peu passée, tout le monde en convient, mais elle nous permet de lutter contre les idéologies. Le Conseil constitutionnel a reconnu à la liberté de culte la valeur d’une liberté fondamentale, qui ne peut être limitée que pour la sauvegarde de l’ordre public. Le Président de la République s’est engagé à ne pas modifier les principes inscrits aux premiers articles de la loi de 1905, qui sont un héritage important et ont apporté la preuve de leur efficacité. Ils sont aussi une marque de la continuité historique, puisqu’ils s’inscrivent dans le sillage des grands textes qui fondent le principe de laïcité, des lois sur l’instruction publique. Plus généralement, ils s’inscrivent dans cette évolution historique qui fait qu’aujourd’hui, on ne prie plus à l’entrée des Chambres, comme cela se pratiquait sous la IIIe République. La loi de 1905 s’inscrit dans la continuité de l’important travail réalisé sous la monarchie, le Consulat et l’Empire, pour qu’aujourd’hui, la République ne reconnaisse aucun culte.

Bien évidemment, tout comme le rapporteur général, je ne suis pas favorable à votre amendement. Il est étonnant que vous vouliez remplacer République par État français. Peut-être est-ce un lapsus mais, en tout cas, vous l’avez suffisamment répété. Cette provocation n’était pas utile d’autant plus que la forme républicaine de notre régime, protégée par la Constitution, ne peut être remise en cause. Vous vous demandiez pourquoi nous avions changé le titre du texte. Si même le terme de République est gênant, je comprends que vous ayez du mal à accepter le nouveau titre. Avis défavorable, bien évidemment.

Mme Emmanuelle Ménard. Il ne s’agit pas de remettre en cause la République mais de rappeler qu’elle est un régime comme un autre qui fait partie de l’histoire de France.

M. Alexis Corbière. Un régime comme un autre ! Comme la monarchie, par exemple !

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne suis pas monarchiste. Ce procès que vous me faites n’a pas de sens. Notre pays appartient à cette civilisation chrétienne, de très longue date. Avant la République, notre pays a connu d’autres régimes, critiquables, comme la République peut l’être sous certains aspects. En tout état de cause, je n’ai pas voulu remettre en cause la République. J’ai l’impression de faire bondir à chaque fois que je dis que notre pays appartient à cette civilisation chrétienne. C’est pourtant une réalité ! L’espace français, les paysages français, les monuments français, les musées français, la littérature française sont intimement liés à cette civilisation judéo-chrétienne. Du fait de cette histoire judéo-chrétienne, on peut se poser la question de placer sur le même plan les différentes confessions pratiquées dans notre territoire. Oui, il existe des traditions dans notre pays, pour l’essentiel de civilisation judéo-chrétienne.

M. le président François de Rugy. Même si je suis en profond désaccord avec vous, pour ce qui est du fond de votre amendement et de l’emploi de l’expression « État français », qui est une référence historique assez lourde puisque c’est ainsi que le Maréchal Pétain a souhaité nommer le régime qu’il avait institué en 1940, je vous remercie pour ce petit détour historique qui témoigne que l’histoire ne fut jamais simple mais toujours conflictuelle dès lors qu’il s’est agi de fixer des règles pour que les religions ne dirigent pas tout et que s’applique la loi débattue dans les assemblées, et non celle de Dieu. Par ailleurs, l’influence étrangère, souvent évoquée dans le domaine religieux, existe depuis toujours. C’est aussi une affaire diplomatique entre la France et le Vatican. Si je ne m’abuse, le Pape nomme les évêques en France, ainsi que le nonce apostolique, chargé de représenter le Vatican. Ces sujets sont complexes et les rappels historiques nous invitent à la mesure par rapport aux propos simplistes que l’on peut entendre sur le sujet.

M. Alexis Corbière. Je vous remercie, sans ironie, madame Ménard, pour la cohérence de votre pensée. Ce que vous proposez est très intéressant : remplacer République par État français, jeter le mot de laïcité au sol. Vous reformulez les deux articles principaux de la loi de 1905 jusqu’à leur faire perdre leur sens : l’État français serait fort de son héritage chrétien dans l’amendement CS671 tandis que vous voulez valoriser un culte en particulier là où la loi de 1905 dispose que la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. Vous affirmez clairement qu’on ne peut pas mettre toutes les religions sur le même plan.

L’apport de la laïcité, après des siècles de conflits, de guerres civiles, de guerres de religion, de remise en cause de l’Édit de Nantes, est essentiel. Enfin, nous avons trouvé une formule magique, si je puis dire, un élément de concordat : la loi traite de la même façon toutes les religions. Aucune ne peut revendiquer un privilège. Bien sûr, la France compte une majorité de catholiques et personne ne nie que le culte catholique a façonné notre paysage. Garantir le libre exercice des cultes, ce n’est pas nier notre histoire, mais au contraire la respecter. Nous vivons aujourd’hui dans une République que nous avons réussi à rendre laïque. Toutes les religions, quel que soit le moment où elles se sont développées dans notre pays, se valent aux yeux de la loi, même si notre pays compte beaucoup plus de musulmans aujourd’hui qu’en 1905. Il est intéressant de voir comment certains essaient de remettre en cause ce principe qui découle du principe républicain de l’égalité des citoyens devant la loi. Je respecte les idées de chacun. Je constate simplement que des personnes emploient régulièrement des mots comme République ou laïcité mais, lorsqu’il s’agit de les définir, en bafouent totalement le sens.

Je souhaite que Mme Ménard puisse présenter cet amendement en hémicycle. Le débat est si intéressant qu’il devrait avoir lieu devant tous nos concitoyens.

M. le président François de Rugy. Mme Ménard peut défendre ses amendements ici alors qu’elle ne fait pas partie de la commission spéciale. D’autres l’ont fait avant elle. Je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas les présenter en séance publique.

M. Éric Diard. C’est à cause du temps législatif programmé.

M. le président François de Rugy. C’est un autre problème qui tient au statut des députés non-inscrits.

M. François Cormier-Bouligeon. Il est important que tous les groupes puissent réagir. Je respecte Mme Ménard qui est une parlementaire assidue au sein de cette commission spéciale et dans l’hémicycle. Je la remercie pour la franchise de ses propos, ce qui ne m’empêche pas d’être profondément révolté par cet amendement.

Mme Ménard propose de réécrire l’article 1er de la loi de 1905 qui dispose que la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. La proposition de Mme Ménard a le mérite de clarifier le débat. Depuis plusieurs années, on dit que l’extrême-droite serait dédiabolisée dans notre pays, que le clan Le Pen serait devenu républicain. On entend même parfois cette partie de la vie politique française défendre la laïcité, en la dévoyant bien évidemment. Pour une fois, les choses sont claires. L’extrême-droite, dans l’hémicycle, propose de remplacer la République par l’État français et d’inverser les facteurs de l’article 1er en plaçant la liberté religieuse, en référence à l’héritage chrétien, avant la liberté de conscience. Je vous le dis, madame Ménard, la liberté absolue de conscience, nous la défendrons toujours car elle permet à chacun de nos concitoyens, quel qu’il soit, de croire ou non, de pratiquer un culte ou non, de changer de culte s’il le désire, ou d’abandonner un culte. La liberté de conscience est fondamentale. Nous la défendrons dans l’hémicycle, je vous le garantis !

Mme Emmanuelle Ménard. Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit, ce n’est pas honnête.

M. Frédéric Petit. Je ne me sens pas choqué par vos propos, madame Ménard, ni par les faits que vous rappelez. Ce sont des faits. Ils n’ont rien à faire dans les lois de la République car elles ne sont ni un livre d’histoire, ni une remarque historique, ni une confrontation. Ce sont les lois de la République et la loi de 1905 est l’une d’elle. Elle consacre la neutralité de la République mais cela ne signifie pas que vos phrases soient choquantes. Vous rappelez simplement des faits historiques. Cela étant, ce rappel historique est partiel car la République que nous revendiquons ne s’applique pas qu’à des territoires qui compteraient de nombreuses églises. Certains territoires n’ont pas été façonnés de la même manière, notamment parce qu’ils se trouvaient sous d’autres latitudes. Vous pourriez faire des remarques géographiques, climatiques : elles n’auraient pas leur place dans les lois de la République française.

M. Guillaume Vuilletet. On ne peut pas employer les mots « État français » sans faire réagir, madame Ménard. D’ailleurs, vous ne les avez pas employés par hasard. La République ne reconnaît aucun culte. La France a connu une succession de régimes mais la République en est un aboutissement, obtenu après des révolutions, des révoltes. Les Français ont conquis leur liberté en versant leur sang. La République n’est pas un régime parmi d’autres : il est celui qui nous permet d’être libres aujourd’hui. Personne ne nie l’héritage chrétien mais n’oublions pas l’héritage historique, celui des Lumières, celui de toutes les civilisations qui l’ont nourri.

On a beaucoup glosé sur les raisons du changement de titre de ce projet de loi, qui est passé de « projet de loi contre le séparatisme » à « projet de loi confortant le respect des principes de la République ». La raison en est pourtant simple : ce texte tend à ce que chacun puisse vivre sa spiritualité, en son âme et conscience, sans empiéter sur la liberté d’autrui mais sans y être contraint non plus.

La plupart des associations cultuelles musulmanes relèvent du régime de la loi de 1901 alors qu’elles devraient relever de celui de la loi de 1905. Notre objectif est de pacifier et de dédiaboliser nombre de situations. M. Corbière a employé le mot concordat. J’ai cru comprendre qu’il pouvait revêtir une autre signification. En réalité, le mot est juste : nous voulons aboutir à une forme de concorde pour que tous ceux qui ont une foi puissent la vivre dans le respect du vivre-ensemble, qui fonde notre République.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Je suis toujours surpris d’entendre, en commission, des propos d’estrade. Nous sommes en commission pour construire la loi. Si nous nous mettons à y faire un débat d’hémicycle, cela est moins efficace et le message politique se perd. Si nous pouvions, ce samedi matin, poursuivre notre travail sur les amendements et le fond du texte et réserver ces débats passionnants pour l’hémicycle, ce serait plus pertinent.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne suis pas tout à fait d’accord, monsieur Houlié. Ce temps de clarification est nécessaire.

Madame Ménard, vous reconnaissez que l’extrême-droite…

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne m’appelle pas extrême-droite !

M. Florent Boudié, rapporteur général. …en France, a été, de tout temps et à jamais, l’ennemie de la République, à tel point que vous souhaitez en supprimer le mot même, à l’article 1er de la loi de 1905, qui a pourtant valeur constitutionnelle. Vous évoquez l’héritage chrétien, les racines chrétiennes, mais personne, dans cette assemblée, n’a de problème avec cet héritage qui est, d’ailleurs, judéo-chrétien. Simplement, vous remettez en cause un principe fondamental, celui de la non-reconnaissance d’une religion en particulier, ce qui ne signifie pas que l’État ignore les religions. Parce qu’il est neutre envers toutes, il ne s’attache à aucune en particulier. Ce principe fondamental est l’essence même de notre régime politique, de notre régime de liberté.

Je suis très heureux que cet amendement permette de montrer ce qu’est encore, aujourd’hui, le visage de l’extrême-droite.

M. Gérald Darmanin, ministre. Reprenons littéralement l’amendement de Mme Ménard. Tout d’abord, son amendement mentionne l’héritage chrétien mais, je suis désolé, il est judéo-chrétien. Devant la pression, elle a ajouté judéo dans sa présentation. Et si d’autres pressions s’exercent encore, nous aurons toutes les autres religions. Finalement, comme la République reconnaît toutes les croyances, ce n’est peut-être pas la peine de changer de rédaction. Il est tout de même bizarre que l’héritage soit judéo-chrétien quand vous en parlez, madame Ménard, mais qu’il ne soit plus que chrétien dans la rédaction de votre amendement. J’ai bien compris que l’État français ne pouvait pas être judéo-chrétien, mais il est important de clarifier les choses. Les gens nous écoutent ! Or, on pourrait croire, à entendre votre discours, qu’il est modéré. La lecture de votre amendement montre qu’il est, au contraire, scandaleux.

Par ailleurs, l’article 89 de la Constitution dispose que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. Le régime de la République n’est sans doute pas exempt de toute critique mais penser qu’il pourrait y avoir un autre, c’est être profondément contre la République. C’est au sens premier du terme. Vous avez le droit de vous exprimer et de le dire mais ne faites pas croire que c’est un détail.

Enfin, Madame Ménard, vous savez bien que les mots « État français » sont très connotés. D’ailleurs, l’État n’est pas l’État français. Il représente le régime politique, quel qu’il soit, qui a l’action des pouvoirs publics. L’État français a une signification. Comme on écrit la loi française, on imagine bien qu’on ne parle pas d’un autre État, ici. N’ayez pas peur, madame Ménard, des conséquences de vos propos. Vous avez souhaité ce débat politique et il nous a semblé normal de le clarifier. Après tout, peut-être était-ce un autre lapsus que d’avoir oublié judéo.

M. le président François de Rugy. Si nous commençons à parler d’héritage, ce sera sans fin. Nous pourrions parler de l’héritage gréco-romain, de celui des Francs qui ont envahi la France, sans oublier les Celtes, chers à mon cœur.

La commission rejette l’amendement.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi, avant de poursuivre nos débats, de faire une remarque. Je comprends votre point de vue, monsieur Houlié. J’étais déjà député lorsque la réforme constitutionnelle de 2008 a prévu que les textes seraient intégralement examinés en commission et que les amendements qui y seraient adoptés seraient intégrés au texte examiné en séance publique. Nous devrons réfléchir un jour au moyen de ne pas refaire en séance publique le débat qui s’est tenu en commission. J’avais proposé, lorsque j’étais président de l’Assemblée nationale, que l’on n’examine pas en séance publique des amendements qui avaient été débattus en commission. Ce n’est pas la procédure actuelle, aussi est-il normal que la commission ne soit pas le lieu des seules discussions techniques et que nous puissions aussi y débattre des grandes orientations d’un texte.

La commission examine l’amendement CS1383 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne lirai pas l’exposé sommaire mais je ferai quatre mises au point. Tout d’abord, je ne fais partie d’aucun clan. Deuxièmement, j’ai rappelé la garantie du libre exercice des cultes et de la liberté de conscience, dans mon amendement. Troisièmement, il ne s’agit pas de remettre en cause l’égalité des citoyens mais de rappeler que toutes les religions n’ont pas le même poids historique en France. Les choses seront peut-être différentes dans deux ou trois siècles, ce que je ne souhaite pas, mais pour l’instant, je ne fais que rappeler une réalité historique. Enfin, je me suis expliquée quant au régime juridique de la République. Ce n’est pas une négation de ce régime politique. Je n’appelle pas à passer à la VIe République ou à un autre régime, je ne suis pas monarchiste ni quoi que ce soit d’autre.

J’en viens à mon amendement. Le 29 avril dernier, j’ai dû écrire au Premier ministre Édouard Philippe pour lui rappeler qu’il était inadmissible, voire insultant pour les croyants, de laisser closes les portes des lieux de culte alors que les commerces pouvaient rouvrir. Je n’étais pas la seule à le dire dans l’hémicycle. Il m’a fallu rappeler qu’exercer en toute liberté sa religion, quelle qu’elle soit, est au moins aussi essentiel pour les croyants que, pour certains, faire du sport ou marcher dans la nature. Déconfiner les lieux de culte aurait dû être l’un des premiers réflexes du Gouvernement. Hélas, il fut l’un des derniers. L’argument épidémique permet, depuis près d’un an à présent, de suspendre, au détour d’un simple décret, la liberté d’exercer pleinement son culte. On a pu constater avec quelle absurdité des jauges étaient parfois décidées de façon uniforme et imposées sans concertation et encore moins acceptation des représentants des cultes, sans parler d’autres mesures censées protéger la santé des Français. Pourtant, la plupart d’entre eux ont joué le jeu. De toute urgence, il convient de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. C’est l’objet de cet amendement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Première remarque, juridique : vous souhaitez qu’une clause spécifique aux crises sanitaires soit inscrite après l’article 1er de la loi de 1905. C’est un détail qui me paraît un peu complexe à assumer. Après avoir réaffirmé la référence à l’État français, dont nous avons dit ce que nous pensions, vous voudriez que la première chose qui apparaisse soit la crise sanitaire. Ce serait une véritable dénaturation.

Nous voulons précisément lutter contre les communautarismes. Selon vous, en situation de crise sanitaire, chaque communauté devrait s’organiser, décider des mesures à prendre. Il est vrai qu’il faut déterminer des modalités précises s’agissant des cultes : il y a eu des débats sur ce sujet, et l’État a d’ailleurs revu sa position après discussion. Mais il n’est pas question que chaque communauté s’organise toute seule : après avoir introduit l’État français, vous effacez aussitôt son intervention ! Avis très défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Aucun lieu de culte n’a vu ses portes fermées durant la crise sanitaire : chacun a pu y entrer et se recueillir individuellement. Il n’y a pas eu de cérémonies, et encore certaines ont-elles été acceptées, mais il est faux de dire que les églises étaient fermées. Les commerces l’étaient. Par ailleurs, mettre la crise sanitaire dans la loi de 1905, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup ! L’avis défavorable s’impose.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS824 de M. Alexis Corbière et CS1170 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Alexis Corbière. Je suis heureux que d’autres amendement aillent dans le même sens que le mien. Je ne voudrais pas que, dans la passion de nos échanges, ce que je vais dire soit mal entendu.

Le principe de la laïcité, c’est la séparation des Églises et de l’État, énoncée par la loi de 1905. La conséquence en est que le culte n’est pas financé par de l’argent public. Entre en jeu aussi l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Il s’avère que trois départements français, Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, échappent à cette loi, plus d’autres territoires d’outre-mer comme la Guyane, et cela pour des raisons historiques dépassées. Pour la métropole, nous parlons de la perte de ces trois départements après la défaite de 1870, de la victoire en 1918… Il y a plus d’un siècle !

Dans ces trois départements donc, où la loi de 1905 ne s’applique pas, nous finançons certains cultes ­ pas tous. Soixante millions d’euros d’argent public y sont consacrés chaque année. Les rémunérations des ministres du culte ne sont même pas payées seulement par les habitants de ces départements : l’ensemble des contribuables y participent. Je pourrais aussi expliquer qu’une heure d’enseignement de l’éducation nationale est remplacée par une heure d’éducation religieuse, et ainsi de suite.

Rien ne justifie selon nous le maintien de cette exception, de ces privilèges pour certains cultes ­ pas tous. Je parle bien du maintien du Concordat de 1801, datant de Napoléon Bonaparte, Premier consul, et non pas des droits bismarckiens qui ont cours dans ces départements : ces avantages sociaux, notamment une meilleure prise en charge des dépenses de santé, peuvent parfaitement être maintenus en l’état et pour ma part je les étendrais bien volontiers à l’ensemble de nos concitoyens.

Accepter l’idée d’un particularisme local, c’est accepter qu’une spirale infernale entraîne nos concitoyens dans l’ensemble du territoire à revendiquer leurs particularismes propres, y compris à demander à échapper à la loi de 1905, au nom de leur histoire, de leurs traditions ou que sais-je. Non, si les citoyens sont égaux devant la loi, nous devons abroger le Concordat. Nous rendrons ainsi service à la République.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’amendement CS1170 va dans le même sens. La République ne salarie ni ne reconnaît aucun culte, sauf dans certaines régions. Cela pose un problème d’égalité entre les Français. Qu’une région choisisse de s’abstraire de la loi de 1905, étant un chantre de la différenciation territoriale, je pourrais y réfléchir ­ et encore. Mais que la République tout entière rémunère certains ministres des cultes de certaines régions, non. Cela a eu sa raison d’être à l’époque du Concordat, mais avec le temps, tout est bon à changer. L’histoire évolue tous les jours, le fait historique de l’époque du Concordat n’existe plus. La laïcité doit être valable en tous points du territoire, en Alsace, en Guyane et ailleurs outre-mer.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est un beau débat. Je préfère à la vôtre la vision du Conseil constitutionnel. Celui-ci reconnaît la pleine légitimité des dérogations acquises depuis 1918-1919, en tout cas pour ce qui est de l’Alsace et de la Moselle, tout en considérant que le droit spécifique doit progressivement rejoindre le droit commun, que le droit local a vocation à s’effacer peu à peu, évolution après évolution. Un certain nombre de responsables et de penseurs locaux d’ailleurs luttent contre cette réduction progressive de la spécificité du droit local.

Vous aurez noté que l’article 31 du projet de loi fait entrer dans le droit local certains éléments du droit commun sur les cultes. Vous souhaitez la suppression pure et simple, brutale, sans transition du droit local, et cela sans consultation des populations locales. Je préfère cette façon qu’a la République d’imaginer des transitions douces et longues en respectant les spécificités locales. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable également. Je ne reviens pas sur la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé bien sûr constitutionnelles les dispositions concordataires et du droit local d’Alsace-Moselle, mais aussi les a en quelque sorte justifiées politiquement.

Monsieur Corbière, il ne faut pas avoir une vision purement métropolitaine des choses. Dans beaucoup de territoires de la République, ni le Concordat ni la loi de 1905 –­ car en fait vous ne souhaitez pas abolir le premier mais étendre la seconde – ­ne s’applique : je pense aux territoires du Pacifique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Guyane, à Mayotte, et différemment à La Réunion.

Pour ce qui est de l’Alsace-Moselle, vous qui êtes un historien, savez quelle déchirure ce fut de voir partir ces territoires à la veille de la République pour les voir revenir en pleurs lorsque la France gagna la première guerre mondiale. La République d’alors, qui était très laïque, pour ne pas dire laïcarde, a voulu conserver ce qui avait fait pendant de nombreuses années la vie des Alsaciens et Mosellans : pas simplement le Concordat, que la France avait quitté entre-temps, mais aussi les œuvres de Bismarck, et entre autres le salariat des ministres du culte. Ce qui est en question ici, ce n’est pas tant de garder le Concordat que de sauvegarder le droit local. L’héritage historique est à respecter. Ce n’est pas parce que 115 ans ont passé que nous devons tout effacer d’un trait. J’imagine que vous avez rencontré les Alsaciens et les Mosellans, monsieur Corbière : ils sont extrêmement attachés, quelle que soit leur couleur politique, à cette spécificité qui est pleinement républicaine, comme la diversité sur le territoire national.

Par ailleurs, imaginons qu’une nouvelle religion apparaisse sur le sol de la République, même à Strasbourg. Entrerait-elle dans les dispositions de la loi concordataire ? Non. Le droit local alsacien et mosellan prévoit deux régimes : les cultes anciens, reconnus – catholique, luthérien, réformé, et israélite ­ et les cultes non reconnus. Ainsi l’archevêque de Strasbourg est-il nommé par le ministre de l’intérieur, qui le rémunère aussi ­ à hauteur d’un fonctionnaire pas très bien payé, n’en concevez pas de jalousie. Cet héritage de l’histoire ne s’est pas agrandi à l’arrivée d’autres cultes, bouddhiste, musulman par exemple, qui sont inscrits en tant qu’associations de culte non reconnues. Nous ne rémunérons pas les ministres du culte des associations non reconnues.

Le droit alsacien et mosellan n’empêche en rien – ­ ­comme nous l’avons fait en parfaite concertation avec les élus, en respectant l’idée que la loi de 1905 n’est pas applicable, ni celle de 1901 d’ailleurs – que la police du culte et certaines dispositions que nous avons en la matière sur le reste du territoire national s’appliquent. Elles sont transposées en droit local.

C’est vrai, il y a une différence essentielle : le salariat des ministres du culte. Ce que reconnaît le Conseil constitutionnel – ­ peut-être prendra-t-il une autre décision qui fera date, ou peut-être pas – ­ c’est la valeur constitutionnelle de la laïcité. La République reconnaît toutes les croyances et ne reconnaît aucun culte. Pour le reste, l’interdiction du subventionnement ne relève que de la loi. Peut-être cela aura-t-il valeur constitutionnelle demain, mais pour l’instant le législateur pourrait très bien décider de subventionner publiquement le culte. C’est une des raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’y avait pas d’incompatibilité, pour le dire vite, entre le droit alsacien-mosellan et le droit national.

Franchement, du point de vue historique, en songeant au respect des morts, de l’histoire, de tous ceux qui ont souhaité rejoindre la République dans des circonstances affreuses, comme du point de vue de l’efficacité, il n’y a aucune raison, à part une raison idéologique que je respecte d’ailleurs parfaitement, d’accéder à la demande de MM. Corbière et Moreau.

M. Alexis Corbière. Merci pour ces réponses, d’ailleurs de deux types. D’après le rapporteur, nous allons y arriver progressivement. J’entends l’argument, mais au bout de plus d’un siècle, on peut dire qu’il perd un peu de sa crédibilité. Le ministre, lui, préfère laisser les choses en l’état. Pour lui, le fait que les nouvelles religions n’aient pas été intégrées est la preuve que tout va bien. Sauf que cela fait éclater une inégalité entre les cultes, qui ne sont pas traités de la même façon ! Tous nos concitoyens qui sont de confession musulmane, quoi qu’on en pense, sont des citoyens français et ne sont pas traités de la même façon que d’autres. Dans la laïcité, la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, elle traite toutes les religions de la même façon, même celles qui sont plus anciennes ou plus pratiquées. Or il y a là une rupture de ce droit fondamental. Ce que je propose, c’est une réponse républicaine : non qu’il faille financer les autres cultes, ce que j’entends un peu dans vos propos, mais qu’il faille n’en financer aucun.

Par ailleurs, vous m’inquiétez en disant que l’article 2 de la loi de 1905, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », n’a pas plus de valeur que cela. Le salariat des ministres du culte pourrait soudain être décidé par la loi ? Si cela avait lieu, j’espère que cela occasionnerait pour le moins une grande mobilisation, mais ce serait une remise en cause complète de l’esprit, du noyau de sens des deux premiers articles de la loi de 1905. Non, nous n’avons pas à accepter le financement public du culte, et donc des ministres du culte.

Enfin, certes nous avons connu un épisode douloureux, certes nos compatriotes d’Alsace-Moselle ont passé quarante-sept ans sous la tutelle de la Prusse puis de l’Allemagne, mais enfin, cela fait plus de cent ans ! Il est temps de régler l’affaire. Dès 1924, le cartel des gauches avait voulu mettre fin au Concordat d’Alsace-Moselle. Il en avait été empêché par une mobilisation à l’époque, mais il me semble qu’un peu de courage politique suffirait maintenant. Il est temps. Car enfin, les ministres du culte ne sont pas rémunérés par les seuls habitants de ces départements, mais par vous et moi ! Je ne suis pas d’accord pour que mes impôts soient employés à cela. Je suis laïque. Je ne veux pas que le moindre de mes centimes participe à la rémunération d’un pasteur, d’un curé ou d’un rabbin.

M. Frédéric Petit. En tant que Mosellan, je dois vous dire, monsieur Corbière, que ce n’est pas au Concordat qu’il faut faire référence. Les Alsaciens et Mosellans n’étaient pas français au moment de la loi de 1905. Quand ils sont revenus, un référendum a été organisé, pour demander s’ils étaient d’accord avec un retour dans certaines conditions. Ces conditions ne faisaient pas référence au Concordat, mais au droit local. Quand vous parlez du Concordat, vous niez tout ce qui s’est passé un peu avant 1924. C’est un raccourci idéologique que de dire que le droit local est concordataire, au motif du salariat de certains ministres du culte : ce qui est en jeu à cette époque, c’est le référendum et si l’on en faisait un aujourd’hui, les habitants d’Alsace Moselle voteraient pour. La République française a travaillé là, comme pour d’autres territoires, à la réintégration d’un territoire qui était perdu. On parle d’un retour après quarante-sept ans sous domination étrangère, mais c’était beaucoup plus douloureux que cela ! Dans certaines familles, on s’était battu des deux côtés ! Oui, cela fait cent deux ans, mais certaines choses commencent à s’arranger. L’instruction religieuse n’est plus obligatoire depuis quarante ans ! En tout cas, il est faux d’en faire une querelle idéologique, il ne s’agit pas du Concordat.

M. Ludovic Mendes. Je n’aurais jamais voulu défendre le Concordat, et je suis obligé de le faire aujourd’hui. Monsieur Corbière, vous qui vous référez en permanence à l’histoire, au peuple et à sa volonté, je vous signale que nous parlons là d’un choix fait par le peuple en 1925, qui a été confirmé quand Édouard Herriot a voulu revenir dessus. Un amendement proposant un référendum pour entendre l’opinion du peuple d’Alsace-Moselle serait intéressant. Vous, vous voulez lui imposer votre choix.

Le Conseil d’État a confirmé en 1925 que le Concordat restait en vigueur, et le Conseil constitutionnel l’a validé en 2013. Il y a un débat sur les établissements publics des cultes, c’est vrai. La loi de 1905 s’applique aussi pour les associations dans les départements d’Alsace-Moselle, même si je rappelle que les associations y ont aussi un statut dérogatoire, puisqu’elles ne relèvent pas de la loi de 1901.

Selon vous, il n’y a pas de particularisme en France. Et pourtant, la Corse a la langue corse et la Bretagne la langue bretonne ! Il y a des particularismes, et cela n’empêche pas l’unité de la République. C’est là-dessus que nous devons travailler. Si demain le Concordat devait être remis en question, ce qui d’ailleurs ne concernerait pas l’ensemble du droit local, il faudrait le faire par référendum. La classe politique doit savoir écouter les habitants des territoires. Les choses évoluent, nous avons par exemple parlé hier des cours de religion à l’école. Mais il ne faut pas attaquer le Concordat sans en connaître les tenants et aboutissants dans ce territoire.

M. Jean-Baptiste Moreau. Nous sommes en train de discuter d’un projet de loi qui réaffirme les principes de la République. Un de ces principes, inscrit dans le Constitution, est la laïcité. Il s’applique partout et pour tout. Que certaines régions choisissent pour elles-mêmes, après consultation de leur population, des dispositions un peu dérogatoires, pourquoi pas. Mais que l’ensemble du pays accepte de financer des cultes dans quelques-unes d’entre elles, j’y suis fermement opposé. La laïcité n’est pas à géométrie variable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Corbière, nous ne prenons pas vos propositions à la légère, et vous avez cité trois arguments que je veux réfuter profondément.

D’abord, vous dites qu’en Alsace-Moselle nos impôts payent des cultes, et qu’il y a d’ailleurs une inégalité de traitement entre les anciens et les nouveaux cultes. Mais c’est le cas en dehors de l’Alsace-Moselle ! Que faites-vous de la nationalisation des biens de l’Église ? Quand 8 à 12 % de l’investissement de la mairie de Tourcoing va à la rénovation des églises, rien ne va aux mosquées ! L’inégalité de traitement est évidente, tout simplement parce qu’en 1905 il n’y avait pas de mosquées. Il est clair que le culte catholique n’occasionne pas les mêmes dépenses que les autres ­ ce ne sont pas les mêmes bâtiments, le même patrimoine, le même nombre de croyants ­dans la mesure où ces biens appartiennent aux communes. Ne faites pas comme si l’inégalité de traitement n’existait qu’en Alsace-Moselle ! C’est simplement la loi. Ne faites pas comme s’il y avait l’égalité la plus profonde entre les cultes dans le reste du territoire, ce n’est pas vrai et c’est un des problèmes que nous avons avec l’islam en France.

Ensuite, vous vous dites très inquiet quant au salariat des cultes. Je vous le redis, le Conseil constitutionnel en fera peut-être un jour un principe fondamental reconnu par les lois de la République, mais aujourd’hui le non-subventionnement est seulement de niveau législatif. C’est un constat, ce n’est pas une ouverture : on ne propose nulle part de salarier les ministres des cultes !

Enfin, la décision du Conseil constitutionnel et le travail que fait le droit mosellan contredisent vos propos. Oui, en Alsace-Moselle les collectivités locales peuvent subventionner la construction de lieux de culte, mais non, elles ne peuvent pas le faire uniquement pour un culte. La jurisprudence est très claire : si une mairie aide la construction d’une église, elle ne peut pas refuser une aide à un autre culte, quel qu’il soit, même non reconnu. C’est tout de même un engagement d’égalité. Les seules inégalités se trouvent dans la reconnaissance et dans le salariat des cultes reconnus, mais il ne se passe pas en Alsace-Moselle des choses totalement différentes d’ailleurs. Oui, sur notre territoire national, certains cultes sont aidés plus que d’autres, par le fait de l’histoire. Oui, vos impôts servent aussi à reconstruire les églises. C’est la loi.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS825 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. C’est le même sujet. Et depuis tout à l’heure, j’inclus dans la discussion la Guyane et son ordonnance de Charles X et les autres territoires d’outre-mer avec leurs décrets Mandel.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Article 26 (art. 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État) : Modification des règles relatives à l’organisation et au fonctionnement des associations cultuelles

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS634 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 26 pose effectivement de sérieux problèmes et il est difficile de saisir l’étendue de ses conséquences. Il modifie en profondeur l’article 19 de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, qui reconnaît l’existence d’associations mixtes, régies par la loi de 1901, ainsi qu’un certain nombre de prérogatives : recevoir des cotisations ou le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions, etc. Tout en disant que l’héritage historique doit être préservé, vous n’hésitez pas à modifier cet article 19 d’une loi qui a été la cause d’une grave crise diplomatique entre l’État français et le Saint-Siège, au point que le pape Pie X l’a condamnée par l’encyclique Vehementer Nos. Ces inquiétudes ont été rappelées dans un courrier du président de la Conférence des évêques, Mgr de Moulins-Beaufort, qui a été auditionné par l’Assemblée. Il explique que les mesures accumulées par le texte vont dans un tout autre sens que les dispositions de liberté de la loi de 1905. Pour acquérir des moyens nouveaux d’empêcher les islamistes radicaux de mener à bien leurs projets, l’État multiplie les contrôles et organise une nouvelle mise sous tutelle des cultes. L’inquiétude est grande. Je crains de surcroît que cet article 26, qui est dangereux pour l’Église, n’empêche nullement les islamistes de diffuser leur idéologie mortifère.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet article est très clair. Il reprend dans plusieurs de ses paragraphes le texte de 1905, en en modernisant légèrement l’écriture. Par ailleurs, contrairement à ce que vous prétendez, il propose des solutions bienvenues. Ainsi il autorise la création d’une association cultuelle à partir d’un nombre minimum de sept personnes majeures par strate de population, contre 7 à 25 dans la loi de 1905. C’est un assouplissement noté par les cultes. Surtout, il propose une disposition que vous devriez soutenir, qui donne la capacité à une association cultuelle de faire face à des minorités actives qui voudraient renverser le pouvoir interne dans une logique de repli, de rupture, une logique séparatiste. Cette disposition n’est pas propre aux associations cultuelles : elle est imposée dans d’autres types de structures associatives, comme les associations d’utilité publique, où déjà l’État impose des conditions internes d’organisation. Pour les associations cultuelles, il s’agit d’imposer la création d’un organe délibérant qui leur permettra de se prémunir d’une OPA idéologique. Avis très défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Quelques mots sur cet article 26 d’une grande importance, dont je ne crois pas que les parlementaires attachés à la loi de 1905 ne puissent pas l’adopter.

Il y a une difficulté historique. En 1905, la loi de la République a voulu imposer des associations cultuelles, c’est-à-dire dont le but unique est de gérer un culte, puisque le culte est différent des autres activités associatives. Il ne faudrait pas penser que l’Église catholique est très attachée à cette loi de 1905 : ça ne s’est pas tellement vu à l’époque ! Elle a même refusé de l’appliquer, ce qui a donné lieu à la loi de 1907 et aux accords Cerretti-Poincaré. Il y aura à ce propos des amendements sur les associations diocésaines, qui sont évidemment des associations cultuelles. Elles ont été reconnues comme telles et ne relèvent pas de la loi de 1901.

Seuls le culte protestant et, différemment, le culte israélite se sont organisés pleinement dans la loi de 1905. Les cultes musulman, évangélique, bouddhiste se sont surtout servis de la loi de 1901, constituant des associations mixtes dont la philosophie de séparation du public et du culte est pour le coup confuse.

Le Gouvernement aurait souhaité supprimer la possibilité de gérer un culte en loi 1901, mais le Conseil d’État a estimé que ce serait contraire à la liberté de culte. Nous y avons donc renoncé, mais, avec cet article 26 et les amendements que nous allons présenter, nous posons des contraintes supplémentaires pour les associations loi 1901 qui veulent gérer un culte et donnons des avantages supplémentaires à celles qui sont organisées en loi 1905, laquelle est faite pour cela.

Pourquoi ces avantages supplémentaires ? Quand j’étais maire, j’ai reçu une association musulmane sous statut de 1901, qui demandait à la ville une subvention pour payer sa taxe foncière. Sous le statut de la loi de 1905, la même association n’aurait pas eu à payer de taxe foncière. Comme je refusais la subvention, elle a emprunté à l’étranger de l’argent pour payer une taxe foncière qu’elle n’aurait pas dû payer autrement. C’est digne des Shadoks.

La loi de la République protège les cultes. Elle crée des obligations, c’est vrai, mais elle leur donne aussi des avantages. Une association constituée sous le régime de la loi de 1901 ayant une double activité, cultuelle et humanitaire, ne peut pas émettre de reçus fiscaux au titre de la première activité, mais elle peut le faire au titre de la seconde, qui est d’intérêt général. Jusqu’à présent, comme il n’y a pas de différenciation des comptes, l’humanitaire peut financer le culte : la loi de 1905 est donc bafouée.

L’article 26 réaffirme la liberté de culte et rappelle qu’il existe un instrument formidable pour gérer un lieu de culte : la loi de 1905. Celle-ci présente des avantages – non-paiement d’impôt, reçus fiscaux et, peut-être demain, si vous le souhaitez, possibilité de gérer des immeubles de rapport – et des inconvénients – recours à un expert-comptable, déclaration des financements reçus de l’étranger, création d’un bureau, dont les membres ne doivent pas avoir été condamnés pour terrorisme, par exemple. On ne peut plus contourner, grâce au statut de la loi de 1901, les désavantages du statut de 1905 et chercher des modes de financement en dehors de ceux prévus par la loi.

Monsieur le président, je souhaiterais, si vous le permettez, distribuer un tableau récapitulant les avantages des deux statuts – 1901 et 1905 – et indiquant ce qui va changer avec cette loi. Notre devoir républicain est de garantir la liberté de culte dans une association dédiée à cela. Certes, nous introduisons des contrôles – et on peut comprendre que les cultes n’en veuillent pas –, mais nous leur accordons aussi des avantages, de façon à ce que les lieux de culte ne soient plus financés, ni par un subventionnement public, ni par l’étranger. Il n’y a pas plus républicain, au sens de la loi de 1905, que l’article 26.

Je ne reviens pas sur la clause antiputsch, qui est frappée au coin du bon sens.

Madame Ménard, l’article 26 ne remet nullement en cause les associations diocésaines, qui ont été reconnues comme des associations cultuelles par la jurisprudence. Mais il poussera à se déclarer sous le statut de la loi de 1905 toutes les associations qui naïvement, ou par calcul, pour faire du « détournement de fonds publics », violent la loi de 1905. Cet article est très important pour la République. Il est technique, c’est vrai, mais il est extrêmement clair, et je remercie, à cet égard, les services du ministère de l’intérieur et tous ceux qui y ont travaillé. Le législateur de 1905 ne pouvait pas anticiper l’arrivée sur notre territoire des cultes évangélique et musulman, qui impose des ajustements.

M. le président François de Rugy. Je suis tout à fait favorable à ce que vous distribuiez un document susceptible d’éclairer nos travaux. D’une façon générale, je suis toujours preneur de documents, de chiffres ou de comparaisons entre l’existant et ce qu’un texte entend modifier.

M. François Pupponi. Je partage totalement la philosophie des articles 26 et suivants et je n’ai pas vraiment de désaccord avec l’exposé que vous venez de faire, monsieur le ministre. Le seul petit problème, à mon sens – et je déposerai des amendements pour y remédier –, c’est que le statut de 1905 n’est pas assez attractif du point de vue de la construction des lieux de cultes, qui est un enjeu essentiel pour la communauté musulmane. La loi présente des avantages pour ce qui relève de la gestion des lieux de culte, mais pas vraiment pour ce qui relève de leur construction. Je crains, du reste, que les contrôles accrus sur les financements étrangers n’incitent certaines associations à rester sous le statut de la loi de 1901, qui n’oblige pas à déclarer les financements étrangers.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si, nous allons introduire cette obligation.

M. François Pupponi. Pour l’instant, le texte ne le prévoit pas, monsieur le ministre.

En tout cas, nos concitoyens de confession musulmane nous demandent comment nous pouvons les aider à construire leurs lieux de culte. Les communes financent l’entretien des lieux de culte catholiques, la communauté juive a elle aussi ses lieux de culte, et nos concitoyens musulmans demandent : « Et nous ? ». Si nous ne réglons pas la question du financement des lieux de culte de la communauté musulmane, ce sont des puissances étrangères qui, d’une manière ou d’une autre, continueront de venir les construire en France. Il faudrait peut-être introduire un petit avantage supplémentaire pour régler ce problème.

M. Guillaume Vuilletet. L’article 26 est l’une des pierres angulaires du projet de loi et il n’est pas inutile de lui consacrer un peu de temps afin de dissiper toute confusion. Ce projet est vraiment un texte de liberté et cet article l’illustre parfaitement. Son objectif est de simplifier et de rendre plus attractifs les articles de loi qui assurent la gestion du culte dans un cadre républicain. Le statut des associations constituées sous le régime de la loi de 1905 est rendu plus attractif et nous exerçons une pression plus forte sur les associations mixtes constituées sous le statut de la loi de 1901. On voit bien que c’est dans ces associations dites « mixtes » que des formes de séparatisme peuvent s’installer : certaines jouent sur la confusion entre les domaines cultuel, culturel, voire sportif ou social. Ce texte va offrir à toutes les religions un cadre qui leur permettra de fonctionner normalement, en conformité avec les principes républicains.

Mme Emmanuelle Ménard. Monsieur le ministre, j’aimerais vous demander quelques précisions.

Vous m’avez confirmé que l’existence des associations diocésaines n’était pas remise en cause. Mais vous me confirmez aussi que les associations mixtes, ayant le double statut 1901 et 1905, vont disparaître ?

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet.

Mme Emmanuelle Ménard. Bien, les choses sont claires.

L’accroissement des contrôles sur le financement des associations cultuelles suscite de nombreuses questions. L’obligation de publier les comptes ne me pose aucun problème et je n’ai pas d’objection à l’introduction d’une transparence économique et financière, ni au contrôle des flux financiers venus de l’étranger, mais une inquiétude demeure, quant à la liberté d’utilisation des fonds. Les associations diocésaines, par exemple, contribuent au financement du Saint-Siège mais n’en reçoivent pas d’aide financière ; elles soutiennent aussi des activités caritatives en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Ce contrôle accru ne risque-t-il pas d’enfreindre la liberté de conscience des citoyens, en empêchant ces associations diocésaines d’avoir recours à ces modes de financement à l’étranger ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je souhaiterais d’abord répondre à M. François Pupponi. L’alinéa 4 de l’article 30 est ainsi rédigé : « Ces associations sont soumises aux dispositions des articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 9 bis et 17 de la loi du 1er juillet 1901 précitée ainsi que du troisième alinéa de l’article 19, de l’article 19‑3 et des articles 25, 34, 35, 35‑1, 36, 36‑1 et 36‑2 de la loi du 9 décembre 1905 précitée. » L’article 19-3 de la loi de 1905 sera modifié par l’article 35 de notre projet de loi, qui prévoit un régime de déclaration et d’opposabilité des financements étrangers. Pour résumer, si vous votez le projet de loi du Gouvernement, toute association gérant un culte, qu’elle ait été créée sous le statut de la loi de 1901 ou de 1905, devra désormais déclarer les sommes reçues de l’étranger lorsqu’elles dépassent 10 000 euros. Et l’État pourra s’y opposer.

Madame Ménard, je vous répète, et je le redirai dans l’hémicycle car c’est très important, que les associations diocésaines ne sont pas remises en cause – je l’ai d’ailleurs écrit aux représentants du culte catholique. Elles sont considérées comme des associations cultuelles.

S’agissant de l’argent venu de l’étranger, nous avons fait le choix de ne pas nous y opposer – ce qui aurait sans doute été considéré comme anticonstitutionnel. Le fait que de l’argent vienne de l’étranger n’est pas condamnable en soi, quel que soit le culte. Ce que nous demandons, c’est une déclaration lorsque les sommes dépassent 10 000 euros : il paraît normal que la République sache ce qui est financé sur son sol.

S’agissant de l’obligation de faire certifier les comptes par un commissaire aux comptes, nous allons rendre la loi de 1901 plus contraignante et alléger cette contrainte pour les associations relevant de la loi de 1905. La certification sera obligatoire pour les premières dès lors qu’elles reçoivent plus de 10 000 euros de l’étranger ; on gardera en revanche, pour les secondes, le seuil de 153 000 euros. C’est une façon de prendre en compte des situations concrètes, comme celle d’une petite association qui recevrait 12 000 euros de l’étranger pour refaire son toit, et qui devrait payer 6 000 euros pour payer un commissaire aux comptes.

La République ne contrôlera pas l’utilisation de ces fonds, mais elle se réserve le droit de s’opposer à certains mouvements d’argent, en motivant sa décision – nous en parlerons à propos des articles concernant TRACFIN. Vous imaginez bien les cas où une telle disposition pourrait s’appliquer, lorsque ces financements proviennent d’États que nous ne souhaitons pas voir intervenir sur notre territoire, par exemple. Peut-être faut-il que le Parlement précise les raisons pour lesquelles on pourrait s’opposer à de tels financements mais il importe en tout cas que l’on puisse s’y opposer. Être informé de ces financements sans pouvoir rien y faire n’a pas grand intérêt. Je tiens vraiment à vous rassurer : il ne s’agit pas d’intervenir dans l’utilisation de ces fonds mais d’en contrôler l’origine.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il est tout à fait normal que le ministre réponde aux questions des députés mais, pour la clarté de nos débats, je rappelle que l’article 26 concerne seulement le statut des associations cultuelles créées sous le régime de la loi de 1905. C’est lorsque nous aborderons le chapitre II que nous débattrons des questions relatives au financement des associations. L’objet de l’article 26 est très précis : il impose aux associations cultuelles de disposer d’un ou plusieurs organes délibérants – un bureau ou un conseil d’administration, par exemple – ayant pour compétence de décider de l’adhésion de tout nouveau membre, de la modification des statuts, de la cession de tout bien immobilier et, le cas échéant, et si elles sont organisées en conséquence, du recrutement d’un ministre du culte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1127 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Alexis Corbière. Nous souhaitons supprimer la disposition dite « antiputsch », que vous avez présentée dans la presse bien avant le dépôt de ce texte, monsieur le ministre, en assurant qu’elle était très robuste.

Elle vise à éviter que certaines associations cultuelles soient submergées par un groupe – vous aviez évoqué, je crois, les salafistes –, un peu comme dans notre jeunesse étudiante, lorsqu’à l’occasion d’une assemblée générale, une association politique prenait le contrôle d’une organisation de jeunesse.

Pour ce faire, vous demandez aux associations cultuelles qui désignent leur ministre du culte de modifier leurs statuts en se dotant d’une sorte de conseil d’administration, ou d’un bureau. C’est déjà le cas dans la plupart des associations et cela n’empêchera pas à une majorité de fidèles ayant par exemple une pratique plus rigoriste de prendre le dessus.

Plus fondamentalement, la distinction que vous faites entre les associations cultuelles qui désignent leur ministre du culte et les autres me semble poser un problème et témoigne d’une mauvaise compréhension de ce qu’est la loi de 1905. Nos amis protestants, qui désignent leur ministre du culte, ont demandé pourquoi on venait se mêler de leurs affaires. En 1905, l’Église catholique s’était émue de ce que la République veuille se mêler de son mode d’organisation : elle redoutait que cela n’entraîne un « risque schismatique ». Le compromis de 1907 a permis de rassurer les catholiques, en leur disant que l’organisation de leurs associations serait respectueuse de leur hiérarchie : c’est l’évêque qui désignerait les responsables des associations diocésaines. En un mot, on leur a garanti qu’il n’y aurait pas de démocratie et que c’est l’organisation catholique, dans sa verticalité, qui désignerait les responsables.

Ce compromis a été trouvé il y a bien longtemps. On peut estimer, aujourd’hui, qu’il faut un fonctionnement plus démocratique, mais nous ne le demandons pas à tous les cultes : nous n’allons pas demander à l’Église catholique de fonctionner de façon démocratique, avec des conseils d’administration. Nous avons accepté, en 1907, que l’évêque exerce son autorité sur les associations diocésaines, et on peut d’ailleurs considérer que c’est très bien ainsi et qu’il n’y a pas à remettre en cause cette organisation. La République ne reconnaît, ni ne salarie aucun culte : cela signifie qu’elle ne se mêle pas de la manière dont s’organisent les cultes. Elle veille, en revanche, à ce que les cultes et les fidèles respectent la loi : cela ne fait pas débat.

Pour résumer, le dispositif que vous proposez est inefficace car il n’empêchera pas, contrairement à ce qui a été annoncé dans la presse, que des coups d’État puissent se produire au sein des associations cultuelles. Par ailleurs, il s’appuie sur un raisonnement idéologique qui me semble témoigner d’une intrusion de la puissance publique dans la manière dont s’organisent les cultes, laquelle doit être laissée à la liberté des fidèles : un point, c’est tout. C’est aux fidèles de décider comment ils souhaitent s’organiser et nous n’avons pas d’avis à avoir là-dessus, tant qu’ils respectent la loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. À celles et ceux qui considèrent que cette disposition est une forme d’ingérence inacceptable – ce n’est pas ce que vous avez dit, monsieur Corbière –, je rappellerai qu’il s’agit seulement d’imposer la création d’organes délibérants, tels qu’un bureau ou un conseil d’administration.

Il y a effectivement des situations où des majorités actives arrivent dans une association et s’y imposent, faute d’échelons intermédiaires. Elles prennent le pouvoir en assemblée générale, par exemple, et se retrouvent en situation de force, parce qu’il n’existe ni bureau, ni conseil d’administration pour leur faire face. À l’inverse, on voit parfois des minorités prendre le pouvoir – une, deux ou trois personnes –, parce qu’il n’existe aucun organe de décision, ni aucun contrôle démocratique. En imposant la création d’instances de délibération démocratiques au sein des associations cultuelles, nous essayons de répondre à la double menace que constituent l’entrisme majoritaire, qui peut faire basculer une association vers un fonctionnement séparatiste, un repli communautariste ou une forme de radicalisation religieuse, et la prise de pouvoir par une minorité, faute d’une organisation démocratique. Avec cette disposition, nous donnons des outils aux associations pour résister à des offensives, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cette disposition antiputsch répond à un besoin historique. Monsieur Corbière, j’ai consulté les comptes rendus des débats de l’examen de la loi de 1905. À l’époque, les amendements dits « de gauche », ceux de votre ancien collègue, M. Maurice Allard, qui n’était pas un modéré, puisqu’il était fondamentalement opposé au texte proposé par Aristide Briand, plaidait pour relever le nombre minimum de personnes nécessaires à la création d’une association pour favoriser l’esprit démocratique et éviter ce qu’il appelait les « coteries cléricales », alors que le centre droit plaidait pour baisser ce nombre. Le rapporteur et le ministre sont restés fidèles au texte de 1905.

M. Alexis Corbière. Avec Jean Jaurès !

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Avec Jean Jaurès, contre Allard et pour Briand ! Cette discussion est ancienne et avouons que les termes en sont désormais inversés.

Je ne crois pas que le parallèle avec le culte catholique – qui, il est vrai, a refusé d’appliquer la loi de 1905 à cause de cet article –, soit tout à fait pertinent. Je ne considère pas qu’un culte est supérieur à l’autre, mais c’est un fait que l’un a un clergé, et l’autre non. Si nous n’avions affaire qu’à l’islam chiite, nous pourrions considérer que nous avons un clergé avec lequel discuter, mais la grande différence entre le culte catholique et l’islam, c’est, que lorsque nous discutons avec le premier, nos interlocuteurs sont des ministres du culte – les évêques et les prêtres –, alors que nos interlocuteurs musulmans sont des laïcs. Il nous faut des interlocuteurs, et comme le culte musulman n’a pas de pape, il faut bien que les croyants choisissent démocratiquement les représentants avec lesquels l’État et les collectivités locales discuteront.

La République ne reconnaît aucun culte, c’est vrai, mais elle doit tout de même avoir des interlocuteurs. En l’absence d’une organisation de l’islam – encore une fois, je ne fais aucun jugement de valeur en disant cela –, et puisqu’il n’y a pas l’équivalent des évêques dans la religion musulmane, il faut bien que ces interlocuteurs soient désignés. Vous avez parlé des évêques mais je vous rappelle, monsieur le député, qu’ils ne sont responsables que des églises et des prêtres qui sont sous leur autorité, et non de tous les bâtiments de l’Église, ce qui pose d’ailleurs de sérieuses difficultés aux élus locaux. Il arrive fréquemment qu’un élu conclut un accord avec l’évêque au sujet d’un bâtiment religieux occupé par une congrégation et que les sœurs ne soient pas d’accord. Celles-ci lui font bien comprendre que l’évêque est sympathique mais que c’est avec elles qu’il faut négocier ; et il faut tout recommencer. De nombreux élus qui croyaient que l’évêque était le patron dans son diocèse ont ainsi découvert que ce sont les femmes qui ont le pouvoir dans l’Église. Cette différence de traitement, si vous pouvez la regretter d’un point de vue littéral, se justifie d’un point de vue pratique.

Troisièmement, il ne s’agit pas d’être antidémocratique, et des changements peuvent évidemment se produire à la tête d’une association, mais nous y mettons des conditions, qui ont aussi vocation à protéger les élus. Combien de maires ont signé un permis de construire à une association cultuelle musulmane qui venait le leur demander ? Le maire ne peut pas financer la construction, mais il signe le permis de construire ; il connaît les dirigeants, il peut toujours demander des informations au préfet, qui le rassure : aucun n’est terroriste. L’association lance les travaux et, un an après, le maire s’aperçoit que les dirigeants de l’association ont changé. Tout le monde lui dit que ce sont des gens très dangereux et lui demande pourquoi il leur a accordé un permis de construire. Et la presse se déchaîne contre le maire, qui a accepté que des islamistes s’installent dans sa commune. Cette disposition antiputsch permet le renouvellement des instances dirigeantes, mais elle introduit des garde-fous.

Enfin, vous demandez pourquoi on introduit un nombre de membres par habitant : cette disposition figurait déjà dans la loi de 1905, mais nous l’avons simplifiée.

Ne voyez aucune malice dans cette disposition antiputsch ; voyez-y un témoignage de notre considération pour nos compatriotes musulmans, mais aussi évangéliques. La différence de traitement dont bénéficie l’Église catholique s’explique par l’histoire, mais aussi par le fait qu’elle n’a pas la même structuration. Lorsqu’il y a un problème avec un prêtre, le ministre de l’intérieur peut parler avec le nonce, et le Président de la République, avec le Pape ; lorsqu’il y a un problème avec un imam, le ministre de l’intérieur n’a personne à qui parler, ou presque.

M. François Pupponi. Je partage totalement votre analyse, monsieur le ministre, et j’ai un autre exemple en tête, qui montre la complexité de la situation. Dans la commune que j’ai dirigée pendant vingt ans, une SCI liée à la Confédération islamique Millî Görüş (CIMG), dont on parle beaucoup en ce moment, vient de déposer une demande de permis de construire pour un lieu de culte. Le problème, c’est que ce n’est pas cette SCI, mais une association, qui y exercera une activité cultuelle : la SCI qui construit le bâtiment n’est donc pas tenue, si elle reçoit de l’argent de l’étranger pour financer la construction, de le déclarer. Entre ceux qui construisent le lieu de culte et ceux qui y ont une activité cultuelle, il me semble qu’il manque quelque chose, et je voudrais être sûr que l’on n’oublie rien.

M. Éric Diard. Je ne reviendrai pas sur le fait que l’absence de clergé au sein de la mouvance sunnite, qui est majoritaire, est responsable de ces putschs. Je suis un peu gêné de parler juste après François Pupponi, parce que, lors de la commission d’enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris, il avait beaucoup été question de la mosquée de Gonesse, qui avait été reprise en main pendant un temps, avant de retomber aux mains d’un mouvement fondamentaliste, qui avait fait un putsch dans la mosquée. Nous avions été assez frappés par ces mouvements internes.

François Pupponi a évoqué la CIMG : je rappelle que c’est l’un des trois mouvements fondamentalistes qui n’a pas encore signé la charte des principes de l’islam, et qu’elle est d’obédience turque.

M. le président François de Rugy. Ces débats montrent que ce projet de loi répond à des problèmes très concrets, qui avaient été bien identifiés depuis de nombreuses années, mais qui n’avaient jamais été traités. Vous n’étiez pas là, monsieur le ministre, lorsque j’ai dit, au cours des auditions, que nous faisions collectivement preuve de courage en nous attaquant à ces problèmes. Longtemps, on n’a rien osé faire, du fait d’une sorte de « totémisation » de la loi de 1905. Il est important de clarifier le cadre juridique et nos collègues ont raison de souligner que les nouvelles mouvances, qu’elles soient liées à l’islam ou au culte évangélique, n’ont pas du tout la même organisation que l’Église catholique ; elles-mêmes demandent de telles dispositions.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Pupponi, j’entends vos remarques mais je propose que nous nous en tenions, comme le rapporteur général l’a proposé, à l’objet de cet article. Nous aurons ce débat à l’occasion de l’examen des prochains articles.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1292 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. L’article 26 fixe un certain nombre de règles de fonctionnement aux associations cultuelles, pour le bien de ces associations, puisqu’il s’agit de les aider à se défendre à la fois contre l’entrisme majoritaire ou une prise de contrôle par une minorité. L’article prévoit notamment qu’un ou plusieurs organes délibérants assument certaines compétences, dont le recrutement d’un ministre du culte.

Je propose de clarifier cette disposition en prévoyant, premièrement, que cette obligation de désigner un organe compétent pour le recrutement d’un ministre du culte ne concerne que les associations qui procèdent elles-mêmes à ces recrutements et, deuxièmement, que cet organe de recrutement du ministre du culte soit bien distinct des autres organes évoqués par l’article, qu’ils soient chargés de l’adhésion de nouveaux membres, de la modification des statuts ou de la cession de biens immobiliers. Il s’agit de bien séparer cette mission de recrutement des autres missions, dans le respect du principe de la collégialité de la désignation du ministre du culte.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons précisément voulu laisser la possibilité aux structures cultuelles de choisir le mode d’organisation qui leur convient le mieux. Nous avons voulu cette souplesse. Dans le culte catholique, par exemple, c’est le président de l’association diocésaine, en tant qu’autorité spirituelle, qui va continuer de nommer le ministre du culte : il faut que cette organisation perdure. Vous souhaitez séparer les modes de désignation ; je pense qu’il faut, au contraire, donner la possibilité aux associations cultuelles de procéder comme elle l’entendent, en faisant preuve de souplesse – sachant qu’on leur impose déjà une contrainte supplémentaire. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Alexis Corbière. Il me semble que déposer un amendement comme celui-ci, c’est typiquement vouloir s’immiscer dans l’organisation du culte. Ce n’est pas à la République de décider comment doit être désigné un ministre du culte, d’autant plus que la situation est très différente chez les protestants, les musulmans ou les catholiques.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS633 de Mme Emmanuelle Ménard.

Puis elle adopte l’article 26 sans modification.

Après l’article 26

La commission examine les amendements CS1600 et CS1605 de M. Jacques Maire.

M. Jacques Maire. Cet amendement vise à interdire la vente ou la cession d’un lieu de culte à un État étranger ou à une entité étrangère.

Ce phénomène se développe, notamment par crainte des communautés locales de perdre la propriété d’un lieu de culte en cas de dissolution – c’est pourquoi j’avais déposé, à l’article 8, un amendement visant à assurer la continuité de l’affectation au culte d’un lieu de culte. Par ailleurs, les lieux de culte étant souvent coûteux à entretenir, surtout les plus importants, il arrive qu’ils soient mis en vente pour que le nouveau propriétaire en assume l’entretien. Ces ventes se multiplient, souvent pour un euro symbolique ; il arrive qu’elles passent par une structure publique, par exemple un ministère, ou par une association parapublique. Ce phénomène ne cesse de se développer et les plus grands établissements sont concernés : cela a failli être le cas en 2015 avec la grande Mosquée de Paris et cela a été le cas, il y a quelques années, avec la grande mosquée Mohammed VI de Saint-Etienne ; des cessions de ce type sont en discussion à Puteaux, Argenteuil et Carpentras et les choses sont bien avancées à Angers.

Dans ce contexte, nous proposons qu’une association cultuelle ne puisse « vendre ni céder ses biens immobiliers à un État étranger, à une personne morale étrangère, à tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou à une personne physique non-résidente en France ». Il arrive souvent que la vente ne se fasse pas directement à un État, mais par l’intermédiaire de structures relativement opaques. Nous avons essayé de trouver une rédaction qui prenne en compte cette réalité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement est très intéressant et il concerne un problème extrêmement important, puisqu’il s’agit d’éviter la reprise d’un lieu de culte par des puissances étrangères, dans une logique d’influence – géopolitique ou religieuse. La rédaction de votre amendement pose toutefois un problème. En effet, il propose une interdiction pure et simple, alors qu’il existe des accords bilatéraux entre États, ainsi que des formes de réciprocité, puisqu’il arrive à l’État français d’acquérir des lieux de culte dans des pays étrangers. Je parle sous le contrôle du ministre de l’intérieur, avec qui j’ai échangé sur cette question, mais je crois que nous pourrions retravailler votre amendement en vue de la séance car votre objectif me semble correspondre à des préoccupations politiques que beaucoup partagent. Je vous invite, pour l’heure, à retirer votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le rapporteur a raison : la question que vous posez est extrêmement intéressante.

À ma connaissance, il n’est aucun domaine de l’État français dont on puisse interdire l’acquisition par une personne ou un État étrangers. Il faudrait donc arguer du fait que les lieux de culte constituent un cas particulier, ce que je suis prêt à reconnaître. Cela étant, je ne crois pas qu’il faille introduire une interdiction pure et simple. Je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble d’ici la séance, soit à une « possibilité de vente, sauf opposition », soit à une « interdiction de vente, sauf accord ». La première option, qui est moins dure que la seconde, risque moins d’être censurée par le Conseil constitutionnel – mais il faudra bien spécifier, je le répète, que vous ne visez que les lieux de culte.

Deuxièmement, nul n’ignore qu’une partie des gens qui veulent acheter des lieux de culte sur notre territoire ne le font pas seulement pour la beauté de la religion, mais aussi pour avoir le contrôle de leur diaspora. À ce titre, votre amendement permettrait effectivement de lutter contre l’islamisme politique – mais pas seulement. Je partage donc l’esprit de votre amendement, même si l’interdiction générale me paraît contraire à la Constitution. Il faudrait commencer par introduire un régime de déclaration car lorsqu’un lieu de culte est vendu en France, je n’en suis pas informé. Je l’apprends généralement en discutant avec mes homologues, ou dans la presse. Il faudrait donc commencer par améliorer la procédure de déclaration.

Se pose, enfin, la question de la réciprocité. J’informe la commission – et cela ne va pas plaire à M. Corbière, qui va découvrir que ses impôts ne financent pas seulement les ministres du culte mosellans – que La Trinité-des-Monts, Saint-Louis-des-Français, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Claude-des-Bourguignons et Saint-Nicolas-des-Lorrains sont cinq églises que l’État français possède dans les pieux établissements de Rome, et qu’il gère en direct. Sont également possession de l’État français le domaine national français en Terre sainte, qui compte l’église Sainte-Anne et le monastère d’Abou Gosh, mais aussi Saint-Louis d’Istanbul, qui est sous notre emprise diplomatique, ou encore Saint-Louis des Français de Lisbonne – mais je m’arrête là.

Il est évident que si nous prenions une mesure forte, comme une interdiction pure et simple, les choses se passeraient probablement bien avec Rome, mais sans doute moins bien avec Istanbul, et ce serait un mauvais signal. Une interdiction pure et simple ne me semble donc pas être une solution, d’autant qu’elle serait sans doute jugée anticonstitutionnelle. En revanche, un régime de déclaration et d’autorisation, comme pour les financements étrangers, me semblerait correspondre à la fois à la volonté du législateur et au respect des traditions.

M. Jacques Maire. Je vous remercie, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, de laisser la porte ouverte à un amendement sur le sujet en séance ; je suis prêt à travailler avec vous en ce sens.

Une réflexion, néanmoins. Je connais bien le monastère d’Abu Gosh et l’église Sainte-Anne de Jérusalem. Il s’agit là d’établissements parfaitement sûrs, reconnus, qui ont en général été donnés par les autorités locales à la France à l’occasion de manifestations de solidarité.

Si un régime d’autorisation assortie d’un droit de veto suffirait peut-être pour les acquisitions réalisées par un État étranger, la question pouvant se régler par la voie diplomatique – on ne va pas s’agresser entre États pour cela –, il me semble que la question se pose en des termes différents pour celles réalisées ou financées par des acteurs étrangers privés, parfois par des voies opaques, comme des fiducies ou des trusts. Cela concerne aujourd’hui de nombreux lieux de culte – notamment évangéliques –, qui échappent ainsi à la vigilance du Quai d’Orsay. Il serait nécessaire de concevoir un dispositif d’alerte susceptible d’y remédier.

Les deux amendements sont retirés.

Article 27 (art. 19-1 [nouveau] de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, art. 111 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures) : Obligation de déclaration au préfet d’une association cultuelle souhaitant bénéficier des avantages propres auxdites associations

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS648 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 27 modifie substantiellement le régime établi en 1905. Actuellement, une association cultuelle doit, comme toute association et conformément à la loi de 1901, se déclarer, puis elle bénéficie automatiquement des avantages contenus dans la loi de 1905. Dans le nouveau régime que vous proposez, l’association cultuelle devra toujours se déclarer conformément à la loi de 1901, mais elle ne pourra bénéficier des avantages de la loi de 1905 qu’après avoir déclaré sa qualité cultuelle au préfet, qui pourra ainsi exercer un contrôle sur elle ; il lui faudra en outre renouveler son agrément tous les cinq ans. Le fait que le préfet ait à reconnaître ou non le caractère cultuel d’une association est quelque peu contradictoire avec l’article 2 de la loi de 1905, qui proclame que la République ne reconnaît aucun culte.

En préambule à l’examen de ce texte, vous aviez affirmé, monsieur le ministre, que nous étions là pour renforcer les principes de la République – liberté, égalité, fraternité –, et non pour les changer. Or le fait d’imposer aux associations cultuelles le renouvellement tous les cinq ans d’une forme d’agrément de l’État soulève quelques questions concernant le renforcement de la liberté de culte. Comment ne pas s’inquiéter quand le régime des associations cultuelles va être poussé à l’obésité – si j’ose dire –, puisqu’il a vocation à absorber une grande partie des autres formes d’associations, et que, dans le même temps, la création et la survie d’une association cultuelle seront conditionnées à la bonne volonté de l’administration ? Il me semble que cet article apporte beaucoup trop peu de garanties juridiques à la liberté de culte. C’est pourquoi j’en demande la suppression.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Ménard, vous écrivez dans l’exposé sommaire de votre amendement que l’article 27 fait passer les associations cultuelles d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. C’est tout à fait inexact, puisque l’association devra déclarer sa qualité cultuelle au représentant de l’État – c’est ce qu’indique l’alinéa 2. Nous avons déjà eu le débat relatif à la déclaration et à l’autorisation sur un autre sujet ; il me semble que nous sommes maintenant assez armés pour faire la différence entre les deux catégories, et admettre qu’il s’agit bien d’un régime de déclaration.

Vous dites que la disposition prévue reviendrait à une reconnaissance de fait des cultes par l’État. Il est vrai qu’aujourd’hui, lorsqu’une association cultuelle dépose ses statuts à la préfecture, elle n’a pas l’obligation de déclarer sa qualité. Toutefois, il faut bien qu’à un moment ou l’autre de son existence, elle se la voie reconnaître, ne serait-ce que pour bénéficier des avantages fiscaux qui lui sont reconnus par la loi de 1905, pour les procédures de rescrit fiscal et de rescrit administratif ou pour recevoir des libéralités. Il existe actuellement trois dispositifs juridiques qui requièrent qu’une association se tourne vers l’État pour lui demander de reconnaître sa qualité cultuelle ; si l’État la lui refuse, l’association ne pourra pas bénéficier des avantages afférents à ce statut. Ce bénéfice vaut pour cinq ans : le nouveau dispositif ne changera rien sur ce point.

Il s’agit en revanche d’anticiper et, au lieu qu’une association se voie reconnaître au fil de l’eau sa qualité cultuelle, qu’elle en fasse la demande dès sa déclaration de constitution, ce qui apportera une protection tant pour elle, qui sera assurée, en cas d’acceptation, de bénéficier des avantages associés à cette qualité, que pour l’État – ce qui est un des objectifs de ce texte.

Cet article ne travestit donc en rien l’esprit de la loi de 1905. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. S’agissant de la période de cinq ans et de la procédure de rescrit, le rapporteur général a donné des explications très claires ; je n’y reviendrai pas. Le projet de loi ne modifie rien sur ce plan.

Vous affirmez, madame Ménard, que l’article 27 est contraire au principe selon lequel la République ne reconnaît aucun culte. Ne confondons pas tout. Si la République ne reconnaît pas un culte en particulier, en revanche, il existe un ministre des cultes – en l’occurrence votre serviteur –, un bureau central des cultes, et l’État délivre aux cultes des agréments, des rescrits, des reçus fiscaux, des exonérations et prévoit pour eux des dispositions particulières : la République travaille avec les cultes. Elle les reconnaît en tant que tels, sans faire pour autant de distinctions entre eux. Il ne faut pas interpréter de travers la loi de 1905.

En outre, le Conseil d’État a dit au Gouvernement qu’il ne fallait pas se diriger vers un régime d’autorisation. Lisez son avis et l’étude d’impact : vous y trouverez la confirmation qu’il s’agit d’un régime de déclaration, et non d’autorisation.

Que fera le préfet avec cette déclaration ? Eh bien, il examinera si l’association satisfait, formellement, aux conditions du statut de 1905, qui, s’il crée des obligations, octroie aussi des avantages, comme le fait de ne pas payer d’impôts locaux ou de pouvoir délivrer des reçus fiscaux – ce qui a d’ailleurs un coût pour les finances publiques. Il faut donc qu’un contrôle suffisamment strict soit exercé. Le préfet vérifiera que l’association a bien transmis sa déclaration de constitution et contrôlera le nombre de membres, la circonscription d’action, le caractère public et exclusif de l’activité cultuelle – conformément à la loi de 1905 –, la nature des ressources, afin de vérifier qu’elle ne reçoit pas de subventions publiques, et le caractère démocratique de son fonctionnement, conformément à l’article 26 du présent projet de loi.

J’entends que pour les associations cultuelles qui se trouvent depuis un certain temps sur le territoire de la République, ce nouveau régime puisse paraître bureaucratique. Je prends donc l’engagement que pour les associations cultuelles qui sont depuis plus de quinze ou vingt ans dans notre pays, le renouvellement des avantages liés au statut sera tacite, et cela quel que soit le culte concerné ; il faudra une action positive de l’État, pour un motif d’ordre public évident – par exemple l’activation d’une clause antiputsch –, pour le remettre en cause. Cela relève a priori d’une mesure réglementaire, mais s’il faut préciser les choses en séance publique, ce sera fait. En revanche, pour toutes les nouvelles associations, cultes ou églises qui apparaîtraient sur le territoire national, et qui auraient par conséquent à démontrer leur qualité cultuelle, le renouvellement devra être demandé tous les cinq ans – ou tout autre délai.

Il est évident qu’on ne va pas demander à la grande mosquée de Paris, aux associations protestantes ou catholiques, ni au consistoire de Paris de faire une déclaration tous les cinq ans : cela fait un siècle, voire plus, que tout se passe bien, et ils n’ont pas à prouver qu’ils sont en règle avec la République. D’où l’idée d’une reconduction tacite. Néanmoins, j’appelle votre attention sur le fait que la déclaration est nécessaire pour, premièrement, que le préfet constate la qualité cultuelle de l’association, deuxièmement, qu’il puisse agir en cas de besoin – par exemple, si une association touche de l’argent de l’étranger sans l’avoir déclaré – non seulement sur les personnes, mais sur l’association elle-même.

Si je comprends vos interrogations, je pense y avoir répondu en grande partie.

M. le président François de Rugy. Madame Ménard, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Emmanuelle Ménard. Je le maintiens dans l’attente de la séance publique.

M. Boris Vallaud. Vous affirmez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, que cet article sécurise et simplifie le dispositif. Je ne suis qu’à moitié convaincu.

Sous un régime concordataire, il est assez simple de définir ce qu’est un culte : cela se confond avec sa reconnaissance ou son autorisation. C’est quand on n’est pas dans un régime concordataire que les difficultés surgissent. Jamais le législateur n’a défini ce qu’était un culte ou une religion, pas même en 1905. Dans un avis de 1997, le Conseil d’État fixe un certain nombre de critères, mais il existe une jurisprudence abondante soulignant la difficulté de distinguer le cultuel du culturel, par exemple ; on l’a vu avec les crèches, c’est une source de controverse incessante.

Aujourd’hui, c’est le fait de se déclarer association de statut 1905 qui donne la qualité cultuelle à une association. Demain, il faudra une double déclaration : une pour obtenir le statut de 1905 et une autre pour bénéficier des avantages fiscaux – alors que jusqu’à présent, le rescrit ne requérait pas une deuxième déclaration.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il ne vaut néanmoins que pour cinq ans.

M. Boris Vallaud. Certes, mais une double déclaration modifie l’équilibre des choses. Cela va-t-il apporter une amélioration sur le plan fiscal ? Non, puisqu’il y avait déjà le rescrit. Existe-t-il des cas où il a été répondu négativement à la demande de rescrit parce que la nature cultuelle de l’association n’a pas été reconnue ? Je n’en ai pas trouvé.

Que se passera-t-il en cas de contestation par le préfet de la deuxième déclaration ? L’association sera-t-elle requalifiée en association loi 1901 ? Or, au titre du statut de 1901, le préfet aura aussi à vérifier la nature cultuelle ou culturelle de ses activités, avec la même part d’aléas.

J’aimerais donc savoir ce qu’il est prévu d’inscrire dans le décret en Conseil d’État auquel vous nous renvoyez. Prévoyez-vous de donner, pour la première fois, une définition de ce qu’est le culte ? Ce serait pour le coup une nouveauté par rapport à la loi de 1905 !

M. Alexis Corbière. J’abonderai dans le sens du collègue Vallaud. Les conséquences pratiques de ce qui nous est proposé ne sont pas très claires. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : n’importe quel groupement d’adorateurs peut se déclarer comme étant un culte – y compris ceux de Darmanin ! (Sourires.)

Revenons à l’objet du texte : il s’agit de lutter contre les associations qui prônent l’islamisme politique, avec une zone grise comprenant celles qui pratiquent un islam très rigoriste. Il se peut que le préfet décide de ne plus reconnaître la qualité cultuelle de ces associations – mais cela ne les empêchera pas de continuer à pratiquer leur foi. Que va-t-il se passer ? Ces groupements passeront peut-être au statut de 1901, mais resteront de fait des associations cultuelles. Cela ne résoudra pas le problème !

D’autre part, cela pose un problème de principe : même si l’on considère que la pratique religieuse d’une association est rigoriste ou obscurantiste, ce n’est pas au préfet de décider qu’il ne s’agit pas d’un culte !

Si je ne suis pas opposé au fait de donner au préfet un pouvoir de contrôle – raison pour laquelle nous n’avons pas déposé d’amendement sur l’article –, je souhaiterais pouvoir saisir toutes les conséquences de ces dispositions.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Dans le cadre de la procédure actuelle de rescrit, il y a des rejets de demandes à bénéficier des avantages liés à la qualité d’association cultuelle : l’année dernière, par exemple, 22 associations sur 608 se sont vu refuser cette qualité – sachant que, sur les cinq dernières années, 1 200 rescrits ont été opérés, selon la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).

Pour qu’une association soit reconnue comme ayant une activité cultuelle, il faut, aux termes de la loi de 1905, qu’elle satisfasse à trois conditions : assumer les frais, l’entretien et l’exercice public du culte. L’administration fiscale ou le représentant de l’État au niveau départemental examine l’objet de l’association, ses statuts, ses conditions de création, son fonctionnement : sont-ils conformes aux dispositions de la loi de 1905 – que nous voulons d’ailleurs assouplir ? Il s’agit non pas de reconnaître un culte, mais de vérifier que l’activité de l’association répond bien aux critères d’une activité cultuelle. En cas de réponse négative, l’association ne peut bénéficier des avantages liés à la qualité cultuelle : voilà la sanction.

La question de la reconnaissance ou non des cultes par l’État est donc un faux débat, monsieur Vallaud : depuis 1905, l’État a toujours contrôlé, sur le fondement de la loi, si l’activité d’une association était bien cultuelle !

M. Gérald Darmanin, ministre. Le rapporteur général parle d’or. Il s’agit, non de reconnaître un culte, mais de ne pas accorder indûment des avantages liés à ce qui a été défini comme un culte par la loi de 1905 ; c’est une disposition extrêmement forte qui consiste à affirmer que ce n’est pas ainsi qu’on touche les subsides de la nation – ce qui devrait être de nature à vous satisfaire, monsieur Corbière.

Monsieur le rapporteur général vient de l’indiquer : les demandes de rescrit débouchent dans environ 5 % des cas sur une réponse négative ; l’une des dernières en date concernait le Mandarom : cela signifie non qu’il ne s’agit pas d’un culte – ce n’est pas à nous d’en juger –, mais que cette structure ne pourra pas bénéficier des avantages liés à la qualité d’association cultuelle.

D’autre part, ce que savent rarement nos concitoyens, c’est que si un lieu de culte est un lieu où l’on rend habituellement un culte, on peut rendre un culte sans association juridique. L’État n’a pas à définir ce qu’est un ministre du culte, s’il doit ou non être agréé, ni ce qu’il doit dire. Nous n’avons nullement l’intention de revenir sur ce point.

Toutefois, ce n’est pas parce que, chacun disposant de la liberté de conscience et de la liberté de culte, n’importe quel culte a le droit d’exister que la République doit tous les reconnaître ou leur accorder des avantages sans conditions ; cela a tout de même des conséquences en matière de finances et d’ordre publics ! Tel est l’objet du présent article : n’y entendez donc pas malice.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, je vais encore donner la parole à M. Vallaud et à M. Pupponi mais je rappelle que ce n’est pas de droit : à l’Assemblée nationale, il ne suffit pas de lever la main pour avoir la parole. S’il faut répondre à la réponse sur la réponse à la réponse, on n’en finit jamais !

En outre, je vous signale que la discussion est censée porter sur l’amendement CS648 de Mme Ménard tendant à supprimer l’article 27. Depuis que nous avons repris nos travaux ce matin, nous examinons vingt amendements à l’heure : vu qu’il en reste plus de 300, à ce rythme, il nous faudra encore quinze heures de réunion pour achever l’examen des articles !

Sans vouloir vous censurer, j’invite donc les orateurs à faire un effort de concision et à ne pas revenir indéfiniment sur des sujets qui ont déjà été abordés, afin que nous puissions faire correctement notre travail et terminer à une heure raisonnable.

M. Boris Vallaud. N’entendez pas malice non plus à nos questions, monsieur le ministre. En l’occurrence, il existe aujourd’hui une procédure de rescrit qui fonctionne plutôt bien. Qu’est-ce qu’une deuxième déclaration apportera de plus ?

M. François Pupponi. Je voudrais être certain d’avoir bien compris. Une association cultuelle qui n’est pas reconnue comme telle par le préfet restera au statut de 1901 et ne bénéficiera pas des avantages liés à sa qualité, et cela bien qu’elle soit quand même une association cultuelle, puisqu’elle exerce un culte ?

M. le président François de Rugy. Monsieur Pupponi, ne faisons pas semblant de ne pas voir l’enjeu qui est derrière. Lorsque nous avons auditionné les représentants des cultes, plusieurs nous ont dit qu’ils souhaitaient que leurs associations puissent mélanger les activités cultuelles avec d’autres activités, alors que le principe sur lequel la loi de 1905 est fondée est la séparation des activités. Il ne faudrait pas que la multiplication des questions sur des points de détail en vienne à occulter les vrais débats !

M. François Pupponi. Mais enfin ! On n’a donc pas le droit d’avoir un doute et de poser une question ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je vais répondre à votre question, monsieur Pupponi : l’intérêt de ce projet de loi, c’est précisément que si une association qui se prétend cultuelle ne se voit pas reconnue comme telle, elle basculera vers le régime des associations loi 1901, avec toutes les contraintes supplémentaires que nous allons leur imposer, en matière de contrôle du financement, de gestion et d’ordre public.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour ce qui regarde le financement, j’y reviendrai au moment où nous examinerons les dispositions qui y sont consacrées – mais, n’ayez crainte, monsieur Pupponi, je répondrai moi aussi à votre question.

Monsieur Vallaud, le rescrit est facultatif, alors que la déclaration sera obligatoire : voilà la différence. M. le président de la commission vient de souligner le problème auquel nous sommes confrontés : il y a aujourd’hui des associations loi 1901 qui ont des activités à la fois cultuelles et culturelles et qui bénéficient de déductions fiscales pour leurs activités culturelles ; mais comme les comptes ne sont pas séparés, ces déductions servent parfois à financer des activités cultuelles. D’où leur demande de pouvoir mélanger les activités dans le cadre de la loi de 1905 – ce qui, vous l’admettrez, n’est pas conforme à son esprit.

La procédure de rescrit est un moyen de faire reconnaître la qualité d’association cultuelle, qui permet de bénéficier de certains avantages accordés par la République – l’essentiel des demandes proviennent d’ailleurs d’associations loi 1901. À défaut de rescrit, il faut que les services fiscaux procèdent à des contrôles, ce qui est très compliqué et loin d’être systématique. Ce que nous proposons, ce n’est pas d’imposer une double déclaration, c’est de rendre obligatoire la déclaration et son renouvellement tous les cinq ans.

Néanmoins, j’entends la question soulevée par Mme Ménard et je suis prêt, je le répète, à aller vers un système de déclaration tacite pour certaines associations, afin que le dispositif ne soit pas trop bureaucratique.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

 

La séance est levée à treize heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 9 heures

Présents.  Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Laetitia Avia, Mme AnneLaure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Isabelle Florennes, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Pierre Henriet, M. Sacha Houlié, Mme Anne-Christine Lang, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. François Pupponi, M. Julien Ravier, Mme Laurianne Rossi, M. François de Rugy, M. Pacôme Rupin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet

Excusé. - M. Jean-François Eliaou

Assistaient également à la réunion. - Mme Elsa Faucillon, M. Jacques Maire