Compte rendu

Commission d’enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane

– Audition de M. Thierry Queffelec, Préfet de Guyane .........2

 


Mercredi
5 mai 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
M. Lénaïck Adam,
Président


  1 

COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 5 mai 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d’enquête)

————

La commission d’enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l’audition de M. Thierry Queffelec, Préfet de Guyane.

M. le président Lénaïck Adam. Nous recevons le préfet de Guyane pour qu’il nous éclaire sur les démarches, les méthodes et la stratégie de lutte de l’État, contre l’orpaillage illégal, en espérant que ses propos nous aideront à émettre, dans notre rapport, des recommandations à même d’en accroître l’efficacité.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thierry Queffelec prête serment.)

M. Thierry Queffelec, préfet de Guyane. La lutte contre l’orpaillage illégal s’inscrit dans le quotidien du préfet comme du reste de la population de Guyane. L’or, parfois négativement perçu par la population, joue toutefois un rôle stratégique dans les nouvelles technologies, l’industrie spatiale, la joaillerie et les banques d’État. La stratégie d’affaiblissement des garimpeiros, qui apparaissent moins comme des soldats armés que comme de simples exploitants miniers, consiste d’abord à enrayer la logistique de support à leur activité.

On dénombre environ 500 sites clandestins, dont 150 sites primaires souterrains, mal connus mais en expansion, et 300 à 400 sites alluvionnaires, dont l’activité fluctue au rythme des saisons. Les barges fluviales ont quant à elles pratiquement disparu.

Malgré les efforts consentis, et les investissements financiers des différents ministères, l’orpaillage illégal se poursuit : il permettrait d’extraire jusqu’à 10,5 tonnes d’or, contre une tonne et demie pour l’orpaillage légal. Le cours de l’or, même lorsqu’il baisse à 1 800 dollars l’once, explique l’attractivité de cette activité.

À peu près 8 000 à 8 500 garimpeiros, selon l’Observatoire de l’activité minière (OAM) et la gendarmerie, s’imposent clandestinement dans notre département. Ils appartiennent à une communauté de 200 000 à 220 000 chercheurs d’or brésiliens, estimant plus « agréable » d’avoir affaire à la police et à la justice française qu’à celles de leur pays. Il leur est relativement aisé d’exercer leur activité sur notre territoire. Groupés autour de plateaux, ils appréhendent mal la notion de frontière. Bien sûr, ils ne s’intéressent aux lois françaises qu’une fois appréhendés par les autorités et bafouent les réglementations environnementales.

Notons que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) comptabilise les garimpeiros en tant qu’habitants potentiels lors des recensements sur lesquels se fonde la dotation globale de fonctionnement des communes. Leur présence, reconnue, est ainsi quantifiée dans la charge des mairies.

Bien que leur nombre, stable, fluctue entre 7 000 à 10 000 individus, leur activité a augmenté de 25 % depuis 2020. L’appréciation de l’or et sa vente sur le marché international garantissent la rentabilité de l’orpaillage, malgré les attaques répétées par les forces de l’ordre des flux logistiques qui alimentent les chantiers, lesquels font dans l’ensemble preuve de résilience.

La plupart des garimpeiros, issus d’un milieu rural, sont célibataires. Ils travaillent sur les sites en tant que journaliers pour amasser un pécule en un minimum de temps. Ils cèdent ensuite la place à d’autres, souvent membres de leur parentèle éloignée ou originaires du même village. Leur objectif consiste à installer leur famille sur des terres agricoles qu’ils ambitionnent d’acheter, dans le cadre d’une culture de secours, que l’on peut qualifier d’humanitaire, malgré les maux qu’elle occasionne en territoire français.

Des trafics se déroulent de part et d’autre des 1 500 kilomètres de frontières maritimes et fluviales. Les garimpeiros exploitent principalement des sites aurifères déjà repérés.

Les dégâts économiques et financiers dus à l’orpaillage illégal se conjuguent à des problèmes politiques, juridiques et environnementaux. L’extraction clandestine de l’or recourt à du mercure, déversé dans la nature, alors que la cyanuration se cantonne aux sites légaux. Le mercure, pourtant interdit à la vente, sature les écosystèmes, dont il détruit la biodiversité. Il finit, à travers la chaîne alimentaire, par contaminer l’homme, via les produits de la pêche.

Nous menons un important travail sur la santé de la population. Au premier trimestre 2021 a été lancée la Stratégie métaux lourds (Stramélo). Beaucoup de jeunes amérindiennes souffrent, lors de grossesses, parfois précoces, de pathologies liées à l’absorption de mercure.

L’extraction d’or alluvionnaire détruit la biodiversité par l’abattage d’arbres et la modification du cours des rivières. Bien sûr, une fois leur tâche accomplie, les orpailleurs ne remédient pas aux dégâts environnementaux qu’ils ont causés.

Les sites primaires se fondent dans la forêt. En termes de génie civil, les garimpeiros font un assez bon travail, utilisant du bois récupéré sur place pour consolider leurs installations. Forts d’une certaine expertise, ils récupèrent souvent des madriers pour creuser ailleurs, à des profondeurs limitées.

Il en résulte une gêne sociale pour la population guyanaise, spoliée de la richesse de son sol. Celle-ci transite par des réseaux impliquant des magasins chinois de l’autre côté de la frontière.

Les conséquences de l’orpaillage illégal sur l’environnement, quoique visibles, peuvent être réparées.

L’argent volé à la Guyane, s’il était utilisé à des fins stratégiques, bénéficierait à la population en favorisant le développement d’infrastructures.

En tant que préfet, je suis responsable, avec le procureur, de l’action du gouvernement contre l’orpaillage illégal, que suivent de près des comités stratégiques et techniques, devant lesquels nous rendons chaque semaine des comptes.

Les forces armées consacrent à la lutte contre l’orpaillage illégal environ 55 millions d’euros, la gendarmerie 12 millions d’euros, le parc amazonien de Guyane 1 million d’euros, les services de l’État outre-mer 1 million d’euros aussi, l’Office national des forêts (ONF) 500 000 euros, la police aux frontières, les douanes et l’Office français de la biodiversité (OFB) moins de 100 000 euros chacun. Or cette lutte ne rapporte que 4 à 5 kg d’or. C’est donc toute une masse de richesses qui disparaît via l’extraction de l’or, dont les bénéficiaires ne respectent pas l’environnement et menacent la santé de la population autochtone.

L’État consent à un important investissement dans sa politique de contrôle, sans laquelle la situation empirerait encore, malgré son manque de rentabilité en termes de comptabilité pure. Les efforts de l’État, quoiqu’ils maintiennent sous pression les garimpeiros et leurs soutiens logistiques, ne témoignent pas de toute l’efficacité souhaitable.

L’impression en reste que le travail des autorités, quoiqu’assez bien mené, manque de succès visibles à même de démontrer l’utilité des dépenses d’argent public qu’il suppose.

Mme Camille Gaillard-Minier. Auriez-vous des propositions concrètes à nous soumettre pour accroître l’efficacité de la lutte contre l’orpaillage illégal, manifestement limitée, malgré l’énergie considérable et les sommes d’argent qui lui sont consacrées ?

M. Lecornu a évoqué une étude concernant les effets du mercure sur la population et l’environnement. En avez-vous eu connaissance ? Disposez-vous de chiffres précis sur les impacts dramatiques de la contamination par le mercure des femmes et des enfants ?

M. Thierry Queffelec. Un observatoire me communique des données quantitatives. Dès mon entrée en fonction en décembre 2020, j’ai souhaité que l’Agence régionale de santé (ARS) rejoigne au premier trimestre 2021 le dispositif interministériel Stramélo. Les populations amérindiennes se répartissent en deux groupes d’environ 1 800 personnes chacun. Elles se contentent des ressources que leur fournit le territoire, selon un mode de vie différent du nôtre, quoiqu’il tende à s’occidentaliser par l’éducation, tant scolaire qu’à la santé. La mobilisation des moyens sanitaires de l’ARS relevait selon moi de l’urgence.

Le premier axe de la Stramélo consiste à recenser les bassins pollués pour y imposer des interdictions dans une logique d’accompagnement des populations autochtones. Je compte par ailleurs interdire, avant la fin du premier semestre 2021, le plomb de chasse. De nombreuses traces de ce métal, non moins nocif que le mercure, se décèlent parmi ces populations amérindiennes.

L’intégration de l’ARS à Stramélo devrait, sous peu, nous donner les moyens de suivre la conduite et la santé de jeunes femmes enceintes, tout comme d’une frange plus âgée de la population, souffrant de pathologies liées au mercure ou au plomb, qui se traduisent par des troubles psychiatriques ou des dérèglements hormonaux. Un premier rapport devrait être rendu avant la fin de l’année, même si les centres de coordination de santé qui maillent le territoire collectent déjà des données.

D’un point de vue tactique, ma mission consiste à faire exécuter la loi et veiller à l’ordre public, ce qui passe en grande partie par la maîtrise de l’espace aérien. J’ai commencé à développer, avec les ministères concernés, l’équipement en drones de la Guyane, département de la taille de la région Nouvelle-Aquitaine. Seul l’État est en mesure de se doter de tels outils de renseignement et de surveillance. L’organisation rapide d’un cluster drone facilitera le repérage du terrain, notamment par les forces armées. Nous allons lancer un appel à manifestation d’intérêt. Certaines sociétés m’ont déjà contacté. Des outils de l’aérospatiale qui ne sont pas encore disponibles sur le reste du territoire pourraient en outre être mobilisés rapidement.

L’État dispose d’un grand nombre d’hélicoptères, mais très peu volent, en raison des difficultés que pose la maintenance de ces appareils vieillissants. Il faudrait peut-être les remplacer par une gamme rénovée, sous une responsabilité interministérielle. Les armées s’appuient sur leurs propres hélicoptères lourds tandis que les forces de l’ordre et la gendarmerie recourent à des appareils de transport de personnel, auxquels s’ajoutent des appareils de la gamme privée. Tous ne possèdent malheureusement pas un rayon d’action suffisant.

Il faudrait à mon sens que, dans le cadre de l’ambitieuse réforme d’Organisation des services de l’État (OSE), je puisse, en tant que préfet, disposer d’hélicoptères de la gamme « 12 tonnes », type NH 90, Caracal, appartenant à l’État et non aux armées, dont il m’appartiendrait de décider la répartition.

Il ne faut pas considérer le garimpeiro comme un adversaire ou un ennemi, mais simplement comme une personne en situation illégale. Lors de son arrestation par des militaires assistés d’un Officier de police judiciaire (OPJ), un hélicoptère pourrait amener rapidement celui-ci, hors de la forêt, aux autorités judiciaires, dans le cadre de sa garde à vue.

La loi, amenée à évoluer, permet certes de remédier aux difficultés de transport dans la jungle amazonienne en autorisant le report du départ des gardes à vue. Toutefois, l’application uniforme du droit en France complique la situation. Des outils aériens permettant de se positionner rapidement sur le terrain rendraient les forces de l’État plus réactives. À ce jour, la mobilisation de l’antenne du GIGN en Guyane nécessite des ballets aériens et des planifications avec les services de maintenance d’une extrême complexité. Elle ne donne que de maigres résultats.

Les armées pourraient assurer le pilotage et l’entretien de ces hélicoptères d’État, employés par différents ministères.

D’un point de vue stratégique, il me semble que, faute de pouvoir tenir le terrain, il faut au moins l’occuper en développant l’orpaillage légal amélioré. Évidemment, il est hors de question d’établir des structures minières comme le projet Montagne d’or, auquel s’oppose d’ailleurs l’État. La Guyane, au soixante-septième rang des producteurs d’or mondiaux, devrait s’approcher de la position de la Colombie, du Guyana ou du Suriname, qui produisent de 20 à 42 tonnes d’or par an.

La France a l’avantage de disposer d’ingénieurs des mines. Nous pourrions imaginer la création d’entreprises pilotées par l’État avant leur rétrocession dans le cadre d’accords de sociétés d’exploitation mixte. Elles emploieraient du personnel sur le terrain et se développeraient dans des lieux de rencontre et de vie. Certains villages de Guyane ont vu le jour grâce à l’exploitation aurifère, comme au Canada. Deux régiments d’infanterie et deux escadrons de gendarmerie pourraient fournir la structure étatique nécessaire. Il faudra bien sûr maîtriser l’industrie aurifère. Le ministre des Outre-mer, M. Lecornu, a en tout cas suggéré cette possibilité. La mission de M. Bernard Larrouturou doit étudier les moyens de développer l’orpaillage légal de manière durable et à taille humaine.

Instaurer des communes sur l’immense territoire du département permettrait d’occuper le terrain en y repoussant des installations précaires.

La Guyane connaît un taux natalité de 3,48 %, ce qui signifie que, dans dix ans, 150 000 nouveaux habitants y auront vu le jour. Le secteur minier pourrait constituer un débouché pour la jeunesse, à l’instar du secteur primaire (agriculture et pêche), dont il faudrait également promouvoir le développement.

La poussée démographique touche surtout le secteur du Maroni. La population de Maripasoula est appelée à augmenter. L’État devra y organiser le développement économique d’entreprises à taille humaine, en nettoyant dans un premier temps les positions abandonnées par les garimpeiros, pour remédier aux atteintes à l’environnement, avant de les ouvrir à la biodiversité. Déjà, certaines communes accueillent des équipes de recherche du CNRS. La mise en place de plateformes de vie, futures petites villes, devrait prendre entre dix et quinze ans, dans le respect du plan d’aménagement général (PAG). Elle permettrait de se débarrasser de ces garimpeiros qui rentabilisent tout de même une douzaine de tonnes d’or extrait de manière artisanale.

Une telle stratégie nécessiterait un accord politique interne global. La présence de l’État doit se renforcer vers le Maroni, où je ne dispose que d’un sous-préfet d’arrondissement parmi les sept en poste dans le département. L’organisation de l’État doit revoir son positionnement pour éviter une excessive concentration des services à Cayenne.

En somme, la nécessaire réforme de la présence de l’État et de l’application de la loi doit se conjuguer à une réforme industrielle. La cyanuration, qui n’est pas interdite, m’a paru assez bien maîtrisée dans les usines que j’ai visitées. Naturellement l’État devra contrôler de telles entreprises Seveso.

Si l’État ne prend aucune décision, alors il faudra du moins qu’il s’équipe d’hélicoptères et de drones afin de réagir plus vite et de frapper là où il est possible de le faire. Trop souvent, le temps que les forces se déplacent, elles parviennent sur des sites déjà évacués.

Mme Stéphanie Kerbarh. Avez-vous pu observer, sur les installations que vous avez visitées, des processus de lixiviation et de cyanuration en cuve ou en tas ? J’aimerais comprendre comment la cyanuration en tas peut être maîtrisée pour éviter toute pollution.

M. Thierry Queffelec. Je ne dispose pas encore d’expertise ni de vision en propre de la cyanuration en tas. Je n’ai assisté qu’à la cyanuration en cuve, qui utilise un circuit d’eau récupérable, car non polluée. L’or est collecté à l’aide de charbon actif. Cette technologie est rentable et m’apparaît assez bien maîtrisée. L’État est en tout cas en mesure de la contrôler dans le cadre des installations classées, par la délivrance d’autorisations, suivie de contrôles donnant lieu, au besoin, à des fermetures.

La cyanuration en cuve pourrait sûrement être améliorée par l’utilisation de certaines espèces végétales. Une start-up, Bio stratégie, y travaille déjà dans le cadre du plan France relance. De multiples solutions locales pourraient voir le jour, impliquant des entreprises prometteuses, fermement contrôlées par l’État. Il faudrait mobiliser nos ingénieurs des mines et les universités capables de former depuis des techniciens jusqu’à des ingénieurs.

Des entreprises d’extraction de l’or, comme celle que j’ai visitée, de la taille d’un hangar où stocker quatre containers, utilisent des techniques dont la rentabilité peut atteindre 85 %. Il est essentiel que l’État soit en mesure de contrôler le moindre risque d’incident industriel.

Je n’évoquerai pas la cyanuration en tas, par crainte d’induire en erreur la commission en ne m’appuyant que sur un sentiment personnel. En revanche, j’ai pu poser des questions sur la cyanuration en cuve, qui n’apparaît pas forcément sous le même jour, au quotidien, que lors d’une démonstration théorique. Le travail sur l’environnement s’avère essentiel. Le recours au cyanure soulève des inquiétudes quant à son acceptabilité sociale, alors qu’il s’apparente somme toute à des techniques chimiques assez classiques. En conclusion, la cyanuration devrait pouvoir s’acclimater en Guyane.

Mme Stéphanie Kerbarh. Si un projet impliquant la cyanuration en tas sollicitait aujourd’hui une autorisation d’exploitation minière, serait-il accepté ou ferait-il l’objet de demandes d’aménagement ?

M. Thierry Queffelec. Un schéma minier complexe, quoique non exhaustif, régit les demandes d’exploitation. L’orpaillage illégal emploie environ 500 personnes dans une cinquantaine d’entreprises. La filière n’a donc pas tant besoin de se structurer que de se doter d’une plus grande expertise en termes d’ingénierie, quoique pas dans l’esprit du projet Montagne d’or, qui a essuyé des refus des tous les organes décisionnels.

Les grands modèles capitalistiques existant en Afrique du Sud ou en Afrique centrale ne sont pas envisageables en Guyane. L’accompagnement préalable par l’État pourrait rendre plus facilement acceptable la croissance d’une filière aurifère légale. Ceci passerait par le développement de formations et la mise en place de contrôles imparables dans le cadre d’installations classées. Ces missions déconcentrées incomberaient au préfet, alors que le ministère de l’économie et des finances garde pour l’heure la main sur une bonne part de l’exploitation minière. La situation évolue cependant. La gestion de l’exploitation minière pourrait être décentralisée au niveau départemental, à condition de s’appuyer sur des experts en cas de contentieux administratifs.

M. le président Lénaïck Adam. L’indemnisation des populations exposées au mercure est-elle envisagée et, le cas échéant, sous quelle forme ?

M. Thierry Queffelec. L’intégration de l’ARS à la Stramélo pilotée par l’État et les associations doit d’abord permettre de définir l’impact de la pollution. En tant que directeur de cabinet à la préfecture de Paris, j’ai eu à traiter des dossiers relatifs à la peinture au plomb dans certains logements sociaux.

Avant d’engager une réparation, il faudra quantifier les effets de l’exposition au mercure sur les 2 bassins concernés, comptant chacun 1 800 personnes à l’alimentation traditionnelle en train d’évoluer, compte tenu de l’impossibilité de chasser et de pêcher. Les outils statistiques de l’ARS, a priori neutres, serviront d’appui à cette démarche éminemment politique. Je souhaite sa mise en place rapide pour éviter de donner le sentiment que l’on sacrifie certains habitants pour en favoriser d’autres.

L’observatoire, en tant qu’outil, devrait permettre une réponse équitable à l’impact sanitaire du mercure, déjà visible. Les époques où l’on cachait certaines réalités sont révolues. Les populations autochtones concernées, qui reçoivent de la nourriture conçue pour d’autres, subissent par ailleurs une forme de pollution de leurs habitudes sociologiques.

M. Gabriel Serville, rapporteur. Je reviendrai sur les propos tenus lors de précédentes auditions, sur la volonté de la France d’éradiquer l’orpaillage illégal en Guyane. Le sentiment nous est parfois venu que certains estiment ce fléau si profondément enraciné que le gouvernement ne peut qu’en limiter la propagation. Il ne semble ainsi pas toujours possible d’éradiquer cette gangrène, du fait de la géographie du département, aux frontières mal contrôlées car pas forcément contrôlables.

 À en juger par les déclarations de l’ambassadeur du Suriname, la coopération économique de son pays avec la Chine obéit à des impératifs commerciaux empêchant le gouvernement surinamien de consacrer les moyens nécessaires à l’endiguement des transactions avec la Chine, grâce auxquelles les orpailleurs clandestins se fournissent en matériel de chantier, qui est utilisé sur le territoire guyanais.

Nous continuons de nous interroger sur la volonté de l’État français. Faute d’un objectif clair, unanimement partagé, les résultats escomptés ne seront pas atteints. Certains préconisent une éradication pure et simple de l’orpaillage illégal en raison de ses externalités négatives sur l’environnement et la santé de la population, victime d’un vol à ciel ouvert des richesses de son sol. D’autres penchent plutôt pour limiter l’ampleur de ce fléau. Comment pourrait-on, selon vous, définir un objectif acceptable par le plus grand nombre possible d’acteurs touchés par cette problématique ?

M. Thierry Queffelec. La volonté de l’État doit se mesurer. Elle dépend de la loi de finances. Je soulignais tout à l’heure l’impact financier du déploiement des forces armées en Guyane. La stratégie militaire de l’État en Guyane coûte entre 70 et 75 millions d’euros. S’avère-t-elle efficace ou non ? Elle vise en tout cas à lutter contre environ 8 500 garimpeiros s’appuyant sur un système économique alimenté par la rentabilité de leur activité. La pression exercée sur leur logistique apparaît comme une stratégie valable, même si les garimpeiros s’y adaptent comme le ferait une entreprise.

La valeur de la dizaine de tonnes d’or qu’ils extraient illégalement de Guyane dépasse les 500 millions d’euros. Ils acquièrent en général leur matériel à des commerçants chinois adossés à des comptoirs d’achat d’or, sur la rive surinamienne du Maroni. Les transferts d’or se limitent parfois à quelques dizaines de grammes. Les orpailleurs clandestins, conscients du risque de frappes militaires, se rabattent désormais sur des groupes électrogènes de piètre qualité. Le patron d’une exploitation clandestine, en charge à 70 % de l’achat du matériel, récupère 30 % des bénéfices. Ses ouvriers n’apportent à l’entreprise que leur force de travail.

L’État riposte avec constance à l’orpaillage illégal. Si nous voulons que diminue la population des garimpeiros en Guyane, il faudra déployer plus de moyens, notamment aériens, et mieux les adapter à la situation locale. Les forces de l’État ne progressent que lentement par voie terrestre, où leur présence se détecte par ailleurs sans peine.

Plus le glaive s’alourdit, plus le bouclier se renforce. Un déploiement plus musclé des forces armées pourrait inciter les garimpeiros à s’armer ou, à tout le moins, à tendre la situation. Se pose en outre le problème de l’acceptabilité d’une telle stratégie. La disparition de trois militaires du génie au fond d’une mine a suscité un fort émoi. Jusqu’où les efforts humains doivent-ils porter ? La ministre de la défense a insisté, lors d’une récente visite en Guyane, sur l’importance de la protection des vies humaines, en particulier celles des soldats. Le durcissement de la lutte n’apparaît donc pas nécessairement comme la voie la plus prometteuse. Nous ne saurions par ailleurs nous contenter d’attendre la chute du cours de l’or. L’État doit maintenir une présence constante aux frontières.

De nouvelles pistes s’offrent avec la traçabilité de l’or, encadrée par des organisations mondiales. Certains outils, au Brésil, permettent de déceler la présence de mercure dans l’or, ce qui permettrait d’en retracer la provenance, aussi bien dans l’industrie qu’en joaillerie. Un processus similaire a déjà été mis en place pour les diamants, qui disposent désormais tous d’un certificat de provenance. Le marché mondial s’est plié à cette régulation. La traçabilité de l’or s’inscrit dans un champ international. Le ministère des affaires étrangères pourrait la promouvoir.

Nous collaborons de toute façon avec le Suriname. Un traité vient de délimiter officiellement notre frontière commune. Il facilite l’organisation, qui incombe au préfet et au procureur, de saisies allant jusqu’à la destruction de pirogues chargées d’acheminer du matériel sur les sites clandestins. Nous disposons ainsi d’une nouvelle arme contre la logistique.

L’État atteste sa volonté de lutter contre l’orpaillage illégal par la mobilisation de deux régiments. Il lui en coûte 75 millions d’euros. Nous pourrions enfin améliorer notre dispositif en nous rapprochant de notre partenaire brésilien, confronté à plus de 200 000 garimpeiros sur son propre territoire.

M. Gabriel Serville, rapporteur. J’entends la réponse de monsieur le préfet, qui ne dissipe cependant pas toutes nos interrogations.

Je rappelle que, dans le cadre de la loi climat et résilience, j’ai proposé un amendement en vue de la traçabilité de l’or, malheureusement rejeté.

Je me demande si le nombre des garimpeiros au Brésil n’a pas diminué. J’ai cru comprendre que leur gouvernement avait lancé contre eux des attaques dans la forêt amazonienne, provoquant leur reflux sur le territoire guyanais. De telles méthodes nous interpellent. Nous avions évoqué, lors de l’audition de M. Lecornu, le respect des droits de l’homme, qui marquait selon lui les limites de la lutte contre les orpailleurs clandestins. Je considère toutefois qu’il convient de mettre en balance le respect des droits humains, que je ne conteste pas, avec celui de vies humaines sur notre territoire.

 Nous souhaitons bien sûr préserver la vie de nos soldats et, en aucun cas, les envoyer à l’abattoir. Toutefois, la vie des habitants des communes les plus fortement touchées par le méthylmercure apparaît elle aussi en jeu. Or aucune vie ne compte plus qu’une autre. Toutes possèdent une égale valeur et méritent à ce titre la même protection.

La rédaction de notre rapport nous permettra de décliner de nouvelles pistes de lutte en vue de l’éradication de l’orpaillage illégal. Nous devrons trouver un moyen terme entre les méthodes brésiliennes bafouant parfois les droits de l’homme et notre stratégie actuelle, pour que les garimperios comprennent qu’ils œuvrent sur le territoire étranger d’une puissance souveraine. Je me suis souvent interrogé sur la réaction qu’adopterait l’État français si un phénomène d’une gravité comparable sévissait en métropole. Je ne pense pas qu’il se contenterait de mesures d’une portée aussi limitée.

M. Thierry Queffelec. Nous travaillons actuellement sur le durcissement des mesures judiciaires. Ce sont des OPJ qui arrêtent les garimpeiros. Les militaires ne leur prêtent des renforts que pour les aider à pénétrer des zones difficiles d’accès. Nous ne menons pas de guerre. Les orpailleurs ne sont ni nos ennemis ni nos adversaires.

Le troisième régiment étranger d’infanterie et le neuvième régiment d’infanterie de marine, actuellement stationnés en Guyane, participent à des opérations complexes comme l’opération Chammal. Ils interviennent aussi au Mali, où l’ennemi peut être détruit à partir de 200 mètres. Les OPJ accompagnent de fait les forces armées pour éviter toute action qui constituerait une entorse au droit français et aux libertés individuelles. L’arrestation des garimpeiros, étrangers en situation irrégulière, se déroule dans le respect de l’ordre public, afin d’éviter que s’instaure un rapport de force où les uns auraient à détruire les autres.

Aujourd’hui, lors de la saisie d’une pirogue, son capitaine est en général rapidement déféré devant le parquet et nous demandons à ce qu’il purge sa peine au Brésil. En somme, nous nous efforçons d’adapter au mieux notre justice aux étrangers qui y ont affaire. Des accords avec les pays voisins, conclus par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères, prouvent aux garimpeiros qu’ils sont pénalement responsables des actions commises sur notre territoire.

Vous avez raison de souligner que chacun doit disposer des mêmes chances de suivre son destin. Les contraintes liées à la pollution au mercure sont inadmissibles. L’intégration de l’ARS à la stratégie Stramélo, à l’origine plutôt militaire, élargit cette mission, qui doit défendre aussi bien nos intérêts économiques que le respect du sanctuaire national.

Je vous ai communiqué des éléments relatifs à l’action de l’État, mêlés à des réflexions personnelles, les plus objectives possible, en vue d’améliorer l’efficacité des dispositifs en place de lutte contre l’orpaillage illégal. L’insatisfaction que suscite leur efficacité toute relative doit nous inciter à étudier des moyens d’améliorer leurs performances tout en favorisant le développement économique du département.

Le projet Montagne d’or a bousculé les esprits et donné à réfléchir aux forces vives du territoire. Il appartiendra aux politiques de légiférer ou non sur la question des modèles d’exploitation. En tant que préfet, il me revient simplement d’appliquer les lois de la République en employant au mieux les moyens qui sont mis à ma disposition.

La réunion s’achève à seize heures dix.