Compte rendu
Commission d’enquête relative
à la mainmise sur la ressource en eau
par les intérêts privés
et ses conséquences
– Audition des entreprises titulaires de délégation de service public de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe :
M. Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France, président de Karukér’Ô Suez France ;
M. Cyril Hammouda, directeur général délégué de Karuker’Ô Suez France ;
M. Nicolas Touzet, directeur Antilles de la Compagnie guadeloupéenne de services publics (du groupe Saur) ;
M. Jean-Louis Saint-Martin, président de Eaux’Nodis..............2
Vendredi
11 juin 2021
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 69
session ordinaire de 2020-2021
Présidence de
Mme Mathilde Panot,
présidente de la commission
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COMMISSION D’ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privÉs et ses consÉquences
Vendredi 11 juin 2021
La séance est ouverte à quatorze heures dix.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
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La commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l’audition des entreprises titulaires de délégation de service public de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Nous reprenons les auditions de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, consacrées à la situation et à la gestion de l’eau en Guadeloupe. Dans un premier temps, nous allons recevoir les représentants des entreprises délégataires de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe :
– M. Didier Vallon, directeur outre-mer de Suez eau France, président de Karukér’Ô Suez France ;
– M. Cyril Hammouda, directeur général délégué de Karuker’Ô Suez France,
– M. Nicolas Touzet, directeur Antilles de la Compagnie guadeloupéenne de services publics (du groupe Saur),
– M. Jean-Louis Saint-Martin, président de Eaux’Nodis.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
Mme la Présidente Mathilde Panot. À qui, selon vos contrats, incombent l’entretien, les réparations et le financement des réseaux ?
Mme la Présidente Mathilde Panot. La différence entre entretien courant et renouvellement ne vous semble-t-elle pas prêter à confusion ?
Mme la Présidente Mathilde Panot. Selon vous, l’état actuel du réseau en Guadeloupe ne résulte donc pas d’une confusion entre les responsabilités des uns et des autres.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Quels matériaux utilisez-vous pour boucher les fuites, voire procéder à de petites réparations ? Nos précédents auditionnés ont dénoncé l’utilisation de matériaux non adaptés ou au vieillissement prématuré.
M. Cyril Hammouda. Le choix se pose entre fonte, polychlorure de vinyle (PVC) ou polyéthylène. En Guadeloupe, nous utilisons du polyéthylène pour les branchements et plutôt de la fonte pour les canalisations.
Un débat porte sur le détimbrage des tuyaux en polyéthylène, lié à la pression et à la température de l’eau, ainsi qu’au taux de chlore. Nous ne rencontrons de problème avec les branchements en polyéthylène dans aucune de nos exploitations, aussi bien en métropole qu’outre-mer, malgré des températures parfois élevées et l’augmentation récente des taux de chlore, en raison du plan Vigipirate.
À Marie-Galante, nous ne rencontrons pas de réels problèmes avec les branchements en polyéthylène ni avec les canalisations en fonte. Nous renouvelons 100 à 150 branchements par an et le rendement du réseau est tout à fait acceptable.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Quels sont les acteurs du marché de l’eau brute en Guadeloupe ? À qui appartiennent les captages ? Comment sont-ils entretenus et comment cet entretien est-il financé ?
M. Cyril Hammouda. Le conseil départemental a délégué par une DSP la fourniture d’eau brute à Karukér’Ô, qui alimente une grande part des collectivités et des EPCI de Guadeloupe, principalement sur la Grande-Terre. Nous produisons près de 35 millions de mètres cubes par an. Nos 6 prises d’eau en rivière alimentent pour moitié les EPCI et pour moitié les agriculteurs. Ces captages appartiennent au conseil départemental.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Monsieur Hammouda, qui s’occupait de l’eau brute avant Karukér’Ô ?
M. Cyril Hammouda. Lors de sa création en 2018, Karukér’Ô a succédé à la Nantaise des eaux, alors rachetée par le groupe Suez. Auparavant, la Générale des eaux Guadeloupe a été en charge de l’eau brute jusqu’en 2010.
Mme la Présidente Mathilde Panot. M. Ferdy Louisy, président du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), nous a déclarés lors de son audition : « Quand je regarde la facturation de Karukér’Ô relative à la vente d’eau brute, je me dis que, si nous avions su faire jouer le code des marchés publics et la concurrence, nous aurions peut-être eu des prix plus normaux […] quand je vois que le conseil départemental a annulé la créance de la régie eau Nord Caraïbes (RENOC) à hauteur de 4 millions d’euros, je me dis : ʺPourquoi ne pas en avoir fait autant pour le SIAEAG ?ʺ, puisque nous avons le même opérateur, Karukér’Ô, filiale de Suez ».
M. Didier Vallon. Même si le code des marchés publics ne s’applique pas à une DSP, celle-ci reste réglementée. Notre contrat a été remporté à l’issue d’un appel d’offres par la Nantaise des eaux, à l’époque en concurrence avec la Générale des eaux, du moins je le suppose. Depuis le rachat de la Nantaise des eaux, ce contrat a intégré le périmètre de Suez. Pour autant, ses clauses n’ont pas été modifiées.
Il ne nous appartient pas de nous substituer au conseil départemental pour déterminer ce qu’il est possible d’accorder ou non au SIAEAG.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Après la présence désastreuse de la Générale des eaux en Guadeloupe, beaucoup de collectifs citoyens et d’associations ont dénoncé l’implantation progressive de Suez, et par là même, la remise d’un service public vital aux mains d’une multinationale.
M. Cyril Hammouda. L’État nous a réquisitionnés pendant huit mois, entre le 22 avril et le 18 décembre 2020, pour tenter de rétablir le service de l’eau en pleine crise pandémique, alors que certains usagers restaient sans eau pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Le conseil régional nous a confié une nouvelle mission de cinq mois pour assurer la transition en attendant la création du SMO. En dehors de cette mission d’assistance technique opérationnelle que nous réalisons en parfaite coordination avec les opérateurs, rien ne permet d’affirmer que nous mettons la main sur le service de l’eau en Guadeloupe. Nos quatre DSP mises à part, nous n’intervenons que dans le cadre de marchés ponctuels.
M. Didier Vallon. Votre question me surprend. Nous respectons le rôle de chacun. Si nous travaillons pour une collectivité, c’est qu’elle l’a souhaité. Au terme d’une DSP, une collectivité a l’obligation de délibérer pour décider de son futur mode de gestion. Quand une entreprise remporte une DSP à l’issue d’un appel d’offres, c’est qu’elle a répondu aux demandes de la collectivité.
C’est la collectivité qui prend les décisions en matière de gouvernance. Nous n’incarnons aucun modèle particulier et nous contentons de répondre aux demandes sans outrepasser notre rôle.
Mme la Présidente Mathilde Panot. La légionellose a été détectée chez un habitant de Grand Fond, à Saint-Barthélemy, le 3 mars 2021. D’autres cas étaient déjà apparus en 2018. Comment l’expliquez-vous ?
Quels contrôles sanitaires effectuez-vous ? La qualité de l’eau vous pose-t-elle problème ?
Mme la Présidente Mathilde Panot. Est-il normal qu’une analyse de l’ARS vous parvienne dans un délai de deux mois ?
Mme la Présidente Mathilde Panot. Des résultats d’analyse vous parviennent-ils régulièrement dans de tels délais ?
M. Cyril Hammouda. Lors de mon arrivée en Guadeloupe, début 2018, le rendement du réseau de Marie-Galante était inférieur à 45 %. Il dépasse aujourd’hui les 65 %.
Cette augmentation résulte de toute une accumulation d’opérations. Nous avons d’abord recherché les fuites par secteurs en procédant à des mesures en continu du débit au niveau des réservoirs. Le plan Eau DOM et le premier contrat de progrès signé par la communauté de communes de Marie-Galante ont permis une sectorisation dans certaines zones très fuyardes. Nous avons enfin installé des appareils pour diminuer la pression durant certaines plages horaires, notamment la nuit, quand la consommation diminue.
Les réseaux sont aujourd’hui contrôlés en permanence. Chaque matin, selon les relevés de la nuit précédente, nous ordonnons des recherches de fuites par secteurs. Sitôt identifiées, ces fuites sont réparées en vingt-quatre ou, au pire, quarante-huit heures.
Le rendement du réseau d’irrigation, dont le conseil départemental nous a confié la gestion, stable depuis mon arrivée en Guadeloupe, dépasse les 85 %. Vu le diamètre des canalisations que nous exploitons et les pressions, entre 10 et 18 bars, les moindres fuites se remarquent tout de suite aux nombreux dégâts qu’elles provoquent.
Nous ne fournissons qu’une assistance technique opérationnelle au SIAEAG dans le périmètre de Belle-Eau-Cadeau, où les rendements tournent autour de 30 %.
M. Cyril Hammouda. Le SIAEAG.
M. Nicolas Touzet. Depuis mon arrivée, voici un an, aux Antilles, le rendement dans la CAGSC est passé de 52 % à 55 %. Il a surtout augmenté dans la commune de Vieux-Fort, où il est passé de 70 % à 76 % grâce à l’installation de réducteurs de pression et de modulateurs de pression. Dans la commune de Pointe-Noire, dans la CANBT, le rendement est passé de 47 % à 50 % grâce à une recherche accrue de fuites et à leur réparation. Nous essayons le plus possible de mettre en place de la sectorisation pour établir des rendements hydrauliques par zones en ciblant nos interventions. Nous recourons aussi à la modulation de pression.
Grâce aux modèles hydrauliques informatiques réalisés par notre ingénieur hydraulicien, nous proposons à la collectivité d’installer des réducteurs de pression aux endroits les mieux choisis. Le réseau de la Côte-sous-le-Vent, passant d’une montagne à l’autre, est soumis à de fortes pressions, jusqu’à 18 bars, en raison des dénivelés, ce qui abîme les tuyaux et les rend vétustes avant l’heure.
Les travaux de renouvellement de canalisations extrêmement vétustes auxquels procèdent les conseils départemental et régional contribuent à l’amélioration des rendements.
CGSP est présente en Guadeloupe depuis trente-cinq ou trente-huit ans. Je ne connais pas les rendements initiaux. Ils sont descendus à Pointe-Noire à 35 %, voici une dizaine ou une quinzaine d’années.
Si je me rappelle bien, la régie Eau d’excellence, via son EPCI Cap Excellence, en a également signé un.
M. Nicolas Touzet. Je ne crois pas qu’un contrat de progrès ait été signé dans la CAGSC ni la CANBT.
M. Nicolas Touzet. Notre activité d’ingénierie hydraulique n’est pourtant pas récente. Seulement, jusqu’à mon arrivée en juin dernier, elle était basée au siège de notre direction régionale en Martinique. J’ai depuis installé notre direction régionale opérationnelle à Petit-Bourg. Notre ingénieur hydraulicien, présent à nos côtés en Guadeloupe depuis un peu plus d’un an, a repris les modélisations existantes, qu’il utilise pour combattre les fuites en guidant nos collaborateurs sur le terrain.
Aujourd’hui, il nous manque surtout des compteurs de sectorisation pour mieux cibler nos recherches de fuites.
M. Nicolas Touzet. Elle résulte d’une réflexion que j’ai menée en préalable à ma prise de poste. Je suis moi-même, de par mon expérience, un homme de terrain. Il me paraît important de mettre aujourd’hui l’accent sur l’ingénierie hydraulique pour montrer à la collectivité que le vieillissement des réseaux résulte à la fois de leur âge et des pressions auxquelles ils sont soumis.
M. Nicolas Touzet. C’est ce que prévoient en effet certains contrats, dont celui qui nous lie à la CAGSC.
M. Nicolas Touzet. Ces compteurs sont à la charge du délégant. Notre contrat l’indique sans ambiguïté.
M. Nicolas Touzet. Bien sûr.
Mme la Présidente Mathilde Panot. Monsieur Hammouda, n’aviez-vous pas déclaré plus tôt que la moitié des usagers payaient leurs factures avec deux ans de retard ?
M. Cyril Hammouda. Je songeais à l’ensemble des usagers en Guadeloupe et non uniquement à ceux qui résident sur le territoire que je gère.
La réunion se termine à quinze heures quarante-cinq.