Compte rendu

Commission
des affaires sociales

 Auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea : M. Philippe Charrier, présidentdirecteur général du groupe Orpea, et M. JeanChristophe Romersi, directeur général France              2

 Présences en réunion.................................33

 

 

 

 


Mercredi
2 février 2022

Séance de 14 heures 15

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente,
 


  1 

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 2 février 2022

La séance est ouverte à quatorze heures quinze.

————

 

La commission auditionne M. Philippe Charrier, président-directeur général du groupe Orpea, et M. JeanChristophe Romersi, directeur général France.

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Comme nombre d’entre vous, j’ai pris connaissance la semaine dernière de l’ouvrage Les Fossoyeurs, issu de l’enquête que le journaliste Victor Castanet a menée au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du groupe Orpea. À la lecture d’extraits parus dans la presse, j’ai ressenti de l’écœurement et, surtout, de l’indignation.

Je tiens à exprimer toute ma compassion à l’endroit des résidents de ces établissements privés qui auraient été confrontés à des situations intolérables de maltraitance. Je pense également à leurs familles et aux souffrances qu’elles ont dû endurer.

Au sein de cette commission, nous partageons tous l’objectif d’une prise en charge et d’un accompagnement dignes de nos aînés. Face à la gravité des faits relatés, nous avons un rôle essentiel à jouer pour établir la vérité et faire toute la lumière sur le fonctionnement de ces établissements. En tant que représentants de la nation, nous devons à nos citoyens clarté et transparence dans le suivi de cette affaire.

C’est pourquoi j’ai souhaité engager le plus rapidement possible un cycle d’auditions en recevant tout d’abord les responsables du groupe Orpea, que je remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Vous l’aurez compris : il s’agit d’objectiver les faits et, le cas échéant, de mettre à jour les mécanismes qui les ont rendus possibles. Ce cycle d’auditions se poursuivra la semaine prochaine, notamment pour entendre M. Victor Castanet, l’auteur de cet ouvrage.

Je l’ai dit hier dans l’hémicycle : il ne s’agit bien évidemment pas de jeter l’opprobre sur les établissements accueillant les personnes âgées et dépendantes, ni sur leurs personnels, tant s’en faut. La très grande majorité d’entre eux accomplit avec professionnalisme, dévouement et humanité un travail considérable, rendu plus difficile encore par la crise sanitaire.

Cependant, nous devons entendre les différents acteurs afin de comprendre comment de tels faits – s’ils sont établis – ont pu se produire et, surtout, comment empêcher qu’ils se reproduisent.

La ministre déléguée chargée de l’autonomie, Mme Brigitte Bourguignon, a reçu hier matin la direction d’Orpea et n’a obtenu, nous a‑t‑elle dit, que peu d’explications. J’espère que nos échanges seront plus fructueux.

Nous recevons donc M. Philippe Charrier, qui a été nommé directeur général du groupe Orpea ce dimanche en remplacement de M. Yves Le Masne, démis de ses fonctions après avoir dirigé le groupe pendant près de onze ans. M. Charrier occupait jusqu’à présent la seule présidence non exécutive du conseil d’administration du groupe. Il est accompagné de M. Jean-Christophe Romersi, directeur général France, et de plusieurs responsables, notamment la directrice médicale du groupe, le docteur Linda Benattar, son directeur des ressources humaines, M. Bertrand Desriaux et la directrice qualité, Mme Laure Frères.

Nous souhaitons vous entendre sur les faits évoqués dans cet ouvrage, le manque structurel de personnels pour prendre soin des résidents, le recours abusif aux contrats à durée déterminée (CDD), les pratiques de rationnement des protections et des repas, l’organisation de marges arrières auprès de fournisseurs, financées par de l’argent public, le défaut de suivi médical et des négligences graves qui font aussi l’objet de plaintes par des familles.

Par un communiqué en date du 24 janvier, Orpea a formellement contesté l’ensemble de ces accusations, considérées comme « mensongères, outrageantes et préjudiciables ». Toutefois, le groupe a annoncé hier avoir mandaté deux cabinets pour mener des missions d’évaluation et d’audit à propos des allégations publiées.

M. Philippe Charrier, présidentdirecteur général du groupe Orpea. Je vous remercie de nous accueillir et de vos propos liminaires. Croyez bien que l’ensemble des collaborateurs d’Orpea qui, en France, prennent soin des résidents et des familles, le mieux possible, en donnant le meilleur d’eux‑mêmes, ont été bouleversés et meurtris par les allégations contenues dans cet ouvrage. Je vais essayer de parler en leur nom. Nous sommes très heureux que la représentation nationale veuille nous entendre tant nous avions le sentiment d’être condamnés avant d’avoir été entendus, ce qui n’est ni démocratique ni républicain.

Nous recevons de nombreux retours très positifs de la part de nos résidents et de leurs familles à propos des services que nous proposons mais il va de soi qu’une certaine imperfection est inévitable et que celle-ci est inhérente à l’idée même de suivi de la dépendance : la perfection est un but que l’on n’atteint que très progressivement.

Aujourd’hui, nous comptons 1,2 million de personnes âgées de plus de 85 ans ; selon certaines projections, elles seront 5,8 millions en 2060. L’enjeu sociétal est donc considérable. J’ajoute que 1,1 million de personnes, dont beaucoup vivent en établissement, souffrent de maladies neurodégénératives. Sur les 700 000 personnes accueillies en EHPAD, 28 000 le sont au sein de nos établissements.

Il faut que vous le sachiez, des événements indésirables se produisent dans tous les EHPAD – la perfection est impossible dans ce domaine. Lorsqu’ils surviennent dans nos établissements, nous les suivons de très près. Nous les rapportons aux autorités de santé, nous menons des investigations et nous corrigeons. Je serais le premier à venir présenter des excuses si certains cas étaient avérés. Quoi qu’il en soit, ils sont toujours en très petit nombre par rapport au nombre de résidents.

Des aides‑soignantes, des auxiliaires de vie, des infirmières accomplissent un travail extraordinaire au sein de nos établissements. Certaines ont parfois une heure et demie de transport pour venir travailler ! Vous connaissez la pression psychique qui s’exerce sur quiconque accompagne des personnes en fin de vie. Imaginez donc le choc que cela représente pour elles lorsqu’elles écoutent les différents médias ! Il en va de même pour les résidents.

Nous sommes particulièrement meurtris par cette notion de « système Orpea », qui court à quarante‑deux reprises dans l’ouvrage que vous avez mentionné, et qui consisterait à optimiser les profits en rognant et en rationnant nos prestations. Je vous l’affirme : un tel système n’existe pas.

Le vrai système Orpea, c’est qu’à tous les niveaux, nous essayons de prendre soin des personnes qui nous sont confiées. Tout manquement, quel qu’en soit le motif, ne peut être toléré.

Le vrai système Orpea, ce sont des centaines de milliers de familles qui, depuis trente ans, nous font confiance pour prendre soin de leurs aînés devenus dépendants.

Le vrai système Orpea, ce sont les 26 000 collaborateurs, tous admirables, qui accompagnent en France des dizaines de milliers de résidents. Voilà le vrai système Orpea ! Notre activité est profondément humaine. Notre métier, ce sont des services rendus par des êtres humains à d’autres êtres humains.

Un tel métier s’exerce 24 heures sur 24, 7 jours par semaine et 365 jours par an. Il est admirable mais difficile – être confronté au vieillissement, à la dépendance, à la fin de vie, cela touche – et ceux qui l’exercent doivent être animés par les valeurs qui sont les nôtres : la bienveillance, le professionnalisme, l’humilité, la loyauté. Certes, les marges de progrès sont réelles, nous y travaillons, mais les faits sont tels que je vous les décris.

Je suis un peu intimidé de me retrouver face à la représentation nationale puisque j’ai pris mes fonctions il y a moins de trois jours ; en tant que président du conseil d’administration, je n’avais pas de rôle exécutif. Mais j’assumerai mes responsabilités au mieux. M’accompagnent M. Jean-Christophe Romersi, directeur général France, Mme Laure Frères, responsable de tous nos systèmes de qualité – là, oui, nous pouvons parler d’un véritable système ! – et Mme Linda Benattar, qui a consacré toute sa vie à nos aînés, dont l’expérience est immense et qui est notre responsable médical. Tous les quatre, nous essaierons de répondre au mieux à vos questions.

M. Jean-Christophe Romersi, directeur général France du groupe Orpea. Certains parmi vous me connaissent puisque nous avons eu l’occasion de nous rencontrer lors de sessions de travail avec le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA). Avant tout, je souhaite vous dire pourquoi des milliers de personnes, moi-même, faisons ce métier : pour des raisons intimes, familiales, et par conviction.

Je ne suis pas un directeur général issu d’une grande école. Je suis entré dans le groupe Orpea il y a plus de quinze ans en tant que directeur‑adjoint dans un établissement, puis je suis devenu directeur, directeur de coordination et directeur régional. J’ai d’abord observé l’ensemble de nos métiers auprès de nos résidents, à qui nous devons respect et humanité.

Nous sommes certes très choqués par ce livre mais il s’agit d’abord de comprendre l’émoi des familles, des résidents, des salariés et de l’ensemble de la population. Ce qui y est décrit ne fait pas l’objet d’un « système ». Certaines choses ont pu se produire mais elles relèvent de l’« humain », de l’erreur. Il n’y a aucune volonté manifeste, aucun système organisé qui aboutiraient à un fonctionnement déshumanisé. Cela serait aux antipodes de ce que nous prônons depuis des années.

Nous sommes confrontés à un enjeu sociétal et démographique inédit auquel toute la collectivité, les pouvoirs publics, politiques, les autorités de réglementation compétentes, les différents acteurs doivent se préparer. Il s’agit d’accompagner le vieillissement de la population, la grande dépendance, des charges de soins de plus en plus importantes avec l’allongement de la durée de la vie mais, aussi, d’individualiser le plus possible la prise en charge, d’améliorer la prévention afin de maintenir le plus possible les personnes à domicile, d’accroître le contrôle et la transparence. Dès 2008, avant même les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico‑sociaux (ANESM), nous avons été volontaires pour certifier nos établissements à partir de référentiels externes. Nous avons suivi les préconisations de l’ANESM et, dans le cadre du travail engagé avec la Haute Autorité de santé (HAS), nous appelons de nos vœux la plus grande transparence ainsi que l’application de recommandations homogènes pour l’ensemble du secteur.

C’est l’« humain » qui compte et c’est lui qui me fait me lever, chaque matin, depuis quinze ans. On parle de « bénéficiaires à domicile », de « résidents en EHPAD », de « patients », mais il est d’abord question d’êtres humains et notre travail consiste à accompagner le parcours de chacun.

Nous sommes profondément investis pour répondre à toutes les interrogations, dans la plus grande transparence.

Nous avons fait part il y a deux jours du nom des cabinets chargés de l’évaluation et de l’audit mais nous avons annoncé nos intentions bien plus tôt. Nous avons rencontré Mme la ministre déléguée et nous sommes prêts à ouvrir grand nos portes, à expliquer clairement nos modes de fonctionnement. Nous avons une direction qualité et une direction médicale depuis 2001 qui ne participent pas de la ligne des opérations, précisément afin de maintenir un avis extérieur. Nous avons apporté plusieurs éléments de réponse au ministère, que nous tenons à votre disposition, mais ce n’est qu’un début.

M. Thomas Mesnier, rapporteur général. Votre présence est précieuse après l’émoi qu’a suscité la publication des Fossoyeurs, livre qui ne doit pas pour autant jeter l’opprobre sur l’ensemble d’un secteur et sur des professionnels engagés chaque jour. Je pense à eux, tout comme à nos aînés qui sont en EHPAD.

Patrick Métais, ancien cadre dirigeant d’Orpea, médecin responsable de l’information médicale, confie à l’auteur, à propos de la stratégie financière du groupe que « durant toutes ces années, le groupe est parvenu à encaisser encore plus d’argent public via quatre biais différents. 1 : en dépassant le nombre de lits dans des conditions obscures ; 2 : en réduisant le nombre de postes de soignants et médecins, pourtant réglementaire ; 3 : en maximisant le coût de chaque patient pour l’assurance maladie et les mutuelles ; 4 : en instaurant des remises de fin d’année (RFA) sur l’ensemble des produits médicaux payés par l’argent public. »

Les témoignages recueillis dans l’ouvrage montrent que l’augmentation du nombre de lits et la diminution du nombre de soignants et de médecins conduisent mécaniquement à des situations dramatiques de maltraitance.

L’optimisation du coût de chaque patient auprès de l’assurance maladie et des mutuelles supposait une surévaluation de la gravité de l’état de santé du résident : « Parfois, les équipes avaient pour ordre de retoucher les dossiers de patients pour construire les factures les plus avantageuses possible ».

Enfin, s’agissant des remises de fin d’année, qui s’élevaient chaque fois à plusieurs millions d’euros, il me semble qu’il est interdit de réaliser des marges à partir d’argent public...

Autant de points sur lesquels il me semble important de vous entendre.

Mme Monique Iborra (LaREM). Les députés de la commission des affaires sociales se sont particulièrement investis pendant cette législature sur la politique du grand âge à travers de nombreux rapports, des propositions de loi, des analyses étayées par des déplacements dans les EHPAD, dont les vôtres. Quel que soit le groupe politique auquel nous appartenons, nous connaissons donc parfaitement le sujet.

Au‑delà des enquêtes administratives prévues par le Gouvernement, nous devons éclairer nos concitoyens sur les dysfonctionnements importants qui sont dénoncés dans Les Fossoyeurs et qui, bien au‑delà de l’écume médiatique, suscitent des inquiétudes.

Dans un rapport de 2018 cosigné avec ma collègue Caroline Fiat, nous avons indiqué, après vérification, que le taux d’encadrement, notamment, des infirmières et des aides‑soignantes est moindre dans le secteur privé commercial que dans le secteur public. Quel est le taux d’encadrement par ces personnels dans les EHPAD de votre groupe, étant entendu que vous recevez des subventions publiques de l’État et des conseils départementaux pour assurer les soins et traiter la dépendance ?

Tous les EHPAD de votre groupe disposent-ils de médecins coordonnateurs et d’infirmières d’astreinte ou en poste de nuit ?

Qu’est‑ce qui justifie un reste à charge de 7 000 euros mensuels dans certains de vos établissements alors que les budgets soins et dépendance sont donc assurés par de l’argent public ?

Enfin, pourquoi votre prédécesseur a‑t‑il été limogé d’une manière aussi hâtive, en contradiction avec vos déclarations visant à nier ce qui est reproché au groupe ?

M. Bernard Perrut (LR). Nous connaissons le travail de l’ensemble de vos personnels. Nous avons une pensée pour eux, comme pour tous les résidents, mais nous sommes bouleversés par les révélations de cet ouvrage, qui fait état d’un système de rationnement des soins d’hygiène, de la prise en charge médicale, voire des repas des résidents par souci de rentabilité, ce qui relève de la maltraitance. Notre devoir est de faire toute la lumière sur ces accusations.

Le limogeage de votre directeur général est-il un désaveu de ses méthodes de direction et la reconnaissance d’une forme de culpabilité ?

Selon Mme Camille Lamarche, ex‑juriste à Orpea, « la politique mise en place au sein des RH est une politique systémique et réfléchie qui permet de faire des économies au détriment des conditions de travail des salariés ». Que répondez-vous à cette accusation ?

Le phénomène de la maltraitance n’étant malheureusement pas nouveau, qu’avez-vous entrepris pour y remédier ?

Quelles dispositions prenez‑vous lorsqu’un dysfonctionnement est signalé ?

Que la maltraitance provienne d’actes individuels, de carences de l’organisation ou d’une pénurie de personnels, qu’avez-vous prévu pour améliorer la qualité des soins ? Des indicateurs de qualité de soins devraient‑ils être rendus publics et strictement contrôlés pour chaque établissement – dès lors que de l’argent public permet d’assurer le fonctionnement d’un établissement, il me semble en effet que le contrôle s’impose ?

Considérez‑vous que vos obligations et les contraintes de vos tutelles sont suffisantes ? Ne doivent‑elles pas être renforcées dès lors que des situations comme celles décrites dans le livre existent sans que nul n’en soit alerté ?

La crise sanitaire a révélé l’ampleur du phénomène de la maltraitance. Qu’avez‑vous entrepris, depuis, pour le prévenir ?

L’EHPAD Orpea « Les Bords de Seine », à Neuilly‑sur‑Seine, fait l’objet depuis 2020 d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Nanterre. Selon l’Agence France‑Presse, vous n’en avez pas connaissance. Comment cela est-il possible ?

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). C’est avec une vive émotion que nous avons tous pris connaissance des accusations de maltraitance dont auraient été victimes des résidents de certains EHPAD appartenant au groupe Orpea.

Je tiens tout d’abord à rendre hommage aux personnels de la très grande majorité des établissements publics, associatifs, caritatifs et privés qui, chaque jour et avec beaucoup d’humanité, assistent nos personnes âgées.

Depuis la création d’EHPAD privés, il y a une vingtaine d’années, le groupe Orpea, qui possède aujourd’hui 350 établissements en France, est devenu rapidement leader de ce marché. Au sein de votre groupe, la recherche de la rentabilité, à travers un rationnement des soins d’hygiène, de la prise en charge médicale et des repas, semble primer au détriment de la qualité et du service rendu.

Mes questions porteront sur l’année 2019, afin que la crise sanitaire ne puisse être un prétexte pour ne pas y répondre.

Dans une publicité parue aujourd’hui dans la presse, vous assurez que, dès que vous avez connaissance d’un dysfonctionnement, vous prenez toutes les dispositions pour y remédier. Vous évoquez des enquêtes faisant état de taux de satisfaction de 95 % mais combien de récriminations avez‑vous reçues de la part des résidents ou de leurs familles en 2019 ? Qui les a traitées ? Sont‑elles systématiquement remontées à votre siège ? Comment y avez‑vous répondu ?

En 2019, combien d’établissements avez‑vous contrôlés – je ne parle pas des contrôles financiers, qui sont réguliers et excellents, mais des contrôles de qualité ?

Vous avez déclaré à la presse que votre groupe est humaniste. Quelles en sont les preuves ? Pourquoi, avec plus de 350 établissements, ne disposez-vous pas d’un service de contrôle qualité interne permettant d’évaluer et de quantifier votre humanisme ?

En 2019, combien d’établissements de votre groupe ont-ils été contrôlés par les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux ? Comment et pourquoi, malgré ces contrôles, de tels dysfonctionnements peuvent-ils être constatés ?

J’attends de vous des réponses précises.

M. Boris Vallaud (SOC). Si nos interlocuteurs s’expriment aujourd’hui sans avoir prêté serment, il n’en serait pas de même devant une commission d’enquête où ils pourraient être, demain, convoqués ; je les invite donc d’ores et déjà à formuler des réponses précises.

Nous saluons l’engagement des personnels soignants. Ce n’est pas, en l’occurrence, le dévouement de vos salariés qui est en cause mais le fonctionnement d’un groupe prospère, dont les dividendes versés aux actionnaires ont été multipliés par vingt depuis 2008, et qui rémunère si bien ses dirigeants que l’on se demande comment un groupe si prospère peut traiter si mal un certain nombre de résidents – à moins qu’une telle prospérité ne résulte pour partie d’une telle maltraitance ?

Je ne reviens pas sur les atteintes à la dignité humaine : toilettes et soins d’hygiène non effectués, prises en charge médicale défaillantes, repas rationnés.

Victor Castanet fait état de rétrocessions de fin d’année, de marges arrières, comme on dit dans la grande distribution, réalisées au détriment des finances publiques à travers les forfaits dépendance et les forfaits soins. Quelles sont vos relations avec les groupes Hartmann et Bastide ?

Quid des allégations concernant le sur‑remplissage de lits occupés par rapport au nombre de lits accordés par les ARS à travers la transformation de chambres simples en chambres doubles ?

Quid de la gestion en flux tendu des personnels soignants vous permettant de réaliser des économies par rapport au tableau des effectifs autorisés par les ARS ?

Quid de la maximisation des coûts facturés à l’assurance maladie ?

Vous n’avez pas répondu à ces questions posées par l’auteur. Je vous remercie d’apporter ici des réponses précises.

M. Paul Christophe (Agir ens). Au nom de mon groupe, je tiens à exprimer notre indignation face à la gravité des faits rapportés et toute ma compassion aux résidents et aux familles concernés. Je tiens également à avoir un mot pour les personnels des EHPAD qui, chaque jour, effectuent un travail remarquable pour prendre soin, dignement, de nos aînés. Ils sont les victimes collatérales d’un scandale résultant d’un système qui les dépasse.

Les accusations qui pèsent sur votre groupe sont graves et il est bon que vous puissiez vous en expliquer devant la représentation nationale.

Même si ce sont des structures privées, les EHPAD gérés par votre groupe bénéficient d’importants financements publics de la part de l’État et des collectivités. Nous ne sommes pas un tribunal, des enquêtes sont en cours et elles permettront de faire la lumière sur les faits rapportés mais, en tant que législateurs, il est de notre devoir de comprendre le fonctionnement de vos structures et d’identifier les failles qui peuvent conduire à des situations de maltraitance.

Qu’en est-il du modèle économique des EHPAD que vous gérez ? Comment évaluez‑vous leur rentabilité par rapport aux services rendus aux résidents ?

Quel est le montant des dividendes versés à vos actionnaires ces dernières années ?

Nous avons appris que votre prédécesseur avait vendu près de 5 500 actions de votre entreprise après avoir été informé de l’enquête en cours, ce qui nous laisse un goût amer. Le saviez‑vous ? Quel regard portez‑vous sur ce comportement, qui semble un aveu ?

Estimez‑vous que les autorités compétentes contrôlent rigoureusement et régulièrement vos établissements ? Êtes-vous systématiquement prévenus des visites ou sont‑elles inopinées ? Êtes‑vous assujettis à un référentiel particulier au regard de ces contrôles ?

Nous attendons des réponses précises. Je vous remercie par avance de votre contribution.

M. Michel Zumkeller (UDI-I). Je partage bien des propos qui ont été tenus.

Je m’interroge sur le fait que votre prédécesseur ait été remercié : soit ce livre est diffamatoire et M. Le Masne doit être réintégré, soit le problème est bien réel.

Vous avez évoqué des imperfections, terme un peu léger compte tenu de la situation. Vous avez parlé d’un enjeu sociétal : nous sommes tous persuadés que l’attention portée à nos aînés en est un ; j’espère que vous ne le découvrez pas aujourd’hui. Une société comme la vôtre, qui investit dans ce secteur, doit en être convaincue, sinon, ce serait dramatique.

Vous avez également évoqué des recommandations homogènes, souci que nous partageons. Nous savons que les droits fondamentaux des résidents s’inscrivent dans un cadre juridique contraignant – code civil, code de l’action sociale et des familles, charte – et c’est très bien ainsi. Manifestement, un certain nombre de problèmes se sont posés au sein de votre groupe en la matière. La Défenseure des droits s’est penchée sur cette question et a publié en avril 2021 un rapport faisant état d’un certain nombre de recommandations. J’imagine qu’un groupe comme le vôtre a été partie prenante. Comment envisagez‑vous donc une évolution des établissements ?

Êtes‑vous prêts à vous engager en faveur de l’instauration d’un ratio minimal de personnels travaillant en EHPAD ? Il nous semble en effet particulièrement important que vous puissiez disposer d’un cadre sur lequel il serait impossible de transiger.

Êtes‑vous favorable à la présence d’un médiateur extérieur que les résidents et les familles pourraient contacter en cas de problème, la transparence étant fondamentale dans ce domaine ?

M. François Ruffin (FI). « Nous étions rationnés : c’était trois couches par jour maximum et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie, personne ne voulait rien savoir. » C’est une aide‑soignante du groupe Orpea qui s’exprime ainsi. Manifestement, les repas étaient aussi rationnés, de même que les soins – moins de soignants et plus de patients – et, au final, l’« humain » même. D’un côté, le rationnement, mais de l’autre, le gavage : dividendes et bénéfices chiffrés en centaines de millions, des marges pouvant aller jusqu’à 25 %.

Tout cela est aujourd’hui dévoilé et dénoncé par vos soignants, par d’anciens cadres et des familles. Nous attendions au moins des excuses et, même, une remise en cause. Or, il n’en est rien. Je n’entends que du déni, des propos sur de regrettables incidents et d’éventuelles erreurs. Comme dirait Michel Audiard, « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages » ! J’ai le sentiment que, lorsque vous parlez d’humanisme, de bienveillance et de valeurs – surtout boursières, en fait –, qui plus est avec des trémolos dans la voix, vous vous fichez de nous.

Vous vous planquez derrière vos salariés – admirables, j’en suis certain – et vous récusez l’idée d’un « système » qui existe pourtant bel et bien et dont on peut d’ailleurs se demander s’il n’est pas celui de toutes les entreprises privées : il vise à aller chercher l’argent là où il se trouve pour le distribuer à des actionnaires, vos donneurs d’ordre. Que vous vous refusiez, aujourd’hui, à toute remise en cause me semble aussi grave que la persistance d’un tel système au sein de votre groupe. Le monstre demeure bien froid.

Doit‑on encore laisser les personnes âgées entre les mains des financiers ? Vous pratiquez les marges arrières, vous connaissez les pratiques de la grande distribution : nos anciens sont-ils donc des produits alimentaires dans un supermarché ? Doit‑on tirer des profits sur leur fin de vie ?

Mme Jeanine Dubié (LT). Je partage l’indignation et l’écœurement de mes collègues face aux actes révoltants et aux décisions méprisantes que décrit Victor Castanet dans Les Fossoyeurs. Ancienne directrice d’EHPAD privé à but non lucratif, j’ai pris connaissance avec beaucoup d’émotion des faits dénoncés. Ils relèvent du pénal, et je laisserai la justice se prononcer. Avant toute chose, je souhaite saluer l’ensemble des professionnels du secteur, qui font un travail considérable au quotidien, auprès de nos aînés. Les personnes employées dans vos établissements, comme celles qui travaillent dans le secteur public et associatif, ne doivent pas pâtir de la publication de cet ouvrage, ni de la situation dénoncée.

Le salaire annuel de l’ancien directeur général s’élevait à 1,3 million d’euros. Vous le savez, monsieur Romersi, puisque, comme moi, vous avez été directeur d’EHPAD : ce salaire, ainsi que tous les salaires des cadres, du personnel de direction et des frais de siège, est prélevé intégralement sur la section « hébergement », dont les recettes sont quasi‑exclusivement issues du prix de journée d’hébergement. Cela signifie qu’avec un prix journalier situé entre 180 et 380 euros, les résidents paient la rémunération du directeur général, à hauteur de 1,3 million d’euros. J’en suis outrée.

En cas de révocation, hormis pour une faute lourde – elle n’a pas été démontrée pour l’instant –, le contrat du directeur général prévoit une indemnité égale à vingt‑quatre mois de rémunération, soit 2,6 millions d’euros. Monsieur Romersi, monsieur Charrier, pouvez-vous prendre l’engagement devant notre commission que cette indemnité de départ sera prélevée non sur les recettes d’hébergement qu’acquittent les résidents, mais sur vos actionnaires ?

Pour que les prix journaliers diminuent et atteignent un montant raisonnable, vous engagez‑vous à baisser les salaires annuels de vos dirigeants ?

M. Pierre Dharréville (GDR). Monsieur le président‑directeur général, je ne suis même pas surpris de vos propos. Vous êtes comme le lapin pris dans les phares : quand vous prenez l’air étonné, j’ai l’impression que nous sommes dans un film. L’autonomie et les EHPAD posent un problème structurel plus large, mais, en effet, vous n’êtes ici que le représentant d’un système, que personne ne peut méconnaître. Votre groupe, à but lucratif, vise à faire un maximum de profits – c’est le capitalisme. En tant que président du conseil d’administration, vous en étiez garant et, il faut le reconnaître, vous avez poussé la machine à fond. Il est un peu indécent de vous entendre parler au nom des salariés, et, en même temps, leur mettre la faute sur le dos, en prétendant que des erreurs humaines ont été commises, et que vous n’y êtes pour rien.

Le 26 décembre 2017, après avoir rencontré le personnel d’un établissement de votre groupe dans ma circonscription, j’ai déposé une question écrite, donc publique. Les femmes que j’avais rencontrées faisaient état de leur grande fatigue morale, du caractère insupportable de leurs conditions de travail et des conséquences des choix de gestion sur les résidents. Elles expliquaient que vous y faisiez des économies sur tout, notamment sur le personnel, précarisé et maltraité – la nuit, pour quatre-vingts résidents, seules deux personnes travaillaient, dont aucune infirmière ; une auxiliaire de vie devait faire le ménage dans trente‑trois chambres, après avoir servi tous les petits déjeuners. Pour ce qui concerne les prestations, elles rapportaient des draps souillés simplement retournés, des repas qui « font honte », et, s’agissant du matériel, de couverts en plastique et d’un manque de lessive, sans parler des protections.

Ce qui est remonté, c’est une grande capacité à aller chercher les aides publiques, mais une faible diligence à les utiliser à ce pour quoi elles sont destinées. J’ai une grande considération envers tous les salariés, qui agissent au quotidien auprès des résidents, mais il est établi que vous faites commerce de l’autonomie, voire, pour le dire moins élégamment, de la maltraitance institutionnelle. Vous alimentez donc une machine financière, comme en témoignent les jeux d’actionnaires auxquels se livrent les dirigeants de votre entreprise.

Qu’est‑ce qui ne figure pas dans le livre, et que nous ne savons pas encore ?

Comment avez-vous pu échapper si longtemps aux contrôles, aux règles et aux injonctions ? En tant qu’expert, vous pourrez peut-être nous aider à améliorer l’action publique.

Comment rendrez‑vous des comptes, et même l’argent aux résidents et au personnel, par des mesures immédiates ?

Sachant que vous ne pourrez pas supprimer l’objectif prioritaire de juteux dividendes, comment voyez-vous l’avenir de votre entreprise et de votre secteur ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur le président‑directeur général, après cette première salve de questions, claires et pertinentes, je vous donne la parole pour des éléments de réponse qui, je l’espère, seront tout aussi clairs et pertinents.

M. Philippe Charrier. Notre objectif est de vous servir et de répondre le mieux possible à vos questions. Dans un premier temps, je vous propose de laisser la parole à Jean‑Christophe Romersi et à Laure Frères, pour décrire brièvement nos systèmes de qualité. J’ai noté de nombreuses questions sur ce sujet.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur le président‑directeur général, les questions ont été claires, et la représentation nationale attend des réponses claires. Si vous commencez à détailler un cahier des charges « qualité », elle aura le sentiment de ne pas avoir reçu de réponses.

M. Philippe Charrier. Je répondrai donc aux questions les unes après les autres.

Tout d’abord, le taux d’encadrement était de 0,65 pour un résident en 2019, de 0,67 en 2020 et de 0,70 en 2021 – pardonnez‑moi, ce sont des hommes et des femmes dont il est question, mais les chiffres ne sont pas des entiers.

Je laisse Jean-Christophe Romersi s’exprimer pour répondre à la question portant sur les infirmières d’astreinte et les médecins coordonnateurs.

M. Jean-Christophe Romersi. Les questions sont très nombreuses. Il importe de répondre à toutes.

Concernant les ratios d’encadrement, je comprends vos questions et votre émotion, mais on ne peut éviter un échange technique sur les modalités d’organisation des établissements, telles que des rapports et la réglementation les préconisent.

Les EHPAD bénéficient en effet de financements publics, par les ARS et les conseils départementaux. Depuis 2017, des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), d’une durée de cinq ans, sont signés. Auparavant, des conventions tripartites reliaient l’établissement, l’ARS et le conseil départemental dans une contractualisation.

J’essaierai d’être le moins technique possible. Au travers du GMP, le groupe iso-ressources moyen pondéré, une formule de calcul...

Mme Jeanine Dubié. Vous voulez parler du PATHOS.

M. Jean-Christophe Romersi. Avant le référentiel PATHOS, outil utilisé pour évaluer les soins requis par les personnes âgées, il n’y avait que le GMP. Le PATHOS moyen pondéré (PMP) est intervenu plus récemment : le mélange de PATHOS et de GIR a donné lieu au groupe iso-ressources moyen pondéré soins (GMPS). Je serai très précis, madame la députée, mais donnez-moi l’opportunité de répondre.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Écoutons la réponse de M. le directeur général : si nous estimons qu’elle n’est pas suffisante, nous reviendrons sur le sujet. Soyez très explicite – les questions ont été très claires.

M. Jean-Christophe Romersi. Elles l’ont été, et vous avez raison de dire qu’il faut que je puisse répondre de manière explicite. Je dois expliquer comment cela fonctionne. (Exclamations.)

Lors de la signature d’une convention tripartite avec l’ARS et le conseil départemental, des modalités de calcul de financement, concernant les soins comme la dépendance, conduisaient à deux enveloppes. L’ARS finançait 100 % des postes de soignants – médecins, infirmiers – et 70 % des postes d’aides‑soignants, ainsi que les dispositifs médicaux ; le conseil départemental était chargé de financer une partie des dépenses liées à la dépendance, notamment 30 % des postes d’aides‑soignants et d’auxiliaires de vie, ainsi que les protections contre l’incontinence.

Depuis la réforme de la tarification et la fin des conventions tripartites, un dialogue s’instaure entre l’ARS et le conseil départemental, pour définir les modalités de calcul du GMP : le conseil départemental et l’ARS doivent utiliser l’enveloppe dans une projection budgétaire de postes alloués. Historiquement, ce sont donc eux qui ont fixé nos effectifs, tant pour ce qui concerne les soins que la dépendance. Lorsqu’une convention tripartite est appliquée dans un établissement, nous recrutons les personnels et, chaque année, par des comptes d’emploi, nous répondons aux autorités compétentes de l’utilisation des crédits qui ont été alloués. Il y a un dialogue de gestion entre l’ARS et le conseil départemental sur l’utilisation de ces moyens.

Vous avez évoqué les postes de nuit. Avant les CPOM, le nombre de personnels de nuit était fixé par les conventions tripartites : une auxiliaire de vie ; une aide‑soignante. En l’absence d’autre financement, il n’y avait pas d’infirmière diplômée d’État (IDE) de nuit. Leur présence, relativement nouvelle, a fait l’objet d’expérimentations, puis de crédits non reconductibles, en lien avec la médicalisation.

Dès que cela a été possible, nous avons écrit aux autorités de tutelle pour demander une aide-soignante de nuit supplémentaire, notamment pour les unités de vie protégées (UVP), où certaines personnes présentent des risques de déambulation nocturne. Les ratios de personnel ont beaucoup fluctué selon les conventions.

Les CPOM sont une notion plus récente. Ils n’ont pas encore été signés par tous les établissements car il y a beaucoup de retard dans les contractualisations au sein des conseils départementaux et des ARS. Ces contrats répondent à une logique différente, celle d’un état des prévisions de recettes et de dépenses et d’un état réalisé de recettes et de dépenses. Depuis les CPOM, l’ensemble du secteur a une plus grande latitude pour répartir ses moyens dans un établissement ou entre plusieurs établissements. Les ratios de personnel étaient, et sont, fixés avec les autorités. Nous les justifions chaque année, dans des comptes d’emploi.

Je veux à présent vous donner le nombre de visites et de contrôles inopinés que nous avons reçus – nous avions préparé ces chiffres. Ces actions ont été menées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, par la caisse d’assurance retraite et de santé au travail, par l’ARS ou le conseil départemental. Nous avons eu 94 visites et contrôles inopinés en 2016, 75 en 2017, 55 en 2018, 49 en 2019, 18 en 2020 – sans doute en lien avec la crise sanitaire –, et 10 en 2021. (Exclamations.)

Mme Jeanine Dubié. Ça veut dire que ça va mal !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Laissons le directeur général achever son propos. Nous avons encore dix‑neuf questions. Il y a beaucoup d’insatisfaction, car nous n’avons pas les réponses attendues, monsieur le directeur général. Je vous prie de terminer sur ce sujet.

M. Jean-Christophe Romersi. M. Charrier vous a répondu sur les ratios de personnel. Pour donner un ordre d’idées, dans un établissement de 100 lits, le personnel compte 67 personnes, dont la direction, deux ou trois personnes occupant un poste administratif, trois cuisiniers, une personne pour l’entretien et la maintenance ; le reste appartient au personnel soignant et de soins – médecin, médecin coordonnateur, infirmiers, aides‑soignants, auxiliaires de vie, psychologue, ergothérapeutes, psychomotriciens.

Il n’y a pas de médecin coordonnateur dans tous nos établissements car nous ne parvenons pas toujours à en recruter. Des médecins coordonnateurs régionaux suivent plusieurs établissements et se rendent là où une difficulté est constatée, notamment l’absence ponctuelle d’un médecin. Il y a une pénurie de médecins en France. Elle touche l’ensemble du secteur, quels que soient les statuts.

Je n’ai jamais travaillé avec le docteur Patrick Métais, que vous citez.

Nous apporterons toutes les réponses à vos questions.

Concernant le nombre des lits, nous avons des objectifs d’autorisations de capacité dans les établissements, que nous respectons. Nous mettrons à disposition tous les taux d’occupation annuels, que je ne connais pas pour tous les établissements et toutes les années.

Dans les EHPAD, nous ne transformons pas les chambres individuelles en chambres doubles.

Quant aux soins d’hygiène qui seraient liés à un souci de rentabilité, sachez que le tarif d’hébergement est fixé indépendamment des financements de l’ARS ou du conseil départemental pour la prise en charge des soins et de la dépendance. Il n’y a pas de notion de rentabilité pour ces deux domaines. Cela a toujours été ma conviction : les montants liés au soin doivent servir aux soins ; ceux relatifs à la dépendance, à la dépendance. Je le répète, nous avons des échanges avec les ARS ainsi qu’avec les conseils départementaux au travers des comptes d’emploi.

Le livre nécessite naturellement une inspection de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF), ainsi que l’intervention de cabinets externes. Il nous faudra beaucoup de temps pour apporter l’ensemble des explications, en toute transparence.

Nous pouvons produire des courriels que nous avons adressés aux ARS pour leur signaler qu’elles s’étaient trompées dans leur mode de calcul des financements – l’erreur est humaine.

M. Boris Vallaud. Oui, c’est ça... mais répondez donc aux questions !

M. Jean-Christophe Romersi. J’essaie de répondre à vos questions, du mieux possible. Je le répète, nous avons ce dialogue de gestion. Nous avons rassemblé ces courriels dans un document à l’attention de la ministre déléguée, Mme Bourguignon. Nous le tenons à la disposition de toutes les autorités.

Concernant les signalements et les actes de maltraitance, il y a des lois pour cela. Des obligations réglementaires régissent tout événement indésirable ou grave – deux procédures ont été définies – et toute suspicion d’acte de maltraitance. En pareil cas, nous signalons l’événement ou la suspicion de maltraitance aux ARS et aux conseils départementaux. Il est de notre devoir et de notre responsabilité d’écarter temporairement le salarié, dans le cadre d’une mise à pied à titre conservatoire, le temps de comprendre les éléments.

Les signalements s’effectuent par le biais de formulaires de déclaration très précis, qui répondent à des réglementations. Tous les établissements disposent de ces procédures de signalement et d’une organisation « qualité ». Il y est écrit, spécifiquement et depuis toujours, que tout événement indésirable doit être immédiatement signalé à la plateforme d’appel ou par courriel, dans les quarante‑huit heures, par l’envoi du formulaire réglementaire. Nous investiguons ensuite l’événement et en informons les autorités.

Nous avons toujours communiqué – je l’espère de tout mon cœur, car je ne suis malheureusement pas dans chaque établissement – en toute transparence. Nous avons toujours eu la volonté de déclarer tous les événements indésirables.

En 2016, nous avons déclaré 149 événements indésirables, dont 12 suspicions de maltraitance ; en 2017, 289 événements indésirables, dont 35 suspicions de maltraitance ; en 2018, 256 événements indésirables, dont 19 suspicions de maltraitance ; en 2019, 421 événements indésirables, dont 29 suspicions de maltraitance ; en 2020, 292 événements indésirables, dont 24 suspicions de maltraitance. Enfin, en 2021, 391 événements indésirables, dont 36 suspicions de maltraitance ont été déclarés.

Ces événements indésirables et suspicions de maltraitance sont déclarés avant toute investigation : nous tenons les autorités informées au fur et à mesure de la procédure.

Quant à savoir s’il faut renforcer les contrôles, cela ne nous pose aucun problème. C’est notre devoir de nous justifier. J’ai vécu de nombreux contrôles, ce qui est normal. Ils ne sont pas tous connus à l’avance, certains sont inopinés.

Vous avez demandé de quelle manière l’inspection était diligentée, par exemple après la déclaration d’un événement ou après l’intervention d’une famille. Lors d’un contrôle inopiné, les représentants de l’ARS ou du conseil départemental, ou les deux, conjointement, se rendent dans l’établissement avec une lettre de mission qui leur donne accès à l’ensemble des documents qu’ils souhaitent, et nous interrogent. Pour évoquer l’utilisation des crédits, ils peuvent consulter les dossiers de soin – avec un médecin – ou l’ensemble des dossiers administratifs et des éléments concernant le personnel – registre unique du personnel, bulletins de paie, éléments de paie –, sur la journée, les semaines, les mois, les années précédents, en dehors des échanges déjà prévus chaque année.

S’agissant des CDD, j’ai dirigé un établissement où, lors d’une inspection, on m’a reproché d’avoir conclu trente‑huit CDD en un an pour une même personne. Vous le savez, puisque vous êtes des spécialistes, ces métiers sont en tension et il y a grand besoin de les rendre attractifs, de former les personnes qui les exercent et de renforcer l’accompagnement. Sur un tel marché, certaines personnes ne souhaitent plus signer de contrat à durée indéterminée (CDI) car elles veulent gérer leur planning – travailler quinze jours d’affilée, puis ne plus travailler –, cumuler parfois, malheureusement, plusieurs postes, être rémunérées avec une prime de précarité de 10 % ou travailler en intérim.

Ces trente‑huit CDD à une même personne dans une année résultaient non de ma volonté de ne pas l’embaucher mais du souhait de l’employé de ne pas travailler en CDI. Ma volonté était de stabiliser l’équipe, de travailler avec des personnes qui connaissaient l’établissement et les résidents. Si notre collaboration devait passer par un CDD, trente‑huit fois au cours de l’année, je le faisais, pour avoir du monde auprès des résidents.

La ministre déléguée et vous tous savez qu’il manque du personnel soignant en France, qu’il en manquera encore plus demain, et qu’il est difficile d’en recruter. Des unités entières d’hôpitaux sont fermées pour cette raison. Pensez‑vous que notre manque de personnel soignant résulte d’une volonté ? Ce n’est pas le cas et cela ne l’a jamais été, quel que soit mon poste dans cette entreprise. Il faut considérer les réalités. Nous ne nions pas qu’il peut y avoir des dysfonctionnements. Mais nous ne comprenons pas que la situation soit décrite comme une volonté. Cela ne l’est pas : nous sommes confrontés aux mêmes difficultés que tout le monde.

Le département qualité, que dirige Laure Frères, ici présente, existe depuis vingt ans, comme la direction médicale, menée par Linda Benattar, qui a été créée dans le groupe il y a vingt‑cinq ans. J’ai été formé par ces personnes à la bientraitance et à la prévention de la maltraitance. Chaque année, nous dispensons des centaines de milliers d’heures de formation dans nos établissements, sur un ensemble de thèmes.

Quant aux contrôles internes, je veux décrire notre organisation, et laisser Mme Frères présenter la démarche qualité. Dans un établissement, nous avons une direction, un médecin coordonnateur, une infirmière coordinatrice. Une direction régionale supervise plusieurs établissements, avec un médecin coordonnateur régional, une référente régionale qualité, une infirmière coordinatrice régionale, qui interviennent sur la partie soins ; des référents travaux à l’échelon régional, pour la sécurité des biens et des personnes ; et des référents restauration. Nous avons des procédures pour la prise en charge, l’accompagnement, la déclaration d’événements indésirables, la constitution des dossiers médicaux, des dossiers de soins ou des dossiers administratifs, et pour la restauration. Le docteur Benattar pourra notamment évoquer les procédures de prise en charge de la dénutrition, et l’ensemble des obligations. Je pourrais vous en parler longtemps.

Ces procédures font toutes l’objet de vérifications, au travers de grilles. Nous demandons aux directions d’établissement d’effectuer un autocontrôle semestriel. Les directions régionales, avec le médecin coordonnateur, doivent aussi effectuer un contrôle semestriel de l’ensemble des points de fonctionnement. Les référents régionaux qualité se rendent dans les établissements pour vérifier la démarche qualité, la démarche d’accompagnement et la formation des équipes. Les directions régionales et les médecins coordonnateurs régionaux se rendent à côté des médecins et des équipes soignantes, pour évoquer ces sujets. Nous pourrons également vous communiquer le nombre de passages des référents travaux et des référents restauration dans les établissements.

L’ensemble des visites, qu’elles soient externes ou internes, font l’objet de rapports et de plans d’action. Nous avons un logiciel « plan d’action qualité », où l’ensemble des préconisations, qu’elles soient internes ou externes, et l’ensemble des rapports de visites des autorités sont intégrés dans un plan d’action, et suivis scrupuleusement par les directions et les personnes qui accompagnent.

Nous tentons de faire au mieux : l’erreur est humaine, il peut y avoir des écarts et des écueils. Je ne cherche qu’à évoquer le sérieux avec lequel nous essayons de répondre à tous nos engagements, parce que nous avons conscience de notre mission d’accueil.

Si vous le permettez, je donne la parole à Laure Frères pour répondre à la question sur le nombre de contrôles qualité.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Il me revient de distribuer la parole. Vous décrivez un plan « qualité », il n’en demeure pas moins que des dérives ont été constatées. C’est sur ces problèmes que nous souhaitons recevoir des réponses. La parole est à la représentation nationale.

M. le rapporteur général. Vous avez évoqué des points intéressants s’agissant de la qualité. Vous avez enfin reconnu que nous connaissions le secteur. Je vous en remercie car c’est dans cette salle que, chaque année, est examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), que tous les crédits que vous avez décrits sont adoptés et que la cinquième branche de la sécurité sociale a été créée. Si besoin, nous pouvons engager un débat technique.

Je note que vous avez répondu, mais nous pourrions y revenir, aux questions portant sur le nombre de lits par rapport aux autorisations et sur le taux d’encadrement.

Je vous interroge à nouveau : le groupe Orpea a‑t‑il instauré des systèmes de remises permettant de réaliser des marges sur l’argent public, dont nous examinons, ici même, chaque année l’emploi, dans le cadre du PLFSS ?

Mme Annie Vidal. Les faits révélés dans le livre de Victor Castanet sont glaçants : maltraitance sur les personnes âgées et sur les professionnels – au nom de la commission des affaires sociales, je les assure de mon profond respect –, mépris envers les familles, inhibition des managers de proximité.

On y découvre également un système de pilotage par les hauts directeurs, totalement déconnecté de ce que doit être un EHPAD – un lieu de vie, où l’on soigne. Ce pilotage à distance est fondé sur un reporting continu des directeurs d’établissement, une tour de contrôle, avec trois logiciels de contrôle – GMASS, NOP et bible Achats – et trois hommes, comme il est écrit page 124 : « le boss », « le financier », « l’exécuteur ».

Nombre de résidents, gestion à flux tendu, profits nets, taux d’occupation : ces indicateurs, en particulier le taux d’occupation dynamique, à transmettre tous les jours, me font davantage penser à une usine de production qu’à un établissement visant à accompagner de manière bienveillante des personnes vulnérables. Vous fixez un taux d’occupation cible à 95 % minimum. Le logiciel GMASS permet de calculer les projections sur la masse salariale pour chaque mois. Sur un mois, un taux d’occupation à 92 %, sur une capacité de 90 lits, vous conduit à supprimer 1,5 poste d’infirmier sur les 5,5 prévus et 0,5 poste de médecin sur 1,5. Au total, vous supprimez deux postes sur sept soit 28 % de l’effectif.

Comment évaluez-vous l’incidence de ces suppressions sur vos plannings, sur les résidents et sur vos salariés ?

Ces postes sont financés par de l’argent public : comment les intégrez‑vous dans vos comptes d’emploi ? Comment peuvent-ils être des variables d’ajustement mensuelles et systématiques ?

Cette optimisation permanente de la masse salariale n’est-elle pas contraire aux exigences des ARS et des conseils départementaux, et, surtout, aux bonnes pratiques de prise en charge des personnes âgées et à la qualité de vie au travail des professionnels ? Ne fait‑elle pas le lit de la maltraitance institutionnelle et systémique ?

Mme Isabelle Valentin. L’ouvrage Les Fossoyeurs a révélé certains faits qui, s’ils étaient exacts, mettraient en lumière un cas très grave de maltraitance des personnes âgées dans nos EHPAD. Ces révélations ne sont pas les premières. Elles nous rappellent que le mal est plus profond et que le sujet de la prise en charge du vieillissement dans notre pays n’est pas traité avec tout le sérieux et la responsabilité qui nous incombent.

En mars 2018, le rapport d’information de la mission « flash » sur les EHPAD, menée par Mme Monique Iborra et Mme Caroline Fiat, avait abouti à un constat unanime : dans l’ensemble des EHPAD publics et privés, la prise en charge est insuffisante. La charge est de plus en plus lourde, avec des résidents de plus en plus dépendants. Les effectifs de personnels sont insuffisants, avec de grandes difficultés de recrutement et des métiers en tension. Trente et une propositions avaient été votées, à l’unanimité, toutes tendances politiques confondues.

C’était en 2018, nous avions tous l’espoir d’une loi sur le grand âge et l’autonomie. Aujourd’hui, en janvier 2022, entre l’iniquité du Ségur de la santé et une loi « grand âge et autonomie », définitivement enterrée, le Gouvernement a échoué. Rien n’a été fait : aucun plan d’action pour rendre leur dignité à nos aînés, à nos anciens, à nos familles, et donner une place au vieillissement dans notre société. Les personnels et les équipes font le maximum, avec les moyens qui leur sont alloués.

Je n’ai pas de questions à vous poser, monsieur Charrier, monsieur Romersi. (Protestations.)

En revanche, je m’adresse à nous tous. Quelle place donnons-nous vraiment au traitement du vieillissement dans notre société ? Qu’a fait la commission des affaires sociales ? Quel gouvernement aura le courage de prendre ce dossier à bras‑le‑corps ?

M. Cyrille Isaac-Sibille. Vous voulez parler de Xavier Bertrand ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame la députée, revenons au sujet : nous n’examinons pas un projet de loi ou un PLFSS ; nous auditionnons les responsables du groupe Orpea, à la suite des révélations du livre Les Fossoyeurs. Nous ne sommes pas là pour faire de la polémique, mais pour obtenir des réponses claires, au nom des Français, résidents et familles.

Mme Perrine Goulet. Les Fossoyeurs jette l’opprobre sur toute une partie de la profession. Nombre d’établissements, qu’ils soient publics, privés ou associatifs, remplissent très bien leur mission, et c’est heureux. La maltraitance n’est pas liée au statut de l’établissement mais de la vision de la direction, souvent bien éloignée du terrain.

Monsieur le président‑directeur général, j’entends parfaitement vos arguments et votre défense face aux injonctions de mes collègues. Mais les faits suscitent des interrogations. Orpea est une entreprise cotée en Bourse. En 2019, son résultat net par action s’élevait à 3,60 euros, sa marge opérationnelle était de 14 % et sa rentabilité financière de 7 %. En 2020, la crise a eu pour conséquence de faire chuter le résultat net par action à 2,46 euros, la marge opérationnelle se stabilisant à 11 % tandis que la rentabilité financière atteignait tout de même 4 %.

Il ressort de ces chiffres que votre résultat net par action est trois à six fois supérieur à celui de votre concurrent direct. Loin de moi l’idée de donner un blanc‑seing à d’autres structures à but lucratif du secteur, mais je m’interroge sur un tel écart entre des structures comparables. Manifestement, la politique menée jusqu’à présent a bénéficié à vos actionnaires, certainement au détriment de vos résidents. Vous avez donc mis un prix sur la dignité des personnes âgées. Le 8 février, vous présenterez vos résultats pour l’année 2021 ; je ne doute pas qu’ils seront excellents, mais à quel prix !

Comment allez-vous conjuguer les exigences de vos actionnaires et le bien‑être de vos résidents ? Ces deux objectifs semblent, à la lumière de votre passé, incompatibles.

Mme Valérie Rabault. Ma première question rejoint celle de Mme Goulet : comment pouvez‑vous obtenir un résultat six à sept fois supérieur à celui de vos concurrents alors que vous percevez les mêmes remboursements qu’eux de la part des ARS et de la sécurité sociale ? Où avez‑vous fait des économies ? Répondez-nous !

Deuxièmement, confirmez‑vous qu’il n’existe aucun système de marges arrières vous permettant de percevoir des remboursements de la part de vos fournisseurs, notamment de protections ? Là encore, je vous demande de ne pas tourner autour du pot : répondez par oui ou par non. Si un tel système existe, les chiffres avancés – plusieurs dizaines de millions d’euros – sont-ils exacts ?

Troisièmement, une indemnité de départ de 2,6 millions d’euros a‑t‑elle été ou sera‑t‑elle versée au directeur général remercié dimanche dernier ? Derechef, je vous demande de me répondre par oui ou par non. Si cette indemnité a été versée, est‑ce à dire qu’elle a été payée par les résidents ?

M. Guillaume Chiche. J’ai d’abord une pensée pour les personnes âgées, leurs familles et les professionnels des EHPAD, qui ne cessent de nous alerter sur les situations de maltraitance imposées par le manque de moyens. Face à une telle situation, nous ne pouvons que ressentir de la colère, car ce manque de moyens est général ; le projet de loi relatif à la dépendance avait pour objet d’y remédier, mais il a été abandonné.

Monsieur Charrier, il y a une forme d’hypocrisie à affirmer qu’il n’y a pas de problèmes systémiques, ou structurels, tout en limogeant le directeur général.

Je ne doute pas que le groupe Orpea emploie des professionnels, mais je ne doute pas non plus – hélas ! – qu’il existe des manques, des abandons, des maltraitances. De fait, en tant qu’acteur de marché, vous cherchez à rendre rentable la prise en charge de personnes âgées dépendantes. Je souhaiterais donc que vous nous indiquiez vos objectifs de rentabilité, par résident ou par établissement. Il faut que vous nous apportiez une réponse claire sur ce point pour que nous sachions si, oui ou non, votre marge est liée à des maltraitances – on parle bien d’une question systémique.

M. Didier Martin. Placer un parent dans un EHPAD privé à but lucratif coûte cher, plus cher que de le placer dans un EHPAD public. D’après la presse de ce jour, le surcoût moyen est estimé à 860 euros ; il peut largement excéder ce montant dans vos établissements. Les familles sont en droit de savoir comment leur parent en bénéficie.

Permet-il de mieux traiter les résidents ? Vous avez évoqué le taux d’encadrement dans vos établissements : manifestement, il se rapproche de celui du public. Toutefois, cela ne justifie pas un tel surcoût.

Celui-ci permet‑il de financer des équipements nouveaux, des investissements immobiliers de grande qualité ? J’attends vos réponses sur ce point.

Permet‑il de financer des frais généraux dispendieux, tels que ceux que Victor Castanet rapporte dans son livre, pages 344 et 345 : séminaires dans des stations de sports d’hiver – Courchevel, Megève, Gstaad –, hôtels luxueux et restaurants prisés, aides financières à des personnalités politiques influentes, par exemple dans le département de l’Aisne, terre d’élection de M. Xavier Bertrand, où sept nouveaux EHPAD Orpea ont été créés au début des années 1990 ?

Permet‑il, enfin, de rémunérer très confortablement, pour ne pas dire de façon disproportionnée, les cadres de direction, à l’instar de M. Le Masne, dont la rémunération, d’un montant de 1 350 000 euros par an, a été dévoilée par Le Canard enchaîné ?

Les familles des résidents veulent savoir à quoi vous employez les millions d’euros qu’elles vous versent chaque mois, parfois au prix de sacrifices.

M. Jean-Pierre Door. En tant qu’ancien médecin et responsable, en ma qualité d’élu local, de quelques EHPAD, je n’ai eu qu’à me louer des services des professionnels de santé et de l’administration de ces établissements, qu’ils appartiennent au secteur public ou privé. Je suis donc étonné, et même écœuré, par les faits relatés dans le livre qui est à l’origine de votre audition. Nous avons besoin, et rapidement, de vérité et de transparence, car tout cela déteint sur l’ensemble des EHPAD de France.

Y a‑t‑il des dérives financières entre vos établissements et les institutions sociales, en particulier l’assurance maladie ? Un trafic a‑t‑il donné lieu à des gains financiers ? L’IGAS et l’IGF vont enquêter, et l’on peut se demander si une commission d’enquête parlementaire ne devrait pas être créée, voire si une procédure pénale ne devrait pas être lancée.

Monsieur Martin, ne jetez pas ainsi l’opprobre sur des personnalités ; dans les années 1990, Xavier Bertrand était conseiller municipal de sa commune ! Où étiez-vous alors ?

Mme Perrine Goulet. Moi, j’étais encore à l’école !

Mme Pascale Fontenel-Personne. Vous tentez de nous démontrer que vos établissements sont soumis à un contrôle de la qualité probant. En théorie, peut-être ; en pratique, je ne suis pas du tout certaine que ce soit le cas.

Quelles mesures avez-vous prises ces derniers jours pour garantir aux résidents et à leurs familles que les faits relatés dans le livre de Victor Castanet ne se reproduiront plus ?

Monsieur Romersi, il est insupportable de vous entendre expliquer que la moindre qualité du service pourrait s’expliquer par le fait que certains personnels enchaînent jusqu’à trente‑huit CDD. Moi qui ai travaillé dans ce secteur, je peux vous dire que peu de personnes refusent un CDI de 35 heures ! Parmi les personnes travaillant actuellement dans le groupe Orpea, combien sont en CDD ?

Mme Michèle Peyron. Je veux tout d’abord exprimer à mon tour ma compassion et ma solidarité aux résidents, à leurs familles, mais aussi à l’ensemble du personnel du groupe Orpea ainsi qu’à celui des autres établissements, privés ou publics, recevant des personnes âgées : nous leur devons de faire toute la lumière sur ces allégations.

Est-il arrivé que des résidences de votre groupe refusent d’embaucher du personnel sur des postes financés par la Caisse nationale de l’assurance maladie ou les conseils départementaux afin de faire des économies ? Arrive‑t‑il que des personnels ne soient pas remplacés et, si oui, pour quelles raisons ? Est‑il arrivé que des établissements fonctionnent avec moins de personnel soignant que le nombre fixé par les autorités sanitaires ? Enfin, est‑il exact que le groupe a une politique d’embauche discriminatoire ?

Mme Annie Chapelier. J’attendais des explications plutôt que les actes de contrition que nous avons entendus jusqu’à présent ; je suis particulièrement choquée. Vous l’aurez constaté, plusieurs d’entre nous ont exercé, en tant que membres du personnel de direction ou en tant que soignants, une activité au sein d’EHPAD, publics ou privés, et connaissent donc très bien ce secteur.

J’ai travaillé dans un établissement où, le matin, au petit déjeuner, on donnait aux résidents le choix entre beurre et confiture... On mesure, à la lecture du livre, la mesquinerie dont on peut faire montre lorsqu’on cherche à faire des économies dérisoires. En réalité, vous voulez le beurre et l’argent du beurre, et c’est bien là que le bât blesse.

Vous décrivez la pénurie de personnels et les difficultés de recrutement, mais là n’est pas la question de fond. Celle‑ci est simple : comment peut‑on parier sur la rentabilité de cette activité ? Comment peut‑on introduire en bourse, comme vous l’avez fait en 2002, un établissement pour personnes âgées financé en partie par de l’argent public ? Que répondez‑vous à ceux qui estiment, comme c’est mon cas, que ce modèle doit être remis en question ?

Monsieur Romersi, vous vous levez chaque jour, avez‑vous dit, en pensant au bien‑être de vos pensionnaires. Comment conciliez‑vous cette pensée matinale avec le management de la journée ?

M. Philippe Charrier. Je commencerai par répondre aux questions d’ordre financier. Les chiffres cités par Mme Goulet vous donnent l’ordre de grandeur de la profitabilité d’Orpea. En 2020, le retour sur capitaux propres investis était de 5,01 %. En 2021, il sera probablement légèrement supérieur – nous ne disposons pas encore des chiffres –, car les effets de la crise de la covid se sont moins fait sentir que l’année précédente. La profitabilité de notre groupe se situe entre 5 % et, les très bonnes années, 7 %. Mais les risques sont considérables : au vu des allégations, le métier n’est manifestement pas sans risques pour les investisseurs. (Exclamations.)

Qu’en est-il des dividendes ? En 2018, un actionnaire a reçu 1,20 euro par action ; en 2019, il n’a rien perçu et, au titre de 2020, il a reçu 90 centimes.

Si le cours de notre action en bourse est beaucoup plus élevé que celui de l’action de groupes comparables, c’est parce que notre groupe est celui qui a la dimension internationale la plus importante, dans le domaine qui est le nôtre – et qui ne se limite pas aux EHPAD. Plus de la moitié de nos établissements et de nos collaborateurs se situent hors de France ; nous sommes présents dans vingt‑trois pays, de l’Amérique latine jusqu’à la Chine. Notre croissance est très vigoureuse car la qualité de nos services est jugée suffisante. Pour ce qui est de notre activité EHPAD, nous possédons 230 établissements en France, soit 3 % de l’ensemble des établissements de ce type implantés sur le territoire. Cette activité n’est pas la composante majeure de nos résultats ; nous avons d’autres activités, notamment des cliniques, qui ont fait l’objet d’un rapport très favorable de la Cour des comptes : lisez‑le !

Par ailleurs, les résidents qui arrivent dans nos EHPAD sont, il faut le dire, de plus en plus désorientés. Là est, selon moi, l’enjeu essentiel : les personnes sont accueillies dans les établissements à l’âge de 85 ou 86 ans et ont besoin de plus en plus de soins.

J’en viens aux RFA. Nos fournisseurs achètent, s’ils le souhaitent, des prestations de services. Je pense, par exemple, à la capacité de sortir des frontières françaises : grâce à nous, ils peuvent s’internationaliser, et c’est un atout majeur pour notre pays. En 2020, nous avons eu un peu de remises de fin d’année, mais uniquement pour l’aspect résidentiel. Pour ce qui est des prestations de soins remboursées par le public, ce sont des prestations de service.

Eu égard aux allégations contenues dans le livre, j’ai voulu savoir à quel niveau se situait le coût d’une couche – pardon : d’une protection jetable – pour les organismes qui nous financent. Eh bien, le prix facturé, en quelque sorte, aux autorités de santé est inférieur de 45 % au meilleur prix trouvé sur internet. Par ailleurs, on nous reproche de limiter le nombre de couches à trois par jour. Non ! À Neuilly, par exemple, il était de 4,6 en 2020 et de 5,4 en 2019. Bien évidemment, on ne les compte pas. On n’a jamais refusé une commande de protections. Il est certain que si un fournisseur est en rupture de stock ou si la commande arrive dans l’après‑midi plutôt que le matin, il peut exister de petits différentiels.

Beaucoup de questions concernent M. Yves Le Masne. Je serai très direct. Pourquoi n’est‑il plus notre directeur général ? Le conseil d’administration a estimé que le livre, que nous avons reçu très tardivement, contenait tellement de choses que nous avions l’obligation fiduciaire de tout contrôler. Les pratiques, nous les connaissons : je me rends dans des EHPAD tous les jours. Prendre soin de personnes dépendantes – non pas pour de l’argent, mais à titre caritatif –, c’est l’engagement de toute ma vie. Néanmoins, nous avons souhaité que des enquêtes indépendantes soient menées et recruté à cette fin deux cabinets, parmi les meilleurs au monde. Or vous connaissez les prérogatives d’un directeur général : c’est le patron. Son maintien n’était pas compatible avec ces deux enquêtes que nous voulons totalement indépendantes. Mais cela ne présage en rien d’une éventuelle responsabilité de M. Le Masne : nous attendons les rapports, qui engagent de grandes signatures, et dont je m’engage à vous présenter le contenu.

J’en viens à la question des rémunérations. Dans une entreprise internationale comme la nôtre, dont les actionnaires sont très souvent internationaux, la gouvernance comporte un comité de rémunération et de nomination qui a pour responsabilité de fixer la rémunération du directeur général. Celle-ci dépend d’objectifs très précis – lesquels ne sont pas uniquement financiers : je pense à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) et à des objectifs de qualité –, mesurés avec le plus grand soin et vérifiés par nos commissaires aux comptes. M. Le Masne percevra‑t‑il 2,6 millions d’euros ? Le conseil d’administration a décidé d’attendre le résultat des enquêtes extérieures avant de se prononcer sur sa rémunération.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Permettez‑moi de vous interrompre, monsieur le président‑directeur général. Si M. Le Masne a été limogé, il n’en demeure pas moins qu’il avait pour mission d’appliquer une feuille de route approuvée par le conseil d’administration, lequel compte plusieurs membres. Il ne suffit pas de couper une tête pour que les choses changent ! Répondez donc à nos questions, qui portent sur la stratégie mise en œuvre depuis des années.

M. Philippe Charrier. Le conseil d’administration m’a nommé pour que je fasse toute la lumière sur les allégations contenues dans le livre – et ce n’est pas une sinécure. Nous irons jusqu’au bout.

Madame la présidente, la mission du directeur général est très large, car la stratégie d’un groupe comme le nôtre, présent dans vingt‑trois pays, de la Chine à l’Amérique latine, inclut certes les EHPAD, mais ne se limite pas à ce seul métier.

Mme Monique Iborra. Justement, vous avez trop de métiers !

M. Philippe Charrier. S’agissant des EHPAD, la seule donnée dont je dispose est le classement des Échos : nous ne sommes pas les derniers de la classe.

Quant aux masques, nous avons été les premiers en France à en fournir à nos résidents et à nos collaborateurs – et ce grâce à l’un de nos établissements, situé en Chine – alors que leur coût était à l’époque cinq à dix fois supérieur à ce qu’il est habituellement. C’est parce que nous avons dépensé cet argent pour assurer la protection de nos résidents et de nos collaborateurs que nos profits ont beaucoup baissé en 2020.

M. Jean-Christophe Romersi. Tout d’abord, je vous présente mes excuses si vous estimez que mes réponses ne sont pas suffisamment précises ; je m’efforce d’être le plus précis possible en vous expliquant notre mode de fonctionnement.

Madame Iborra, je ne remets évidemment pas en question vos compétences et votre parfaite connaissance de ces questions, mais vous m’avez interrogé sur les ratios d’encadrement...

Mme Monique Iborra. Puisque vous revenez sur le sujet, ma question portait, non pas sur le taux général d’encadrement – qui, du reste, avant 2017, était fixé par le ministère de la santé –, mais sur les infirmières et les aides‑soignantes qui travaillent auprès des résidents. Or, sur ce point, vous n’avez pas répondu. Certes, vous avez des médecins coordonnateurs et des cadres régionaux : ce modèle ne vous est pas propre. Mais, au regard des établissements du secteur public notamment, les personnels qui travaillent auprès des résidents dans vos EHPAD sont en nombre insuffisant. Pourtant, avec les bénéfices que vous réalisez – dans certains établissements, le reste à charge atteint 7 000 euros –, vous pourriez recruter !

M. Jean-Christophe Romersi. Madame Iborra, dans nos établissements, le ratio d’aides‑soignants et d’IDE doit se situer entre 0,46 et 0,50 équivalents temps plein par résident. Je ne remets pas en question les conclusions de votre rapport, mais nous arrivons au bout du système de convergence tarifaire, dont je me permets de dire un mot rapide.

Dans le cadre de ce système, le montant alloué à un établissement est fonction du GMP et du PMP. Or les établissements privés commerciaux recevaient 70 % du financement qui, selon cette formule, devait leur être alloué pour la prise en charge des personnels soignants, par exemple. Et, tout au long de la convention tripartite, une dotation cible devait arriver à l’échéance de cinq ans. D’ailleurs, les soignants qui sont descendus dans la rue il y a quelques années, notamment au moment de la mise en œuvre de la convergence tarifaire, étaient ceux du public et non ceux du privé, car les établissements privés commerciaux recevaient des dotations inférieures de 30 % en moyenne aux besoins. C’est un fait. Désolé, ces formules technocratiques qui permettent de transformer un besoin en financement ne viennent pas de nous. Je ne suis pas un financier : je m’occupe de l’accompagnement des personnes.

S’agissant de l’hébergement, vous avez indiqué que, dans certains de nos établissements, le montant du reste à charge pouvait atteindre 7 000 euros par mois mais, dans la majorité des établissements de notre groupe, il s’élève à 2 000 euros ou 2 100 euros par mois. J’ajoute que rien de ce qui relève de l’hébergement n’est financé par le public : c’est l’entreprise qui finance, sur ses propres deniers, l’achat du terrain, la construction du bâtiment, l’amortissement. Ces coûts, qui varient en fonction notamment du prix du foncier – lequel n’est pas le même à Paris et en région – sont logiquement intégrés dans le tarif de l’hébergement.

On a beaucoup parlé de l’établissement de Neuilly‑sur‑Seine. Dans cet établissement comme dans d’autres, nous utilisons, faute d’un financement suffisant de la prise en charge, le prix de l’hébergement pour financer des soins, et ce à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année.

Je ne vais pas nier, madame Vidal, que nous avons un logiciel qui s’appelle GMASS. Il sert, effectivement, à assurer un pilotage et des remontées d’information sur les charges, comme dans toutes les entreprises. Est‑ce que je trouve normal de sacrifier la prise en charge pour des raisons financières ? Non, et cela n’a jamais été dans mes convictions. Jamais je ne demanderai cela. J’ai 43 ans, et je suis dans cette entreprise depuis quinze ans ; je ne suis pas arrivé en tant que directeur général. Je sais pourquoi je fais ce métier.

NOP existe‑t‑il ? Bien sûr. Comme dans toutes les entreprises, il y a des charges variables et des charges fixes.

Si de l’argent public n’est pas utilisé au travers des comptes d’emploi, du dialogue de gestion avec les autorités, d’une affectation à du matériel, à des formations ou à une amélioration des conditions de travail des personnels – c’est un sujet important, sur lequel il y a beaucoup à faire et nous y travaillons, comme nous le faisons concernant les résidents, qui sont les premières personnes auxquelles nous devons être attentifs –, cet argent est refléché dans le cadre de discussions avec les autorités ou il va sur des comptes de compensation, dont vous connaissez parfaitement les mécanismes.

S’agissant de la maltraitance, j’ai essayé de vous répondre tout à l’heure. Toute suspicion en la matière doit faire, chez nous, l’objet d’un signalement puis d’une investigation réelle, sérieuse et profonde.

Quand j’ai parlé de trente‑huit CDD, c’était simplement pour dire que j’ai accepté de signer ces contrats successifs parce que la personne en question connaissait l’établissement et les résidents et que je voulais qu’elle soit fixe, quel que soit son choix en matière de statut. Mais je vous assure que tous les salariés ne veulent pas des CDI. Vous m’avez interrogé sur le nombre de CDD en cours dans l’entreprise. Leur part est de 18 %. Cela signifie que 82 % de nos salariés sont en CDI.

Concernant les discriminations à l’embauche, jamais, au grand jamais, je n’en pratiquerai, à l’encontre de qui que ce soit. Ce sont les valeurs de notre entreprise. Nous travaillons avec beaucoup d’associations pour l’insertion de jeunes femmes, quelle que soit leur origine, y compris sociale, et nous menons beaucoup d’autres actions en faveur de l’insertion à travers notre fondation. Je ne citerai pas le nom des associations avec lesquelles nous travaillons car ce n’est pas l’objet de cette réunion et je ne veux pas, par respect pour toutes ces personnes, faire de lien.

Quant à la question portant sur la différence de 860 euros, en moyenne, entre le public et le privé, je pense y avoir répondu, notamment lorsque j’ai évoqué la construction des EHPAD.

Madame Chapelier, qui a dit avoir travaillé dans un établissement où l’on demandait aux résidents de choisir entre le beurre et la confiture, est partie. Elle n’a pas indiqué si c’était chez nous – je voulais lui poser la question.

Jamais je ne demanderai de choisir entre le beurre et la confiture.

M. Didier Martin. Chez vous, ce n’est ni l’un ni l’autre !

M. Jean-Christophe Romersi. Non, s’il vous plaît...

Il y a beaucoup de questions et un fort déchaînement médiatique et émotionnel, car c’est un sujet extrêmement sensible. Nous sommes venus pour vous apporter le plus de réponses possible, pour vous donner les premiers éléments, mais nous ne pouvons pas répondre à tout, même à l’occasion d’une audition de deux heures. Pardonnez-moi, mais je n’ai pas l’habitude de répondre à autant de questions à la volée.

Nous surveillons la dénutrition. Entre 45 % et 50 % des personnes âgées qui entrent dans un de nos établissements sont dénutries. Nous faisons un suivi systématique, reposant sur l’albuminémie, l’indice de masse corporelle et l’évolution du poids, grâce à des pesées mensuelles. Six mois après leur entrée chez nous, 70 % des résidents dénutris ont recouvré un état nutritionnel normal, et le taux est encore de 67 % au bout d’un an.

Vous nous reprochez des propos technocratiques. Mais nous tenons à votre disposition les éléments en matière de prise en charge et d’accompagnement – notre mission première.

Par ailleurs, mesdames et messieurs les parlementaires, si vous voulez venir dans nos établissements, faites‑le ! Venez voir le travail qui est réalisé, prenez le temps de regarder ce que nous faisons réellement.

Je ne dis pas que ce qui figure dans le livre n’est jamais arrivé ou n’existe nulle part – ce sont des métiers humains, et on peut se tromper – mais je voudrais revenir sur l’idée d’un système dans lequel tout serait organisé uniquement dans un but lucratif, au détriment de l’humain. Si un tel système existait dans l’entreprise, dans ce que nous faisons au quotidien auprès des résidents, je ne serais pas resté à Orpea.

Il y aura, bien sûr, des enquêtes, des ouvertures. Toute la lumière sera faite, comme nous nous y sommes engagés.

M. Philippe Charrier. Mme Peyron a parlé de « révélations » faites par le livre. Je suggère d’utiliser le terme, plus précis, d’« allégations ».

Permettez‑moi d’ajouter deux choses. D’abord, venez dans nos EHPAD, où vous voulez et quand vous voulez.

Ensuite, nous faisons des investigations, et vous aurez tous les éléments. Vous avez, avec Orpea, un leader mondial dans un métier. La France n’en a pas beaucoup... La rentabilité sur capitaux propres était de 5 % en 2020, les dettes s’élèvent à environ 7 milliards d’euros. Nous avons une responsabilité très importante. C’est de l’avenir de notre société qu’il est question.

J’évolue dans le monde de l’entreprise depuis très longtemps, et je suis cadre dirigeant depuis plus de vingt‑cinq ans : je peux vous dire que les plus belles entreprises sont fragiles. Soyons donc très prudents. On peut détruire une entreprise sur la base d’allégations. J’ajoute que nous prenons soin de 70 000 résidents dans le monde entier.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je tiens à vous rassurer : nous ne sommes pas là pour détruire des entreprises – nous les avons plutôt soutenues face à la crise –, mais pour veiller sur nos aînés, qui doivent être bien accompagnés jusqu’à la fin de leur vie. C’est la dignité qui importe avant tout.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Pour comprendre comment les faits qui sont reprochés aux établissements d’Orpea ont pu se produire, il me semble important de vous interroger sur la politique de recrutement de votre groupe.

J’ai constaté sur votre site officiel que plus de 700 offres d’emploi, pour des postes d’aides‑soignants et d’infirmiers, étaient actuellement proposées. Mais près de 700 annonces ont été mises en ligne depuis le 28 janvier, il y a six jours.

Ce déploiement massif d’offres d’emploi correspond-il à votre fonctionnement normal en matière de recrutements ? Peut‑on l’expliquer par un important turnover dans les établissements, et quels sont les chiffres dans ce domaine ? Sinon, faut‑il interpréter la multiplication des offres d’emploi comme une réaction à la polémique actuelle ?

S’agissant des salariés recrutés, je souhaite que vous nous donniez davantage d’indications quant à votre politique salariale. Dans ce secteur où la relation humaine est si importante, quelles mesures appliquez‑vous pour fidéliser votre personnel et assurer une continuité de fonctionnement dans vos établissements ?

J’espère que vos réponses éclaireront l’Assemblée nationale.

Mme Mireille Robert. La lecture du livre de Victor Castanet interroge, sinon scandalise, par la mise au jour de certaines pratiques. Nous verrons s’il s’agit ou non d’allégations... Les cas décrits sont, je tiens à le dire, parfaitement ignobles. Rien ne peut justifier, par exemple, qu’on laisse dégénérer des escarres. C’est une torture infligée à une personne fragile. Je ne connais pas de personnel soignant qui laisserait cela se faire sans être lui‑même maltraité, soumis à des conditions de travail et à des pressions indignes. La responsabilité systémique de l’entreprise est évidente. Nous devons vous interroger sur le fonctionnement d’un groupe très prospère, grâce à de l’argent public – dont il revient aux députés de contrôler l’usage.

Depuis 2017, vous étiez le président non exécutif du conseil d’administration d’Orpea. Selon le règlement intérieur, son rôle est de diriger les orientations et la politique générale du groupe, notamment à travers l’adoption ou la modification du budget annuel et du plan d’affaires. Vous aviez voix prépondérante, ce qui marque votre importance. Sans avoir de rôle exécutif, vous décidiez. En tant que membre du conseil d’administration, vous devez également consacrer vos meilleurs efforts à promouvoir en toutes circonstances les valeurs et l’image de la société. Parmi les comités d’études qui peuvent vous aider figure celui chargé de la RSE et de l’innovation. Mais je me demande à quoi sert ce dernier à la lecture du livre.

On sait l’importance, dans les EHPAD, d’un personnel formé, compétent et dévoué. Compte tenu du turnover assez inquiétant mis en avant par Victor Castanet, avez‑vous déclenché des enquêtes internes ?

Concernant les droits syndicaux, manifestement entravés, quelle est votre position ?

S’agissant des patients, est‑il normal de ne pas avoir de stock suffisant de protections, d’en rationner l’usage, à l’encontre de toute prévention sanitaire, de manquer de matelas anti‑escarres et enfin, malgré vos dires, d’avoir des taux de dénutrition affolants parmi vos résidents ?

M. Thierry Michels. Avant toute chose, je tiens à dire mon soutien entier aux résidents, à leurs proches et au personnel de terrain des établissements d’Orpea. J’ai une pensée particulière, en tant que député du Bas‑Rhin, pour les trois établissements de mon département et, au‑delà, pour tous nos aînés en France et pour les personnes qui s’engagent à leur service : tous sont choqués par les faits rapportés dans le cadre de l’enquête Les Fossoyeurs.

Ma première question concerne votre système qualité, à savoir le traitement des incidents « indésirables », dont M. Romersi a dit qu’il y en avait eu 391 en 2021. Ces incidents peuvent affecter d’une manière tragique la santé des patients. Je fais référence aux faits décrits à partir du chapitre VI, intitulé « Qui a tué Françoise Dorin ? » Comment la direction générale a‑t‑elle connaissance de ces incidents ? Quels sont votre plan d’action et votre suivi ?

Que faites‑vous de l’allégation selon laquelle l’ancien directeur général délégué en charge de l’exploitation, M. Jean‑Claude Brdenk, parti récemment, aurait balayé d’un revers de main, lors d’un comité exécutif, les indicateurs de qualité en matière de soins ? Êtes‑vous prêts, dans l’esprit de transparence qui doit nous animer pour rassurer nos aînés et les familles, à rendre publics les documents correspondants ?

Que pouvez‑vous nous dire des pratiques concernant les remises de fin d’année, décrites aux chapitres XV et XVI du livre ? Les protections jetables, comme les fournitures et prestations relatives à la dépendance, font l’objet de dotations de l’État et des conseils départementaux. Votre groupe négocierait des RFA très agressives, ayant pour conséquence une réduction de la qualité des produits au détriment du service apporté aux résidents, ce qui est une source de maltraitance mais aussi de profits supplémentaires. Monsieur Charrier, êtes‑vous prêt à rendre publiques les informations qui permettraient de faire toute la transparence sur cette question et de tordre le cou à ce qui est reproché au groupe Orpea ?

Permettez-moi aussi, monsieur Romersi, de réagir à vos propos concernant les difficultés de recrutement que vous rencontrez au vu de la situation générale de l’emploi dans le secteur médico‑social. On pourrait imaginer, compte tenu des résultats financiers excellents du groupe, que vous ayez une politique de recrutement attractive pour assurer le bien‑être des résidents et la qualité de vie au travail.

M. Nicolas Turquois. La fin de vie nous préoccupe tous. Nous savons combien il est compliqué pour des enfants de placer leurs parents en EHPAD et que nous devons, en tant que pouvoirs publics, progresser sur ce sujet. Cela étant, j’avoue être outré par cette audition, par la qualité des réponses – ou leur absence – à certaines questions clairement posées.

J’ai entendu lors de vos interventions liminaires un discours creux au sujet des grands principes – « bienveillance », « loyauté », « primauté de l’humain »... Après la première série de questions, des arguments technico‑administratifs et des chiffres nous ont été servis pour noyer le poisson.

À la suite de la deuxième série de questions, vous avez évoqué la facturation de prestations de services, ce qui correspond exactement aux pratiques des grandes surfaces que nous avons constatées en matière de marges arrières.

Vous avez parlé du risque de détruire de belles entreprises françaises : je suis le premier à être fier d’elles quand elles se caractérisent par leur excellence... mais ce n’est pas le terme qu’on imagine accoler au nom d’Orpea.

Il n’y a eu aucune excuse de votre part, seulement l’évocation d’« événements indésirables ». Comment peut-on débrancher un président‑directeur général pour des « événements indésirables » ? Vous n’avez pas non plus parlé de la vente, par cette personne, de 5 000 actions, après l’annonce de la publication du livre, selon les révélations faites hier par Le Canard enchaîné.

Monsieur Charrier, comment pouvez‑vous intervenir en regardant en permanence votre téléphone portable ? Comment pouvez‑vous déclarer que votre rôle n’était pas de vous occuper du quotidien ? Un président est derrière les objectifs de long terme, la philosophie d’un groupe, il vérifie la cohérence entre les objectifs et ce qui est réalisé. Qu’avez‑vous fait ? Si la qualité de l’accueil n’est pas au cœur de la philosophie du numéro 1 de la retraite, que faites‑vous ?

Selon un article paru hier dans La Nouvelle République, dans mon département de la Vienne, une de vos résidentes est décédée après être tombée, en fauteuil roulant, dans un escalier non protégé. Sa fille s’était étonnée à plusieurs reprises de ses bleus et de ses lunettes cassées, sans avoir de réponse. Aujourd’hui, Le Journal de Saône-et-Loire indique que le directeur du seul établissement Orpea de ce département a été licencié quelques minutes après avoir reçu des journalistes.

Pouvez‑vous commenter vos propres responsabilités au sein du groupe ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Je voudrais également dire à quel point je suis outrée par la posture de MM. Charrier et Romersi qui, depuis deux heures, ne répondent pas à nos questions. Je salue la décision de la ministre déléguée d’avoir immédiatement lancé une enquête administrative et une enquête fiscale : force est de constater que nous n’aurons aucune réponse spontanée.

J’ai évidemment une pensée pour les résidents mais aussi pour les professionnels du grand âge. Tout cela jette l’opprobre sur l’ensemble d’entre eux, quel que soit leur statut, alors qu’une très grande majorité travaille auprès de nos aînés avec dévouement et bienveillance.

Comme l’a dit Mireille Robert, pour que ce type de pratiques – qui ne sont pas des actes isolés, comme vous le semblez le dire – aient cours, c’est qu’un système a été mis en place. Comment est‑ce possible dans une entreprise telle que la vôtre ?

Une enquête réalisée par Mediapart en 2015 évoquait des pratiques d’espionnage des salariés, du chantage et des menaces. Le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, mentionne également la création d’un « syndicat maison », Arc‑en‑Ciel, poussé par la direction pour étouffer les organisations syndicales représentatives existantes, notamment FO, la CGT et la CFDT. Des fraudes aux élections professionnelles auraient eu lieu, de même que des négociations avec le « syndicat maison », pour étouffer les signalements et écarter les personnes qui dénonceraient le système. Mes questions sont très claires, mais je sais que vous n’y répondrez pas : ces méthodes sont‑elles avérées ? Le conseil d’administration en avait‑il connaissance ?

Comme Nicolas Turquois l’a souligné, il est tout à fait inadmissible que vous nous expliquiez que vous n’êtes pas certain de pouvoir nous répondre parce que le conseil d’administration ne s’occupe pas du quotidien. Ce sont des propos choquants : il est question de la manière dont sont traités, ou maltraités, vos résidents et vos personnels.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Beaucoup de questions précises ont été posées par mes collègues, dans l’intérêt des personnes âgées, des familles et des milliers de professionnels qui travaillent avec engagement et dévouement pour le bien‑être de nos aînés – je leur adresse mes pensées.

J’espérais de votre part la transparence et l’humilité que vous devez aux contribuables français et aux familles. Honnêtement, quelle déception ! Nous assistons à une mascarade dans laquelle tantôt vous brandissez vos cahiers des charges et vos éléments de langage insipides, tantôt vous vous servez de vos collaborateurs comme bouclier. Et en plus, vous avez l’arrogance de nous expliquer le fonctionnement de la dépendance !

Les faits graves qui ont été dénoncés et votre comportement conduisent à s’interroger. Quand les familles vous versent entre 7 000 et 12 000 euros par mois, alors que la puissance publique vous a déjà payé une partie des soins, il me semble que vos résidents peuvent attendre des prestations d’excellence, voire un certain confort. À ce tarif, une prise en charge complète à domicile pourrait être organisée.

Compte tenu des profits astronomiques de votre groupe et des dénonciations effarantes dont vous faites l’objet – rationnement des couches, une atteinte à la dignité, dénutritions répétées, escarres négligées –, quelle est la plus‑value de votre groupe dans l’accompagnement du grand âge ? A‑t‑il encore sa place auprès de nos personnes âgées ?

M. Jean-Louis Touraine. Vous avez indiqué, monsieur le président‑directeur général, qu’Orpea est un groupe humaniste, dans lequel le profit importe moins que la qualité de l’accompagnement des résidents et la qualité de vie au travail du personnel. Le directeur général délégué en charge de l’exploitation et du développement a pourtant expliqué, avant de partir, qu’Orpea a un « marché » prévisible, se caractérisant par un nombre croissant de « clients » à accueillir dans les années à venir. Quant à votre prédécesseur, avec lequel vous travailliez depuis 2017, il n’a pas laissé une image d’humaniste – je ne parle pas de sa précipitation à vendre ses actions du groupe avant que leur cours ne s’effondre. Que prévoyez-vous donc de changer pour faire d’Orpea un groupe humaniste ?

Outre l’enquête de Victor Castanet, de nombreux témoignages existent, dont certains vont jusqu’à évoquer des maltraitances graves et des injections de produits létaux sans l’autorisation des malades ni l’information des proches. Vous contestez l’ensemble de ces propos. Tous ceux qui les ont tenus sont‑ils donc des menteurs ?

M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, et Mme Michèle Delaunay, ancienne ministre, disent l’un et l’autre que le concept même d’EHPAD privé à but lucratif est très discutable. Qu’en pensez-vous ?

M. Marc Delatte. À la clôture de la cotation, hier, l’action d’Orpea avait progressé de 3,35 %. On pourrait penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, monsieur le président‑directeur général. À la lecture d’un journal satirique paraissant le mercredi, on pourrait aussi penser que le groupe a les moyens d’acheter des tas de biscottes et de protections pour les résidents de ses établissements.

Comment les pratiques managériales d’un système très lucratif – qui n’a pu être élaboré que sciemment – ont‑elles conduit à des dérives affectant la dignité de personnes dépendantes ? Comment, au nom d’une performance toute financière, a‑t‑on pu nier l’objet du soin, la personne vulnérable – je cite un avis rendu en 2018 par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé – mais aussi créer de la souffrance pour le personnel et les familles ?

Comme tous les parlementaires, j’ai visité les EHPAD de ma circonscription. J’y ai même travaillé bénévolement lors de la première vague du covid, aux côtés d’un personnel en souffrance que Brigitte Bourguignon a écouté, lors de ses déplacements, et qu’elle a soutenu. Nous avons créé une cinquième branche de la sécurité sociale et fait le Ségur de la santé afin d’apporter aux EHPAD une aide plus que substantielle.

Pouvez‑vous affirmer que la nourriture et les protections n’ont jamais été rationnées dans certains de vos établissements ? Avez‑vous élaboré, oui ou non, un système de rétrocessions et de marges arrières au niveau managérial ?

Le département de l’Aisne, dont je suis député, compte un nombre significatif de résidences d’Orpea. Comment ont‑elles obtenu l’agrément à l’époque ? Ce sont des questions simples, issues du livre de Victor Castanet, auxquelles il est facile de répondre.

Mme Bénédicte Pételle. Les dysfonctionnements révélés dans ce livre font mal aux personnels des EHPAD et surtout aux familles et aux résidents. Sans céder à des généralités hâtives, je tiens à renouveler mon soutien à toutes les personnes, bénévoles et professionnels rencontrés dans ma circonscription, qui s’investissent avec humanité au service de nos aînés.

Les personnes que vous accueillez en EHPAD restent dix‑huit mois en moyenne. La question de la fin de vie a donc une importance primordiale. Vous avez parlé d’une activité humaine, en disant que la bienveillance et l’humanité étaient vos valeurs. Pourtant, l’auteur des Fossoyeurs évoque une personne euthanasiée sans son contentement, ni celui de sa famille. Par ailleurs, plusieurs personnes sont décédées à cause de chocs septiques faisant suite à des escarres mal soignées, là aussi sans information des familles.

Profondément meurtrie, mais consciente de la complexité des situations, j’aimerais savoir quelles sont les orientations de votre entreprise concernant la place des familles, le rôle de la formation des soignants et non‑soignants et la place des soins palliatifs pour accompagner avec humanité les personnes accueillies dans vos EHPAD jusqu’à leur dernier souffle.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je vous serais reconnaissante, messieurs, d’apporter des réponses claires et sobres, sans l’enrobage affectif auquel nous avons bien du mal à être sensibles. Vos propos confus ne nous rassurent pas quant aux accusations formulées par Victor Castanet et quant à votre volonté de transparence et de coopération.

À la suite de mes collègues, je tiens à souligner que les faits décrits, s’ils sont avérés, ne sont pas représentatifs de tous les EHPAD. Je peux en témoigner, moi aussi, s’agissant de ma circonscription.

Je souhaite vous interroger, comme Charlotte Parmentier‑Lecocq, sur la situation des personnels d’Orpea. Pour pouvoir espérer que les résidents soient bien traités, encore faut‑il que dans la société « humaniste » dont vous avez parlé, les salariés puissent être écoutés et représentés justement. Quelle représentation vous faites‑vous de leurs droits ? Confirmez‑vous les faits décrits à propos des salariés membres de la CGT, ou accompagnés d’un de ses représentants, et de l’indépendance syndicale d’Arc‑en‑Ciel ? Des moyens peuvent être mis à la disposition de l’ensemble des syndicats dans le cadre d’un accord ; le paiement de déplacements était‑il octroyé seulement aux délégués du syndicat Arc‑en‑Ciel ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous redonne la parole, messieurs Charrier et Romersi, pour des éléments de réponse que nous souhaitons les plus clairs possible.

M. Philippe Charrier. Monsieur Turquois, veuillez m’excuser de ne pas avoir dit d’emblée que j’utiliserais mon Smartphone comme tablette. Si vous me voyez pianoter, c’est que j’essaie de trouver une information pour répondre à vos questions. Il est assez difficile, de nos jours, de travailler sans le numérique... Je ne voudrais pas que vous imaginiez que j’étais en train d’envoyer des textos personnels au moment où vous me parliez.

Il a été dit que le cours en bourse a augmenté hier. Je pourrais répondre qu’il a baissé aujourd’hui – il n’est pas très affriolant.

Revenons à l’essentiel, notre métier, le soin pour nos résidents. Face à des allégations portant sur des cas particuliers, concernant des résidents et des familles, nous ne pouvons pas faire de commentaires publics, car cela touche à la vie privée. En revanche, nous avons des dossiers très précis qui seront évidemment communiqués dans le cadre des enquêtes diligentées par la ministre déléguée, laquelle aura tout loisir d’en tirer des conclusions. Nous avons examiné ces allégations très soigneusement. Chaque cas difficile est naturellement terrible pour les familles. Même s’il n’existait qu’un seul cas, ce serait horrible pour elles. Dès qu’on peut adapter, modifier, améliorer nos systèmes de soin, nous le faisons, bien sûr.

Si notre activité va grandissant, c’est pour une raison démographique très simple : de plus en plus de personnes atteignent l’âge de 85 ans, qui est l’âge moyen d’entrée en EHPAD. Cela entraîne naturellement un surcroît d’activité.

Vous avez dit que la situation était terrible pour les résidents. Je suis prêt à l’entendre, mais je voudrais partager avec vous une seule donnée, grâce à mon téléphone portable, qui concerne les entrées et les sorties, aujourd’hui. Ces allégations ont‑elles entraîné une vague de départs de nos établissements ? Non, ce n’est pas le cas, il y a très peu de départs.

Mme Perrine Goulet. Il n’y a pas de places ailleurs !

M. Jean-Christophe Romersi. Une question portait sur la place des familles dans nos résidences. Vous connaissez les conseils de la vie sociale, qui se réunissent au moins trois fois par an, les commissions d’animation et les commissions de restauration, elles aussi importantes. Quand une personne entre chez nous, nous demandons la réalisation d’un bilan d’intégration à la fin du premier mois pour faire le point avec le résident et/ou la famille, sur la façon dont il s’adapte à la vie dans l’établissement. Un entretien a lieu avec la direction et, pour la partie médicale, avec le psychologue et le médecin coordonnateur.

Nous déclarons les événements indésirables aux autorités. Nous recevons aussi des courriers de réclamation, qui donnent lieu à des rendez-vous et à des retours aussi exhaustifs que possible.

Les situations décrites dans le livre, si elles sont avérées, sont inacceptables, évidemment. M. Charrier a invoqué le devoir de réserve, que nous devons respecter. Il y a également le secret médical. Nous ne pouvons pas nous exprimer sur certains dossiers, qui ne peuvent être examinés et analysés que par les personnes compétentes. Si les faits décrits dans le livre devaient être avérés, nous les reconnaîtrions et en discuterions en toute transparence ; car ils seraient inacceptables.

Toutes les familles en éprouvant le besoin peuvent solliciter un rendez‑vous avec la direction de l’établissement. Ces entretiens sont mentionnés dans les dossiers administratifs.

Avant de passer la parole à M. Bertrand Desriaux, pour les questions de ressources humaines, je voudrais rappeler que nous avons versé en 2021 5,6 millions d’euros – soit 600 euros par salarié – dans le cadre de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat voulue par M. Macron. Outre les primes financées par l’État qui ont été versées aux salariés à l’issue de la première vague du covid, nous avons décidé d’attribuer, en fonction des mêmes critères – selon les départements, plus ou moins touchés –, des primes d’investissement, allant de 1 000 à 1 500 euros par personne – soit plus de 13 millions d’euros.

Après la première vague, nous avons mandaté un organisme indépendant pour mener une enquête auprès des familles et des résidents. Il s’agissait de connaître leur ressenti s’agissant des moyens humains et de communication déployés durant la crise. Nous avons également interrogé les salariés en juin 2020 pour savoir comment ils avaient vécu la crise sanitaire. Plusieurs enquêtes d’engagement ont été menées, par le cabinet Korn Ferry notamment ; l’une d’entre elles est en cours. Tout cela est très technique mais absolument nécessaire pour mesurer les choses d’une manière très précise – cela fait partie de nos obligations.

En ce qui concerne le nombre d’offres d’emploi publiées, les postes disponibles sont mis à jour régulièrement. Je ne crois pas que nous ayons augmenté le nombre de postes affichés sur notre site internet en lien avec la sortie du livre. Nous avons toujours des centaines de postes à pourvoir. Nous ferons, là aussi, toute la transparence : cela sera rendu public.

Je voudrais passer la parole à M. Bertand Desriaux pour les questions restantes.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je crois que nous allons en rester là. La représentation nationale, je vous le dis franchement, est déçue par la qualité de vos réponses – ou par leur absence. Je ne vous cache pas ma déception.

En revanche, je me réjouis de la double enquête de l’IGAS et de l’IGF lancée par la ministre : ses conclusions éclaireront sans nul doute la représentation nationale. Nous poursuivrons, par ailleurs, notre cycle d’auditions en entendant dès que possible Victor Castanet, l’ARS Île-de-France et les responsables du département des Hauts‑de‑Seine.

Je vous remercie.

La séance est levée à seize heures cinquante.

 

 

 


  1 

Présences en réunion

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 14 heures 15

 

Présents.  Mme Stéphanie Atger, M. Philippe Chalumeau, Mme Annie Chapelier, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, Mme Cécile Delpirou, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Catherine Fabre, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Perrine Goulet, Mme Myriane Houplain, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Fadila Khattabi, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, Mme Michèle Peyron, M. Alain Ramadier, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Michèle Victory, Mme Annie Vidal

Excusés.  Mme Justine Benin, Mme Josiane Corneloup, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Valérie Six

Assistaient également à la réunion.  M. Guillaume Chiche, M. Sébastien Huyghe, Mme Chantal Jourdan, M. Gérard Leseul, Mme Valérie Rabault, M. François Ruffin, M. Denis Sommer, M. Michel Zumkeller