Compte rendu

Commission
des affaires sociales

 Auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea : Mme Sophie Boissard, directrice générale du groupe Korian, et M. Nicolas Mérigot, directeur général France              2

 Présences en réunion.................................29

 

 

 

 


Mercredi
16 février 2022

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 41

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente,
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 février 2022

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

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Dans le cadre des auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, la commission auditionne Mme Sophie Boissard, directrice générale du groupe Korian, et M. Nicolas Mérigot, directeur général France.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons notre cycle d’auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea et élargissons quelque peu le champ de nos travaux pour entendre les dirigeants du groupe Korian, premier acteur français de l’hébergement des personnes âgées dépendantes. Je souhaite la bienvenue à Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian, et à M. Nicolas Mérigot, directeur général France, et les remercie d’avoir répondu à notre invitation.

L’ouvrage Les Fossoyeurs, de M. Victor Castanet, fait état de dysfonctionnements majeurs au sein des EHPAD et cliniques du groupe Orpea, aboutissant à des situations de maltraitance profondément choquantes. J’insiste une nouvelle fois sur le fait que cette affaire ne doit pas conduire à jeter l’opprobre sur l’ensemble des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, pas plus que sur leurs personnels, alors que la très grande majorité d’entre eux prennent soin de nos aînés avec professionnalisme et humanité.

Cela étant, les faits dénoncés dans l’ouvrage nous imposent d’entendre les différents acteurs afin de comprendre comment de tels faits, s’ils sont établis, ont pu se produire. Compte tenu de la place du groupe Korian dans le secteur médico-social, il paraissait particulièrement important de vous entendre pour avoir votre éclairage et votre appréciation sur les pratiques dénoncées et sur l’organisation de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, et les premières conclusions que vous en tirez.

Par ailleurs, l’ouvrage de M. Victor Castanet évoque certains faits qui concernent directement Korian, notamment le recours à la pratique de marges arrière sur l’achat de dispositifs médicaux financés par l’argent public et sur des prestations réalisées par des laboratoires de biologie médicale. Nous souhaiterions vous entendre sur ces faits.

Vous avez la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes. Les orateurs des groupes, puis les députés qui le souhaitent, vous poseront ensuite leurs questions.

Mme Sophie Boissard, directrice générale du groupe Korian. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d’abord vous remercier de nous donner l’occasion de nous exprimer devant votre commission. Nous le faisons dans un contexte très difficile, après l’émotion et la sidération qu’ont suscitées, pour nous aussi, la publication du livre de Victor Castanet.

Le groupe Korian est l’un des acteurs les plus importants du secteur médico-social et sanitaire auprès des personnes âgées et fragiles. Il était donc très important pour moi, en tant que directrice générale du groupe, de pouvoir échanger avec la représentation nationale sur ce que sont nos principes, nos valeurs, la vision que nous avons de notre métier et de notre mission – une mission d’intérêt général, je n’ai pas peur de le dire – et, plus généralement, sur la manière dont nous percevons ce qui ressort du livre de Victor Castanet.

Avant de prendre position sur ce point, j’aimerais faire un propos liminaire plus personnel. Je trouve l’exercice de cet après-midi particulièrement difficile, parce que j’ai tout à fait conscience que les sujets que nous allons aborder – le grand âge, l’accompagnement de personnes fragiles ou celui d’un proche dans les dernières années de sa vie – sont, par essence, éminemment intimes et personnels. Ils concernent ou ont concerné chacune et chacun d’entre nous dans cette salle, et probablement chacune des personnes qui regardent cette audition. Cela peut renvoyer chacun de nous à des situations vécues, faire revivre le souvenir d’un être cher, rappeler des expériences ou des émotions extrêmement douloureuses.

Je vous prie par avance de m’excuser si, dans le cours de cette audition, certains des termes que j’emploie peuvent vous paraître secs ou dénués d’empathie. Ce n’est pas le cas, mais il n’est pas facile de décrire une situation générale qui renvoie, en réalité, à des situations très quotidiennes, très intimes et très personnelles.

J’aimerais faire une dernière remarque d’ordre personnel pour vous expliquer ce qui m’a amenée à assumer les fonctions de directrice générale du groupe européen Korian. Ce qui m’a conduite à m’engager dans cette voie et à accepter ce poste il y a six ans, c’est une expérience que j’ai faite, il y a de nombreuses années.

Ma famille est franco-néerlandaise et mes deux grands-mères, auxquelles j’étais très attachée, ont connu l’une et l’autre des accidents très sérieux au cours de leur vie. Cela m’a permis de constater que les modes d’accompagnement étaient très différents en France et aux Pays-Bas. Il a été très facile de trouver, pour ma grand-mère néerlandaise, une résidence de services, abordable et à proximité de chez elle, puis un réseau de soins intégrés, ce qui lui a permis de vivre ses dernières années dans un environnement très protégé. Ma grand-mère française, quant à elle, a vécu vingt ans, après avoir fait un accident vasculaire cérébral très sérieux. Or elle n’a eu le choix qu’entre un EHPAD très médicalisé, qui n’était manifestement pas adapté à sa situation, et un défilé d’intervenants à son domicile, le premier venant livrer le repas, le deuxième s’occupant de sa rééducation, et le troisième l’aidant à faire les gestes de la vie quotidienne. Il ne nous a pas été possible de la laisser dans l’environnement qui aurait été le plus souhaitable pour elle.

C’est cette expérience qui m’a poussée à m’engager au sein du groupe Korian. Né en France, il est devenu un acteur européen du grand âge et est désormais présent dans sept pays, notamment en Europe du Nord. J’avais la conviction qu’un acteur comme celui-ci pouvait, en complémentarité avec les acteurs publics locaux et associatifs, contribuer à faire changer les modes de prise en charge du grand âge, en introduisant des types d’organisation et des manières de faire différentes, qui n’existaient pas dans notre pays.

J’en viens maintenant au thème même de cette audition. J’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement : les faits décrits dans le livre Les Fossoyeurs, s’ils sont avérés – ce dont je ne peux juger – sont extrêmement choquants et je les condamne sans détour. Je tiens également à redire très clairement que la culture de l’entreprise que j’ai l’honneur de diriger n’a rien à avoir avec ce qui est décrit dans ce livre – une fois encore, je ne me prononce pas sur la réalité des faits qui sont relatés. Le système d’entreprise qui y est décrit m’apparaît comme profondément cynique, puisqu’il ne consisterait, pour reprendre les termes de l’ouvrage, qu’à « parquer des vieux » et n’aurait, pour seul et unique but, que la maximisation du profit. C’est un système qui miserait sur le rationnement, de la nourriture comme des fournitures, l’intimidation des collaborateurs, l’entrave des organisations syndicales et le trafic d’influence. Tout cela est à l’opposé de nos valeurs et de la conception que nous nous faisons, chez Korian, de notre métier.

L’onde de choc créée par ce livre est plus que légitime, compte tenu de la gravité des faits allégués. Elle a le mérite d’ouvrir un débat absolument nécessaire, qui a longtemps été repoussé dans notre pays, sur la manière dont nous souhaitons accompagner le grand âge et les personnes fragiles. Je crois que d’un mal peut sortir un bien, si nous prenons le temps d’avoir un débat posé et respectueux autour de la question suivante : comment offrir un accompagnement digne, humain et bienveillant aux plus âgés d’entre nous ?

Pour avoir un débat apaisé, il faut éviter les anathèmes et les caricatures. Vous avez insisté sur ce point dans votre introduction, madame la présidente, et Victor Castanet dit lui-même que tous les acteurs du grand âge ne sont pas forcément à mettre dans le même sac. Entendons-nous bien : je ne compte pas vous dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et que tout est parfait chez Korian. Je n’aurai pas cette prétention-là. Je suis venue avec une partie de l’équipe qui dirige, auprès de M. Nicolas Mérigot, les activités françaises du groupe : Mme Nadège Plou, directrice des ressources humaines, et M. Hervé de Trogoff, directeur des affaires publiques. Nous sommes tout à fait prêts à analyser objectivement, de la manière la plus factuelle possible, et sans concessions, ce qui marche et ce qui peut être amélioré. Nous voulons le faire de manière responsable et avec humilité.

Cela étant, j’aimerais aussi vous faire part de mon inquiétude face au choc de défiance extrêmement violent qu’a provoqué ce livre – dont l’onde de choc n’est pas terminée. Il a ébranlé tous les acteurs du grand âge. Dans la position qui est la mienne, je ne peux que déplorer cette rupture de confiance, qui fragilise profondément la communauté Korian, alors même que, pour bien accompagner, pour bien soigner et pour progresser, on a tant besoin de se faire confiance.

Ce choc instille le doute chez les résidents, et surtout chez leurs proches. Nombre d’entre eux se tournent vers nous, depuis deux ou trois semaines, pour nous demander s’ils ont raison de nous faire confiance, s’ils ont raison de nous confier leurs parents, si ce qui est décrit dans le livre existe aussi dans notre maison. Ce poison-là, les équipes le ressentent très douloureusement.

Ce choc affecte aussi toutes celles et tous ceux qui œuvrent dans ce secteur. Chez nous, ce sont plus de 16 000 personnes, essentiellement des femmes, dans près de 300 établissements : j’échange beaucoup avec elles depuis quelques jours et elles me disent qu’elles se sentent injustement mises en cause, alors qu’elles ont choisi ce métier, qu’elles l’exercent avec beaucoup de conscience professionnelle et de cœur et qu’elles sont mobilisées sans relâche, en particulier depuis deux ans. Il ne faut pas oublier, en effet, que tout cela intervient après deux années de pandémie. Certes, le vaccin a changé la donne, mais 3 à 4 % de professionnels sont, aujourd’hui encore, positifs ou cas contact : quand ils ne sont pas là, il faut les remplacer. Les personnels sont fatigués et toujours très fortement sollicités pour assurer la continuité des soins.

Le choc est particulièrement violent pour tous ceux, dont je fais partie, qui ont conscience du caractère essentiel de la mission qui leur a été confiée et des responsabilités qu’elle implique. Il est donc très important pour moi, et j’espère que cette audition y contribuera, de rétablir la confiance par le dialogue, l’initiative et, de notre côté, une prise de parole responsable. De nombreux membres de nos équipes suivent cette audition pour entendre vos questions et observer vos réactions.

Depuis mon arrivée à la tête de cette entreprise en 2016, avec le soutien de l’équipe extrêmement engagée qui m’a rejointe, et autour d’un projet d’entreprise que l’on a appelé « Le soin à cœur », qui consiste à apporter un accompagnement digne et qualitatif aux personnes âgées fragiles et à leurs proches, nous avons tenté d’améliorer les choses dans les établissements médico-sociaux français, autour de trois priorités.

La première, ce sont les ressources humaines. La Cour des comptes, dans le rapport qu’elle a rendu public ce matin, note très justement que les ressources humaines, dans le secteur de la santé et du grand âge, sont l’enjeu central. En tenant compte des préconisations du rapport de Dominique Libault, de celui de Myriam El Khomri, à l’élaboration duquel Nadège Plou a participé, et des recommandations faites par Mme la ministre Brigitte Bourguignon depuis deux ans, nous avons fait de l’alternance la pierre angulaire de notre projet.

Depuis 2017, nous avons multiplié par six le nombre d’alternants candidats au diplôme d’État d’aide-soignant (DEAS). Ce n’est pas encore assez, mais sachez que 10 % de nos collaborateurs français sont actuellement engagés dans un parcours qualifiant : il peut s’agir de médecins qui préparent un diplôme universitaire, d’agents de service qui s’engagent dans un parcours d’aide-soignant diplômé d’État, ou de jeunes alternants. Il faut absolument encourager cette démarche à tous les niveaux de qualification, en particulier pour les infirmiers. Pour moi, c’est vraiment l’élément critique. Si nous n’avons pas des professionnels en nombre suffisant, si nous n’avons pas les bons niveaux de qualification, s’il n’y a pas de fluidité dans les parcours, nous ne pourrons pas faire face aux défis à venir.

Nous avons également renforcé le taux d’encadrement. Quand j’ai pris mes fonctions en 2016, nous avions 5,5 personnels pour 10 résidents accompagnés : c’était la moyenne dans le secteur privé. Ce taux est désormais de 7 pour 10. Tout cela n’est peut-être pas suffisant, mais nous avons progressé, grâce notamment à l’application résolue de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Il importe de saluer les évolutions en cours.

Notre deuxième priorité, depuis 2016, a consisté à renforcer le dialogue et la transparence, dont notre secteur a tant besoin, et qui constituent la pierre angulaire d’une relation de confiance.

Je pense d’abord au dialogue social au sein de l’entreprise. À cet égard, je tiens à dire – et c’est un point qui contraste singulièrement avec le tableau que fait Victor Castanet dans son livre – que chez Korian, plus de 1 200 salariés ont un mandat : mandat de représentant de proximité, mandat au sein de l’une des instances de représentation du personnel, ou mandat de délégation. Cela représente 7 % de l’effectif permanent. Quatre grandes organisations syndicales sont représentées au sein de Korian en France et neuf accords collectifs ont été signés au cours des deux dernières années, dont l’un, très important, sur la santé et la sécurité au travail – même s’il reste beaucoup à faire en la matière.

Il s’agit ensuite, et peut-être plus encore, de favoriser le dialogue avec les familles et les parties prenantes, et c’est probablement dans ce domaine que nous avons encore le plus de progrès à faire. Nous sommes engagés dans une revitalisation des conseils de la vie sociale (CVS) ; nous avons créé, il y a deux ans, un conseil des parties prenantes au niveau national, qui réunit des associations d’anciens, des associations de parents de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, France Alzheimer, et des organisations syndicales et professionnelles. Ce dialogue nous aide, nous soutient, et nous montre aussi le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Il faut aussi favoriser le dialogue de proximité, pour identifier et résoudre les difficultés qui surviennent au quotidien, dans l’accompagnement et la relation entre les aidants et un établissement. On parvient à régler la plupart des difficultés localement, par l’échange. Parfois, les choses sont plus compliquées et la relation plus difficile à renouer. C’est pourquoi nous avons aussi, depuis un an, un médiateur indépendant – un ancien magistrat. Il a commencé son office et nous a remis son premier rapport. Le dialogue, enfin, c’est aussi celui que nous avons avec les élus locaux, notamment municipaux.

Le dialogue n’a pas de sens sans transparence. Afin de gagner en transparence, nous avons essayé de construire des indicateurs simples et d’introduire une gouvernance de la qualité et du bénéfice ressenti. Nous faisons beaucoup d’enquêtes de satisfaction : c’est un institut externe qui s’en charge, sans passer par les établissements. Cela nous permet d’avoir une vision assez fine de ce que nous faisons bien et de ce que nous pouvons améliorer. Ce qui est clair, en tout cas, c’est que nous n’avons pas, en France, comme cela existe en Allemagne, en Angleterre ou aux Pays-Bas, de normes externes qui pourraient être auditées par un tiers de confiance, sous l’égide de l’autorité publique. C’est probablement l’une des plus grandes différences entre ce que nous faisons en France et ce que nous vivons dans les autres pays où nous faisons le même métier.

Notre troisième priorité a été d’œuvrer en matière d’innovation et d’investissement. Quand j’ai pris mes fonctions en 2016, le groupe avait grandi très vite, à la suite du rapprochement de Korian et de Medica. Le parc immobilier était ancien et assez disparate, vieux de quinze ans, en moyenne. Les lieux n’étaient pas forcément adaptés à la prise en charge de personnes de plus en plus lourdement dépendantes, présentant des troubles cognitifs. Les salles de restaurant étaient trop grandes et trop bruyantes. Les bâtiments ne comptaient souvent qu’une seule travée d’ascenseurs. Bref, ces espaces n’offraient pas l’environnement calme et protégé qui convient aux personnes qui ont besoin d’être sécurisées. C’est pour toutes ces raisons que nous avons lancé un programme d’investissement.

Je voudrais en profiter pour « mettre les pieds dans le plat » et revenir sur ce qui a beaucoup agité le débat public depuis trois semaines : je veux parler du modèle privé et du fait que Korian est une entreprise privée à but lucratif. On a beaucoup entendu, depuis trois semaines, qu’une entreprise commerciale ne pouvait pas prodiguer un accompagnement de qualité, que les deux choses étaient incompatibles.

Oui, nous sommes une entreprise. Et oui, comme telle, nous devons avoir une activité profitable : je l’assume totalement, car cette activité profitable est la condition sine qua non pour pouvoir investir dans les personnes, dans les collaborateurs et dans le réseau. Mais je veux aussi exprimer clairement ma conviction profonde, à savoir que les profits ne sont pas une fin en soi. Dans notre activité qui, je le répète, est une activité d’intérêt général, une activité du bien commun, nos profits sont un moyen au service de notre mission. Et je veux vous dire solennellement que nous sommes parfaitement alignés, sur ce point, avec nos parties prenantes, en particulier avec nos grands actionnaires que sont le Crédit agricole et Malakoff Humanis.

C’est grâce aux profits que nous réalisons que nous pouvons investir dans nos maisons et dans de nouveaux établissements, alors même qu’il y a devant nous des besoins énormes qui ne sont pas couverts. C’est grâce à ces profits que nous avons aussi pu investir dans des solutions alternatives, comme l’aide à domicile, avec Petit-fils, et des solutions d’habitat partagé, avec Âges et vies, en même temps que nous rénovions le parc.

Depuis cinq ans, nous avons déjà rénové ou engagé la rénovation de près de 25 % du parc médico-social. Nous avons investi 500 millions d’euros au cours des quatre dernières années dans les 278 établissements du groupe Korian. Je reconnais que 25 %, ce n’est pas assez. Nous devons faire encore autant au cours des quatre prochaines années, et nous le ferons. Dans le même temps, nous avons investi dans nos systèmes d’information : on a vu pendant la crise du covid-19 combien c’était essentiel pour alléger la charge des soignants et leur permettre de se consacrer pleinement, en toute sécurité, à leur relation avec les résidents.

Tout ce dont je viens de parler – l’effort de formation, l’attention portée au capital humain, la qualité et la transparence dans le dialogue, l’investissement dans le réseau – nous l’avons fait avec une seule idée en tête : celle de construire une culture d’entreprise tournée vers le résident, tournée vers la personne, tournée vers la bientraitance, et assise sur un projet de soin très solide. Nous avons voulu que cette culture ne soit pas punitive, car j’ai la conviction que ce n’est pas ainsi que l’on peut bien soigner. Nous préférons miser sur la formation, le dialogue et la transparence, plutôt que sur le flicage.

Ce travail n’est pas achevé ; c’est un travail de longue haleine, un long chemin. Nous mesurons l’ampleur de ce qui nous reste à faire, mais sachez que nous nous sommes engagés sur ce chemin de toutes nos forces. Nous savons qu’il est essentiel de renforcer nos capacités de dialogue avec les familles et de les inclure beaucoup plus qu’elles ne le sont traditionnellement dans le fonctionnement des établissements.

Nous savons aussi que la charge qui pèse sur les équipes est lourde et que l’organisation du travail peut être améliorée. Nous savons que les indicateurs en matière de santé et de sécurité au travail ne sont pas bons, ni chez nous, ni dans le reste du secteur. Si nous voulons être attractifs à l’avenir, nous devons changer de paradigme, et je pense que nous le pouvons.

En tout cas, ce que nous souhaitons, ce que nous vous demandons, c’est de pouvoir prendre une part active au débat qui s’ouvre, grâce à ce livre – ou à cause de lui. Nous sommes prêts à discuter de tout, dès lors que cela contribue à promouvoir les métiers du grand âge et à améliorer la prise en charge de la vieillesse et de la dépendance, à l’aune de laquelle se jugent aussi les valeurs d’une société démocratique.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie, madame la directrice générale. Sachez que nous sommes toutes et tous, en tant que représentants de la nation, animés par un esprit constructif et par la volonté de comprendre et de dialoguer.

Mme Annie Vidal (LaREM). Madame la directrice générale, notre commission a, elle aussi, été profondément ébranlée par les révélations de ce livre. Ce cycle d’auditions, décidé par notre présidente, témoigne de notre détermination à connaître la vérité, à la fois pour les résidents, pour leurs familles, pour les professionnels, et pour l’image des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et du secteur du grand âge. D’après Victor Castanet, le groupe Korian aurait mis en place un système similaire à celui d’Orpea. Mes questions porteront sur des faits précis rapportés dans ce livre et nous comptons vraiment sur la sincérité de vos réponses.

L’un de vos anciens salariés, Samuel Royer, aurait indiqué qu’Orpea était un modèle pour votre groupe. Quel est le système de pilotage mis en place dans le groupe Korian ? Est-il inspiré de celui d’Orpea ?

L’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire s’est intéressée aux contrats-cadres conclus par l’une de vos résidences avec ses fournisseurs. Lorsque l’ARS lui a demandé des documents, la hiérarchie aurait été embarrassée et aurait transmis des documents non conformes. Les contrats-cadres que vous signez avec vos fournisseurs incluent-ils des remises de fin d’année (RFA) ? Pouvez-vous nous dire, par ailleurs, quelles ont été les conclusions de cette enquête ? Vous auriez estimé, s’agissant de ces contrats avec les fournisseurs, que les institutions publiques ont aussi leur part de responsabilité, dans la mesure où elles ne font pas assez de contrôles. Nous confirmez-vous cela ?

Enfin, depuis la parution du livre, de nombreuses familles ont déposé des plaintes relatives à des situations de maltraitance. Avez-vous, dans vos établissements, un système de suivi des alertes ? Aviez-vous connaissance de ces situations ? Pourriez-vous nous préciser le niveau d’autonomie des directeurs de résidence dans votre groupe ?

M. Bernard Perrut (LR). L’émoi qu’a suscité la publication du livre Les Fossoyeurs ne doit pas nous amener à jeter l’opprobre sur l’ensemble d’un secteur et sur les professionnels qui s’engagent quotidiennement. Je pense à eux, comme à tous nos aînés qui sont en EHPAD.

Madame la directrice générale, monsieur le directeur, plusieurs témoignages concernent également votre groupe, et vous y avez déjà en partie réagi. Quel crédit accordez-vous à ces allégations, qui concernent plusieurs de vos établissements ? Font-elles écho à certaines situations qui ont pu vous être rapportées au sein de votre groupe ?

La Défenseure des droits s’est penchée sur cette question et a publié, en avril 2021, un rapport dans lequel des recommandations sont faites, notamment à la suite de défaillances constatées dans des établissements durant la crise du covid-19. Vous les connaissez. Quelle évolution envisagez-vous pour vos établissements ? Comment avez-vous réagi face à ces défaillances, constatées de manière globale ?

J’en viens à la question des contrôles. Combien d’établissements de votre groupe ont-ils été contrôlés par les agences régionales de santé et les conseils départementaux ? Est-ce suffisant ? Êtes-vous systématiquement prévenus des visites ou sont-elles inopinées ? Êtes-vous assujettis à un référentiel particulier ? Comment et pourquoi, malgré ces contrôles, des dysfonctionnements peuvent-ils être constatés ? Le constat est unanime : dans l’ensemble des EHPAD, publics et privés, la prise en charge est insuffisante et la charge est de plus en plus lourde, avec des résidents de plus en plus dépendants, des effectifs de personnels insuffisants, des difficultés de recrutement et des métiers en tension.

J’aimerais vous entendre plus spécifiquement sur la question de l’encadrement. Quel est le taux d’encadrement dans les EHPAD de votre groupe ? Tous vos EHPAD disposent-ils de médecins coordonnateurs et d’infirmières d’astreinte ou en poste de nuit ? Êtes-vous prêts à vous engager en faveur de l’instauration d’un ratio minimal de personnels travaillant en EHPAD ? Celui que vous avez actuellement vous paraît-il suffisant ? Il semble en effet particulièrement important que vous puissiez disposer d’un véritable cadre, sur lequel il serait impossible de transiger. Placer un parent dans un EHPAD privé à but lucratif coûte cher, plus cher que de le placer dans un EHPAD public et, d’après la presse de ces derniers jours, le surcoût moyen est estimé à 860 euros. Quels services supplémentaires justifient cette différence ? Comment pouvez-vous nous expliquer le tarif de ces établissements privés ?

M. Philippe Vigier (Dem). Parce qu’on touche à l’humain, parce qu’on touche à nos aînés, et parce que beaucoup d’argent est en jeu – aussi bien des fonds publics que privés –, il importe que la représentation nationale soit au rendez-vous.

Vous dites, madame la directrice générale, avoir été très affectée par les événements récents. Ma première question sera donc toute simple : en quoi votre groupe est-il différent de l’autre ? La massification – on le constate aussi dans d’autres domaines de la médecine – a pour conséquence un éloignement des centres de décision et, bien souvent, une absence de contrôle.

Pour prolonger ce qu’a dit mon collègue Bernard Perrut, ne pensez-vous pas que l’accréditation de vos établissements est une voie dans laquelle il est indispensable de s’engager ? Elle serait une garantie pour vous-mêmes, pour les usagers et pour leurs familles, avec des quotas de personnels soignants et de personnels administratifs. Cela permettrait des contrôles à tout moment. À cet égard, seriez-vous prêts à donner la possibilité aux parlementaires de venir contrôler vos établissements sur pièce et sur place, avec les moyens que leur offrent leurs commissions respectives, de manière à ce qu’ils puissent voir dans quelle mesure ce code de confiance est respecté ? Le quatrième âge, ce n’est pas rien : dans la mesure où la population va continuer de vieillir, l’exigence doit être au rendez-vous.

Vous avez évoqué le conseil de la vie sociale et vous essayez de créer de nouveaux modes de fonctionnement. Il faut dire les choses clairement : ceux parmi nous qui ont déjà eu des responsabilités dans des EHPAD ont pu constater que les aînés qui siègent au conseil de la vie sociale ne comprennent pas tout. Comment en modifier le périmètre pour y faire entrer davantage les familles ? Comment garantir leur transparence ? On organise de grandes conventions citoyennes et on n’est pas capables, pour nos aînés, d’être au rendez-vous !

Mme Sophie Boissard. Madame Vidal, vous me demandez quelles sont les similitudes et les différences entre le système Orpea – tel qu’il est décrit dans le livre de Victor Castanet, j’y insiste –, et le système Korian. Je l’ai dit, notre culture d’entreprise n’a rien à avoir avec ce qui est décrit dans ce livre. Historiquement, d’abord, le fonctionnement de Korian est beaucoup plus décentralisé. Les directeurs d’établissement ont une délégation, ils n’ont pas besoin d’une validation préalable pour réaliser quelque commande que ce soit. Tout ne passe pas par le siège, bien au contraire. Ils ne sont pas non plus soumis à validation préalable pour faire tourner leur établissement : c’est à eux de le faire fonctionner et nous les encourageons vraiment à travailler de manière très étroite avec les acteurs du territoire.

Selon vous, j’aurais mis en cause la responsabilité des autorités publiques qui n’auraient pas fait leur travail de contrôle. Ce n’est absolument pas ce que j’ai voulu dire : je n’ai jamais pensé que, en l’absence de cadre opposable, tout était permis, et que nous n’avions pas la responsabilité de nous doter en interne de standards de qualité et de nos propres moyens de contrôle.

Nous reviendrons sur le système d’audit qui fonctionne chez Korian, à partir d’un référentiel très proche de celui que prépare la Haute Autorité de santé (HAS). Un « audit 360 » est réalisé tous les deux ans par une équipe centrale d’auditeurs qui pointe les écarts, mineurs ou plus sérieux, et met en place les plans d’action de correction. Cela étant, je serais plus tranquille si une autorité légitime portait un regard extérieur sur nos pratiques car cela rassurerait les usagers de nos établissements, qui se demandent si notre audit interne n’est pas un système de complaisance. Voilà tout ce que j’ai voulu dire.

Les réclamations des familles sont recueillies sur une plateforme informatique commune. Qu’elles nous soient adressées oralement, par mail ou par courrier, elles sont toutes tracées. Certaines s’arrêtent au niveau de l’établissement ; quand la situation est plus compliquée et plus sérieuse, un bureau d’écoute des familles, composé de quatre personnes, fonctionne six jours sur sept. Chaque réclamation est analysée et nous procédons à une levée de doute. Si les faits laissent augurer une maltraitance ou une atteinte à l’intégrité ou à la dignité des personnes, il y a déclenchement d’un audit interne : les investigations nécessaires sont menées par des intervenants externes, assermentés et qui respectent la confidentialité.

Les plaintes dont il est question sont connues pour certaines car elles concernent des litiges en cours de discussion. Ce sont des situations compliquées, qui ont été rendues publiques à la suite de la publication du livre de M. Victor Castanet.

M. Nicolas Mérigot, directeur général France de Korian. Concernant les achats, je veux rappeler quelques chiffres. En 2020, les établissements Korian en France ont bénéficié de ressources au titre des soins et de la dépendance à hauteur de 532 millions d’euros : 455 millions pour la rémunération des personnels soignants, 42 millions pour les achats de matériels et les amortissements ; 37 millions pour l’achat de dispositifs médicaux et de protections. Globalement, les sections soins et dépendance sont en déficit de 2 millions d’euros.

Korian dispose d’une centrale de référencement. Ce n’est pas une centrale d’achats : les établissements passent leurs commandes directement auprès des fournisseurs. La centrale sélectionne des fournisseurs, des références et négocie des conditions d’approvisionnement. Elle procède par appels d’offres – aucun fournisseur ne bénéficie d’une rente de situation – sur la base de cahiers des charges structurés, afin de pouvoir comparer de manière objective les différentes réponses. L’analyse repose sur une grille de critères. Le critère financier représente 25 %, ce qui signifie que 75 % de la notation globale portent sur des éléments extra-financiers : politique de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), qualité, capacité du fournisseur à accompagner les établissements dans le bon usage des dispositifs médicaux et des protections – le fournisseur doit être en mesure de se rendre dans les établissements pour former les collaborateurs à leur bon usage.

Cette massification des achats permet d’obtenir des prix significativement plus bas – de l’ordre de 20 % – que les prix publics. Ce sont ces prix remisés qui sont facturés aux établissements et inscrits dans les états financiers que nous remettons aux autorités de tarification et de contrôle.

Il n’y a pas de système de remise de fin d’année ou de marge arrière : je ne convoque pas un fournisseur en exigeant une remise supplémentaire ou le financement d’un évènement particulier. Nous avons une relation contractuelle avec les fournisseurs, pour le compte desquels la centrale de référencement réalise un certain nombre de prestations : déploiement commercial des solutions dans 300 établissements – cela leur évite de se déplacer dans tous les établissements – ; centralisation et consolidation des non-conformités – avec 150 000 commandes par an, il y a forcément des non-conformités, qui sont analysées par la centrale de référencement et remontées auprès des fournisseurs afin de progresser dans nos relations avec eux – ; hotline de premier niveau pour les établissements.

Ces prestations contractualisées, qui font l’objet d’une facturation et rentrent dans la base de notre impôt sur les sociétés, ne sont pas de l’argent public. Néanmoins, comme c’est un revenu lié aux achats et donc à l’utilisation de l’argent public, il est légitime de savoir à quoi servent ces sommes. Elles financent des activités pour le compte des établissements – audit 360, plateforme de consolidation des événements indésirables graves (EIG), plateforme de consolidation des réclamations... Toutes ces fonctions, qui concourent à la qualité du soin, sont gérées en centrale et ne sont pas portées dans les comptes des établissements.

De même, en centrale, une équipe de la direction médicale gère des instances nationales, définit des normes et des protocoles pour le compte des établissements, réalise des audits sur site, aide les établissements à progresser dans leur expertise et dans la qualité des soins. Le coût de fonctionnement de cette équipe n’entre pas dans les dépenses des établissements.

Il pourrait être envisagé de réformer les comptes d’emploi afin que les groupes qui sont organisés comme le nôtre, c’est-à-dire avec des structures centrales, puissent affecter aux établissements des charges qui concourent indirectement à la qualité des soins et de la prise en charge de la dépendance.

Mme Sophie Boissard. Pour éviter toute ambiguïté, permettez-moi de rappeler les chiffres : la centrale de référencement représente 5 millions d’euros ; les coûts directs de la direction médicale, qui est composée de cinquante-cinq équivalents temps plein (ETP), essentiellement des professionnels de santé de haut niveau, s’élèvent à plus de 5 millions d’euros. Les établissements récupèrent la totalité du bénéfice sur les prix, soit en moyenne 20 % des prix publics des fournisseurs locaux : il y a donc bien un effet significatif. Les prestations que les gros fournisseurs confient aux équipes centrales de Korian représentent l’équivalent de 5 millions d’euros.

Monsieur Perrut, vous nous avez demandé quel crédit apporter aux allégations du livre de M. Castanet. Je ne sais pas s’il y a eu des RFA par le passé chez Korian ; j’ai tenté de vérifier les propos tenus par cet ancien directeur d’établissement, salarié du groupe jusque mi‑2016, mais je n’ai pas trouvé trace de RFA. En revanche, le système tarifaire avant la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dite loi ASV, était assez différent car il reposait sur un forfait de 2,32 euros par lit et par jour pour l’ensemble des consommables. C’était une moyenne et, en fin d’année, en fonction de la réalité des consommations, un système d’égalisation avec les fournisseurs s’appliquait. La loi ASV impose désormais des dotations ex ante en fonction du niveau anticipé de soins ainsi que du taux d’occupation anticipé. Nous pratiquons un dispositif de mercuriales – listes de prix opposables – dans lesquelles les établissements commandent. Il n’y a pas de validation ex ante ni de rabat sur les commandes, ni de consigne de rationner les produits ou les équipements dont les établissements ont besoin.

Sur le sujet délicat de l’incontinence, nous tentons, depuis plusieurs années, de promouvoir la continence. Il est toujours très compliqué de savoir quel est le bon accompagnement pour encourager les personnes à conserver le plus d’autonomie possible. Sans entrer dans les détails, c’est aussi une dimension importante ; il faut donc se garder de toute généralisation.

S’agissant du nombre de contrôles, nous en avons eu une dizaine par an depuis la crise sanitaire, contre une vingtaine les années précédentes ; ce n’est sans doute pas assez. Je suis convaincue qu’il faut un système d’accréditation, comme dans d’autres secteurs de la santé – par exemple les laboratoires de biologie médicale –, et que les établissements soient très régulièrement audités : nous y avons tous intérêt.

Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie en réalisant un énorme travail d’adaptation à la crise sanitaire, notamment dans la formation des personnels. Nous avons ainsi, ces deux dernières années, déployé des standards à l’échelle européenne et demandé au Bureau Veritas d’auditer tous les établissements sur cette base. Nous avons également mis en place des référents hygiène et qualité, qui sont des infirmiers diplômés d’État (IDE) – un peu plus d’un tiers des établissements ont déjà des postes d’IDE référents. Ce sont ces personnes qui auront à porter l’accréditation – il faut le faire, nous sommes très demandeurs ! Peut-être faudra-t-il demander, dans un premier temps, à des acteurs volontaires de tester ce dispositif avant qu’il ne soit déployé.

Sur les 278 établissements du groupe, une douzaine ne compte aucun médecin coordonnateur et près d’une cinquantaine n’a pas de médecin à temps plein – alors que l’un des objectifs que nous nous sommes fixés depuis la crise du covid est bien de disposer d’un médecin à temps plein. C’est un problème gigantesque du fait de la démographie des médecins, plus d’un quart d’entre eux ayant 60 ans et plus. Nous y parons en travaillant avec les médecins traitants, en ayant recours à un réseau de médecins consultant à distance, et nous commençons à travailler de manière très active sur des solutions alternatives, mais la priorité est de confier une partie des tâches des médecins à des infirmiers en pratique avancée, qui sont très expérimentés.

Par ailleurs, nous n’avons pas suffisamment d’infirmiers d’astreinte de nuit, qui sont pourtant absolument nécessaires ; aujourd’hui, ils couvrent seulement une vingtaine d’établissements, situés dans des zones très denses. Le marché du travail des professionnels de santé, déjà très difficile avant la crise sanitaire, est sens dessus dessous depuis deux ans, la situation est catastrophique. Les « vaccinodromes », qui sont indispensables par ailleurs, ont mobilisé des professionnels de santé. Aujourd’hui, des personnels de santé expérimentés préfèrent intervenir ponctuellement, dans le cadre de missions de remplacement ou de CDD, plutôt que de s’engager sur des postes durables, ce qui nous désorganise très lourdement. Il faut donc impérativement ouvrir les vannes de la formation, non pas pour former au rabais mais pour rééquilibrer progressivement le marché.

La différence de 860 euros par mois entre le public et le privé représente une vingtaine d’euros par jour. Dans le parc privé à but lucratif, nous devons payer nos murs ; les standards de confort – nombre de chambres doubles, taille des chambres – sont plus élevés et le nombre de mètres carrés est plus important : la charge immobilière se reflète dans le prix payé. De même, les prestations d’animation et d’accompagnement ou encore l’environnement des établissements expliquent que les tarifs soient plus élevés. Toutefois, il ne s’agit que d’une moyenne : les écarts sont certes très importants en zone urbaine dense, mais les tarifs sont très proches de ceux du public ou des structures associatives en zone rurale ou peu tendue, où se trouve plus de la moitié du parc de Korian.

Monsieur Vigier, vous m’avez interrogée sur la massification : entraîne-t-elle nécessairement l’éloignement ? C’est une vraie question. Nous menons un travail sur la culture d’entreprise et sur la communauté des directeurs d’établissement, à l’échelle européenne, car ils ont tout intérêt à échanger entre eux. Nicolas Mérigot a créé en France un système de revue managériale d’établissement à établissement : ceux-ci s’auditent entre eux pour diffuser les bonnes pratiques. Nous essayons de partager de l’intérieur une même vision du soin, une même formation : nous avons un programme de formation de niveau master pour tous les directeurs d’établissement sur trois ans, qui porte sur les attitudes managériales, le savoir-être, la gestion de son propre stress, la gestion des conflits. Nous faisons le pari, en ayant cette approche de communauté, d’arriver à rendre plus forts les établissements qui sont d’abord et avant tout locaux, tournés vers leur bassin de vie et leurs parties prenantes locales. L’appartenance à un groupe doit apporter une plus-value en matière d’expertise, de soutien, de formation mais en aucun cas constituer une chape verticale ou un corset qui viendrait leur couper les ailes et mécaniser leur approche. Nos professionnels croient profondément en leur métier, sinon ils feraient autre chose.

M. Nicolas Mérigot. J’incite tous les directeurs d’établissement à travailler leur ancrage territorial avec leurs différents partenaires publics et privés. Les activités médico-sociales et sanitaires sont des activités de réseau de proximité : il faut s’insérer dans ce réseau, et personne ne peut mieux le faire qu’un directeur d’établissement. Il doit travailler son projet en cohérence avec les besoins du territoire. Nous leur demandons d’avoir toujours le souci de renforcer leur ancrage dans le territoire et d’aller vers les collectivités pour leur proposer des projets.

Mme Sophie Boissard. Il faut faire évoluer les CVS, qui ont été conçus à un moment où l’âge moyen des résidents était plus faible et leur autonomie et leur capacité d’implication probablement plus importantes. Il faut absolument laisser une place centrale aux résidents qui en ont le souhait et le loisir. La difficulté est surtout de mobiliser les familles, peu disponibles pour des raisons de temps.

Nous avons également besoin, y compris dans les structures privées, de prévoir une place pour les représentants des collectivités ; c’est absolument indispensable. Notre intention est d’agir de manière proactive, indépendamment de ce que disent les textes, pour être sûr d’avoir un tour de table assurant l’ancrage et la résonnance avec le territoire.

Nos établissements ne sont pas des prisons, ils sont ouverts. Nous ne les avons fermés que lors de l’épidémie, sur requête de l’ARS. Il n’y a pas d’heures de visite imposées, ce n’est pas un lieu privatif de liberté. Les parlementaires sont les bienvenus : nos portes leur sont ouvertes – nous sommes même très demandeurs : trop de personnes parlent de nous sans connaître la réalité.

S’agissant du ratio de personnel minimal, nous avons besoin de normes opposables. Je ne sais s’il faut le mesurer en nombre de personnes ou en minutes de soins par personne, mais il est certain qu’il faut des standards quantifiables.

Enfin, il faut absolument demander leur opinion à ceux qui bénéficient des soins, de manière honnête et transparente, et que celle-ci fasse l’objet d’une communication. Nous cherchons à procurer la meilleure qualité de vie à la personne concernée, et c’est cela qu’il faut être capable de restituer, avec un système de mesure de la qualité régulier et rendu public, comme c’est le cas en Angleterre et en Allemagne.

M. Boris Vallaud (SOC). La prise en charge du grand âge est un défi posé à tous, quel que soit le mode de gestion, et la question de la bientraitance et de la maltraitance l’est en toute hypothèse. Les faits rapportés dans le livre de M. Castanet et le système qu’il décrit amènent à poser cette question : le groupe visé fait-il fortune sur la maltraitance de ses résidents ?

Alors que la question du vieillissement est une angoisse existentielle pour beaucoup d’entre nous, la crise du covid a été un choc anthropologique car nombre de familles n’ont pu aller voir leurs proches, y compris dans leurs derniers jours.

Vous avez évoqué la question des établissements à but lucratif ou non lucratif de façon très caricaturale : la question n’est pas seulement celle de la bientraitance, elle porte aussi sur la possibilité de vieillir ensemble. Dans un rapport, le Haut Conseil à la vie associative s’interroge sur l’impact du caractère lucratif des EHPAD sur l’exclusion des plus vulnérables. Il ne faudrait pas que l’on aboutisse à un système avec des EHPAD pour les riches et des EHPAD pour les pauvres. Ce n’est pas forcément la conception que l’on se fait de la société : on peut aussi considérer que le vieillissement n’est pas une marchandise.

L’ARS de l’Île-de-France, en 2014, avait lancé une alerte concernant votre groupe. Quelle était la nature de cette alerte et quelles réponses avez-vous apportées ?

Que pensez-vous des contrôles et de leur nombre ? Combien en avez-vous eu depuis 2016, année par année ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ens). Notre rôle n’est pas de juger mais bien de comprendre.

Quelle lecture faites-vous de la rentabilité des établissements que vous gérez ? Les méthodes de gestion pratiquées dans d’autres secteurs marchands sont-elles transposables en EHPAD ?

S’agissant des contrôles exercés par les autorités de tutelle, un ancien cadre de Korian estime que les ARS n’ont clairement pas les moyens ni la puissance d’expertise pour contrôler des groupes comme Orpea et Korian. Partagez-vous ce constat ? Estimez-vous que les ARS et les départements contrôlent de manière rigoureuse et régulière vos établissements ? Êtes-vous systématiquement informés à l’avance de leurs visites ?

Concernant la place des familles, il va falloir inventer de nouveaux métiers. Dans les EHPAD, serait-il pertinent de recruter une personne chargée du lien entre les familles, les résidents, les soignants et les personnels d’accompagnement ?

La présence d’un représentant des familles, et pas seulement des résidents, dans votre conseil d’administration présenterait-elle un intérêt ? De même, outre les collectivités locales, les tutelles que sont les départements et les ARS ne devraient-elles pas être représentées ?

Enfin, la mise en place dans les conseils d’administration, que l’on soit dans le public ou dans le privé, d’une personne qualifiée extérieure à l’établissement chargée de la qualité ou de l’évaluation serait-elle de nature à rassurer ?

Mme Valérie Six (UDI-I). En préambule, je souhaite apporter tout notre soutien aux milliers de soignants qui s’occupent au quotidien de nos aînés dans les EHPAD. Ils réalisent un travail formidable, souvent dans des conditions difficiles.

Le scandale provoqué par la publication du livre de Victor Castanet semble avoir libéré la parole ou, du moins, donné un écho particulier aux cris d’alerte et à la détresse des familles de résidents. Ainsi, plusieurs dizaines de plaintes de familles seraient déposées à l’encontre du groupe Korian. Quelles ont été vos actions pour répondre à ces plaintes ?

Madame la directrice générale, vous vous êtes exprimée dans la presse pour défendre le groupe Korian, dénonçant notamment le manque de financement public, ce dont nous convenons. En revanche, comment expliquez-vous que vous parveniez à compenser ce manque de financement public tout en maintenant une croissance soutenue de la cotation en bourse de votre entreprise ?

Pouvez-vous nous donner des chiffres concernant les contrôles réalisés dans vos établissements ? Les directions sont-elles prévenues que des contrôles vont avoir lieu ou bien ceux-ci sont-ils inopinés ?

En tant que rapporteure de la mission flash sur le rôle des proches dans la vie des EHPAD, avec Agnès Firmin Le Bodo et Gisèle Biémouret, j’aimerais en savoir davantage sur les conseils de la vie sociale, dont vous avez dit que vous vouliez les faire évoluer. Quelles actions mènent-ils et quelle est la fréquence de leurs réunions ?

Enfin, menez-vous des enquêtes de satisfaction auprès des résidents et des familles ?

Mme Jeanine Dubié (LT). Pardonnez-moi si je pose des questions auxquelles vous avez déjà répondu – je suis arrivée un peu en retard.

Je vous remercie sincèrement, madame Boissard, d’avoir évoqué la question des protections sous l’angle du maintien de la continence, qui fait partie intégrante du projet de soins et suppose à la fois une démarche d’appropriation par l’ensemble du personnel soignant et des effectifs suffisants pour répondre rapidement aux appels des résidents. J’espère que vous donnez à vos équipes les moyens de réaliser cet objectif louable.

Comment accueillez-vous les praticiens libéraux ? Je suppose que certains d’entre eux interviennent dans vos établissements, de même que des prestataires de services, tels que des coiffeurs ou des esthéticiennes. Leur demandez-vous de payer un droit d’entrée ou l’équivalent de ce que Victor Castanet appelle la « dîme Orpea » ?

Que pensez-vous de la proposition de transformer les groupes commerciaux actuels en entreprises à mission, au sens de la loi PACTE de 2019 ? Y êtes-vous favorable ? En quoi cela permettrait-il d’améliorer la transparence dans le fonctionnement et la gestion des établissements ?

Quel est le pourcentage prélevé sur les établissements dans le cadre des frais de siège ? Appliquez-vous une péréquation en la matière ?

M. Pierre Dharréville (GDR). Madame la directrice générale, vous avez abordé dans la presse, ces derniers jours, la question de la place du secteur à but lucratif. C’est un débat qu’il faut avoir. J’observe qu’on laisse un peu entendre, d’une part, que le secteur à but non lucratif n’est pas si différent et, d’autre part, qu’on a besoin du secteur à but lucratif. Ajoutons à cela qu’il peut y avoir de la maltraitance institutionnelle partout – j’en conviens.

Le livre de Victor Castanet montre que le système actuel peut conduire à une sorte de dumping. Pouvez-vous affirmer qu’il n’y a pas de recours abusif aux contrats précaires dans votre groupe ? Avez-vous fait l’objet, en la matière, de procès-verbaux dressés par l’inspection du travail ? Le cas échéant, comment avez-vous réagi ? Par ailleurs, pouvez-vous dire qu’il n’existe pas dans votre groupe de rationnement du point de vue de l’alimentation ?

J’aimerais également vous interroger sur les objectifs qui vous sont fixés par vos actionnaires. Qui sont-ils et quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce qui vous permet de leur assurer un bon niveau de dividendes ? Cet argent ne serait-il pas plus utile dans les établissements ? Quelle est la marge que vous demandez à ces derniers de dégager selon leur typologie, si celle-ci existe ?

Avez-vous des projets de développement en matière d’accompagnement à domicile ? Plus généralement, quels sont vos objectifs stratégiques ? J’ai lu dans une lettre adressée à vos actionnaires, il y a quelques années, que vous vous félicitiez d’avoir une croissance organique. Quelles sont vos perspectives ?

J’en termine par le plan de rachat d’actions, de 50 millions d’euros, que vous venez de déclencher. Quel est votre objectif ?

M. Didier Martin. Monsieur Mérigot, vous avez parlé des fournisseurs. Pourriez-vous également nous expliquer vos relations avec les laboratoires d’analyses médicales ? L’ouvrage de M. Castanet évoque des droits de présentation et des partages d’honoraires.

Madame la directrice générale, je vous remercie pour votre ton, qui tranche beaucoup avec celui de M. Brdenk hier soir.

M. Nicolas Mérigot. Nous travaillons aussi avec les laboratoires de biologie médicale dans le cadre d’appels d’offres, qui sont assortis de cahiers des charges structurés autour d’objectifs professionnels, notamment le délai de rendu – c’est un facteur clef, en milieu hospitalier ou dans le secteur médico-social, pour pouvoir prendre rapidement des décisions de transfert ou réaliser des ajustements thérapeutiques. Les critères sont très objectifs et très transparents.

Nous assurons, pas partout mais tout de même dans de nombreux établissements, la phase préanalytique, à savoir l’identification des résidents, le prélèvement, l’étiquetage et la mise en forme du dispositif de transport. Un prix y est attaché : les laboratoires de biologie médicale nous paient pour cette prestation réalisée pour leur compte, dans le cadre de contrats d’exercice, comme il en existe entre différents professionnels de santé. Ce sont des contrats d’exercice tout à fait classiques, qui peuvent être transmis aux Ordres ou aux ARS si on nous le demande. Il ne s’agit pas du tout d’un droit de présentation : nous ne considérons pas nos résidents comme une patientèle qui nous appartiendrait et que nous monétiserions.

Cela vaut également pour d’autres activités, non médicales – Mme Dubié a ainsi parlé des coiffeurs et des esthéticiennes. Nous leur facturons des loyers, et non des droits d’entrée. Nous n’avons pas de droits commerciaux sur nos résidents.

Mme Sophie Boissard. Je me suis peut-être mal exprimée, monsieur Vallaud. Je partage tout à fait ce que vous avez dit au sujet du choc anthropologique auquel nous sommes confrontés, et je ne prétends pas, à rebours du haro sur le lucratif, que celui-ci serait l’unique solution. Sur ces sujets très sensibles, qui renvoient à des parcours de vie et à des sensibilités différentes, il est très important qu’il y ait du choix. Nous avons besoin de plusieurs solutions dans les bassins de vie ; le pire serait de n’en avoir qu’une. Il faut garder de la pluralité.

Même si nous sommes une entreprise commerciale et même si nous n’avons pas de mission de service public, je suis convaincue que nous exerçons une activité d’intérêt général. J’en veux pour preuve le fait qu’entre 12 et 13 % des chambres relevant du réseau médico-social de Korian en France sont habilitées à l’aide sociale. C’est très important au regard de l’objectif de mixité que vous avez mis en avant. Nous pouvons accueillir, et nous accueillons des personnes dont le niveau de fortune et la situation personnelle peuvent être très différents. Je partage l’idée que la diversité et la mixité sont nécessaires.

Claude Évin, qui a dirigé l’ARS d’Île-de-France, a dit à la presse qu’il avait déclenché une alerte en 2014. Je peux vous dire ce que je sais – je n’étais pas dans le groupe à cette époque. Les échanges qui ont eu lieu s’inscrivaient dans le cadre du forfait, de 2,32 euros par lit, dont nous avons parlé tout à l’heure. L’ARS s’était demandé comment il était possible que l’on dépense toujours 2,32 euros par personne, quelles que soient les situations – c’était le mode de calcul dans le système tarifaire qui était alors appliqué, pour une raison que j’ignore. Je précise que les personnes qui ont instauré ce dispositif sont tout à fait honorables, et que je n’ai pas de raison de penser qu’il était illégal.

À l’issue des échanges avec l’ARS, qui ont duré plusieurs mois, si j’en crois nos archives, et qui se sont notamment traduits par la présentation des factures des dispositifs médicaux achetés, l’ARS a considéré qu’il n’y avait pas de surfacturation ou de sous-consommation de l’enveloppe allouée. Il faut ajouter que les dotations « soins et dépendance » ont toujours été nettement inférieures aux dépenses, notamment de personnel, en Île-de-France. C’est le cas dans notre groupe, mais aussi chez beaucoup d’autres acteurs à but lucratif, me semble-t-il. Le système était déficitaire : les établissements du groupe Korian percevaient moins que ce qu’ils dépensaient. En réalité, la question du forfait de 2,32 euros était donc assez secondaire.

J’ai également découvert dans la presse la demande d’une vision nationale des contrats de référencement et des relations nouées par les groupes présents dans plusieurs régions. Nicolas Mérigot l’a dit : il faudrait aller vers un CPOM national. La situation serait ainsi beaucoup plus claire. Comme la Cour des comptes l’a souligné, toute une série de fonctionnalités et d’appuis sont mutualisés dans les structures multirégions, et ce n’est pas propre au secteur lucratif : c’est également vrai dans les réseaux associatifs nationaux. Il serait logique de prendre en compte cette réalité dans une sorte de CPOM cadre.

S’agissant des contrôles réalisés depuis 2016, nous avons donné les chiffres. On en compte entre une dizaine et une vingtaine par an. Je ne me permettrai pas de dire si c’est suffisant et si les compétences sont là. Néanmoins, vu le nombre d’établissements médico-sociaux et tout le travail à faire, je pense qu’il faudrait passer par un système d’accréditation placé sous l’égide des ARS et dans le cadre duquel ces dernières pourraient faire intervenir des opérateurs spécialisés pour les aider à réaliser les contrôles d’une manière beaucoup plus régulière.

Je le redis : il faut évidemment des contrôles, notamment inopinés, dès lors qu’il existe des raisons de penser que quelque chose ne va pas. De tels contrôles inopinés ont lieu. Nous devons en avoir un ou deux par an, en général à la suite d’un signalement ou d’une plainte. Par ailleurs, je suis persuadée que la formation, la culture et la vigilance sont des éléments clefs dans nos métiers et que la gouvernance locale est suffisamment robuste pour permettre de repérer très tôt les dysfonctionnements – car il y en a –, grâce aux signaux faibles, et d’intervenir localement de la manière la plus préventive possible. Pour cela, il faut de la transparence, de la formation et beaucoup de dialogue.

En ce qui concerne le renforcement de la gouvernance, ce que vous avez dit me paraît intéressant et pertinent, madame Firmin Le Bodo. Il n’y a pas, à proprement parler, de conseils d’administration dans nos établissements, ce qui est un problème selon moi. Les CVS pourraient jouer plus largement ce rôle si on les transformait en conseils de parties prenantes. Ils serviraient de lieu pour examiner les indicateurs de qualité en matière de soins, les résultats obtenus dans le cadre des audits et des accréditations et les réponses aux enquêtes de satisfaction qui sont régulièrement menées.

Nous faisons chaque année une enquête complète dans les maisons de retraite, sur la base d’un questionnaire destiné à la fois aux résidents en mesure de s’exprimer et aux familles. Près de 40 % d’entre elles ont répondu au dernier questionnaire, ce qui est considérable. Ces enquêtes permettent de voir ce qui va bien mais aussi les améliorations à apporter. Par ailleurs, nous demandons aux gens s’ils recommanderaient vraiment l’établissement. Nous considérons que la réponse est positive lorsque la note attribuée est au moins de 8 sur une échelle allant jusqu’à 10 – en dessous, nous considérons que ce n’est pas une vraie recommandation.

Cette sorte de photo est en général prise au dernier trimestre. Nous réalisons également une enquête systématique, sur le même modèle, à l’issue d’un mois de séjour, afin de prendre la température. Nous avons recours à Ipsos, qui dispose de bases de données permettant de faire des comparaisons à la fois avec d’autres acteurs du grand âge et dans les sept pays où nous sommes implantés. Nous publions les résultats dans notre rapport annuel et nous les présentons dans chaque établissement. Voilà notre outil de mesure : je ne prétends pas qu’il est parfait, mais il me semble important.

Y a-t-il de la place pour un nouveau métier de responsable des relations avec les familles ? Oui, et nous avons commencé à le mettre en place. Notre objectif est d’installer partout, que ce soit auprès du directeur ou de la directrice de l’établissement, auprès de l’infirmier coordinateur ou de l’infirmière coordinatrice ou auprès de la personne qui gère toute la partie administrative, une personne vraiment dédiée à ce sujet, un interlocuteur naturel des familles pour résoudre ou prévenir tous les problèmes liés à la vie quotidienne dans l’établissement.

J’ai répondu à votre dernière question, madame Six, lorsque j’ai parlé des enquêtes de satisfaction.

Ai-je dénoncé un manque de financements publics ? Je ne me le permettrais pas. J’ai juste voulu dire qu’il faut prendre en compte le coût lorsqu’on parle du ratio de personnels présents. La loi ASV a permis d’augmenter significativement les dotations pour les soins, ce qui est vraiment positif et je ne voudrais pas qu’on l’oublie. Si on veut aller plus loin, vers un ratio de 8 pour 10, de 1 pour 1 ou de 1,2 pour 1 – j’ai évoqué les Pays-Bas où nous avons plusieurs structures, de petite taille, étant entendu qu’avoir 25 ou 30 lits produit une ambiance très différente, beaucoup plus familiale –, cela implique d’autres niveaux de financement. Pour continuer à faire progresser la rémunération des soignants, ce qui est un facteur d’attractivité important, il faut aussi le financement correspondant.

Aux Pays-Bas, les montants ne sont pas de 60 euros par lit et par jour en moyenne, mais de 200 euros, avec des contreparties très claires, en matière de taux d’encadrement – un ratio de 1,2 pour 1, dans des structures de bien plus petite taille – ou du point de vue des formations. Il y a un prix. Je pense qu’on ne peut pas demander aujourd’hui aux résidents ou aux familles de financer le complément. Il faut plutôt se demander ce qu’on veut pousser vers le secteur sanitaire et ce qu’on veut pousser vers un secteur médico-social adapté aux problématiques du grand âge et de l’accompagnement.

Je reviens sur la question des droits d’entrée ou de la « dîme » qui a été posée par Mme Dubié. Ce genre de pratique n’existe pas chez nous. En revanche, il est logique que des personnes qui privatisent régulièrement une partie d’un établissement, comme les coiffeurs, apportent une contribution à due proportion de leur utilisation.

Vous m’avez demandé ce que changerait le passage sous un statut d’entreprise à mission. Les institutions représentatives du personnel, en particulier le comité social et économique central (CSEC) français et le comité d’entreprise européen, se sont dites très favorables à une telle évolution. Nous nous étions déjà posé la question après l’adoption de la loi PACTE. Être une entreprise à mission implique d’être clair concernant sa raison d’être, sa mission, qui est inscrite dans les statuts.

À l’issue d’un travail auquel nos collaborateurs et nos conseils de parties prenantes, lorsqu’ils existent, ont été largement associés, nous avons abouti à la formulation suivante : soigner et accompagner les personnes âgées et fragiles et leurs proches, dans le respect de leur dignité, et contribuer à leur qualité de vie. Cette mission embrasse ce que nous faisons dans les maisons de retraite médicalisées, à domicile et dans les établissements de santé spécialisés – nous en avons beaucoup –, qui accompagnent, mais surtout soignent, dans la perspective d’un retour à une vie aussi autonome que possible. Il nous paraît important d’indiquer que nous sommes là pour les patients, pour les résidents, mais aussi dans une large mesure pour les aidants : nous leur offrons un répit, en servant de relais. Par ailleurs, les notions de dignité et de qualité de vie nous semblent essentielles. Il faut voir si c’est la bonne formulation et comment la traduire dans d’autres langues – ce ne sont pas des questions simples – mais notre raison d’être est définie et nous la suivons.

À côté du conseil d’administration, qui est très présent chez nous, et de ses comités spécialisés – nous avons notamment un comité éthique, qualité et RSE, qui siège tous les trimestres et qui regarde les indicateurs de qualité dont j’ai parlé, ainsi que les événements indésirables graves, même s’il ne le fait pas d’une manière individuelle, puisqu’il s’intéresse à la façon dont les audits se déroulent, aux principaux enseignements et aux risques –, une entreprise à mission est dotée d’un comité de mission, qui est le garant du fait que l’entreprise agit fidèlement à sa mission. Ce comité compte des représentants du personnel et des représentants des parties prenantes externes, et il a des moyens d’audit.

Il mène des audits non pas sur les situations individuelles mais sur l’ensemble de la gouvernance, afin de s’assurer que l’organisation fait ce qu’elle dit et réalise ses meilleurs efforts pour être fidèle à la raison d’être qu’elle s’est donnée et pour tenir ses engagements. Par ailleurs, le comité de mission rapporte publiquement chaque année, devant l’assemblée générale des actionnaires et dans le rapport d’activité, ce qu’il en est, c’est-à-dire ce qui va bien et ce qui va moins bien. Pour cela, je le répète, le comité de mission dispose de moyens d’audit et de certification indépendants.

Je pense que c’est plutôt la bonne direction à suivre, même si la question de la maturité peut se poser, s’agissant de la construction du comité de mission. Il ne s’agit nullement d’une martingale, mais cela va dans le sens d’une gouvernance très robuste et très saine.

J’en viens à la question portant sur les frais de siège, c’est-à-dire en gros le coût des fonctions centrales et support. Ces frais représentent à peu près 4 % du chiffre d’affaires.

M. Dharréville m’a demandé si nous avions des contrats précaires. C’est le cas, malheureusement, non parce que nous le souhaitons mais parce que nous devons recourir à des contrats à durée déterminée pour remplacer les absences prévues ou inopinées et assurer la continuité de notre activité. Par ailleurs, certaines personnes, avec lesquelles nous travaillons parfois depuis longtemps et très bien, ne veulent pas d’un CDI, pour de multiples raisons – par exemple parce qu’elles ont déjà un CDI dans une autre structure. Avons-nous été condamnés pour recours abusif à des contrats précaires ? Nous l’avons été une fois, pour des faits remontant à 2015. Voilà ce que je peux vous dire, sous le contrôle de Nadège Plou.

Pratiquons-nous un rationnement ? Absolument pas, je l’ai dit, qu’il s’agisse d’alimentation ou d’équipement. Si des faits de rationnement me sont rapportés, je considère que cela constitue une faute : c’est de la maltraitance, et les conséquences doivent en être tirées.

Un tiers du capital de la société est entre les mains de Crédit agricole assurances et de Malakoff Humanis, qui sont nos deux premiers actionnaires. Figurent aussi parmi les actionnaires la Caisse des dépôts et consignations et des fonds tels que Sycomore, qui sont très tournés vers les critères ESG – environnementaux, sociaux et de gouvernance. Pourquoi investissent-ils dans Korian ? Sans parler à leur place, je peux vous dire ce qui anime Crédit agricole assurances, qui est présent dans les territoires, auprès de populations qui vieillissent : cet actionnaire considère que son rôle est aussi de faire en sorte qu’il y ait partout des solutions de proximité et de qualité pour assurer ce bien essentiel et supérieur qu’est la santé. C’est pour cette raison que le Crédit agricole est présent à notre capital depuis quatorze ans et qu’il accompagne la société – il l’a beaucoup fait en ce qui concerne notre diversification.

En effet, Korian, c’est aussi Petits-fils, et ses 220 agences présentes dans des villes, notamment moyennes, et de plus en plus dans des zones rurales, et c’est également Âges & Vie. Sans le Crédit agricole et la Caisse des dépôts et consignations, nous n’en serions pas là. Nous avons un petit véhicule d’investissement, de 300 millions d’euros – et nous allons en remettre 400 – qui nous a permis de construire des habitats inclusifs, des colocations de seize personnes dans des petits bourgs ou des villages, avec deux auxiliaires de vie qui habitent sur place, en compagnie de leurs enfants, et des collaborateurs qui se relaient. Ces colocations sont destinées à des personnes fragiles, isolées, mais pas dépendantes, notamment sur le plan cognitif.

Nous avons des actionnaires qui soutiennent vraiment nos investissements. En 2020 – nous n’avons pas encore approuvé les chiffres de 2021 –, Korian a réalisé 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France. La même année, 1,1 milliard d’euros ont été consacrés aux salaires et aux charges, soit près de 60 % du total, et 500 millions aux achats externes et aux loyers – en effet, nous ne sommes propriétaires que d’un quart de notre parc. Le résultat net, déduction faite des impôts, des frais financiers et des frais de siège, représente 4 % du chiffre d’affaires. À l’échelle du groupe, le chiffre d’affaires s’élevait à 3,8 milliards d’euros en 2020 et nous avons versé 30 millions d’euros de dividendes, dont 15 millions ont été réinvestis par les actionnaires, puisqu’ils ont été payés en actions – ils ont en fait remis de l’argent dans le capital de la société. Au cours de la même année, nous avons investi 400 millions d’euros en France dans le médico-social, dans les cliniques et dans Âge & Vie. Vous voyez que nos actionnaires n’ont vraiment pas une approche prédatrice.

Notre résultat net est plus faible – on m’a suffisamment dit que Korian n’était pas assez profitable… – que celui des autres groupes qui œuvrent dans le même secteur, et notre niveau d’investissement est beaucoup plus important. Je peux le faire parce que j’ai la chance d’avoir des actionnaires qui ont une vision de long terme et qui veulent absolument que le secteur se développe sur le plan de la qualité et dans la durée.

À titre de comparaison, le résultat net d’une entreprise industrielle comme Michelin était de 9 % de son chiffre d’affaires avant la crise. Pour notre part, nous investissons 400 millions en France sur un chiffre d’affaires de moins de 2 milliards, ce qui est considérable. Je ne sais pas si vous connaissez beaucoup d’acteurs qui en font autant. Ces 400 millions sont investis dans la rénovation de notre parc ou dans les systèmes d’information.

Notre résultat net est nettement inférieur à 5 % en France et à 3 % au niveau du groupe. Si nous n’étions pas bénéficiaires, néanmoins, nous ne pourrions pas garder durablement nos actionnaires. Ils ont eux-mêmes besoin de servir leurs actionnaires ou leurs assurés, même s’ils ont une vision de long terme, et nous avons besoin d’argent pour pouvoir rénover le secteur, le transformer. Chacun a évidemment le droit d’avoir sa propre opinion, mais il me semble qu’on peut parler de bénéfice raisonnable – et je trouve que c’est une notion qui a un sens dans notre secteur.

Mme Jeanine Dubié. Vous parlez de bénéfice raisonnable : peut-on le définir, l’encadrer, de manière à éviter les dérives ou doit-on s’en remettre au choix moral de chaque groupe ?

Mme Sophie Boissard. Je suis convaincue que si nous adoptons le statut d’entreprise à mission, le renforcement de la gouvernance et les objectifs sociaux que l’entreprise se donnera pour mission d’atteindre imposeront une forme d’autodiscipline. On le voit bien, dans notre secteur, la réputation de l’entreprise et l’appréciation portée sur la manière dont elle assume sa responsabilité sociétale sont critiques : aucun investisseur sérieux ne veut se trouver au capital d’une société qui ne remplirait pas sa mission. Il y va du pacte de confiance, qui me paraît plus important que la définition d’un niveau de bénéfice raisonnable, niveau qui pourrait, en outre, varier au fil du temps. Je mise donc plutôt sur le statut d’entreprise à mission et, surtout, sur la qualité de la gouvernance.

Quant à mes objectifs, ils sont liés, pour moitié, aux performances économiques de la société – à savoir le chiffre d’affaires, la marge opérationnelle, qui permet de financer les investissements, et le « cash », c’est-à-dire le fait d’avoir de l’argent disponible pour que les investissements puissent être réalisés sans mettre en péril, compte tenu du niveau d’endettement, la soutenabilité de la structure financière de la société – et, pour l’autre moitié – c’est moins classique –, à des appréciations qualitatives. Celles-ci résultent des enquêtes de satisfaction réalisées auprès des résidents et des familles, d’indicateurs de ressources humaines, tels que le nombre de personnes engagées en formation qualifiante – notre objectif est que 10 % de l’effectif suivent une telle formation –, l’évolution de l’absentéisme – cette année, le nombre des accidents du travail avec arrêt – et, surtout, l’évolution de l’ancienneté moyenne de nos collaborateurs, qui traduit notre capacité à fidéliser. Depuis que nous la mesurons, cette ancienneté moyenne a progressé de plus d’un an, pour atteindre, en France, près de huit ans. Nous parvenons donc à fidéliser un noyau très stable de personnels, qui forment la colonne vertébrale de nos établissements. Nous nous sommes fixés, en outre, des objectifs en matière de certification qualité – j’en ai parlé – et de réduction de notre empreinte carbone, compte tenu de l’emprise de nos bâtiments et de notre production de déchets.

Enfin, nous avons lancé un programme de rachat d’actions car mon objectif est que nos collaborateurs deviennent des actionnaires de l’entreprise et participent, même symboliquement, au processus de décision en qualité de copropriétaires de l’entité à laquelle ils consacrent beaucoup d’énergie.

M. Alain Ramadier. Je tiens, madame Boissard, à saluer à mon tour le ton de votre intervention ainsi que la transparence et la précision des éléments que vous nous communiquez.

La parution du livre Les Fossoyeurs aura permis de libérer la parole sur les graves manquements et dysfonctionnements constatés dans de nombreux EHPAD. Il n’est pas question ici de faire œuvre de justice mais, après la révélation de cas de maltraitance au sein de ces établissements, il paraît légitime que la représentation nationale vous interroge.

Vous avez mentionné les contrôles internes, mais qu’en est-il de ceux qui sont effectués par les agences régionales de santé ? Combien les ARS ont-elles réalisé de contrôles ? Vous ont-elles systématiquement prévenus ? Quelles suites donnez-vous à ces différents contrôles ?

Enfin, quelle est la part des CDD et celle des CDI au sein de vos établissements ? Quel est le niveau de qualification des effectifs et quelle est votre politique en matière de remplacement des personnels absents ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Je veux tout d’abord exprimer mon soutien total aux professionnels du grand âge, qui sont tous entachés par le scandale lié à la parution du livre de Victor Castanet. S’ils sont avérés, les faits dénoncés sont très graves, mais il ne faut pas mettre tous les établissements dans le même panier : la plupart des professionnels s’occupent de nos aînés avec beaucoup de dévouement et de bienveillance.

Le livre soulève notamment le problème important de l’entrave à la parole des professionnels qui peuvent être témoins de dysfonctionnements. Je souhaiterais donc savoir comment les remontées du terrain et les alertes lancées par les salariés sont prises en compte dans votre groupe.

Par ailleurs, quel est le niveau du turnover, notamment sur les postes de direction d’établissement ?

Enfin, pouvez-vous nous donner quelques éclairages sur le dialogue social au sein de votre groupe ? Existe-t-il un « syndicat maison » ou travaillez-vous avec les organisations professionnelles représentatives ? Quelles sont les modalités de vos échanges avec les partenaires sociaux sur la bientraitance ?

M. Thierry Michels. Je souhaite pour ma part revenir sur le système qualité, qui permet précisément de prévenir des drames tels que ceux qui sont dénoncés dans le livre de M. Castanet.

À ce propos, je note que, dans votre rapport annuel 2020, vous estimez que les risques opérationnels liés aux soins et à la prise en charge sont élevés, quand les dirigeants d’Orpea jugent quant à eux ces risques modérés. Lorsqu’on sait ce qu’il en est, cela donne à réfléchir…

À la lumière du choc provoqué par ces révélations – et je m’associe à la reconnaissance que mes collègues ont témoignée aux personnes qui prennent soin de nos aînés –, quelles sont les transformations que vous envisagez de réaliser pour poursuivre dans la voie de la qualité ? Je relève, par exemple, que 11 % de vos établissements sont certifiés ISO 9001. C’est bien, mais c’est peu !

M. Jean-Louis Touraine. Je vous remercie à mon tour pour les informations que vous nous communiquez et pour votre effort de transparence, et vous demande de bien vouloir transmettre aux professionnels de vos établissements la reconnaissance que nous inspire leur dévouement.

Je me bornerai à vous interroger sur deux épisodes qui ont défrayé la chronique lyonnaise ces dernières années ; je souhaiterais savoir quelles leçons en ont été tirées et les corrections qui ont été apportées.

Tout d’abord, entre le 23 décembre 2016 et le 7 janvier 2017, 73 des 110 résidents de la résidence Korian Berthelot ont contracté la grippe : 13 d’entre eux sont décédés en moins de deux semaines, sept autres ont dû être hospitalisés. Dans son rapport, l’Inspection générale des affaires sociales relève que le taux de vaccination des résidents n’était que de 38 %, alors qu’il aurait dû être d’au moins 50 % – ce qui paraît peu, du reste. Il se trouve que la part des personnels vaccinés était, elle aussi, très faible : de l’ordre de 20 %. Certes, depuis un décret de 2006, les soignants ne sont plus soumis à l’obligation vaccinale. Mais il est très dommageable que le taux de vaccination des personnels de cet établissement ait été si bas, car on a pu établir que ces derniers avaient été à l’origine de la contamination des résidents. Des efforts ont-ils été consentis depuis pour améliorer le taux de vaccination des résidents et des personnels ?

Plus récemment, un homme est mort, dans des conditions douloureuses, de déshydratation prolongée bien que sa fille ait insisté sur la dégradation de l’état de son père. Enfin, une femme qui avait été oubliée à plusieurs reprises dans les couloirs de sa résidence a renoncé à se rendre au restaurant, donc à s’alimenter, de peur qu’on l’oublie à nouveau. Je suppose que ces cas ont été portés à votre connaissance. Vous ont-ils conduits à apporter des corrections ?

M. Marc Delatte. Dans notre société, le care, c’est-à-dire le soin, est dévalorisé au profit du cure, c’est-à-dire d’une surmédicalisation.

Levinas disait que l’indifférence nie la vie. Avez-vous favorisé ou suscité, au sein de votre groupe, l’émergence de cellules éthiques, éventuellement en relation avec les espaces régionaux d’éthique ? Cette piste vous semble-t-elle devoir être explorée et ce type de dispositif être étendu à l’ensemble des établissements médico-sociaux, qu’ils soient lucratifs ou non ? Si tel est le cas, le groupement hospitalier de territoire (GHT) est-il l’échelon pertinent ?

Notre société se grandit en acceptant ses fragilités.

M. Nicolas Mérigot. Monsieur Ramadier, les contrôles que nous avons mentionnés tout à l’heure sont en fait ceux des ARS : ils ont été au nombre de treize en 2018, dix en 2019, sept en 2020 et sept en 2021 – ces deux dernières années n’étant pas représentatives du fait de la pandémie.

Ces inspections sont rarement inopinées : on nous en informe et on nous adresse la lettre de mission correspondante. Elles sont de grande qualité : plusieurs inspecteurs y participent, dont un médecin, qui connaissent très bien le fonctionnement des établissements sanitaires et médico-sociaux. Leur rapport recense les points de non-conformité et comporte des observations et recommandations. Pour chaque point, nous apportons les réponses, menons les actions correctrices et fournissons la documentation complémentaire. À l’issue de ces échanges, l’ARS nous adresse un courrier par lequel elle nous informe de la fin de l’inspection. Je ferai toutefois un reproche à la procédure actuelle : l’ARS clôture très rarement les dossiers ; nous souhaiterions que la fin du contrôle soit davantage formalisée, par l’envoi d’un courrier.

Nous sommes également contrôlés, au même titre que toute autre entreprise, par l’inspection du travail, la direction départementale de la protection des populations (DDPP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).

Nous effectuons par ailleurs des contrôles internes. Le premier niveau de contrôle consiste à suivre un certain nombre d’indicateurs très concrets : chaque résident est-il bien pesé au moins une fois par mois ? A-t-il bien réalisé un bilan cognitif ? Le délai de réponse à l’appel d’un patient, qui doit être tout au plus de dix minutes, est-il bien respecté ? Le management doit faire vivre les échanges entre les équipes locales sur ces indicateurs.

Ensuite, un système d’audit à 360° permet de passer en revue tous les processus de l’entreprise, de formuler des observations, à la manière d’un contrôleur externe, et de mettre en œuvre des plans d’action dans les établissements les moins bien notés, plans dont je m’assure de l’application chaque mois, dans le cadre du comité de suivi de la qualité, jusqu’à ce que le niveau requis soit atteint.

Par ailleurs, nous sommes convaincus que la prise en charge individuelle est très importante. Aussi tous les établissements doivent-ils réaliser, chaque année, un autocontrôle qui porte sur le circuit du médicament, la qualité des soins, l’hygiène… Et, sur le fondement de ces autoévaluations, la direction médicale les aide à progresser, car c’est ce qui nous importe.

En ce qui concerne la liberté des personnels, un professionnel de santé a pour première obligation, lorsqu’il constate une défaillance ou un problème, de déclarer un événement indésirable grave. Chez Korian, il doit faire une double déclaration : auprès de l’ARS et sur la plateforme du groupe, de façon que nous puissions juger de la criticité de l’événement, le qualifier et, là encore, en assurer le suivi, en analyser les causes et en tirer les conséquences. Ces conséquences sont diverses : on peut prévoir une formation complémentaire, un changement de matériel ou de méthode de travail, voire licencier des personnels. L’an dernier, trente-cinq événements indésirables graves correspondant à des cas de maltraitance ont été signalés : dix-neuf d’entre eux étaient d’une gravité telle qu’ils relevaient d’une infraction pénale et qu’il était donc de notre devoir de les révéler, en toute transparence, au procureur de la République. Nous pouvons avoir des doutes, mais nous considérons que c’est au procureur de décider ce qu’il en est.

Dans nos établissements, nous favorisons la culture de l’expression, l’échange, la transparence. Bien entendu, nous appliquons l’ensemble des dispositifs imposés par les lois Sapin, que votre assemblée vient du reste de renforcer. Nous y sommes très favorables : les lanceurs d’alerte doivent être protégés et pouvoir s’exprimer, mais il faut éviter les règlements de comptes ou le recours à ce type de procédure pour régler des situations conflictuelles. Vos travaux veillent à cet équilibre. Chez nous, le processus est le suivant : les alertes sont instruites par la directrice de la compliance et de l’éthique, qui est parfaitement autonome et se trouve hors de la hiérarchie opérationnelle. Nous pouvons aller jusqu’à faire appel – ce fut le cas cette année – à un cabinet extérieur pour qu’il auditionne les personnes concernées et analyse la situation afin que je puisse comprendre ce qui s’est réellement passé et, le cas échéant, prendre les sanctions disciplinaires qui s’imposent.

Le risque de maltraitance existe : il est inhérent à notre activité. C’est pourquoi nous cherchons à favoriser une culture de la prévention et à disposer d’outils qui permettent de faire remonter les dysfonctionnements et, surtout – dans la logique de la certification ISO, de l’assurance qualité ou de l’accréditation –, d’analyser leurs causes et d’en tirer les conséquences pour nos organisations, de sorte que les faits ne se répètent plus, en tout cas que leur portée ou leur fréquence soit moindre.

Mme Sophie Boissard. Dans nos établissements, le taux de CDD est en moyenne de l’ordre de 20 %. C’est trop, mais cela correspond au marché du travail actuel.

Quant à la politique de remplacement, elle diffère selon que l’absence est imprévue ou programmée – vacances, congé maternité ou maladie longue. Bien entendu, toutes les absences programmées, qui peuvent être anticipées, donnent lieu à un remplacement. Les absences de dernière minute, beaucoup plus difficiles à remplacer au pied levé, sont le cauchemar des directeurs et des infirmiers coordinateurs. C’est pourquoi, en 2018, nous avons décidé, dans le cadre d’un accord signé avec deux des principales organisations syndicales, d’internaliser les remplacements en créant, pour les fonctions soignantes, des contrats permanents supplémentaires, appelés CDI d’appui. Un tel dispositif implique cependant de revoir l’organisation, l’affectation des uns et des autres… Sa mise en œuvre a donc nécessité une conduite du changement ; elle est intervenue juste avant la pandémie, et nous allons bien entendu poursuivre dans cette voie.

Madame Parmentier-Lecocq, je vous remercie pour les mots de soutien très chaleureux que vous avez eus, ainsi que plusieurs de vos collègues, pour les professionnels : ceux d’entre eux qui nous écoutent y seront très sensibles.

En ce qui concerne les entraves à la parole, Nicolas Mérigot a décrit assez précisément le système de recueil des alertes. J’ajouterai, et cela fait écho à votre autre question, que nous avons à cœur de permettre un dialogue social sain, au plus près de chaque établissement. L’accord qui vaut pour Korian en France prévoit un ou deux représentants de proximité dans chacun des sites. Depuis un an et demi, ces représentants sont formés, ainsi que les directeurs de site et d’établissement, à la conduite de ce dialogue. Il s’agit, lorsqu’on fait le point mensuellement sur la situation de l’établissement, d’oser se dire les choses et de transmettre les signaux d’alerte. C’est un élément très important de la gouvernance saine que j’évoquais tout à l’heure.

Outre ce tissu très important de représentants de proximité, le groupe comprend sept comités d’entreprise régionaux et sectoriels. Nous avons ainsi un comité médico-social et un comité sanitaire par région, un comité pour les fonctions centrales, un comité commun pour l’ensemble de l’unité économique et sociale France et un comité d’entreprise européen, qui se renforcera à la faveur de la transformation, sur le plan juridique, de l’entreprise en société européenne. De nombreux soignants siègent dans ce comité européen, qui a spontanément voulu se saisir des questions de santé et de sécurité au travail et de qualité des soins, avec l’idée que cette instance peut être un lieu d’échange des bonnes pratiques et des recommandations. Cette démarche me paraît intéressante.

En France, les organisations syndicales présentes sont dans l’ordre décroissant de leurs résultats aux dernières élections : l’UNSA, qui a recueilli 32 % des voix, la CGT, qui a recueilli un peu moins de 27 % des voix, la CFDT, 25,2 % des voix, et FO, 16 % des voix. Nous n’avons évidemment pas de « syndicat maison » ; je ne sais même pas ce que cela signifie. Du reste, il est important, pour la qualité du dialogue, de bénéficier de la connaissance très approfondie qu’ont les fédérations des besoins du secteur, notamment en matière de formation et de santé et de sécurité au travail. Elles ont évidemment beaucoup à dire pour soutenir leurs propres représentants dans l’entreprise, compte tenu de la place qu’occupe notre groupe dans le secteur.

Le turnover est de 18 % ; c’est encore beaucoup. C’est la raison pour laquelle nous mesurons l’ancienneté moyenne. On constate en effet que le personnel d’un établissement se compose, d’une part, de gens très fidèles, qui en forment l’ossature, et, d’autre part, d’entrants et de sortants, ce turnover correspondant à la démographie et aux aspirations des jeunes soignants. La mesure du seul turnover ne reflète donc pas la stabilité et la solidité d’une équipe. Concernant les directeurs, le turnover est de 10 %. Je dois avouer que la période de la crise sanitaire a été très difficile ; il faut prendre en considération la charge mentale, qui a été lourde dans le secteur de la santé.

M. Nicolas Mérigot. J’ajoute que le choix d’une représentation à différents niveaux nous permet de gérer la politique de ressources humaines sur la base d’accords. Nous en avons conclu six en 2020 et quatre en 2021. Je citerai l’accord sur l’intéressement – qui est en partie fondé sur la baisse de l’absentéisme, c’est-à-dire sur la solidarité des équipes –, le renouvellement de l’accord sur les travailleurs handicapés, qui a été signé à l’unanimité, et l’accord sur la santé et la sécurité au travail, qui a également été signé à l’unanimité, en mai dernier, et qui est en cours de déploiement. Huit préventeurs sont chargés d’analyser les risques de santé au travail afin de réduire les facteurs de risque et travaillent, par exemple, avec la direction des achats, afin que les personnels bénéficient des matériels les plus adaptés au transfert et à la manipulation des résidents. Par ailleurs, nous entamerons, en 2022, une négociation collective sur l’organisation du travail, qui est un élément-clé pour retenir les personnels dans ce métier.

Monsieur Touraine, je n’ai pas connaissance des deux derniers cas que vous avez cités. Quant à l’épisode tragique de la contamination par le virus de la grippe, il nous a permis de développer une culture vaccinale. Ainsi, le taux de vaccination antigrippale des résidents est actuellement légèrement supérieur à 90 % ; celui des professionnels reste en deçà, autour de 60 %. Nous anticipons très largement les campagnes de vaccination et nous nous efforçons, sur le terrain, de convaincre les résidents et leurs familles de se faire vacciner.

Mme Sophie Boissard. La tragédie survenue à la résidence Berthelot est due à un début d’épidémie précoce – qui plus est lors des fêtes de Noël, pendant lesquelles les allées et venues sont nombreuses – dans un site qui avait tardé à accélérer la campagne de vaccination. Désormais, selon les bonnes pratiques – elles nous ont d’ailleurs permis de réussir la campagne contre le covid-19 –, les campagnes vaccinales sont anticipées très tôt et les approvisionnements en vaccins sont pilotés au niveau central, afin que que nous ne soyons pas surpris par une arrivée précoce de la grippe. J’ajoute que c’est dans le cadre de cette réflexion que nous avons déployé les infirmiers référents en hygiène, qui seront le fer de lance de la certification.

Monsieur Michels, le système qualité est, vous l’aurez compris, une priorité très forte. S’agissant de la certification ISO 9001, notre objectif est d’atteindre le taux de 100 % d’ici à 2023. Mais la démarche de certification est désormais entièrement achetée. En fait, elle est appliquée depuis très longtemps dans nos établissements italiens, et nous avons réalisé qu’elle était transposable dans chacun des autres pays du groupe. Du reste, le témoignage positif des établissements italiens a beaucoup aidé les établissements français à surmonter leurs préventions.

Nous allons également travailler à l’élaboration de labels spécialisés. Je pense notamment à un label européen sur la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, qui inclura bien entendu les thérapies non médicamenteuses. Il s’agit de certifier nos établissements en prenant en considération la pratique des soignants, l’inclusion des familles dans le projet et le design des lieux – les projets d’investissement et de rénovation doivent s’inspirer de modèles d’organisation favorables au bien-être et à la sérénité des résidents.

Enfin, un système de qualité passe avant tout, dans nos métiers, par le partage d’une culture de l’attention et de la bienveillance à laquelle les personnes qui entrent dans l’entreprise doivent rapidement contribuer. Il s’agit de traduire concrètement, au quotidien, nos trois valeurs que sont la confiance, l’initiative et la responsabilité. Je crois beaucoup à une refonte complète des modalités de la formation : il s’agit de former sur site, dans le cadre de mises en situation, de jeux. Un rappel régulier des bonnes pratiques et de la charte éthique est probablement l’élément le plus important de la culture de qualité et d’excellence.

Monsieur Delatte, les espaces éthiques sont en effet très importants. Notre fondation s’est emparée de ce sujet pour travailler, en lien notamment avec Fabrice Gzil, professeur de philosophie et d’éthique, et le conseil scientifique, à la création d’un réseau d’espaces éthiques dans les établissements volontaires afin de faire rayonner cette approche localement. Cela doit-il se faire à l’échelon du GHT ou la maille doit-elle être plus fine ? Cela dépendra des territoires et des affinités locales. L’idée, en tout cas, est de proposer des questionnements et des démarches qui pourront être intégrés par la suite dans les référentiels partagés. Qu’il s’agisse de l’accompagnement palliatif, du respect de la vie intime des résidents ou de la relation avec le référent familial et les autres membres de la famille, nombre de situations soulèvent des questions qui doivent être traitées sereinement par l’équipe soignante, en formulant les dilemmes, avec l’aide d’un superviseur ou d’un sage, pour trouver la meilleure solution.

Mme Jeanine Dubié. S’agissant des frais de siège, vous avez indiqué que le montant prélevé sur les établissements était de 4 % du chiffre d’affaires. S’agit-il du chiffre d’affaires de l’établissement et, dans ce cas, ce prélèvement inclut-il l’ensemble des sections : hébergement, dépendance et soins ? Ou bien s’agit-il de 4 % du chiffre d’affaires du groupe ? Auquel cas je souhaiterais connaître la répartition entre les établissements.

M. Nicolas Mérigot. C’est bien 4 % du chiffre d’affaires du groupe, et cela ne pèse en rien sur les sections soins et dépendance. Au reste, on peut se demander s’il est normal que l’assurance qualité, le support d’une direction médicale ou, tout simplement, l’informatique médicale ne relèvent pas de la section soins ? Il est en effet difficile de soigner une personne sans circuit médical informatisé.

Mme Jeanine Dubié. C’est entendu, mais quel est le montant prélevé sur chaque établissement ? Y a-t-il une péréquation ?

M. Nicolas Mérigot. Il n’y a ni péréquation ni pourcentage : ce sont les résultats des sections hébergement qui remontent et financent le siège, où ils sont mutualisés. Les établissements bénéficient ainsi d’une enveloppe globale et peuvent, grâce à ce système très souple, gérer les investissements, les formations ou les recrutements complémentaires en dehors de la contrainte du résultat et en fonction de leurs seuls besoins. Ainsi, si nous décidons de rénover l’étage d’un établissement, ce n’est pas en fonction de la contrainte financière mais parce que des travaux sont nécessaires. C’est l’avantage d’un groupe : la mutualisation offre la possibilité d’utiliser les ressources disponibles au bénéfice des établissements au moment où ils en ont besoin.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie l’une et l’autre pour vos réponses et pour le ton de vos interventions. Nos anciens méritent toute notre attention et notre protection. Nous sommes là, non pas pour juger, mais pour essayer de comprendre et, si besoin est, pour légiférer, dans l’intérêt général. Nous exerçons ainsi et notre mission de contrôle et, le cas échéant, notre mission de législateur.

 

 

 

 

La séance est levée à dix-sept heures cinq.

 

 

 


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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 14 heures 30

Présents.  Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Carles Grelier, Mme Monique Iborra, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Martin, M. Thierry Michels, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, Mme Michèle Peyron, M. Alain Ramadier, Mme Valérie Six, M. Jean-Louis Touraine, M. Boris Vallaud, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier

Excusés.  Mme Stéphanie Atger, Mme Justine Benin, M. Jean-Pierre Door, Mme Claire Guion-Firmin, M. Thomas Mesnier, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe