Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) :

- Examen de l’avis sur le « prélèvement européen » (M. M’Jid El Guerrab, rapporteur pour avis) ;  2

 Vote sur l’article 18 du projet de loi de finances pour 2022.  10

 Information relative à la commission ................... 10

 

 

 

 


Mercredi  
13 octobre 2021

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 006

session ordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président

 


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La séance est ouverte à 11 heures 45

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, Président.

Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le
projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) :

Examen de l’avis sur le « prélèvement européen »
(M. M’Jid El Guerrab, rapporteur pour avis) ;
vote sur l’article 18 du projet de loi de finances pour 2021

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre d’un sujet qui est très important stratégiquement, mais sur lequel nous avons un pouvoir relativement restreint : je veux parler du prélèvement européen.

Il est évalué à 26,4 milliards pour 2022, ce qui marque une relative stabilité par rapport à l’année dernière, où son montant avait connu une hausse de 5 milliards, du fait du Brexit et des dépenses liées à la lutte contre la crise sanitaire. Chacun sait ce qu’il en est : il s’agit d’une décision énorme, mais soumise, puisque si nous ne votions pas ce prélèvement nous sortirions de la légalité internationale, ce qui n’est évidemment pas une option.

Heureusement, cela ne nous empêchera pas d’aborder l’ensemble des questions qui tournent autour du budget de l’Europe : le déploiement du plan de relance adopté en septembre 2021 ; l’adaptation des règles budgétaires européennes aux défis auxquels nos États sont confrontés ; le problème des ressources propres de l’Union ; la question du maintien ou de la remise en cause de la règle de l’unanimité en matière fiscale – le dada de certains d’entre vous et de moi-même ; enfin, le respect de l’État de droit et les mécanismes qui visent à en assurer le respect. Ce sont les éternels problèmes sur lesquels nous revenons, budget après budget, puisque, dans l’Union européenne, tout progresse à la vitesse de la tortue.

M. M’jid El Guerrab, rapporteur pour avis. Monsieur le président, chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’article 18 du projet de loi de finances pour 2022, qui évalue le prélèvement sur recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne.

Il s’élève cette année à 26,4 milliards, soit presque le même montant que celui voté en projet de loi de finances rectificative pour 2021. Cette stabilité s’explique par le fait qu’il s’agit de la deuxième année du cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui a été adopté l’année dernière et qui marque, sur le plan budgétaire, un véritable tournant pour l’Union, pour plusieurs raisons.

D’abord, l’accord historique du Conseil européen de juillet 2020 a permis d’établir un budget européen inédit par sa nature et son ampleur : le plan de relance Next Generation EU, doté de 750 milliards, dont 390 milliards de subventions et 360 milliards de prêts, est financé par un emprunt commun qui abonde le budget de l’Union. Ces crédits s’ajoutent à un cadre financier pluriannuel renforcé, s’élevant à 1 074 milliards. Au total, le cadre financier pluriannuel et Next Generation EU représentent 1 824 milliards d’euros, soit 1,8 % du revenu national brut (RNB) de l’Union, alors que, dans le cadre financier pluriannuel précédent, de nombreux États membres refusaient catégoriquement de dépasser le seuil symbolique de 1 %.

S’agissant du cadre financier pluriannuel en tant que tel, il maintient un équilibre entre les politiques dites traditionnelles et les nouvelles priorités. Même si nous aurions espéré davantage de moyens pour ces programmes, plusieurs priorités françaises ont été satisfaites : préservation du budget de la politique agricole commune (PAC) ; augmentation de la politique de cohésion, notamment dans les outre-mer ; création d’un Fonds européen de défense ; augmentation d’un tiers du budget spatial. Au titre des nouveautés, il convient de saluer le nouveau programme dédié à l’Europe de la santé. En outre, pour la première fois, 30 % des dépenses du budget européen sont consacrés à la transition climatique.

S’agissant du plan de relance européen, il est d’ores et déjà opérationnel et les premiers financements ont commencé à être versés aux États membres. Ainsi, début octobre 2021, vingt-deux des vingt-cinq plans de relance nationaux soumis à la Commission ont été approuvés. Les quatre premières levées de fonds effectuées par la Commission ont été un vrai succès auprès des investisseurs et lui ont permis de lever 54 milliards à des conditions très favorables, ce qui prouve la pertinence économique et financière du modèle européen. La Commission avait versé 51,5 milliards de préfinancement à seize États membres.

Le plan de relance français a été adopté en juillet dernier. La France a déjà reçu un préfinancement de 5,1 milliards et fera une deuxième demande de préfinancement à la fin de l’année 2021. Il s’agit d’une contribution essentielle au plan de relance français : sur les 100 milliards prévus pour le plan France relance, 40 milliards, soit 40 %, proviendront de Next Generation EU. Sur ces 40 milliards de financements européens, 20 milliards seront affectés à des projets favorisant la transition verte, comme le dispositif MaPrimeRénov’, dont la quasi-totalité sera financée par le plan de relance européen ; 10 milliards serviront à financer la transition numérique, avec des projets comme la couverture des zones blanches ; 10 milliards financeront le volet « Cohésion sociale » du plan de relance, qui comprend notamment des mesures relatives à la formation professionnelle ou à l’accompagnement au retour à l’emploi.

En outre, la montée en puissance du budget européen s’est accompagnée d’une réaffirmation des valeurs de l’Union avec la création, en 2020, d’un mécanisme inédit de conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit. La Pologne et la Hongrie ont introduit un recours en annulation contre le règlement instaurant ce mécanisme, mais la Commission prévoit de lancer les premières procédures dès cet automne, après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), attendue en octobre 2021.

Indépendamment de cet instrument, la Commission utilise le levier financier pour agir contre les atteintes à l’État de droit en Pologne et en Hongrie. Celles-ci sont de plus en plus préoccupantes, comme en témoigne le refus du tribunal constitutionnel polonais de reconnaître la primauté du droit européen, dans un arrêt rendu jeudi dernier. Elle n’a toujours pas validé les plans nationaux hongrois et polonais qui doivent, comme tous les autres, respecter les recommandations par pays définies dans le cadre du semestre européen : en l’espèce, elles concernent notamment l’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption.

Enfin, la création de nouvelles ressources propres est essentielle, non seulement pour rembourser l’emprunt, mais aussi pour sortir de la logique du « juste retour », du raisonnement à courte vue selon lequel chacun devrait recevoir de l’Union européenne à peu près ce qu’il lui verse. Les institutions européennes se sont donné une feuille de route ambitieuse prévoyant de créer cinq nouvelles ressources propres. Parmi celles-ci, trois doivent être appliquées dès 2023 : la taxe numérique, une ressource fondée sur le système d’échange de quotas d’émission (ETS) et un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). À partir de 2026 sont prévues une taxe sur les transactions financières, ainsi qu’une contribution financière liée au secteur des entreprises ou une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés.

Outre le frein institutionnel constitué par la règle de l’unanimité pour les mesures à caractère fiscal, beaucoup d’obstacles restent à lever pour parvenir à un accord sur chacune de ces ressources. Initialement prévue mi-juillet 2021, la publication par la Commission du paquet ressources propres visant à introduire la redevance numérique, le MACF et la révision du système ETS a été repoussée à l’automne 2021. Ce report s’explique notamment par la volonté de ne pas interférer avec les discussions en cours au sein de l’OCDE sur la taxation des entreprises multinationales.

Il n’en reste pas moins que le remboursement du plan de relance européen implique de dégager de nouvelles ressources d’environ 15 milliards par an de 2028 à 2058, et qu’aucun État membre ne souhaite voir augmenter sa contribution nationale. Il existe donc un vrai consensus sur la nécessité d’avancer sur ce chantier des nouvelles ressources propres.

Des avancées majeures ont eu lieu dans le cadre des négociations de l’OCDE sur la fiscalité des multinationales. La semaine dernière, les trois derniers pays européens qui refusaient l’accord – l’Irlande, l’Estonie et la Hongrie – ont décidé de le soutenir : c’est une étape majeure dans les négociations. S’agissant des recettes potentielles, le secrétaire d’État Clément Beaune a indiqué récemment, devant la commission des affaires européennes de notre assemblée, qu’un tel accord rapporterait 150 milliards de ressources fiscales mondiales supplémentaires, dont 50 milliards dans l’ensemble de l’Union européenne et 5 milliards pour la France. Tout ou partie de cette ressource pourrait contribuer au remboursement du plan de relance et abonder le budget européen dans les années qui viennent.

De surcroît, les ressources propres à caractère environnemental offrent un potentiel de rendement important dans l’absolu et sont cohérentes avec les priorités françaises et européennes en matière de protection de l’environnement. La mise en place de ressources propres environnementales reste cependant tributaire des réformes sectorielles finalement retenues et de l’affectation au budget de l’Union d’une part suffisante des recettes générées.

En conclusion, trois verrous budgétaires ont sauté l’année dernière, à la faveur du Conseil européen de juillet 2020 : la limitation du budget européen à 1 % du PIB européen, l’équilibre entre les dépenses et les recettes, et le gel de toute nouvelle ressource propre. Il convient désormais de transformer l’essai, en faisant aboutir les négociations sur les ressources propres. Ce sera l’un des enjeux fondamentaux de la présidence française de l’Union européenne (PFUE).

À la faveur de toutes ces remarques, je vous invite à vous prononcer en faveur de l’adoption de l’article 18 du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Liliana Tanguy (LaREM). Face à la crise sanitaire, les Européens ont su faire honneur à leurs valeurs de solidarité et de confiance mutuelle. Ils ont su faire avancer le projet européen, né il y a plus de soixante-dix ans. Pour la première fois, l’Union européenne s’est dotée d’une capacité budgétaire propre, à travers le plan de relance Next Generation EU. Doté de 750 milliards, ce plan permet à l’Union de lever des fonds sur les marchés financiers. Ce dispositif constitue un pas de géant dans la construction européenne. Il montre aux citoyens européens que les institutions que nous avons bâties ensemble peuvent les protéger efficacement.

À moyen terme, comme je le notais dans mon rapport d’information sur la loi « climat et résilience » rédigé au titre de la commission des affaires européennes, l’Union sera cruciale pour faire face à l’urgence climatique. Le versement des fonds du plan de relance européen sera ainsi conditionné à l’adoption préalable des plans nationaux, qui doivent consacrer 37 % de leurs projets à la transition écologique, et dont aucun financement ne doit nuire à l’environnement.

Pour relever les défis actuels, l’effort européen ne s’arrête pas là. Pour la première fois, le cadre financier pluriannuel prévoit en effet, sur la période 2021-2027, que 30 % des dépenses seront consacrées à la transition climatique et qu’aucun euro ne pourra être utilisé pour des investissements néfastes au climat.

Enfin, c’est à travers l’Union européenne que nous pourrons maintenir l’exercice de notre souveraineté. Ce n’est qu’unis que nous pourrons maintenir notre indépendance alimentaire, industrielle, scientifique, sanitaire et militaire. Ce sont autant d’enjeux auxquels le budget de l’Union européenne répond résolument pour les six années à venir, par le maintien du budget de la politique agricole commune, la hausse de 50 % des moyens investis dans la recherche, le développement et l’innovation, le doublement des crédits alloués au programme Erasmus, l’augmentation d’un tiers de l’effort financier en direction du programme spatial, la consécration de 5 milliards à la santé et de 8 milliards à la création d’un Fonds européen de défense.

À l’heure où l’Union européenne doit faire face à de nombreux défis, la France doit réaffirmer son attachement à la construction d’un projet commun. C’est ce qu’elle fera en maintenant sa contribution financière à hauteur de 26,4 milliards pour l’année 2022, c’est-à-dire à la même hauteur qu’en 2021, sachant que cette contribution avait augmenté de 27 % l’année dernière, du fait de la crise liée au covid-19 et du départ du Royaume-Uni.

La France maintient donc sa place de deuxième contributeur au budget européen et conserve ainsi son rôle de leader politique et économique de l’Union. C’est pourquoi le groupe La République en Marche partage l’avis du rapporteur et est favorable à l’adoption de l’article 18 du projet de loi de finances pour 2022.

M. Frédéric Petit (Dem). Après une hausse du prélèvement européen l’année dernière, conséquence du Brexit, nous sommes désormais dans une phase de stabilisation de notre participation au budget de l’Union.

Je souhaite insister sur un point particulièrement important pour les Français que je représente, les Français qui vivent au cœur de l’Europe, et dont on parle peu : l’effet de levier. Le budget européen est davantage que la somme des contributions des États membres et il permet de faire plus que la somme des contributions. Il suffit de penser à l’exemple de la corvette européenne évoqué ce matin lors de l’audition du PDG de Naval Group. Si on n’est pas ensemble, on fait moins que si on est ensemble avec les mêmes montants.

Vous avez insisté, monsieur le rapporteur pour avis, sur les financements propres de l’Union. Il en est un qui a été introduit en janvier 2021 : c’est la taxe sur la ressource plastique. Dans la mesure où il n’y a pas de frontières pour le plastique, il aurait été impossible d’imposer cette taxe à une autre échelle qu’à celle de l’Union. Ma collègue vient par ailleurs de rappeler l’énorme effort réalisé en matière de verdissement de nos budgets et de nos plans d’investissement au niveau européen : là encore, nous sommes plus efficaces à vingt-sept que chacun dans notre coin.

C’est une année un peu particulière pour la France, puisqu’elle va présider le Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022. Mon groupe est favorable au vote du prélèvement mais pourriez-vous détailler les principales étapes de la présidence française en vue d’une modernisation et d’une amélioration de ce budget européen ?

M. Alain David (SOC). Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour votre travail, qui dépasse la stricte présentation du prélèvement européen pour 2022. J’ai été très intéressé par les perspectives que vous explorez concernant la création de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne. Elles lui garantiraient une véritable ambition et une réelle autonomie budgétaire, en cassant la logique délétère du juste retour. Comme vous, je souhaite que cette piste fasse, parmi d’autres, l’objet d’avancées volontaristes lors de la prochaine présidence française de l’Union, au premier semestre 2022.

Il me semble dommage que la présidence française, qui devrait être un moment déterminant, soit percutée par nos échéances électorales, alors que la pratique des échanges de présidence aurait justement permis d’éviter tout risque de parasitage.

Parmi les pistes pour créer des ressources propres, outre la taxe sur les transactions financières ou celle sur les multinationales, proposée au niveau de l’OCDE, je suivrai avec attention le projet de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Alors que le débat sur les relocalisations industrielles avait repris un peu de vigueur au moment du pic de l’épidémie de covid-19, il est un peu moins présent. Or je considère qu’une telle initiative pourrait être un premier pas dans la lutte contre le libre-échange forcené qui abîme la planète et place les travailleurs dans une concurrence dangereusement déséquilibrée.

Monsieur le rapporteur, au cours de l’élaboration de votre rapport, avez-vous pu échanger sur le sujet avec Clément Beaune ou d’autres membres du Gouvernement ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le député, je ne pense pas que nous pourrons changer le calendrier électoral, mais je rappelle que nous avons dans notre commission deux personnes, au moins, qui aspirent elles-mêmes à conclure la présidence française de l’Union européenne en tant que Président de la République. Je suis très fier que notre commission soit une sorte de nurserie présidentielle !

M. Jean-Michel Clément (LT). Monsieur le rapporteur, j’aurai deux remarques et deux questions.

Premièrement, je constate une nouvelle fois que plusieurs États – les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède, l’Allemagne – ont saisi l’occasion des négociations sur le plan de relance pour conserver leur rabais dans le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, malgré l’opposition de la France. Au total, ce sont 10 milliards de plus sur sept ans qui se sont envolés des caisses communautaires.

Deuxièmement, cet examen est l’occasion de réaffirmer notre souhait que l’essentiel du budget européen soit composé de ressources propres, car le modèle fondé sur des prélèvements est dépassé. Par ailleurs, comme ces prélèvements reposent pour l’essentiel sur la TVA, l’impôt le plus injuste qui soit, c’est la double peine.

La logique actuelle du prélèvement sur recettes n’a de sens que lorsque l’on souhaite construire une union politique. Elle est au contraire une source de tensions entre des États qui veulent tous en avoir pour leur argent.

J’en arrive à mes deux questions.

Le plan de relance Next Generation EU de 750 milliards, qui fait suite à la crise, prévoit que la France doit recevoir 40 milliards, pour 66 milliards cotisés à l’Union européenne. À ce jour, seuls 5 milliards ont été versés et 7 milliards devraient être versés en 2022. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’échéance de ces versements ?

À l’heure où l’on voit surgir en Europe des contestations de l’État de droit, ne conviendrait-il pas de conditionner les versements européens au respect de celui-ci ? Comme certains de mes compatriotes, je me demande si l’argent des contribuables français doit financer des gouvernements qui ne respectent pas les valeurs humanistes les plus essentielles, qui sont au fondement du projet européen.

M. Jean-Luc Mélenchon (LFI). Vous ne serez pas surpris d’entendre que je ne compte pas voter cette ligne budgétaire : elle est l’occasion de récitations bien connues qui nous font passer à côté d’événements tout à fait considérables. L’événement n’est pas que l’on ait voté des décisions absurdes concernant le plan de relance – lequel n’en est pas un – mais que se multiplient depuis des mois des phénomènes de désagrégation qui devraient nous faire réfléchir.

La désagrégation est tout d’abord idéologique, les États égoïstes ayant refusé le financement de l’Union européenne par des fonds propres. À l’inverse, nous pensons pratiquement tous ici que c’est justement sur cela qu’elle devrait reposer. Au demeurant, c’était le cas autrefois, avant que l’on abolisse les droits de douane, inversant ainsi les financements : hier, c’était les droits de douane d’abord, la contribution des États ensuite ; désormais, c’est la contribution des États, point final. Nous sommes dans une impasse. Les États égoïstes ne vont pas lâcher prise et leurs nombreuses déclarations, dont les connotations antifrançaises ne m’ont pas échappé, sont là pour nous le rappeler.

Le blocage est également principiel. C’est beaucoup plus fondamental car l’Union n’a de sens que par rapport aux principes qu’elle défend. La Pologne et la Hongrie, et même des cours constitutionnelles la remettent en cause, avec l’assentiment bien imprudent d’un certain nombre de personnes. Si la règle pacta sunt servanda n’est plus respectée, il n’y a plus de traité international possible ! Nous sommes vraiment dans une situation très difficile.

Il y a également eu des lâchages, et je veux que cela soit dit et entendu dans cette commission. L’attitude du gouvernement allemand dans le domaine spatial est inadmissible, et son choix de lancer ses petits lanceurs depuis la base de Kiruna, en Suède, est même un coup de poignard dans le dos.

Je ne suis pas d’accord avec la hausse de 30 % du prélèvement européen intervenue à la suite du Brexit : nous, Français, payons plus que les autres parce que nous régalons la tablée entière de rabais de toutes sortes. Nous continuons à payer 7 milliards de plus : je suis contre. Les rabais ont été augmentés pour les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Autriche : je suis contre, parce que c’est nous qui payons. De plus, tout cet argent est fort mal géré : le budget européen, d’année en année, prend des retards sur les engagements pris mais non soldés aux États. Nous sommes passés de 189 milliards en 2014 à 300 milliards aujourd’hui. Si un seul État-nation se comportait ainsi dans le cadre de l’Union, il se ferait tirer les oreilles. L’Union, elle, le fait sans que cela ne dérange personne.

En conclusion, je ne crois pas à ce plan de relance. Les 40 milliards qui seront mis à la disposition de la France ne seront pas payés par des fonds propres mais par les États-nations au prorata de leur contribution au budget. La France recevra 40 milliards mais devra en rembourser 66 ! Je vote contre.

M. Jean-François Mbaye. Votre rapport souligne que le contexte politique et économique est incertain. La constitution progressive d’une véritable capacité budgétaire européenne permettrait de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Pour atteindre cet objectif, vous avez affirmé la nécessité de créer de nouvelles ressources propres et évoqué la pérennisation d’une capacité européenne d’investissement à moyen terme. Quelle perspective voyez-vous concernant la pérennisation d’un instrument d’endettement commun à l’échelle européenne ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’ai toujours été frappé par le fait que les critiques à l’égard de l’Union européenne oscillent entre deux options très différentes, certains dénonçant l’absence de véritable solidarité entre les Européens tandis que d’autres trouvent légitime que chacun soit indépendant et ne s’occupe pas des affaires des autres. On ne sait donc jamais si l’absence de solidarité est vécue comme un constat légitime ou comme une défaillance des peuples. Je suis de ceux qui considèrent que la solidarité fait très souvent défaut entre les Européens et que l’égoïsme est beaucoup trop présent. En revanche, je ne suis pas de ceux qui se résignent à cette situation : il faut absolument construire une solidarité car c’est seulement en mettant les peuples ensemble que nous pourrons arriver à quelque chose.

Clemenceau disait : « On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur. » Les verbes des militants européens, catégorie à laquelle je m’honore d’appartenir, ont un peu la même caractéristique ! C’est bien le cas de ce rapport, qui trace les routes et les perspectives. Il nous est demandé de voter un modeste – en termes juridiques – et important – en termes budgétaires – prélèvement la semaine prochaine. C’est à ce décalage que vous devez faire face, monsieur le rapporteur, pour répondre à toutes les questions qui vous ont été posées.

M. M’Jid El Guerrab, rapporteur pour avis. Nous avons le devoir, en tant qu’Européens ayant grandi dans l’univers de paix, de prospérité et de stabilité exceptionnel qu’est l’Union européenne, de réaffirmer avec force notre appartenance à la communauté européenne.

La question des ressources propres envisagées pour le budget européen est importante. À ce stade, il n’est pas possible d’évaluer précisément les recettes qu’elles généreront car elles restent tributaires des réformes sectorielles qui seront retenues et de la part qui sera affectée au budget de l’Union européenne. Le secrétaire d’État Clément Beaune a indiqué, devant la commission des affaires européennes, qu’un accord sur la taxation des grandes entreprises rapporterait 150 milliards de ressources fiscales supplémentaires au niveau mondial, dont 50 milliards pour l’Union européenne et 5 milliards pour la France. Tout ou partie de cette ressource pourrait contribuer au remboursement du plan de relance et abonder le budget européen dans les années qui viennent, limitant ainsi le recours au prélèvement, même si celui-ci demeure nécessaire au bon fonctionnement de l’Union. Quant à la taxe carbone aux frontières, la priorité de la PFUE sera de la rendre effective le plus rapidement possible. Nous devrions parvenir à un accord dans les mois qui viennent.

S’agissant des 40 milliards dont la France bénéficiera dans le cadre du plan de relance, plus de 5 milliards ont déjà été versés en préfinancement. Le versement du solde dépendra du respect des jalons et des objectifs figurant dans le plan de relance français et validés par la Commission. Nous attendons des annonces dans les semaines qui viennent de la part du Gouvernement et de la Commission.

Une des grandes nouveautés de ces derniers mois tient au mécanisme liant directement les versements faits aux États à leur respect du droit européen. La Pologne et la Hongrie, opposées à ce dispositif qui les vise directement, ont intenté un recours devant la CJUE. Nous espérons tous que sa décision sera favorable à ce mécanisme, qui permet de défendre les valeurs européennes telles que la liberté ou la lutte contre la corruption.

Dans le bras-de-fer engagé avec les États frugaux, que M. Mélenchon appelle les États égoïstes, nous avons réussi à faire sauter le verrou du 1 %, désormais fixé à 1,8 % du RNB de l’Union. En cumulé, cela représente 1 824 milliards d’euros : c’est considérable. C’est l’un des plus importants plans de relance au niveau mondial, qui peut se comparer à celui des États-Unis. Cette dynamique exceptionnelle est un acquis de l’Union. La France reçoit 40 milliards pour financer les 100 milliards de son plan de relance : on peut toujours dire qu’on aurait pu faire plus, mais l’Union européenne est présente.

La pérennisation de l’instrument d’endettement est une question sensible. Les discussions sont en cours. Les points de vue divergent : doit-on créer un instrument permanent d’endettement, ou bien s’agit-il d’un one shot ? À titre personnel, je pense qu’il faut disposer d’un instrument pérenne. Nous devons mettre un terme à la politique du « juste retour » – combien vais-je recevoir en contrepartie de ce que je donne ? – afin que l’Union européenne assure son indépendance.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’ai consacré ma vie à l’Union européenne et, comme Swann à la fin d’Un amour de Swann, j’ai parfois le sentiment d’avoir consacré ma vie à une femme qui n’était pas mon genre ! L’Europe est mon genre, mais j’ai tout de même l’impression que cela fonctionne difficilement.

Avec Marielle de Sarnez et vos prédécesseurs dans la fonction de rapporteur pour avis, Maurice Leroy et Pascal Brindeau, nous abordions toujours la question du prélèvement avec une intense frustration, parce qu’elle est vraiment la marque de ce qui est profondément inachevé et insuffisant. Il est faux de dire que l’Union européenne n’est pas démocratique : le traité de Maastricht et ceux qui ont suivi ont profondément démocratisé la procédure en responsabilisant politiquement la Commission, et en créant la codécision entre un Conseil représentant les États et un Parlement européen élu au suffrage universel.

La procédure est donc relativement démocratique, sauf dans le domaine budgétaire et fiscal, où l’archaïsme règne. Ce que nous nous apprêtons à voter est vraiment le symbole de ce qui ne doit pas durer, à savoir un vote soumis, dans lequel toute la politique européenne s’engouffre sans aucun contrôle réel. Je me permettrai donc de dire en séance publique que nous devons introduire dans le domaine budgétaire et fiscal des règles démocratiques de droit commun, passant par un contrôle parlementaire, essentiellement celui du Parlement européen, mais aussi d’un Conseil des ministres à la majorité qualifiée dont nous contrôlons la partie française. Il est tout à fait possible d’envisager un nouveau système, tant sur les ressources propres que sur les dépenses, mais ce blocage budgétaire est un archaïsme inacceptable – je rappelle que nous avons fait la Révolution française sur le thème fiscal !

Le plan de relance est-il l’hirondelle qui annonce le printemps budgétaire ? La décision qui a été prise est majeure : nous avons crevé les plafonds, changé les méthodes, renoncé au principe d’équilibre ; nous nous sommes autorisés à emprunter sur le plan communautaire ; nous avons affiché un principe de solidarité entre les États, faisant sauter la résistance des États frugaux – que nous avions baptisés « États radins » avec Daniel Cohn-Bendit. Mais cela sera-t-il durable ? Voilà l’enjeu. Cette question ne sera pas résolue pendant la présidence française : pour paraphraser Tardieu, le président a les bras chargés des enfants des autres ! Ce n’est qu’une étape et nous devons affirmer que ce qui a été fait à travers le plan Next Generation EU doit être institutionnalisé.

Voilà les deux messages que je souhaite porter en séance publique. Dans ce cadre, je ne vois pas ce que nous pouvons faire d’autre que d’accepter de financer l’Union européenne. Personnellement, je soutiens ce rapport et je m’associerai à ce vote. Je ne vote pas souvent, mais permettez au militant européen de s’exprimer, l’impartialité du président dût-elle en souffrir un peu !

 

Article 18 : Évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne (PSR-UE)

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 18 sans modification.

 

La séance est levée à 12 h 35

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné :

 Mme Anne Genetet, rapporteure sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour (n° 4425).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Amadou, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Nicole Le Peih, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Isabelle Rauch, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse

 

Excusés. - Mme Clémentine Autain, M. Philippe Benassaya, M. Nicolas Forissier, M. Christian Hutin, M. Jacques Maire, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Laurence Vichnievsky