Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. François Villeroy de Galhau, dont la nomination à la gouvernance de la Banque de France est proposée par le Président de la République, puis vote sur cette proposition de nomination              2

  Suite de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) ; examen et vote sur les crédits des missions :

Plan de relance ; Plan d’urgence face à la crise sanitaire (MM. Éric Woerth et Laurent Saint-Martin, rapporteurs spéciaux)  19

–  Présences en réunion...........................45

 


Mercredi
20 octobre 2021

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2021-2022

 

 

Présidence de

M. Éric Woerth,

Président

puis de

 

Mme Marie-Christine Dalloz,

Secrétaire

 


  1 

La commission entend, en application de l’article 13 de la Constitution, M. François Villeroy de Galhau, dont la nomination à la gouvernance de la Banque de France est proposée par le Président de la République, puis vote sur cette proposition de nomination.

M. le président Éric Woerth. Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France depuis le 1er novembre 2015, dont la reconduction dans ses fonctions pour un second mandat de six ans est proposée par le Président de la République.

En vertu du septième alinéa de l’article L. 142-8 du code monétaire et financier, le gouverneur de la Banque de France est nommé par décret en Conseil des ministres pour une durée de six ans, renouvelable une fois. Cette nomination fait partie de celles pour lesquelles s’applique la procédure prévue par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, selon lequel les commissions permanentes compétentes des deux assemblées émettent un avis avant qu’elle n’intervienne. Dans ce cadre, la commission des finances avait déjà auditionné M. Villeroy de Galhau le 29 septembre 2015 et donné un avis favorable à sa première nomination.

Jusqu’à présent, ces procédures ne faisaient pas intervenir de rapporteur. Ce n’est désormais plus le cas ; la commission a donc nommé la semaine dernière Mme Véronique Louwagie rapporteure pour cette proposition de nomination. En amont de cette audition, notre collègue a transmis un questionnaire à M. Villeroy de Galhau, qui a accepté de se plier à cet exercice ; ses réponses écrites vous ont été envoyées.

M. Villeroy de Galhau nous expliquera pourquoi il estime nécessaire de briguer un second mandat et ce qu’il souhaiterait accomplir au cours de celui-ci. S’exprimeront ensuite le rapporteur général, la rapporteure et les représentants des groupes, auxquels M. Villeroy de Galhau répondra. En son absence, nous procéderons ensuite au vote, qui ne sera dépouillé qu’après que le Sénat aura lui-même auditionné le gouverneur.

M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Il y a six ans, fin septembre 2015, votre commission m’a fait confiance pour exercer la responsabilité de gouverneur de la Banque de France. Cela reste, pour moi, un moment fondateur. À présent, le Président de la République me fait l’honneur de vous proposer ma reconduction. Depuis six ans, nous avons heureusement eu l’occasion de nous rencontrer à quatorze reprises, dans le cadre de votre commission, mais l’audition de ce jour est différente en ce qu’elle représente, à mes yeux, une étape démocratique essentielle, qui seule légitime l’indépendance : elle requiert le compte rendu du premier mandat que vous m’avez confié et mon engagement sur le second, dont vous pourriez décider. Comme ce n’est pas une rencontre habituelle, je n’évoquerai que très rapidement, en conclusion de mon propos, les enjeux économiques et monétaires du moment, mais nous pourrons y revenir au cours de la discussion. Par ailleurs, comme l’a indiqué M. le président, votre rapporteure m’a posé des questions, auxquelles j’ai essayé de répondre de la manière la plus exhaustive possible.

Je souhaite d’abord vous parler, au nom des femmes et des hommes de la Banque de France, dont cette proposition de reconduction reconnaît avant tout le travail collectif, d’une conviction parmi les plus fortes qui m’animent, à savoir le service public. Celui-ci, souvent considéré comme un poids lourd et passéiste, peut au contraire être un grand atout pour notre pays, à condition d’être en mouvement et non en conservation, ouvert sur l’économie et la société et non replié derrière ses procédures et ses guichets.

À travers l’expérience de la Banque de France et de ses deux plans stratégiques – Ambitions 2020, déjà réalisé, et Construire ensemble 2024, en cours de réalisation –, nous croyons pouvoir dire sans prétention que le service public réunit quatre vertus : il est innovant dans ses missions, performant dans sa gestion, visible pour nos concitoyens, et attractif pour ses dirigeants et ses agents.

Le service public est innovant et utile. En effet, au cours de six années de fortes turbulences, la Banque de France s’est d’abord attachée à soutenir l’économie et à maintenir la confiance, depuis le Brexit et les tensions internationales qui ont commencé en 2016 et 2017, jusqu’à la crise du covid de 2020 et 2021. Pendant cette période, la confiance des Français dans leur monnaie, l’euro, a augmenté, passant de 67 % en 2015 à 74 % en 2021. Il en est de même de la solidité de nos banques, puisque le ratio de fonds propres durs (Core Equity Tier 1, CET1) des six premières banques françaises, de 12 % en juin 2015, a atteint 15,4 % en juin 2021. Alors que nous cotions un peu plus de 250 000 entreprises et PME en 2015, nous en coterons environ 310 000 environ cette année.

À ces missions centrales s’ajoutent au moins trois importantes innovations de la Banque de France pour répondre aux attentes de nos concitoyens et de l’économie.

Tout d’abord, la lutte contre le changement climatique, pour laquelle la Banque de France est reconnue comme pionnière en Europe. Nous avons créé le réseau mondial Network for Greening the Financial System (NGFS) en 2017, publié le premier rapport annuel d’investissement responsable en 2019 et conduit, avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), les premiers stress tests climatiques sur les banques et assurances en 2021. D’ici 2024, nous aurons verdi la politique monétaire européenne, conformément à notre revue stratégique conclue en juillet autour de Christine Lagarde. La Banque de France s’engage en outre sur sa propre neutralité carbone en 2030.

La deuxième innovation porte sur la digitalisation des moyens de paiement et des actifs. Tout en veillant à préserver l’égal accès aux espèces, nous avons déjà mené neuf expériences de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) et participerons activement au projet de la Banque centrale européenne (BCE) en ce sens d’ici 2023. L’ACPR est désormais l’interlocuteur des fintechs autant que des acteurs préexistants. Dans les prochains mois, nous soutiendrons activement la régulation européenne des crypto-actifs.

Enfin, la Banque de France est, depuis 2016, opérateur national pour l’éducation économique et financière des publics (Educfi). Nous avons ouvert Citéco, la Cité de l’économie et de la monnaie, en 2019, participé au service national universel (SNU) en 2021 et voulons atteindre plus de 6 millions de Français à travers nos sites et portails spécifiques d’ici 2024.

Dans les prochaines années, la Banque de France devra faire face à d’autres changements imprévus : soyez certains que nous serons en mesure de nous adapter, puisque c’est là notre devoir.

J’ai également évoqué un service public performant sur le plan de la gestion – j’entends par là un service public de plus grande qualité rendu au meilleur coût. Depuis six  ans, La Banque de France a réduit ses dépenses nettes totales de 13 % – soit une économie d’argent public de 137 millions d’euros courants chaque année –, et elle les gardera stables d’ici 2024.

En six ans, la diminution des effectifs de 22 %, pour atteindre 9 373 équivalents temps pleins fin 2021 – et un peu moins de 8 800 prévus fin 2024 –, s’est faite à mesure des départs à la retraite, tout en effectuant des recrutements importants et en ajoutant certains services. Cette forte augmentation de notre productivité – je n’ai pas peur d’employer ce mot s’agissant du service public –, qui résulte d’un effort important de réorganisation de notre réseau, d’investissements significatifs, notamment en informatique, ainsi que d’un fort engagement professionnel des cadres et des agents, peut être un motif de fierté collective. Les résultats de la Banque de France peuvent constituer – je le dis sans prétention  un enseignement utile pour d’autres services publics : des économies publiques sont possibles. Il faut notamment combiner deux paramètres : la durée, avec des objectifs pluriannuels clairs – ici 2020 puis 2024 –, d’une part, et une meilleure autonomie des dirigeants, responsabilisés sur des enveloppes de moyens globalisés par direction générale, d’autre part.

Le troisième espoir du service public concerne sa visibilité pour nos concitoyens. La Banque de France est d’abord soucieuse de maintenir sa présence dans tous les territoires, en conservant durablement au moins une succursale par département. Cela est compatible avec notre performance, dès lors que le traitement des dossiers, le back-office, a été partagé dans des centres interdépartementaux. Je crois profondément à notre ancrage auprès des entrepreneurs et des particuliers et à la proximité que permet notre réseau. Aussi, je me suis déjà rendu dans quarante-huit succursales au cours de mon premier mandat et je m’efforcerai de visiter les autres durant le second.

La relation avec nos concitoyens passe aussi par une communication plus active, plus accessible d’un point de vue numérique, et plus jeune, à travers les réseaux sociaux. En 2021, la Banque de France s’est attachée à casser l’image, ou plutôt le cliché, de la « tour d’ivoire » en organisant quinze rencontres nationales et régionales à propos de la politique monétaire, parallèlement à un dialogue spécifique avec votre commission. Dépassant de loin nos espérances, plus de 300 000 Français nous ont rejoints pour un « moment en ligne », qui deviendra une rencontre annuelle à partir de 2022. Nous voulons enfin accroître le degré de satisfaction de nos usagers concernant onze services essentiels. Actuellement, 86 % d’entre eux, en moyenne, se déclarent satisfaits ou très satisfaits ; nous espérons dépasser les 90 % d’ici 2024. Vous, représentants de la nation, contribuez grâce à nos échanges à améliorer nos services aux Français, et je veillerai à ce que la Banque de France reste à votre disposition, avec un souci de proximité.

Enfin, le service public se doit d’être attractif pour celles et ceux qui y concourent. La Banque de France continue à recruter massivement de nouveaux talents – 2 700 au total entre 2015 et 2024 – à travers des modes désormais diversifiés, combinant concours et recrutements contractuels, pour s’adapter à un marché compétitif et aux attentes nouvelles des jeunes. Elle poursuivra parallèlement une forte action de promotion interne, pour laquelle nous avons pris des engagements chiffrés.

Plus largement, conserver notre attractivité repose, bien plus que sur des protections statutaires légitimes, sur l’intérêt de nos missions et sur deux ambitions.

D’une part, nous nous efforçons d’intéresser les agents aux gains de performance, comme nous l’avons fait en 2019, en associant l’intéressement aux économies sur les frais généraux. Nous poursuivons la rénovation de notre pacte social en remplaçant certaines pratiques anciennes – comme Gescco, dont la mission était d’assurer la gestion des comptes internes du personnel, auquel nous avons mis un terme – par des avancées sociales attractives telle que la mise en place d’une prévoyance collective résultant du dialogue social. Celui-ci a, par ailleurs, récemment abouti à la signature d’accords novateurs concernant le télétravail ou la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels.

D’autre part, nous ambitionnons de nous montrer plus attentifs aux conditions pratiques de travail. Sur l’immobilier et le développement durable, sur les outils informatiques et sur la simplification des procédures internes et externes, la Banque de France se doit d’être un employeur du XXIe siècle, à la pointe. Je rappelle que les femmes et les hommes de la Banque de France ne sont pas des privilégiés : à la mesure de leur performance accrue et de notre maîtrise des coûts, le pacte social est mieux justifié et sera régulièrement modernisé.

Si vous m’accordez votre confiance pour un nouveau mandat, voilà ce à quoi je crois, ce à quoi nous croyons pour la Banque de France dans les années qui viennent.

Si vous le voulez bien, j’aborderai lors des questions et réponses les considérations relatives à la croissance, à l’inflation, à la réglementation bancaire et aux assurances.

Je conclurai en évoquant plus globalement l’enjeu européen. L’Europe, dans l’ensemble, a bien géré la crise du covid et ses effets économiques, mais une fois l’urgence passée, il faut plus que jamais renforcer son architecture. La Banque de France joue un rôle très actif, et même central, dans les discussions de politique monétaire à Francfort, où vous pouvez être sûrs que nous défendons des vues françaises. Cependant, la zone euro doit encore compléter son union monétaire, qui a prouvé sa résilience, par une union économique autour d’un stabilisateur public – une capacité budgétaire commune – et privé – l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux afin de mieux utiliser l’épargne privée abondante. Sur ce dernier point, nous avons une marge de progrès très significative. Je crois, plus largement, à l’impératif d’une souveraineté économique européenne si nous voulons réussir deux transformations décisives mais exigeantes : la transformation numérique, où l’Europe est en retard, et la transformation écologique, où elle a une chance de conserver son avance.

M. le président Éric Woerth.  Vous avez vécu, au cours des six années de ce premier mandat, nombre de soubresauts. Dans certains métiers comme dans le vôtre, un an d’expérience en vaut deux ! Alors que cette période a été très compliquée pour la Banque de France mais aussi pour les États et pour les peuples, les missions des banques centrales – la stabilité, la sécurité financière, la capacité à amortir les crises quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte – sont à certains égards intemporelles. Comment décririez-vous l’évolution des banques centrales au cours de ce premier mandat ? Considérez-vous qu’elles ont beaucoup évolué ou que leur métier reste le même, malgré ces circonstances ?

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. A priori, la proposition du Président de la République de vous renouveler dans vos fonctions me semble tout à fait opportune. Nous avons constaté, avant et en particulier pendant la crise, à quel point la Banque de France, par votre truchement, a été partie prenante dans l’élaboration de la politique monétaire européenne, contribuant à d’importants progrès pour répondre à la crise, à la fois sur le plan national et communautaire. La manière dont vous avez géré cette dernière n’a fait que confirmer vos compétences indéniables à diriger la Banque de France.

Nous nous interrogeons tous régulièrement à propos de l’inflation et de la politique monétaire européenne en la matière. La BCE a annoncé récemment une revue de son mandat, c’est-à-dire une révision de la façon dont elle considère devoir appliquer les objectifs des traités. J’ai retenu trois points importants : l’appréciation à moyen terme de l’objectif de 2 % d’inflation, l’intégration du changement climatique dans les actions de politique monétaire et la meilleure prise en compte de l’évolution du coût du logement dans l’indice d’inflation. Qu’est-ce que cela peut changer concrètement ? Par ailleurs, comment la politique de la BCE peut-elle s’adapter aux nécessités budgétaires nationales – comme celles de la France – face à des effets inflationnistes ? Si nous additionnons le service de la dette, qui augmente de près de 2 milliards d’euros en raison de l’inflation en 2021, l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, qui coûtera 1,5 milliard d’euros, le bouclier tarifaire, de l’ordre de 5 à 6 milliards d’euros, et d’éventuelles autres mesures de protection du pouvoir d’achat de nos concitoyens, par exemple pour faire face à la hausse du prix de l’essence, nous atteignons quasiment 9 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget annuel de la justice. La BCE est-elle capable de prévoir et prendre en compte les nécessaires réactions des États face aux effets inflationnistes ? D’autres pays européens se trouvent-ils confrontés à un même coût budgétaire massif lié à une conjoncture inflationniste à laquelle nous n’étions plus habitués ?

Qu’en est-il de l’évolution des programmes tels que le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) et les Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO) ? Pourraient-ils être affectés par la question que je viens d’évoquer ?

Par ailleurs, après la crise et sans négliger les secteurs encore sous tension, la Banque de France a-t-elle révisé ses critères de cotation d’entreprises, notamment pour l’accès au crédit ? En d’autres termes, la manière dont sont assimilés les quasi-fonds propres pour éviter de pénaliser la structure bilancielle des PME face au crédit a-t-elle été modifiée ?

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Cette audition se tient dans des conditions différentes de celle de septembre 2015, puisque nous discutons à la fois du bilan de votre premier mandat et des orientations que vous proposez pour un second mandat. Je vous remercie d’avoir répondu dans des délais contraints aux questions que je vous ai posées.

Votre premier mandat s’est effectué dans des conditions inédites – je pense à la crise sanitaire, au Brexit, aux accords de Bâle III concernant le financement de l’économie française et aux nouvelles missions que vous avez dû assumer. La Banque de France s’implique de plus en plus dans l’éducation financière et économique, pour laquelle la France accuse un certain retard et qu’il était important de développer.

Vous nous avez fait part de trois indicateurs intéressants concernant les frais d’incidents bancaires. Fin 2020, plus de 3,8 millions de nos concitoyens, identifiés par les banques, bénéficiaient d’un plafonnement de ces frais, ces incidents ayant diminué de 18 % entre 2018 et 2020, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. En outre, 600 000 personnes ont souscrit à l’offre spécifique qui permet de réduire ces frais. Avez-vous une idée du nombre de personnes supplémentaires susceptibles d’en bénéficier ? La Banque de France s’est-elle fixé des objectifs quantitatifs en la matière ? A-t-elle identifié des cibles ?

Le texte des accords de Bâle III est, selon vous, équilibré, mais vous ajoutez qu’il faudra veiller à une transposition raisonnable au sein de l’Union européenne. Que pensez-vous de la lettre envoyée début septembre par les superviseurs nationaux à Mme Mairead McGuinness, commissaire européenne chargée des services financiers, demandant le respect de la lettre et de l’esprit de Bâle III ? Comment envisagez-vous donc l’application de ces accords ?

L’inflation actuelle, caractérisée notamment par une envolée des prix de l’énergie – gaz et électricité –, risque-t-elle d’être durable ? Sur le plan européen, quels pourraient être les leviers d’action des banques centrales ? Si l’inflation devait perdurer, quels en seraient les effets ?

Malgré la reprise économique, des tensions persistent dans le domaine des matières premières – je veux parler des difficultés d’approvisionnement et de la volatilité des prix. Risquent-elles de plomber la reprise économique ? Quels en seraient les écueils ? Les banques pourraient-elles être fragilisées par un possible ralentissement de la croissance dont on ne maîtrise pas toutes les conséquences ?

M. François Villeroy de Galhau. Monsieur le président, vous m’avez interrogé sur l’évolution du métier des banques centrales dans cette période agitée. Notre boussole, c’est notre mandat, qui consiste à assurer la confiance dans la monnaie par le biais de la stabilité des prix. Pendant ces années de crise et d’innovations, la confiance dans la monnaie a augmenté : c’est la meilleure reconnaissance que nous puissions espérer recevoir.

La définition précise de la stabilité des prix ne change pas. Ce qui peut changer, en revanche, ce sont les instruments de la politique monétaire et les attentes placées en ces derniers. Dans un contexte mondial de baisse tendancielle des taux d’intérêt, pour des raisons indépendantes de la politique monétaire, l’épargne est supérieure à l’investissement. Aussi, depuis la crise financière de 2012, nous avons été amenés à développer des instruments dits non conventionnels, que nous avons d’ailleurs renforcés lors de la crise du covid. La revue stratégique de la BCE a acté le fait que ces instruments faisaient partie de la boîte à outils : il serait donc plus adéquat de les qualifier de « néoconventionnels », considérant que ces innovations font désormais partie au paysage. En outre, nous faisons face à des attentes inédites de la part de nos concitoyens et à des besoins différents de l’économie. Je pense non seulement au défi climatique mais également au défi technologique, avec l’apparition de nouveaux actifs qui prétendent être des quasi-monnaies – je considère, pour ma part, qu’il s’agit plutôt de crypto-actifs.

Le cap est le même, le métier évolue et la Banque de France, à l’instar de toute banque centrale, s’adapte au monde.

Cependant, il est nécessaire de garder une grande modestie. Nous sommes quelquefois confrontés à des attentes excessives vis-à-vis de la banque centrale ; or nous ne savons ni ne pouvons tout. À propos de la crise climatique, par exemple, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir mais la finance verte n’est pas en mesure de régler la transition climatique à elle seule – rappelez-vous certains sujets délicats comme le prix du carbone.

Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, vous m’avez tous les deux interpellé au sujet de l’inflation. En quelques semaines, certains commentateurs sont passés de l’euphorie liée à la reprise mondiale à la crainte infondée de la « stagflation ». Les reprises française et européenne restent très fortes, tous les chiffres en témoignent. Des difficultés d’approvisionnement liées à cette reprise persistent, tandis que nous connaissons une crise de l’énergie entraînant une poussée de l’inflation, mais celle-ci devrait être temporaire et redescendre sous la barre des 2 % d’ici la fin de l’an prochain. De manière légitime, nos concitoyens sont sensibles à la hausse des prix de l’énergie, mais en tant que banque centrale, nous sommes soucieux de regarder l’ensemble des prix, l’inflation totale, qui seule permet d’évaluer l’évolution du pouvoir d’achat et de déterminer si l’économie tourne au bon régime. L’énergie est certes un sujet très sensible mais elle ne représente qu’un peu moins de 10 % du panier de consommation ; l’essentiel, ce sont les services, les produits alimentaires et les produits industriels, dont la hausse est inférieure à 2 %. Face à cette poussée momentanée de l’inflation, notre politique monétaire se doit de rester vigilante et patiente. N’ayez aucun doute quant à notre volonté et à notre capacité de maintenir l’inflation autour de 2 % à moyen terme.

Vous avez posé la question, monsieur le rapporteur général, de l’évolution de nos programmes dans ce contexte. Le conseil des gouverneurs se prononcera probablement au mois de décembre. À mon sens, compte tenu des conditions actuelles, il est probable que les achats nets du PEPP prennent fin en mars prochain ; a contrario, il me semble souhaitable que le TLTRO se poursuive sous une forme modifiée, s’agissant notamment de ses conditions de tarification.

Madame la rapporteure, les sérieuses difficultés d’approvisionnement que nous connaissons sont temporaires. Les difficultés de recrutement constituent en revanche le principal frein à la croissance, en France, où nous connaissons une situation singulière, un paradoxe déjà notable avant la crise. En effet, alors même que le taux de chômage reste autour de 8 %, 53 % des entreprises font état de difficultés de recrutement, selon notre enquête mensuelle de conjoncture publiée la semaine dernière. Il n’y a donc pas de réformes plus urgentes que celle visant à réduire l’insuffisance de l’offre de travail disponible pour les entreprises. Se jouera ici notre capacité à passer d’une croissance de 1,25 % environ – ce qui est peu mais correspond au niveau de l’avant-covid – à 2 % en vitesse de croisière, après la reprise. Telle est notre ambition.

Vous m’avez également interrogé à propos de la BCE, de l’adaptation de la politique monétaire aux nécessités budgétaires des États et du surcoût budgétaire de l’inflation. Vous comprendrez que notre politique monétaire ne peut pas être conduite en fonction d’objectifs budgétaires. Il se trouve simplement que, pendant la crise du covid, les politiques budgétaire et monétaire ont agi dans le même sens, se soutenant mutuellement. Cet heureux parallélisme s’est produit, mais notre boussole, c’est l’inflation. Ainsi, la meilleure aide que nous puissions apporter à l’État, face aux surcoûts budgétaires évoqués, consiste à garantir l’ancrage de l’inflation, dans la durée, autour de 2 %.

La Banque de France a maintenu sa méthode de cotation des entreprises pendant la crise – c’était important en termes de crédibilité. Cependant, nous n’avons jamais appliqué automatiquement une analyse des bilans ni dégradé une entreprise simplement parce que ses ratios financiers avaient été temporairement affectés par la crise. À chaque fois, nous avons dialogué avec les chefs d’entreprise. Une application pragmatique, mesurée et raisonnable de notre méthode de cotation a tout d’abord permis d’éviter, en 2020, davantage de dégradations, même si nous avons procédé à un peu moins de rehaussements. Aussi la situation financière des entreprises s’est-elle trouvée meilleure que ce que nous pouvions craindre. En 2021, il y a eu un peu plus de rehaussements de cote que de dégradations, ce qui nous a surpris car ce n’était pas forcément le résultat que nous attendions. La cotation est donc restée crédible – la fiabilité du thermomètre est évidemment notre premier devoir –, mais elle n’a pas gêné l’accès au crédit, resté largement ouvert aux entreprises françaises de toutes tailles.

Je vous remercie, madame la rapporteure, de vos propos concernant les conditions inédites de mon mandat, mais notre premier devoir est de nous adapter au monde qui nous entoure.

Je vous ai transmis des chiffres satisfaisants au sujet des frais d’incidents bancaires et de l’offre spécifique. La baisse de 18 % de ces frais constitue un réel progrès pour nos concitoyens en difficulté. Je m’étais engagé envers votre commission, en 2015, à servir en homme droit et libre vis-à-vis de l’ensemble des secteurs privés ; j’espère l’avoir montré dans ce dossier et quelques autres.

Pouvons-nous aller plus loin dans cette offre spécifique « clientèle fragile » ? C’est souhaitable mais, pour répondre à votre question, nous n’avons pas actuellement d’objectif chiffré. Nous en avions à l’époque où l’offre spécifique bénéficiait à 300 000 personnes seulement ; nous visions alors une augmentation de 50 %, et nous avons à présent atteint presque le double. Il serait opportun d’aller plus loin mais nous n’avons pas d’objectif supplémentaire. En effet, même si nous insistons auprès des banques afin qu’elles continuent à promouvoir cette offre, l’adhésion à cette aide dépend principalement de la liberté des personnes concernées de l’accepter ou de la refuser.

À propos de Bâle III, vous avez évoqué la lettre des superviseurs. Je ne l’ai pas signée, non pas pour des raisons de fond, mais parce qu’il me semblait qu’en termes de calendrier et de procédure, cette démarche, qui n’avait pas beaucoup de précédents, était assez inopportune. Nous attendons la proposition de la Commission européenne, qui devrait d’ailleurs arriver la semaine prochaine. S’exprimer à l’avance pour simplement rappeler un soutien aux accords de Bâle III peut être considéré comme un peu excessif, voire comme une motion de défiance.

Sur le fond, cependant, je souscris à l’esprit de cette lettre. La transposition raisonnable de Bâle III est nécessaire, tant pour assurer la stabilité financière que pour respecter l’engagement multilatéral de la France. Elle ne menacera en rien le bon financement de l’économie française, pas même pour l’immobilier ni pour les PME, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer devant votre commission au printemps. Les messages de certains acteurs de la profession à ce propos sont infondés : pas un euro de crédit ne sera retiré à l’économie française à cause de Bâle III. Le crédit est d’ailleurs resté dynamique depuis dix ans, malgré le renforcement des réglementations financières, conformément à ce que nous avions dit et contrairement à ce qu’avaient imaginé certains acteurs bancaires.

À propos des assurances, je confirme que la récente proposition de la Commission européenne, à savoir une actualisation de la directive Solvabilité II, nous paraît aller dans le bon sens et constituer une très bonne base.

À l’inverse de certains commentateurs, je ne crois pas que les accords de Bâle III fragiliseront les banques – au contraire. La solidité des banques françaises et leur capacité d’adaptation, pendant ces années de turbulence, sont une force pour l’économie de notre pays. Contrairement à ce qu’elles prétendent régulièrement lorsqu’elles évoquent les accords Bâle III, le problème des banques françaises n’est pas la solvabilité mais la rentabilité par rapport à d’autres acteurs internationaux. Il s’agit même d’un enjeu clé pour la banque de détail, présente au plus proche des PME et de nos concitoyens.

M. Éric Alauzet. Je souhaite vous interroger à propos de deux enjeux cruciaux pour la Banque de France : le climat et l’inflation. Pour être plus précis, ma question porte sur la « triangulation » entre risque climatique, investissements dans les énergies fossiles, stabilité financière et stabilité des prix – et ce, malgré vos prévisions d’inflation rassurantes à ce stade.

La première bonne nouvelle que je souhaite mentionner concerne la décision des six grandes banques françaises de cesser d’investir dans les entreprises dans lesquelles la part des énergies non conventionnelles telles que les sables bitumineux, le pétrole et le gaz de schiste serait supérieure à 30 %. La seconde bonne nouvelle est la décision de la Banque centrale européenne de réaliser un premier test de résistance bancaire visant à évaluer l’exposition du secteur financier aux risques écologiques.

À ces deux bonnes nouvelles s’ajoutent deux mauvaises nouvelles. Tout d’abord, nous constatons que les actifs collatéraux de la BCE sont très majoritairement investis dans les entreprises très intensives en carbone. En outre, la BCE considère que notre modèle économique peut être déstabilisé par la multiplication des catastrophes naturelles, par des déséquilibres écologiques aux conséquences difficilement prévisibles telles qu’une épidémie, ou par une transition écologique plus rapide que prévu accompagnée de destructions coûteuses ainsi que d’une raréfaction et d’un surcoût des ressources.

Comment expliquez-vous que la BCE puisse gérer cette contradiction entre, d’un côté, la volonté d’anticiper un risque financier en organisant un stress test climatique du secteur financier et, de l’autre, l’acquisition de titres de trente-huit entreprises qui promeuvent les énergies fossiles, dont cinq majors pétrolières et gazières – Shell, Total Énergies, Repsol, Eni, OMV – qui développent de nombreux nouveaux projets de production pétrolière et gazière ?

Par ailleurs, la Banque de France s’oppose déjà officiellement, en tant qu’investisseur, à tout nouveau projet d’énergies fossiles – vous avez rappelé votre engagement à ce sujet. A-t-elle l’intention de défendre cette position sur le plan européen en demandant l’exclusion des entreprises développant ces nouveaux projets des achats d’actifs et de la liste des collatéraux de la BCE ?

Enfin, le risque climatique, que la BCE souhaite tester dans le secteur financier en raison de la multiplication des événements climatiques et d’une transition écologique accélérée, est-il suffisamment pris en compte dans vos modèles d’anticipation de l’inflation ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je souhaite d’abord souligner, comme un certain nombre de mes collègues, que votre expérience durant cette période houleuse est une garantie de votre connaissance du sujet.

Ma première question porte sur la mission des banques centrales pendant la crise sanitaire. Il y a quelques instants, dans votre réponse au président, vous avez dit que la confiance dans la monnaie avait été permise par la stabilité des prix mais que le défi était aujourd’hui de maîtriser l’inflation dans la durée. La hausse des prix du carburant aura systématiquement des conséquences sur l’inflation. Comment comptez-vous la contenir ?

Vous avez également mis en avant la proximité territoriale. Nous ne pouvons que nous satisfaire de votre vision d’un réseau étendu mais force est de constater qu’il a subi, ces dix dernières années, de multiples transformations. À Saint-Claude, par exemple, une succursale a fermé et l’ensemble du personnel a été transféré dans d’autres structures. Quelle est votre vision en matière de service au public ?

Vous vous êtes engagé à recruter, d’ici 2024, 1 200 collaborateurs alors même que la masse salariale a baissé de 22 % ces six dernières années. Dans ce contexte, comment comptez-vous faire pour maintenir les dépenses de personnel à un niveau raisonnable ?

Enfin, vous avez abordé le thème de l’éducation financière, pour laquelle vous avez contribué à la formation de 20 000 intervenants sociaux et de 15 000 jeunes issus de cinq académies. Pouvez-vous citer les académies concernées dans la phase de test ?

M. Jean-Paul Mattei. J’accueille favorablement la décision du Président de la République de proposer votre nomination pour un nouveau mandat à la tête de la Banque de France. Vous avez évoqué l’évolution, la modernisation et l’efficacité de cette institution ; je salue également son action dans nos territoires au moment de la crise sanitaire, pendant laquelle vos équipes ont été mobilisées comme je l’ai constaté dans les Pyrénées-Atlantiques. Nous avons eu un vrai échange, très actif, concernant nombre de dossiers.

Quel est votre regard sur les prêts garantis par l’État (PGE) ? Pensez-vous, avec un peu de recul, que nous devrions adapter les modalités de sortie de ces PGE ?

S’agissant des cotations Banque de France, dont vous connaissez l’importance pour les chefs d’entreprise, ne serait-il pas intéressant de proposer une double ligne : la note hors PGE, d’une part, et celle avec PGE, d’autre part ?

Comment expliquez-vous l’échec relatif des prêts participatifs ? J’étais favorable à cette mesure de consolidation des fonds propres mais force est de constater qu’elle ne fonctionne pas vraiment.

Je constate beaucoup de créativité en matière financière. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer en commission des finances les Special Purpose Acquisition Companies (SPAC) qui, d’après moi, entraînent un risque de rachats d’entreprises avec des multiples d’excédent brut d’exploitation (EBE) assez inquiétants. Pouvez-vous nous donner votre avis à propos de cette ingéniosité quelque peu mortifère et préoccupante sur la durée ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur un thème plus général relatif à la stabilité financière. Le secteur financier chinois semble rencontrer actuellement des difficultés, comme le montre la situation d’Evergrande. Pensez-vous qu’il y ait un risque systémique ? Quelles conséquences cela pourrait-il entraîner sur le secteur financier européen ?

M. Jean-Louis Bricout. Les prévisions économiques de la Banque de France sont légèrement meilleures que celles du Gouvernement. Avez-vous évalué l’incidence que tout cela pourrait avoir en matière de déficit et de recettes budgétaires pour l’État ?

L’inflation que nous constatons semble tirée par des tensions sur les marchés liées à des difficultés d’approvisionnement ainsi qu’à la hausse du coût des énergies. Quelle évolution de l’inflation prévoit le Système européen de banques centrales (SEBC) ? À quel horizon pensez-vous que la situation se stabilisera ? Quelle politique monétaire prévoit la Banque centrale européenne ?

La demande mondiale adressée à la France cette année connaîtrait une hausse de 9,1 %, après une baisse de 9,9 % en 2020. Quelle incidence pourrait avoir ce rebond sur la balance commerciale de la France ? Vos projections économiques semblent établir qu’un quart de l’épargne irait à la demande. Quelle part pourrait concerner les produits fabriqués en France et quelle proportion porterait sur les produits importés ? Quelles seraient les conséquences sur la balance commerciale ?

Je salue votre engagement auprès des PME et des très petites entreprises (TPE), ainsi qu’au sujet de la médiation du crédit.

La Banque de France consacre régulièrement des notes de conjoncture aux régions. Envisagez-vous de pousser plus loin cette vision territorialisée souvent réclamée par les élus, y compris par nous-mêmes ?

Quel sera votre engagement pour que la Banque de France s’implique pleinement au sujet des enjeux climatiques ?

Vous avez souligné, dans votre propos liminaire, votre attachement au service public et à sa modernisation – vous avez même parlé de « productivité ». Êtes-vous attaché à la notion de proximité ? Rime-t-elle selon vous avec performance et efficacité ? Connaissez-vous plus particulièrement des difficultés de recrutement dans certains territoires ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous décrire le climat social au sein de votre établissement ?

Enfin, quelle est votre position concernant l’âge de départ à la retraite ? Ce ne sera évidemment pas applicable à vous, ni un critère de sélection pour nous !

Mme Patricia Lemoine. Je tiens tout d’abord à souligner le rôle essentiel de la Banque de France et des banques centrales durant la crise et à saluer en particulier le rôle déterminant du gouverneur et de ses équipes en la matière.

Vous avez évoqué la régulation des crypto-actifs. À ce propos, nous avons adopté la semaine dernière, dans le cadre de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, des amendements visant à mieux adapter la fiscalité à ces nouveaux actifs. Pouvez-vous nous en dire plus concernant la politique que vous souhaitez mener dans ce domaine ?

M. Charles de Courson. Je ne doute pas que la très grande majorité des membres des deux commissions des finances du Parlement voteront en votre faveur.

Dans votre réponse à une question écrite de la rapporteure, vous affirmez que le désendettement de l’État supposera le concours de trois leviers, à savoir le temps, la croissance et une meilleure efficacité des dépenses, et que cette dernière pourrait être favorisée par l’adoption d’une norme de progression maximale annuelle des dépenses. À quel niveau situez-vous cette norme ?

Croyez-vous que le taux de croissance potentielle, que vous avez évalué autour de 1,25 % ou 1,50 %, puisse monter à 2 % ? Estimez-vous que le niveau de protection des banques contre les cyberattaques est suffisant ? Êtes-vous favorable à l’idée de confier aux banques centrales l’émission et la régulation des crypto-actifs ? Considérez-vous qu’il soit possible de renforcer le secteur bancaire européen pour réduire la fragmentation du marché ?

M. Éric Coquerel. J’émettrai un avis défavorable à propos de votre reconduction, non vis-à-vis de votre personne mais en raison de votre action et de vos prises de position.

Votre action peut se résumer simplement : vous avez diminué les effectifs de 22 % en moins de cinq ans. La Banque de France comptait 12 269 agents fin 2015, contre 9 535 fin 2020. Tout cela ne relève pas uniquement de votre responsabilité, mais vous avez accéléré la chose en fermant cent sites et en privatisant de plus en plus les activités de tri et de stockage des billets, ce qui a entraîné la fermeture de treize caisses de tri supplémentaire. Pour rappel, en quarante ans, le nombre de caisses est passé de 210 à 23. Nous constatons un recul global du service public, lié, entre autres, à la numérisation des démarches au détriment des moyens humains.

Je m’oppose aussi à vos prises de position, qui ne sont autres que celles de la majorité actuelle. À plusieurs reprises, notamment sur France Inter, vous avez estimé que, contrairement à d’autres pays européens, nous payions trop d’impôts et que la dette de la France était trop élevée. Vous insistez sur l’importance de mener une politique de réduction de la dette en diminuant les dépenses publiques. Dans votre livre, sorti en février, vous écrivez qu’il faudra, à long terme, réformer l’assurance chômage et les retraites pour nous adapter à l’allongement de la durée de vie et aux mutations du travail. C’est justement la voie que suivent le Gouvernement et le Président de la République : je me demande qui influence qui…

La création d’une nouvelle usine qui regrouperait la papeterie et l’imprimerie de la Banque de France est prévue de longue date. Elle est essentielle pour moderniser l’outil de production de cette dernière et garantir, à moyen ou long terme, le maintien des emplois ainsi que la fabrication des billets en France, plus précisément en Auvergne. Il semble que vous mettiez en cause l’aboutissement de ce projet, auquel cas ce service risque de subir une privatisation rampante. Pouvez-vous vous engager devant la représentation nationale à mener à bien le projet dit « Refondation » d’intégration et de modernisation des usines de fabrication des billets ?

Pouvez-vous nous indiquer le montant que paiera la Banque de France pour l’externalisation de l’activité de tri des billets ? En d’autres termes, combien devra-t-elle payer les transporteurs de fonds pour « s’autopriver » d’une activité et avancer vers sa propre privatisation ?

M. Jean-Paul Dufrègne. Je tiens d’abord à vous féliciter pour cette proposition de reconduction dans vos fonctions. Depuis quelques mois, vous avez parfaitement œuvré à la communication politique du Gouvernement concernant la dette. Vous avez écumé les médias, avec Bruno Le Maire, pour souligner la nécessité de rembourser la dette publique et, par là même, justifier des mesures de réduction de dépenses.

Vous avez fait état des difficultés de recrutement que connaît notre pays. Le bas niveau des salaires dans certains secteurs et le manque d’attractivité des métiers correspondants ne seraient-ils pas à l’origine du problème ?

Enfin, vous avez parlé de « productivité » dans le service public. Sous-entendez-vous que l’aspect financier doit l’emporter sur les besoins des individus ou des territoires ?

M. Mohamed Laqhila. Les entreprises connaissent bien les critères dits « objectifs » de la cotation Banque de France, qui reposent sur les ratios financiers et les comptes sociaux ; elles sont moins coutumières de ceux qui reposent sur la qualité des dirigeants. Vous prenez, me semble-t-il, de plus en plus en compte un autre critère fondé sur des éléments extrafinanciers. Sachant que les rapports extrafinanciers ne s’équivalent pas d’une entreprise à l’autre, quelle place leur accordez-vous réellement dans la détermination de la cotation ?

Mme Zivka Park. Je souhaite vous interroger à propos du développement d’une stratégie de politique budgétaire post-crise et avoir votre avis sur les réflexions en cours concernant la rénovation du cadre de gouvernance de nos finances publiques pour affronter la question primordiale du désendettement. Eu égard à votre expérience et à ce que vous pouvez observer dans les pays voisins, pensez-vous que nos outils de pilotage pluriannuels de la dépense publique sont à même de nous permettre de maîtriser nos dépenses dans la durée ? Parmi les leviers que vous identifiez et que M. de Courson a évoqués tout à l’heure figure la meilleure efficacité des dépenses avec l’adoption d’une norme maximale annuelle de dépense. Est-ce compatible avec l’engagement d’investissements d’avenir, au regard des différentes transformations qui s’imposent à nous ?

M. François Villeroy de Galhau. Je remercie celles et ceux d’entre vous, nombreux, qui ont salué l’action des équipes de la Banque de France sur le terrain, pendant la crise. C’est d’ailleurs une façon de répondre à certains orateurs. J’insiste sur l’idée que notre raison d’être, c’est le service des Français, ce n’est pas nous-mêmes. Le service public n’est pas autocentré.

Monsieur Dufrègne, quand il est question de productivité publique – je comprends que l’expression ait pu vous surprendre –, il ne s’agit pas de ratios financiers, lesquels ne s’appliquent pas à un service public, mais de ce que nous produisons pour nos concitoyens. Je crois que nous avons produit davantage pendant la crise et que notre économie et notre société s’en sont mieux portées. Notre raison d’être, c’est le service des autres.

Monsieur Alauzet, je reprends votre terme de « triangulation ». Il est évidemment compliqué de combiner, à court terme, la gestion de la crise énergétique, et à moyen terme, la transition climatique. C’est au Gouvernement et au Parlement qu’il appartiendra de trouver les meilleures réponses mais je reconnais comme vous la difficulté du problème.

Je ne crois pas qu’il y ait de contradiction, pour la BCE, à détenir des actifs qui comportent une part carbonée mais qui reflètent aussi la composition de l’économie. La BCE ne privilégie évidemment pas les actifs carbonés ; la composition de ses achats tient compte des risques financiers et reproduit à peu près la photographie de l’économie. Cela changera d’ici 2024 puisque ce sujet est inclus dans les engagements de la revue stratégique de politique monétaire. Cela suppose un important travail méthodologique pour apprécier le bilan carbone des entreprises et, surtout, son évolution. Nous voulons avoir une appréciation dynamique ; il n’y aura pas d’exclusion par secteur, mais la contribution de chaque entreprise à la transition climatique fait partie du risque que nous devrons apprécier.

La Banque de France s’est engagée, depuis début 2019, à exclure de ses investissements non monétaires – fonds propres et caisses de retraite – les actifs de toute entreprise développant de nouveaux projets d’énergies fossiles. Nous avons été pionniers et j’espère que l’ensemble des banques centrales de l’Eurosystème suivront ce mouvement. En tout cas, nous avons obtenu la publication de tous les investissements non monétaires des banques centrales d’ici la fin de l’an prochain.

La revue stratégique dont parlait tout à l’heure M. le rapporteur général n’aborde pas beaucoup les modèles d’anticipation de l’inflation. Pour autant, il conviendrait de réaliser un important travail de recherche et de méthodologie sur ce sujet, qui pourrait s’avérer très fécond. Nous nous préoccupons du climat, non seulement parce qu’il fait partie des causes auxquelles nous croyons et qu’il s’agit d’un de nos objectifs secondaires, mais surtout parce que la stabilité des prix à présent et à plus long terme s’en trouve affectée. J’ai beaucoup parlé de ce sujet la semaine dernière, lors des réunions du Fonds monétaire international (FMI) à Washington : tout le monde se tourne vers la Banque de France, qui est pionnière en la matière au sein du réseau NGFS que j’ai déjà mentionné, mais nous devons aller au bout de notre travail.

En effet, madame Dalloz, la maîtrise de l’inflation se joue maintenant mais elle s’est aussi jouée ces dernières années, alors que la déflation menaçait sérieusement. On oublie facilement que l’inflation dans la zone euro était de moins 0,5 % en décembre 2020 : le choc provoqué par le covid menaçait d’entraîner une déflation, que nous avons réussi à éviter. Notre politique monétaire évitera aussi une inflation durablement excessive – c’est un engagement. Deux erreurs de politique monétaire sont possibles : la première consisterait à surréagir à une poussée temporaire et à casser la reprise, tandis que la seconde serait, au contraire, d’ignorer une tendance durable à l’excès d’inflation. Je le répète : en ce moment, le risque de la première erreur est plus sérieux que celui de la seconde. Nous devons donc maintenir l’équilibre pour éviter ces deux fautes.

S’agissant des collaborateurs de la Banque de France, je n’ai peut-être pas été clair. Lorsque j’ai évoqué une baisse de 22 %, je ne parlais pas de la masse salariale mais des effectifs. La masse salariale s’est réduite mais le salaire par tête a augmenté pendant la même période. Ainsi, en tenant compte des départs à la retraite, la masse salariale a moins diminué que le nombre de collaborateurs. Ceci est donc compatible avec des recrutements significatifs, qui permettront un renouvellement et l’impulsion d’une nouvelle dynamique pour la Banque de France face aux défis du monde dans lequel nous vivons.

Je ne dispose pas de la liste des cinq académies concernées par le passeport financier mais nous vous la transmettrons très rapidement.

Monsieur Mattei, je suis assez prudent à propos de l’adaptation des modalités de sortie du PGE. La situation de la grande majorité des entreprises françaises ne me paraît pas justifier un allongement général de la durée de ces prêts. En revanche, avec le ministre de l’économie, nous avons insisté sur la possibilité, pour les banques, de faire du cas par cas, si nécessaire.

Je constate comme vous que les prêts participatifs ne rencontrent pas un franc succès. C’est en partie une bonne nouvelle : cela signifie que la situation des entreprises est sans doute meilleure que ce que nous pouvions craindre. Cette faible demande s’explique aussi – et j’apporte ici une réponse au rapporteur général – par le fait que les prêts participatifs ne sont pas vraiment des fonds propres, mais des prêts ! C’est une dette, la plus longue et junior qui soit. Souhaitons-nous aller davantage vers des produits de fonds propres ou de quasi-fonds propres, vers des actions à dividende prioritaire sans droit de vote ? La réflexion reste ouverte. Je rappelle que, globalement, les entreprises françaises ne manquent pas de crédits mais de fonds propres – c’est d’ailleurs la faiblesse de l’ensemble des économies européennes, comparativement avec les États-Unis. Cela explique en partie notre retard en matière d’innovation, car une entreprise qui a plus de fonds propres prend davantage de risques pour innover.

Les SPAC relèvent plutôt de la compétence de l’Autorité des marchés financiers (AMF). À titre personnel, je ne suis pas très loin de votre prudence, M. Mattei.

Le secteur financier chinois est un sujet de grande actualité. Je ne prétends pas, devant votre commission, avoir une connaissance parfaite de ce qui se joue à l’intérieur de l’économie et de la finance chinoises. C’est l’un de nos défis. La situation d’Evergrande est avant tout un problème chinois, qui aura peu de répercussions systémiques transfrontières. Le secteur immobilier jouant un rôle très important – voire trop important – dans la croissance chinoise, la conséquence la plus probable des difficultés d’Evergrande est un ralentissement économique pour la Chine plutôt que des contrecoups financiers en pyramide. D’après des chiffres très récents, ce ralentissement a déjà commencé.

Monsieur Bricout, vous affirmez que nos prévisions économiques sont plus favorables que celles du Gouvernement. Elles sont surtout indépendantes – je me permets de souligner cette notion d’indépendance parce que M. Coquerel a évoqué l’alignement supposé de mes positions sur celles du Gouvernement, ou l’inverse, ce qui me fait beaucoup d’honneur. Avant de prendre position, la Banque de France n’appelle pas le Gouvernement pour savoir ce qu’il en pense ! Je m’engage devant vous, avec beaucoup de force, à servir en toute indépendance, quels que soient les gouvernements et les majorités parlementaires. Je continuerai de dire ce que la Banque de France voit et ce qu’elle croit, comme je l’ai fait depuis six ans. Lorsque j’ai affirmé devant votre commission que je servirai en homme libre et en homme droit, ce principe était valable vis-à-vis de toutes les corporations, mais aussi du Gouvernement. Je n’énumérerai pas ici la liste de mes désaccords avec ce dernier – il y en a eu, et je les ai exprimés. Dans un certain nombre de cas, en revanche, il se trouve que nos convictions rejoignent celles du Gouvernement ; ce n’est pas une raison pour les cacher.

Notre prévision de croissance, indépendante et publiée avant celle du Gouvernement, s’établit à 6,3 % pour cette année – ce qui correspond à peu près au chiffre avancé par Bercy – et à 3,7 % pour 2022 – ce qui est légèrement inférieur aux 4 % prévus par le Gouvernement, mais je ne pense pas que cela représente un réel écart budgétaire.

La prévision d’inflation de la BCE est actuellement de 1,5 % pour 2023. Je ne peux évidemment pas m’engager sur ce chiffre à la décimale près mais vous pouvez constater que nous risquons davantage d’être en dessous de notre cible d’inflation de 2 % que d’être au-dessus, ce qui justifie le maintien d’une politique monétaire indépendante.

La question de la dimension territoriale de notre note de conjoncture nous est souvent posée. L’élaboration de notes sur le plan départemental nous ferait perdre en fiabilité méthodologique, le nombre d’entreprises concernées n’étant pas suffisant. Cependant, pour aller dans le sens de votre question, monsieur Bricout, nous intégrons désormais dans nos notes régionales une déclinaison départementale de nos analyses.

Je suis d’accord avec vous sur un point : proximité rime avec performance et efficacité. Nous partageons entièrement votre souhait et votre conviction, comme nous avons eu l’occasion de le montrer.

Le climat social à la Banque de France est « vivant » – il l’est plus ou moins selon les moments –, mais le dialogue est productif. En 2019, nous avons signé à l’unanimité un accord relatif à l’intéressement aux économies sur les frais généraux. En pleine crise du covid, ce mouvement s’est poursuivi puisque nous avons conclu à l’unanimité, fin 2020, un accord sur le télétravail, et tout récemment, deux accords sur la prévoyance collective et la gestion prévisionnelle des carrières. L’unanimité n’est pas une fin en soi mais elle témoigne de la vitalité et de la fécondité de notre dialogue social.

Je vous parlerai de l’âge de départ à la retraite si vous me réinvitez et je m’exprimerai là encore en toute indépendance.

Madame Lemoine, la régulation des crypto-actifs est nécessaire. La proposition de règlement européen en la matière, appelée Markets in Crypto-Assets (MICA), est un peu ancienne, puisqu’elle date de septembre 2020, mais elle constitue une très bonne base de travail. Il faudra non seulement en accélérer l’adoption – j’espère que cela se fera lors de la présidence française de l’Union européenne –, mais également en renforcer le contenu. En effet, dans le domaine de la finance décentralisée sont apparus de nouveaux acteurs et de nouveaux algorithmes qui échappent peu ou prou aux écrans radars : il faudra les intégrer dans le dispositif. Il ne s’agit pas d’être contre la technologie et l’innovation mais de se rappeler que la régulation est une condition de la confiance dans l’innovation.

Monsieur de Courson, les banques centrales peuvent jouer un rôle dans la régulation des crypto-actifs. Nous pouvons en tout cas faire cette proposition aux autorités exécutives et législatives, à qui appartient la décision.

Nous n’émettrons pas de crypto-actifs mais probablement une monnaie numérique de banque centrale. Il s’agira d’une vraie monnaie, stable, avec toutes les caractéristiques qui s’y attachent.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant qu’il ne m’appartient pas de fixer le niveau d’une éventuelle norme de progression maximale annuelle des dépenses. Je suis très ferme sur ce point : cette décision relève d’un débat démocratique. Je formule simplement un souhait, que nous partageons tous, me semble-t-il : une fois que nous aurons adopté une norme de dépense, il faudra que nous la respections. Notre bilan en matière de respect de nos engagements n’est hélas pas particulièrement convaincant… Je ne vise aucun gouvernement en particulier – voyez dans ce propos une nouvelle preuve de mon indépendance. C’est d’ailleurs l’un de nos problèmes dans nos échanges avec nos partenaires européens, notamment dans le cadre de la renégociation du pacte de stabilité.

Si je vous dis un jour que les banques sont totalement préparées aux cyberattaques, vous devrez immédiatement voter la défiance. Un superviseur se doit d’être vigilant. Je note simplement que les banques n’ont cessé d’accroître leur mobilisation dans ce domaine ; nous veillons à ce qu’il en soit de même du côté des assurances. Je ne peux que rappeler que le risque de cyberattaques est très grand et qu’il a augmenté en raison de la digitalisation consécutive à la crise du covid.

Je suis d’accord avec vous, monsieur de Courson, s’agissant de la fragmentation du secteur bancaire européen. La situation n’est pas satisfaisante. Les cinq premières banques américaines représentent désormais plus de 40 % du marché américain, tandis que les cinq premières banques européennes représentent à peine plus de 20 % du marché européen. Nous devons donc nous diriger vers l’union bancaire et favoriser la constitution d’acteurs bancaires paneuropéens, tant pour consolider l’Union économique et monétaire que pour renforcer les acteurs bancaires. La digitalisation nécessite en effet des investissements très importants : dans les petites structures, la préparation au défi technologique est moins bonne, comme nous pouvons malheureusement le constater en ce moment.

Monsieur Coquerel, je n’irai pas jusqu’à vous remercier de votre vote défavorable mais je vous sais gré d’avoir précisé qu’il n’était pas lié à ma personne. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit avec beaucoup de force au sujet de mon indépendance. Ce n’est pas la première fois que nous discutons ensemble de la notion de service public : si nous y sommes tous les deux très attachés, nous n’en avons sans doute pas tout à fait la même conception. J’ai insisté sur le fait qu’il pouvait être performant et innovant : il ne doit pas être conservateur ni autocentré, mais au service des autres.

Nous sommes tout à fait engagés en faveur du projet « Refondation », qui consiste à créer une nouvelle usine de fabrication des billets. Il s’agit d’un investissement très important, de plus de 200 millions d’euros d’argent public. Il est prévu que le conseil général qui administre la Banque de France se prononce définitivement sur ce projet mi-2022. Je n’ai pas de raison de penser aujourd’hui que cet investissement n’aura pas lieu.

Vous m’avez interpellé au sujet des transporteurs de fonds et de l’adaptation de la filière fiduciaire. Nous n’allons pas obliger les Français à utiliser les billets plus qu’ils ne le font. C’est au service public de s’adapter aux attentes des Français, et non l’inverse – pardon de répéter ce principe, mais il me faut le rappeler de temps en temps à certaines organisations syndicales que vous connaissez. Il aurait été infiniment plus facile pour moi et pour les équipes de la Banque de France de ne pas avoir à fermer des caisses ; il se trouve cependant que la circulation fiduciaire diminue sensiblement. Nous verrons mi-2022 si ce mouvement se poursuit, mais nous tenons à maintenir ouvertes vingt-trois caisses. Nous tenons aussi à l’association entre les banques, les transporteurs de fonds et la Banque de France. Nous sommes obligés de faire des économies sur notre réseau de caisses mais les transporteurs de fonds doivent garder leur place au sein de la filière. S’ils s’engagent, avec les banques, à une certaine autolimitation de leur propre tri, nous les autoriserons à ouvrir des stocks auxiliaires de billets plus proches des lieux de distribution, ne serait-ce que pour des raisons écologiques. Je n’ai pas encore de chiffres précis s’agissant de la rémunération associée, mais elle se comptera sur les doigts d’une seule main – en tout cas, elle sera très inférieure aux économies que la Banque de France réalisera au service des contribuables.

Monsieur Dufrègne, vous avez dit que j’« écumais les médias ». Si je l’ai fait, en toute indépendance, c’est simplement parce que l’on m’a invité à expliquer la situation économique.

Je vous rejoins sur un point : l’une des façons de répondre aux difficultés de recrutement dans certains secteurs peut résider dans l’augmentation des salaires, mais c’est à la négociation par entreprise ou par branche d’en décider. Dans d’autres secteurs, ces difficultés s’expliquent avant tout par un manque de qualifications ou de compétences : dans ce cas, la réponse passe par la formation ou l’apprentissage. Il existe donc divers instruments dans la boîte à outils pour répondre aux difficultés de recrutement. Nous devons les utiliser ensemble. Je souhaite que le débat additionne les solutions plutôt que de les opposer.

S’agissant de la productivité des services publics, je citerai l’exemple du surendettement, où les améliorations se mesurent, y compris sur le plan qualitatif. À ce sujet, je salue le rapport que M. le député Chassaing a remis hier au Gouvernement ; il propose un certain nombre de progrès à effectuer sur lesquels nous travaillerons.

Monsieur Laqhila, nous commençons à examiner les critères extrafinanciers, y compris d’ordre climatique, dans le cadre de notre cotation. Nous devons cependant faire preuve d’une certaine prudence car nous sommes soucieux de la fiabilité du thermomètre. Il ne faudrait pas que ces convictions, que je partage entièrement, introduisent une dimension émotionnelle dans la cotation des entreprises : cette dernière doit rester factuelle.

Madame Park, nous aurons sans doute l’occasion de reparler de la stratégie de révision du cadre budgétaire : c’est un grand débat qui est devant nous et qui ne sera pas tranché immédiatement. Je crois à la norme de dépense mais ce n’est pas à moi d’en fixer le niveau. Il sera nécessaire de tenir compte de la qualité des dépenses publiques : les investissements pourront donc évidemment être privilégiés, bien que ces dépenses soient aussi génératrices d’endettement.

M. le président Éric Woerth. Au nom de la commission, je vous remercie, monsieur le gouverneur, pour votre disponibilité durant toutes ces années. Avec le directeur général des statistiques, des études et de l’international de la Banque de France, M. Olivier Garnier, et en association avec le directeur général de l’INSEE, vous avez permis l’organisation régulière des « rendez-vous de l’économie », qui ont été très utiles pour notre commission et qui se tiendront encore une ou deux fois avant la fin de cette législature.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Au regard de votre action lors de votre premier mandat, tant sur les enjeux stratégiques que sur l’évolution de la Banque de France, ainsi que des orientations que vous avez tracées et des engagements que vous avez pris pour un second mandat – je pense notamment au service public innovant, performant, visible et attractif que vous nous avez décrit –, j’émets un avis favorable à votre nomination, ou plus exactement à votre reconduction au poste de gouverneur de la Banque de France de 2021 à 2027.

M. le président Éric Woerth. Monsieur le gouverneur, je vous remercie.

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*         *

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de gouverneur de la Banque de France.

*

*         *

La commission procède au dépouillement du scrutin, simultanément au dépouillement du scrutin sur cette nomination opéré par la commission des finances du Sénat.

Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :

Nombre de votants :47

Bulletins blancs ou nuls : 1

Suffrages exprimés :46

Avis favorables :39

Avis défavorables :7

La commission a émis un avis favorable à la nomination de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de gouverneur de la Banque de France.

*

*         *

La commission poursuit ensuite l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2022 (n° 4482) et examine les crédits des missions Plan de relance et Plan d’urgence face à la crise sanitaire (MM. Éric Woerth et Laurent Saint-Martin, rapporteurs spéciaux).

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Nous poursuivons l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances avec les missions Plan de relance et Plan d’urgence face à la crise sanitaire.

Les rapporteurs spéciaux – le rapporteur général, Laurent Saint-Martin, et le président de la commission des finances, Éric Woerth – se partageront un temps de parole liminaire de cinq minutes.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Mon propos sera délibérément technique et « chiffré » tant il importe que chacun d’entre nous ait en tête les volumes de décaissements et la bonne application du plan de relance.

La mission Plan de relance est le vecteur budgétaire de ce plan de 100 milliards d’euros. L’année 2022 étant la deuxième et dernière année de sa mise en œuvre, j’en profite pour faire le point sur l’exécution de la mission et son contenu pour l’année prochaine.

En 2021, l’essentiel des autorisations d’engagement (AE) de la mission, soit 36 milliards d’euros sur les 100 milliards du plan de relance, a été voté. En face, 22 milliards ont été ouverts et sont répartis entre les trois piliers de la relance : écologie, compétitivité et cohésion.

À ce jour, le taux de consommation des AE est de 56 % et celui des CP 44 %, l’objectif étant d’atteindre 70 % d’engagement d’ici la fin de l’année.

Pour continuer à maximiser les effets du plan de relance sur l’économie, des redéploiements sont prévus.

Au sein de ce PLF, 1,2 milliard d’AE sont ouvertes afin de renforcer l’action en matière d’emploi, l’investissement dans les infrastructures de transport fluvial et ferroviaire ou, encore, les efforts de recherche civile et militaire. Ces ouvertures sont compensées par d’autres vecteurs de financement au sein de l’enveloppe de 100 milliards : faible recours aux budgets participatifs et moindres recours aux dispositifs de prêts du Plan climat délivrés par Bpifrance, en raison notamment d’un moindre besoin des entreprises par rapport à ce que nous craignions.

Les sous-consommations déjà observées cette année entraîneront des redéploiements vers les mesures qui ont rencontré le plus de succès dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui va être déposé : le Fonds pour le recyclage des friches, l’investissement industriel, l’agroéquipement, le soutien à la filière bois et le développement des pistes cyclables. Là encore, la philosophie du plan de relance est respectée.

Celui-ci fait l’objet d’une évaluation en continu par le comité présidé par Benoît Cœuré, auquel nous participons. Le premier bilan macroéconomique du plan est bon puisque les objectifs en termes de niveau d’activité sont atteints, voire dépassés : le taux de chômage de 7,6 % est inférieur à celui de 2019 et n’a jamais été aussi bas depuis 2008 ; le niveau de croissance, de 6,25 %, permet de se projeter plus sereinement vers l’avenir. 

En définitive, l’exécution est respectée, les projections sont encourageantes et les vents favorables.

Nous allons également procéder au vote de la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire, dont les crédits de 200 millions d’euros pour l’année 2022 sont résiduels.

Pour 2021, d’après les derniers chiffres de Chorus, 70 % des crédits ont été consommés, soit 31 milliards d’euros sur 44.

L’intérêt de conserver cette mission est de permettre d’éventuels reports sur 2022 des dépenses d’urgence au titre de la fin de l’année 2021.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Je m’exprimerai quant à moi exclusivement sur le plan de relance.

Je souhaite évoquer davantage le bilan du plan de relance. Je partage avec le co-rapporteur l’idée que ce plan était indispensable et qu’il a permis à notre économie de se maintenir hors de l’eau et de sauvegarder l’emploi, notamment grâce à une rapidité inédite d’engagement et de décaissement.

Le plan de relance, qui se « greffe » sur le plan d’urgence, vise à donner un élan à court-terme. Le plan France 2030 est un plan d’investissement à beaucoup plus long terme. Même si une année n’est pas suffisante pour avoir assez de recul sur la question, un premier bilan de ses conséquences sur notre économie peut être esquissé : a-t-il augmenté durablement le niveau de croissance potentielle ? S’agit-il de dépenses de relance ou d’un alibi pour réaliser des dépenses de rattrapage ?

Grâce au comité présidé par Benoît Cœuré, que je tiens à saluer pour la qualité du travail accompli, nous avons pu être informés en temps réel de l’application du plan. Le premier rapport sera publié la semaine prochaine ; je vous invite à le lire tant il est détaillé, y compris dans l’optique de futures crises, pour regarder quels sont les bons instruments.

La croissance perdue de l’économie n’est pas en tant que telle rattrapable mais le niveau de PIB de 2019, lui, sera rattrapé à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Le bilan tiré par le comité Cœuré, que je partage, est donc plutôt positif.

Quelques points de vigilance n’en demeurent pas moins.

Concernant l’industrie, le dispositif Industrie du futur a davantage financé un rattrapage technologique qu’une véritable transformation. Il est également très difficile de mesurer les conséquences réelles du plan de relance sur notre croissance économique. Selon la direction du Trésor, les mesures évaluées permettraient de rehausser l’activité de 4 points de PIB, cumulés sur la période 2020-2025, dont 1,5 point en 2021, pour un total d’environ 100 milliards d’euros. Dont acte, même si 100 milliards d’effort générant un rattrapage du PIB de 100 milliards, la question de l’efficacité peut se poser. Il conviendra donc de suivre cela de très près.

Enfin, j’appelle votre attention sur l’enchevêtrement des plans : plans de relance, quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA), grand plan d’investissements 2018-2022, plan France 2030… La lisibilité de l’ensemble peut en être affectée pour les acteurs et l’accès compliqué. J’en appelle à un mouvement de simplification si nous ne voulons pas nous perdre dans un paysage – nous sommes en France ! – qui deviendrait très vite sur-bureaucratique. Je ne dirai rien des crédits budgétaires concernant des investissements dans la recherche ou d’autres domaines qui s’ajoutent à ces plans. C’est là encore un gros bémol.

Article 20 et état B : Crédits de la mission Plan de relance

Amendement II-CF514 de Mme Sylvia Pinel. 

M. Charles de Courson. L’amendement vise à renforcer l’effort budgétaire de 20 millions d’euros des crédits de l’action 5 du programme 362 par rapport à l’enveloppe proposée par le Gouvernement, afin d’accompagner les agriculteurs qui souhaitent investir dans des équipements de protection contre les aléas climatiques et, ainsi, réduire le reste à charge, souvent trop important.

Depuis l’épisode de gel d’avril dernier, les agriculteurs traversent une période très difficile. En Tarn-et-Garonne et dans bien d’autres départements, dont la Marne, les pertes sont considérables, en particulier dans la viticulture et l’arboriculture. Les producteurs de prune et les chasselatiers, par exemple, ont été très touchés.

Cet amendement vise à garantir que les agriculteurs aient les moyens d’investir dans des outils de protection et que les équipements proposés – filets anti-grêle, différents mécanismes de brassage de l’air comme les tours à vent…   soient accessibles.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Il est très largement satisfait, cette enveloppe étant passée, dans le plan de relance, de 100 à 200 millions d’euros. Selon le Gouvernement, ce doublement est financé par des redéploiements de crédits dont je ne connais pas le détail.

M. Charles de Courson. Vous ignorez donc ce qu’il en est des gages levés et des annulations de crédits ?

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. La directrice du budget, que nous avons auditionnée, n’était pas en mesure de nous en faire part mais nous disposerons ultérieurement de l’ensemble des redéploiements, lesquels sont au fondement du plan de relance. Nous étions d’ailleurs assez favorables à une telle « agilité » budgétaire.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, il convient en effet de distinguer les crédits pour 2022 et les redéploiements de 2021, dont il sera question dans quelques semaines en PLFR.

L’amendement II-CF514 est retiré.

Amendement II-CF474 de M. Philippe Chassaing. 

M. Philippe Chassaing. Le Fonds pour le recyclage des friches du plan de relance pourrait inclure les friches agricoles, or tel n’est pas le cas. Cet amendement d’appel invite donc le Gouvernement à les intégrer.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Cet objectif me semble assez légitime mais ce n’est pas le bon vecteur car ce fonds concerne le milieu urbain et la reconversion économique ou immobilière de ses friches.

L’amendement II-CF474 est retiré.

Amendement II-CF435 de Mme Valérie Rabault. 

Mme Valérie Rabault. Contrairement aux propos de M. Laurent Saint-Martin, l’indicateur de l’annexe budgétaire figurant page 18 indique que le taux de consommation des crédits de paiements pour 2021 a été révisé à 74 % contre un objectif initial de 100 %. Les données de Chorus attestent d’un écart considérable avec la communication gouvernementale.

Compte tenu des sommes engagées, je souhaite que nous puissions avoir une vision très précise, mission par mission, programme par programme et action par action de la consommation réelle des crédits, même s’il est certes toujours possible de voir le verre à moitié plein – 74 % des crédits ont été consommés   ou à moitié vide – un quart ne l’a pas été.

Cet amendement d’appel à un euro devrait être voté puisqu’il ne coûte presque rien. Le Gouvernement nous donnera peut-être ainsi quelques réponses.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Sur la forme, tout d’abord, depuis le début, Éric Woerth et moi-même mettons un point d’honneur à ce que le suivi de l’ensemble des crédits de cette mission soit transparent et précis car la majorité présidentielle s’est engagée à ce qu’ils soient efficaces, qu’ils fassent office de « sucres rapides » pour notre relance économique. Toutes les données sont disponibles, action par action – vous pouvez en effet accéder à Chorus – et elles figureront intégralement dans le rapport que le président Woerth et moi-même cosignerons.

En outre, je n’ai pas trouvé dans les archives un plan de relance ou d’investissement susceptible de dégager aussi rapidement et utilement autant de crédits de paiement. Que des redéploiements et des rythmes de consommation diffèrent, action par action, c’est une évidence dont nous avons toujours fait état – raison pour laquelle nous avons plaidé pour que l’ensemble des programmes soit piloté par la direction du budget ce qui, croyez-moi, n’arrangeait pas forcément les ministères. Grâce aux trois responsables de programmes, sous-directeurs de la direction du budget, nous pouvons bénéficier d’un pilotage efficace et centralisé afin que les redéploiements soient rapides.

Sur le fond, maintenant, 56 % des AE ont été consommées – cela représente 20,1 milliards d’euros – et 44 % des CP – soit 10 milliards d’euros. Les sous-consommations, importantes, s’expliquent : la crise n’a pas entraîné les conséquences économiques et sociales que nous craignions – je songe aux faillites d’entreprises et à l’activité partielle de longue durée (APLD). Ce sont ainsi 4,4 milliards d’euros prévus pour l’APLD – 12 % des crédits ouverts – qui ne seraient pas utilisés. Il en est de même s’agissant des recours au Prêt Vert de Bpifrance, à hauteur de 200 millions d’euros puisque les besoins de trésorerie des entreprises ont été moindres que ce que nous redoutions. Des redéploiements sont donc possibles en direction de dispositifs qui ont rencontré plus de succès : aides à l’industrie, Fonds pour le recyclage des friches, conversions aux agroéquipements, plan vélo, lesquels relèveront du PLFR.

M. Charles de Courson. Mme Rabault a raison : les consommations de crédits devaient être de 100 % en AE et de 100 % en CP à la fin de 2021, ce qui était parfaitement impossible. Les objectifs sont désormais de 80 % en AE et de 74 % en CP, or, avec 56 % d’AE et 44 % de CP consommés à ce jour, les 80 % ne seront pas atteints à la fin de l’année.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Les redéploiements du PLFR ne sont pas encore intervenus.

M. Charles de Courson. Redéployer, ce n’est pas consommer. Les autres taux de consommation sont-ils supérieurs ?

Toutes les études qui ont été réalisées sur les plans de relance depuis trente ou quarante ans montrent que ces plans mettent toujours du temps à s’appliquer et que, souvent, ils le sont de manière contracyclique, lorsque la reprise est au rendez-vous. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe, à quoi s’ajoutent une main-d’œuvre insuffisante et les problèmes liés aux matières premières.

Mme Valérie Rabault. Je remercie M. Laurent Saint-Martin pour ces précisions.

Le Gouvernement a choisi de créer une mission Plan de relance afin de disposer d’un pilotage plus rapide et direct. J’avais alors émis un bémol, arguant que le soutien à l’industrie était éparpillé et que nous ne disposions pas d’une vision consolidée par thème, avec en l’occurrence, des programmes classiques et les programmes de la mission Plan de relance. Il conviendrait dès lors que nous puissions disposer d’un suivi précis des redéploiements, action par action, or, reconnaissez-le, tel n’est pas le cas.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La consommation de 80 % d’AE et de 74 % de CP puisqu’il reste un trimestre : appels à projets, investissements, etc.

En créant cette mission, nous avons fait un choix politique, en effet, mais, je le répète, la consommation en temps réel des actions est disponible via Chorus, à la différence des ultimes redéploiements, dont il sera fait état en PLFR.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement II-CF435.

 

Amendement II-CF434 de Mme Valérie Rabault. 

Mme Christine Pires Beaune. C’est un nouvel amendement d’appel, qui ne coûte pas cher lui non plus puisqu’il est à un euro, afin d’aborder la question de la rénovation des logements et, en particulier, des passoires thermiques. Le Gouvernement visait 80 000 logements sortis de ce statut en 2021, or, selon le bleu budgétaire, seuls 2 500 ont été rénovés.

Par ailleurs, pour 2022, le Gouvernement revoit ses objectifs à la baisse avec la rénovation de 20 000 logements alors que les besoins augmentent, notamment ces derniers mois, du fait de la hausse de l’assurance dommages-ouvrage (DO) d’écohabitations liée à la crise sanitaire.

Enfin, plus nombreuses seront les passoires thermiques réhabilitées, mieux nous nous porterons – en particulier, les classes modestes et populaires – en raison de l’explosion des coûts de l’énergie.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La très bonne consommation des crédits de MaPrimeRénov’ n’empêche pas que le nombre de rénovations globales n’est en effet pas satisfaisant. Conclusion : dans leur très grande majorité, les travaux effectués n’en relèvent pas. Cela signifie que le « ticket » d’investissement est important pour les foyers et que nous devons utiliser des outils complémentaires : le programme Habiter Mieux sérénité de l’agence national de l’habitat (ANAH), associé avec MaPrimeRénov’, sera ainsi davantage orienté vers les rénovations globales et le réseau national d’accompagnateurs créé par la loi dite climat et résilience ira dans le même sens.

Il appartiendra au Gouvernement de dire, à la suite du succès de MaPrimeRénov’, comment favoriser la réalisation d’un plus grand nombre de rénovations globales.

Demande de retrait.

Mme Valérie Rabault. Il n’y aurait donc pas d’outils à disposition ? M. Jean-Louis Bricout a déposé une proposition de loi qui repose sur le même constat que le vôtre : un particulier n’engagera pas de travaux si la subvention dont il peut bénéficier couvre seulement 30 % de leur coût et qu’il ne peut pas financer le reste. M. Bricout a donc proposé l’instauration d’une avance remboursable de 70 % financée par la Caisse des dépôts et étalée dans le temps. La majorité a balayé cette proposition d’un revers de la main mais cet outil-là aurait été très utile pour atteindre les objectifs que vous-même aviez fixés.

En outre, nous savons que 30 % des émissions de CO2 sont liées au logement : il n’est pas possible de le répéter à longueur de journée sans rien faire ! L’objectif de 20 000 logements rénovés pour 2022 est ridiculement épsilonesque compte tenu des besoins !

M. François Ruffin. Je suis stupéfait que les budgets consacrés à la rénovation thermique des bâtiments publics soient divisés par deux et ceux consacrés à la rénovation des bâtiments sociaux par dix.

Nous devrions au contraire créer un véritable plan gagnant-gagnant-gagnant : pour les ménages, dont les factures diminueront et le confort de vie augmentera, pour la planète – un tiers des émissions de CO2 est dû au chauffage – et pour notre indépendance énergétique, surtout avec la flambée des prix de l’énergie que nous connaissons.

Le Gouvernement, s’il sait baisser les impôts pour les grandes entreprises, est incapable d’avoir une vision stratégique d’avenir en matière énergétique. Des dizaines de milliards ne sont pas dépensés et seront redéployés et vous mégottez pour des millions ou des dizaines, des centaines de millions qui seraient très précieux pour les gens !

M. Alain Bruneel. Nous évoquons la question des passoires thermiques depuis des années et, en l’occurrence, l’effort du Gouvernement n’est pas à la hauteur. L’Engagement pour le renouveau du bassin minier est également au ralenti : toutes les habitations ne sont pas prises en compte, non plus que les passoires thermiques dans leur intégralité.

Nous n’allons pas assez vite et nous ne consacrons pas assez de moyens financiers permettant de répondre aux attentes des habitants et aux atteintes environnementales.

Mme Christine Pires Beaune. Nous ne retirerons pas cet amendement.

Cette question des passoires thermiques est fondamentale. Il ne faut pas mégotter car il en va des économies qui pourront être réalisées, tant pour l’État que pour les particuliers. Nous avons besoin d’une vision de long terme : plus les rénovations des passoires thermiques seront rapides et nombreuses, mieux le budget des ménages se portera.

L’adoption de cet amendement permettra de discuter avec le Gouvernement et, peut-être, d’évoquer à nouveau l’instauration d’une prime climat qui ne laisserait aucun reste à charge et qui reposerait sur des avances permettant ainsi aux ménages modestes de se lancer.

M. Charles de Courson. Je me suis beaucoup préoccupé de ces questions dans ma circonscription. S’il convient de tout faire pour qu’il n’y ait plus de logements classés F et G dans le diagnostic de performance énergétique, la dure réalité du terrain montre que tous les crédits du monde n’accélèreront pas un processus long et difficile, en particulier pour des gens très modestes. Nous avons ainsi dû financer les travaux d’un particulier en mobilisant la communauté de communes pour payer son reste à charge.

L’objectif de 2021 n’est pas réaliste et celui de 2022 ne l’est pas plus.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. M. de Courson a raison : le processus est aussi important que les crédits.

À vous entendre, nous manquerions d’ambition en matière de rénovation thermique. Avez-vous vu une majorité dépenser 5 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments privés et près de 3 milliards pour celle des bâtiments publics ? Les résultats sont d’ailleurs au rendez-vous puisque les crédits de MaPrimeRénov’ sont surconsommés. Il n’est pas possible de dire tout et n’importe quoi !

Je suis d’accord avec Mme Christine Pires Beaune à propos de la rénovation globale, qui est un sujet au sein de la rénovation thermique des bâtiments, mais de grâce, monsieur Ruffin, nous arrivons en fin de législature et il serait temps de comprendre la documentation budgétaire ! Comment osez-vous dire que les crédits sont divisés par deux et par dix ? C’est l’inverse ! Toutes les AE ont été ouvertes l’année dernière pour 2021 et 2022. Il va de soi que, cette année, nous voterons les CP restants. Il est possible d’être en désaccord sur les choix politiques et les outils à employer mais pas sur les chiffres.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Rien n’a été divisé par dix. Je ne sais même pas de quoi vous parlez, monsieur Ruffin. Au contraire, les moyens ont plutôt été multipliés par dix !

Je me pose des questions sur la dépense mais son affectation est conséquente : jamais autant d’argent n’a été consacré en si peu de temps à la rénovation thermique, même si les besoins sont immenses.

Par ailleurs, qui a construit les logements sociaux ? Les offices HLM, dont beaucoup dépendent des communes, des départements ou des régions. Rien n’empêche les collectivités locales d’accélérer les rénovations ou de compléter les crédits ! Je sais bien que l’État est toujours responsable de tout mais, que l’on soit de droite ou de gauche, il y a des limites !

La commission rejette l’amendement II-CF434.

 

Amendement II-574 de M. François Ruffin. 

M. François Ruffin. Les crédits consacrés à la rénovation des logements sociaux sont bien divisés par dix. Tout a-t-il donc été fait l’année dernière pour que nous puissions, cette année, baisser la voilure à ce point-là ?

J’entends M. de Courson lorsqu’il considère que le blocage n’est pas seulement financier mais, selon moi, monsieur Woerth, l’État doit s’interroger sur ce qui est stratégique, ce qui est précisément le cas de la rénovation thermique pour les ménages, la planète et l’indépendance de notre pays.

Le financement à 100 % de la rénovation thermique d’un certain nombre de logements, y compris privés, ne me choquerait pas car cela reviendrait à investir pour l’avenir. Le Gouvernement a la responsabilité de déterminer les obstacles à lever pour que, notamment, les plus pauvres puissent y accéder : financements avant les travaux et non après, développement d’une filière sans utiliser une main-d’œuvre détachée, attractivité des métiers pour la jeunesse.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Avis défavorable.

S’il est un outil déployé à l’issue de cette crise qui coche différentes cases telles que celles de la transition écologique, du pouvoir d’achat des ménages et de la relance économique, c’est bien MaPrimeRénov’ ! C’est aussi pourquoi, contrairement à ce que j’entends, nous ajoutons des CP pour 2022.

M. François Ruffin. Ce n’est pas parce que MaPrimeRénov’ existe qu’une rénovation thermique massive est en cours. Des blocages existent : les plus pauvres accèdent difficilement à ce dispositif car les opérateurs de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) se positionnent sur un marché et ne relèvent pas du service public.

En outre, des foyers n’ont pas les moyens d’avancer les sommes nécessaires avant le versement, qui intervient après les travaux.

Enfin, comment favoriser l’attractivité des métiers du bâtiment ? Des avantages pourraient être proposés aux travailleurs, dont la retraite à soixante ans, compte tenu de la pénibilité de ces carrières.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. MaPrimeRénov’ et l’ANAH relèvent bien du service public. Probablement confondez-vous avec les certificats d’économie d’énergie.

M. François Ruffin. J’ai beaucoup à apprendre mais il n’en reste pas moins que l’ANAH procède à des délégations à des opérateurs.

La commission rejette l’amendement II-CF574.

Amendements II-CF433 de Mme Valérie Rabault et II-CF577 de M. François Ruffin (discussion commune).

Mme Valérie Rabault. Cet amendement vise à créer un minimum jeunesse. Le Président de la République a fait un certain nombre d’annonces, mais elles ont fait « pschitt » puisque le Premier ministre a indiqué ensuite que le revenu d’engagement ne serait pas à la hauteur de ce qui avait été proclamé.

La France fait partie des quatre pays de l’Union européenne sur vingt-sept à ne pas ouvrir de droits sociaux aux jeunes. On est vraiment mauvais sur ce point. Si on a 18 ans, qu’on est au chômage, qu’on n’a pas forcément des parents qui peuvent vous soutenir ou qu’on n’a pas de petits boulots, on se retrouve sans ressources.

C’est un impératif : notre pays ne peut pas continuer à laisser des jeunes sans solution efficace et viable.

M. François Ruffin. Pendant la crise de la covid-19, les jeunes ont eu à subir une double peine. On les a confinés pour protéger les plus âgés et ils ont été punis socialement et économiquement. Les petits boulots que certains d’entre eux avaient ont été les premiers à disparaître, avec pour conséquence des files d’attente de plusieurs centaines de mètres pour recevoir une aide alimentaire.

La majorité politique et la majorité pénale sont fixées à 18 ans. À cet âge on peut donc voter et aller en prison. La majorité sociale devrait logiquement correspondre, ce qui permettrait de percevoir le RSA – qui n’est un idéal pour personne.

Après l’annonce par Emmanuel Macron d’une garantie jeunes universelle, on nous parle désormais d’un contrat d’engagement, dont on dit déjà qu’il va rétrécir pour des raisons budgétaires, les crédits prévus représentant à peine 500 millions d’euros.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Nous avons une divergence de fond sur la réponse à apporter à la situation actuelle de l’emploi des jeunes, et plus largement sur celle des jeunes dans notre pays.

Nous considérons que l’incitation à l’emploi et le soutien à l’embauche par les entreprises doivent être une priorité, ce qui n’est évidemment pas contradictoire avec la nécessité de soutenir les jeunes les plus précaires – ce qui est fait. Faut-il encore rappeler ce qui a été réalisé par la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire durant l’année 2020 ?

Nous assumons de ne pas vouloir instaurer une sorte de RSA jeunes, comme le font d’une certaine manière ces deux amendements. Le plan « 1 jeune, 1 solution » mis en place depuis plus d’un an est un succès complet ; il représente un effort de 7,4 milliards d’euros.

Les résultats de l’aide à l’embauche des moins de 26 ans vont bien au-delà de ce qui était espéré au moment où nous avons voté les crédits correspondants. Le nombre d’apprentis bat des records malgré la crise, avec 525 000 contrats enregistrés. Le taux de chômage des 1524 ans se situe près d’un point et demi en dessous de son niveau de 2019. Quand on parle de jeunesse et d’emploi, les résultats sont extrêmement encourageants.

Il faut donc persévérer, tout en maintenant un filet de sécurité très important pour ceux qui se trouvent dans une situation de grande précarité. Nous l’avons fait depuis le début de cette crise, et nous continuerons à le faire.

Avis défavorable.

M. François Ruffin. Pour les jeunes, étudiants ou non, il n’y a pas de filet de sécurité. Le seul filet de sécurité, c’est la solidarité familiale, dont on sait qu’elle est très inégalitaire. Même quand les plus pauvres consacrent proportionnellement plus d’argent à aider leurs enfants, cela fait une aide de l’ordre de 100 euros par mois seulement. En y consacrant une part moins importante de leurs revenus, les 10 % les plus riches peuvent verser 600 à 700 euros par mois.

C’est la raison pour laquelle il faut passer d’une solidarité familiale à une solidarité sociale et nationale, comme nous l’avons fait après-guerre pour les personnes âgées. Ne pas avancer alors que la crise a montré la fragilité de la situation des jeunes, c’est vraiment triste.

La commission rejette successivement les amendements II-CF433 et II-CF577.

Amendement II-CF576 de M. Éric Coquerel.

M. François Ruffin. M. Saint-Martin indiquait que l’important c’était l’emploi. Cet amendement propose de créer des emplois jeunes, avec une rémunération au moins égale au SMIC. Il ne s’agit pas d’un service civique ou d’emplois sous-payés. Ces emplois jeunes permettraient de répondre à des besoins qui ne sont pas pourvus.

Vous n’êtes pas timides lorsqu’il s’agit de consacrer 10 milliards d’euros à la baisse des impôts de production – ce qui constitue la colonne vertébrale de ce plan de relance. En revanche lorsqu’il s’agit d’aider les jeunes, qui ont été les plus touchés par la crise, il y a des pudeurs de gazelle.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La réponse est dans votre propre argumentaire. Vous ne voulez pas entendre que baisser les impôts de production est la meilleure façon de rétablir les marges des entreprises, ce qui leur permettra d’embaucher ces mêmes jeunes que vous voulez aider avec votre amendement.

Nous n’avons pas la même vision de l’emploi des jeunes. Vous souhaitez passer par des allocations, nous voulons passer par des emplois – et des emplois bien payés, vous avez raison sur ce point. Le meilleur moyen pour cela consiste à donner de nouveau du souffle, de la croissance et de l’énergie aux entreprises.

Nos points de vue sont différents, c’est la démocratie.

Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Monsieur le rapporteur spécial, où en est-on s’agissant du contrat d’engagement annoncé par le Président de la République ? Rien ne figure à ce sujet dans le PLF. Pourriez-vous nous éclairer avant le vote sur cet amendement ?

M. François Ruffin. Devrons-nous examiner un PLFR intégrant les crédits du contrat d’engagement alors que nous aurons à peine terminé l’examen de ce PLF ?

On nous avait promis la garantie jeunes universelle, elle a disparu du paysage. C’est un premier élément.

Nos visions sont diamétralement opposées. Vous pensez que donner aux entreprises, notamment aux plus grandes, produira naturellement un ruissellement bénéfique pour la croissance, et que cela se traduira par des emplois, y compris pour les plus fragiles.

Mais ce ruissellement n’existe pas. Quand vous donnez de l’argent à Total, il y a de grosses pertes en ligne avec le versement de 8 milliards d’euros de dividendes. De nombreux rapports, dont un de France Stratégie, montrent que cela ne fonctionne pas comme vous le dites.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Les crédits relatifs au contrat d’engagement ne figureront pas dans la mission Plan de relance. Si des annonces gouvernementales intervenaient à ce sujet, il faudrait interroger Marie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure spéciale de la mission Travail et emploi. Je vous invite à poser cette question lors de l’examen en séance des crédits de la mission. Il appartient au pouvoir exécutif de faire des annonces en temps voulu, en fonction de l’état d’avancement des arbitrages.

Monsieur Ruffin, le rapport de France Stratégie porte sur la fiscalité du capital, ce qui est une autre question.

Je voudrais tout de même que vous m’expliquiez comment nous avons pu faire pour avoir un taux de chômage plus bas après la crise qu’avant celle-ci. J’admets parfaitement notre désaccord politique, mais reconnaissez que nous avons donné des moyens aux entreprises pour embaucher, par le biais d’aides publiques – c’est exact  mais aussi grâce à la reconstitution de leurs marges. Ce n’est donc pas une question de ruissellement. 

Mme Valérie Rabault. M. Saint-Martin a raison s’agissant du taux de chômage, mais il faut voir les choses dans leur ensemble. Le nombre d’allocataires du RSA explose. On assiste à une fragmentation très dangereuse de la société. Le rôle du Gouvernement, mais aussi le nôtre, c’est de façonner une cohésion.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Le dispositif de garantie jeunes mis en œuvre par les missions locales est très bon. Il permet de s’occuper des jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation, afin de les intégrer dans une trajectoire menant à l’emploi. Le Gouvernement gagnerait à l’étendre. En tout état de cause, l’avenir des jeunes ce n’est pas les minima sociaux.

La commission rejette l’amendement II-CF576.

Amendement II-CF578 de M. Éric Coquerel.

M. François Ruffin. La ministre du travail avait confié en 2020 à l’économiste Christine Erhel une mission sur la reconnaissance des travailleurs de la deuxième ligne. L’excellente étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) énumère les métiers qui se sont révélés indispensables pendant la crise. Au premier rang des quatorze professions identifiées comme telles figurent les agriculteurs, mais aussi les caristes, les chauffeurs routiers, les agents du secteur de la distribution, les auxiliaires de vie sociale et les agents d’entretien. L’étude montre qu’ils sont sous-payés, mais aussi qu’ils se sentent subjectivement sous-payés.

Quelle a été la conclusion politique tirée par la ministre de cet excellent travail ? Je cite : « Nous faisons le pari, avec confiance, que le dialogue social aboutira à quelque chose d’intéressant. » Non ! Il n’est pas vrai que le dialogue social amène naturellement à mieux rémunérer ces métiers indispensables.

L’amendement propose donc un relèvement du SMIC net, non seulement pour ces métiers mais aussi de manière générale.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Cela ne correspond pas à l’objet du plan de relance et l’amendement n’a donc pas sa place dans les crédits de cette mission.

 Quant au SMIC, son niveau se situe en France à un niveau bien plus élevé par rapport au salaire médian que dans la plupart des autres pays. En réalité, il écrase la grille des salaires, ce qui est en soi un énorme problème.

La solution ne réside pas dans une augmentation continue du SMIC, elle se trouve dans la fluidité du marché du travail. Pour les métiers que vous citez, cette fluidité permettra d’augmenter le salaire afin de rendre le travail plus attractif lorsqu’on n’arrive pas à pourvoir un emploi.

Avis très défavorable.

M. François Ruffin. C’est une vision très idéologique de dire que cela ne correspond pas à l’objet du plan de relance. M. Saint-Martin nous dit que l’argent donné aux entreprises va naturellement ruisseler vers les salariés et mêmes vers les chômeurs. Je vous assure que si l’on améliore les revenus de ceux qui en ont peu, cela aura rapidement un effet sur la consommation et participera à la relance.

Par ailleurs, le marché du travail écrase depuis des décennies les métiers dont on parle et leur rémunération, notamment du fait des temps partiels contraints. On ne peut pas croire qu’il va permettre un fleurissement d’emplois et une hausse des salaires sans une volonté politique, sans que l’État et la loi viennent protéger les faibles face aux forts.

Mme Valérie Rabault. Je signale au président de la commission des finances que le social-démocrate Olaf Scholz, qui a gagné les élections en Allemagne, propose d’augmenter le salaire horaire minimum de 9,60 euros à 12 euros net – et ce dans un pays dont vous citez souvent l’économie pour la comparer à celle de la France.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Monsieur Ruffin, vous allez enfermer les gens dans le chômage. Tel sera le résultat de votre proposition. Au bout du compte, le salaire dépend aussi de la productivité du travail et des qualifications. Il faut donc jouer sur plusieurs registres, et pas uniquement sur celui qui peut apparaître le plus populaire. Vous vous trompez de combat.

La commission rejette l’amendement II-CF578.

Amendement II-CF573 de Mme Mathilde Panot.

M. François Ruffin. Le plan de relance ne devrait pas reconduire la société telle qu’elle était avant la crise, c’est-à-dire faite d’injustice et de pollution ; il doit être l’occasion d’une bifurcation. En l’occurrence, il s’agit de faire tout notre possible pour basculer vers les énergies renouvelables.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Avis défavorable. Le plan de relance accélère massivement en ce qui concerne la transition écologique, la décarbonation des industries et la rénovation thermique des bâtiments. Cela représente un tiers de ce plan et occupe une place centrale dans le dispositif.

 Je rappelle également que le plan France 2030 met aussi en avant la priorité de la décarbonation et de la neutralité carbone en 2050. À cet effet, et c’est l’une de nos différences politiques, il investit dans l’énergie nucléaire de demain et dans l’hydrogène vert. De ce point de vue, votre amendement est satisfait puisque la bifurcation a déjà été engagée par le Président de la République et cette majorité depuis le début de son mandat.

La commission rejette l’amendement II-CF573.

Amendements II-CF567, II-CF568, II-CF557, II-CF565, II-CF566 et II-CF564 de M. François Ruffin (discussion commune).

M. François Ruffin. Ces amendements portent sur les métiers du lien. On va une nouvelle fois me dire que les questions relatives aux auxiliaires de vie sociale n’ont pas leur place dans le plan de relance. Le problème est qu’on m’apportera la même réponse lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou des missions Travail et emploi et Solidarité. Je dépose donc ces amendements à chaque occasion possible, et un jour peut-être serais-je entendu.

 Miser sur ces métiers fait partie du plan de relance, parce que c’est une réponse à la crise de la covid-19 mais aussi une réponse à celle des gilets jaunes.

S’agissant de la première, le Président de la République avait déclaré : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Or ces auxiliaires de vie ont permis le maintien à domicile des personnes âgées et elles le permettent encore quotidiennement. Pourtant, du fait de faux temps partiel mais de vrais salaires partiels, elles sont sous le SMIC et sous le seuil de pauvreté.

C’est aussi une réponse à la crise des gilets jaunes. Parmi les femmes présentes sur les ronds-points, on rencontrait beaucoup d’auxiliaires de vie sociale et d’assistantes maternelles.

Il faut créer des groupes de parole car aujourd’hui elles font leur métier de manière isolée. Il faut organiser le travail en tournées, de manière à limiter les amplitudes horaires. Il faut leur accorder un congé de deuil lors du décès d’un de leurs patients. Un tutorat doit être mis en place lors de la première année d’exercice de la profession. Il faut réaliser des diagnostics des domiciles, car le métier d’auxiliaire de vie est celui où l’on compte le plus d’accidents du travail – davantage que dans le bâtiment et les travaux publics.

Cette profession est abandonnée par la politique. Il faut du travail à temps plein avec de vrais salaires, plutôt que de continuer avec de faux temps partiels qui ne leur apportent que 682 euros par mois en moyenne.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Ces sujets relèvent du PLFSS pour 2022, et nous avons d’ailleurs déjà eu l’occasion d’en discuter lors de l’examen de ce texte. Son article 30 prévoit de consolider le financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) par l’instauration au 1er janvier 2022 d’un tarif plancher national de 22 euros par heure.

Chacun convient que ces personnes sont soumises à des conditions de travail extrêmement difficiles.

Mais beaucoup des sujets que vous évoquez ne relèvent pas de la loi, et c’est heureux car ce n’est pas à l’État de tout organiser. On ne peut pas planifier l’intégralité des actions des uns et des autres, sinon cela se terminera mal.

Il faut que l’évolution des crédits suive les besoins, ce qui est désormais en partie le cas même si tout n’a pas été résolu. Les personnels de santé ont été assez considérablement augmentés dans le cadre du Ségur de la santé. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Gouvernement n’a pas lésiné, avec une dizaine de milliards d’euros consacrés à l’augmentation des salaires ou traitements. Quant au tarif plancher de 22 euros dont je parlais, c’est un progrès important pour les personnes travaillant dans l’accompagnement à domicile.

Avis défavorable.

M. François Ruffin. Dès qu’on cherche à obtenir de petites conquêtes sociales, on a un député du groupe LR qui se fait le porte-parole du gouvernement Macron.

C’est un choix politique de dire qu’on peut mettre des dizaines de milliards pour baisser les impôts pour les grandes entreprises dans le cadre d’un plan de relance, mais qu’en revanche on ne peut pas prévoir d’augmenter les rémunérations des métiers les plus essentiels. Le PLFSS prévoit 240 millions d’euros pour les auxiliaires de vie, ce qui fait 30 euros pour chacun d’eux, avec la joie de passer de 732 euros à 762 euros par mois en moyenne. Ni vous ni moi ne vivons avec ça. Qui peut vivre avec ça ? L’Assemblée et l’État doivent faire avancer les choses.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Il est de tradition dans cette commission de ne pas user d’attaques personnelles.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Je soutiens les mesures que je veux bien soutenir ; j’ai probablement plus de liberté que vous et je m’en réjouis.

On ne vous a pas attendu pour faire le diagnostic. La plupart des métiers dont nous parlons ont été créés alors que vous n’étiez même pas né. Le monde a existé avant que vous ne parliez à tort et à travers.

Il y a des difficultés de rémunération mais aussi de recrutement. Vous choisissez souvent le chômage plutôt que l’activité, mais moi je choisis l’activité. Il faut bien entendu que les salaires augmentent progressivement, dans des conditions qui soient aussi justes que possible tout en maintenant un reste à charge acceptable pour les bénéficiaires de ces services et pour l’ensemble de la société.

La commission rejette successivement les amendements II-CF567, II-CF568, IICF557, II-CF565, II-CF566 et II-CF564.

Amendement II-CF580 de Mme Mathilde Panot.

M. François Ruffin. Cet amendement propose de réguler les marchés agricoles, en bloquant le prix de cinq fruits et légumes de saison. Un décret en fixera le prix, en coopération avec les syndicats agricoles. Ces prix seront calculés en fonction d’un coefficient multiplicateur, afin d’assurer un revenu décent aux paysans.

Huit millions de personnes ont eu besoin de l’aide alimentaire pour vivre pendant la crise et des millions en ont encore besoin. Les prix du marché ne permettent pas à tous d’accéder à une alimentation saine.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Le blocage des prix peut parfois s’imposer par nécessité. On l’a vu récemment au sujet de l’énergie.

Mais je pense que l’augmentation des prix alimentaires ne rend pas cette mesure nécessaire. Je passe sur les difficultés d’un tel mécanisme, à commencer par le fait de privilégier certains fruits et légumes par rapport à d’autres. Au bout du compte, cela pourrait aussi avoir des répercussions sur les consommateurs.

Plusieurs solutions pratiques ont été mises en œuvre par cette majorité pour améliorer l’accès des ménages à une alimentation de qualité. Le PLF 2022 prévoit 56 millions d’euros pour l’aide alimentaire. La loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs renforce la transparence dans les négociations commerciales, ce qui doit assurer une meilleure rémunération des agriculteurs. Le plan de relance prévoit 50 millions sur deux ans pour financer l’alimentation locale et de qualité dans les cantines des petites communes. La question n’est en effet pas seulement de manger à un prix abordable, mais aussi de mieux manger.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement II-CF580.

 

Amendement II-CF581 de M. Éric Coquerel.

M. François Ruffin. Il s’agit d’opérer un blocage des prix de l’énergie. Je suis d’ailleurs aussi partisan du blocage des dividendes.

Le bouclier tarifaire présenté par le Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux, puisqu’il entérine les hausses du prix de l’énergie qui sont déjà intervenues plutôt que de revenir sur celles-ci.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Le débat sur le bouclier tarifaire a déjà eu lieu en séance. Je n’y reviens pas.

On doit se féliciter des mesures utiles pour préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Cela devrait susciter un consensus plutôt qu’une polémique. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement II-CF581.

Amendement II-CF570 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Les agents d’entretien ont joué un grand rôle pendant la crise sanitaire. Ils continuent de le faire et on leur demande d’accomplir davantage de tâches. Pourtant, ils ont été presque totalement exclus de la prime covid, alors qu’ils travaillent bien souvent à temps partiel pour des salaires très partiels. Les faire bénéficier de cette prime serait une mesure de justice.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La prime covid, qui a été reconduite en juillet 2021, permet aux employeurs de verser des primes comprises entre 1 000 et 2 000 euros à leurs employés. Ces primes sont exonérées d’impôts et de cotisations sociales. Ce ne sont donc pas des primes versées directement par l’État mais par les employeurs.

L’intérêt de ce mécanisme est d’en passer par les entreprises, y compris celles qui assurent l’entretien des hôpitaux dans le cadre de marchés de sous-traitance. Pour l’État, il ne s’agit pas d’un coût budgétaire mais d’un manque à gagner fiscal et social. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Ces entreprises sous-traitantes n’ont pas versé de primes, ou lorsqu’elles l’ont fait les montants sont très limités. Cela apparaît comme une injustice supplémentaire.

La commission rejette l’amendement II-CF570

Amendement II-CF569 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Parmi les professions les plus mobilisées pendant la crise sanitaire, il y a les assistantes maternelles. Elles ont gardé parfois jusqu’à sept enfants, tout en désinfectant le soir tous les objets qui avaient été touchés. Elles n’avaient plus de contact avec la protection maternelle et infantile (PMI), car plus personne ne leur répondait, et elles se sont senties isolées. Mais pour elles la reconnaissance par la prime covid s’est élevée à zéro euro.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La question du statut et de la place des assistantes maternelles a été l’objet de nombreuses réformes ces derniers temps.

La caisse d’allocations familiales (CAF) a lancé en 2021 un plan rebond, doté de 300 millions d’euros et destiné à favoriser l’exercice regroupé de la profession en maisons d’assistants maternels. La proposition de loi de notre collègue Annie Vidal visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels a été votée. De nouveaux droits sociaux leur ont été reconnus à l’occasion de l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective au début de l’année, qui prévoit notamment une hausse des indemnités d’entretien et du salaire minimal.

Sur le fond, je peux vous rejoindre s’agissant de la nécessité de mieux valoriser le travail des assistants maternels et d’améliorer leurs conditions de travail. C’est ce qui est fait au travers de ces nouveaux dispositifs. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement II-CF569.

Amendement II-CF572 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. François Ruffin. Il est nécessaire qu’en matière de transport ce plan de relance ne se contente pas de poursuivre ce qui existait déjà, mais qu’il soit bien un plan de réorientation.

En l’occurrence, l’amendement propose de renforcer le fret ferroviaire. Il faut une volonté politique pour cela. Le transport routier ne supporte pas le coût de ses externalités, et les prix pratiqués ne tiennent par exemple pas compte du fait qu’un camion use les routes 10 000 fois plus qu’une voiture.

Si la puissance publique n’intervient pas, il n’y aura pas de rééquilibrage naturel du marché au profit du fret ferroviaire.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. L’amendement est plus que satisfait. Vous souhaitez allouer 100 millions d’euros pour renforcer le fret ferroviaire ; le plan de relance prévoit déjà 250 millions d’euros à cet effet.

Nous partageons donc le même objectif, mais les moyens figurant dans le plan de relance sont plus de deux fois supérieurs à ce que vous proposez.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement II-CF572.

 

Amendement II-CF575 de Mme Mathilde Panot.

M. François Ruffin. Il s’agit de relever le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé (AAH) pour parvenir au niveau du SMIC, qui représente le minimum pour vivre. Dans cette pièce, nous aurions tous bien du mal à vivre avec ça.

Cela met en évidence la manière dont on conçoit la relance. Soit on pense que l’argent donné aux grandes entreprises va ruisseler, soit on considère que c’est donner aux gens dont les besoins ne sont pas satisfaits qui va permettre de relancer l’économie.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Avis défavorable.

Vous en restez à vos slogans sur la théorie du ruissellement, dont vous êtes seul à parler. Vous n’entendrez jamais le Président de la République, un ministre ou un membre de la majorité s’en réclamer.

En revanche, nous croyons à l’économie de l’offre, c’est-à-dire à la nécessité d’avoir une économie puissante, compétitive et prospère pour, d’une part, créer des emplois et, d’autre part, permettre la redistribution au travers d’un modèle social que nous avons bâti au cours de plusieurs décennies.

Le ruissellement, ça ne veut rien dire ; c’est votre théorie et, en fin de compte, votre seul élément de langage lorsqu’on parle d’économie.

Je voudrais aussi démonter certaines contre-vérités avancées par le groupe La France insoumise. Vous assénez régulièrement le nombre d’un million de pauvres supplémentaires du fait de la crise. C’est totalement faux. Il s’agissait d’une simulation réalisée par des associations d’aides alimentaires qui reposait sur l’hypothèse de 800 000 pertes d’emploi du fait de faillites d’entreprises. Non seulement ces dernières n’ont pas eu lieu, mais on a créé des emplois. Cessez de dire qu’il y a un million de pauvres en plus. C’est factuellement faux et vous biaisez le débat. 

La commission rejette l’amendement II-CF575.

Amendement II-CF571 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. François Ruffin. Vous répondez à un argument que je n’ai pas donné. C’est un peu fort ! Peut-être ne parlez-vous pas de la théorie du ruissellement, mais c’est bien le sens de votre politique. Vous avez dit encore tout à l’heure que lorsqu’on donne aux grandes entreprises, cela crée de l’emploi et donc cela bénéficie aux jeunes.

L’amendement propose de généraliser l’expérimentation « Territoires zéro chômeurs de longue durée », afin que tout chômeur se voie proposer un emploi au SMIC, pour répondre à des besoins non satisfaits.

Le marché ne répondant pas à tous les besoins en matière de transition écologique, il faut que la puissance publique intervienne.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Il faut en effet continuer à lutter contre le manque d’emplois.

Mais le principal problème a été très bien présenté par le gouverneur de la Banque de France tout à l’heure. On arrive à faire baisser le chômage, et c’est très bien, mais il existe un problème structurel extrêmement préoccupant : des emplois vacants ne sont pas pourvus faute de compétences. Si l’on ne concentre pas l’effort sur les compétences et sur l’investissement humain, tout le reste sera inefficace.

Prévoir des crédits pour garantir l’emploi, comme le fait cet amendement, cela ne veut rien dire. De quels emplois parlez-vous ?

La priorité consiste à adapter les formations aux besoins des employeurs qui embauchent. Nous pourrions tous nous retrouver sur ce point.

La commission rejette l’amendement II-CF571.

Amendement II-CF752 de M. Michel Castellani.

M. Charles de Courson. C’est un amendement d’appel de notre collègue Michel Castellani concernant la Corse et le plan de relance.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Demande de retrait. Une discussion pourra avoir lieu avec le Gouvernement en séance.

L’amendement II-CF752 est retiré.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. La majeure partie des crédits du plan de relance consacrés à la compétitivité a déjà été affectée en 2021, que ce soit pour le financement des entreprises ou au travers du plan de soutien à l’export. Cela entraîne forcément une baisse importante des crédits de paiement pour 2022. Comment les rapporteurs apprécient-ils l’efficacité de ces mesures en faveur de la compétitivité ?

Nous avons tous suivi la présentation du plan France 2030, qui sera doté de 30 milliards d’euros avec une prévision de décaissements d’un peu plus de 3 milliards dès 2022. Le mécanisme retenu sera-t-il similaire au quatrième PIA ? Va-t-on décaisser plus vite ? Qui sera l’opérateur de ce plan ?

Mme Josiane Corneloup. Je salue bien entendu les mesures de relance et de soutien de notre économie, en particulier de nos entreprises ; le Gouvernement a annoncé, l’an dernier, que leur seraient alloués 100 milliards d’euros de crédits budgétaires – crédits dont la Cour des comptes estime toutefois qu’ils s’élèvent tout au plus à 64 milliards. Les mesures d’urgence et les objectifs affichés sont louables et nécessaires après près de deux années d’une crise sanitaire et sociale inédite, dont nous devons à présent sortir pour préparer la France de 2030.

Permettez cependant à la présidente de l’Association nationale des pays et pôles territoriaux d’être réservée quant à la méthodologie retenue. Nous avons en effet défini des périmètres pour le portage des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) avant d’avoir élaboré un véritable projet de territoire et une véritable stratégie, qui intègrent non seulement la dimension économique mais aussi la dimension écologique et la cohésion des territoires.

Nous devons nous interroger sur la pertinence des crédits consacrés à la relance. Nous permettront-ils d’opérer une véritable transition écologique et numérique fondamentale ? Contribueront-ils à accélérer la croissance française ? Permettez-moi d’en douter. Certains d’entre eux sont parfaitement illisibles et l’ensemble est, pour beaucoup d’entre nous, confus en raison de l’enchevêtrement des plans : quatrième PIA, grand plan d’investissement, plan France 2030. Par ailleurs, la consommation des crédits reste incertaine. En dix ans, les décaissements liés aux programmes d’investissement d’avenir ont été faibles ; or il est prévu, cette fois, de décaisser les deux tiers de l’enveloppe en deux ans.

La crise a masqué la hausse de nombreuses dépenses courantes. En 2021, selon la Cour des comptes, le Gouvernement a augmenté les dépenses de 66 milliards d’euros, dont 25 milliards liés à la crise et 41 milliards hors urgence et relance. Financer l’avenir de notre pays par l’endettement est un choix particulièrement risqué, notamment pour les générations futures, qui auront à en subir les conséquences.

M. Mohamed Laqhila. La mission Plan de relance est l’outil budgétaire par excellence du plan France relance. Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés est satisfait de l’équilibre budgétaire trouvé l’an dernier. Les domaines nécessaires à la relance font l’objet d’un investissement fort dans le cadre des trois priorités choisies : la compétitivité, l’écologie et la cohésion. Une place importante est en effet accordée aux infrastructures, au bâtiment, à l’emploi, aux entreprises et au numérique, qui nous semblent être les enjeux de la France actuelle. La cible est donc la bonne.

La vitesse de la reprise de l’économie – qui est parfois trop rapide, comme en attestent les difficultés d’approvisionnement et de recrutement que nous observons dans certains marchés – montre que les choix que nous avons faits et que nous mettons désormais en œuvre sont les bons. Fin août 2021, 17 milliards d’euros d’autorisations d’engagement avaient déjà été consommés sur la mission Plan de relance. Pouvez-vous nous indiquer quel sera le montant des crédits consommés d’ici la fin de l’année ?

Dans quelle mesure l’inflation, qui concerne notamment le coût des matériaux de construction, réduit-elle l’efficacité du dispositif de relance ? L’application du plan de relance doit-elle, de ce fait, être davantage étalée dans le temps ?

Enfin, ma dernière question porte sur le lien entre la mission Plan de relance et la Facilité pour la reprise et la résilience de l’Union européenne, puisque 40 des 100 milliards d’euros annoncés en faveur du plan France relance seront financés par des subventions européennes. Cette facilité a été adoptée par l’Union européenne le 13 juillet dernier et 5,1 milliards ont d’ores et déjà été perçus par la France. Les versements doivent s’étaler jusqu’en 2026. La mission Plan de relance ayant vocation à être temporaire et à s’éteindre progressivement, je souhaiterais savoir par quel biais budgétaire les crédits européens seront décaissés.

Mme Valérie Rabault. Comme nous l’avons dit l’an dernier, le plan de relance présente deux défauts majeurs : premièrement, il procède à un saupoudrage, puisqu’il comporte 113 actions – dont la replantation de haies, à laquelle 11 millions d’euros ont été alloués en 2021  ; deuxièmement, à la différence des Allemands, nous ne faisons pas les choses de A à Z. Prenons l’exemple des bornes de recharge électrique : le premier plan de relance subventionnait leur installation à hauteur de 250 millions quand l’Allemagne y a consacré 3 milliards, soit quinze fois plus. Le Président de la République a procédé mardi dernier à un réajustement en portant le montant de ces crédits à 2 milliards.

Ainsi, les défauts que j’ai mentionnés ont été, sur certains points, corrigés dans la seconde version du plan de relance, ce qui montre que la première était très insatisfaisante. Du reste, les mesures concernant le logement soulèvent des difficultés – que M. Saint-Martin a lui-même reconnues lorsqu’il a indiqué que certains dispositifs ne fonctionnaient pas lorsque les ménages ne pouvaient pas avancer l’ensemble de la somme – auxquelles il n’a pas été remédié. Le groupe Socialistes et apparentés sera donc très vigilant sur ce point.

Mme Patricia Lemoine. La mission Plan de relance est la pierre angulaire du plan France relance, présenté il y a un peu plus d’un an par le Gouvernement. Ce plan de 100 milliards avait pour ambition d’initier puis d’amplifier la relance dans les territoires afin de bâtir une économie d’après-crise solide. Après un an, nous pouvons en dresser un premier bilan.

Tout d’abord, s’agissant de la rapidité de déploiement du plan, le contrat semble pour le moment rempli. Certains dispositifs ont connu un formidable succès, notamment MaPrimeRénov’, la prime à la conversion et le bonus écologique. Par ailleurs, les jeunes se sont approprié le plan « 1 jeune, 1 solution » puisque, depuis début août 2020, 2,6 millions d’entre eux ont directement bénéficié d’aides du plan France relance pour l’emploi. D’autres dispositifs, en revanche, n’ont pas fonctionné ; c’est le cas notamment des prêts participatifs, qui n’ont pas trouvé leur cible.

L’intérêt d’une mission unique résidait dans la souplesse et la réactivité qu’elle permet pour s’adapter au mieux aux besoins. Force est de constater que cela a permis des transferts de crédits entre les différentes actions pour amplifier les dispositifs à succès. Toutefois, la lisibilité est compromise puisqu’il est très difficile d’avoir une vue d’ensemble des dispositifs proposés et des mouvements opérés. Le financement de l’activité partielle illustre bien cette difficulté.

Les objectifs qui étaient fixés dans les projets annuels de performance pour 2021 étaient ambitieux et la plupart d’entre eux n’ont pas été atteints. Néanmoins, la réussite flagrante de certains dispositifs et le redémarrage solide de l’économie française en cette fin d’année 2021 sont les meilleurs avocats du plan de relance. Il faut poursuivre dans cette voie, en prenant en compte les observations faites sur le terrain. Pour ces différentes raisons, le groupe Agir ensemble votera les crédits de la mission Plan de relance.

M. Charles de Courson. Je passe rapidement sur la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire, puisque les 200 millions d’euros ouverts en 2022 sont destinés à couvrir d’éventuels besoins concernant l’achat de masques pour le grand public.

Quant à la mission Plan de relance, créée en loi de finances initiale pour 2021, elle achève son déploiement avec 12,9 milliards d’euros de CP en 2022. Force est de constater, tout d’abord, que nous sommes loin des 100 milliards de France relance. Cette mission ne porte d’ailleurs qu’un tiers de ce plan, les autres crédits étant inscrits sur les missions ordinaires du budget général. On peut donc se demander à quoi elle sert, sinon à rendre les documents budgétaires illisibles !

Le groupe Libertés et Territoires ne peut qu’approuver le constat dressé par la Cour des comptes dans son rapport sur les dépenses publiques pendant la crise. Le chiffre de 100 milliards annoncé par le Gouvernement est trompeur : la Cour estime à 64 milliards tout au plus les crédits budgétaires alloués par l’État. Nous critiquons également un phénomène de labellisation : pour gonfler les chiffres et l’image de France relance, on octroie un label « relance » à des dépenses ordinaires déjà prévues.

Cette mission contribue ainsi à l’illisibilité budgétaire du PLF 2022, comme elle contribuait à celle du PLF 2021. Le Gouvernement s’était pourtant engagé en commission, lors de l’examen du décret d’avance 2021, à la rendre plus claire. Las, le budget pour 2022 reste aussi peu intelligible. À titre d’exemple, le renflouement de MaPrimeRénov’, dispositif que nous avons soutenu, à hauteur de 2 milliards d’euros se voit dispersé entre la mission Écologie, développement et mobilité durables et la mission Plan de relance. Or il est difficile de comprendre en quoi certaines rénovations participeraient à la relance, et d’autres non ! Cet éparpillement ne peut que nuire à la clarté du débat parlementaire, en ce qu’il peut nous empêcher d’avoir une vision globale de l’action de l’État lors du vote des crédits de chaque mission.

Enfin, notre groupe souscrit aux critiques du Sénat : ce plan est fondé sur une logique verticale, la territorialisation se limitant à confier un pouvoir de décision aux préfets. En 2022 encore, la mission ne laisse que peu de marges de manœuvre aux collectivités et aux élus locaux. L’essentiel des mesures sont actées au niveau national de manière uniformisée. La territorialisation du plan apparaît davantage comme une déconcentration avec un objectif de communication et reposant sur une vision verticale.

Pour ces différentes raisons, le groupe Libertés et Territoires ne votera pas ces crédits.

M. François Ruffin. Voulait-on relancer la société d’avant, en aggravant les injustices et la pollution ? Plutôt qu’un plan de relance, nous voulions, nous, un plan de réorientation, de bifurcation. Le plan, dépourvu de colonne vertébrale, procède à un saupoudrage : il comprend 113 actions, certains milliards semblent ne pas être consommés, d’autres passent d’un budget à l’autre dans le plus grand flou.

La rénovation thermique des bâtiments aurait pu constituer sa colonne vertébrale. On dit en effet qu’il faudrait 700 000 rénovations par an, alors que la moyenne annuelle s’établit à 18 000 sur la dernière décennie. Or les dispositifs complémentaires, tels que MaPrimeRénov’, ne répondent pas du tout aux enjeux. La Cour des comptes indique elle-même que MaPrimeRénov’ permet de réaliser des travaux « simples et souvent uniques tels que le changement de chauffage ou l’isolation des fenêtres, ce qui ne favorise pas le bouquet de travaux complémentaires qui permettrait souvent d’éliminer les passoires thermiques », ajoutant qu’« aucun gain de consommation énergétique minimal n’est requis ».

S’il s’agit de la mesure phare en matière de rénovation énergétique, on n’y est pas ! Pourtant, investir des euros dans ce type de travaux, c’est « gagnant-gagnant-gagnant » : gagnant pour les ménages, puisque leur facture est allégée et leur logement plus confortable, gagnant pour la planète, puisque le chauffage domestique consomme presque la moitié de l’énergie, et gagnant pour l’indépendance du pays, notamment lorsque les prix de l’énergie flambent. Qui plus est, ce sont les ménages les plus modestes qui subissent cette hausse des coûts, puisque l’énergie est une dépense contrainte qui représente 15 % de leur budget, contre trois fois moins pour les déciles les plus aisés.

M. Alain Bruneel. La mission Plan de relance n’est globalement composée que des reliquats des AE du PLF pour 2021, à l’exception de deux rallonges de 500 millions d’euros pour le développement numérique et la formation professionnelle, et de l’action qui finance le plan « 1 jeune, 1 solution » – l’un des principaux postes budgétaires, avec 3 milliards d’euros. Composé de transferts vers les entreprises, notamment la prime pour l’embauche d’un apprenti, ce dispositif s’inscrit dans la logique de la politique de l’offre du Gouvernement. On constate également que 10,5 milliards sont consacrés à la baisse des impôts de production, laquelle sera d’ailleurs pérenne et constitue le véritable premier poste de dépenses. Du fait de cette mesure particulièrement coûteuse et non ciblée, les crédits de la mission Plan de relance ne peuvent servir qu’à faire du saupoudrage.

À l’instar des crédits prévus pour la rénovation des bâtiments et les transports, les grands enjeux de la transition écologique, qui nécessitent d’importants moyens, sont laissés pour compte. Il en va de même du programme Compétitivité, dont les crédits ne correspondent pas aux enjeux de la réindustrialisation. Quant au programme Cohésion, il n’a de cohésion que le titre puisqu’il est essentiellement composé de transferts aux entreprises, dans la droite ligne d’une politique économique uniquement tournée vers l’offre.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre ce plan de relance.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Madame la présidente, l’impact du plan de relance, puis de France 2030, sur la compétitivité est fondamental. La raison d’être de ces dispositifs est précisément de créer de la croissance potentielle supplémentaire. Selon le Gouvernement, 1,5 des 6,25 points de croissance en 2021 est dû à la relance – et probablement également au soutien de l’activité ; le Gouvernement évalue par ailleurs la croissance supplémentaire liée à ces mesures à 4 points de PIB sur la période 2020-2025. Il reviendra à nos successeurs, lors de la prochaine législature, de le vérifier. Mais la compétitivité n’est pas l’unique objectif de ces plans : il s’agit également d’accélérer les transitions, notamment la transition énergétique.

Madame Corneloup, il faut bien entendu que la croissance française augmente, même si tout le monde ou presque convient que son contenu n’est probablement pas le même. Nous verrons si cela concourt ou non à l’augmentation de la croissance potentielle, en nous permettant de passer durablement au-dessus des 1,3 % ou 1,5 % de croissance potentielle de la France, qui ne suffisent pas à financer l’ensemble de notre modèle de dépenses.

Par ailleurs, vous avez raison, ces crédits manquent de lisibilité. De nombreux outils concourent au même objectif : le PIA4, le grand plan d’investissement, qui s’est un peu perdu dans les sables, le plan France 2030, divers crédits budgétaires et le plan de relance ! Sans doute faut-il y mettre bon ordre, faute de quoi on n’y comprendra plus rien. En tout cas, la confusion et une gouvernance peu claire contribuent à freiner la consommation des crédits. J’observe que le Président de la République a établi le même diagnostic lorsqu’il a présenté le plan France 2030 : à lui et à la majorité de construire une approche plus simple.

Enfin, je souscris à vos propos concernant le financement par l’endettement. C’est du reste la raison pour laquelle le rapporteur général et moi-même présenterons une proposition de loi organique qui prévoit notamment une distinction plus claire entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement. Autant le fait de s’endetter pour investir n’est pas particulièrement problématique, autant le fait de s’endetter de manière chronique pour financer des dépenses de fonctionnement soulève des problèmes de principe, notamment sous l’aspect des rapports entre générations, et de financement. La France a pris ce parti depuis plusieurs décennies. Il faudra, un jour, répondre clairement à cet enjeu.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Monsieur Laqhila, je ne crois pas que l’inflation doive nous conduire à étaler dans le temps la consommation des crédits. En revanche, nous devons veiller notamment au cours des matières premières, qui pourrait avoir pour conséquence un ralentissement de certains investissements dans les entreprises, dans la construction et dans la rénovation thermique. Il est vrai qu’un léger retard est possible dans les programmes, pour des raisons liées à l’inflation et aux difficultés d’approvisionnement, mais, pour l’instant, le rythme de consommation des crédits reste le même.

Madame Rabault, vous avez dénoncé, avec d’autres, un saupoudrage. Je ne suis pas d’accord ! Le plan de relance comporte trois priorités et sa gouvernance est unique et claire – trop rigide diront même certains. On ne peut donc pas reprocher au plan de relance sa dispersion ou son manque de pilotage. On peut critiquer certains choix politiques, mais pas la méthode ni son efficacité. Mme Dalloz nous a interrogés sur l’efficacité du bloc compétitivité : lorsque l’on consacre 20 % du plan de relance à la baisse des impôts de production des entreprises, notamment dans l’industrie, on va droit au but. On ne peut donc pas dire qu’il manque sa cible dans ce domaine, pas plus qu’on ne peut dire qu’il saupoudre lorsqu’il prévoit des appels à projets spécifiquement destinés à la décarbonation des processus industriels, lorsqu’il a pour priorité la rénovation thermique des bâtiments, publics et privés, ou lorsque le volet consacré à la cohésion permet à la fois de favoriser l’emploi des jeunes, plus encore qu’avant la crise, et de protéger les plus fragiles grâce aux hébergements d’urgence. Il s’agit, non pas de saupoudrage, mais de priorités assumées.

Monsieur de Courson, vous avez partiellement raison : du point de vue des crédits budgétaires, le plan est plus déconcentré que décentralisé. Mais les contrats signés avec les régions – qui le font savoir, du reste – démontrent qu’il existe un réel partenariat avec l’échelon régional. Les régions ne peuvent pas affirmer à la fois que le plan de relance, c’est elles, et qu’il n’y a pas de décentralisation et de partage des responsabilités.

Enfin, monsieur Bruneel, vous pouvez être en désaccord politique avec nous, mais vous ne pouvez pas affirmer que le programme Cohésion n’a de cohésion que le nom. Soyons raisonnables ! Je suis certain qu’au fond de vous-même, vous êtes ravi que, malgré les craintes, le niveau de l’embauche des jeunes soit ce qu’il est au lendemain de la crise ou que le nombre des places d’hébergement d’urgence soit en hausse. Or, tout cela se fait dans le cadre du volet cohésion du plan de relance ; il s’agit d’un véritable filet de sécurité sociale pour un très grand nombre de nos concitoyens, à commencer par les jeunes, qui veulent trouver du boulot.

La commission adopte les crédits de la mission Plan de relance non modifiés.

Après l’article 44

Amendements II-CF559 de M. Éric Coquerel, II-CF560 de M. Jean-Hugues Ratenon et II-CF561 de Mme Mathilde Panot.

M. François Ruffin. Ces trois amendements ont le même objet : il s’agit de conditionner les aides attribuées aux entreprises, notamment aux plus grandes d’entre elles.

Par le CF559, nous proposons que ne puissent bénéficier des aides que les entreprises qui ne versent pas de dividendes pendant la crise. Bruno Le Maire s’était presque engagé sur ce point ; or on s’est aperçu depuis que des entreprises qui avaient perçu des aides ont versé des dividendes à leurs actionnaires.

Le CF560 vise à priver d’aides les entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale, mise en lumière par des scandales qui se succèdent et sont enterrés presque aussitôt révélés, qu’il s’agisse des LuxLeaks, d’Openlux ou des Pandora papers. Selon Gabriel Zucman, 80 % de l’évasion fiscale des entreprises en France s’opèrent via d’autres pays de l’Union européenne.

Enfin, le CF561 vise à conditionner les aides versées notamment aux plus grandes entreprises à des engagements écologiques.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Je ne crois pas qu’il faille conditionner les aides : il existe déjà beaucoup de conditions dans notre pays. Les aides sont versées lorsqu’elles sont nécessaires. Certes, il est populaire d’exiger des entreprises aidées qu’elles ne versent pas de dividendes à leurs actionnaires mais, tout autant que le travail, le capital est nécessaire à une entreprise. Les salariés ont été, et c’est heureux, largement protégés durant la crise, puisqu’ils ont continué à être payés par leur entreprise lorsqu’elle a pu maintenir son activité ou ont été au chômage partiel. Il est naturel que, de leur côté, les actionnaires puissent, pendant la crise, toucher les dividendes qui leur reviennent dès lors que l’entreprise a produit des résultats. Libre à chaque entreprise de le faire ou pas, mais il est normal qu’elle rémunère et ses salariés et ses actionnaires : c’est le fondement de notre économie.

M. François Ruffin. Tout au long de la crise, le Gouvernement s’est comporté comme un fauve avec les citoyens, auxquels il n’a pas hésité à imposer des contraintes très fortes, notamment le passe sanitaire, mais il a fait carpette devant les entreprises : lorsqu’il s’agit de taxer les profiteurs de la crise ou de conditionner les aides qui peuvent se chiffrer à plusieurs milliards d’euros, on choisit la liberté.

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. L’absence de liberté, ce n’est pas le passe sanitaire, monsieur Ruffin, c’est l’épidémie.

La commission rejette successivement les amendements II-CF559, II-CF560 et IICF561.

Article 20 et état B : Crédits de la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire

Amendement II-CF383 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Les crédits de cette mission sont très limités, mais j’appelle votre attention, monsieur Saint-Martin, sur le fait que quelques entreprises, dont le dossier est encore en cours d’instruction, n’ont toujours pas pu bénéficier du fonds de solidarité. Je souhaiterais donc m’assurer que quelques crédits seront disponibles si l’administration fiscale reconnaît leur éligibilité.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. Il reste des crédits, d’abord parce qu’on continue à verser des aides dans les secteurs – les critères du fonds de solidarité ont du reste été récemment re-précisés à cette fin – dont l’activité n’est pas encore véritablement repartie. Par ailleurs, certaines entreprises ont été empêchées d’accéder à ce fonds ; des crédits demeurent ouverts : cela relève davantage de la doctrine et des décrets d’application. Je vous demande donc de bien vouloir retirer l’amendement et vous invite à aborder la question avec le Gouvernement en séance publique.

L’amendement II-CF383 est retiré.

Amendement II-CF382 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Je déposerai également cet amendement sur la mission Participations financières de l’État.

Le programme 358, Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire, est celui dans lequel on a le plus sabré au fil des différentes lois de finances, puisque le montant de ses crédits, qui était de 20 milliards d’euros dans le PLFR de 2020, a été réduit de 7,2 milliards en juillet dernier et qu’en 2021, aucun crédit n’a été ouvert sur ce programme. Au bout du compte, depuis le début de la crise, contrairement à ce qu’on nous avait présenté, trois entreprises ont été aidées – la SNCF, EDF et Air France – pour un montant total de 8,9 milliards d’euros au 31 août dernier. Or, pour BioNtech, par exemple, l’État allemand a débloqué des crédits de manière très offensive – nous en discuterons avec le Gouvernement. Dans le cadre de notre commission, mes interrogations portent sur le fait qu’aucun des objectifs de performance exigés par la LOLF n’a été renseigné, sauf un : celui qui précise le nombre d’entreprises aidées…

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Je suis plutôt d’accord avec vous : les objectifs de performance doivent être renseignés. Hélas, ce programme n’est pas le seul dans ce cas. C’est du reste un élément que le rapporteur général et moi-même avons pris en compte dans le cadre de la préparation de notre proposition de loi relative à l’évolution de la LOLF.

Quant à l’information, elle a eu lieu : le ministre a appelé les deux rapporteurs généraux et les présidents des deux commissions des finances lorsque le Gouvernement a décidé d’abonder ses participations dans les trois entreprises que vous avez citées. Il reste pas mal d’argent car, à ma connaissance, il n’y a pas eu de demande : peut-être l’outil n’est-il pas suffisamment bien conçu. Beaucoup d’entreprises, notamment des ETI, ont bénéficié d’aides qui relèvent davantage d’un fonds de solidarité très poussé que de prises de participation. Par ailleurs, vous avez raison s’agissant du fonds sectoriel pour l’aéronautique : nous ne connaissons pas les détails. Il faut donc interroger le Gouvernement sur ce point en séance, ce que vous ne manquerez pas de faire. C’est pourquoi je vous demande donc de bien vouloir retirer l’amendement.

Mme Valérie Rabault. Je maintiens l’amendement, car le Gouvernement ne nous répond pas. Le fonds Ace, par exemple, destiné à soutenir les PME et les ETI de la filière aéronautique, avait été structuré de manière que les aides soient apportées sous la forme d’obligations convertibles, mais les taux de conversion désavantageaient les entreprises. J’estime que, lorsque la puissance publique investit de l’argent pour soutenir des entreprises, nous avons un droit de regard. L’objectif de l’amendement est d’inciter la commission des finances à interpeller le Gouvernement pour qu’il nous apporte des réponses précises. Des milliards sont tout de même en jeu.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur spécial. La vérité, c’est que les prises de participations financières de l’État ont été très rares pendant la crise. Est-ce une bonne chose ? Je crois que oui. Elles ont concerné Renault, assez tôt, puis Air France, plutôt sous la forme de garanties. L’enjeu se situe au niveau des filières, qu’il va falloir repenser, notamment celle de l’aéronautique. C’est aussi parce que les opérations ont été en définitive très peu nombreuses que la consommation des crédits de ce programme est si faible.

La commission rejette l’amendement II-CF382.

Amendement II-CF384 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Lors du printemps de l’évaluation, vous aviez indiqué, messieurs les rapporteurs spéciaux, que le montant des cotisations sociales restant dues était de 21,4 milliards d’euros, dont près 70 % par des entreprises de moins de 250 salariés. Depuis, le Gouvernement n’a donné aucune précision quant aux réponses qu’il comptait apporter à ces entreprises confrontées à un problème de dette sociale. Des rappels sont-ils intervenus ? Des exonérations sont-elles envisagées ?

M. Éric Woerth, rapporteur spécial. Pour le moment, je n’ai pas d’informations sur le remboursement de ces 21 milliards d’euros. Mais nous n’avons été saisis d’un éventuel problème par aucune organisation et nous n’avons reçu aucun courrier à ce sujet. Je vous indique donc avec prudence que les entreprises ont sans doute correctement remboursé les dettes sociales dont elles avaient pu reporter l’échéance. En tout cas, dans le dernier rapport Cœuré sur l’évaluation des mesures d’urgence, qui date du mois de juillet, rien ne laisse penser qu’il y aurait un problème de remboursement. Je vous demande donc de bien vouloir retirer l’amendement.

L’amendement II-CF384 est retiré.

La commission adopte les crédits de la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire non modifiés.

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Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 20 octobre à 9 heures

 

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, Mme Émilie Bonnivard, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, M. Alain Bruneel, Mme Émilie Cariou, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, Mme Cécile Delpirou, Mme Jennifer De Temmerman, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Romain Grau, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Marie Lebec, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Patrick Loiseau, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, Mme Zivka Park, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Frédérique Lardet, M. Christophe Naegelen, M. Olivier Serva

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. François Ruffin