Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

  Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer ; examen pour avis et vote des crédits de la mission « Outre-mer » (M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis)                            2

  Informations relatives à la Commission ............... 29

 

 

 

 


Mardi
2 novembre 2021

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 17 heures 15.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission auditionne  M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Outre-mer » (M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Chers collègues, nous achevons l’examen pour avis de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2022 en nous intéressant aux crédits de la mission « Outre-mer ». Pour ce faire, nous entendons M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer.

La commission des lois attache une grande importance aux outre-mer. L’année 2021 est particulière pour des raisons tant institutionnelles – la prochaine tenue du référendum en Nouvelle-Calédonie – que sanitaires. La commission a été mobilisée tout au long de la crise sanitaire. En septembre, nous avons été saisis d’un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre‑mer. En outre, Philippe Gosselin, Stéphane Mazars et moi-même nous sommes rendus en Guadeloupe et en Martinique pour évaluer l’application des dispositions liées à l’état d’urgence sanitaire. Le compte rendu de ce déplacement a été présenté à la commission il y a quinze jours et le rapport devrait être publié sous peu. Votre audition, monsieur le ministre, est donc importante pour notre commission.

M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer. Je suis heureux de présenter à la commission des lois un budget résolument tourné vers le quotidien de nos concitoyens en cette période de sortie de crise sanitaire, un budget dont l’impact sera visible et concret pour eux.

Le rapporteur pour avis a choisi de consacrer une partie de son rapport au logement en outre-mer. Sur ce sujet fondamental, qui a déjà occupé nombre de nos débats l’année dernière, comme sur les autres, je m’efforcerai d’apporter les réponses les plus complètes à la représentation nationale.

Comme l’année dernière, je commencerai par un rappel certes convenu mais utile : les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent qu’une infime partie du budget total des outre-mer. Celui-ci s’étend en réalité sur trente-deux missions, dont la mission « Plan de relance » et quatre-vingt-quatorze programmes. Il s’élève à 19,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 21,2 milliards en crédits de paiement (CP). À cela s’ajoutent 6,4 milliards de dépenses fiscales. L’effort total de l’État atteint donc 25,9 milliards en AE et 27,6 milliards en CP. Dans le plan de relance, 1,5 milliard d’euros sont destinés aux outre-mer – 740 millions ont déjà été répartis.

Certains militent pour que le ministère des Outre-mer gère l’intégralité du budget consacré aux territoires d’outre-mer, mais les effets d’une telle mesure seraient, à mon sens, délétères : chaque ministère doit continuer à développer les politiques publiques dont il a la responsabilité partout en France, notamment dans les outre-mer. Il n’y a pas un projet de loi de finances pour les outre-mer et un autre pour le reste de la nation.

En dehors de la mission « Outre-mer », les crédits alloués à ces territoires dépassent le milliard d’euros dans les missions « Relations avec les collectivités territoriales », « Écologie, développement et mobilité durables » et « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Dans la mission « Travail et emploi », ils avoisinent le milliard grâce à une hausse de 345 millions d’euros par rapport à la loi de finances de 2021, principalement au bénéfice du programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi ». Par ailleurs, deux missions consacrent des dépenses de personnel importantes à l’outre-mer : près de 5,3 milliards sont destinés au paiement des traitements des agents de l’éducation nationale, contre 4,7 milliards l’année dernière, et un peu plus de 1,1 milliard aux dépenses de personnel des forces de sécurité intérieure.

Quant à la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer (DACOM), le rattrapage, amorcé dans mes précédentes fonctions de ministre chargé des collectivités territoriales, se poursuit de façon soutenue, conformément à l’engagement pris par le Président de la République lors du grand débat national. La DACOM devrait augmenter d’environ 27,7 millions, dont 16,2 millions correspondant à l’effort de rattrapage et 11,5 millions à la progression automatique des dotations. Le rattrapage atteindra 62 millions, comme nous nous y étions engagés.

Je ne peux détailler ce budget sans évoquer la crise sanitaire ainsi que la relance qui s’ensuit. Depuis le début de la crise, le Gouvernement s’est mobilisé pour soutenir toutes les entreprises que la situation inédite a mises en difficulté et continuera de le faire ; outre-mer, les aides ont été adaptées en fonction des particularités locales. À ce jour, elles représentent plus de 6 milliards en outre-mer, dont 3,5 milliards de prêts garantis par l’État ; 1,1 milliard dans le cadre du fonds de solidarité pour les entreprises ; 830 millions de reports de charges et 650 millions au titre de l’activité partielle. Depuis le 1er octobre, les territoires ultramarins soumis à des restrictions d’activité sont désormais les seuls en France à bénéficier du fonds de solidarité ainsi que du dispositif d’activité partielle, sans reste à charge pour les entreprises dès 60 % de perte de chiffre d’affaires.

Les collectivités d’outre-mer ont également été aidées et continuent de l’être, autant que faire se peut. Je pense au prêt garanti de 240 millions de la loi de finances initiale pour 2021 ainsi qu’à la subvention exceptionnelle de 82 millions de la dernière loi de finances rectificative en faveur de la Nouvelle-Calédonie, à laquelle s’ajouteront 40 millions dans les prochains jours. Compte tenu du calendrier institutionnel particulier, le gouvernement du pays n’a pas encore décidé de ses actions post-crise. Une période de transition devrait s’ouvrir, et je ne serais pas étonné que soit formulée, au début de l’année 2022, une demande de prêt consacré à la relance. Si tel devait être le cas, j’y serais naturellement attentif. Des discussions ont déjà eu lieu avec la Polynésie française : le projet de loi de finances prévoit ainsi une nouvelle garantie pour un prêt de 300 millions. Nous poursuivons cependant la réflexion pour mieux venir en aide aux entreprises touristiques de Polynésie française qui ne répondaient pas aux critères du fonds de solidarité.

Alors qu’il mettait tout en œuvre pour protéger les entreprises et l’emploi grâce aux aides d’urgence, et sans attendre la fin de la crise, le Gouvernement a souhaité regarder vers l’avenir en préparant la reprise économique. Sur les 100 milliards de France relance, plus de 1,5 milliard sont attribués aux outre-mer – 669 millions pour la transition écologique, 316 millions pour la compétitivité des entreprises et 566 millions pour la cohésion sociale et territoriale des outre-mer. Les bénéficiaires de ces crédits sont des collectivités, des entreprises, des associations, des ménages, des jeunes en recherche d’emploi – personne n’est exclu. Les collectivités d’outre-mer (COM) bénéficient comme les départements et régions d’outre-mer (DROM) de certaines mesures de France relance, dans le respect de leurs compétences propres.

J’en viens à la mission « Outre-mer » et à ses deux programmes – le programme 138 « Emploi outre-mer » et le programme 123 « Conditions de vie outre-mer ».

Je vous présente un budget sincère, qui affiche les baisses quand elles sont automatiques, s’imposent à nous tous et font l’objet d’un consensus. Ainsi, la mission présente une légère baisse des autorisations d’engagement, qui passent de 2,65 à 2,57 milliards, ce qui s’explique par la diminution conjoncturelle de 18,5 millions des exonérations consenties dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). La crise est passée par là : le Gouvernement a financé l’activité partielle à hauteur de 650 millions en outre-mer et, mécaniquement, moins de salaires versés par les employeurs, ce sont moins de cotisations, donc moins d’exonérations.

Il faut cependant se réjouir d’une hausse des crédits de paiement, qui sont portés de 2,43 milliards à 2,47 milliards. Surtout, je note une accélération des décaissements sur les projets d’investissement dans le logement et les infrastructures publiques, ce qui est évidemment une bonne nouvelle pour nos concitoyens en outre-mer ainsi que pour le tissu économique ultramarin, puisque les crédits de paiement constituent un marqueur de l’activité réelle.

Nous connaissons tous la difficulté à consommer les crédits qui a longtemps caractérisé la mission. Cette période est révolue, comme j’avais pu en faire état devant votre assemblée lors du Printemps de l’évaluation pour l’exercice 2020. Ces bons résultats devraient être confirmés pour l’exercice 2021.

S’agissant du programme 138, la baisse conjoncturelle des exonérations dites LODEOM n’affecte aucunement le soutien apporté par le Gouvernement aux entreprises ultramarines, d’autant plus que le dispositif est cette année étendu au secteur de l’aéronautique, répondant ainsi à une demande de nombreux parlementaires l’année dernière.

D’autres mesures importantes méritent d’être signalées, telles que l’ouverture d’une nouvelle compagnie du service militaire adapté (SMA) ainsi que le lancement d’une expérimentation au sein du régiment SMA à Mayotte, dont on connaît la jeunesse de la population et la nécessité de former ces jeunes. À cet effet, 9,7 millions d’euros et 175 équivalents temps plein sont prévus. Ils permettront notamment d’allonger la durée moyenne de l’accueil, de mettre en place le permis pour tous et d’accueillir des mères célibataires. Nous honorons là une requête ancienne du territoire.

S’agissant du programme 123, dont les CP sont en hausse de 64 millions, le logement est une priorité. Nous savons les besoins et les spécificités de chaque territoire ultramarin en la matière. Une dynamique en faveur de la réhabilitation semble se dessiner : en début d’année, on observait une augmentation de 146 % du nombre de projets. Le fonds pour le recyclage des friches, instauré dans le cadre du plan de relance et doté de 9,5 millions d’euros en outre-mer, contribuera à réhabiliter du foncier, si rare dans ces territoires. Je n’oublie pas les 10 000 dossiers déposés pour MaPrimeRénov’, pour un montant de 23 millions.

Le programme comporte aussi des mesures très spécifiques pour Mayotte et la Guyane afin de développer du logement locatif très social adapté. Pour le dire clairement, ce sont des dispositifs qui ont pour but de sortir certains de nos concitoyens de véritables bidonvilles.

La ligne budgétaire unique (LBU), qui permet de financer le logement social en outre-mer, voit cette année encore ses crédits augmenter, pour atteindre 234,6 millions en autorisations d’engagement, soit une hausse de 10 millions, et 201 millions en crédits de paiement, soit 24 millions supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale pour 2021. En 2020, les 217 millions engagés au titre de la LBU ont contribué à financer la construction et la réhabilitation de 8 300 logements. En 2021, avec le concours du plan de relance, jusqu’à 247 millions pourraient être mobilisés. Ce sont donc 11 550 réhabilitations ou constructions de logements qui pourraient être financées d’ici à la fin de l’année. Néanmoins, les crédits ne sont ni une fin en soi ni un obstacle à la construction de logements sociaux en outre-mer. En témoignent, d’une année sur l’autre, la croissance de la LBU et l’adaptation permanente des dispositifs fiscaux. Mes services suivent attentivement l’évolution de chaque territoire : si un territoire accélère la construction de logements, nous lui octroyons plus de crédits – l’inverse étant tout aussi vrai s’il en construit moins. La Réunion s’est ainsi vue allouer 13 millions supplémentaires au dernier trimestre 2020 afin de ne pas freiner la bonne dynamique du territoire.

Nous continuerons sur cette lancée. À cet égard, je souligne une mesure nouvelle destinée à accompagner non plus seulement les ménages très modestes mais également les ménages modestes, appartenant à la classe moyenne, dans l’amélioration du logement dont ils sont propriétaires.

S’agissant de la jeunesse, outre le SMA, il est prévu de financer un programme éducatif et social développé par les associations à Mayotte en direction de la jeunesse en errance.

Ce budget est tourné vers la vie quotidienne. Parmi les mesures emblématiques, je mentionnerai la création d’une ligne nouvelle pour les opérations de ramassage des sargasses. Nous connaissons tous l’omniprésence et la gravité de ce problème pour nos concitoyens dans les Antilles. Il est prévu 2,5 millions en AE comme en CP pour accompagner les collectivités qui sont chargées de procéder au ramassage des algues dans les plus brefs délais afin d’éviter les émanations de gaz.

Quant au soutien à l’investissement local, le fonds exceptionnel d’investissement (FEI), outil apprécié des maires et des présidents d’exécutifs locaux, est stable à 110 millions d’euros en autorisations d’engagement après une augmentation de 70 millions en 2019. La baisse des crédits de paiement de 4 millions d’euros n’est évidemment pas synonyme d’une volonté politique moins forte : elle correspond au rythme des décaissements, selon l’avancement des projets.

S’agissant des contrats de convergence et de transformation (CCT), dont les crédits de paiement connaissent une forte augmentation, l’enjeu est d’assurer une bonne coordination avec les crédits massifs provenant du plan de relance.

Enfin, je mentionne une dernière mesure nouvelle dans la mission : l’accompagnement financier de la collectivité territoriale de Guyane, à hauteur de 20 millions d’euros, conformément à l’engagement que j’avais pris dans le cadre d’un accord structurel visant à rétablir sa capacité d’autofinancement.

La Commission européenne ayant donné son accord au mois de juin, le projet de loi de finances pour 2022 reconduit le dispositif de l’octroi de mer pour six années supplémentaires, de 2022 à 2027. Outre l’actualisation et la simplification des listes de produits pouvant faire l’objet de taxations différenciées, je signale une évolution importante : le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer passera en 2022 de 300 000 à 550 000 euros, ce qui simplifiera le quotidien et renforcera la compétitivité de nombreuses petites entreprises dont le chiffre d’affaires se situe entre ces deux seuils.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. Les autorisations d’engagement de la mission s’élèvent à 2,6 milliards d’euros, soit une baisse de 1,96 % par rapport à l’exercice précédent. Les crédits de paiement, en revanche, progressent légèrement, s’établissant à 2,47 milliards d’euros, soit une hausse de 1,3 %. Toutefois, ces chiffres masquent une évolution contrastée des deux programmes de la mission.

Le programme 138 comprend les crédits de soutien aux entreprises ultramarines, d’aide à l’insertion professionnelle – en particulier à travers le SMA – et de financement de l’économie. Il voit ses autorisations d’engagement et crédits de paiement reculer de 3,9 %, malgré le renforcement des moyens du SMA. Une partie de cette baisse est liée aux incertitudes du contexte sanitaire et économique, le recours au dispositif d’activité partielle par les entreprises entraînant une diminution du montant des exonérations à compenser.

Le programme 123 voit ses autorisations d’engagement augmenter de 2,1 % et ses crédits de paiement de 14,6 %. Ce programme comporte notamment les crédits affectés aux contrats de convergence et de transformation signés entre l’État et chacun des DROM, ainsi qu’avec Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et Saint-Martin. Toutefois, les crédits consommés sont encore bien en deçà des montants contractualisés. Monsieur le ministre, quelles sont les perspectives d’exécution pour les années à venir ? L’ensemble des montants contractualisés pourra-t-il être consommé ?

Je note la baisse des autorisations d’engagement pour trois actions : l’action 03 Continuité territoriale, l’action 06 Collectivités territoriales et l’action 09 Appui à l’accès aux financements bancaires.

Sur l’ensemble du quinquennat, les crédits de la mission « Outre-mer », demandés comme votés, sont restés plutôt stables. Je formulerai toutefois deux remarques.

D’une part, l’exécution pourrait être affectée si la crise sanitaire et ses conséquences économiques se prolongent. Je pense notamment aux crédits de soutien aux entreprises, aux CCT et au FEI ainsi qu’au logement – je reviendrai plus tard aux difficultés d’exécution posées par cette action.

D’autre part, la solidarité doit jouer non pas entre les territoires d’outre-mer, mais bien envers l’ensemble des outre-mer, qui souffrent toujours de difficultés structurelles.

J’en viens maintenant au thème que j’ai choisi pour ce dernier budget du quinquennat : le financement du logement en outre-mer par la ligne budgétaire unique, c’est-à-dire les crédits de l’action 01 du programme 123.

Ne nous y trompons pas, les besoins en logement en outre-mer restent très élevés, en raison de la pression démographique, du vieillissement du parc social et du niveau de vie de la population. Pourtant, les chiffres transmis par la direction générale des outre-mer (DGOM) montrent une baisse importante du nombre de logements financés et livrés entre 2013 et aujourd’hui. Par ailleurs, l’évolution globale des crédits de la LBU depuis une décennie est marquée par deux caractéristiques : d’une part, une baisse de la dotation, et, d’autre part, une dégradation de l’exécution. Ces tendances reflètent les fortes difficultés d’exécution depuis plusieurs années. Je me félicite qu’une dynamique positive semble enclenchée depuis 2020, même si je déplore que le redressement de l’exécution intervienne alors que les niveaux de la LBU sont au plus bas. Monsieur le ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter pour que le nombre de logements financés et livrés soit enfin à la hauteur des besoins ?

Dans le cadre de mes travaux, j’ai tenu à auditionner le plus grand nombre possible d’acteurs de la politique du logement dans les outre-mer. Un constat est clairement ressorti : les difficultés d’exécution de la LBU constatées ces dernières années tiennent non pas à une cause unique mais à une pluralité de facteurs qui sont le reflet des principaux dysfonctionnements, bien connus, de la politique du logement dans les outre-mer. Je n’en citerai que quelques-uns.

D’abord, vous connaissez la formule « no parking, no business ». Outre-mer, le problème du logement se pose plutôt en ces termes : « pas de foncier aménagé, pas de logement ». Cette formule reflète la réalité des territoires ultramarins, où le foncier aménagé est rare et cher. Par ailleurs, le coût plus élevé des matériaux dans nos territoires se répercute sur le coût global des opérations. Des complexités administratives dues à la durée de montage des dossiers sont aussi apparues. Les paramètres de financement de la LBU sont également perfectibles, notamment pour prendre en compte les besoins quantitatifs et qualitatifs des ménages concernés – notamment la demande d’appartements T2 et l’adaptation du parc au vieillissement de la population.

En matière de logement outre-mer, je suis bien conscient qu’il n’existe pas de solution unique. La délégation aux outre-mer du Sénat a publié cet été un excellent rapport dont les nombreuses propositions, auxquelles je souscris globalement, correspondent à celles qui m’ont été soumises lors des auditions. Je vous en soumets cinq qui me semblent les plus fortes : mobiliser le fonds pour le recyclage des friches et renforcer les fonds régionaux d’aménagement foncier et urbain (FRAFU) en faveur du foncier ; adapter les normes et matériaux au contexte local – les normes coûtent cher ; quant aux matériaux, il faut privilégier un approvisionnement de proximité et non provenant d’Europe ; donner une meilleure prévisibilité aux acteurs par le vote d’une loi de programmation pluriannuelle du logement social dans les DROM ; enfin, suivre les dossiers une fois qu’ils ont été validés pour s’assurer de leur avancée et de leur capacité à mobiliser effectivement les fonds LBU qui leur ont été accordés.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le problème du logement est un fil conducteur pour l’ensemble des territoires d’outre-mer mais il ne faut pas se raconter d’histoires : il est encore plus aigu à La Réunion.

Les perspectives de consommation des crédits d’investissement attribués aux collectivités territoriales – que ce soit à travers le FEI ou les CCT – sont bonnes, et ce pour trois raisons.

D’abord, le cycle électoral est derrière nous. Les années d’élections, qu’elles soient municipales, départementales ou régionales, et l’installation des intercommunalités peuvent occasionner des faiblesses dans la commande publique locale ou dans la conduite de certains projets. C’est une tendance naturelle. Désormais, les exécutifs locaux sont installés, à La Réunion comme ailleurs, à l’exception de Wallis-et-Futuna, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon où les élections territoriales se tiendront en mars 2022 – elles ne font pas l’objet d’une couverture médiatique aussi forte que l’élection présidentielle, je le déplore – et des collectivités du Pacifique, qui obéissent à un autre calendrier électoral. Quoi qu’il en soit, les exécutifs disposent d’une visibilité jusqu’en 2026 pour les uns et 2028 pour les autres, ce qui assure une meilleure consommation des crédits. La gouvernance des bailleurs sociaux a également été stabilisée alors que, l’année dernière, j’avais noté une forme d’attentisme – qui se comprend d’ailleurs tout à fait.

Ensuite, les crédits apportés par le plan de relance produisent un effet de levier. Dans ce cadre, j’ai donné instruction aux préfets d’aider à compléter le tour de table financier, pas seulement pour des projets nouveaux, qui sont plus longs à voir le jour, mais aussi pour des projets plus anciens qui peinaient à se concrétiser faute de moyens. La relance, pour être efficace, doit être engagée rapidement.

Enfin, le covid-19 est derrière nous, du moins je l’espère. La plupart des retards dans le bâtiment et les travaux publics sont dus aux mesures de freinage, sans compter la délicate question de l’approvisionnement en matériaux et de leur coût.

Si je suis optimiste quant à la consommation des crédits, la situation financière des collectivités locales maîtres d’ouvrage doit également être prise en compte. Or, sur ce plan, elles ne sont pas toutes à égalité. Les contrats de redressement outre-mer (COROM) ou les mesures d’accompagnement de l’Agence française de développement (AFD) visent à y remédier.

Au détour d’une phrase, vous avez affirmé que la solidarité devait jouer non pas entre les outre-mer, mais bien entre l’Hexagone et les outre-mer. Cette réflexion, que je n’ai pas reçue comme une critique, est intéressante car elle peut surgir dans un débat électoral à venir. C’est un des grands principes de la République : les moyens donnés à un territoire ne sont pas déterminés en fonction de sa capacité de contribution. Certains démagogues, très à droite, pourraient être tentés de comparer ce qu’un territoire coûte et ce qu’il rapporte. Or, un tel calcul ne s’inscrit absolument pas dans l’histoire de la nation française et ne correspond aucunement aux valeurs républicaines que nous souhaitons défendre dans ces territoires. Vous avez raison de le dire, même si la remarque ne s’adresse pas vraiment au Gouvernement, tant le « quoi qu’il en coûte » a constitué une forme de solidarité nationale. Je refuse de prendre à témoin les parlementaires polynésiens et calédoniens, mais, dans ces territoires où l’État est privé de la capacité de lever l’impôt, à aucun moment, le Gouvernement n’a hésité à livrer des vaccins ou à activer le fonds de solidarité pour les entreprises malgré la dévolution des compétences en matière sanitaire et économique aux institutions du pays. La crise du covid-19 nous a donné un exemple de ce que faire nation signifie dans un moment difficile.

Je prends un exemple technique mais ô combien concret pour les élus locaux : la DACOM, autrement dit la dotation globale de fonctionnement (DGF) à la mode ultramarine. La hausse de la DACOM intervient à enveloppe constante au niveau national ; autrement dit, certaines communes de l’Eure, dont le potentiel financier le permet, subissent un écrêtement de leur DGF pour financer une augmentation de la DACOM des communes d’outre-mer. La quasi-totalité des communes d’outre-mer – le bloc communal existe aussi dans le Pacifique – bénéficient d’une hausse de la DACOM pour la troisième année consécutive grâce à l’écrêtement dans des communes de la Vienne, du Val-d’Oise, de l’Eure, etc. C’est un bel exemple de solidarité qu’il revient au Gouvernement mais aussi aux députés de la nation de mettre en avant avec pédagogie.

Les crédits de paiement en faveur du logement ont parfois connu des creux : les autorisations d’engagement consommées sont ainsi passées de 247 millions d’euros en 2017 à 182,5 millions en 2020. Cette évolution résultait non pas d’une volonté politique mais de l’incapacité à trouver des projets à financer. C’est pourquoi la doctrine a évolué : les crédits sont destinés non plus seulement à la construction de logements neufs, mais également à la réhabilitation. C’est en partie grâce à cela que les chiffres repartent à la hausse : pour 2022, les autorisations d’engagement s’élèvent à 234 millions d’euros et les crédits de paiement à 201 millions. Par ailleurs, l’enveloppe étant fongible, il est certain que, lorsqu’un projet sera présenté, il bénéficiera d’un financement. La LBU constitue un levier efficace, puisqu’elle rend possible le tour de table financier pour la construction de logements et entraîne les bailleurs sociaux, Action logement et la Caisse des dépôts et consignations.

On s’attend non plus à des difficultés budgétaires, mais à des problèmes d’accès au foncier, ce qui soulève d’ailleurs, au-delà du PLF, la question de l’adaptation des normes et renvoie à la conciliation entre les exigences environnementales et la capacité à construire. Cela conduit aussi à réfléchir à l’équilibre entre les compétences que le Parlement accorde à l’État, donc au préfet, et celles qui sont confiées aux collectivités territoriales, dans le cadre de la décentralisation – on peut prendre l’exemple de l’élaboration et de l’exécution du permis de construire sur la base du document d’urbanisme voté par le conseil municipal. Cela nous renvoie également aux débats animés qui ont eu lieu autour des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Il faut satisfaire le désir de protection tout en répondant au besoin de liberté : on revient peut-être à une forme de « libérer, protéger ».

Le nombre de constructions et de réhabilitations est passé de 8 300 en 2020 à 11 500 en 2021. Dans les années qui viennent, nous devons concentrer nos efforts sur la relance. Si l’on regarde les chiffres commune par commune, on voit que les actions ne sont pas toujours très bien réparties – il en est ainsi, par exemple, à La Réunion, monsieur le rapporteur pour avis. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de mon déplacement sur l’île.

J’évoquerai au cours de nos débats d’autres aspects de la LBU, comme l’accession à la propriété et les dispositifs spécifiques à Mayotte et à la Guyane.

M. Guillaume Vuilletet. La politique menée depuis quelques années en faveur des outre-mer se caractérise par une grande cohérence et une indéniable robustesse. Cela nous a permis de mesurer l’implication de la nation dans le soutien aux outre-mer, dans le développement et l’aménagement de ces territoires. Vous l’avez dit, il serait odieux de considérer le budget sous l’angle du calcul de la dépense par tête ; ce serait contraire en tout point aux valeurs de la République. Cela dit, si l’on procédait de la sorte, on aurait sans doute des surprises, car les outre-mer sont des territoires où l’on investit certes, mais beaucoup plus normalement qu’on ne le croit. Ils ne font pas l’objet d’un traitement privilégié. On répond à des besoins, comme on le fait pour les autres territoires de la République.

L’investissement de l’État se manifeste à travers trente-deux missions budgétaires, et s’élève à une vingtaine de milliards d’euros au total, à laquelle s’ajoutent 5 milliards d’euros de mesures fiscales. En 2017, les crédits budgétaires étaient inférieurs à 17 milliards. On mesure ainsi l’effort accompli par la nation. En outre, 6 milliards ont été consacrés aux mesures d’urgence dans les outre-mer, et une somme de 1,5 milliard a été dévolue spécifiquement à ces territoires dans le cadre du plan de relance – ce qui ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas bénéficier des autres financements prévus par ce plan.

Le budget est relativement stable, à environ 2,5 milliards. Les variations constatées sont très largement liées aux fluctuations des exonérations de charges sociales, elles-mêmes liées aux variations de l’activité. Par ailleurs, des projets financés l’année dernière ne sont plus présents cette année. En sens inverse, on voit apparaître des mesures nouvelles, à l’image des 20 millions pour la Guyane. Dans le cadre de l’aide à l’insertion à Mayotte, une nouvelle compagnie du SMA est créée et le programme « Accompagnement de la jeunesse en errance à Mayotte » se voit doté de 1,4 million d’euros. La politique de l’État en matière d’insertion repose sur une prise en compte globale de la situation. On agit pour faire évoluer les choses ; il n’y a aucun déni.

Les crédits de paiement du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » connaissent une hausse de 15 %, à 694 millions. La légère baisse des autorisations d’engagement tient au fait que le lancement des COROM et la création d’un lycée à Wallis-et-Futuna ont été budgétisés l’année dernière. L’augmentation des CP traduit une meilleure application des politiques et un accroissement de l’efficacité de l’action publique dans les territoires : comme le montre l’avis budgétaire de notre rapporteur, le taux d’exécution des crédits de la LBU est passé de 76 % en CP en 2018 à 108 % en 2021.

Le système fonctionne beaucoup mieux car, après les avoir analysés, on a surmonté de nombreux blocages. Ainsi, les difficultés rencontrées en matière d’ingénierie commencent à trouver une réponse, grâce à l’accompagnement des collectivités par l’État. Le lancement des COROM a répondu à l’objectif d’améliorer les finances locales. Pour ce qui relève du deuxième plan logement outre-mer (PLOM 2), il convient encore de travailler sur la question de l’indivision foncière, et donc de l’indisponibilité foncière, qui est sans doute le principal blocage en la matière.

Lorsque l’on évoque l’habitat indigne outre-mer, on ne désigne pas la même chose qu’en métropole : on parle de logements qui n’ont pas l’électricité, de personnes qui sont, non dans la précarité, mais, à proprement parler, dans la misère. Les moyens à mobiliser n’ont rien à voir avec ceux qui doivent être engagés dans l’Hexagone. Pourriez-vous revenir sur l’action très forte conduite dans ce domaine ?

Par ailleurs, s’agissant des prêts de développement outre-mer, j’ai expliqué en commission des finances que les crédits sont suffisants pour répondre à la demande. Cela étant, personne ne semblait comprendre pourquoi ces crédits sont stables, alors que, l’an dernier, ils s’élevaient à 10 millions et ont bénéficié d’une rallonge de 20 millions. Il faut rappeler, à cet égard, que, lorsque l’État verse 1 euro, la Banque publique d’investissement (BPIFrance) en verse 3 pour accompagner les projets.

M. Philippe Gosselin. Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent que 10 % environ des financements engagés par l’État en faveur des territoires ultramarins. Je salue une forme de continuité de la politique conduite depuis quelques années.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, d’avoir fait porter votre étude sur le logement, secteur caractérisé par des difficultés particulières. C’est le cas, comme vous l’avez constaté, madame la présidente, lors de votre déplacement en Guadeloupe et en Martinique, mais aussi à Mayotte, en Guyane et partout ailleurs en outre-mer. Non seulement les gens ont du mal à se loger mais ils occupent parfois des logements indignes, qui ne répondent pas, en effet, aux mêmes caractéristiques que ceux que l’on dénomme ainsi en France hexagonale.

Il faut indiscutablement accroître la territorialisation de la politique du logement outre-mer et développer les logements adaptés. Le mouvement est lancé. Toutefois, des contraintes demeurent et la réforme n’a pas produit tous les effets escomptés. Nous avons constaté, lors de notre déplacement, à quel point il était difficile de sortir de l’indivision. Il semble que, malgré l’évolution législative, certains officiers ministériels ne jouent pas tout à fait le jeu.

Dans le cadre du budget de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), le financement des habitations des propriétaires occupants n’est pas pris en compte comme il le faudrait. On ne connaît pas toujours les engagements pris en la matière.

Par ailleurs, l’envolée du prix des matériaux, que tout le monde subit, soulève des difficultés encore plus prononcées en outre-mer.

Comment expliquer que la dotation du FEI passe de 110 millions d’euros à 63 millions ?

La loi de finances pour 2019 avait supprimé le mécanisme de la TVA non perçue récupérable (NPR), dans le cadre de la réforme de l’impôt sur le revenu ; des dépenses fiscales, d’un montant de 100 millions, devaient se muer en dépenses budgétaires. Or, l’action 04 du programme 138 est abondée à hauteur de 24 millions, dont 8 concernent l’aide au fret. On aimerait donc savoir où se trouvent les 76 millions restants. Le bleu budgétaire de 2019 nous indiquait que les crédits en question étaient en partie redéployés. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Enfin, même si cela ne concerne pas directement le débat budgétaire, où en est-on concernant la tenue du référendum du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie ?

Mme Justine Benin. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de consacrer un développement, dans votre avis budgétaire, au logement outre-mer, qui est un enjeu majeur pour nos territoires.

Le budget de la mission outre-mer pour 2022 s’élève à 2,6 milliards d’euros en AE et à 2,4 milliards en CP. Certains moyens sont maintenus et parfois renforcés autour d’axes prioritaires.

Ainsi, je tiens à saluer la hausse de 4,45 % des crédits de la ligne budgétaire unique, consacrée au logement social, dans le prolongement de l’augmentation votée l’année dernière. Cela révèle une politique forte visant à lutter contre l’habitat indigne et à favoriser l’accès au logement. Vous allouez des crédits pour l’accession à la propriété, mais aussi pour l’amélioration de l’habitat privé et l’acquisition de terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique. Il est important de traiter ce problème, que nous rencontrons de longue date.

Je souligne également la reconduction des crédits supplémentaires en faveur de l’insertion des jeunes et le maintien, dans l’ensemble des territoires, des financements en faveur de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Je souhaite que l’on évalue cette dernière, afin d’en faire un véritable outil d’insertion, mais aussi d’aide au retour. On constate en effet un exode de la jeunesse des Antilles.

S’agissant de l’accompagnement des collectivités locales, les 110 millions d’euros du FEI sont à nouveau maintenus, ce qui abondera notamment les enveloppes destinées aux contrats de convergence, d’une part, et aux contrats de convergence et de transformation, d’autre part.

En outre, le PLF pour 2022 est marqué par deux avancées majeures.

La première concerne directement les collectivités locales : il s’agit de la création d’une nouvelle ligne budgétaire de 2,5 millions d’euros destinée à accompagner les opérations de ramassage d’algues sargasses. C’est un fléau qui frappe la Guadeloupe – je pense notamment à ma circonscription –, la Martinique et d’autres territoires. Je souhaite que l’ensemble des présidents de collectivités s’emparent de ce budget pour retirer les algues qui se sont accumulées pendant la crise sanitaire et jonchent nos côtes – je pense au Moule, à l’Anse-Bertrand et à La Désirade, très souvent bloquée, les bateaux ne pouvant y accoster.

La seconde avancée concerne l’augmentation des aides aux propriétaires, ciblée sur les ménages modestes, qui est destinée à renforcer la rénovation du parc privé.

Cela étant, les outre-mer subissent de manière accentuée les effets de la crise sanitaire, qui a des incidences économiques, en particulier sur nos très petites entreprises (TPE). Nombre de secteurs essentiels sont fragilisés, même si les différentes aides ont été maintenues, parfois renforcées, pour accompagner l’ensemble du secteur économique.

Par ailleurs, s’agissant de l’octroi de mer, qui a été reconduit, je salue votre décision de porter le seuil d’assujettissement des petites entreprises de 300 000 à 550 000 euros de chiffre d’affaires. Nous devrions toutefois engager une véritable réflexion sur l’octroi de mer avant l’échéance des six ans.

Pour faire face aux difficultés structurelles que rencontrent les outre-mer, je souhaite, monsieur le ministre, que nous réfléchissions, dans le cadre de ce PLF, notamment à travers le plan de relance, à l’institution d’un fonds pour la création de pools d’ingénierie, afin d’accompagner nos collectivités. Il existe certes un comité de pilotage, et les collectivités restent mobilisées, y compris les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais, pour mener à bien l’ensemble des projets structurants qui sont indispensables pour nos territoires et respecter les délais fixés, la mesure que je propose me paraît vraiment nécessaire.

M. Hervé Saulignac. La hausse du coût du fret maritime et aérien depuis et vers les territoires ultramarins a de fortes incidences sur les ménages et les entreprises, dans la mesure où elle accroît le prix des biens d’équipement et de consommation et, ce faisant, réduit le pouvoir d’achat. C’est une contrainte qui s’ajoute à l’augmentation du coût des matériaux.

L’action 04 Financement de l’économie du programme 138 prévoit une aide au fret spécifique aux entreprises situées en Guadeloupe, à Mayotte, à La Réunion, en Martinique, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Wallis-et-Futuna. Cette mesure serait financée à hauteur de 8,3 millions d’euros en AE et de 7 millions en CP. Or, ces montants sont manifestement insuffisants. Tous les acteurs économiques témoignent du fait que l’explosion du coût du fret, ajoutée à la hausse du prix des matières premières, est devenue insoutenable pour les importateurs, les distributeurs et les consommateurs. Le coût du fret aurait été multiplié par quatre, et le prix du conteneur de 12 mètres par sept en moins de dix-huit mois. Le Gouvernement prévoit-il de créer une nouvelle aide spécifique, au moins temporaire, pour compenser cette évolution ? Je défendrai tout à l’heure, au nom de mon groupe, des amendements à ce propos.

Mme Maina Sage. La mission « Outre-mer » représente près de 10 % du montant global investi par l’État dans nos territoires. On peut se féliciter de la légère progression des crédits de paiement, qui s’accroissent de 1,25 %. Globalement, en incluant les dépenses fiscales, environ 27 milliards seront investis en 2022.

Lors de sa visite en Polynésie, le Président de la République a émis le souhait qu’une nouvelle compagnie du SMA soit créée dans les îles Tuamotu-Gambier. Nous en avons discuté, et une mission d’évaluation a été lancée. Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard ? Vous savez comme moi que cette structure est très attendue à Hao.

Vous avez souligné le besoin en formation des équipes de la Fédération d’entraide polynésienne de sauvetage en mer (FEPSM), qui assume des missions comparables à celles de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). La Fédération participe à l’exercice d’une mission de l’État, à savoir la sécurité et la surveillance maritimes. Nous défendrons un amendement sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », mais il serait souhaitable que le ministère des outre-mer soit associé à cet effort.

Les crédits accordés à l’Institut de formation aux carrières administratives, sanitaires et sociales (IFCASS) pourront-ils servir aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution ?

Nos entreprises prennent en charge les coûts de la formation professionnelle continue des salariés, mais les frais de transport des salariés ou des formateurs représentent un budget considérable pour les territoires autonomes, qui, pour l’essentiel, sont situés dans le Pacifique. C’est pourquoi nous demandons une extension de la continuité territoriale. Je présenterai à cette fin des amendements en séance.

Concernant le volet de la relance, on a beaucoup parlé du logement, et je partage les inquiétudes manifestées par mes collègues. Nous sommes satisfaits de constater la reprise en main de la LBU, dont la consommation des crédits s’améliore, mais, comme le rapport de M. Naillet l’a montré, le nombre de logements financés est passé, depuis 2013, de 11 000 à 8 000 et le nombre de logements livrés de 9000 à 5400. Il faut accroître les efforts en faveur de la construction de logements. Dans les territoires d’outre-mer, c’est l’un des premiers leviers de la relance et l’un des principaux facteurs de la croissance économique.

L’éligibilité des entreprises polynésiennes au fonds de solidarité renforcé est limitée par les critères restrictifs définis par le décret. Les acteurs demandent instamment que ce texte soit adapté, afin que l’on puisse moduler les conditions et renforcer l’éligibilité du secteur du commerce. Nous avons subi la crise plus tardivement que l’Hexagone. Je vous demande de porter un regard particulier sur cette question.

Je partage la préoccupation de Philippe Gosselin sur la TVA NPR, ainsi que sur le FEI.

Enfin, je réitère une proposition que je vous avais faite lorsque vous étiez en charge de la transition énergétique : pour faire face à l’augmentation du coût de la vie, il conviendrait d’appliquer à la Polynésie un dispositif équivalent à la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Où en sont les discussions sur la future convention relative à la transition énergétique ? Le Président de la République a annoncé la création d’un fonds d’investissement pour les énergies renouvelables. Pouvez-vous nous confirmer que ce dispositif verra le jour dans les années à venir ?

M. Philippe Gomès. Le budget pour 2022 s’inscrit dans la continuité des exercices précédents. Il est bon de pouvoir s’appuyer sur quelques lignes de force face aux effets de la crise sanitaire.

Je tiens à souligner la solidarité exceptionnelle que l’État a manifestée à l’égard de ces collectivités lointaines, qui sont émancipées. En Nouvelle-Calédonie, les compétences qui ne ressortissent pas au domaine régalien sont exercées par le pays ; c’est le cas aussi, à un degré moindre, en Polynésie française. Or le Gouvernement a été à nos côtés dans la lutte contre l’épidémie. Il nous a envoyé des vaccins et des tests. Près de 300 membres de la réserve sanitaire nationale sont venus prêter main-forte à nos personnels médicaux.

Le Gouvernement a été à nos côtés en matière économique : 25 milliards de francs CFP ont été attribués à 1 500 entreprises calédoniennes dans le cadre des prêts garantis par l’État (PGE) et 3 milliards de francs CFP ont été alloués à 6 500 entreprises calédoniennes au titre du fonds de solidarité. L’État a donc été présent dans un domaine de compétence du pays.

Le Gouvernement a été à nos côtés en aidant nos institutions, notre petit pays de 270 000 habitants ayant eu du mal à assumer les dépenses sanitaires. L’État a secondé les institutions pour leur permettre de faire face à une conjoncture très difficile. Il a procédé en deux temps : il a accordé sa garantie à un premier prêt de 82 millions d’euros consenti par l’AFD ; lors de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie, monsieur le ministre, vous avez annoncé un second prêt, de 40 millions d’euros, qui fait actuellement l’objet d’une concertation.

J’espère que cette aide nous permettra de sortir la tête de l’eau l’année prochaine. Comme chacun le sait, nous sommes dans un tunnel référendaire. Avec trois référendums en trois ans et les élections provinciales qui se sont intercalées, nous avons enchaîné les campagnes électorales. Or cette dynamique démocratique ne s’est pas accompagnée d’une dynamique économique : au cours de cette période d’incertitude, nous avons perdu 9 000 habitants, qui ont décidé de partir. L’enjeu après le troisième et dernier référendum sera de regarder vers un avenir que l’on espère plus serein.

Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part de deux motifs de satisfaction concernant la mission « Outre-mer ».

D’une part, l’accent a été mis sur l’insertion socioprofessionnelle, notamment avec la création d’une compagnie supplémentaire du SMA à Mayotte. Le régiment du SMA de Nouvelle-Calédonie fait, depuis trente ans, un travail exceptionnel en faveur de la jeunesse du pays. Nous devons continuer à développer cet outil dans l’ensemble des outre-mer.

D’autre part, une augmentation des crédits alloués à l’Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) est prévue. Créé il y a une vingtaine d’années, cet organisme joue un rôle essentiel pour la préservation des récifs. Je rappelle que 75 % des récifs coralliens français sont situés en Nouvelle-Calédonie.

Je souhaite appeler votre attention sur trois points qui nous posent des difficultés.

Le premier concerne le fonds de continuité territoriale. Seuls 1 100 Calédoniens en bénéficient désormais, contre 11 000 il y a quelques années. En fixant un plafond trop bas par rapport au niveau des salaires et au coût de la vie dans notre pays, on a fini par tuer le dispositif ; les ménages concernés sont si modestes qu’ils n’ont pas les moyens de voyager. D’après la dernière étude de l’INSEE, le coût de la vie en Nouvelle-Calédonie est supérieur de 33 % à ce qu’il est en métropole. Le plafond d’éligibilité doit être revu en conséquence, sachant que le problème se pose aussi pour les autres collectivités du Pacifique, notamment la Polynésie française.

C’est d’autant plus nécessaire que le fonds de continuité territoriale finance aussi le passeport pour la mobilité des jeunes qui font des études supérieures. Or, pour bénéficier de ce passeport, il faut être boursier, et le même problème se pose : celui du plafond d’éligibilité. En Nouvelle-Calédonie, 27 % des étudiants sont boursiers, alors que la moyenne s’établit à 38 % au niveau national et à 63 % pour les collectivités ultramarines. Nous ne sommes pourtant pas aussi riches que cela ! L’exclusion entraîne l’exclusion : si vous n’êtes pas boursier, vous ne pouvez pas bénéficier du passeport pour la mobilité. Nous évoquons le problème depuis cinq ans, mais on fait du sur-place. La ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a déclaré en séance publique que la situation était invraisemblable, mais ce partage du constat n’a pas été suivi d’une solution utile. Nous aimerions que l’on avance.

Le dernier point ne relève pas de la mission « Outre-mer », mais c’est un sujet d’actualité au moment où se tient le sommet de Glasgow. Le Président de la République a annoncé récemment qu’une enveloppe supplémentaire de 100 millions d’euros serait allouée au programme d’aide au développement des véhicules électriques grâce à de nouvelles infrastructures de recharge (ADVENIR). Je m’adresse donc à l’ancien secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire : il serait très utile que les collectivités françaises du Pacifique soient éligibles à ce programme. Nous souhaitons nous aussi poursuivre l’action que nous avons engagée en matière de transition énergétique.

M. Paul Molac. Les crédits de la mission « Outre-mer » sont globalement stables, sachant qu’ils représentent 10 % des crédits affectés aux outre-mer. Pour ceux qui, comme moi, ne sont pas spécialistes des finances publiques, il n’est d’ailleurs pas toujours facile de s’y retrouver.

Je salue mon collègue Sylvain Brial, député de Wallis-et-Futuna, qui ne peut pas être présent parmi nous ce soir pour des raisons de santé, mais suit nos travaux. Je note que les crédits de la mission ont financé un nouveau lycée à Wallis-et-Futuna en 2021 et que le programme Cadres pour Wallis et Futuna permettra aux Wallisiens et Futuniens de se former, étant entendu qu’il leur est très difficile de se déplacer et de faire des études supérieures.

Je conçois bien que les outre-mer aient besoin de soutien, d’autant que les activités touristiques, qui représentent une partie importante de leur PIB, ont été réduites à peu de chose, sinon à rien, par la crise du covid-19 ; les entreprises du secteur ont été particulièrement touchées. Les territoires ultramarins viennent de connaître une flambée inquiétante de l’épidémie, surtout la Guyane, où le taux d’incidence a été très élevé. La situation se calme un peu, mais la méfiance à l’égard de la vaccination reste beaucoup plus forte qu’en métropole – dans mon département, le taux de vaccination atteint 95 % ou 97 %.

Je présenterai un amendement aux crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » concernant une ligne de transport entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie.

Les autonomistes et indépendantistes ont annoncé qu’ils ne participeraient pas au référendum en Nouvelle-Calédonie, ce qui pose un grave problème pour la sincérité du scrutin. On ne peut que s’en inquiéter. Ceux d’entre nous qui se sont penchés sur l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie savent à quel point la situation est compliquée et conflictuelle.

Vous avez évoqué la péréquation, monsieur le ministre. C’est un véritable serpent de mer. On a du mal à s’y retrouver et on relève des bizarreries : certaines dotations augmentent à mesure que le nombre d’habitants s’accroît, ce qui favorise les zones urbaines ou très peuplées ; Paris est la seule ville pour laquelle l’État paie une partie du fonctionnement des transports urbains… Je fais partie de ceux qui apprécient les systèmes de péréquation clairs, comme il en existe dans certains États fédéraux, où les choses se passent relativement bien – les polémistes s’empareront peut-être de mon propos, ce que je trouve toujours détestable. En tout cas, un gros effort de transparence est nécessaire.

M. Moetai Brotherson. ’Ia ora na, monsieur le ministre. Vous gérez 10 % des crédits, mais vous aurez 100 % des questions ! Tel est le privilège du ministre des Outre-mer.

Je souscris pleinement aux propos de Maina Sage sur la formation professionnelle et à ceux de Philippe Gomès sur le fonds de continuité territoriale.

Paul Molac l’a dit, les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie ont confirmé qu’ils ne participeraient pas au référendum d’autodétermination si la date du 12 décembre était maintenue. Est-il raisonnable de s’accrocher à cette date dans un tel contexte ?

Le Président de la République a annoncé sa volonté de former 6 000 personnes par an grâce au SMA. Est-il possible de connaître la déclinaison de ce chiffre par territoire pour l’année 2022 ?

La ministre des Armées a annoncé que le bénéfice de la prime d’installation serait étendu par décret, à compter de janvier 2022, aux militaires en provenance de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie. La mesure sera-t-elle rétroactive ? À défaut, est-il envisageable de compenser cette perte pour les engagés du Pacifique ?

Les outre-mer sont un vivier pour l’armée ; les recrutements y sont nombreux. Dans le même temps, les territoires français du Pacifique sont les moins bien défendus, alors qu’ils sont les plus proches des géants du monde – Chine, Russie, États-Unis –, qui font étalage de leurs nouvelles armes, comme le missile hypersonique. L’État est chargé d’assurer la défense et la sécurité de ces territoires. Je sais que vous n’êtes pas ministre des Armées, mais estimez-vous que les moyens sont suffisants en cas de conflit dans la zone ?

Lors de son déplacement en Polynésie française, le Président de la République a fait un grand discours dans lequel il a évoqué le nombre d’engagés dans l’armée, en précisant que le motif de leur engagement serait un patriotisme exacerbé. Il faut être honnête et prendre conscience que ces engagements en nombre – on les estime à 600 par an – tiennent davantage à l’absence d’emplois dans ces territoires qu’à un tel patriotisme.

Le PLF prévoit d’abonder le dispositif de péréquation tarifaire de l’électricité avec les zones non interconnectées, qui compense la différence de tarif découlant du transport de l’électricité dans les zones non rattachées au réseau métropolitain telles que la Corse ou les DROM. La Polynésie française ne fait pas partie des territoires concernés. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Dans sa présentation du plan France 2030, le Président de la République a fait part de l’intention de l’État d’explorer les fonds marins – c’est le dixième objectif du plan. Cela nous préoccupe, car les grands fonds marins français sont essentiellement situés autour des territoires du Pacifique – la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française. Or vous n’êtes pas sans savoir que l’article 47 du statut de la Polynésie française spécifie que celle-ci est compétente pour l’exploration et l’exploitation de ses ressources, à l’exception des matériaux stratégiques. L’initiative annoncée par le Président de la République est-elle à visée humaniste ? S’agit-il de faire avancer la science ou bien d’exploiter nos fonds marins ? Par ailleurs, pour quelle raison votre ministère, qui est compétent pour plus de la moitié de la zone économique exclusive (ZEE) française, n’est-il pas représenté au sein du comité des métaux stratégiques (COMES) ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je m’efforcerai d’apporter des réponses aussi exhaustives que possible, étant étendu que je pourrai répondre plus précisément par écrit si vous le souhaitez. Je m’attarderai plus particulièrement sur trois gros dossiers que vous avez abordés : l’habitat indigne, la vie chère et la Nouvelle-Calédonie.

Lorsque j’ai été nommé ministre des Outre-mer, j’ai fait de la résorption de l’habitat indigne une priorité. En matière de logement, le cadre juridique général est le même que dans l’Hexagone, et les maires s’intéressent à des questions analogues : la capacité à réaliser une zone d’aménagement concerté (ZAC), la capacité d’un bailleur social à investir. Toutefois, les outre-mer se distinguent par des particularités de trois ordres.

Premièrement, le rapporteur pour avis l’a rappelé, la question de l’accès au foncier est redoutablement complexe dans tous les territoires ultramarins, qu’il s’agisse des îles ou de la Guyane, dont la superficie est comparable à celle du Portugal mais qui est couverte à 98 % par la forêt amazonienne.

Qui plus est, les règles de construction doivent tenir compte des risques naturels. Et ce n’est pas une loi qui peut interdire les éruptions volcaniques, les séismes ou les ouragans ! Il y a un subtil équilibre à trouver entre la capacité à construire et la prise en compte des questions environnementales et des risques naturels – sur ce point, nous faisons cause commune, quelles que soient nos sensibilités politiques. Il convient notamment de mener une réflexion avec les maires sur l’opportunité de construire davantage en hauteur et sur la manière de réduire le coût de la construction, sachant que les bâtiments doivent être plus résistants ou résilients.

À cet égard, la reconstruction de Saint-Martin après les ouragans Maria et Irma, qui s’est faite sous ce quinquennat – avec quelques difficultés il est vrai, parfois même au prix de tensions locales –, est une source d’inspiration. Si l’on établit une comparaison avec des territoires voisins, il y a de toute évidence un modèle français de reconstruction – je ne peux pas en dire plus sans créer d’incident diplomatique. C’est aussi notre honneur que de protéger les populations dans de telles situations.

Deuxièmement, il y a davantage d’habitat privé insalubre dans les outre-mer. Je l’ai indiqué dans mon propos introductif, nous introduisons avec ce PLF une innovation dans la doctrine d’emploi de la LBU : ces crédits accompagneront non seulement des personnes modestes mais aussi des personnes de la classe moyenne qui réalisent des travaux dans le logement dont elles sont propriétaires – si ce n’est pas un aspect de la promesse républicaine, je ne sais pas ce que c’est. Il faudra évaluer cette mesure, regarder comment on s’empare de l’outil localement, sachant que nous aurons besoin des collectivités locales pour le mobiliser.

Troisièmement, il y a la question des bidonvilles – ne nous payons pas de mots – ou des bangas, comme on les appelle à Mayotte. En la matière, j’ai voulu répondre aux préoccupations clairement exprimées par les maires de Mayotte et par certains maires de Guyane. Quand l’État procède à des destructions dans les bidonvilles – car il y a une réponse régalienne ferme, contrairement à ce que certains agitateurs peuvent raconter sur les réseaux sociaux –, il faut traiter humainement les personnes qui y vivent, qui sont souvent non pas des personnes en situation irrégulière, comme le prétendent ceux qui tiennent des propos mensongers, mais des citoyens français ; à Mayotte, ce sont des Mahoraises et des Mahorais qui vivent dans les bangas. Compte tenu de cette réponse régalienne, que j’ai souhaitée, il fallait construire au plus vite des logements à loyer très modéré, pour offrir une solution de relogement légale à nos concitoyens les plus pauvres. C’est ce que nous vous proposons dans le présent PLF, avec le nouveau dispositif de logement locatif très social adapté. Je remercie les maires de Mayotte qui répondent présents pour relever ce défi. Voilà dix ans que l’on parle des défis liés à la départementalisation de Mayotte, mais cette question n’avait pas toujours été traitée à la hauteur de la difficulté à laquelle nous faisions face.

Monsieur Vuilletet, le prêt de développement outre-mer (PDOM) est un dispositif populaire auprès des entreprises, notamment petites et moyennes. C’est un fonds d’intervention dont je rappelle le principe : lorsque le ministère des Outre-mer met 1 euro, BPIFrance en met 3 ; nous avons là un effet de levier.

Je crois comprendre que vous vous faites le porte-parole d’interlocuteurs qui sont intervenus auprès de tous les députés pour obtenir une augmentation substantielle du budget consacré au PDOM. Je n’y suis pas opposé par principe, mais, dans un souci de bonne gestion de l’argent public, autrement dit du point de vue du contribuable, il faut s’intéresser à la consommation des crédits. Or, à la fin de l’année 2021, il restera 68 millions d’euros disponibles sur les 80 millions que devaient permettre de lever les 20 millions prévus. Et pour cause : pendant la crise du covid-19, les entreprises ont plutôt été en mode survie et n’ont guère été en mesure d’investir. Pour 2022, je vous propose d’augmenter de 10 millions la mise du ministère, ce qui portera le total à 110 millions. Si ces 110 millions venaient à être consommés très rapidement durant l’année 2022, je doute que le gouvernement du moment s’opposerait à un abondement, en loi de finances rectificative, pour permettre à BPIFrance de poursuivre son travail.

Vous avez raison, monsieur Gosselin, la loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale, dite loi Letchimy, est une bonne loi, et je remercie les députés qui se sont penchés sur cette question. C’est une boîte à outils intéressante pour permettre les recompositions foncières. Il faudra néanmoins l’évaluer au fil du temps, en se posant notamment la question de la durée au bout de laquelle on passe outre les éventuelles oppositions. Ce n’est pas un mince sujet, notamment du point de vue constitutionnel, car on porte atteinte au droit de propriété. Certains notaires se sont donné les moyens de mettre en œuvre la loi ; d’autres, sans doute un peu moins. C’est une manière de dire que je suis favorable à la réflexion à laquelle vous nous invitez.

S’agissant du FEI, rassurez-vous, monsieur Gosselin : il reste bien 110 millions en autorisations d’engagement, la somme que vous avez évoquée correspondant aux crédits de paiement. Vous connaissez le mécanisme, analogue à celui de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) : la subvention est notifiée à la collectivité territoriale et les crédits de paiement sont débloqués à mesure que le projet d’école ou de gymnase avance. In fine, le montant des crédits de paiement est égal à celui des autorisations d’engagement, mais avec un décalage dans le temps.

Concernant les suites de la suppression de la TVA NPR, rassurez-vous là encore : la parole de ma prédécesseure Annick Girardin a, comme toujours, été tenue. Comme l’atteste l’augmentation globale des crédits de la mission « Outre-mer », les sommes en jeu ont été intégralement redéployées au sein de celle-ci, notamment au profit du FEI, de la continuité territoriale et des aides au fret. Je peux vous préciser la ventilation exacte par écrit.

Madame Benin, je vous remercie d’avoir évoqué les sargasses, dossier sur lequel vous vous investissez à titre personnel, comme celui des réseaux d’eau. Auparavant, plusieurs ministères budgétaient de l’argent en la matière. Nous vous proposons de créer une ligne particulière dans la mission « Outre-mer », afin d’aller plus vite : au premier coup de sifflet, nous pourrons notifier des subventions aux collectivités territoriales. Ensuite, peu importe qu’il y ait ou non des échouages de sargasses. S’il y en a, l’argent servira d’aide d’urgence : il dépannera telle commune ou telle intercommunalité devant procéder au ramassage. S’il n’y en a pas, il permettra aux collectivités d’acheter du matériel pour l’année suivante, autrement dit de monter en puissance. Il pourra également financer des instruments de détection, pour anticiper les échouages ou mesurer la qualité de l’air. L’idée est d’installer dans la durée la réponse d’un pays développé à un phénomène encore assez nouveau ; tous les pays de la zone Caraïbe ne seront pas armés pour y répondre de la même manière que nous. Le montant prévu pour 2022 est assez élevé. Je ne doute pas qu’il sera consommé, car les besoins sont importants.

En outre, il est nécessaire de mener à bien des études. Concernant le port de La Désirade, c’est le conseil départemental qui est maître d’ouvrage. En l’absence de délégation de service public – en tout cas, à ma connaissance –, il ne peut pas imposer d’obligations au titre de la continuité du service public, et il lui appartient de se prononcer. En tout cas, nous sommes prêts à accompagner la réalisation d’une étude des courants, afin de comprendre pourquoi ce port est plus touché que les autres par les échouages de sargasses, qui finissent par le bloquer.

Je souhaite des avancées rapides concernant le dossier des sargasses, comme celui du chlordécone, autre question sensible. Les crédits que nous ouvrons dans le PLF pour 2022 traduisent cette volonté.

J’en viens à la question de la vie chère. On ne saurait l’aborder uniquement sous un angle donné, celui du fret, celui de la fiscalité ou celui des monopoles, car tout cela contribue à la structuration des prix. Qui plus est, les prix ne se forment pas tous de la même manière selon qu’il s’agit du carburant, des matériaux de construction ou des denrées alimentaires.

C’est le fret maritime qui vous a préoccupé récemment, monsieur Saulignac, et à propos duquel vous avez saisi le ministre délégué chargé des transports et moi-même, car on craignait fortement que la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ne supprime certaines de ses dessertes, notamment celle de La Réunion. Avec le sens des responsabilités qu’il faut lui reconnaître, CMA-CGM a maintenu ses escales, ce qui a contribué à sécuriser une partie des approvisionnements. En outre, à la demande du Gouvernement, le groupe a bloqué ses prix, ce qui a donné de la visibilité sur les différents approvisionnements, tout en les stabilisant.

Par ailleurs, la ministre de la Mer, le ministre délégué chargé des transports et moi-même avons engagé une réflexion sur une réforme des aides au fret – même si les crédits correspondants relèvent essentiellement de la mission « Outre-mer ». Au fond, la période que nous vivons diffère de celle au cours de laquelle ces aides ont été imaginées et calculées. Nous sommes tout à fait disposés à ce que les parlementaires prennent part à cette réflexion s’ils le souhaitent. La question qui se pose est celle de la doctrine d’emploi de ces aides.

J’en viens au fret aérien. Les compagnies aériennes se livrent une vive concurrence, et plusieurs d’entre vous se sont faits les porte-parole d’une compagnie régionale réunionnaise soumise à la concurrence d’une compagnie nationale bien connue. Je souhaite que la concurrence ait un effet bénéfique non seulement sur le prix des billets pour les passagers, mais aussi sur les prix du fret aérien. Il faudra examiner la question de près, à froid et du point de vue technique, sachant que la nation, autrement dit le contribuable, s’est fortement mobilisée pour permettre aux compagnies aériennes de surmonter la crise du covid-19.

La structuration des coûts en outre-mer passe aussi par une réflexion sur la fiscalité locale. Le débat entre un chèque énergie anti-inflation et une baisse de la fiscalité sur le carburant est tranché depuis longtemps : cela fait belle lurette qu’il n’y a plus de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ni de TVA sur le carburant en outre-mer. Les collectivités locales étant les seules à percevoir de la fiscalité sur le carburant, celle-ci doit être discutée avec les élus locaux, mais également avec les parlementaires, car certains instruments sont complètement décentralisés.

Ce n’est pas l’État qui perçoit l’octroi de mer. Je ne pense pas qu’il faille le supprimer, car nous avons besoin d’une protection douanière. Les élections municipales, départementales et régionales étant derrière nous, nous pourrons avoir un vrai débat, sans démagogie, au début du prochain quinquennat. Le raisonnement se fera en trois temps : les recettes des collectivités locales, les mesures de protection douanière, et leur impact sur le coût de la vie. C’est ainsi que l’on fera une révolution sur la vie chère en outre-mer.

Madame Sage, le SMA dans les îles Tuamotu est un dossier qui m’est cher. Alors que le SMA est déjà présent aux îles Marquises, la maire de Hao et le président Édouard Fritch ont fait le vœu qu’une nouvelle compagnie soit ouverte aux Tuamotu. Au regard de l’étendue de la Polynésie, du besoin de formation de sa jeunesse, du fait que l’histoire a laissé quelques plaies vives dans l’archipel et qu’en outre, le Président de la République a mis fin à un projet de ferme aquacole qui ne semblait pas opportun pour le territoire, il était clair qu’il fallait une réponse à cette demande. Une mission d’inspection ayant conclu à la faisabilité d’un tel projet, le Gouvernement déposera un amendement en séance pendant l’examen du projet de loi de finances pour un montant avoisinant 5 millions d’euros. La préfiguration aura lieu très rapidement. Je souhaite que l’installation soit écologiquement exemplaire, avec des écolodges et des fermes solaires pour la production d’électricité. Nous devons aussi imaginer le SMA de demain avec le gouvernement du pays, avec les parlementaires et avec les tavana, et développer un vivier de recrutement.

Le sauvetage en mer est une compétence régalienne, mais il n’en va pas de même pour la formation des sauveteurs… Ce sujet fait partie des angles morts de l’autonomie, que l’on retrouve ensuite de loi de finances en loi de finances. Les budgets de formation sont parfois assurantiels, au sens où des cotisations financent des formations. Certaines choses sont prévues concernant la formation des personnels de l’État. À cela s’ajoute le problème des transports, qui met à mal la continuité territoriale entre Paris et Papeete ou Nouméa. Cette question étant compliquée, je vous propose de l’étudier spécifiquement car je ne peux y répondre dans l’immédiat.

Le fonds de solidarité pour les entreprises (FSE) était adapté aux mesures de confinement strict. Puis, lorsque des mesures de restriction différenciées ont été instaurées dans chaque territoire, il est arrivé que certaines entreprises d’outre-mer ne parviennent pas à faire jouer leur droit au FSE. Le mécanisme a été corrigé : une entreprise, dès lors que ce droit lui était ouvert au cours du premier semestre de l’année 2021, pourra toujours y recourir.

S’agissant de la CSPE, le Président de la République a apporté une première réponse avec le fonds de transition énergétique. Doté de 15 millions d’euros par an sur quatre ans, il poursuit le même objectif que la CSPE, à savoir la décarbonation de la production d’électricité. Nous y croyons beaucoup parce qu’il est difficile de comprendre pourquoi la production d’électricité, dans un pays de soleil comme la Polynésie – sans oublier les ressources de la mer, notamment la climatisation marine avec la technologie de Sea Water Air Conditioning (SWAC) –, est encore largement fondée sur le fioul. J’ai bon espoir que ce fonds soit inscrit dans le PLF pour 2023, c’est-à-dire qu’il soit voté à la fin de l’année prochaine. Les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) devront être révisées afin que les documents stratégiques en matière d’énergie arrêtent les principes correspondant à ce que l’on veut financer.

Autre motif d’espérance : il n’y a pas que de l’argent public à solliciter dans vos territoires. Désormais, le modèle économique peut être financé par de l’argent privé en investissement. C’est une force pour les outre-mer – c’est moins vrai pour l’Eure, où la tarification et les subventions publiques sont encore nécessaires pour équilibrer le modèle des énergies renouvelables. En outre-mer, il ne faut donc pas trop s’habituer à l’argent public et parvenir au contraire à intéresser des porteurs de projets, notamment dans le monde hôtelier.

Nombreux sont ceux qui s’expriment sur la Nouvelle-Calédonie, cherchant parfois à l’enfermer dans son histoire. Beaucoup de choses ont changé depuis les années 1980, avec les accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998. Ce pays autonome a des politiques publiques et un service public exemplaires, comme on l’a constaté dans la gestion de la crise sanitaire. Toutefois, cela pose la question des recettes, comme partout ailleurs. La covid-19 est venue percuter les finances locales et mettre à l’épreuve la solidarité nationale. La Nouvelle-Calédonie ayant été, pendant pratiquement dix-huit mois, le seul territoire de la République épargné par la pandémie, nous avons fait un choix singulier la concernant : inscrire dans le budget des subventions pour permettre au gouvernement du pays et, par ruissellement, aux provinces d’honorer les dépenses liées à la covid-19. Je réitère devant le Parlement l’engagement que nous avons pris.

J’ai indiqué au président Mapou qu’il n’était pas possible de nous engager sur un prêt garanti par l’État, comme en Polynésie. Nous devons y voir clair sur l’utilisation de cet argent, non pas pour le contrôler mais pour que le Parlement soit éclairé au moment où il déciderait de le garantir. Je serai disponible en début d’année prochaine pour examiner une demande de prêt garanti par l’État, via l’AFD, qui permettrait d’assurer un certain nombre de dépenses dans le cadre de la période de transition. En cas d’indépendance, la République sera aux côtés de la Nouvelle-Calédonie durant cette période, mais sûrement pas dans les mêmes conditions que si elle reste française. Il est bien normal que le prêteur et le Parlement français soient éclairés parce que cela pose la question de la capacité de la Nouvelle-Calédonie, déjà bien endettée, à honorer sa parole. Nous avons beaucoup parlé de politique et de questions institutionnelles ; désormais, il va falloir parler d’argent en Nouvelle-Calédonie. C’est une réalité qui s’impose à tous.

Faut-il s’accrocher à la date du 12 décembre pour organiser le troisième référendum ? Certains, dans l’entourage d’un polémiste bien connu, ont expliqué que c’était Emmanuel Macron qui voulait ces trois référendums successifs, parce que les résultats des deux premiers ne lui auraient pas plu : on marche sur la tête ! C’est sous le quinquennat du Président de la République que se joue la fin de l’accord de Nouméa. Nous ne l’avons pas négocié, mais l’État l’a signé : il est donc normal, au titre de la continuité de l’État, d’appliquer un accord pour lequel il a donné sa parole. De plus, ce troisième référendum a été déclenché non par l’État mais par les formations politiques indépendantistes, comme c’était leur droit le plus strict. Dès lors que le référendum est demandé, il est du devoir de l’État de l’organiser.

Certains me demandent s’il est possible de maintenir le scrutin compte tenu de la situation sanitaire : c’est la bonne question. La crise peut contrarier l’agenda électoral, et les Nations unies vérifieront notre exemplarité sur le terrain sanitaire Nous devons en débattre parce qu’une démocratie qui fonctionne bien doit s’assurer qu’une campagne électorale se déroule correctement.

Un argument politique nous est également opposé : les formations politiques indépendantistes pourraient ne pas participer au scrutin et, pour cette raison, il faudrait que l’État repousse l’organisation du scrutin. Que dirait-on d’un candidat qui demande le report d’une élection parce que le calendrier n’arrange pas ses affaires ? Dans une démocratie, on tient ses élections à l’heure.

M. Paul Molac. Nous avons pourtant repoussé les élections régionales et départementales…

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est l’exception. Nous l’avons fait avec l’autorisation d’une loi votée par le Parlement de la République, et sur la base d’avis du Conseil scientifique.

Il est de ma responsabilité de garantir que l’État reste neutre dans l’organisation de la consultation en Nouvelle-Calédonie. Même si cela peut sembler paradoxal, cela passe par un éclairage des conséquences du oui et du non, afin d’éviter toute entorse à la sincérité du scrutin. Nous n’abandonnerons pas la Nouvelle-Calédonie. Le combat des indépendantistes doit être respecté : un troisième non ne vaudra pas statu quo. Il faudra alors imaginer un nouveau projet pour la Nouvelle-Calédonie.

S’agissant du passeport pour la mobilité des études, on doit pouvoir faire mieux. Il est évident que, pour un jeune étudiant vivant dans le Pacifique, le coût d’un déplacement dans l’Hexagone est plus élevé que pour ceux vivant dans d’autres territoires. Avec Frédérique Vidal, nous avons commencé à étudier la question des bourses : s’il est difficile de traiter le Pacifique différemment du reste des territoires dans ce domaine, il est clair qu’il faut apporter une aide pour lutter contre cette assignation à résidence. Beaucoup de jeunes, notamment kanaks, s’abstiennent d’entreprendre des études parce qu’ils estiment qu’ils ne pourront pas se les payer ; c’est le contraire de la promesse républicaine. Nous devons donc résoudre le problème du taux de recours à ces bourses, en adaptant le cas échéant la méthodologie, car nous ne pouvons pas accepter que des personnes renoncent ainsi à leurs chances.

Monsieur Molac, la péréquation est effectivement un serpent de mer. En outre-mer, la situation est simple : elle augmente pratiquement pour tout le monde.

Monsieur Brotherson, la rétroactivité de l’indemnité d’installation des militaires ultramarins (INSMET) relève de la compétence de la ministre Florence Parly. Je ne peux donc pas vous répondre.

S’agissant des moyens de défense dans le Pacifique, il faut documenter la menace. Deux exemples méritent d’être cités.

Premier exemple : la protection de la zone économique exclusive, qui est l’une des missions principales des forces armées en outre-mer. Je vous invite à vous rapprocher des commandants supérieurs (COMSUP) en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie : ils vous montreront les cartes de surveillance satellitaire du Pacifique, sur lesquelles vous verrez un océan dans lequel grouillent de très nombreux bateaux de pêche – plus ou moins légale –, ainsi que de vastes taches bleues, préservées et protégées : ce sont les zones économiques exclusives françaises. L’action de l’État, en mer, par les airs et par le renseignement, produit des effets. Au début du quinquennat, quelques blue boats entraient encore illégalement dans nos zones économiques exclusives ; ce n’est plus le cas désormais.

Deuxième exemple : la mission de l’Émeraude, sous-marin nucléaire d’attaque qui a croisé dans le Pacifique il y a quelques mois. Particulièrement visibles, ces missions ne laissent pas nos alliés indifférents. La ministre des armées pourra répondre plus longuement sur ces sujets majeurs.

Concernant l’engagement dans les armées, s’il s’explique en partie par un déficit d’emplois en Polynésie, il ne faut cependant pas minorer le patriotisme. Les difficultés d’accès à l’emploi se retrouvent dans d’autres territoires d’outre-mer mais la Polynésie a une histoire particulière. En valeur absolue, il y a autant de jeunes Polynésiens qui s’engagent dans les armées chaque année que de jeunes Franciliens, mais il y a 11 millions d’habitants en Île-de-France, contre 300 000 en Polynésie. Quand on interroge des jeunes du SMA aux Marquises sur ce qu’ils veulent faire, la réponse est systématique : ils veulent s’engager dans les armées. On ne rencontre pas un tel taux dans les autres territoires, même si un phénomène comparable peut être observé s’agissant des forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC).

Je veux vous rassurer concernant l’exploration des fonds marins. Le devoir d’un grand pays comme la France est de connaître les capacités de ses fonds sous-marins. L’exploration n’est pas l’exploitation. Beaucoup de secrets médicaux se trouvent sous les mers : faut-il priver notre recherche fondamentale de cette ressource ? Nous ne le pensons pas. Les propos du Président de la République ne traduisent pas une prédation commerciale ou économique. En revanche, on ne peut pas, à chaque sommet, expliquer que les océans sont les plus grandes de nos richesses et ne pas avoir un niveau de connaissance plus avancé. Si la France ne prend pas cette initiative, je ne vois pas qui le fera dans le Pacifique. Elle peut s’appuyer sur une communauté scientifique importante, comme le parc naturel de la mer de corail, en Nouvelle-Calédonie. Il faut utiliser ce genre d’outils dans des travaux de recherche, sans quoi on n’y arrivera pas.

M. Jean-Hugues Ratenon. J’aborderai à mon tour la question de la cherté de la vie. L’accroissement du prix des matières premières agricoles entraîne celui de l’alimentation dans tous les commerces, y compris dans la restauration et dans les grandes surfaces. Il en va de même pour le prix des matériaux de construction, qui est répercuté en bout de chaîne sur les consommateurs. Quelles solutions proposez-vous ?

La Réunion a subi le 1er novembre, comme presque tous les outre-mer, une augmentation du prix des hydrocarbures. Certains carburants augmentent de 7 % : 11 centimes de plus pour le super, ce qui le porte à 1,57 euro le litre, et 8 centimes pour le diesel. Le gaz augmente lui aussi. Peut-être me répondrez-vous en parlant des taxes mais, dans les outre-mer, c’est l’État qui fixe les prix.

Le Gouvernement propose une indemnité inflation de 100 euros versée une seule fois, alors que nos concitoyens subissent toutes ces augmentations mois après mois. À l’occasion des mouvements sociaux qui ont marqué les régions d’outre-mer en 2009, un dispositif dénommé « revenu supplémentaire temporaire d’activité » (RSTA), destiné à soutenir le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes, avait été mis en place. Il s’agissait d’une prime mensuelle de 100 euros. Vu la volonté de relancer la consommation dans les outre-mer, ce qui contribuerait d’ailleurs à relancer les commandes de nos entreprises, mises à mal par la crise sanitaire ; vu la cherté de la vie dans les territoires ultramarins, qui est telle que les ingrédients de la crise de 2009 et de celle des Gilets jaunes sont de nouveau réunis ; vu les spécificités de nos territoires, notamment l’éloignement des marchés d’achat, le prix du fret maritime et aérien ainsi que les modes de circulation, fortement dépendants des hydrocarbures du fait du manque de réelles solutions de remplacement au tout-voiture, ne serait-il pas juste de mettre de nouveau en place un dispositif comme le RSTA ?

Ne pensez-vous pas que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) outre-mer devraient être dotés de pouvoirs plus grands afin de mener une politique de contrôle, d’investigation et même de blocage des prix, quand c’est nécessaire ? Je proposerai un amendement en ce sens. Il est urgent d’aider les familles des outre-mer à faire face à la cherté de la vie.

M. Jean-Philippe Nilor. L’examen de cette mission nous donne une nouvelle occasion de pointer l’importance cruciale du logement social, qu’il s’agisse de la réhabilitation de logements ou de la construction de nouveaux projets. L’une des conséquences les plus dommageables de la crise sanitaire est la flambée exceptionnelle des prix des matières premières utilisées dans la construction – bois, aluminium, acier, etc. –, ce qui impose à la fois des retards et des surcoûts rédhibitoires à l’exécution des opérations programmées, alors que celles-ci sont vitales. Dans la mesure où leurs plans de financement ont été figés avant le déclenchement du phénomène inflationniste, elles risquent de ne jamais voir le jour, remettant ainsi en question les sources mêmes de la politique du logement social outre-mer. Il y va de la sécurité, de la santé publique ou encore du maintien à domicile des personnes âgées et vulnérables. Aussi, monsieur le ministre, je souhaite connaître votre position sur deux propositions concrètes.

La première consiste en la création d’un fonds d’urgence au bénéfice des intercommunalités – lesquelles sont compétentes en matière de construction et de rénovation de logements sociaux – pour faire face aux surcoûts.

La seconde serait de déplafonner la participation des financeurs publics afin de rendre soutenable l’apport personnel d’un bénéficiaire, notamment dans le cas de logements amiantés – les personnes concernées étant alors victimes d’un double surcoût : le premier lié au covid-19, le second à l’amiante.

Mme Karine Lebon. Tous les outre-mer ont mesuré, dès le début de la crise sanitaire, l’impact de cette dernière sur leurs économies, lesquelles sont totalement dépendantes des flux aériens et maritimes.

La ministre des Outre-mer de l’époque, madame Girardin, avait reconnu, en réponse à une question du groupe GDR posée dans les premières semaines de la crise, que le coût du fret aérien avait été multiplié par deux, voire par trois. En effet, la plupart des compagnies aériennes avaient perdu 90 % de leurs passagers, dont les billets financent à 60 % le fret aérien. Or, à part attendre le retour des passagers, la ministre n’avait proposé aucune solution pour remédier à cette situation. Pourtant, celle-ci porte préjudice au pouvoir d’achat des populations, dont le coût de la vie est déjà particulièrement élevé. Les entreprises sont elles aussi fragilisées : elles ont de plus en plus de mal à supporter les surcoûts liés à leur approvisionnement. C’est leur survie qui est en train de se jouer.

Désormais, et alors même que la reprise est plus puissante que prévu – sauf en ce qui concerne le tourisme –, c’est le fret maritime qui se trouve complètement désynchronisé dans le monde entier. Parmi les éléments de la réaction en chaîne qui en découle, citons la désorganisation du rythme de travail entre les partenaires économiques ; la pénurie de conteneurs, dont le prix a été multiplié par quatre en raison d’une demande trop forte et de la pénurie des matériaux nécessaires à leur fabrication ; l’embouteillage à l’entrée de certains grands ports maritimes en raison de la baisse du trafic dans d’autres, ce qui accroît le temps d’attente et entraîne une nouvelle augmentation des coûts du transport, et donc du prix des marchandises.

Ces répercussions sont démultipliées dans les outre-mer, où l’ensemble des secteurs d’activité est entièrement dépendant du trafic maritime. Le défi auquel nous sommes confrontés consiste à limiter les effets de cette désorganisation mondiale pour qu’elle ne se traduise pas par une énième augmentation des prix, dont le niveau est déjà insupportable dans les outre-mer. Il faut également éviter que la situation de nos entreprises ne se dégrade davantage, d’autant qu’elles sont confrontées à la pénurie de matières premières et à la hausse du coût de ces dernières. Or certaines entreprises se trouvent dans des situations ubuesques. Je pense notamment à celles qui ont réussi à supporter le choc de la crise mais se voient refuser le bénéfice du fonds de solidarité renforcé pour les mois d’août et de septembre à cause de leur taux de bénéfice du mois précédent. Il ne faudrait pas que leur bonne gestion se retourne contre elles.

La réponse qui nous a été servie concernant le fret aérien – attendre que cela passe – n’est plus supportable, tant pour nos populations que pour nos entreprises.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En ce qui concerne le coût de la vie, j’ai déjà largement répondu à propos des éléments structurels qui le déterminent.

Premièrement, la structuration des prix par la fiscalité est un enjeu important.

Deuxièmement, s’agissant des coûts fixes et de la part du fret, je vous ai fourni des réponses détaillées.

Troisièmement, pour ce qui est du manque d’indépendance, en particulier de la souveraineté alimentaire, des évolutions sont en cours. Je suis assez optimiste, par exemple, pour ce qui est du modèle réunionnais : les lignes bougent vite grâce aux acteurs du monde agricole, qui ont su s’emparer de tous les outils mis à leur disposition.

Quatrièmement, la lutte contre les monopoles est un autre chantier important. Cela prendra du temps ; il faut s’y atteler tranquillement mais sûrement. C’était d’ailleurs mon intention lorsque j’ai été nommé ministre des outre-mer en juillet 2020. Nous pensions alors que le pire de la crise du covid-19 était derrière nous, et nous voulions transformer le système tout en faisant de la relance. La suite des événements a brisé mon élan : dans les outre-mer, nous avons engagé la relance, mais sans en avoir fini avec la gestion du covid-19. Le chantier de la lutte contre les monopoles a donc pris du retard. Je reste malgré tout persuadé qu’il s’agit d’une priorité. La question doit être considérée dans sa globalité, sans démagogie. Il est sain que le consommateur ait le choix. Dès lors que le choix est possible, les lois du marché se mettent en place naturellement. Ainsi, pendant la crise du covid-19, le coup de pouce concernant les frais postaux pour les petits colis a été très profitable aux consommateurs ultramarins. Ce détail est peut-être passé inaperçu, et a même pu susciter des critiques, sur le thème de l’écologie, de la part de Parisiens ne connaissant pas les outre-mer ; il n’en demeure pas moins que la démarche a produit des résultats.

Monsieur Nilor, il faudra que vous m’expliquiez ce que vous attendez d’un tel fonds d’urgence pour les collectivités territoriales, car plusieurs dispositifs existent déjà, à commencer par la LBU. Qui plus est, ce ne sont pas toujours les intercommunalités qui sont concernées : certes, l’habitat fait partie de leurs compétences, mais ce sont parfois les conseils départementaux – dans votre cas, la collectivité territoriale de Martinique – qui agissent à travers les bailleurs sociaux. Si vous souhaitez me faire passer une note sur la question, je l’étudierai de près.

En ce qui concerne votre seconde proposition, le problème est déjà identifié. Il convient toutefois d’être prudent en ce qui concerne les déplafonnements : d’un côté, cela permet une intervention publique plus forte, mais, de l’autre, le fait de savoir que l’argent public sera au rendez-vous peut susciter la tentation d’augmenter les prix, aggravant ainsi le problème que l’on entendait régler. Je crois savoir qu’un travail est en cours avec Emmanuelle Wargon, afin notamment de faciliter l’accès aux matériaux locaux. Outre ses vertus écologiques, cette démarche permettrait de favoriser le développement local, tout en répondant au problème que vous soulevez.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses très complètes ainsi que pour les précisions concernant le référendum en Nouvelle-Calédonie : elles étaient attendues par beaucoup de membres de la commission, à commencer par moi.

Chers collègues, nous passons à l’examen des amendements.

Article 20 et état B

Amendements identiques II-CL35 du rapporteur pour avis et II-CL49 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter de 20 millions les crédits en faveur du prêt de développement outre-mer.

M. Guillaume Vuilletet. À la suite des explications du ministre, le groupe LaREM s’oppose à ces amendements.

La commission rejette les amendements.

Amendement II-CL53 du rapporteur pour avis.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. Il vise à augmenter les crédits de l’action 06 Collectivités territoriales du programme « Conditions de vie outre-mer ».

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL43 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. Il vise à augmenter de 15 millions d’euros les crédits inscrits en autorisations d’engagement par le Gouvernement pour l’action 06, de manière à les rétablir à la hauteur de ceux votés lors de la loi de finances initiale de 2021.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL54 du rapporteur pour avis.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter les crédits de l’action 09 Appui à l’accès aux financements bancaires du programme « Conditions de vie outre-mer ».

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL45 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. Nous proposons une augmentation de l’aide au fret de l’ordre de 4,5 millions d’euros.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL52 du rapporteur pour avis.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. L’objet de cet amendement est de maintenir les crédits de l’action 03 Continuité territoriale du programme 123 au même niveau qu’en 2021 ; en conséquence, nous demandons leur augmentation de 1,5 million d’euros par rapport à ce qui est prévu.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL44 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. Il vise à rétablir les crédits inscrits en autorisations d’engagement par le Gouvernement pour l’action 03 du programme 138 à la hauteur de ce qui a été voté lors de la loi de finances initiale de 2021. Nous proposons donc une hausse de 1,5 million d’euros.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL46 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. C’est un amendement de repli : nous proposons d’augmenter l’aide au fret de 900 000 euros.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL47 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. Lutter contre les inégalités et les discriminations dans les outre-mer suppose de connaître les spécificités de ces territoires. Or, quel que soit le domaine, les statistiques publiques concernant les outre-mer sont insuffisantes ; l’amendement II-CL47 vise à les renforcer en abondant à hauteur de 500 000 euros l’action 02 du programme 123, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL39 de M. Philippe Gomès.

M. Philippe Gomès. Le nombre d’étudiants calédoniens bénéficiant du passeport pour la mobilité est extrêmement réduit. En effet, seuls 27 % de nos étudiants sont boursiers, quand la moyenne est de 63 % dans le reste des outre-mer. Le passeport pour la mobilité prend en charge la moitié du prix du billet d’avion de certains étudiants non boursiers ; ils sont considérés comme étant trop riches pour bénéficier d’une bourse, mais sont trop pauvres pour payer l’autre partie du billet. C’est un problème récurrent dans notre territoire. L’amendement II-CF39 vise à appeler l’attention de la commission sur ce sujet, comme je l’ai fait avec le ministre.

M. Philippe Naillet, rapporteur pour avis. Pour financer le dispositif, cet amendement vise à prélever des crédits sur la LBU. Je vous demande de le retirer.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL48 et II-CL42 de Mme Josette Manin.

M. Hervé Saulignac. Il s’agit d’amendements de repli par rapport à l’amendement II-CL47. Nous proposons d’abonder l’action 02 en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, à hauteur de 200 000 euros ou, à tout le moins, de 100 000 euros.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette successivement les amendements.

Suivant la préconisation du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer » non modifiés.

 

La réunion se termine à 19 heures 35.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

        Mme Béatrice Descamps, rapporteure sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à nommer les enfants nés sans vie (n° 4241) ;

        M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur sur la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, favorisant l’implantation locale des parlementaires (n° 4560)

        Mme Nicole Sanquer, rapporteure sur la proposition de loi instaurant diverses dispositions relatives aux fonctionnaires et militaires originaires d’outre-mer (n° 4554).

 

 

 

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Justine Benin, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Béatrice Descamps, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Sacha Houlié, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Philippe Naillet, M. Jean-Pierre Pont, M. Pacôme Rupin, M. Jean Terlier, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. Ian Boucard, Mme Marie-George Buffet, M. Éric Ciotti, Mme Lamia El Aaraje, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Nicole Sanquer, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - M. Moetai Brotherson, M. Dino Cinieri, M. Philippe Gomès, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac