Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

  Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques, et discussion générale sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (n° 4406) (M. Bruno Questel, Mmes Elodie Jacquier-Laforge et Maina Sage, rapporteurs).                            2

 


Lundi
22 novembre 2021

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 19

session ordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 17 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques, et procède à la discussion générale sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (n° 4406) (M. Bruno Questel, Mmes Elodie Jacquier-Laforge et Maina Sage, rapporteurs).

Mme la Présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous débutons l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS.

Ce texte, examiné par le Sénat, comprend de très nombreux articles, sur lesquels plus de 1 300 amendements ont été déposés. D’ores et déjà, 178 ont été déclarés irrecevables par la commission des Finances au titre de l’article 40. De mon côté, je n’ai pas encore terminé l’examen de recevabilité au titre de l’article 45. Je vous livrerai le chiffre des irrecevabilités que j’aurai prononcées soit ce soir, soit demain. Cet examen est toujours très difficile, et c’est tout particulièrement le cas s’agissant de ce texte.

Nous procéderons cet après-midi à l’audition de Mme Jacqueline Gourault et de Mme Amélie de Montchalin, qui sera suivie de la discussion générale dans le cadre de laquelle chaque groupe s’exprimera.

Nous avons délégué plusieurs articles aux trois commissions des Affaires économiques, du Développement durable et des Affaires sociales. Notre commission des Lois ne reviendra donc pas dessus, s’en tenant à ceux qu’il lui appartient de traiter.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le projet de loi « 3DS » vient parachever le travail important que nous avons réalisé ensemble depuis 2017 avec la loi « engagement et proximité », la loi organique sur les expérimentations locales, la loi sur la collectivité européenne d’Alsace, et, plus récemment, avec la réforme de la formation des élus. Nous avons construit ces réformes ensemble et la commission des Lois y a pris toute sa part. Nous les avons conduites au fond en suivant une même boussole : simplifier l’action publique, lever les freins et les blocages, faciliter la vie des maires et des élus. C’est le mouvement que je vous propose de poursuivre à présent avec ce projet de loi « 3DS ».

Ce texte a connu une longue maturation. Voilà deux ans que nous y réfléchissons et que nous l’élaborons avec les élus des territoires, deux ans au cours desquels j’ai fait le tour de France, à la rencontre des maires, des présidents d’intercommunalité, des présidents de département et de région, même si la crise de la covid a ralenti notre démarche. Dans le cadre de nos échanges, nous posions une même question aux élus : qu’est-ce qui, au quotidien, fait concrètement obstacle à l’exercice efficace de votre action ?

Avec les préfets, nous avons recueilli un grand nombre de propositions et les avons étudiées avec les associations d’élus pour identifier tout ce qui relevait de la loi.

Les attentes étaient fortes et concrètes. Non, les élus ne veulent pas d’un big bang ni d’un énième redécoupage des périmètres et des compétences ; ils veulent de la stabilité, des moyens et un cadre sécurisant. C’est cette vision d’une loi concrète, utile et de terrain que je défends.

Le texte repose sur quatre piliers.

Premièrement, la différenciation qui doit permettre à nos élus d’adapter au mieux la règle aux réalités de leur territoire, dans le respect du principe d’égalité inscrit dans notre Constitution. Il en va ainsi, par exemple, des dispositions sur le logement social et de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui vise à maintenir une ambition forte en matière de construction, tout en permettant l’adaptation locale aux contraintes des communes.

Deuxièmement, la décentralisation que nous proposons de poursuivre sur le fondement d’une idée simple : la décentralisation de projets. Il revient aux territoires de décider les compétences nouvelles qu’ils souhaitent exercer. C’est dans cet esprit que nous proposons d’engager la décentralisation sur une base volontaire de 10 000 kilomètres de routes nationales aux métropoles, aux départements et, à titre expérimental, aux régions qui le souhaitent.

Nous avons pleinement travaillé avec l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France pour aboutir à un accord afin que la répartition des tronçons entre départements et régions intervienne dans la concertation et dans un souci d’efficience des moyens consacrés aux réseaux routiers. Je vous présenterai deux amendements, conjointement avec le rapporteur.

Troisièmement, la déconcentration, corollaire de la décentralisation, sera renforcée autour de la figure du préfet, par exemple en nommant le préfet de région délégué territorial de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (ADEME), à l’image de ce que nous avons déjà fait pour d’autres agences, comme l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), afin de garantir l’unité de l’action de l’État et de ses opérateurs, ou encore en faisant du Centre d’études et d’expertise sur les risques (CEREMA), qui possède une ingénierie forte, un outil commun de l’État et des collectivités.

Quatrièmement, la simplification, que je promeus avec Amélie de Montchalin, consiste à alléger les normes qui pèsent sur le quotidien de nos concitoyens et de nos élus, à travers des mesures facilitant le partage d’informations entre administrations pour mieux protéger les élus exposés à des situations de conflit d’intérêts, faciliter leur travail en matière d’urbanisme et de revitalisation des centralités.

Telle est l’architecture de ce projet de loi qui s’inscrit pleinement dans la filiation du travail que nous avons réalisé ensemble depuis maintenant plus de quatre ans. Ce projet de loi a été adopté au Sénat en juillet. Le travail avec les sénateurs s’est bien passé. Aucune des mesures phares du texte initial n’a été supprimée.

Il reste, bien sûr, des sujets de désaccord, sur l’intercommunalité, par exemple. Tout au long de ce quinquennat et dans ce texte en particulier, le Gouvernement a fait le choix de ne pas réaliser de nouveaux transferts au profit des intercommunalités. Tel était le souhait de nombreux maires. Non, nous n’avons pas dépossédé les maires de leurs prérogatives depuis 2017, comme on l’entend dire parfois. C’est faux. Bien au contraire, à la faveur de la loi « engagement et proximité », nous avons donné aux maires la souplesse qu’ils réclamaient. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à certains amendements adoptés par le Sénat qui tendent à revenir en arrière, sur l’eau et l’assainissement, par exemple. Je rappelle qu’au moins un cinquième de l’eau est perdu en raison d’infrastructures vétustes et qu’il s’agit d’un enjeu majeur car, avec le changement climatique, la ressource va se raréfier. Il nous faut préserver la construction intercommunale qui, dans l’immense majorité des cas, se déroule bien, voire très bien.

Un mot sur la métropole Aix-Marseille-Provence, actuellement entravée par un mode de gouvernance très particulier, hérité de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Nous travaillons avec en tête trois objectifs clairs, que j’ai présentés à l’ensemble des maires du territoire : restituer les compétences de proximité aux communes et conforter la métropole dans ses compétences stratégiques ; simplifier le fonctionnement de la métropole, ce qui passe par la suppression des conseils de territoire et le renforcement de ses services déconcentrés ; créer les conditions d’un rééquilibrage des relations financières entre la métropole et les communes. Nous progressons bien avec l’ensemble des acteurs et serons en mesure de vous présenter des propositions concrètes en séance.

J’ai rencontré bien des élus pour construire cette loi ; vous-mêmes échangez au quotidien avec ceux de vos circonscriptions respectives. Ils nous demandent de les laisser travailler, de leur donner des moyens, de faciliter leur travail et de les accompagner dans leurs projets. C’est en travaillant main dans la main que la confiance se construit. C’est ce que je porte au quotidien, et je suis fière de notre mobilisation depuis 2017 en faveur des collectivités. Je rappelle la stabilité financière, aussi bien de la dotation globale de fonctionnement (DGF), que des dotations d’investissement qui, grâce au plan de relance, sont à un niveau historiquement élevé ; la fin de la lente érosion des services départementaux de l’État ; la mise en place des programmes de l’ANCT, qui viennent en soutien de projets portés par les élus – Action cœur de ville, Petites villes de demain, France services, France très haut débit.

Avec ce projet de loi « 3DS », je vous propose de prolonger cette action concrète, pragmatique et ambitieuse. Nos échanges, j’en suis sûre, seront très riches, à l’image du travail particulièrement constructif que nous avons mené ensemble ces dernières années.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques. Ce projet, dans son ensemble, promeut une vision de simplification et reflète la manière dont nous concevons l’action publique depuis 2017, ainsi que l’a rappelé le Président de la République à la tribune du congrès des maires, la semaine dernière. Nous voulons une action publique à l’écoute de celles et ceux qui utilisent au quotidien des services publics, et une action publique qui permette à ceux qui les organisent de les faire bien fonctionner, aux côtés des collectivités et des élus qui assument des responsabilités de service public.

L’exigence de simplification de l’action publique a été au cœur de très nombreuses réformes législatives depuis 2017, que ce soit la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) instaurant le droit à l’erreur, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), la loi d’accélération et simplification de l’action publique (ASAP) qui a donné lieu à la suppression des commissions administratives et la déconcentration des décisions individuelles, ou encore tout ce qui a favorisé une action publique menée au bon niveau, plus simple et plus efficace.

Dès ma prise de fonction, j’ai placé la simplification au cœur de la transformation de l’action publique, guidée par deux boussoles. La première est l’impératif de transparence de l’action publique. Grâce au baromètre des résultats de l’action publique, lancé en janvier dernier, chaque Français peut savoir, en visitant le site du Gouvernement, comment se déploient, dans son département, les quarante-trois réformes prioritaires. L’immense majorité d’entre elles n’est d’ailleurs pas le seul fait du Gouvernement mais bien le fruit d’un travail partagé entre collectivités et État ou entre collectivités, impliquant d’ailleurs parfois l’action des citoyens ou des entreprises.

Seconde boussole, un pilotage de l’action publique cohérent avec une vision territorialisée, un pilotage « jusqu’au dernier kilomètre », par le renforcement de l’État territorial départemental. Le préfet du département, notamment, a gagné des marges de manœuvre budgétaires et en ressources humaines, les effectifs étant redéployés partout dans le territoire, l’action publique dans son ensemble étant pilotée par une feuille de route interministérielle adaptée – la feuille de route de la Seine-Maritime n’a rien à voir avec celle de la Charente-Maritime ou celle d’un département plus rural ou plus urbain.

Je commencerai par détailler des mesures très emblématiques qui figurent dans ce titre consacré à la simplification, particulièrement liées à l’utilisation numérique.

L’innovation numérique doit, en effet, être mobilisée pour améliorer la qualité des services publics et, partant, la relation entre l’administration et les Français. L’article 50 du projet de loi instaure ainsi, en quelques mots, un réel changement de paradigme en accélérant le partage de données entre administrations. L’une des complexités principales rencontrées par les usagers dans leurs démarches tient à l’obligation de fournir encore et encore les mêmes informations que celles dont les administrations disposent déjà. Cette disposition concrétise une simplification profonde qui doit aboutir à une action publique unifiée pour les usagers, que celle-ci soit conduite par l’État, par une collectivité ou par un opérateur social.

Ce matin même, avec Jacqueline Gourault, nous rencontrions les associations d’élus pour suivre le déploiement des 88 millions d’euros de France relance consacrés à la mise à niveau numérique des collectivités. Nous avons notamment rappelé l’ambition partagée, très forte, de déployer France Connect dans l’ensemble des collectivités – régions, départements, intercommunalités, communes.

La règle, aujourd’hui, est l’interdiction du partage de données entre administrations, sauf dérogation expressément autorisée par voie réglementaire, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). J’ai souhaité que la logique soit inversée et que le partage devienne la règle par défaut. Ce sera le cas avec l’article 50, pourvu que le partage de données bénéficie à l’usager. Cet article a, bien évidemment, fait l’objet d’un travail précis et approfondi avec la CNIL, afin de maintenir un cadre respectueux de la protection des données à caractère personnel de nos concitoyens.

Le but est aussi d’accompagner les Français dans leurs démarches. Dans de nombreuses communes, par exemple, les démarches sont souvent très lourdes pour inscrire un enfant à la crèche, pour calculer un tarif de cantine scolaire. Les familles doivent fournir de nombreux justificatifs de quotient familial ou de revenus. Pourquoi devoir encore fournir notre date de naissance, celle de nos enfants, nos adresses, des informations que la ville, la direction des finances publiques ou les allocations familiales connaissent déjà ?

Ce partage de données représente avant tout, pour moi, un outil destiné à lutter contre le non-recours – une priorité pour de très nombreux parlementaires depuis des années. Un meilleur partage des données, c’est l’octroi automatique de droits ouverts par les parlementaires. Le chèque énergie a été déployé de cette manière, et l’inscription automatique à la complémentaire santé solidaire, votée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, rendra les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou du minimum vieillesse directement éligibles, grâce au partage de données.

Tout cela pousse à décloisonner l’action publique, à inciter les administrations d’État et les administrations des collectivités territoriales à travailler main dans la main. Nombre des démarches qu’il nous appartient de simplifier sont réalisées à l’échelon des collectivités, quelle que soit leur taille. C’est la raison pour laquelle madame la rapporteure Jacquier-Laforge, que je tiens sincèrement à remercier, propose un amendement de rétablissement de l’article initial du projet de loi. Le seuil de 10 000 habitants introduit par le Sénat est inutile, car le texte prévoit déjà que les administrations techniquement dans l’incapacité de partager leurs données, notamment les plus petites, n’auront pas l’obligation de le faire. L’article ouvre des possibilités sans contraindre.

Pour aller plus loin, je vous proposerai un amendement pour faire en sorte que le partage de données entre administrations permette d’attribuer de façon proactive aux usagers le bénéfice des aides auxquelles ils ont droit, sans qu’ils aient eux-mêmes à en faire la démarche. Il s’agit d’ailleurs d’une pratique qui s’est développée pendant la crise sanitaire. Pour certaines aides aux entreprises, les administrations sont allées au-devant des besoins pour en assurer la pleine efficacité.

Plus largement, cette vision du numérique s’inscrit dans notre plan de numérisation des 250 démarches les plus usuelles du quotidien des Français, entreprises comme particuliers. Nous avons atteint 86 % de l’objectif et nous nous engageons à le remplir à 100 % au cours de l’année 2022.

Parce que le numérique ne remplace évidemment pas la proximité, et parce qu’il n’est pas utile ni réaliste d’opposer développement d’un numérique de qualité et développement d’un très bon réseau de proximité, fondé sur un accompagnement humain et personnalisé, Jacqueline Gourault a usé d’un volontarisme soutenu pour déployer, avec les élus locaux, le réseau France services. D’ici à la fin de l’année, ce réseau disposera de 2 000 lieux d’accueil de proximité de service public sur le territoire, puis 2 500 d’ici à la fin 2022. Ce n’est en rien un gadget. Les élus qui s’engagent dans cette dynamique disent déjà combien, après six ou neuf mois d’ouverture, l’accès aux droits des personnes en difficulté s’en trouve changé.

Une autre avancée majeure de ce texte est la part donnée à l’expérimentation au service de l’innovation de l’action publique. En matière d’expérimentation et de dérogation, on doit déjà à Jacqueline Gourault le texte majeur qu’est la loi organique sur l’expérimentation, qui a permis d’ouvrir le droit de dérogation des préfets. Mais il importe de donner aux acteurs publics comme aux entreprises davantage de marges de manœuvre en termes d’innovation.

Depuis 2016, la démarche France expérimentation a accompagné 350 projets proposés, pour un quart d’entre eux, par des start-up, mais également par des groupements d’intérêt public et des associations. Entre avril et juin, cette année, j’ai lancé un nouvel appel à projets pour que les acteurs économiques de tous nos territoires puissent solliciter des dérogations législatives expérimentales et temporaires. Le texte prolonge donc l’appel à projets France expérimentation dans le contexte de la relance. Une centaine de dossiers a été déposée. La majorité d’entre eux trouvera un accompagnement, une expérimentation de niveau réglementaire ou une clarification de leur cadre juridique d’action. Le but est de s’assurer que les lois d’hier n’empêchent pas l’innovation de demain et que tous nos territoires bénéficient de projets qui facilitent leur organisation. Par exemple, comment permettre la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer ? Comment entretenir des logements vacants pour donner plus de perspectives d’installation à des entreprises ou à des citoyens ? Nous présenterons probablement une disposition intéressante pour faciliter la colocation de personnes âgées dans des lieux de vie sociaux qui, aujourd’hui, ne sont pas ouverts à de telles expérimentations.

Bref, ce projet de loi « 3DS » vient ici renforcer un dispositif catalyseur d’innovation dans les territoires, tout en permettant aux agents de s’impliquer et de se former sur le terrain. Nous travaillons à de nouvelles propositions qui arriveront dans les jours qui viennent.

Le Président de la République avait pris l’engagement fort de bâtir une action publique plus proche et plus efficace. Le Gouvernement s’emploie à le tenir depuis quatre ans, et ce texte y participe réellement. À l’issue de cette période, 72 % de nos concitoyens disent faire confiance à l’administration, soit une progression de trois points depuis 2016. Du côté des entreprises, le taux de confiance dans l’administration est à ce jour de 76 %, contre 66 % en 2019. En un an, nous avons gagné dix points de confiance, ce qui montre que la manière de faire change radicalement la perception des usagers des services publics.

Parce que ces résultats nous commandent de continuer à agir, l’objet de ce projet de loi et l’action du Gouvernement s’inscrivent pleinement dans cette exigence d’une relation de confiance avec nos concitoyens.

M. Bruno Questel, rapporteur pour les titres Ier à V. Ce projet de loi est attendu et marquera, c’est certain, l’histoire des collectivités locales.

Le 15 janvier 2019, le Président de la République lançait le grand débat. En sont ressorties des attentes fortes qui se sont imposées à nous : renforcement de l’action publique de proximité ; meilleure prise en compte des particularités locales ; assouplissement de l’organisation territoriale des politiques publiques. Les acteurs locaux aspiraient à être mieux compris et soutenus dans l’exercice de leur mission. Ils exprimaient une fatigue résultant des réformes institutionnelles incessantes, les traumatismes engendrés par les lois NOTRe et MAPTAM n’étant toujours pas résorbés pour certains d’entre eux. Avec la loi « engagement et proximité », nous avons redonné aux élus, en particulier aux premiers d’entre eux, les maires, la possibilité d’agir sur le quotidien des citoyens et de mettre en œuvre leurs engagements.

La revalorisation de l’action des élus ainsi actée, le Gouvernement a repris l’ouvrage pour nous proposer un texte utile et pragmatique. Celui-ci ne peut être appréhendé avec des œillères occultant tout ce qui a été fait sous cette législature pour conforter l’action des collectivités territoriales. En matière financière, je pense à la sanctuarisation de la DGF et aux efforts importants en faveur de l’investissement, avec la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), en période ordinaire, et la dotation de soutien à l’investissement (DSIL), en période extraordinaire, avec principalement le plan de relance.

S’agissant du principe de différenciation, nous avons commencé à lui donner une concrétisation en adoptant la réforme des procédures d’expérimentation, qui a constitué la première pierre de l’édifice. Sans entrer dans le détail des dispositions des articles 1er à 5 du présent projet de loi, je relèverai néanmoins l’affirmation du principe de différenciation, indispensable à la mise en œuvre d’une approche plus fine et plus intelligente des politiques publiques, pour répondre aux problématiques spécifiques des différents territoires. Qu’il s’agisse des mesures adaptées aux enjeux transfrontaliers, de l’expérimentation tant attendue d’un financement différencié du RSA en métropole ou du développement du pouvoir réglementaire des collectivités locales, nous jetons les bases d’une pratique qui devra inéluctablement être prolongée à l’avenir.

Je relève également un nouvel acte de décentralisation routière, avec les articles 6, 7 et 8 qui permettront notamment et principalement de transférer des routes du réseau national pour les confier à titre expérimental aux régions.

Concernant les gestionnaires de collèges et lycées, le Gouvernement a proposé un début de réponse aux difficultés constatées sur le terrain depuis des décennies, avec l’article 41 – malheureusement supprimé par le Sénat. Je serai donc favorable à son rétablissement sous la forme aménagée proposée par le Gouvernement.

Initialement composé de 84 articles, ce texte a quasiment triplé de volume à l’issue de son examen par le Sénat. Il en compte désormais 217. Nombre de ces ajouts s’avèrent pertinents et ont vocation à jeter les bases d’un travail conjoint entre nos deux chambres. Certains articles devront néanmoins être supprimés, mais je souhaite ici saluer les deux rapporteurs du Sénat, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud qui, comme à leur habitude, ont œuvré pour les collectivités locales, avec la force de persuasion qui les caractérise. Nous les retrouverons, avec mes collègues Maina Sage et Élodie Jacquier-Laforge, en commission mixte paritaire pour, j’en suis persuadé, travailler conjointement, dans le respect de nos deux assemblées, au renforcement des collectivités dans le cadre novateur que nous souhaitons tous.

Avec mes deux collègues rapporteures de la commission des lois, mais aussi avec les rapporteurs des trois autres commissions saisies du texte, nous avons mené un travail approfondi et fructueux, fondé sur l’écoute et le pragmatisme. Je salue également la contribution de la délégation aux collectivités territoriales et de son président, Jean-René Cazeneuve. Je souhaite adresser mes remerciements à notre ministre des relations avec les collectivités locales, Jacqueline Gourault, à son cabinet, ainsi qu’à la direction générale des collectivités locales (DGCL) et à son directeur.

Madame la ministre, vous avez engagé le travail de concertation sur ce texte il y a maintenant près de deux ans. Depuis, vous n’avez pas dévié de votre cap, faisant preuve d’une constance et d’une détermination sans faille. Je sais que le souci d’écoute et de concertation a été permanent, jusqu’à la dernière minute sur certains sujets, notamment aux articles 6 et 7, et qu’il se poursuit encore sur d’autres – je pense à la métropole Aix-Marseille-Provence.

Je nous souhaite des débats de fond constructifs et sereins, qui aboutiront, j’en suis certain, à une loi équilibrée et juste, dans l’intérêt de toutes les collectivités territoriales de métropole, de Corse et d’outre-mer.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour les titres VI et VII. Les titres VI et VII portent sur les mesures relatives à la déconcentration et la simplification. Il me sera impossible de toutes les présenter dans mon propos liminaire, aussi insisterai-je sur quelques points.

Dans le titre VI, consacré aux mesures de déconcentration, plusieurs dispositions renforcent le rôle des préfets. Notamment, le préfet de région devient délégué territorial de l’ADEME, et le préfet coordonnateur de bassin assurera désormais systématiquement la présidence du conseil d’administration des agences de l’eau.

L’expertise du CEREMA sera mise à la disposition des collectivités territoriales qui le souhaitent.

Les maisons France services seront enfin inscrites dans la loi, la labellisation France services garantissant à tous les usagers un accès aux services publics du quotidien à moins de trente minutes de leur domicile.

S’agissant du titre VII et des mesures de simplification, je tiens à saluer le dispositif d’échange d’informations entre administrations, prévu à l’article 50. Il améliorera le principe du « Dites-le nous une fois ». Je vous proposerai de revenir sur certaines modifications du Sénat, qui fragilisent le mécanisme, mais aussi d’étendre ce dernier au domaine de l’insertion professionnelle, avec ma collègue iséroise, Monique Limon.

Autre mesure saluée, la consécration du recours à la visioconférence pour les assemblées délibérantes locales, prévue à l’article 52 bis, complète utilement le dispositif introduit pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la loi « engagement et proximité ». Je vous proposerai d’étendre cette possibilité à certaines collectivités omises par le Sénat – la Corse, la Guyane et la Martinique –, ainsi qu’aux commissions permanentes, ce qui devrait répondre aux attentes de nombreux collègues.

L’article 56 concerne la réforme touchant la métropole Aix-Marseille-Provence. Il s’agit pour le Gouvernement d’en inscrire le principe dans le texte, en cohérence avec l’engagement sans précédent du chef de l’État et du Gouvernement pour ce territoire. Le Sénat a proposé des aménagements, et le travail se poursuit, à l’heure où je vous parle, entre tous les acteurs concernés pour aboutir – enfin ! – à une organisation et à des modalités d’exercice des compétences pleinement dignes de l’ambition de la deuxième métropole de notre pays. Comme mes collègues rapporteurs et moi-même l’avons souvent indiqué lors des auditions, nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer sur ce sujet.

L’article 59 permettra d’approfondir la coopération entre les collectivités transfrontalières, en ouvrant la possibilité aux collectivités étrangères d’investir dans des sociétés publiques locales (SPL). Le besoin est réel : ces structures permettront de favoriser les projets communs, par exemple la réalisation de services de transports ou de réseaux transfrontaliers, en mutualisant les coûts. Il nous faudra veiller à préserver le contrôle des collectivités françaises dans ces entreprises, et ainsi revenir sur certaines des modifications apportées par le Sénat.

Je salue également le dispositif aménageant la responsabilité civile des gardiens d’espaces naturels s’agissant de certains sports, comme l’escalade, dispositif au sujet duquel Xavier Roseren et moi-même vous proposerons une précision utile.

Une série d’articles traitent des entreprises publiques locales (EPL). De récents rapports d’évaluation ont révélé le réel engouement suscité par le recours aux procédés de prise de participation et de filialisation par les entreprises publiques locales. Ces techniques permettent la diversification de leur activité, mais ne sont pas sans risque pour les collectivités : risque de dilution de leur pouvoir de contrôle, mais également risques financiers. Les articles 70 et 71 apportent des solutions, en renforçant le contrôle des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements actionnaires sur les EPL, et en élargissant les cas et les modalités d’intervention des commissaires aux comptes dans ces entreprises.

Un autre volet concernant les EPL est celui, capital, de la prévention des conflits d’intérêts. Un cadre juridique sécurisé est prévu, notamment à l’article 73 ter ; je vous proposerai de le préciser. Nous pouvons nous réjouir de l’évolution proposée conjointement par le Gouvernement et le Sénat. Je vous proposerai également d’étendre à toutes les EPL et à leurs filiales l’encadrement des rémunérations des élus locaux, dont l’écrêtement suggéré par la Cour des comptes.

Des simplifications déclaratives auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ont également été introduites au Sénat. Elles vont dans le bon sens. Je vous proposerai de les préciser et de les compléter pour mettre en œuvre plusieurs recommandations de la HATVP.

Le texte comporte également d’intéressantes évolutions en matière d’évaluation des politiques publiques. En particulier, l’article 74 autorisera les collectivités territoriales à saisir la cour régionale des comptes compétente sur une thématique d’évaluation. Je vous proposerai d’aller plus loin, en permettant à ces collectivités de solliciter l’expertise des juridictions financières sur les grands projets d’investissement.

Enfin, le Sénat a enrichi le texte d’évolutions intéressantes en matière de droit funéraire, que je vous proposerai de compléter.

Pour conclure, je m’associe à mon corapporteur pour remercier mesdames les ministres et leurs cabinets du travail accompli. Je suis sûre que nous trouverons sur tous les sujets des solutions pratiques pour les élus dans le but final de répondre aux besoins de nos concitoyens.

Mme Maina Sage, rapporteure pour le titre VIII. Le texte relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification intéresse les collectivités d’outre-mer, car celles-ci présentent des spécificités géographiques, juridiques et culturelles. Pour rappel, les outre-mer représentent onze territoires, cinq départements, six collectivités, répartis dans trois océans différents, situés entre 8 000 et 22 000 kilomètres de la métropole, et près de 3 millions de nos concitoyens. Le titre VIII est certes consacré à des sujets propres aux outre-mer, mais ces territoires sont également concernés par l’ensemble du texte, en vérité. C’est pourquoi j’ai tenu à les entendre sur tous les titres.

Nous avons fortement ressenti le besoin des territoires d’outre-mer d’être mieux écoutés et pris en considération. Aussi ai-je cosigné avec mes collègues rapporteurs un amendement à l’article 1er bis, qui réclame au minimum un accusé de réception pour les demandes transmises au Premier ministre ainsi que leur recensement dans un rapport annuel rendu public. Je salue l’attention portée à ce que ces demandes soient transmises au Parlement, tout en souhaitant que les délégations aux collectivités territoriales et aux outre-mer puissent en être destinataires.

La première grande mesure du titre VIII découle des travaux menés par nos deux chambres à la suite de l’ouragan Irma qui a frappé les Antilles en 2017. L’article 75 du projet de loi permet d’instaurer par décret dans une collectivité d’outre-mer ou en Nouvelle-Calédonie l’état de calamité naturelle exceptionnelle, sous certaines conditions. Cela permettra de faciliter et d’accélérer les procédures menées par l’État en réponse à la crise.

Les missions spécifiques que nos deux chambres avaient conduites sur la gestion des risques naturels majeurs avaient donné lieu à la création d’une délégation interministérielle aux risques majeurs. Pendant deux ans, l’ensemble des territoires s’y sont réunis pour formuler des propositions à la fois sur le volet préventif, sur la gestion de la crise et sur la reconstruction. Je salue, à cet égard, les travaux de notre collègue Fabien Matras. Pour ma part, je soutiendrai des amendements pour renforcer les actions de développement de la culture du risque, notamment dans le milieu scolaire.

Enfin, il me semble utile de clarifier le déclenchement de ce mécanisme dans les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie ainsi que de travailler à des outils de transparence et d’évaluation de ce dispositif.

L’article 76 prévoit et organise le transfert des zones des agences des cinquante pas géométriques vers les collectivités de Guadeloupe et de Martinique. Le Sénat a procédé à cet apport très utile, repris dans la loi « climat et résilience ». C’est la raison pour laquelle il a vocation à être supprimé. Il conviendra néanmoins de préparer les collectivités pour assurer la qualité de ce transfert et les accompagner, étape par étape. Nous proposons également que les agences puissent être présidées par des représentants de ces collectivités.

Cet article facilite aussi la régularisation foncière, problème récurrent dans tous les territoires d’outre-mer. L’article 77, ajouté par le Sénat, promeut la prescription acquisitive pour accélérer la régularisation des problématiques foncières à Mayotte.

L’organisation de la santé est particulièrement sensible en outre-mer. L’article 81 bis prévoit un rapport sur l’organisation du système de santé à Saint-Barthélemy pour poser les contours de la création d’une caisse autonome. J’ai souhaité soutenir la demande de notre collègue Olivier Serva d’un rapport spécifique à la Guadeloupe. Dans les circonstances actuelles, je tiens à apporter tout notre soutien à nos collègues élus de Guadeloupe et aux autorités locales. La crise sanitaire révèle des retards structurels et la situation mérite toute notre attention et notre vigilance. Puissions-nous, en votant ce texte, être utiles et aider à rétablir le dialogue le plus rapidement possible.

Plus rapidement, d’autres dispositions du titre VIII traitent de sujets liés aux terres australes, tels les prêts participatifs que nous étendrons aux conventions de mandat ou encore l’organisation des conseils économiques sociaux de ces territoires.

Un amendement tendra à ajouter un article facilitant la cohérence de l’application de la loi « littoral » en Guyane et à Mayotte pour tenir compte des spécificités de ces territoires

Pour terminer, j’appelle l’attention sur une difficulté récurrente dans l’ensemble du texte. Le fait que certains territoires soient cités et pas d’autres nuit à la lisibilité du droit applicable en outre-mer. Il serait utile que nous soutenions ensemble la création d’un véritable code des outre-mer.

Je tiens à remercier l’ensemble des personnes auditionnées, les administrateurs de la commission et toutes les équipes ministérielles avec lesquelles nous avons travaillé sur ces différents articles. Un dernier mot à l’adresse à mes collègues Bruno Questel et Élodie Jacquier-Laforge pour évoquer l’excellente coopération qui a présidé à la préparation de ce texte.

M. Rémy Rebeyrotte. On continue d’entendre ici ou là des discours infondés.

D’abord, l’intercommunalité n’est pas l’ennemi des communes, bien au contraire, et le sera de moins en moins avec ce texte qui va rétablir l’équilibre entre communes et intercommunalités.

En 1992, les communes ont vu augmenter leurs compétences, parmi lesquelles certaines qu’elles ne pouvaient plus gérer seules et dont la gestion avait besoin de stabilité –développement économique, collecte et traitement des déchets, en particulier. Le choix a été fait du maintien de la proximité communale parallèlement à la construction d’outils de gestion stables au travers des intercommunalités. Nous avons ainsi, heureusement, échappé à des fusions autoritaires de communes qu’on a pu voir dans d’autres pays.

L’intercommunalité se révèle encore plus pertinente aujourd’hui au regard des enjeux de la transition écologique et de la résilience climatique : gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), eau potable et assainissement, mobilité, organisation du territoire, préservation des espaces naturels, etc.

Dans le même ordre d’idée, la loi SRU, dont il s’agit ici de réaffirmer la nécessité et de prolonger les effets, a été faite, non pas pour ennuyer les communes, mais pour lutter contre la ghettoïsation, le cloisonnement urbain des populations, et pour maintenir, sans doute insuffisamment, une mixité des publics et des parcours dans l’habitat – d’où les mesures tendant à renforcer la mixité et la diversité dans le texte.

Faut-il également rappeler ici la nécessaire unicité de l’État sur le plan national mais aussi et surtout dans les territoires ? Plus que jamais, les élus et les acteurs locaux en ont besoin. Rien n’est plus déstabilisant que d’avoir, sur un dossier, des avis divergents, exprimés par des directions appartenant toutes à l’État, parfois devant le préfet lui-même, un peu comme si, parallèlement aux préfets de département ou de région, il y avait un préfet de l’environnement ou un préfet de la santé, pour ne prendre que deux exemples de grands secteurs de compétence de l’État.

Non, les agences et les services extérieurs ne sont pas autonomes ou autarciques ; ils doivent travailler très étroitement avec les préfets, sous leur autorité – qui est celle du Gouvernement – et dans un rapport de confiance indispensable. Dire cela n’est pas remettre en cause l’existence des agences ou des services extérieurs, c’est réaffirmer l’unicité de l’État, toujours nécessaire et encore plus impérieuse dans une période de crise majeure. L’État débat en interne, comme toute institution mais, vis-à-vis de ses partenaires, l’information et la décision doivent être fluides, claires, uniques et incarnées. Dans ce texte, nous faisons des pas en ce sens.

On nous reprochera sans doute de faire la part belle aux départements, un peu aux métropoles aussi, dans de nouveaux enjeux de décentralisation – sans revenir, heureusement, à la clause de compétence générale. Or, depuis la loi de 2016, la taille de certaines régions a renforcé la place du département, l’intérêt de sa dimension et de sa proximité. De plus, depuis l’origine, le département est une institution de gestion dotée de services et de personnels, ce qui en fait une institution stable et apte à accueillir de nouvelles compétences, si elle le souhaite, ou à conforter les compétences existantes. Le texte tient compte de ces réalités.

S’agissant de la différenciation, le choix a été fait d’étendre le pouvoir réglementaire local ainsi que la possibilité des expérimentations, c’est-à-dire d’aller au maximum de ce qu’il est possible de faire sans changement constitutionnel. C’est là un débat qui dépasse nos préoccupations de ce jour.

Tels sont les quelques éléments que je souhaitais rappeler au moment où nous abordons ce dernier texte du mandat, qui facilitera la vie des élus et des acteurs locaux de nos territoires – c’est bien ce qui caractérise les différents textes dont nous avons eu à débattre au cours de cette législature. Ainsi nos collègues élus et les acteurs locaux pourront-ils prendre plus facilement l’initiative, à un moment où leur engagement pour la relance du pays est un enjeu majeur dans l’ensemble de nos territoires.

M. Sébastien Jumel. Ce sont juste deux questions qui ne sont pas abordées dans la loi !

M. Vincent Bru. Ce projet de loi était très attendu, comme en témoigne l’ample travail accompli par nos ministres depuis deux ans, en lien avec les différents acteurs locaux, tous désireux de faire de ce texte un véritable atout pour la vitalité et le développement harmonieux de nos territoires.

S’il ne bouleverse pas fondamentalement le cadre de la décentralisation, ce texte a vocation à rendre plus fluide et plus efficace l’action publique dans les territoires, à faciliter le quotidien des élus au sein de nos collectivités. La crise sanitaire nous a en effet montré l’importance qu’il y a à introduire plus de souplesse, plus de simplification, plus de pragmatisme dans l’action publique.

Depuis 2010, les réformes à répétition n’ont pas toujours été à la hauteur des enjeux, il faut bien le reconnaître. C’est pourquoi ce projet de loi doit véritablement traduire l’ambition nouvelle du Président de la République et de notre majorité pour nos territoires : celle de la confiance dans nos élus locaux, dans les territoires et dans la valorisation de la proximité.

Le Sénat nous a transmis un texte qui a fortement évolué. Notre groupe a choisi de ne pas partir dans tous les sens et de se concentrer sur quatre axes prioritaires. Premièrement, la gouvernance des agences publiques doit être plus efficace et plus lisible pour une meilleure action au service du territoire. Nous soutiendrons des amendements en ce sens. Deuxièmement, les compétences des collectivités en matière de transition écologique et de mobilité doivent être renforcées, car elles ont un rôle à jouer dans ce domaine. Troisièmement, s’agissant de l’urbanisme, et notamment du logement, nous mettons un point d’honneur à ce que soit renforcée la mixité sociale. Quatrièmement, en matière de coopération transfrontalière, nous nous préoccupons de la répartition des compétences de police administrative ou de santé.

Notre groupe pense qu’il ne faut pas présenter des amendements trop nombreux, et nous sommes tous d’accord pour rétablir en grande partie les articles modifiés par le Sénat. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons les amendements qui seront présentés par les rapporteurs.

Nous avons également essayé d’apporter des éléments nouveaux. Je défendrai, en particulier, un amendement portant sur les biens sans maître – essentiellement des terrains –, afin de faciliter leur appropriation par les communes.

À l’initiative de Sylvain Waserman, nous proposerons des amendements relatifs à la coopération transfrontalière. Ils visent à développer l’apprentissage transfrontalier, à faciliter les manifestations sportives transfrontalières et à protéger les sociétés publiques locales dans lesquelles des collectivités étrangères détiennent des capitaux.

Notre collègue Christophe Blanchet est également à l’origine d’amendements, dont l’un concerne l’élargissement au département de l’utilisation de mécanismes de mise en réserve, déjà pratiquée au niveau interdépartemental, pour gérer la répartition du fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux.

Un de nos amendements tendait à donner, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, aux départements et régions la possibilité de déléguer les compétences concernant les infirmières, les gestionnaires et intendants de collèges et de lycées. Je viens d’apprendre que cet amendement a été déclaré irrecevable, mais je pense que le sujet nécessite néanmoins d’être traité. J’aimerais d’ailleurs avoir l’avis de madame la ministre sur ce sujet.

La discussion qui s’ouvre aujourd’hui doit nous permettre d’avancer ensemble vers un renforcement de la cohésion de notre territoire et de l’efficacité de l’action publique en son sein. C’est la raison pour laquelle notre groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés soutient très largement ce projet de loi.

M. Hervé Saulignac. Nous voilà donc devant un texte très attendu, sans doute parce que très annoncé à la suite du grand débat national. Celui-ci a été l’occasion pour le Président de la République de se confronter au mal-être des élus locaux, en manque de considération, de moyens ou de latitude pour agir – ils ont pourtant été déterminants dans la lutte contre la covid-19, par leurs initiatives, leur audace, leur réactivité et leur capacité à se mobiliser. J’avais donc cru comprendre que ce texte devait être la traduction des engagements du chef de l’État, constituer une réponse, même partielle, à la crise des Gilets jaunes, et un nouvel élan donné à la république territoriale.

Chacun constatera que rien de ce qui a été promis par le Président de la République n’y figure. Cela ne signifie pas pour autant que rien n’est intéressant, mais on ne trouve pas de trace des débats sur les échelons administratifs trop nombreux, les niveaux de collectivités qui s’empilent, l’ambition de changer le mode d’organisation de notre République, la nécessité d’une plus grande proximité, d’une plus grande clarté dans l’action publique, etc. Nulle part ne figurent des réponses à ces questions, dont pourtant chacun partage le bien-fondé. À aucun moment, le texte ne semble vouloir se connecter un tant soit peu avec l’esprit des pères fondateurs de la décentralisation, malgré ce que son titre laisse accroire.

Alors même que ces fameux 3D devraient contribuer à revigorer la démocratie, on peine à croire que plus de 200 articles, souvent sans grande cohérence, n’atteignent pas leur objectif. Ce texte a d’ailleurs recueilli les avis défavorables du Conseil national d’évaluation des normes, ainsi que du Conseil d’État qui, lui-même, déplore les absences de ce texte.

Loin d’engager une grande réforme, ce texte paraît boucher des trous tous azimuts. Boucher des trous, pourquoi pas, mais bouchons-les ensemble et essayons au moins de le faire en cohérence avec l’objectif de simplification affiché. Force est de constater que certains articles alourdissent plus qu’ils n’allègent, que d’autres ont un caractère particulièrement limité, si limité que l’on pourrait peut-être admettre que leur vertu simplificatrice est à peu près nulle.

Il faudrait être malhonnête pour ne pas voir, dans ce grand catalogue, des avancées sur les agences publiques d’État, sur l’aide à l’installation des professions de santé, et sur un certain nombre de procédures de délégations de compétences entre l’État et les collectivités. Mais ce texte répondra-t-il aux attentes de nos concitoyens, dont chacun sait qu’ils nourrissent de la défiance à l’égard de leurs élus et des institutions ? Si la confiance vis-à-vis de l’administration s’améliore, et c’est tant mieux, la défiance envers les élus, elle, ne s’améliore pas. Ce texte aurait pu être l’occasion d’y remédier.

Apporte-t-il des réponses solides aux élus qui, pour les plus anciens, ont bien vu que notre modèle prétendument décentralisé est en réalité très dépendant d’un État qui lentement reprend la main ces dernières années ? Nous aurions aimé parler levier fiscal, relations financières avec l’État, coordination de l’action publique, tous sujets qui intéressent vraiment les élus locaux et dont ils parlent entre eux. Nous aurions aussi aimé débattre de démocratie locale, à l’heure où l’abstention règne en maître, de participation citoyenne, de processus électoraux, quand on ne sait plus vraiment distribuer une profession de foi ou dématérialiser une procuration. Malheureusement, nous allons légiférer sur l’alignement des arbres, sur la mise en place de radars automatiques par les collectivités, sur la visioconférence pour les commissions permanentes ou bien encore, pour celui qui dispose de trois francs six sous, sur la façon de récupérer le RSA sur un livret épargne. J’ose espérer que l’on corrigera cela !

On attendra donc encore un peu pour connaître une nouvelle ère de la décentralisation. Nous défendrons, quand les articles nous le permettront, une république des territoires qui a besoin de retrouver du souffle, du sens et de l’efficience, car il y va de l’avenir de notre démocratie.

M. Christophe Euzet. En 2017, le Président de la République Emmanuel Macron appelait déjà de ses vœux une nouvelle donne territoriale, un État partenaire appelé à se substituer à l’État censeur, trop souvent décrié. Depuis, des événements majeurs sont venus bouleverser notre pays ; le mouvement des Gilets jaunes et la covid-19 ont révélé une demande et un besoin criants de collectivités territoriales.

Mesdames les ministres, vous nous présentez ce projet de loi au terme de trois ans de travail. Il arrive considérablement enrichi, parfois même alourdi, par le Sénat, ce qui incite le groupe Agir ensemble à rechercher une position d’équilibre entre la version initiale et celle portée à notre connaissance aujourd’hui.

Ce texte repose sur un certain nombre de piliers que les précédents orateurs ont déjà évoqués. Le renforcement de la différenciation territoriale et de l’expérimentation devrait être largement abordé dans la suite des débats. Sur les nouvelles étapes de la décentralisation, les paroles sont tenues, notamment en matière de logement, de transport, de transition écologique. Sur la question de la déconcentration, le renforcement des pouvoirs du préfet nous paraît une bonne chose. En dépit de ce qu’on peut en dire par ailleurs, ce projet de loi est un nouvel acte de décentralisation, adapté et fortement orienté, qui reprend résolument les annonces du Président de la République à l’issue du grand débat national le 25 avril 2019.

Il faut rappeler le contexte dans lequel s’inscrit ce texte ainsi que les dispositifs législatifs multiples qui ont été déployés depuis le début de la législature. Je pense à la loi « engagement et proximité », à la loi « expérimentations locales », mais également à la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Il était utile, madame la ministre, de rappeler que des dispositifs majeurs comme Action cœur de ville, Petites villes de demain ou France très haut débit ont jalonné l’action continue du Gouvernement et de sa majorité pendant toute la période, avec une volonté claire de simplifier, de faciliter, de lever freins et blocages.

La nécessité a été évoquée d’aller bien plus loin et de provoquer un changement majeur. En tout état de cause, ce projet de loi, à droit constitutionnel constant, fait œuvre utile et pratique au regard de la stabilisation de l’intercommunalité – qui n’est effectivement pas l’ennemi de la commune –, des grands équilibres et des grands blocs, notamment de la DGF, dans un souci d’accompagnement des collectivités territoriales et de bienveillance, car l’État ne saurait davantage être l’ennemi des collectivités territoriales. Ils fonctionnent de concert, comme chacun sait.

Pour ce qui est du groupe Agir ensemble, il accueille avec bienveillance la pérennisation du dispositif SRU. Nous veillerons néanmoins à ce que les considérations quantitatives ne soient pas privilégiées au détriment du qualitatif. Nous nous préoccupons également des questions de mixité sociale, de sanctions et du décompte des logements sociaux.

Nous voyons également d’un bon œil l’amendement très positif des rapporteurs, visant à assortir d’un certain nombre de garanties la transmission des demandes d’adaptation de l’ensemble des collectivités. Il est en effet utile de favoriser un changement de pratiques afin que les forces de proposition des collectivités territoriales soient pleinement entendues et prises en considération.

Madame la ministre de Montchalin, vous avez évoqué un amendement à venir qui devrait nous faire basculer vers une administration proactive dans le cadre de l’article 50. À quel type de prestation pensez-vous ? Quels droits pourraient être attribués automatiquement ? À qui et sous quelles conditions ?

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Vingt années de députation et presque autant de textes promettant décentralisation, déconcentration et simplification pour nos territoires ! En réalité, aucune loi n’a su faire ses preuves autant que les premières lois de décentralisation, mises en œuvre en 1982. Dernier grand acte, la loi NOTRe et la fusion des vingt-deux régions en treize nouveaux territoires, comportant son lot d’incohérences et ses irritants qui ne sont toujours pas corrigés, y compris par ce texte. Même si retracer sur une carte tous vos déplacements depuis 2017 est une tâche bien ardue, madame le ministre, je ne suis pas persuadé que ce long et sérieux travail de terrain, que vous avez réalisé à la rencontre de nos élus locaux et des préfets, se retrouve entièrement dans ce projet. Charge à nous, parlementaires, de suivre la voie ouverte par les sénateurs pour, non pas détricoter le travail des uns et des autres, mais avancer ensemble.

La différenciation est présentée comme une aspiration majeure du projet. Comme le Conseil d’État l’avait relevé dans son avis du 7 décembre 2017 sur la différenciation des compétences, la reconnaissance aux collectivités territoriales de marges de manœuvre accrues est de nature à renforcer la démocratie locale et à leur permettre d’exercer leurs compétences avec une plus grande efficacité.

Le principe d’égalité a été consacré au sein du bloc de constitutionnalité par la Déclaration des droits de l’Homme, notamment son article 6, et par le préambule de la Constitution de 1946. Il l’a également été par la jurisprudence, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 1973, dite taxation d’office, qui en a fait un élément majeur du contrôle de conformité des lois. Bien qu’elle soit, par principe, proscrite par le bloc de constitutionnalité, une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel considère que le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Des exemples existent d’ores et déjà : la collectivité européenne d’Alsace, la Corse et les DOM-TOM.

Votre projet de différenciation apportera-t-il une réelle avancée ou restera-t-il une pétition de principe ? Je crains que notre droit ne soit très complexe et j’émets de forts doutes. Je proposerai néanmoins, par amendements, de poser les jalons d’une réflexion pour un statut adapté à l’hyper-ruralité. Certains territoires n’y parviendront que par des mesures particulières. Il ne peut y avoir de territoires oubliés de la République. Madame la ministre, êtes-vous prête à engager une réflexion sur une expérimentation spécifique sur la notion d’hyper-ruralité, chère au feu sénateur de la Lozère, Alain Bertrand ?

Cela permettrait également de traiter de manière spécifique le département de la Lozère, territoire de montagne situé à 1 000 mètres d’altitude et le seul à compter moins de 100 000 habitants – 76 000, avec une moyenne de 15 habitants au kilomètre carré. Autant dire que nous sommes toujours atypiques, pour ne pas dire en dehors de toutes les normes, et ce serait un geste de la part du Gouvernement que de bien vouloir en tenir compte.

Nos collègues sénateurs ont introduit un article 13 quater qui autorise l’abattage des loups. Ceux-ci constituent un fléau particulier aux zones de montagne, et il serait bon de permettre des avancées sur ce sujet.

Je salue, au nom de mon groupe, le renforcement du poids des élus dans les agences régionales de santé (ARS), même si l’utilité de ces monstres administratifs, continuellement critiqués, reste à définir.

Enfin, mes collègues de l’UDI, Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, seront particulièrement attentifs au volet relatif aux outre-mer et vous proposeront des évolutions par voie d’amendement.

M. Paul Molac. En 2019, le Président de la République avait annoncé un nouvel acte de décentralisation, souhaitant changer le mode d’organisation de notre République, notamment sur les problématiques de la vie quotidienne – transition écologique, logement, transport –, avec un objectif de garantie de décision au plus près du terrain. Pour notre groupe, le texte qui nous est présenté n’a rien d’une loi de décentralisation, et encore moins d’une loi relative à l’autonomie des collectivités locales et l’autonomie régionale que nous appelons de nos vœux. Par rapport à nos voisins, qui sont tous des États régionaux ou fédéraux, la France est bien singulière.

Ce projet de loi risque donc d’être une occasion manquée, et la déception est pour nous assez grande. Si certains articles sont bienvenus, on voit bien que l’État se débarrasse de ce qu’il ne veut plus gérer. Je pense aux petites lignes de chemin de fer, qui ne sont plus entretenues depuis des années, ou au défaut d’investissement dans les établissements publics de santé. Cela ne me paraît pas totalement anodin. À titre d’illustration, le centre hospitalier de la ville de Redon doit être reconstruit pour un montant de 200 millions d’euros ; l’ARS nous propose une participation de 22 %, et nous laisse trouver les 78 % restants. Ce n’est pas avec un hôpital en déficit, comme le sont tous les hôpitaux, que nous pourrons contracter un emprunt. On voit bien la tendance qui se dessine : débrouillez-vous avec vos collectivités locales ! Mais quels financements mobiliser ? Une part de CSG, peut-être ?

S’agissant des routes nationales, il en reste assez peu à transférer.

Nous aurions aimé qu’il soit répondu aux demandes de compétences concernant la santé, la formation, l’emploi, l’eau, l’environnement et notamment la gestion de la politique agricole commune, souhaitée par la région Bretagne. Si quelques velléités se dessinent, ce texte ne va vraiment pas au bout des choses.

Les critères drastiques de recevabilité des amendements font que les deux tiers de nos amendements ont été jugés irrecevables : demander des transferts de compétences est désormais considéré comme une charge, ce qui est contestable puisque l’on ne fait que les transférer de l’État aux régions. Nous sommes donc circonspects s’agissant de la déconcentration. Donner plus de pouvoir au préfet, ce n’est pas donner plus de pouvoir aux élus du peuple, c’est donner plus de pouvoir à l’administration, en l’occurrence, au ministre de l’Intérieur qui devient un super ministre. Je ne sais si l’inspection académique, qui dépend directement du ministère de l’Éducation nationale, dépendra des préfets, comme ce sera le cas pour l’ADEME, si la loi est votée, mais cela m’inquiète, car faire de la décentralisation et de l’autonomie régionale n’est pas leur rôle.

Nous plaidons pour l’autonomie fiscale, qui a été réduite à trois fois rien. Vous avez supprimé la taxe d’habitation, et avant vous « la patente » avait connu le même sort. Or les élus doivent pouvoir lever des impôts en fonction des compétences qui sont les leurs, sans avoir à attendre une dotation qui viendrait de l’État. Ainsi, les départements qui demandent la recentralisation du RSA peinent peut-être à le payer à cause d’une péréquation insuffisante. Je ne pense pas que ce soit une bonne disposition de recentraliser le RSA.

S’agissant des mesures de différenciation, vous avez dit, à juste titre, que la carte des régions a été une erreur – je l’avais moi-même dit en 2015 et j’avais voté contre. Je note que deux territoires réclament une adaptation : l’Alsace, qui souhaite redevenir une région ; la Bretagne qui plaide pour sa réunification historique à cinq départements et non quatre. À cet égard, le département de Loire-Atlantique a demandé l’organisation d’un référendum au Président de la République, qui ne lui a toujours pas répondu.

Pour conclure, ce projet de loi est très en deçà de ce que nous sommes en droit d’attendre.

M. Sébastien Jumel. Au sein du groupe GDR, nous sommes pour un État qui protège, pour un État qui prend soin. Nous considérons que la première pierre sur laquelle repose tout l’édifice républicain est la capacité de l’État à rendre concrète l’égalité républicaine. Cela suppose que, où que l’on habite, où que l’on naisse, y compris dans les territoires oubliés, humiliés de la République, l’on puisse avoir accès aux mêmes droits – au logement, à la santé, à l’éducation, à l’emploi –, et aspirer à une vie digne, du berceau jusqu’à la tombe. Force est de constater que, même si vous êtes très sympathique, madame la ministre, et très à l’écoute, le compte n’y est pas. Vos différentes réformes ont abîmé la République, qui devrait être présente partout et pour tous. Le seul exemple des déserts médicaux et des 6 millions de Français qui n’ont pas accès au droit fondamental à la santé illustre concrètement cette absence de l’État qui prend soin.

Cet attachement à un État fort qui tient son rang et son rôle sur les questions d’aménagement du territoire et de péréquation, y compris en termes de moyens, n’est pas contradictoire avec notre volonté de défendre ardemment la commune et le principe de libre administration des collectivités locales. De ce point de vue, je le dis avec les maires de France : les communes, piliers de la République de proximité, ne demandent pas à être flattées ; elles veulent seulement être écoutées, accompagnées, respectées. Une chose est de saluer leur mobilisation exemplaire pendant la crise sanitaire, une autre est de veiller à ce que les compensations des dépenses interviennent dans les temps et à l’euro près, ce qui n’est pas le cas. Le niveau de dépendance des collectivités à l’égard de l’État a augmenté de façon préoccupante du fait de la suppression de la taxe d’habitation, pour les communes, et de la suppression des impôts de production, pour les intercommunalités.

Les députés de la majorité pourraient crier en chœur : hors sujet ! Eh bien, non ! Car moins l’État assure, moins l’État assume, moins l’État protège, plus il est enclin à se délester sur les collectivités locales en leur demandant de financer ce qu’il n’est plus en situation d’assumer lui-même. Les routes nationales abandonnées, les petites lignes nécessaires pour aller se soigner, travailler ou se former, l’invitation à participer aux investissements pour pallier l’abîme de l’hôpital public en sont l’illustration.

Hormis les outre-mer et la Corse, qui peuvent légitimement prétendre à une adaptation, la différenciation nous semble dangereuse pour l’unicité de la République. La décentralisation à la carte est tout aussi dangereuse, qui explose l’unicité de la France « façon puzzle », comme on dit chez les Tontons flingueurs ! Enfin, on a peine à croire sur le terrain que la déconcentration corrigera concrètement le déménagement du territoire et la préoccupante métropolisation des réponses publiques depuis la loi NOTRe. D’ailleurs, les corrections que le Président de la République, à Bourgtheroulde, chez notre collègue de l’Eure, avait envisagé d’y apporter ne sont pas dans ce projet de loi.

Votre admirable sens de l’égalité consiste à donner tout à ceux qui ont déjà beaucoup. Le couple préfet-maire est un couple à l’ancienne, où le premier décide de tout, tout le temps, pour toute la famille. Dans les faits, les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) continuent de faire pression sur les maires pour réduire les classes, voire pour supprimer des écoles en milieu rural. Dans le même temps, les sous-préfets continuent d’être notés en fonction des intercommunalités mastodontes qu’ils construisent, voire qu’ils imposent dans les territoires.

Quant à l’objectif que vous assignez de réduire ce qui fait obstacle au quotidien à l’exercice des missions des maires – plans de prévention des risques inondation (PPRI), plans de prévention des risques naturels (PPRN), défense incendie –, ces normes sont élaborées loin du cœur, loin des yeux, en tout cas loin du terrain, complexifiant l’exercice quotidien de nos maires. Tout semble conçu comme s’il s’agissait de faire entrer les élus locaux dans des moules confectionnés loin des réalités quotidiennes.

Si certains dispositifs vont dans le bon sens lorsqu’ils sont accompagnés financièrement – Action cœur de ville apporte vraiment des corrections dans les villes moyennes –, force est de constater que la généralisation des appels à projets, dans des délais intenables techniquement, voire administrativement, est de nature à renforcer les inégalités territoriales. Les collectivités ne sont pas toutes armées de la même manière en ingénierie et en compétences pour y répondre.

Renforcement du poids des élus et des usagers dans la gouvernance et l’élaboration des réponses aux questions qui les concernent en matière de santé et de logement, place essentielle du couple communes-département dans l’action de proximité, renforcement du rôle des régions et de l’État dans l’aménagement du territoire, j’espère que le débat nous permettra d’aborder tous ces sujets.

M. Raphaël Schellenberger. Au départ, il y avait une difficulté majeure de votre pouvoir avec les corps intermédiaires. La première crise d’ampleur du quinquennat, celle des Gilets jaunes, est née, sans conteste, de votre incapacité à concevoir que la décision publique se construit avec des acteurs intermédiaires – des relais dans l’entreprise, dans la vie associative et les fédérations ou les collectivités territoriales, dans la vie politique. Vous avez entendu la critique politique sur l’absence de prise en compte des territoires et la déconnexion de la réalité des collectivités territoriales. Vous avez tenté d’apporter une réponse avec la loi « engagement et proximité », qui cherchait à répondre à la question de la place des maires, à peu près au moment où il fallait recruter des candidats aux élections municipales. C’était opportun !

Au cours de la discussion de ce texte, on a beaucoup parlé d’Alexis de Tocqueville, de sa conception de la démocratie en Amérique et de la nécessité de faire confiance à la proximité et à cet échelon où le citoyen comprend et participe activement à la décision publique locale. Mais attention, le cadre était posé : il n’y aurait pas de Grand soir de l’organisation territoriale en France, même si tout le monde convenait que le principal grain de riz dans les rouages – qui était tout même très gros – était cette loi NOTRe, voulue sous le quinquennat précédent par nos amis socialistes. Il y avait donc à la fois une promesse de stabilité – on ne touche pas à la loi NOTRe – et une promesse de récupération des corps intermédiaires.

La loi « engagement et proximité » n’était pas suffisante et il fallait bien que la ministre de tutelle du ministre délégué qui l’avait soutenue propose un texte plus ambitieux. Naquit le projet de loi « 3DS » – déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification, cette dernière remplaçant avantageusement le terme de « décomplexification » un temps évoqué par le Premier ministre. Si cela est plus simple à comprendre, ces termes ne veulent pas dire grand-chose pour les Français.

Nous qui sommes tous, notamment au sein de cette commission, des spécialistes de la construction de la décision publique locale, de l’administration locale, nous savons à peu près ce que signifie « décentralisation ». La « déconcentration », ceux qui ont fait un peu de droit l’ont rencontrée au moins une fois au détour d’un cours et ceux qui ont exercé des mandats locaux ont à peu près compris qu’il s’agissait du sous-préfet. Quant à la « différenciation », c’est la recette miracle : quand le système ne marche pas, on invente un nouveau terme ! Dans tous les cas, on cherche à apporter une réponse complexe à un problème pourtant simple : la responsabilité et la capacité d’agir des élus locaux. Avec la loi au titre pompeux de « nouvelle organisation territoriale de la République », on a compliqué la capacité d’agir des élus locaux. Plutôt que de leur rendre la capacité d’agir en les laissant simplement faire ce dont ils avaient besoin, se saisir des problèmes, créer des politiques innovantes et de nouveaux moyens d’action, on leur a dit de demander s’ils en avaient le droit, et que, si l’on jugeait cela opportun sur leur territoire, alors peut-être on légiférerait pour leur donner le droit de faire ! C’est là une façon bien compliquée de concevoir un système simple d’action locale et d’action efficace.

Je sais qu’il est très difficile d’accepter l’idée que d’autres que soi-même peuvent faire bien, différemment et efficacement. On le voit y compris dans les collectivités territoriales, quand le département et la région ne s’entendent pas ou quand le département et les communes ont des objectifs différents. Pourtant, c’est aussi cela l’administration locale, la libre administration des collectivités. C’est ce qui fait la beauté de notre politique locale que chacun puisse librement s’administrer, même de façon différente. Malheureusement, ce n’est pas tout à fait l’esprit de ce texte, qui se fonde plutôt sur la volonté de contrôler ce que feront les collectivités locales, considérées comme des niveaux infra de l’État, des exécutantes des décisions du niveau central. Cela ne nous satisfait pas.

Le texte du Sénat est un minimum. Malheureusement avec quatre-vingts amendements de suppression déposés par vos rapporteurs et plus de 60 % de nos amendements jugés irrecevables, il nous semble difficile de tomber sur un point d’accord.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je partage la vision de Rémy Rebeyrotte d’une intercommunalité qui conforte les communes. C’est toujours ce que j’ai pensé et en quoi j’ai cru. Ce texte ne fragilise en rien les communes, bien au contraire. Merci de l’avoir rappelé.

Nous sommes absolument d’accord sur l’unicité de l’État dans les territoires. J’indique à monsieur Jumel que les préfets représentent l’ensemble du Gouvernement, l’ensemble des ministres. Notre destin ne passe pas par le ministère de l’Intérieur, sauf pour l’aspect sécuritaire. Amélie de Montchalin et moi-même travaillons en permanence avec les préfets. Je crois à cette unicité ou unité de l’État, car il est impossible que certains établissements publics oublient les liens qui les unissent à l’État, ce qui est souvent reproché dans les territoires.

Vincent Bru s’est préoccupé de la recherche de la fluidité de l’action publique : elle s’inscrit précisément dans l’esprit de notre loi, tout comme la confiance et la proximité. S’agissant de la possibilité de donner délégation pour les gestionnaires de collège et de lycée, nous en avions introduit le principe dans la loi. Le Sénat l’a supprimé, non pas parce qu’il n’était pas d’accord, mais parce qu’il trouvait que nous n’allions pas assez loin. Bien évidemment, il faut répondre à la demande de clarification des relations des gestionnaires dans les collèges et lycées. Le Gouvernement a présenté par voie d’amendement une nouvelle proposition, qui, je l’espère vous satisfera.

Monsieur Hervé Saulignac, je crois que vous vous êtes trompé de quinquennat ! Contrairement à ce que vous avez indiqué, nous avons entrepris des réformes structurantes. Pérenniser la loi SRU n’est pas totalement secondaire, c’est important. Décentraliser 50 % du réseau routier national l’est tout autant. Quant à l’expérimentation de la reprise du financement du RSA par l’État, je rappelle qu’il s’agissait d’une demande des départements, en particulier ceux de gauche. Nous avons passé un accord construit avec monsieur Stéphane Troussel. Tout cela a du sens. Il s’agit de mesures structurantes et il nous faut travailler ensemble dans un esprit constructif.

Je le souligne, car vous avez indiqué qu’il avait donné un avis négatif, que le Conseil d’État peut émettre des remarques sur certains articles mais ne donne pas d’avis sur les projets de loi. Votre expression n’est donc pas juste.

J’ai toujours cru à la république des territoires. Nous n’avons pas envisagé de grandes réformes territoriales car, dès notre arrivée au pouvoir, les élus ont réclamé une pause. Les réformes avaient été très nombreuses depuis 2010. Je n’en dis pas plus pour ne pas être désagréable – je vous aime bien.

Monsieur Morel-À-L’Huissier, je suis d’accord avec vous, ce projet de loi n’est pas équivalent aux lois Defferre votées sous la présidence de François Mitterrand à partir de 1982. À l’époque, tout était à faire, car il s’agissait de changer un système entièrement centralisé et jacobin. Je m’en souviens car, en 1983, j’étais conseillère municipale. Les lois de décentralisation de Jean-Pierre Raffarin n’avaient déjà pas non plus l’ampleur des lois Defferre. On entend dire qu’il faut toujours plus décentraliser, mais arrive un moment où on se heurte au mur du régalien. Les Français sont aussi attachés à l’État, monsieur Jumel l’a rappelé, comme garant de l’égalité des droits et des devoirs, quel que soit l’endroit où l’on vit.

La différenciation, c’est aider par la contractualisation les territoires qui en ont le plus besoin et reconnaître la spécificité de leurs problèmes. Il peut s’agir de problèmes liés à l’hyper-ruralité, comme ceux que connait la Creuse ; à la désindustrialisation, comme ceux que connaît le territoire de Sambre-Avesnois-Thiérache, dans lequel je me suis rendue avec le Président de la République, ou encore à la montagne. Quand nous votons une loi montagne, que nous signons un pacte comme celui du territoire de Sambre-Avesnois-Thiérache ou que nous mettons en œuvre un plan pour la Creuse, nous faisons bien de la différentiation. Je rappelle qu’une étude du Conseil d’État recommandait d’élargir l’expérimentation et la différenciation, et que la politique de différenciation est menée dans le cadre de la loi organique du 19 avril 2021, qui a été votée à une large majorité.

Monsieur Molac, la France n’est pas un État fédéral et je pense que la majorité des Français n’en voudraient pas. Ce n’est pas notre histoire et c’est ce que je sens. Ce n’est pas parce que je suis ministre que je ne connais pas les territoires. La déconcentration, c’est la présence de l’État dans les territoires qui se manifeste par l’ensemble des personnes qui agissent au nom de l’État, mais le préfet a vocation à les représenter toutes.

De nombreuses petites lignes de chemin de fer ont été fermées, mais beaucoup de régions ont depuis demandé leur réouverture. L’État et la SNCF ont donc signé des accords avec les régions. C’est une bonne chose et je suis allée moi-même signer de tels accords, dans le Grand Est et chez moi en Centre-Val de Loire. En signant ces accords, l’État ne se décharge pas de ses responsabilités. Les collectivités territoriales ne peuvent pas tout faire toutes seules. C’est en travaillant main dans la main qu’on arrive à trouver des solutions.

Vous êtes contre la recentralisation du RSA ; je vous rappelle qu’il s’agit d’une demande des élus. Cette demande a d’abord émané d’élus de gauche de territoires urbains, mais elle est aujourd’hui également portée par des élus de droite de territoires ruraux. Je ne parle pas de ceux du centre, car sinon vous m’accuseriez de faire de la politique.

Enfin, je ne suis pas sûre que le transfert d’une quote-part de TVA aux régions constitue un recul des moyens des régions.

Monsieur Schellenberger, nous n’avons pas souhaité traiter du périmètre des régions dans ce projet de loi. La loi sur la collectivité européenne d’Alsace a été faite à la demande des Alsaciens ; ce n’est pas nous qui leur avons demandé de passer de deux départements à une seule collectivité. J’ai beaucoup travaillé avec Édouard Philippe pour la satisfaire et ce travail a abouti aux accords de Matignon qui posaient deux conditions à la création de la collectivité européenne d’Alsace : la nouvelle collectivité devait rester dans la région Grand Est et elle ne devait pas avoir de statut particulier. La loi créant cette collectivité ne vous satisfait peut-être pas entièrement, mais elle est le signe que nous avons tenus les engagements que nous avions pris.

Vous m’invitez à expliquer la cohérence entre la loi « engagement et proximité » et la loi « 4D ». La réponse est simple : elles ont été construites dans le même esprit de confiance entre les élus et les collectivités territoriales, mais la loi « engagement et proximité » traite du couple communes et intercommunalités alors que la loi « 4D » se concentre sur les politiques publiques des collectivités en général. Elles sont donc complémentaires.

Monsieur Jumel, j’ai bien aimé votre expression « prendre soin ». C’est le rôle de l’État, associé aux collectivités territoriales, de prendre soin de nos concitoyens. J’ai été maire pendant vingt-cinq ans. Rien dans cette loi n’abîme les mairies ou les collectivités territoriales en général. Par ailleurs, la suppression de la taxe d’habitation est compensée à l’euro près.

Vous estimez que l’État n’a pas fait grand-chose pendant la crise sanitaire.

M. Sébastien Jumel. Je n’ai pas dit cela. L’engagement des collectivités pendant la crise sanitaire n’a pas été compensé. L’Association des maires de France (AMF) le dit elle-même !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’AMF ne détient pas la vérité !

Pendant la crise sanitaire, l’État a mis en place un filet de sécurité pour les collectivités territoriales, et nous avons récemment décidé de prolonger à l’année prochaine certaines mesures de la loi de finances de l’année dernière, notamment celles concernant les régies. On ne peut pas à la fois nous reprocher de ne pas en faire assez et de ne pas surveiller suffisamment les finances de l’État. Nous essayons de respecter un équilibre.

Concernant les appels à projets, je suis plutôt d’accord avec vous. Je préfère, dans mon ministère, déconcentrer les financements. Cela dit, nous avons développé, avec l’Agence nationale de cohésion des territoires, l’accompagnement en ingénierie. C’est un acquis important pour les territoires.

Monsieur Molac, les régions et le Gouvernement sont très liés pour la gestion des fonds européens.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur Euzet, vous m’avez interrogée sur les projets qu’on pourrait imaginer pour informer proactivement les citoyens et leur fournir une assistance de manière proactive.

L’information proactive permet aux citoyens de mieux connaître leurs droits. On le fait déjà concernant l’éligibilité des collégiens et des lycéens aux bourses scolaires, car le taux de non-recours aux bourses est aujourd’hui encore élevé. On peut aussi informer les citoyens des démarches d’inscription sur les listes électorales au moment où ils signalent leur changement d’adresse sur la carte crise après un déménagement. À partir du moment où l’administration est au courant d’une démarche ou d’une situation, elle informe les citoyens d’autres droits et démarches. On peut appliquer ce principe dans de très nombreux domaines, mais le plus intéressant pour le citoyen, c’est qu’il n’ait pas à faire de démarches du tout s’il estime que l’information que détient l’administration sur sa situation est correcte.

Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit que toute personne touchant le minimum vieillesse ou le RSA sera automatiquement éligible et inscrite à la complémentaire santé solidaire. Je peux citer d’autres exemples : les pensions alimentaires fixées à la suite d’un divorce, qui, à partir de 2022, seront automatiquement versées par l’intermédiaire de la caisse d’allocations familiales (CAF), sauf avis contraire des deux époux ; l’allocation de rentrée scolaire ; le chèque énergie ou la déclaration automatique d’imposition depuis 2020.

Nous devons changer notre vision de l’administration. Elle ne peut être réduite à un ensemble de guichets derrière lesquels les fonctionnaires attendent que le citoyen bien informé trouve le bon guichet pour faire valoir ses droits. Cela reviendrait à organiser institutionnellement le non-recours. L’administration doit se mettre au service de l’exercice réel des droits que vous, parlementaires, avez ouvert aux citoyens. À partir du moment où l’administration sait qu’un citoyen est éligible à tel ou tel droit, elle doit lui y donner accès.

Pendant la crise sanitaire, l’État a mené des actions différentes qui ont bien fonctionné. Ainsi, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a appelé par téléphone les personnes âgées isolées qui touchaient une retraite inférieure au minimum vieillesse et qui n’avaient pas d’autres revenus, pour les aider à activer le minimum vieillesse, si elles le souhaitaient. Un autre exemple de la lutte pied à pied, citoyen par citoyen, contre le non-recours est le préremplissage en temps réel de demandes de certaines aides sociales, comme l’aide personnalisée au logement (APL), à partir de données fiables. Ce principe de contemporanéisation des aides sociales est un mécanisme efficace de lutte à la fois contre le non-recours et contre la fraude. À partir du moment où les informations sur l’éligibilité aux droits sont fiables et échangées directement, le citoyen qui a accès à un droit perçoit la prestation alors que celui qui n’y est pas éligible n’y aura pas accès. Les critiques de ceux qui associent l’ouverture de nouveaux droits à l’augmentation de la fraude deviennent ainsi stériles.

Le principe de proactivité est essentiel à une administration moderne qui génère de la confiance. Il permet à l’administration, comme le recommande Pierre Rosanvallon, de créer de la certitude et de la prévisibilité.

Monsieur Jumel, je tiens à vous dire de la façon la plus solennelle que le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble des ministres souhaitent que le préfet soit celui qui incarne l’ensemble des politiques publiques dans les territoires. Pour faire vivre cette vision, nous nous sommes engagés, lors des deux derniers comités interministériels de la transformation publique à Mont-de-Marsan et à Vesoul, à ce que les préfets soient évalués sur les résultats des politiques publiques que les Français voient dans leur vie quotidienne.

Ces résultats sont publiés par le baromètre de l’action publique, disponible sur le site du Gouvernement. Grâce à cet outil, il suffit de taper son code postal pour visualiser les résultats des quarante-trois politiques prioritaires définies par le Gouvernement qui sont autant d’enjeux dans la vie quotidienne des Français : accès au numérique par la fibre, santé, éducation, apprentissage, etc. Pour chacune de ces politiques, des indicateurs présentent la situation initiale depuis 2017, la valeur actuelle, ainsi que la cible en 2022. C’est sur la base de ces résultats que le Premier ministre a envoyé à chaque préfet sa lettre de mission. La feuille de route de l’Oise n’est pas celle de la Seine-Maritime, qui n’est pas celle de l’Isère. Ce changement majeur s’inscrit dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique que je porte activement. Il implique que nos fonctionnaires soient évalués non plus à partir d’indicateurs de moyens budgétaires, mais à partir d’indicateurs mesurant l’impact réel de l’action publique dans la vie de ceux et celles qu’ils servent chaque jour avec beaucoup d’ambition et beaucoup de volonté.

M. Sébastien Jumel. Donner au préfet, au DASEN ou au directeur d’ARS le soin de mettre en œuvre les politiques publiques ne garantit pas l’unicité de la République. Je travaille depuis plusieurs semaines sur la lutte contre les déserts médicaux. Certes, des situations différentes demandent des réponses différentes, c’est le sens de la différenciation, mais à situation égale, à besoin de santé équivalent et à déserts médicaux équidistants, les réponses publiques varient sur l’ensemble du territoire national du simple au quadruple.

Je respecte profondément les hauts fonctionnaires, ils sont consubstantiels à l’unicité de la République à laquelle je suis attaché. Mais je constate que beaucoup de DASEN conditionnent la mobilisation de la DETR ou de la DSIL à la fermeture par les maires des écoles qu’ils jugent trop petites, alors même que le Président de la République a déclaré qu’aucune école ne sera fermée sans une délibération du conseil municipal pour respecter la libre administration des communes. C’est la réalité des territoires !

De la même manière, alors qu’on a dit qu’il ne fallait pas de big bang territorial, qu’il fallait faire une pause dans le processus de création d’intercommunalités, et malgré l’analyse, y compris politique, des retours d’expérience des commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), je connais des sous-préfets, et pas seulement dans mon arrondissement, qui vont voir les responsables d’intercommunalités pour leur dire qu’elles sont trop petites et qu’il faut poursuivre les fusions à tout prix. Font-ils du zèle ou agissent-ils sciemment en contradiction avec les objectifs fixés par le législateur ? Voilà ce que je voulais dire en parlant, d’un côté, des orientations stratégiques et, de l’autre, de la réalité du terrain.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Sur l’intercommunalité, je vous demande de me donner des exemples précis.

M. Sébastien Jumel. Je vous en donnerai

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les préfets n’ont reçu aucune injonction du Gouvernement de demander aux petites intercommunalités de fusionner. Il peut arriver tout au plus que des préfets ou des sous-préfets le suggèrent dans le cadre de discussions informelles.

La loi « engagement et proximité », portée par Sébastien Lecornu, prévoit au contraire la possibilité de sortie d’une structure intercommunale. L’État a ainsi récemment autorisé la scission de la communauté de communes des Hautes-Vosges. Il existe un autre cas dans le Morbihan. Les injonctions à fusionner ont pu exister dans le passé ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur Jumel, ce que vous avez dit est très important. La mise en œuvre des politiques publiques par les préfets ne se fait pas nécessairement de manière homogène et c’est pour cela que nous avons créé le baromètre de l’action publique. Depuis son élection, le Président de la République a une obsession, qui est celle de s’assurer que, malgré les spécificités et les difficultés de chaque territoire, les résultats des politiques publiques soient les mêmes pour tous les Français.

Prenons l’exemple des maisons de santé pluriprofessionnelles, qui sont une vraie réponse à la désertification médicale tout en facilitant l’exercice coordonné, la libération de temps médical et la santé de proximité. Il en existe trente en Seine-Maritime, onze dans l’Orne, vingt-trois dans l’Eure, seize dans le Calvados et vingt et une dans la Manche, soit un total de 101 maisons en Normandie et 130 en Bretagne. Ce n’est pas parce que, tout ministre que l’on est, nous avons fixé des objectifs qu’ils se réaliseront. Nous suivons donc département par département leur réalisation. C’est notre obsession. Le baromètre de l’action publique permet justement de suivre la réalisation de nos objectifs en toute transparence. Ainsi, pour les maisons pluriprofessionnelles de santé, nous constatons que l’objectif est atteint en Seine-Maritime alors que d’autres départements en sont plus éloignés.

M. Sébastien Jumel. L’Orne et la Manche, par exemple.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous reconnaissons donc que certains objectifs ne sont pas atteints. Nous donnons alors aux acteurs de terrain des outils pour atteindre les objectifs et ces outils ne se réduisent pas à des moyens budgétaires. Ceux-ci, en effet, ont souvent été accordés de façon homogène. Par conséquent, si les objectifs ne sont pas atteints, c’est bien qu’il existe également d’autres enjeux, notamment de coopération et de travail politique.

Je me rends régulièrement sur le terrain, comme tous les ministres, car le Gouvernement ne considère pas que les territoires doivent se débrouiller avec les moyens qui leur sont accordés. Ce gouvernement est exigeant quant aux résultats qu’il veut apporter à chaque Français.

M. Jean-Félix Acquaviva. Ce projet de loi était attendu. Il suscite quelques regrets, mais aussi des espoirs.

Les regrets concernent la conception par le projet de loi de la différenciation et du pouvoir réglementaire. Ce texte nous semble avoir davantage une portée pédagogique qu’un véritable pouvoir normatif. Le Sénat l’a d’ailleurs souligné en se rapportant aux avis du Conseil d’État ou à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la déclinaison du principe d’égalité dans le respect de l’article 73 de la Constitution prévoyant la catégorisation des collectivités territoriales : celles de droit commun, celles d’outre-mer et celles à statut particulier, dont la Corse fait partie.

Nous espérons, par des amendements, pouvoir renforcer le pouvoir réglementaire local sur les compétences des collectivités, qui reste trop subsidiaire, et améliorer la procédure de demande d’adaptation des lois et des règlements, qui est aujourd’hui trop contrôlée en opportunité par l’administration centrale. Les élus du peuple doivent être placés au centre des discussions avec l’État et avec le Gouvernement. Cela nous semble essentiel d’un point de vue démocratique.

Je le dis sans polémique, madame Gourault, mais je regrette de vous entendre dire qu’il faut réduire l’ampleur de la décentralisation, car nous aurions connu un trop grand mouvement de décentralisation à la suite des lois de décentralisation initiales. Cela me rappelle le principe de la productivité marginale en économie. Si on rentre dans le détail des échanges d’expérience des collectivités à statut supposément particulier, comme la Corse, on constate que l’État a donné d’un côté, mais n’a pas transféré de l’autre, je pense notamment au transfert de charges.

Je rappelle également que les élus corses n’ont reçu aucune réponse positive aux soixante-dix demandes d’adaptations réglementaires qu’ils ont faites en vingt ans. J’espère que nous pourrons rattraper les choses au fil des débats. Je constate que le Gouvernement a répondu favorablement aux demandes des élus alsaciens concernant la création de la collectivité européenne d’Alsace ainsi qu’à celles de recentralisation du RSA. J’espère qu’il saura répondre favorablement aux demandes réitérées des élus régionalistes corses, qui ont été validées par le suffrage universel, à plus de 70 %, lors des dernières élections territoriales, car le choix de répondre à certaines demandes et pas à d’autres me semble plus politique que juridique.

M. Rémy Rebeyrotte. Les préfets doivent retrouver un rôle majeur de coordination de l’action publique, dans tous ses domaines. Nous avons tous connu des situations abracadabrantesques. Par exemple celle où le préfet attribue une subvention au titre de la DETR pour financer des travaux de modernisation d’une école que le DASEN propose de fermer deux ans après. Autre exemple, dans le domaine de la santé : il arrive qu’un directeur de l’ARS soit obligé d’appeler le préfet à la rescousse, car il n’arrive plus à gérer une situation difficile avec les usagers à la suite d’une décision prise hâtivement. Je suis en train de le vivre sur mon territoire. Je ne parle même pas de la crise sanitaire au cours de laquelle il y a eu, dans certaines régions, des problèmes de coordination entre la préfecture et l’ARS. Nous avons besoin d’un préfet qui incarne pleinement l’unité de l’État. De nombreux collègues y sont très attachés et c’est en cela que cette loi est importante.

On parle beaucoup de décentralisation, mais on parle nettement moins de déconcentration. Il est tout aussi important pour les élus locaux d’avoir une décentralisation réussie qu’une déconcentration réussie.

M. Sébastien Jumel. C’est une question qui n’est pas abordée dans la loi.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Acquaviva, je n’ai pas dit que les lois de décentralisation de 1982 et 1983 étaient trop importantes. J’ai dit qu’elles étaient très importantes puisqu’elles s’attaquaient à un État entièrement centralisé.

Par ailleurs, je crois savoir que le rapporteur fera des propositions intéressantes sur la procédure de demande d’adaptation des collectivités. Ces propositions devraient vous satisfaire doublement, puisqu’elles sont très intéressantes sur le fond et viennent du rapporteur.

 

 

La réunion se termine à 19 heures 10.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Ian Boucard, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, M. Philippe Dunoyer, M. Christophe Euzet, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, M. Victor Habert-Dassault, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Kamowski, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Oppelt, M. Didier Paris, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger

Excusés. - Mme Marie-George Buffet, M. Éric Ciotti, Mme Lamia El Aaraje, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, M. Sylvain Waserman

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Claude Leclabart