Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de M. Julien Boucher, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides est proposée par le Président de la République (M. Raphaël Schellenberger, rapporteur)                             2

 Vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement  14

 Examen du rapport de la mission d’évaluation de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (Mme Coralie Dubost et M. Dominique Potier, rapporteurs)                             15

 

 

 

 

 


Mardi
22 février 2022

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 52

session ordinaire de 2021-2022

Présidence
de Mme Yaël Braun-Pivet,
Présidente


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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne M. Julien Boucher, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides est proposée par le Président de la République (M. Raphaël Schellenberger, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous sommes réunis pour procéder à l’audition de M. Julien Boucher, dont la nomination à la fonction de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est proposée par le Président de la République.

Monsieur Boucher, vous avez été nommé à cette fonction à la suite d’une audition et d’un vote de la commission des Lois intervenus le 3 avril 2019. Nous vous entendons de nouveau car le Président de la République souhaite renouveler votre mandat à la tête de l’OFPRA.

Comme à l’accoutumée, j’ai désigné un rapporteur, M. Raphaël Schellenberger, du groupe Les Républicains, qui vous a adressé un questionnaire.

Une fois que cette audition sera terminée, je vous demanderai de vous retirer et nous procéderons aux opérations de vote. Le dépouillement aura lieu demain, après votre audition par le Sénat, puisque, s’agissant d’une nomination par le Président de la République, les deux commissions des Lois doivent statuer.

M. Raphaël Schellenberger, rapporteur. Monsieur Boucher, vous avez été nommé directeur général de l’OFPRA par décret du 10 avril 2019. À la suite de la proposition du Président de la République de vous reconduire à cette fonction pour trois années supplémentaires, notre commission vous reçoit afin d’apprécier à la fois votre bilan, votre regard sur l’institution, les enjeux que vous identifiez et vos priorités si votre nomination était confirmée.

Je rappelle que cette procédure de nomination est prévue à l’article 13 de la Constitution, qui soumet la décision du Président de la République à l’avis des commissions parlementaires compétentes, en l’occurrence les commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cet avis n’est réputé défavorable que si les votes négatifs représentent les trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Revenons d’abord sur votre parcours professionnel. Vous intégrez en 2002 le Conseil d’État en tant qu’auditeur, puis êtes maître des requêtes à partir de 2005. En 2007, vous devenez rapporteur auprès de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et, en 2011, conseiller pour les affaires constitutionnelles auprès du secrétaire général du Gouvernement. De 2012 jusqu’à votre nomination comme directeur général de l’OFPRA en 2019, vous êtes directeur des affaires juridiques au secrétariat général du ministère de la Transition écologique et solidaire et du ministère de la Cohésion des territoires.

Vous disposiez d’une bonne connaissance du droit de l’asile avant même votre nomination à la tête de l’OFPRA, puisque vous aviez exercé au Conseil d’État la fonction de rapporteur public à la section du contentieux, au sein d’une chambre chargée notamment des recours en cassation contre les décisions de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). L’exercice, par la suite, de la fonction de directeur des affaires juridiques en ministère vous a de surcroît doté d’une connaissance approfondie du fonctionnement de l’administration centrale et a développé votre pratique managériale.

À la tête de l’OFPRA, vous avez été confronté à des défis de taille, parmi lesquels l’augmentation massive des moyens octroyés à l’établissement, l’impératif de réduction des délais de traitement des demandes d’asile, la gestion des conséquences de la crise sanitaire et le traitement de 2 500 demandes d’asile émanant de personnes évacuées d’Afghanistan par les autorités françaises depuis août 2021.

Je vous remercie d’ores et déjà pour les réponses écrites que vous nous avez fait parvenir hier, ainsi que pour celles que vous nous apporterez dans le cadre de cette audition. Elles nous permettront d’apprécier vos compétences et votre motivation pour continuer d’exercer la fonction de directeur général de l’OFPRA.

M. Julien Boucher. C’est un grand honneur pour moi de me présenter de nouveau devant votre commission, près de trois ans après ma nomination en qualité de directeur général de l’OFPRA, à l’occasion de la proposition du Président de la République de me reconduire dans ces belles fonctions.

Ce sont de belles fonctions car l’OFPRA est chargé d’une mission essentielle, dont l’actualité nous rappelle régulièrement l’évidence, comme ce fut le cas au cours de l’année écoulée avec la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan. Ce sont de belles fonctions aussi car l’OFPRA est un établissement extrêmement attachant, doté d’une identité forte et composé de femmes et d’hommes qui font preuve au quotidien d’un remarquable engagement au service de cette mission, avec la conscience aiguë de l’étendue des responsabilités qui sont les leurs vis-à-vis à la fois des demandeurs d’asile et bénéficiaires de la protection internationale bien sûr, mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens. Au moment où je m’apprête à revenir brièvement sur les réalisations de mon mandat, je tiens à souligner qu’elles sont d’abord celles des agents de l’OFPRA.

J’ai été nommé au mois d’avril 2019, dans un contexte où les demandes d’asile étaient en augmentation constante et parfois rapide depuis une décennie environ. L’année 2019 s’était d’ailleurs achevée sur le nombre historiquement élevé de 133 000 demandes introduites auprès de l’OFPRA. La croissance de la demande était en passe de compromettre les efforts accomplis par l’établissement depuis plusieurs années pour contenir les stocks de demandes en instance et réduire les délais de traitement. C’est pour cela que la loi de finances pour 2020 avait augmenté les effectifs de l’Office de 200 emplois, ce qui portait son plafond d’emplois à plus de 1 000.

Ma première priorité a donc été de concrétiser ce changement de dimension de l’établissement, dont l’effectif grossissait d’un quart, dans un contexte rapidement dominé par la crise sanitaire. Malgré les difficultés liées à la pandémie de covid-19 et grâce à la mobilisation de l’ensemble des services de l’établissement, nous avons déployé, entre la fin de l’année 2019 – car nous avions anticipé certains recrutements – et la fin de l’année 2020, une intense activité afin de pourvoir aussi rapidement que possible l’ensemble des postes créés. Il a ensuite fallu former les nouveaux collaborateurs, majoritairement des officiers de protection instructeurs. Or le parcours d’apprentissage de ces agents est particulièrement exigeant compte tenu des spécificités de leur métier, qui demande non seulement des connaissances juridiques et géopolitiques approfondies, mais aussi des savoir-faire et des savoir-être qui ne s’acquièrent que par l’expérience. En parallèle, les emprises immobilières de l’Office, à Fontenay-sous-Bois, ont dû être substantiellement étendues, qu’il s’agisse des espaces de bureaux ou de ceux destinés à recevoir du public.

Cette augmentation des effectifs a également imposé d’adapter l’organisation de l’Office, en particulier celle des divisions géographiques, qui rassemblent les officiers de protection chargés de l’instruction des demandes d’asile. La nouvelle organisation repose sur quatre binômes de divisions spécialisées par grandes zones géographiques. Elle permet de mieux concilier la spécialisation géographique, qui contribue à la qualité de l’expertise de l’établissement, et de plus larges possibilités de mutualisation du traitement des principaux flux de demandes, gage de réactivité face aux évolutions de la composition par nationalité de ces flux.

Ces dispositions ont permis, après la baisse d’activité de 2020 – liée notamment à l’interruption des entretiens d’asile pendant le premier confinement – de retrouver rapidement les niveaux d’activité décisionnelle de l’avant-crise, et même de les dépasser largement en 2021. Au cours de l’année écoulée, en effet, l’OFPRA a rendu près de 140 000 décisions sur des demandes d’asile – un niveau sans précédent, en hausse de 55 % par rapport à 2020 et de 16 % par rapport à 2019, dernière année avant la crise sanitaire.

Conformément à ce qui était attendu du renforcement des moyens de l’Office, ce haut niveau d’activité a permis une réduction massive du nombre de demandes en attente de traitement : le stock a été ramené de près de 90 000 au mois d’octobre 2020, à la sortie de la première phase de la crise sanitaire, à moins de 48 500 à la fin du mois de janvier 2022. Ce dernier chiffre équivaut à environ quatre mois d’activité de l’Office. Derrière ces chiffres, il y a autant de personnes qui attendaient une réponse de l’OFPRA, parfois depuis longtemps, et qui l’ont obtenue. Il y a aussi un examen individuel approfondi de chaque demande, à l’occasion notamment des dizaines de milliers d’entretiens réalisés par les officiers de protection. Il y a, enfin, une capacité d’expertise que l’Office a continué d’approfondir et de transmettre à ses nouveaux collaborateurs, qu’il s’agisse de la prise en compte de la vulnérabilité des demandeurs, de la connaissance approfondie des pays d’origine ou encore de la vigilance en matière de sécurité dont la loi a confié la responsabilité à l’OFPRA.

L’autre grande priorité de mon action a concerné la protection administrative et juridique des bénéficiaires d’une protection internationale. Cette mission de l’OFPRA concerne au premier chef l’établissement des documents tenant lieu d’actes d’état civil aux personnes admises à une protection, car celles-ci, ayant rompu leurs liens d’allégeance avec les autorités de leur pays d’origine, ne peuvent plus s’adresser à ces dernières pour obtenir des actes. Il faut donc que l’OFPRA les leur délivre.

Un autre aspect de cette mission de protection concerne le suivi du statut des personnes, notamment la conduite des procédures susceptibles de remettre en cause ce statut, qu’il s’agisse des renonciations volontaires ou des procédures de fin de protection que l’OFPRA est amené à engager, le plus souvent sur la base de signalements qui lui sont adressés, faisant état par exemple d’un retour dans le pays d’origine ou de menaces pour l’ordre public.

Or, au fil des années, le nombre des personnes placées sous la protection de l’Office s’est accru de façon significative, pour atteindre environ 500 000, adultes et enfants confondus. Ce phénomène est la conséquence de l’augmentation de la demande, bien sûr, mais aussi du poids de nationalités à fort taux de protection, comme la nationalité afghane, et de l’augmentation de l’activité tant de l’OFPRA que de la Cour nationale du droit d’asile. La bonne intégration de ces personnes est un enjeu essentiel, et si elle ne relève pas en elle-même des compétences de l’Office, celui-ci y contribue par son activité en matière d’état civil, car la délivrance des documents tenant lieu d’actes d’état civil est nécessaire pour l’accès des intéressés à un certain nombre de droits ou de services. Or cette activité croît, par construction, au même rythme que la population des personnes protégées. L’augmentation de cette population et la vigilance qui a été demandée par le ministre de l’Intérieur aux préfets à l’égard des personnes susceptibles de représenter une menace grave pour l’ordre public conduisent également à une augmentation de l’activité de suivi du statut.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’ai souhaité faire évoluer l’organisation de l’Office en la matière, tout en affectant une partie des renforts de 2020 à l’activité de protection administrative et juridique. Ainsi, la division de la protection a laissé la place, le 1er janvier dernier, à un « pôle protection » qui comporte deux divisions. Toutes les deux sont compétentes en ce qui concerne l’état civil, compte tenu de l’augmentation tendancielle du volume d’activité en la matière, mais au sein de l’une d’entre elles a été créé un service du suivi du statut, chargé de l’ensemble des procédures susceptibles de conduire à une remise en cause du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire.

Il est trop tôt pour mesurer les effets de cette réorganisation sur l’activité d’état civil. En revanche, la constitution du service du suivi du statut, anticipée dès 2020, a d’ores et déjà conduit à une forte augmentation de l’activité en la matière, avec notamment plus d’un millier de procédures de réexamen menées à terme, contre un peu plus de 400 l’année précédente. Il s’agit d’un travail difficile mais nécessaire car, en retirant leur statut aux personnes qui ne remplissent plus les conditions pour en bénéficier ou qui représentent une menace pour l’ordre public, il contribue à la confiance dans l’institution de l’asile.

Tels sont, à grands traits, les principaux éléments de ma gestion de l’Office au cours des trois années écoulées. Permettez-moi maintenant de dire quelques mots des priorités qui seront les miennes si je suis reconduit dans mes fonctions.

En ce qui concerne le traitement de la demande d’asile, l’enjeu immédiat consistera à mener à son terme la trajectoire de réduction du nombre de demandes en instance, qui a été engagée depuis l’automne 2020, afin d’atteindre nos objectifs en matière de réduction des délais de traitement. Ces délais, qui étaient légèrement inférieurs à cinq mois et demi en 2019, sont passés à huit mois et demi environ en 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, et se sont maintenus à ce niveau en 2021. En effet, la résorption du stock de demandes en instance a toujours, dans un premier temps, un effet négatif sur le délai constaté, du fait du traitement des dossiers les plus anciens. Mais, depuis le dernier trimestre de 2021 et la réduction massive du stock que nous avons opérée, les délais sont désormais orientés à la baisse : ils ont d’ores et déjà été ramenés à sept mois. Leur décrue devrait s’accélérer à mesure que l’on s’approche du niveau incompressible du stock.

Pour atteindre la cible ambitieuse qui a été assignée à l’établissement, à savoir un délai moyen de deux mois, des adaptations dans la façon de travailler de l’Office, notamment dans la programmation de son activité, sont encore nécessaires. Des travaux sont en cours à cet effet ; ils devront être poursuivis. Il conviendra également de mener à bien les divers chantiers ouverts en vue de moderniser, au moyen notamment des outils numériques, les méthodes de travail de l’Office ainsi que ses relations avec les usagers.

En particulier, l’OFPRA a développé un portail numérique pour rendre effective la dématérialisation de la convocation des demandeurs d’asile à l’entretien et de la notification des décisions, prévue par la loi du 10 septembre 2018. En liaison avec les services du ministère de l’Intérieur et de l’Office, ce dispositif a été déployé à compter de l’été 2020, à titre expérimental, dans les régions Bretagne et Nouvelle Aquitaine. Depuis lors, près de 8 700 comptes numériques ont été ouverts, et le bilan de l’expérimentation démontre une bonne appropriation de l’outil par les usagers et les différents acteurs, avec notamment un accès plus rapide, plus systématique et plus sûr aux courriers officiels, des délais de notification raccourcis ainsi qu’une traçabilité accrue des opérations. La généralisation du dispositif à l’ensemble du territoire métropolitain est désormais envisagée au début du deuxième trimestre, pour tenir compte du délai encore nécessaire à l’équipement en bornes informatiques de l’ensemble des structures d’accueil.

Au-delà, et afin de préserver dans la durée les acquis de la réduction des stocks et des délais de traitement, l’objectif devrait être d’accroître la capacité d’adaptation de l’OFPRA – et plus généralement de l’ensemble de la chaîne – à une demande d’asile dont l’évolution est, par construction, difficile à anticiper, et qui est susceptible, dans son niveau comme dans sa composition, de connaître des mutations rapides. Cela implique notamment de poursuivre certaines actions déjà entreprises en matière de gestion des ressources humaines, qu’il s’agisse de mieux anticiper les besoins et de fidéliser les collaborateurs de l’Office ou de continuer à adapter en permanence les modalités du traitement de la demande d’asile.

L’instruction des demandes d’asile se fait pour l’essentiel au siège de l’établissement, à Fontenay-sous-Bois. Cette concentration des moyens et de l’expertise présente de nombreux avantages. En particulier, elle favorise une productivité élevée des agents instructeurs, du fait de leur spécialisation. Elle permet aussi, grâce à la concentration de ressources rares, par exemple en matière d’interprétariat, une adaptation rapide de l’activité à l’évolution par nationalité de la demande.

Il est néanmoins important de continuer, comme nous l’avons fait ces dernières années, à assurer une présence territoriale, dont la principale caractéristique est d’être à géométrie variable. Cette présence repose en effet au premier chef sur l’organisation de missions foraines, en fonction des nécessités du moment. Leur nombre s’est considérablement accru dans la période la plus récente : cinquante en 2021, soit un niveau jamais atteint auparavant. Par ailleurs, pour le traitement des demandes d’asile outre-mer, au-delà du recours à des missions foraines, l’OFPRA dispose d’une antenne permanente à Cayenne. Il a aussi la possibilité, à laquelle il recourt largement, d’entendre les demandeurs d’asile par visioconférence. La palette de ses différents modes d’intervention devra continuer d’être mobilisée de façon souple et réactive en fonction des nécessités.

Par ailleurs, le dispositif français en matière d’asile devra, le moment venu, être adapté au nouveau mécanisme européen, en cours de négociation, dans le cadre du pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne. D’ores et déjà, il convient de tenir compte de l’entrée en vigueur, au mois de janvier, du règlement relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, qui a succédé au Bureau européen d’appui en matière d’asile. L’Agence a notamment pour mission de favoriser la convergence des pratiques nationales en matière d’asile, par exemple en adoptant des lignes directrices dont la prise en compte par les autorités nationales est obligatoire. Cette convergence constitue d’ailleurs une des priorités en matière d’asile de la présidence française de l’Union européenne. Il est nécessaire que les administrations françaises, en particulier l’OFPRA, jouent un rôle actif dans le cadre de cette nouvelle agence pour y faire valoir leurs priorités et leur expertise.

Enfin, en ce qui concerne la protection administrative et juridique, l’un des enjeux majeurs des prochaines années consistera, en s’appuyant sur l’organisation instaurée récemment, à garantir aux personnes placées sous la protection de l’OFPRA la délivrance rapide de leurs documents d’état civil, dans un contexte marqué par la complexification de cette activité, du fait notamment de l’évolution des nationalités concernées. Il conviendra également de poursuivre des travaux visant à simplifier certaines formalités pour les bénéficiaires d’une protection internationale, par exemple en favorisant la transmission directe aux administrations et organismes concernés des informations relatives à leur état civil, pour leur éviter d’avoir à les demander à l’OFPRA pour ensuite les produire devant ces administrations.

Telles sont les priorités qui, selon moi, devraient guider la gestion de l’OFPRA dans les années à venir. Il s’agira en somme, pour l’établissement, de continuer à s’adapter et à se moderniser, au service de sa mission, comme il a su le faire depuis sa création en 1952, l’année suivant celle de l’adoption de la convention de Genève. Nous célébrons en effet cette année les 70 ans de l’OFPRA, et cette histoire longue, qui est une force pour l’établissement, m’inspire surtout, au moment où je me présente devant vous, un sentiment de grande responsabilité. Je m’efforcerai, si vous me renouvelez votre confiance, d’être à la hauteur de cette responsabilité.

M. Raphaël Schellenberger, rapporteur. S’agissant d’abord de l’organisation interne de l’Office, vous avez rappelé les délais de traitement des demandes et indiqué les évolutions nécessaires pour parvenir à les réduire. Des travaux ont été engagés en ce sens, avez‑vous déclaré : pourriez-vous être un peu plus précis ?

Par ailleurs, vous avez évoqué, dans vos réponses écrites, la nécessité d’une meilleure coordination avec les autres acteurs de l’immigration, notamment l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). En quoi ce travail de coordination a-t-il consisté jusque-là ? Se poursuivra-t-il ? Quelles seront vos priorités à cet égard ?

Les procédures de l’OFPRA se numérisent de plus en plus, en interne et dans ses relations avec ses usagers. Comment conciliez-vous l’automatisation partielle du traitement avec la nécessité de conserver de l’humanité, s’agissant de décisions qui engagent la vie des demandeurs ? Le numérique vous a-t-il permis, a contrario, d’apporter des réponses plus efficaces aux enjeux de coordination européenne ? Je pense à la circulation des informations, notamment en ce qui concerne les « dublinés », dont nous avons beaucoup parlé au cours de la législature.

Par ailleurs, l’Ukraine n’est pas forcément un pays d’origine habituel des demandeurs d’asile que nous recevons. Anticipez-vous une évolution des flux au regard de la situation du pays ?

À terme, pourrions-nous envisager un système décentralisé d’instruction ou de préinstruction des demandes d’asile, y compris en dehors des frontières nationales ? Vous avez parlé des missions foraines, en métropole et outre-mer : peut-on envisager de dupliquer ce modèle dans les pays de départ ou les pays voisins ?

Enfin, s’agissant plus généralement du droit d’asile, 50 % des personnes déboutées de leur demande d’asile ne font pas l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), alors qu’elles ne bénéficient d’aucun droit à y rester et que leur situation devient donc irrégulière. Nos compatriotes ne comprennent plus cette situation. Pourquoi ne parvient-on pas à des OQTF pour 100 % des déboutés du droit d’asile ? Du point de vue de l’efficacité de la décision publique, cela paraîtrait logique.

Par ailleurs, les ressortissants de pays considérés comme sûrs par l’OFPRA se voient statistiquement plus souvent déboutés. Ne pourrait-on pas imaginer un système permettant de traiter plus vite leurs demandes ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le délai de traitement actuel avoisine les sept mois, la cible étant de deux. Or, dans les territoires d’outre-mer, notamment en Guyane et aux Antilles, il existe une procédure d’examen des demandes d’asile adaptée, prévoyant par exemple un délai plus court pour le dépôt de la demande ou encore l’obligation de se présenter en personne pour déposer le dossier. Ce dispositif permet de raccourcir considérablement les délais de traitement. Une réflexion est-elle en cours sur son éventuelle adaptation en métropole ?

Vous avez parlé des capacités d’expertise de l’OFPRA et de leur concentration dans la région parisienne. Comment concilier cet état de faits avec l’idée de certains de voir les demandes d’asile examinées dans nos consulats ou ambassades de par le monde, soit dans le pays d’origine du demandeur, soit dans un pays de transit ? Cette procédure vous semblerait‑elle compatible avec le souci d’un examen approfondi des demandes ? Autrement dit, l’expertise de l’OFPRA vous paraît-elle exportable ?

M. Erwan Balanant. L’objectif qui vous est fixé de traiter les demandes en deux mois est ambitieux, mais il est indispensable. Vous nous avez expliqué pourquoi il était difficile à atteindre, notamment eu égard à la hausse des demandes. Qu’envisagez-vous de faire pour y parvenir, et quelles en seront les implications, notamment en matière de gestion des ressources humaines ?

Vous avez évoqué la généralisation sur le territoire métropolitain, au début du deuxième trimestre, du dispositif de dématérialisation des convocations. Vous avez également indiqué, dans vos réponses écrites, que le portail, disponible en versions française et anglaise, serait rendu accessible dans plus d’une vingtaine de langues parmi les plus fréquemment parlées par les demandeurs d’asile. Cette évolution interviendra-t-elle également au deuxième trimestre ?

Mme Caroline Abadie. Toutes les régions françaises, je suppose, ne sont pas confrontées de la même manière au phénomène : avez-vous observé une augmentation particulière du nombre de demandes d’asile dans certaines d’entre elles, notamment proches des frontières ? Sur la base de cet état des lieux, vous semble-t-il opportun de déployer les capacités d’expertise dont vous parliez dans certains territoires, et de renforcer les dispositifs locaux ?

M. Ugo Bernalicis. Je vais poser encore plus directement la question de la « compétitivité » de l’OFPRA, de sa « rentabilité », ou encore de la « rationalisation » de son travail – selon les termes mis en avant dans les projets annuels de performance. Celui qui figurait en annexe du projet loi de finances pour 2022 donnait pour objectif une réduction des délais et rappelait la cible fixée par le contrat d’objectifs et de performance, à savoir un nombre de décisions par agent compris entre 404 et 412. Avec un effectif à peu près stable, et à raison de 216 jours travaillés dans l’année, cela fait deux décisions par jour. Or vous voulez encore augmenter la cadence. Comment peut-on, en une demi-journée, écouter le récit de la vie d’une personne ayant traversé la moitié de la planète et rendre une décision non seulement humaine, mais aussi respectueuse des conventions internationales dont nous sommes signataires ? Est-ce vraiment possible sans effectifs supplémentaires ? La véritable question est plutôt de savoir à quel prix, pour l’usager et pour les agents, on parvient à diminuer les délais de traitement.

M. Pierre-Henri Dumont. La liste des pays d’origine classés comme sûrs se trouve sur votre site internet ; on en compte treize. Les demandes d’asile de leurs ressortissants doivent, selon la loi, être examinées en quinze jours. La durée réelle d’examen est-elle très éloignée de ce délai ?

De quand date la dernière révision de la liste, et à quand remontait la précédente ? Selon quels critères proposez-vous au conseil d’administration de l’OFPRA d’y rajouter ou d’en exclure certains pays, en fonction des événements internationaux ? Est-il difficile de la modifier ? La liste semble assez rigide, face au mouvement du monde. Quand comptez-vous la réactualiser ?

J’aimerais enfin votre sentiment sur les différences de traitement des demandes d’asile selon les pays d’Europe. Le Royaume-Uni instruit cinq fois moins de demandes que la France pour une population à peu près équivalente. Avez-vous des échanges à ce sujet avec vos homologues britanniques ? Comment les inciter à instruire davantage de demandes, quelle que soit l’issue qu’ils leur réservent ? Le problème se pose particulièrement dans le territoire où je suis élu, puisque les demandes d’asile doivent être déposées au Royaume-Uni pour pouvoir y être traitées.

M. Christophe Euzet. Je vous prie par avance d’attribuer le caractère très direct de mes questions à ma curiosité intellectuelle plutôt qu’à une volonté de vous soumettre à un interrogatoire inconfortable.

Dans vos réponses écrites au questionnaire qui vous a été transmis, vous évoquez la restructuration des divisions géographiques de l’OFPRA ; elles associent des zones dont la réunion peut a priori surprendre – Europe-Moyen Orient ou Amériques-Maghreb, par exemple. Ces assemblages donnent-ils satisfaction ?

Le télétravail à l’OFPRA va-t-il être durablement maintenu ? Accompagnez-vous avec bienveillance le phénomène de numérisation ? Que répondez-vous à l’objection récurrente d’un risque de déshumanisation des procédures et des parcours de vie ?

En quoi les priorités de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile vont-elles affecter l’activité de l’OFPRA, y compris les subdivisions que je viens d’évoquer ?

En ce qui concerne l’objectif de réduction du stock et d’amélioration des délais de traitement des demandes d’asile, vous évoquez dans vos réponses écrites des changements apportés à la programmation de l’activité de l’OFPRA ; quels seront-ils ?

Vous avez rappelé l’augmentation significative – et réjouissante – des moyens alloués à l’Office, avec la hausse des effectifs et celle des subventions pour charges de service public. Que pourrait-on encore améliorer ?

Enfin, la liste des pays sûrs a-t-elle vocation à évoluer prochainement en raison de la situation internationale ?

M. Julien Boucher. Monsieur le rapporteur, la condition préalable de la réduction des délais est la réduction du stock de demandes en instance. Plusieurs années durant, avant que les moyens de l’Office ne soient considérablement renforcés, sa capacité décisionnelle ne pouvait absorber le flux des demandes entrantes : chaque mois, nous devions ajouter à la pile des dossiers en attente plusieurs des dossiers qui nous parvenaient. Grâce à la hausse substantielle de moyens dont nous a fait bénéficier la loi de finances pour 2020, notre capacité de décision est devenue nettement supérieure à la demande, ce qui nous a permis de réduire presque de moitié – de 90 000 à moins de 50 000 – en à peine plus d’un an le stock de demandes en instance. Il nous faut d’abord poursuivre en ce sens jusqu’à atteindre le niveau normal de traitement en flux des demandes.

Mais nous devons aussi continuer de travailler sur nos procédures. Au cours des années écoulées, nous avons déjà réformé les modalités de convocation à l’entretien – le cœur de la procédure d’examen – pour réduire les délais de convocation. Désormais, nous sommes en mesure de convoquer les demandeurs dans un délai inférieur à un mois, ce qui laisse, dans le cadre du délai cible de deux mois au total, un mois supplémentaire à la phase d’instruction postérieure à l’entretien.

La dématérialisation des convocations, qui permet de toucher le demandeur plus rapidement et de manière plus sûre, peut aussi, dans une certaine mesure, réduire le délai de convocation, et cela sans entamer la durée de préparation du demandeur, puisqu’elle supprime les délais postaux.

Nous continuons également de travailler sur la phase d’instruction postérieure à l’entretien et sur les modalités de priorisation des dossiers afin d’être plus efficaces.

Je souligne que ce délai de deux mois est une moyenne : il y aura toujours des dossiers nécessitant une instruction plus longue, du fait de vérifications approfondies impliquant l’interrogation de partenaires extérieurs dont nous devons attendre les réponses ; la qualité de l’instruction exige que nous puissions prendre du temps dans certains cas.

Le dispositif français d’asile fait intervenir plusieurs acteurs ; l’OFPRA est le principal, mais l’enregistrement des demandes relève des guichets uniques et implique les préfectures et l’OFII. La bonne coordination de ces différents acteurs est essentielle. J’y ai veillé tout au long de mon mandat. L’un des éléments fondamentaux en est la bonne circulation de l’information, en particulier la transmission des décisions de l’OFPRA aux préfectures – pour qu’elles puissent prononcer aussitôt une OQTF à l’encontre des déboutés de l’asile – et à l’OFII – pour qu’il tire les conséquences de ces décisions sur les conditions matérielles d’accueil ou tienne compte de vulnérabilités que nous aurions détectées. Ces transmissions supposent notamment l’évolution des systèmes informatiques et leur bonne interconnexion.

À l’OFPRA comme ailleurs ont été développés des outils numériques qui se sont révélés précieux dans le contexte de la crise sanitaire, lorsque nous avons dû restreindre les possibilités d’accueil physique. La généralisation du portail usager est attendue prochainement. Mais ces efforts de numérisation ne remettent pas en cause le moment essentiel de l’examen d’une demande d’asile qu’est l’entretien personnel entre l’officier de protection et le demandeur, généralement avec le concours d’un interprète. C’est dans cette phase profondément humaine qu’entrent en jeu les savoir-faire et les savoir-être des officiers de protection ; elle demeurera, car elle est au cœur de la procédure. Ce n’est pas elle qu’il s’agit de dématérialiser, mais les envois de convocations et de notifications. Même pour ces derniers d’ailleurs, nous avons prévu, conformément à la loi, la possibilité de rebasculer vers la communication papier en cas de difficultés d’accès ou de vulnérabilités.

Cela dit, contrairement à ce que l’on déduirait spontanément de la vulnérabilité des demandeurs d’asile, ceux-ci sont très majoritairement domiciliés par des structures de pré‑accueil ou hébergés dans des centres d’accueil qui peuvent leur fournir un accès au numérique. Nous avons veillé à ce que le dispositif permette aux associations qui gèrent le système national d’accueil de jouer pleinement leur rôle d’accompagnement, notamment en créant un module qui leur est destiné et qui les informe de l’arrivée du courrier électronique des demandeurs, de même qu’elles étaient précédemment averties des courriers papier ; elles peuvent ainsi le leur signaler, les aider à l’ouvrir et leur expliquer les démarches à faire.

Nous avons ainsi pris toutes les précautions pour que le développement du numérique ne restreigne pas l’accès à la procédure d’asile.

En ce qui concerne la coordination européenne, vous avez également souligné l’importance de la bonne circulation de l’information. Elle est essentielle en pratique : pour concrétiser l’idée d’un régime d’asile européen commun, il est primordial qu’en examinant la demande d’une personne, que celle-ci ait ou non été précédemment « dublinée », nous sachions aussi précisément que possible quel a été son parcours au sein de l’espace administratif européen : a-t-elle demandé l’asile ailleurs, a-t-elle obtenu une réponse, et si oui avec quelle motivation ? Le règlement Dublin organise ces échanges d’informations, mais il peut être difficile, long, voire impossible d’obtenir des réponses. Renforcer collectivement le partage d’informations pour que nous puissions statuer en toute connaissance de cause est donc crucial.

Par nature, l’évolution des flux est toujours difficile à anticiper, pour deux raisons : d’abord, les crises qui peuvent conduire à des déplacements forcés de population sont toujours imprévisibles ; ensuite, même lorsque l’on dispose d’indications sur l’existence d’une telle crise, il faut encore tenir compte de la complexité des parcours migratoires – un déplacement de population à un endroit donné ne se traduit pas nécessairement, en tout cas dans l’immédiat, par un afflux de demandeurs d’asile en France. Il faut d’ailleurs garder en tête que l’immense majorité des réfugiés dans le monde restent dans les pays voisins des zones de conflit : par exemple, les réfugiés afghans sont très majoritairement au Pakistan et en Iran, et non en Europe.

Dans le cas spécifique de l’Ukraine, si un conflit de haute intensité s’y déclare, on pourra s’attendre à des mouvements de population – sans doute en premier lieu des déplacements internes, comme souvent dans ces situations, mais aussi des demandes d’asile dans des pays européens. À ce jour, la demande d’asile ukrainienne est relativement modeste : en 2021, elle représentait un peu plus de 2 100 demandes, sur un peu plus de 103 000 reçues en tout ; certaines étaient déjà fondées sur la situation sécuritaire au Donbass, mais en proportion assez réduite. Il est difficile d’en dire plus à ce stade.

En ce qui concerne l’examen de demandes d’asile faites en dehors des frontières nationales, il faut savoir qu’il existe deux modalités permettant à une personne souhaitant demander l’asile en France d’être admise sur le sol français à cet effet. La première est la procédure de visa pour asile, qui consiste à s’adresser à un poste diplomatique ou consulaire pour solliciter un visa permettant de venir en France déposer une demande d’asile : c’est seulement sur le sol français que celle-ci peut être déposée. L’instruction de la demande de visa est assurée par les postes diplomatiques et consulaires, dont certains agents sont formés pour cela – l’OFPRA a pu, à l’occasion, y contribuer. Néanmoins, il ne s’agit pas à proprement parler d’une demande d’asile ; la décision d’octroi d’un tel visa reste essentiellement discrétionnaire. Mais c’est l’une des voies légales d’accès au territoire français en vue d’y demander l’asile.

L’autre modalité est ce que l’on appelle la réinstallation. Le Président de la République s’est engagé envers le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à réinstaller chaque année un certain nombre de réfugiés ayant gagné un premier pays d’accueil et dont la situation, notamment la vulnérabilité, justifie qu’ils soient reçus dans un autre pays dans une perspective d’installation durable. Nous organisons donc régulièrement des missions de réinstallation : nous envoyons des équipes d’officiers de protection dans les pays concernés, avec des équipes sécuritaires du ministère de l’Intérieur, pour sélectionner les dossiers, vérifier que les personnes satisfont bien aux conditions nécessaires à l’obtention du statut en France ; quand on a le double feu vert de l’OFPRA et, pour le volet sécuritaire, du ministère de l’Intérieur, ces personnes sont admises en France et y bénéficient dès leur arrivée de la protection internationale.

Ces deux modalités, qui reposent sur une action volontaire de la France, ne la dispensent en aucune manière d’examiner les demandes d’asile présentées sur son sol par des personnes qui y sont venues, régulièrement ou non, par d’autres moyens. C’est la concrétisation du principe de non-refoulement, cardinal en matière d’asile, issu notamment de la convention de Genève, mais qui a aussi un fondement constitutionnel en France.

L’éloignement des déboutés du droit d’asile est une question importante qui ne relève pas de la compétence de l’OFPRA. Je l’ai dit, l’un de ses enjeux est la bonne circulation de l’information. Nous transmettons tous les jours aux préfectures nos décisions définitives pour les mettre en mesure de prendre des OQTF lorsque les personnes ont été définitivement déboutées de leur demande d’asile, ce qui arrive normalement après la décision de la Cour nationale du droit d’asile, mais peut se produire avant, notamment pour les ressortissants des pays d’origine sûrs, qui ne bénéficient pas du droit au maintien sur le territoire lorsqu’ils forment un recours devant la CNDA. Par ailleurs, même si la loi prévoit qu’une personne définitivement déboutée doit quitter le territoire français, il existe des situations dans lesquelles cette personne fait valoir un droit au séjour à un autre titre, ce qui peut expliquer que, dans un certain nombre de cas, la préfecture ne prononce pas d’OQTF.

La liste des pays d’origine sûrs est établie par le conseil d’administration de l’OFPRA, de sorte que ses modalités d’évolution sont relativement souples : il n’est pas besoin d’une loi ni même d’un décret, il suffit d’une délibération du conseil d’administration. Elle est fixée en fonction de critères définis par la loi par transposition d’une directive européenne, le législateur ayant été attentif à la situation de certains groupes de personnes vulnérables – il appartient au conseil d’administration de vérifier que les conditions requises sont satisfaites. Fin 2019, à la demande d’associations qui avaient saisi le président du conseil d’administration, il a été procédé à une revue générale de la liste, qui a abouti à son maintien en l’état. Par la suite, en raison de la dégradation des libertés publiques au Bénin, ce pays a été suspendu de la liste, avant qu’un contentieux ne conduise le Conseil d’État à transformer cette suspension en radiation pure et simple et à annuler l’inscription sur la liste de deux autres pays, le Sénégal et le Ghana, essentiellement en raison de l’existence dans ces pays de dispositions législatives criminalisant l’homosexualité. Cela résulte notamment d’une modification du cadre législatif de la notion de pays d’origine sûr dans la loi de 2018, laquelle invitait le conseil d’administration de l’OFPRA à être particulièrement attentif à la situation des personnes qui demandent l’asile en raison de leur orientation sexuelle.

Le placement d’un pays sur la liste a pour conséquence d’orienter les demandes de ses ressortissants vers la procédure dite accélérée. Nous les traitons plus rapidement que les autres mais, même si je n’ai pas de chiffres précis à vous donner, monsieur Dumont, d’autant que la liste a changé, je peux vous dire que nous ne le faisons pas en quinze jours : en pratique, compte tenu du volume de demandes, ce délai n’est pas compatible avec nos modalités d’organisation et de convocation des demandeurs. La loi oriente certes ces demandes vers la procédure accélérée, invitant donc l’OFPRA à statuer rapidement, mais ne prévoit aucun aménagement de la procédure elle-même : les garanties offertes aux ressortissants des pays d’origine sûrs sont les mêmes que pour tous les demandeurs d’asile, ce qui me paraît très important pour qu’ils puissent faire valoir le cas échéant leur besoin de protection. Du reste, même si les taux sont faibles pour ces personnes, nous accordons bien la protection à certaines d’entre elles : bien qu’un pays soit globalement considéré comme sûr, il est toujours possible que ses ressortissants y soient exposés à des persécutions. Il importe donc que nous disposions du temps nécessaire à un examen individuel des demandes, d’autant qu’une fois la décision prise, contrairement au cas général, le recours devant la CNDA n’est pas suspensif de l’éloignement. Il nous faut ainsi combiner la nécessité de statuer rapidement avec les exigences d’un traitement individuel de qualité.

Madame la présidente, il y a effectivement en Guyane des modalités procédurales spécifiques d’examen des demandes d’asile, mises en œuvre par notre antenne de Cayenne. Il s’agit notamment d’une remise en mains propres au demandeur de l’ensemble des documents. Cette disposition a pour origine les problèmes spécifiques d’acheminement du courrier dans ce territoire et la difficulté à toucher les demandeurs de manière certaine, compte tenu notamment de la prévalence de l’habitat informel et de la faiblesse du tissu associatif pour la domiciliation. Quant à notre capacité à instruire les demandes dans un délai réduit, elle est liée à l’importance des moyens que nous y avons spécifiquement consacrés. Nous n’avons pas de stock en outre-mer en général, et particulièrement en Guyane : nous nous occupons des demandes à mesure qu’elles arrivent. C’est à ce traitement en flux que nous cherchons à aboutir au niveau national. Le déstockage très substantiel auquel nous avons procédé au cours de l’année écoulée nous permet d’envisager d’y parvenir prochainement.

Pour la remise des documents, le système privilégié dans le territoire métropolitain est le dispositif numérique dont j’ai parlé et qui va permettre, une fois généralisé, d’atteindre les demandeurs de manière sûre et instantanée.

Concernant les ambassades et postes diplomatiques, ce que j’ai précédemment indiqué à propos des visas pour asile devrait répondre à la question. Je rappelle qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un examen de la demande d’asile, mais d’une forme de pré-examen qui donne lieu à un entretien et vise à permettre à l’intéressé d’entrer sur le territoire national pour y déposer une demande d’asile, laquelle fait alors l’objet d’un examen approfondi par l’OFPRA.

Monsieur Balanant, j’espère avoir répondu à vos questions sur les délais. S’agissant des effets de la gestion des ressources humaines sur la réduction des délais, la capacité de traitement de l’Office est désormais bien dimensionnée pour faire face à la demande, comme je l’ai dit. Nous avons même des marges de progression, puisque la productivité de nos agents a été affectée par la crise sanitaire, encore tout récemment avec la forte vague qui a commencé mi-décembre et qui a conduit à de nombreux isolements à domicile.

En ce qui concerne la dématérialisation, l’objectif est de la généraliser peut-être dès le mois d’avril. Nous aurons alors pu rendre notre portail, actuellement présenté en version bilingue, français et anglais, accessible dans une vingtaine de langues : c’est l’un des apports du numérique, car il n’était pas question d’envoyer des documents papier en vingt exemplaires.

Madame Abadie, il existe des variations dans la répartition territoriale des demandeurs d’asile. Leur concentration sur la plaque parisienne demeure une constante, mais, pour le reste, la situation est vraiment variable et la concentration en tel ou tel endroit à un moment donné ne tient pas nécessairement à la proximité des frontières. Nous avons donc cherché à développer des modalités d’action territoriale souples et adaptables. De ce point de vue, le système des missions foraines présente de gros avantages. Elles peuvent être déclenchées très rapidement : nous envoyons sur place une équipe d’officiers de protection qui procède à un grand nombre d’auditions en peu de temps, avant de revenir à l’Office pour assurer l’instruction des demandes et rendre les décisions ; nous combinons ainsi notre capacité de projection dans le territoire avec l’ensemble des acquis que permet la concentration des ressources rares à l’Office, à Fontenay-sous-Bois. J’ai rappelé que nous avions effectué cinquante missions foraines l’an passé, soit environ une par semaine. Notre projet est de continuer à développer ce système, en fonction, notamment, des disponibilités des préfectures, qui nous accueillent généralement dans leurs murs lors de ces missions.

Monsieur Bernalicis, vous m’avez interrogé sur la productivité des agents instructeurs de l’office. Vous avez raison de souligner que les objectifs qui leur sont assignés sont ambitieux et exigeants. Nos officiers de protection instructeurs sont sans doute parmi les plus productifs, du fait notamment de leur spécialisation géographique, gage d’efficacité. Bien évidemment, cela doit rester compatible avec un examen de qualité des demandes d’asile. J’y veille, en leur en donnant tous les moyens. Ainsi, ils peuvent compter sur les divisions d’appui à l’instruction, dédiées aux recherches géographiques sur les pays d’origine, aux affaires juridiques, etc.

Monsieur Euzet, vous m’avez interrogé sur la structure des divisions géographiques de l’Office. Elles sont liées à l’histoire, mais il y a également une part d’arbitraire – elles ne correspondent pas toujours à des unités géopolitiques cohérentes. Les divisions sont spécialisées, et en leur sein les officiers de protection instructeurs le sont aussi, c’est-à-dire qu’ils ne traitent pas toutes les nationalités de la division à laquelle ils sont affectés. Cette spécialisation géographique est gage d’efficacité mais aussi de qualité de l’examen de la demande d’asile, car il est fondamental de bien connaître le pays d’origine des demandeurs, même si nous disposons de surcroît d’outils d’appui à l’instruction pour prendre de bonnes décisions. Le regroupement par grandes zones géographiques permet en outre de répartir équitablement les flux entre les différentes divisions.

Vous m’interrogez sur le télétravail. Bien sûr, nous l’avons développé à grande échelle dans le cadre de la crise sanitaire. Il est important de le pérenniser, dans les limites compatibles avec les nécessités du métier, pour garantir la qualité de vie au travail. C’est aussi lié à notre exigence en termes de productivité : nous avons des attentes importantes, mais donnons aux agents les moyens de bien faire leur travail et veillons à préserver leur qualité de vie. Malgré tout, le télétravail a ses limites dans un établissement recevant du public. Ainsi, les entretiens se font et se feront toujours sur place ; c’est l’instruction du dossier qui peut parfaitement s’effectuer en télétravail.

Quelle a été l’incidence de la création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile sur l’OFPRA ? Le règlement qui vient d’entrer en vigueur donne une portée accrue aux lignes directrices adoptées par l’Agence. Dans les faits, il s’agit de documents qui donnent, pour chaque pays, des indications sur la manière d’appliquer les grands concepts de l’asile. Jusqu’à présent, ces documents étaient revêtus d’une certaine autorité, mais n’étaient pas d’application obligatoire. Désormais, il faudra non pas les appliquer à la lettre, mais les prendre en compte, dans un objectif de convergence des pratiques, afin que l’Europe de l’asile devienne une réalité concrète.

Nous tenions déjà compte des documents élaborés par le Bureau européen d’appui en matière d’asile, mais il faudra sans doute le faire encore davantage, et surtout s’impliquer encore plus qu’actuellement dans l’élaboration de ces documents, afin que nos priorités et notre expertise soient prises en compte par l’Agence et les autres pays européens.

Vous m’interrogez sur ce que j’entends par programmation : c’est la manière dont nous anticipons les besoins, en particulier en matière d’interprétariat. Pour examiner les demandes d’asile, il est fondamental de faire se rencontrer, au bon endroit et au bon moment, un officier de protection, un demandeur d’asile et, généralement, un interprète, sauf si l’entretien se déroule en français. Anticiper les nationalités des demandeurs d’asile qui vont présenter une demande à l’OFPRA permet de prépositionner des créneaux d’interprétariat, ce qui est fondamental pour atteindre nos objectifs en termes de délais.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci d’avoir répondu de façon si précise à nos questions.

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*     *

Puis, la Commission vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des Lois du Sénat, le mercredi 23 février à 12 heures 30 :

 Nombre de votants : 15

 Blancs, nuls, abstentions : 0

 Suffrages exprimés : 15

 Avis favorable : 14

 Avis défavorable : 1

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Puis, la Commission examine le rapport de la mission d’évaluation de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (Mme Coralie Dubost et M. Dominique Potier, rapporteurs).

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

Lien vidéo : https://assnat.fr/BzE5kf

À l’issue des débats, la publication du rapport d’information est autorisée.

 

La séance est levée à 19 heures 25.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, Mme Marie‑France Lorho, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Thomas Rudigoz, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier

Excusés. - M. Ian Boucard, Mme Marie-George Buffet, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Rémy Rebeyrotte

Assistaient également à la réunion. - Mme Mireille Clapot, M. Pierre-Henri Dumont, M. Gérard Leseul, M. Dominique Potier