Compte rendu

Commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris. 2

 Présences en réunion..............................11

 


Mercredi
3 novembre 2021

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 15

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence de

M. Meyer Habib, Président

 


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Commission d’enquÊte Chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Mercredi 3 novembre 2021

La séance est ouverte à seize heures cinq

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Présidence de M. Meyer Habib, président

 

M. le président Meyer Habib. Merci brigadier de vous être déplacé. Par souci de confidentialité, nous ne prononcerons pas votre nom et vous resterez masqué durant cette audition. Nous avons longuement auditionné le brigadier-chef avant vous. Avant de vous donner la parole, je rappelle que vous avez été, avec deux de vos collègues présents aujourd’hui l’un des primo-intervenants dans la malheureuse affaire Sarah Halimi, qui s’est déroulée rue de Vaucouleurs à Paris en avril 2017.

Avant de vous donner la parole pour quelques minutes de propos liminaires et que Mme la rapporteure ainsi que nos collègues vous posent leurs questions, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. N. prête serment.)

Brièvement brigadier, donnez-nous, quatre ans et demi après les faits, le déroulé succinct de votre intervention. Nous vous poserons ensuite des questions. Il s’agit simplement pour nous de repérer les éventuels dysfonctionnements afin d’améliorer les choses dans le futur et d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir. Une femme retraitée est morte parce que juive, en pleine nuit à Paris, ce 4 avril 2017.

M. N. Le 4 avril 2017, nous sommes appelés pour une personne qui séquestre une famille. Il s’agit d’un voisin qui séquestre la famille dans cet immeuble. Nous nous rendons sur place. Mes coéquipiers et moi-même étions dans le deuxième véhicule après le véhicule primo-intervenant.

Sur place, nous avons pris contact avec le chef de section du premier véhicule intervenant, qui m’a indiqué d’aller au troisième étage de l’immeuble et de m’équiper en gilet lourd et casque balistique, par suite des informations de séquestration dont il disposait. Je me suis rendu au troisième étage avec mes coéquipiers. Nous avons sécurisé la porte d’entrée de l’appartement dans lequel les personnes étaient séquestrées, pour le cas où l’auteur des faits sortirait de cet appartement et ce, dans l’attente de la colonne d’assaut de la BAC 75 N.

M. le président Meyer Habib. Votre prédécesseur et collègue a également employé ce terme « sécuriser ». En réalité, qu’avez-vous sécurisé ? Les escaliers ?

M. N. Nous avons été positionnés sur la porte d’entrée de l’appartement des personnes séquestrées, pour le cas où l’individu tenterait de sortir. Le but était de l’intercepter s’il sortait, et de tenter d’écouter si l’on entendait des cris, des paroles, ou autre chose.

Après quelque temps, j’ai entendu sur les ondes radio qu’une personne avait été retrouvée dans la cour intérieure de l’immeuble au sol.

M. le président Meyer Habib. Combien de temps après ?

M. N. Je pense que c’était vingt minutes après.  

M. le président Meyer Habib. Pendant ce temps, vous êtes resté derrière la porte.

M. N. Tout à fait. Nous nous trouvions dans l’attente de la colonne d’assaut de la BAC 75 N. Dès que celle-ci est arrivée, nous avons reçu pour instruction de nous rendre à l’appartement des parents de l’auteur des faits, afin d’interpeller celui-ci s’il rentrait chez ses parents. C’était un appartement voisin.

M. le président Meyer Habib. On vous a postés devant la porte de la famille Traoré. Est-ce bien cela ?

M. N. Non. Nous sommes entrés dans l’appartement des parents Traoré, qui nous ont ouvert. Nous avons d’abord sécurisé les lieux, puis nous nous sommes positionnés pour le cas où l’individu arriverait par le balcon, la porte d’entrée ou les fenêtres.

M. le président Meyer Habib. Lorsque vous entendez les cris de Mme Sarah Halimi, comprenez-vous qu’il s’agit d’une deuxième affaire ? Initialement, vous étiez venus pour ce que vous pensiez être une séquestration. Il s’avère que cela n’en était pas réellement une, mais vous ne pouviez évidemment pas le savoir. Comment réagissez-vous ?

M. N. Pour ma part, je n’ai pas entendu les cris de Mme Halimi. J’étais dans le hall d’immeuble. J’ai appris par les ondes radio qu’une personne avait été retrouvée au sol à dans la cour d’immeuble.

M. le président Meyer Habib. À aucun moment vous n’êtes descendu dans la cour ?

M. N. Non. Je suis resté sur place.

M. le président Meyer Habib. Ce sont vos collègues qui sont descendus dans la cour.

M. N. Ce sont mes collègues qui se trouvent sur place, au rez-de-chaussée. Moi je reste devant la porte de l’appartement dans lequel les personnes sont séquestrées, avec deux autres collègues.

M. le président Meyer Habib. Après quatre minutes, six personnes se trouvent devant la porte. C’est en tout cas ce qui ressort des rapports de police, avant qu’une partie ne descende.

M. N. Certains collègues se sont rendus au rez-de-chaussée.

M. le président Meyer Habib. Pourquoi ne cassez-vous la porte alors que vous avez instruction de le faire, par votre hiérarchie ?  De façon claire, il vous a été demandé de pénétrer dans l’appartement parce qu’à ce stade, les Diarra qui communiquent avec vous, disent que Traoré n’est pas armé. Il a été dit directement par les personnes séquestrées qu’il était seul et non armé. Par la suite, les témoins qui ont appelé le 17 ont indiqué que Traoré n’était pas armé. Ces témoins ont même proposé de venir à l’appartement. Le massacre de Mme Halimi a duré une vingtaine de minutes.

Pourquoi, alors que vous avez la possibilité d’entrer dans l’appartement puisque vous êtes en possession du vigic et des clés, n’entrez-vous pas directement pour essayer d’interpeller Traoré ? À ce stade, ce n’est pas encore un assassin car il n’a pas encore escaladé le balcon.

M. N. Je n’ai pas eu connaissance de cette instruction de casser la porte pour entrer dans l’appartement.

M. le président Meyer Habib. Votre chef l’a eue, ce qui n’était peut-être pas votre cas.

M. N. Non je n’étais pas au courant.

M. le président Meyer Habib. Qui était en possession du vigic et des clés ?

M. N. C’était mon chef.

M. le président Meyer Habib. Quand vous êtes entrés dans l’immeuble, était-ce avec votre chef ?

M. N. Certains de mes collègues étaient déjà sur place. Nous avons pris le temps de nous équiper en lourd. La porte d’en bas était déjà ouverte, ce qui nous a permis de monter directement.

M. le président Meyer Habib. Tout le monde a-t-il accès à la même radio, aux mêmes ondes ? Avez-vous pu écouter les instructions claires demandant que les forces présentes entrent dans l’appartement ? Êtes-vous, vous-même, en possession d’une radio ?

M. N. J’avais une radio à ma disposition, mais il y a différentes conférences : arrondissement, secteur et conférence d’état-major pour tout Paris.

M. le président Meyer Habib. Qui est en relation avec l’état-major de tout Paris ?

M. N. Exactement.

M. le président Meyer Habib. Qui reçoit cette instruction de la hiérarchie de pénétrer dans l’appartement ? Ce fait se trouve dans le dossier.

M. N. Je n’ai jamais eu cette instruction.

M. le président Meyer Habib. J’en prends acte. Avez-vous eu peur à quelque moment que ce soit ? Qu’avez-vous entendu précisément derrière la porte ?

M. N. Au début, j’ai entendu quelques hurlements de l’auteur de faits.

M. le président Meyer Habib. Des hurlements ou des prières ?

M. N. Je ne pourrais pas définir des prières.

M. le président Meyer Habib. En arabe ?

M. N. Oui en arabe, mais cela a été vraiment très succinct.

M. le président Meyer Habib. Vous étiez derrière la porte. Cela a duré cinq à six minutes. Il semblerait, d’après les auditions, que pendant ce temps il ait fait ses ablutions et ses prières. Il a dit « allahu akbar » avant de passer de l’autre côté. Lui avez-vous demandé d’ouvrir ? Vous avez entendu seulement des cris ?

M. N. C’étaient des cris forts en langue arabe.

M. le président Meyer Habib. Qu’avez-vous pensé ? Avez-vous essayé de lui parler ?

M. N. Non je n’ai pas essayé de lui parler.

M. le président Meyer Habib. Vous avez tambouriné à la porte en disant : « Police, ouvrez ? »

M. N. Il savait que la police était là.

M. le président Meyer Habib. Par conséquent, que lui dites-vous concrètement ? Nous essayons de comprendre.

M. N. Je ne dis rien.

M. le président Meyer Habib. Qu’en est-il de vos collègues ?

M. N. Je pense qu’ils crient « Police ! » et qu’ils frappent à la porte. J’entends hurler assez fort en langue arabe pendant une à deux minutes. Ensuite, il ne parle plus et je n’entends plus rien.

M. le président Meyer Habib. Lui demandez-vous d’ouvrir ?

M. N. n’en ai pas le souvenir. C’était il y a quatre ans.

M. le président Meyer Habib. Vous criez seulement : « Police ! » ?

M. N. Oui mais je ne sais plus exactement.

M. le président Meyer Habib. Essayez de vous souvenir pour que nous essayions de comprendre.

M. N. C’était il y a quatre ans.

M. le président Meyer Habib. J’imagine néanmoins que ce moment, dont vous vous seriez bien passé, a marqué votre vie.

M. N. Nous avons crié « Police ! », et fait savoir que nous étions là. Je ne pourrais pas vous retranscrire les termes exacts.

M. le président Meyer Habib. Vous frappez sur la porte en criant : « Police ! ».

M. N. Oui, c’est sûr.

M. le président Meyer Habib. Pendant que votre collègue parle avec la famille, celle-ci donne l’indication que Traoré n’est pas armé. C’est dans le dossier. Êtes-vous au courant de ce qui se dit ?

M. N. Non, je ne suis pas au courant.

M. le président Meyer Habib. Vous dites ne pas avoir entendu les cris de Mme Halimi. Pourtant dans le dossier, l’un de vos collègues a déclaré : « Mes collègues vont vous dire qu’ils ont entendu des cris d’homme, mais en fait il s’agissait de cris de femme. » Pensez-vous que vous pouvez vous tromper, entre cris d’homme et cris de femme ? Essayez de vous rappeler, car c’est quand même une femme qui est en train d’hurler.

M. N. Pour moi, c’étaient des cris d’homme. C’était de l’arabe, dans l’appartement de la première séquestration.

M. le président Meyer Habib. Vous ne comprenez donc pas le sens de la déposition de votre collègue. Vous n’avez jamais entendu les cris de Mme Halimi.

M. N. Non, jamais.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. De quelles informations exactes disposez-vous lorsque vous intervenez ? Savez-vous, par exemple, que le brigadier-chef est en possession des clés de l’appartement ?

M. N. Par les ondes radio, j’ai connaissance de la séquestration. Nous arrivons sur place et sommes informés de ce qui se passe par le brigadier-chef. Il nous communique ensuite des informations. Je sais que les personnes séquestrées sont enfermées dans la chambre et que l’individu est à l’intérieur de l’appartement. C’est tout ce que je sais.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Avez-vous vu le trousseau de clés à ce moment ?

M. N. Non.

M. le président Meyer Habib. Vous êtes arrivé après. Vous n’êtes pas exactement primo-intervenant.

M. N. C’est cela. J’arrive avec le deuxième véhicule.

M. le président Meyer Habib. Lorsque le trousseau de clés est jeté par la fenêtre, vous n’êtes pas là.

M. N. Non.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. S’agissant de la radio, vous dites que vous n’avez pas accès aux échanges avec le commandement ?

M. N. Non. J’ai accès aux ondes radio sur mon secteur. Le chef de groupe fait le relais pour passer les instructions selon celles qu’il reçoit de la salle de commandement.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Vos instructions sont-elles seulement de sécuriser les lieux ?

M. N. De sécuriser les lieux et d’interpeller l’individu s’il en sort. De même si nous entendons plus de bruit, il faut faire quelque chose.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Vous avez précisé avoir entendu des hurlements en arabe, qui se sont ensuite arrêtés brusquement. Cet arrêt soudain ne vous a-t-il pas inquiété ? Ne vous a-t-il pas semblé suspect ?

M. N. Non pas particulièrement, puisque nous n’avons pas entendu d’autres hurlements, de femme ou des personnes qui se trouvaient à l’intérieur de l’appartement.

M. Sylvain Maillard. Brigadier, merci beaucoup de votre présence. Nous savons que c’est difficile.

Vous êtes devant la porte et criez : « Police ! » ou quelque chose de similaire. C’est en tout cas un geste d’autorité mais à la suite de celui-ci, il ne se passe rien. Vous ne forcez pas. Vous n’allez pas chercher un bélier, peut-être. Vous attendez une colonne d’intervention. Selon la doctrine en vigueur, votre rôle se cantonne à sécuriser la porte pour que l’individu ne puisse pas sortir. C’est aussi d’avoir crié : « Police ! » pour peut-être, obtenir qu’il se rende. Est-ce bien votre rôle ?

M. N. En cas d’état de nécessité, nous essayons d’entrer dans l’appartement.

M. le président Meyer Habib. Permettez-moi de vous interrompre. Vous êtes derrière la porte d’un appartement dans lequel un individu, qui ne se trouve pas chez lui, est entré en pleine nuit. Vous êtes la police. Honnêtement, ne pensez-vous pas que vous devez intervenir ? 

M. N. Honnêtement, non. Des protocoles existent.

M. le président Meyer Habib. Justement, il a été demandé de casser la porte et d’intervenir.

M. N. C’est une séquestration. Des protocoles sont mis en place. Nous suivons les instructions de notre hiérarchie.

M. Sylvain Maillard. Votre hiérarchie est le brigadier-chef que nous avons entendu juste avant vous. Il n’est pas dans la même voiture que la vôtre. C’est le chef d’opération quand vous entrez dans l’immeuble des Diarra. Il est donc l’autorité qui doit vous donner l’ordre d’entrer, quelle que soit la façon d’entrer. Nous avons constaté qu’il avait les clés mais qu’il ne s’en était pas rendu compte. Vous auriez pu entrer avec un bélier ou encore, en lui demandant d’ouvrir. Est-ce bien la doctrine en vigueur ce soir-là ?

M. N. C’est en effet la doctrine. Il reçoit des instructions de la salle de commandement et nous les transmets.

M. Sylvain Maillard. Au fond, cet évènement a marqué votre carrière. C’est un moment extrêmement fort. Je suis élu parisien, je sais combien votre métier est difficile. Vous vivez beaucoup de choses en permanence. Néanmoins nécessairement, cet évènement doit avoir une résonnance chez vous. Quelles conclusions en avez-vous tiré les jours et semaines qui ont suivi ? Sur cette intervention, qu’auriez-vous pu faire – vous personnellement ou la brigade entière – différemment ou mieux, pour être plus efficace les fois suivantes ?

M. N. Lors d’interventions de ce type, nous assistons toujours à un débriefing. Il y a toujours des choses à améliorer, mais nous savons ce que nous devons faire. Nous avons des instructions. Bien sûr, on veut toujours faire mieux.

M. Sylvain Maillard. Sur cet évènement précis, n’y a-t-il pas eu des points sur lesquels vous avez pensé devoir vous améliorer parce que vous n’avez pas bien fait, ou que vous auriez pu mieux faire ? En avez-vous tiré une conséquence par la suite ?

M. N. Le problème est dû au fait que l’individu a quitté l’appartement pour se rendre dans celui-ci de Mme Halimi. Nous ne savions pas qu’il était dans un autre appartement.

M. le président Meyer Habib. Ce fait était évoqué sur toutes les ondes. Trois témoins, au minimum, ont appelé le 17. L’un d’entre eux a même souhaité rester en ligne. Ils expliquent que l’individu n’était armé. Tout l’immeuble se réveille. Les sirènes hurlent partout. Il y a eu jusqu’à vingt-six policiers. Il n’y a donc pas un silence de mort, pendant que les voitures arrivent. Les gens descendent dans la cour. Une femme est en train d’hurler avant d’être défenestrée. La situation n’est donc pas celle d’une nuit noire sans un bruit.

M. N. Au début du silence, je ne sais pas qu’une personne se fait agresser sur un balcon. On ne sait pas si l’individu est encore dans l’appartement des personnes séquestrées.

M. le président Meyer Habib. À aucun moment, les ondes n’indiquent qu’un homme est en train d’agresser une femme sur le balcon voisin ?

M. N. Non je n’ai pas cette information.

Mme Coralie Dubost. Tout d’abord, brigadier, je vous remercie d’avoir répondu à la demande de l’Assemblée nationale. Il est très important pour nous de pouvoir tirer des enseignements, mais bien entendu nous ne nous substituons à aucune autre institution qui aurait des questions à vous poser. Nous cherchons seulement à obtenir des éclaircissements, pour l’avenir.

Quand vous êtes posté devant la porte pour la sécuriser et que vous portez un équipement lourd, est-il prévu dans les protocoles d’écouter les ondes sur le secteur ? Si c’est le cas, avez-vous accès à l’information selon laquelle un deuxième fait a été signalé dans l’appartement d’à côté par les appels au 17, ou n’avez-vous pas connaissance de ce deuxième fait ?

M. N. Les principales informations passent sur le secteur, sur notre arrondissement. Quand le brigadier-chef transfère les informations sur son poste, je ne les connais pas toutes. Par la suite, le relais s’effectue entre le brigadier-chef et nous-mêmes, soit parce qu’il vient physiquement nous les transmettre, soit par téléphone portable ou oreillette.

Mme Coralie Dubost. Dans ce cas précis, comment (par oreillette, personnellement ou par téléphone) et à quel moment êtes-vous informé de la situation qui se déroule à côté, du fait qu’une deuxième équipe est envoyée pour prendre en charge très probablement les suites de cette affreuse agression et de ce crime ? À quel moment recevez-vous l’information ?

M. N. Je n’ai jamais entendu sur les ondes qu’un deuxième appel avait été passé, et qu’une agression avait lieu. Parfois, nous sommes concentrés. Nous crions « Police ! » derrière la porte. C’est compliqué. Ensuite, un collègue est monté pour nous transmettre les consignes et nous aviser qu’une personne avait été retrouvée dans la cour d’immeuble.

Mme Coralie Dubost. Concernant ces protocoles mis en place en cas de séquestration, pouvez-vous en dire davantage ? Vous êtes devant une porte en sachant qu’une séquestration se déroule, vous attendez les ordres de votre commandement. Est-ce que dans votre apprentissage et votre formation, il vous est demandé de décider s’il convient de défoncer ou non la porte ? Avez-vous la possibilité de faire cette évaluation vous-même, ou êtes-vous tenu d’attendre les instructions ou une brigade spécialisée, pour éviter un accroissement de la mise en risque des personnes séquestrées ?

M. N. Tout dépend de ce qu’on entend derrière la porte. La notion d’état de nécessité entre en ligne de compte. Si nous entendons « au secours ! » il n’est pas question de réfléchir davantage. L’état de nécessité prime.

M. le président Meyer Habib. Selon les procès-verbaux, l’état-major a dit : « S’il s’agit d’appels au secours et que c’est une tentative de séquestration, en cas de nécessité tentez de casser la porte. » L’état-major ne savait pas que les clés étaient disponibles. Par conséquent, pourquoi ne cassez-vous pas la porte, à défaut d’ouvrir avec les clés ?

M. N. Nous n’avons jamais entendu « au secours ! ». À part l’individu auteur des faits, je n’ai pas entendu d’autres personnes. Il n’y avait pas d’état de nécessité au sens où l’entendent les ordres.

M. le président Meyer Habib. Pourtant, vous étiez casqués et armés.

M. N. Il y a des procédures.

Mme Camille Galliard-Minier. Merci pour vos réponses de ce jour, qui sont très importantes pour nous et pour notre travail.

Lorsque vous êtes posté devant la porte, vous êtes uniquement avec vos collègues. La première unité arrivée descend et vous êtes seuls postés devant la porte de la famille Diarra ?

M. N. Nous sommes trois collègues postés devant la porte.

Mme Camille Galliard-Minier. Vous êtes les trois collègues arrivés dans un second temps.

M. le président Meyer Habib. À un certain moment, vous êtes six.

M. N. Je pense que les équipages ont été mélangés parce que nous travaillons toujours ensemble, au sein de la même unité. Nous avons mélangé les équipages afin que le brigadier-chef puisse rendre compte à la salle de commandement, que personne n’entende les ondes et que l’individu derrière la porte n’entende pas les instructions de notre salle de commandement.

Mme Camille Galliard-Minier. La commission s’interroge sur cette période dans la mesure où, comme vous l’avez souligné, les faits se sont déroulés dans deux immeubles distincts mais côte à côte. Vous qui étiez posté sur ce palier, vous nous confirmez que vous n’avez eu ni connaissance, ni entendu aucun cri. Vous n’étiez pas avisé de l’existence d’un second appel pour des faits se déroulant dans l’immeuble contigu.

M. N. Je n’en ai pas eu connaissance avant que l’on m’avise qu’une personne avait été retrouvée dans la cour intérieure.

Mme Aurore Bergé. Merci brigadier de votre présence. J’imagine que cette configuration en forme de tribunal puisse être impressionnante, mais cela n’en est pas un. Je tiens à le rappeler. Pour être tout à fait sûre de ce que vous avez déclaré à mes collègues, de ce que je comprends l’intervention à laquelle vous avez participée n’est pas celle qui concerne Mme Halimi. Tout au long de votre participation et de votre présence dans l’immeuble, à aucun moment vous n’avez eu connaissance des faits qui concernaient Mme Halimi. Est-ce bien cela ?

M. N. C’est bien cela. J’en ai eu connaissance seulement quand mes collègues l’ont retrouvée au sol. Je n’ai jamais eu connaissance de l’agression sur le balcon et du reste.

Mme Aurore Bergé. Notre objectif est de déceler d’éventuelles failles dans la loi et dans les procédures, ainsi que les points nécessitant d’être améliorés. Selon vous, y a-t-il eu un défaut de coordination entre les équipes ou au contraire, s’agissait-il de deux affaires distinctes pour lesquelles le lien n’a pu être fait qu’a posteriori, une fois que Mme Halimi avait été assassinée ? Selon vous, certaines choses doivent-elles être améliorées dans vos protocoles et procédures pour que vous puissiez mieux réaliser les missions qui vous sont confiées, puisque vous répondez à des ordres ? Au contraire quels que soient les protocoles, seraient-ce resté deux affaires et interventions distinctes ?

M. N. Selon moi, il s’agissait de deux affaires distinctes. Je ne savais pas que l’individu allait passer de balcon en balcon pour se rendre dans un autre appartement.

M. François Pupponi. D’après ce qui nous a été expliqué, vous étiez positionné au troisième étage devant la porte. Combien étiez-vous pour sécuriser la porte ?

M. N. Nous étions trois.

M. François Pupponi. Trois autres restaient au rez-de-chaussée, y compris une ou deux personnes qui étaient dans la cour. Votre collègue nous a indiqué tout à l’heure qu’il avait rejoint son équipe dans la cour. Tout le quartier entend des cris. Des habitants de la rue parallèle à la rue de Vaucouleurs, à plusieurs centaines de mètres, entendent les cris de Mme Halimi et appellent la salle de commandement pour signaler l’agression d’une femme. Par conséquent, nous avons du mal à comprendre que vos collègues stationnés dans la cour n’aient pas entendu les cris. En effet, ils se trouvaient dans la cour, sous le balcon de Mme Halimi.

Quand vous avez procédé au debriefing avec vos collègues présents au rez-de-chaussée, est-ce que tous ont dit n’avoir rien entendu ? Je peux tout à fait comprendre que sur place, cela pouvait être considéré comme deux affaires différentes : d’un côté, il y avait une séquestration et, de l’autre, une femme criait. Nous pouvons concevoir qu’il s’agissait de deux cages d’escalier différentes. En revanche, nous éprouvons des difficultés à imaginer qu’aucun policier sur place n’ait entendu de cris, contrairement à tous les voisins.

M. N. Je ne peux pas répondre à la place de mes collègues.

M. le président Meyer Habib. J’ai une question qui relève de l’humain. Avez-vous eu peur, à un quelconque moment ?

M. N. Non, pas nécessairement. Vous savez, nous avons un peu d’expérience, y compris celles des attentats de novembre. Nous essayons de gérer au mieux ces interventions.

M. le président Meyer Habib. Je vous remercie beaucoup de vous être déplacé et d’avoir répondu à nos questions. Il est vrai que cette séance peut être impressionnante. L’objectif est de faire en sorte, si une telle situation devait se présenter à nouveau, que finalement aucune mort de femme ou d’homme ne se produise. Nous cherchons à améliorer, s’il y a lieu, les protocoles et les modes d’intervention. Dans cette optique, il est nécessaire de faire la lumière sur cette affaire.

 

La réunion se termine à seize heures quarante.
Membres présents ou excusés

Commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Coralie Dubost, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, M. Richard Lioger, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi

Excusé. - Mme Sandra Boëlle