Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Audition de Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture.....2

– Information relative à la commission....................26

– Présences en réunion..............................27

 

 

 

 

 


Mardi
12 juillet 2022

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 03

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Isabelle Rauch,
Présidente

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Mme Isabelle Rauch, Présidente)

La commission procède à l’audition de Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, je suis heureuse d’accueillir en votre nom, pour cette première audition de notre commission nouvellement constituée, Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, quelques semaines après son entrée en fonction. Ce sera pour vous, madame, l’occasion de nous présenter les orientations qui guideront votre action, et pour nous de vous interroger sur des points plus précis.

Vous évoquerez certainement le financement de l’audiovisuel public, sujet d’une actualité brûlante ; comme vous le savez, la commission s’est saisie pour avis de l’article 1er du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022. Quel schéma budgétaire est retenu pour cette année, puisque la contribution ne sera pas prélevée ? Plus intéressant encore, quelles garanties juridiques peuvent être apportées à ce financement à partir de 2023 pour assurer la pleine indépendance de l’audiovisuel public ? Au-delà du financement, la question de la structure et des missions de l’audiovisuel public va se poser rapidement. Un rapport sénatorial penche en faveur de la fusion des opérateurs actuels quand l’un de vos prédécesseurs avait plutôt pour projet de créer une holding ; vous êtes-vous déjà forgé une opinion ? Des synergies sont-elles encore possibles, à périmètre constant ?

Nous avons aussi compris que le ministère allait lancer des états généraux du droit à l’information. Quels sont les objectifs et le format de ces rencontres ? Est-il prévu d’y associer les parlementaires, comme ce fut le cas lors des états généraux de la justice ?

Vous devrez également gérer la fin probable du « quoi qu’il en coûte » et le retour à la normale budgétaire. Cependant, l’ensemble des industries culturelles et créatives ne connaissent pas encore la sortie de crise ; en particulier, les salles de spectacles et de cinéma peinent à retrouver leur public. Comment expliquez-vous cette situation ? Avez-vous des moyens d’action pour y remédier ?

Le patrimoine n’a pas été épargné par les effets de crise sanitaire, qui a eu pour conséquences de nombreuses interruptions de chantiers de rénovation et une baisse drastique de fréquentation. Comment entendez-vous protéger les grands établissements et le patrimoine de proximité ?

Lors de la précédente législature, la création du pass culture a constitué l’un des principaux outils de soutien de la culture et de sa promotion auprès du jeune public. Pouvez-vous nous en dire plus sur son extension prévue ? Le pass culture peut-il, selon vous, devenir un instrument d’éducation artistique et culturelle dans son volet collectif ?

Après votre exposé liminaire, nous entendrons dans un premier temps les représentants des groupes, puis ceux des députés qui voudront vous interroger.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture. Je suis heureuse et émue de me trouver devant vous et je vous adresse à toutes et à tous mes félicitations républicaines pour votre élection. Nous sommes dans une situation politique, économique et géopolitique particulière, mais je reste persuadée que la culture peut nous rassembler au-delà de nos divergences. Votre commission l’a démontré plusieurs fois au cours de la dernière législature : qu’il s’agisse des restitutions de biens culturels au Bénin et au Sénégal, des restitutions de biens spoliés ou de la politique en faveur du livre ou des bibliothèques, l’unanimité a été possible et vous avez marqué l’Histoire.

Les débats relatifs au projet de loi audiovisuelle ont été très riches. Vous n’avez pas toujours été d’accord mais nous avons, ensemble, permis des évolutions majeures. La meilleure protection des créateurs, une lutte renforcée contre le piratage, la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), nouveau régulateur aux compétences étendues, mais aussi la protection du patrimoine audiovisuel et cinématographique français en cas de volonté de rachat des catalogues par des acteurs étrangers : vous avez rendu possibles ces évolutions historiques pour la défense de notre souveraineté culturelle. J’ai donc pleine confiance en la qualité des travaux que vous allez mener et dans votre capacité à vous rassembler sur l’essentiel quand il s’agit de culture.

Malmené par la pandémie pendant deux années, le monde de la culture connaît un moment particulier. La reprise est là, mais elle est timide. La fréquentation est encore de 25 % en moyenne inférieure à celle de 2019 ; la jeunesse, notamment, tend à se détourner des sorties culturelles, passant plus de trois heures par jour devant les petits écrans.

La révolution numérique bouscule depuis plus de vingt ans le modèle culturel français et la crise sanitaire a accéléré les mutations. Cela doit nous amener à affirmer la place de la création, de la langue et de l’innovation françaises et dans le monde physique – je reviendrai à ce sujet sur la commande artistique Mondes nouveaux, qui aura une suite – et dans le monde numérique, avec le levier du plan France 2030, très ambitieux à ce sujet.

Jeunesse, souveraineté, diversité culturelle : tel sera le fil rouge de l’action que je souhaite mener au cours des prochaines années. Je vous en présenterai les grandes lignes en me concentrant sur les cinq chantiers principaux que sont l’enfance et la jeunesse, l’accès à l’information, les industries culturelles et créatives, le patrimoine et l’apaisement des mémoires.

Le pass culture est l’un des principaux outils de la politique menée en direction de la jeunesse. C’est le moyen d’amplifier une politique d’éducation artistique qui me tient à cœur et que le ministre de l’Éducation nationale et moi-même développerons main dans la main, dans le domaine de la musique, comme nous l’avons fait pendant le précédent quinquennat avec La Rentrée en musique, le plan Chorale et les orchestres à l’école, mais aussi dans les domaines du spectacle, de l’expression orale, du théâtre. S’agissant de l’éducation au patrimoine, nous avons constaté l’engouement des enfants et des jeunes lors de l’opération « Levez les yeux ». Nous avons cherché à développer « le quart d’heure lecture » pour inciter élèves et collégiens à lire pour le plaisir et non seulement par obligation scolaire.

Le pass culture, qui favorise l’accès aux cinémas, va être étendu aux collèges à partir de la classe de quatrième. Une expérimentation est en cours, avec une part collective gérée par les professeurs et, à partir de la classe de seconde, une part individuelle laissée au libre choix des adolescents. Les sorties culturelles organisées dans ce cadre par les professeurs se multiplient ; en premier vient le spectacle vivant, en deuxième, le cinéma. Il existe donc là un réel potentiel de contribution à la reprise de la fréquentation des lieux culturels à court terme comme à plus long terme : sensibiliser ainsi la jeunesse, c’est lui redonner envie de culture « en chair et en os », pas uniquement de culture numérique par le biais des écrans.

Une de mes priorités sera la pratique artistique des jeunes, pour que l’accès à la culture ne se résume pas pour eux à assister à des spectacles, des concerts ou des films mais qu’ils pratiquent aussi le dessin, la photo, la musique, le théâtre. Plus ils pratiqueront les arts, plus ils fréquenteront ensuite les lieux culturels. Le pass culture va donc devenir un espace d’expériences pour tester des cours et mettre au point des projets collectifs dans tous les domaines de la culture, et nous allons inaugurer à Guingamp l’Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle, centre de formation et de ressources pour tous les enseignants, médiateurs, artistes et tous ceux qui souhaitent mieux transmettre l’amour de l’art et de la culture.

Le deuxième chantier du ministère concerne le droit des citoyens à une information fiable, libre, pluraliste et indépendante. Le président de la République a annoncé la tenue d’états généraux du droit à l’information. Notre ministère ne sera pas le seul impliqué dans leur organisation, puisque le sujet comporte un volet éducatif – l’éducation aux media, essentielle – et international – la lutte contre les ingérences étrangères. Les parlementaires seront évidemment associés aux débats, qui porteront aussi sur la synergie dans l’audiovisuel public, la régulation au regard des dérives qui peuvent résulter de la concentration dans les médias, la protection des journalistes, la liberté de la presse et la liberté d’expression, sans oublier ni les photographes ni les dessinateurs de presse. Je mentionne au passage la réalisation d’un projet qui tenait à cœur au regretté Georges Wolinski : l’ouverture à Paris de la Maison européenne du dessin de presse et du dessin satirique. Les états généraux devraient commencer en novembre prochain et nous réfléchirons aux évolutions législatives qui pourraient résulter des débats. Faudra-t-il réviser la loi de 1986 relative à la liberté de communication ? Faudra-t-il élaborer un nouveau projet de loi audiovisuelle ? Ces états généraux permettront d’ouvrir le débat avec l’ensemble des parties prenantes et avec un cercle, le plus large possible, de citoyens et d’associations.

Le troisième chantier sera le renforcement de nos industries culturelles et créatives pour défendre notre souveraineté culturelle. Le plan France 2030 comporte un volet très ambitieux pour nos industries de l’image, du cinéma, du son et du jeu vidéo. Nous l’avons défini en trois axes. Le premier concerne le renforcement de nos infrastructures de production, les studios de tournage, les studios d’effets visuels et studios de post-production ; trois zones prioritaires – l’Île-de-France, les Hauts-de-France et la région Sud – sont déterminées mais d’autres régions pourront évidemment être aussi concernées si des projets forts sont présentés. Le deuxième axe est celui de la formation, car il est vital de développer nos talents créatifs et techniques. Le troisième axe a trait à l’innovation et aux nouvelles technologies : comment soutenir nos entreprises qui poussent les frontières du numérique ? La créativité française est très forte en matière d’expériences immersives et d’expériences virtuelles. Pour permettre que la French Touch s’exprime avec toute sa créativité, il nous faut impérativement traiter du Métavers sous son angle juridique car de très nombreuses questions se poseront sur les droits des artistes et des créateurs, leur rémunération et le volet industriel et technologique.

Notre quatrième chantier est la protection du patrimoine, le patrimoine emblématique comme le patrimoine de proximité même quand il n’est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques. C’est l’objet du Loto du patrimoine, opération que nous allons poursuivre avec son énergique ambassadeur Stéphane Bern. Cette mission permet, au-delà de l’important budget récolté, de fédérer les citoyens autour du patrimoine de proximité. Je porterai une attention particulière aux dossiers des territoires d’outre-mer. Pour ce qui est du patrimoine emblématique, je me dois d’évoquer Villers-Cotterêts, le chantier phare que le président de la République nous a demandé de mener. Ce château de François 1er, laissé à l’abandon, était extrêmement dégradé. Le chantier avance vite et nous espérons l’ouverture au public, au printemps 2023, en ce château rénové, de la Cité internationale de la langue française, lieu vivant où l’on pourra voir des spectacles et des films et où seront hébergés des artistes en résidence, lieu de débats aussi, qui accueillera des associations et des entreprises qui se consacrent au développement des technologies de la langue.

Qui dit « patrimoine » dit aussi métiers du patrimoine ; je veux lancer un grand plan pour les métiers d’art pour susciter des vocations dans les jeunes générations. Les métiers de la main sont des métiers d’avenir et de sens ; il nous faut préserver et transmettre ces savoir-faire d’excellence qui font aussi la richesse de nos territoires. Enfin, nous devons penser le patrimoine à l’aune de la transition écologique et pour cela concilier au mieux le développement des énergies durables et la protection du patrimoine et des paysages. Qu’il s’agisse d’éoliennes, de panneaux solaires ou d’isolation thermique, il nous faut définir un cadre de dialogue avec les collectivités et toutes les parties prenantes pour susciter une concertation apaisée et des solutions au cas par cas respectant à la fois nos engagements écologiques et la protection du patrimoine et de nos paysages.

Le cinquième chantier porte sur le rôle que peut jouer la culture dans « l’apaisement des mémoires », terme que j’emprunte au président de la République. Regarder l’histoire en face, s’appuyer sur les travaux des historiens et des chercheurs, se placer à l’écoute des jeunes générations afin de construire une mémoire républicaine partagée, telle est l’approche privilégiée par le président de la République depuis 2017 et dans laquelle je souhaite inscrire encore plus fortement l’action du ministère de la Culture. Au cours de la dernière législature, les cérémonies de panthéonisation de Maurice Genevoix, Simone Veil et Joséphine Baker ont été des moments marquants et fédérateurs pour notre nation. J’ai fait état du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, et des restitutions d’œuvres du patrimoine africain au Bénin et au Sénégal. Je mentionnerai aussi l’ouverture anticipée des archives relatives à la guerre d’Algérie et au Rwanda, et la restitution de vingt-quatre crânes de résistants algériens.

Une nouvelle phase est possible et je souhaite réfléchir avec vous à un projet de loi-cadre pour établir une doctrine, élaborer des critères et une méthodologie permettant de progresser en matière de restitutions, qu’il s’agisse des biens spoliés ou du patrimoine africain, deux sujets différents. Je souhaite aussi la création d’un fonds de soutien aux recherches de provenance, auquel seront associés certains de nos voisins européens, pour mieux connaître l’origine des œuvres de nos collections.

Concernant les mémoires plurielles de la guerre d’Algérie, le ministère de la Culture va s’atteler à la réalisation du projet de création de l’Institut de la France et de l’Algérie qui figure au nombre des recommandations du rapport de Benjamin Stora. Il pourrait se concrétiser à Montpellier. Vous le constatez, la politique envisagée n’est ni dans le déni ni dans la repentance, c’est bien une politique de reconnaissance.

Je ne saurais conclure ce propos liminaire sans dire un mot du projet de loi de finances rectificative et de la fin de la contribution à l’audiovisuel public. Il s’agit, je le redis, d’une mesure de pouvoir d’achat – si, monsieur Corbière –, qui bénéficiera à 23 millions de Français. La redevance était un impôt à bout de souffle, adossé qu’il était à une taxe d’habitation en voie de disparition et portant sur des téléviseurs dont le nombre baisse fortement au bénéfice des smartphones, tablettes et ordinateurs.

J’ai entendu les craintes exprimées au sujet de l’indépendance de l’audiovisuel public, mais cette indépendance, déjà pleinement assurée, le demeurera. Ce n’est pas la redevance qui en est la garante, mais le fait que les dirigeants de l’audiovisuel public ne soient pas nommés par le Gouvernement mais par l’ARCOM, régulateur indépendant, et que les contrats d’objectifs et de moyens des entreprises publiques considérées soient soumis pour avis aux commissions parlementaires compétentes et à l’ARCOM. La redevance constituait certes une partie importante de leur budget, mais elle ne suffisait pas, si bien que, chaque année, l’État devait ajouter en moyenne 600 millions d’euros ; les dotations budgétaires directes ont donc toujours existé. Surtout, le Gouvernement n’a aucun moyen d’interférer dans les décisions éditoriales de l’audiovisuel public. Il ne l’a jamais fait, n’a aucunement l’intention de le faire, ne le fera pas, et l’indépendance éditoriale sera totalement préservée.

Les garanties de financement de l’audiovisuel public sont là : la compensation à l’euro près des effets fiscaux induits par le nouveau mode de financement est prévue, ainsi que le versement du montant total des ressources en une fois, en début d’année, pour éviter tout risque de régulation infra-annuelle. La transparence sera maintenue, avec un programme budgétaire par entreprise comme c’est le cas actuellement et une visibilité pluriannuelle accrue par l’inscription d’une trajectoire dans la loi de programmation des finances publiques.

Je ne doute pas que le Parlement mènera un débat constructif à partir de ce texte. Vous pourrez compter sur votre rapporteure pour avis, qui connaît parfaitement les enjeux. Le Gouvernement a clairement posé les principes auxquels nous sommes attachés : redonner du pouvoir d’achat aux Français tout en assurant un financement pérenne à l’audiovisuel public, dans le respect total du pluralisme et de l’indépendance des media.

M. Bertrand Sorre (RE). Le pass culture, dispositif ambitieux du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, favorise l’accès à la culture et permet de diversifier les pratiques culturelles des jeunes publics. Actuellement, à partir de la classe de quatrième, une part collective fait l’objet d’une réservation par les enseignants sur une plateforme dédiée ; à partir de 15 ans, une part individuelle est accessible, qui atteint 300 euros à l’âge de 18 ans. En 2021, le total des dépenses culturelles remboursées par le biais du pass culture a représenté 101 millions d’euros. Les premiers chiffres connus pour 2022, en hausse, montrent que les jeunes se tournent aussi vers le spectacle vivant. Le dispositif rencontre donc un franc succès et fonctionne désormais pleinement. Cependant, la culture doit être accessible partout et pour tous dès le plus jeune âge, et pour cela il faut aussi encourager la pratique. À cet effet, le président de la République et la Première ministre ont annoncé il y a quelques jours une extension du pass culture à partir de la classe de sixième. Pouvez-vous nous dire les réussites constatées, les écueils qui demeurent, si les enseignants ont su s’approprier le dispositif, et préciser aussi les modalités d’extension du dispositif ?

M. Julien Odoul (RN). Madame la ministre, êtes-vous la ministre de la Culture française ou la ministre des cultures en France ? J’ai cru comprendre que vous êtes attachée à la souveraineté culturelle et au modèle culturel français. Vous vous distinguez en cela du président de la République et c’est une bonne chose, mais nous attendons des preuves de valorisation de notre culture et de la fierté d’être Français par la culture par des dispositifs qui peuvent notamment encourager les jeunes générations à faire corps avec notre nation, puisqu’on assiste aujourd’hui à un véritable délitement culturel.

Qu’est-ce que le ministère de la Culture entend-il mettre en œuvre pour lutter contre une pandémie ravageuse venue des États-Unis, je parle bien entendu du wokisme, cette idéologie de la déconstruction qui contamine malheureusement jusque sur les bancs de l’hémicycle. Qu’entendez-vous faire pour protéger nos statues menacées de déboulonnage, protéger nos livres, nos rues, nos monuments victimes d’une entreprise de démolition et protéger Colbert, Faidherbe, Napoléon, Ferry, Bugeaud, tous ces noms jetés en pâture parce qu’ils constituent une menace pour une idéologie délétère ?

Autre sujet de fond, au sujet de votre Gouvernement : l’usage d’anglicismes. Comment comptez-vous défendre la langue française alors que vous évoquez la French Touch, après que certains de vos collègues ont parlé de French Lab ou de French Fab ? Les ministères, notamment celui de la Culture, ne pourraient-ils montrer l’exemple une fois pour toute en assumant notre langue, à bien des égards la plus belle du monde ?

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Les choses commencent fort mal. Les coups d’autorité de votre Gouvernement se multiplient et cela vaut pour la culture aussi : en plein été, dans la précipitation et une opacité totale, vous décidez de supprimer la contribution à l’audiovisuel public sans réelle garantie de financement alternatif. Comme le disent les syndicats, vous décidez ainsi, en catimini, la mise à mort du service public de l’audiovisuel, vous attaquez le droit des Français à une information pluraliste et indépendante, à une offre culturelle vivante et diversifiée. Après la suppression de France Ô, devons-nous nous attendre, à terme, à une chaîne publique unique sous pression gouvernementale, un nouvel ORTF en concurrence avec les chaînes privées ? Après la codiffusion de Roland Garros, les Français devront-ils payer Amazon pour voir le Tour de France ? Après la fin de Plus belle la vie, devront-ils s’abonner à Canal Plus pour regarder les séries françaises ? Nos créateurs, qui participent à notre rayonnement international, devront-ils plaire à Bolloré pour être financés ?

Vous avez la mauvaise foi de présenter cette mesure comme un gain de pouvoir d’achat pour les Français. Pourtant, le rapport de Julia Cagé montre que conserver la redevance et la rendre progressive permettrait un gain de pouvoir d’achat pour 85 % des Français ; son auteure expose aussi que près de 80 % des Français ne veulent pas la suppression de la redevance.

D’autre part, pourquoi la représentation nationale n’a-t-elle pas connaissance du rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles commandé par Jean Castex en octobre 2021 ? Serait-ce parce qu’il n’est pas favorable à cette suppression ? Je rappelle les propos que tenait en 2018 la députée Aurore Bergé, aujourd’hui présidente du groupe Renaissance : « Le fait d’avoir 85 % de ses ressources assurées permet à France Télévisions d’avoir cette agilité que tout le monde salue aujourd’hui, c’est une leçon pour les détracteurs de la redevance ». Madame la ministre, si vous n’écoutez ni les Français, ni les syndicats, ni même les leçons des députés de votre propre camp, et si vous ignorez les conclusions des rapports, qui écoutez-vous en supprimant cette redevance, sinon Éric Zemmour et Marine Le Pen qui rêvent d’en finir avec notre service public de l’audiovisuel ?

M. Maxime Minot (LR). Le Gouvernement a donc annoncé la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, qui propose à tous nos concitoyens des programmes de qualité éveillant leur conscience et attisant leur curiosité. Cet ensemble de chaînes et de radios publiques est très précieux et notre groupe a toujours défendu le service public, notamment l’audiovisuel public. Nous avons démontré lors de la précédente législature pouvoir travailler en bonne intelligence et de façon transpartisane. Cela s’est vu pour le rapport voté à l’unanimité par la commission que j’ai coécrit avec Béatrice Piron et qui a permis de sauver la chaîne France 4. Nous voulons continuer de travailler ainsi dans l’intérêt général, mais l’audiovisuel public, par son indépendance, participe du parcours républicain et de l’égalité. Notre société doit assurer de manière certaine l’indépendance de nos media ; en supprimant la contribution à l’audiovisuel public, vous mettez en péril ce principe fondamental. Aussi, je vous demande de nous présenter précisément la convention prévue pour compenser la suppression de la redevance et financer l’audiovisuel public. Comment comptez-vous trouver 3 milliards d’euros dans le budget de l’État, chaque année plus difficile à tenir ? Pouvez-vous nous assurer que la perte des recettes ne sera pas, à terme, compensée par un impôt supplémentaire ? Enfin, êtes-vous certaine que l’indépendance de nos media sera toujours garantie après cette suppression ?

Mme Géraldine Bannier (Dem). Á une époque marquée par le retour de la guerre en Europe, une angoisse nourrie par la crise pandémique et la perspective des bouleversements climatiques à venir, le groupe MODEM et indépendants réaffirme son adhésion profonde à la diffusion de la culture, levier puissant d’égalité des chances si elle touche dès le plus jeune âge l’enfant que l’on tend trop vite à classer comme n’étant pas né au bon endroit au bon moment. La culture est aussi créatrice de lien social, enjeu essentiel pour notre démocratie bousculée ; la danse, la musique, le spectacle vivant font se côtoyer tous les publics et s’effacer les différences mieux que n’importe quel autre vecteur.

Les commissaires de notre groupe se sont attachés pendant la précédente législature à défendre avec ardeur la promotion de la lecture ; à promouvoir une formation scientifique solide à l’heure où la transition écologique réclame des solutions technologiques innovantes ; à souligner qu’une attention particulière doit être portée à ceux qui peuvent se dire que la culture n’est pas pour eux. Le patrimoine local est notre affaire à tous, et nous avons soutenu l’attention portée, par le biais du Loto du Patrimoine, à la restauration des édifices et monuments communaux dont les propriétaires n’ont pas toujours les moyens financiers d’assurer la sauvegarde. Nous pensons aussi que l’espace numérique, qui offre d’infinies ressources mais qui bouleverse les méthodes, doit faire l’objet d’un tutorage, d’un cadrage législatif précis pour que ses inconvénients connus ne prennent jamais le pas sur ses avantages. Nous continuerons d’œuvrer à vos côtés pendant cette législature.

Pour finir, je constate que le public a quelque peu perdu le chemin des cinémas. Comment l’inciter à retrouver le plaisir des salles obscures ?

Mme la présidente Isabelle Rauch. Un vote étant appelé en séance publique, je suspends la réunion pour quelques minutes.

La réunion, suspendue à 18 heures 10, est reprise à 18 heures 15.

M. Inaki Echaniz (SOC). Alors que la multiplication des crises – démocratique, économique, sanitaire, environnementale – ébranle nos modes de pensée et que la prolifération des fake news accroît les peurs et la défiance, nous avons plus que jamais besoin d’un service public de l’audiovisuel fort et indépendant, en mesure d’éclairer les Français sur les enjeux de l’époque et de réduire les inégalités d’information. Or, en proposant de supprimer la contribution à l’audiovisuel public, vous fragilisez tous les médias publics. Certes, le mode de financement actuel doit être réformé, mais la suppression n’est ni sérieuse ni sincère – et encore moins le fait de la présenter comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat. Pire, elle nous semble dangereuse pour les médias publics. Une autre réforme est possible, conciliant justice fiscale et indépendance. Mon groupe fera des propositions en ce sens.

Surtout, la lecture de l’article 1er du PLFR pour 2022 qui prévoit la suppression de la contribution à l’audiovisuel public ne manque pas de surprendre, puisque n’y figure aucune des garanties dont le président de la République avait parlé durant sa campagne, que vous avez vous-même évoquées devant nos homologues du Sénat il y a quinze jours et que recommandait le dernier rapport sénatorial sur la question ; rien n’empêchera donc la régulation infra-annuelle. Il n’est pas davantage question de créer l’autorité garante de l’indépendance de l’audiovisuel public recommandée par les sénateurs. Aux garanties juridiques promises, vous substituez donc des engagements politiques qui pourraient être remis en cause tout comme ils sont proposés maintenant. Il semble que ces dispositions figuraient pourtant dans l’avant-projet de loi mais que le Conseil d’État aurait émis un avis défavorable à leur sujet. Comment expliquez-vous cela, madame la ministre ? Comptez-vous rendre cet avis public pour permettre aux acteurs culturels et aux parlementaires de comprendre ce recul ? Plus largement, comment comptez-vous assurer l’indépendance et la pérennité du financement de l’audiovisuel public ?

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Madame la ministre, je me réjouis de votre nomination. Le groupe Horizons et apparentés s’attachera à travailler en bonne intelligence avec vous au sein de cette commission, celle de l’émancipation des Français. Les défis sont immenses. Notre groupe accorde une importance particulière à l’éducation ; c’est pour nous la mère des réformes et nous soutiendrons les mesures qui permettront d’offrir à tous les élèves une éducation artistique et culturelle, gage d’émancipation et d’ouverture au monde. Nous soulignons le rôle des collectivités locales dans le secteur culturel, avec des dépenses de plus de 9 milliards ; il faut renforcer la collaboration entre elles et l’État. J’appelle aussi votre attention sur la nécessaire protection de notre patrimoine, que les communes rurales ne sont pas toutes en mesure de prendre en charge – quand, par exemple, il revient à une commune de quelques milliers d’habitants de restaurer et d’entretenir vingt-quatre églises, comme c’est le cas dans ma circonscription.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo-NUPES). La Première ministre a présenté le pass culture comme le fer de lance de la politique de démocratisation culturelle. Pour nous, la politique de démocratisation culturelle ne peut être une politique de bons d’achat, ce qu’est ce dispositif. Vous parlez de le faire évoluer, y compris de manière collective, dans les établissements d’enseignement, notamment du second degré. Mais, alors que second degré connaît de nombreuses diminutions de postes, des fermetures de classes et la baisse des dotations horaires, l’extension prévue du pass culture n’est-elle pas en quelque sorte une forme de sauvetage du ministère de l’Éducation nationale par celui de la Culture ?

À voir l’intérêt soutenu que le ministère de la Culture porte au Métavers, on peut aussi s’interroger sur l’orientation de l’investissement à ce sujet et sur la part qui sera réellement allouée à la culture « en chair et en os », pour reprendre le terme que vous avez employé, laquelle me semble bien plus importante en cette période d’après-pandémie, étant donné les difficultés persistantes qu’ont connues les relations sociales.

S’agissant des media, le débat sur le financement de l’audiovisuel public ne méritait-il pas mieux qu’un article du PLFR rédigé sans réelle concertation, sans réelle réflexion collective ? On sait depuis longtemps que la situation actuelle n’est pas durable ; ne méritions-nous, ne méritiez-vous pas mieux que cela ? Vous nous dites que l’indépendance de l’audiovisuel public et la visibilité sont assurées ; nous en doutons fortement. Nous considérons au contraire, étant donné les éléments qui nous sont communiqués pour l’instant, que l’indépendance de l’audiovisuel public est remise en cause.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). La suppression de la contribution à l’audiovisuel public est une décision gravissime. On peut évidemment prendre des engagements, mais autant en emporte le vent, car demain est un autre jour. De plus, l’engagement de financement pérenne est en contradiction avec les termes de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ; je pense d’ailleurs que le Conseil d’État s’est exprimé sur ce point – vous nous le direz peut-être. Ensuite, comment ne pas parler de la volonté du pouvoir politique qu’exprime cette décision ? On sait bien qu’après la suppression de la redevance, la dépendance de l’audiovisuel public sera totale et que, finalement, la liberté de la presse et son indépendance seront remises en cause. Telle est la réalité, et cela me fait dire que vous avez mille fois tort d’avoir pris cette décision. Il eût été préférable de lancer un travail collectif pour définir une redevance renouvelée, comme cela a été proposé.

Le pass culture peut être considéré comme une avancée, bien que le premier bilan dressé ne soit pas très encourageant : on se rend compte que son utilisation est limitée et son attractivité relative. Selon moi, cela tient pour l’essentiel à ce que l’approche retenue est consumériste. Or, il ne peut y avoir de pass culture efficace s’il n’y a pas d’offre culturelle en face, laquelle est de plus en plus rare parce que de nombreuses directions régionales des affaires culturelles (DRAC) n’encouragent que les initiatives importantes, les gros festivals, si bien qu’en réalité la vie culturelle territoriale n’existe plus. Faute d’offre culturelle valable partout sur le territoire métropolitain et outre-mer, le pass culture n’aura pas de succès.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Pour assurer une démocratisation culturelle véritable, notre politique ne peut reposer sur la seule logique d’offre. J’aimerais connaître votre vision du partage de la responsabilité exercée conjointement par les collectivités territoriales et par l’État en matière culturelle. Quelles propositions pouvez-vous faire pour clarifier le rôle de tous les acteurs – élus, professionnels, artistes, habitants – et redonner du souffle aux politiques culturelles locales ? Le pass culture a été une première étape, mais il n’a pas encore atteint son objectif de démocratisation et de diversification des pratiques des plus jeunes. La découverte culturelle doit débuter dès le plus jeune âge ; les collectivités territoriales et l’école ont un rôle à jouer en cette matière et veulent le tenir. Quels moyens leur donnerez-vous, ainsi qu’à l’école, pour étendre le pass culture aux collégiens et amplifier l’éducation artistique et culturelle ? Quel rôle envisagez-vous pour les élus et les cadres territoriaux dans ce processus, aux côtés des DRAC ? Comment repenser l’écosystème culturel pour permettre aux opérateurs culturels des collectivités de relever les défis auxquels ils font face pour assurer le service public et le service d’intérêt général de la culture ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Deux millions de jeunes gens sont inscrits au pass culture ; ce nombre colossal me permet de dire que c’est un succès. En face, l’offre existe bel et bien : 13 000 acteurs culturels sont également inscrits, ce qui permet à ces deux millions de jeunes gens de découvrir près de chez eux des librairies, des musées, des cinémas, des théâtres, des salles de concerts, des festivals.

Le nouveau pass culture opère une jonction avec l’éducation artistique et culturelle dès le collège. C’est en quelque sorte l’équivalent de la conduite accompagnée avant le permis de conduire : avant de disposer de 300 euros à dépenser comme ils le souhaitent, les adolescents accompagnés par des enseignants sont sensibilisés à l’art et ouverts à des expériences qu’ils n’auraient peut-être pas pu mener autrement. À ce stade, je l’ai dit, arrivent en tête le spectacle vivant et le cinéma. Cela montre que les enseignants se mobilisent et que les acteurs culturels travaillent avec le monde éducatif pour préparer des projets et les sorties correspondantes. Nous voulons même aller plus loin en milieu rural, en examinant la question des transports, fréquemment évoquée par les collectivités et les établissements scolaires. Nous étudions comment grouper dans certains cas une proposition de spectacle, de concert ou de film avec une aide aux transports, voire l’organisation d’un transport.

Le pass culture n’est pas qu’un bon d’achat de places ou d’abonnement ; il permet des expériences et des parcours. De plus en plus, le pass culture éditorialiste ces propositions, et mobilise des jeunes ambassadeurs très investis. J’ai rencontré plusieurs d’entre eux à Cannes : venus de Lille et de Roubaix, ils ont pendant deux jours vu des films, rencontré des artistes et vécu le festival bien au-delà d’une simple séance de cinéma. C’était aussi le cas à Avignon l’année dernière : des jeunes, grâce au pass culture, ont rencontré Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival, vécu les coulisses de La Cerisaie qu’il a mise en scène dans la cour d’honneur du Palais des papes, visité ce palais lors de la préparation technique du spectacle, échangé avec les artistes… Cette expérience marquante leur donnera envie d’aller au théâtre. Le pass culture n’est pas seulement un billet d’entrée au théâtre, j’y insiste, comme j’ai insisté sur le volet « développement des pratiques ».

De plus, notre politique dirigé vers les jeunes ne se limite pas au pass culture. Ainsi avons-nous lancé dans l’urgence « L’Été culturel » pendant la crise sanitaire en 2020, une expérience que nous avons ensuite reconduite. Il n’est pas vrai que les DRAC ne soutiennent que les gros établissements et les gros festivals : l’Été culturel a été l’occasion de soutenir plus de 8 000 projets qui ont touché plus d’un million de personnes, notamment des jeunes gens des quartiers en politique de la ville ou du milieu rural, et de créer des projets partout en France, et les DRAC ont pour rôle de continuer à le faire.

J’ai évoqué avec vos collègues sénateurs la création d’un fonds d’innovation territoriale avec les collectivités pour expérimenter des projets nouveaux, singulièrement dans les communes de petite et de moyenne taille. Notre politique de soutien aux bibliothèques s’est traduite lors du précédent quinquennat par l’extension des horaires d’ouverture, notamment dans les communes de moins de 100 000 habitants. Notre priorité absolue est la proximité, comme le montre aussi notre programme de développement des micro-folies. Nous en avons créé plus de 200. Elles suscitent l’engouement des maires : je ne pense pas que nous recevrions de leur part des demandes si nombreuses si cela ne correspondait pas aux attentes des citoyens. Ce programme ne cesse de se développer, là encore dans de petites villes et des communes de banlieue, telles Nevers ou Sevran.

Le financement de la politique culturelle repose pour les deux tiers sur les collectivités territoriales. L’État ne peut rien faire seul et c’est main dans la main que nous pouvons mettre en œuvre l’éducation artistique, la préservation du patrimoine, la mise en avant des métiers d’art. Nous avons amélioré le dialogue avec les collectivités grâce à des cercles de concertation et des comités locaux ; nous le renforcerons encore.

Nous devons agir sur l’espace numérique et sur le monde physique. La création française se doit d’être présente dans l’espace numérique, sinon n’y seront diffusées que des productions américaines ou chinoises. C’est à quoi nous nous sommes employés par les décrets relatifs aux services de media audiovisuels à la demande. La directive SMA que la France a portée au niveau européen et transposée très vite oblige les plateformes Netflix, Amazon, Disney et les autres à financer la création audiovisuelle et cinématographique française et européenne à hauteur de 20 % au minimum de leur chiffre d’affaires. C’est un succès historique pour l’Europe ; en France, je le tiens pour aussi important que la création du Centre national du cinéma après la Seconde Guerre mondiale. Si, quand on ouvre Netflix, on peut voir des séries et des films français, c’est grâce à la directive SMA, dont l’application rapportera plus de 300 millions d’euros par an à la création française.

Nous devons continuer d’investir le champ numérique sans perdre de vue pour autant vue la culture « en chair et en os ». Nos créateurs doivent pouvoir continuer de créer, partout sur notre territoire. C’est l’objet de la commande inédite Mondes nouveaux, programme de soutien à la conception et à la réalisation de projets artistiques dans des sites du patrimoine architectural, historique et naturel relevant du Centre des monuments nationaux ou du Conservatoire du littoral, et en d’autres types de lieux : un EHPAD, une université, une place publique, une école… L’annonce par le président de la République de l’acte II de cette commande publique exceptionnelle garantit que nous continuerons à soutenir la création physique et vivante dans les territoires.

Plusieurs interventions ont porté sur le financement de l’audiovisuel public. Le président de la République ayant proposé la suppression de la redevance dès le début de sa campagne de candidat à la présidence, je ne vois pas qu’il s’agisse d’une décision prise en catimini au cours des quinze derniers jours. Un débat public intense a lieu depuis plusieurs mois à ce sujet, et il ne fait que commencer au Parlement, où il se poursuivra pendant de longues semaines encore. C’est une très bonne chose, car l’attention de tous est ainsi appelée sur l’importance de l’audiovisuel public et de la qualité de l’information pour lutter contre les fausses informations et les bulles complotistes qui prolifèrent. Aussi bien, l’audiovisuel public porte la création française et il a une stratégie numérique forte pour s’adresser aux nouvelles générations puisque, effectivement, les postes de télévision tendent à disparaître des foyers.

Le rapport des inspections indépendantes des affaires culturelles et des finances qui vient de m’être remis sera publié dans les deux jours, je m’y engage. Vous y trouverez matière à réflexion, et ce sera une utile contribution à vos débats.

Je pense avoir été assez claire : la fin d’un canal de financement ne signifie pas la fin d’un budget mais son remplacement par un budget équivalent. Dans le texte qui vous est soumis figurent toutes les compensations, effets fiscaux compris. Vous m’avez interrogée sur l’avis rendu par le Conseil d’État. Effectivement, l’absence de régulation infra-annuelle initialement prévue n’est pas possible au regard de la LOLF et c’est pourquoi nous proposons le versement de la totalité des ressources en début d’année.

Nous avons travaillé et sur l’hypothèse de création d’une Autorité supérieure évoquée dans le rapport des sénateurs et sur une autre, consistant à s’appuyer sur l’ARCOM. Plusieurs visions existent de la manière de garantir davantage encore l’indépendance de l’audiovisuel public. Place, donc, au débat entre vous pour déterminer ce qui, de votre point de vue, est le plus protecteur, mais c’est déjà la mission cardinale de l’ARCOM, régulateur garant de l’indépendance de l’audiovisuel public. La loi de 1986 prévoit qu’il est obligatoirement consulté sur les contrats d'objectifs et de moyens et qu’il donne un avis rétrospectif sur leur exécution. Elle prévoit également qu’il peut être saisi par le Gouvernement, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou les commissions compétentes des deux chambres de demande d’avis ou d’études pour l'ensemble des activités relevant de sa compétence. Telles sont les garanties existantes et elles semblent suffisantes. Je l’ai dit, place au débat, et toute amélioration du texte est la bienvenue. Cela étant, j’ai été alertée sur le fait que si l’ARCOM est en mesure de garantir tout ce que nous souhaitons garantir, il n’est peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle autorité administrative indépendante ; j’en ai tenu compte dans le texte qui vous est soumis.

Mme Fabienne Colboc. En adoptant la loi du 21 février 2022, nous avons rendu possible la restitution ou la remise de quinze tableaux, dessins ou sculptures des collections publiques françaises aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. Cette loi votée à l’unanimité a permis pour la première fois la restitution d’œuvres spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation. Je me réjouis que vous ayez décidé d’explorer les pistes de réflexion conduisant à une loi-cadre à ce sujet. Quel pourrait être le calendrier de son élaboration et de sa mise en œuvre ?

Mme Annie Genevard. Bienvenue, madame la ministre, dans notre commission. Depuis le début de la pandémie, les lieux de culture ont, plus que d’autres, été assimilés à des lieux de contamination. C’est désolant, parce qu’il en est résulté une chute de la fréquentation, pour le cinéma en particulier. Une politique résolue, ambitieuse et innovante serait nécessaire pour inverser cette tendance très préoccupante.

Ayant eu de grandes préventions à l’égard du pass culture, je juge positivement l’évolution que vous envisagez, car le consumérisme ne devrait pas avoir sa place dans les politiques culturelles ; il faut au contraire travailler sur l’éducation et l’imprégnation des esprits. Parlant de « l’apaisement des mémoires », vous avez dit « ni déni, ni repentance » ; le chemin est étroit, et je vous invite à la plus grande vigilance car le sujet provoque des réactions épidermiques, voire explosives. S’agissant de la restitution des œuvres d’art, je distinguerais celles qui ont fait l’objet de spoliations, telles les œuvres pillées par les nazis, des autres restitutions. Sur le fond, comment concilier le souhait de restitution et le principe juridique de l’inaliénabilité des collections publiques ? Enfin, les collectivités locales étant les premiers financeurs de la culture, quels effets pourrait entraîner sur les politiques culturelles locales la baisse de 10 milliards d’euros de dotations aux collectivités ?

M. Quentin Bataillon. Nul ne voulant une culture à deux vitesses, les attentes sont fortes sur l’ensemble du territoire en matière de décentralisation de la culture. C’est ce qui explique les deux milliards d’euros du plan de relance en faveur de la culture que vous avez lancé. Au-delà des aides aux équipements et à l’offre, sommes-nous prêts à passer à l’étape supérieure, la construction de musées nationaux et l’installation de collections nationales hors de Paris ? J’appelle votre attention sur le magnifique projet de la métropole de Saint-Étienne visant à transformer l’actuel musée en réserve et à construire la Cité du design, grand musée national au rayonnement international assuré.

M. Paul Vannier. En France, neuf milliardaires possèdent 90 % des media. Le groupe TF1 possède huit chaînes, le groupe M6 en détient douze ; après leur fusion, plus du tiers des canaux de la TNT seront entre les mains des mêmes propriétaires. Le 20 juin dernier, vous déclariez « comprendre que les entreprises de media veuillent grouper leurs forces » et affirmiez que « ce n’est pas à l’État de se positionner sur ce projet ». Nous pensons l’exact contraire. Pour nous, la question, fondamentale sur le plan démocratique, de la propriété des media ne peut être abandonnée au marché. La concentration des media met en cause les droits des salariés des entreprises de presse, menace la liberté de la presse et la liberté d’expression et porte atteinte à la pluralité des sources d’information. En novembre dernier, votre prédécesseure s’interrogeait sur « l’efficacité des textes dont nous disposons pour limiter la concentration des media ». Que proposez-vous pour garantir leur indispensable pluralisme ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous avons pour souci constant de préserver notre maillage territorial de salles de cinéma, unique au monde avec un écran pour 10 000 habitants. Grâce au filet de sécurité très serré de mesures transversales et spécifiques appliquées pendant la crise sanitaire, aucun cinéma n’a mis la clé sous la porte en raison de la pandémie, et toute la chaîne du cinéma – distributeurs, producteurs, exploitants de salles – a bénéficié du plan de relance. Effectivement, la fréquentation des salles de cinéma n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la crise ; la baisse est de 25 % en moyenne. Mais il y a des raisons d’espérer. D’une part, les jeunes, par le biais du pass culture, vont de plus en plus au cinéma et les courbes remontent : le pass a déjà permis l’achat de deux millions de places de cinéma. D’autre part, on a comptabilisé 3 millions d’entrées pendant la Fête du cinéma, soit 4 % de plus qu’avant la crise, avec un film français dans les cinq films les plus vus : Les Irréductibles ont attiré 300 000 spectateurs en quatre jours. Voilà donc quelques signaux encourageants. Je me suis engagée à accompagner les exploitants de salles de cinéma, et nous travaillons avec leur Fédération à une campagne de communication en octobre. Nous examinerons semaine après semaine l’évolution de la fréquentation et travaillerons avec l’ensemble du secteur à faire retrouver à tous le plaisir du cinéma en salle et l’émotion des films sur grand écran.

L’examen du projet de loi relatif aux restitutions d’œuvres spoliées a été mené avec beaucoup de doigté par Mme Colboc, votre rapporteure, et par tous les parlementaires qui se sont impliqués. C’est à l’honneur de la France. Nous allons engager l’élaboration d’une loi-cadre avec le concours de la mission de Jean-Luc Martinez, ambassadeur chargé de la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, qui travaille avec nos partenaires africains et européens pour évaluer au plus près quels pourraient être les critères de « restituabilité », pour mesurer dans quels cas de coopération on pourrait déroger à l’inaliénabilité de nos collections. Les restitutions ne sont pas une fin en soi mais un élément d’une coopération globale avec un pays et ses acteurs culturels ; les parlementaires seront largement associés à ces réflexions. La spoliation des biens des familles juives est évidemment une question différente. La France travaille sur ce sujet très important depuis plus de trente ans et nous sommes mûrs pour présenter une loi. Il convient d’apprécier comment insérer un tel texte dans le calendrier parlementaire, mais j’y tiens beaucoup.

En évoquant la tenue d’états généraux du droit à l’information, j’ai souligné les questions que soulève la concentration des media. Je ne peux embrasser dans sa totalité un sujet aussi complexe en une minute, mais la question sera débattue dans ce cadre, et j’ai émis l’hypothèse d’une potentielle évolution législative à l’issue des états généraux. Il vous appartiendra, bien sûr, d’y travailler avec nous. Il n’y a rien de tabou à vouloir faire évoluer la loi de 1986 pour définir comment protéger le droit à l’information et le pluralisme des media des dérives qui pourraient résulter de concentrations.

J’ai évoqué l’organisation et la gouvernance de l’audiovisuel public dans des interviews et au Sénat. Je suis attachée à une certaine méthode, dans laquelle on commence par échanger sur les missions prioritaires, dont j’ai exposé ce qu’elles sont pour le Gouvernement : la jeunesse, la création, la vie locale avec les médias de proximité comme le permet le rapprochement entre France 3 et France Bleu, et aussi la stratégie numérique.

Sur tous ces points, une réflexion de fond doit être menée avec les entreprises de l’audiovisuel public. Je sais que vous allez les recevoir et je ne doute pas que vous aurez des réponses assez riches pour alimenter vos réflexions. Les synergies peuvent-elles se renforcer sans passer par un changement radical de gouvernance ? Peut-on envisager la création de groupements d’intérêt économique (GIE) ou d’autres formes de coopération en rapprochant les entreprises en fonction d’axes précis ? Faut-il privilégier le projet de holding proposé dans le précédent projet de loi audiovisuelle avant que la crise sanitaire nous oblige à le reconsidérer ? Faut-il aller directement vers une fusion, proposition qui est celle des sénateurs et qui est dans le débat public depuis plusieurs années ? Ces questions ne peuvent être tranchées en quelques instants avant un débat de fond sur les missions, les priorités et les périmètres des missions de l’audiovisuel public et sur les synergies possibles.

Mme Annie Genevard. Pourriez-vous nous dire un mot de la baisse des dotations aux collectivités ? La précédente a eu un très fort impact sur les budgets régionaux de la culture.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Il existe différents cadres de discussion entre l’État et les collectivités, et elle a lieu aussi par le biais des préfets pour les contrats de plan État-Région. Nous pouvons donc discuter précisément avec chaque collectivité de ses priorités et de sa vision de la culture. Je serai très vigilante pour que, de l’éducation artistique à la préservation du patrimoine en passant par le soutien à la création dans les territoires, nous ne perdions pas le bénéfice de toutes ces belles années de décentralisation.

Mme Frédérique Meunier. Le Sénat propose de créer un medium de service public territorialisé déclinant son offre éditoriale sur tous les supports. Dans ce cadre, il recommande de réunir France 3 et France Bleu dans une même filiale de la société unique pour proposer des programmes conçus en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion devrait aussi permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs. Quel est votre avis sur cette proposition ?

Mme Fatiha Keloua Achi. L’année 2022 sera donc celle de l’extension de la classe d’âge des bénéficiaires du pass culture. Ce dispositif a été présenté comme le chantier culturel prioritaire de la législature précédente, alors que 30 euros seront donnés aux jeunes de 17 ans, 20 euros aux jeunes de 15 ans et, demain peut-être, 10 euros aux jeunes âgés de 13 ou 14 ans. La somme est dérisoire, vous me l’accorderez. Pourtant, le pass est sous-utilisé et, lorsqu’il est utilisé, le crédit mis à disposition n’est pas totalement employé et les achats sont concentrés sur des objets culturels très restreints. Enfin, l’accès au pass est loin d’être simple.

L’augmentation du nombre de bénéficiaires potentiels ne peut cacher de fortes disparités d’utilisation. Quelle stratégie mettrez-vous en œuvre pour que ceux qui sont les plus éloignés de l’offre culturelle profitent du plein potentiel de ce dispositif ? La Première ministre a annoncé l’extension du pass culture aux élèves des classes de sixième et de cinquième, mais pourquoi les jeunes gens âgés de plus de 18 ans n’auraient-ils pas aussi droit à un accès renforcé à la culture, eux qui ont été si malmenés au cours des deux dernières années et qui subissent maintenant une précarisation croissante ? Le développement de la part collective du pass culture suffira-t-il à promouvoir la médiation et l’éducation artistique et culturelle alors que de nombreuses visites guidées et de nombreux petits théâtres ne sont pas affiliés ? Vous l’avez dit, la part collective du pass ne comprend pas le prix du transport, alors qu’il coûte parfois plus cher que la sortie culturelle elle-même. Le pass est présenté comme un levier de la culture pour tous ; envisagez-vous d’en faire désormais un outil d’accès à toute la culture ?

M. Quentin Bataillon. Mes collègues Cécile Rilhac et Raphaël Gérard s’associent à ma question. Lors de la précédente législature, la suppression de France Ô a suscité une émotion justifiée. Au-delà, tout un travail a débuté avec le ministère de la Culture, auquel vous avez participé dans vos anciennes fonctions, en lien étroit avec les parlementaires. Il en est résulté le pacte de visibilité pour l’outre-mer, qui comprend quinze engagements visant à une plus grande exposition de l’outre-mer, plus de programmes ultramarins aux heures de grande écoute, plus de coopération et surtout la garantie d’investissements importants dans des productions ultramarines. Pouvez-vous un point d’étape de l’application de ce pacte ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je me réjouis que le pass culture suscite autant de passion et d’intérêt. Je dois cependant rectifier les montants cités. La somme allouée est de 300 euros à 18 ans, sachant, de plus, que l’éligibilité au dispositif est acquise jusqu’à la fin de la dix-neuvième année. La priorité a été donnée aux collégiens et aux lycéens pour faire la jonction avec la politique d’éducation artistique et travailler le plus possible avec les enseignants. En classes de seconde, première et terminale, le montant alloué est de 50 euros par élève et par classe, dont 30 euros sont destinés à une sortie collective et 20 euros à des dépenses individuelles. Au collège, la somme est de 25 euros par élève par classe. Le budget, calculé par classe puisqu’il s’agit d’organiser des sorties collectives, est donc assez élevé.

En disant que les adhérents au pass culture concentrent leur choix sur un nombre très restreint d’objets culturels, vous pensez, je suppose, aux mangas. Il me semble assez naturel que l’engouement pour les mangas qui touche toute la société se traduise dans l’utilisation du pass. Je compare cela à l’attirance pour le rock dans les années 1960… Mais lire des mangas, c’est lire, et les acheter en librairie plutôt qu’en les commandant en ligne à Amazon, c’est soutenir les librairies indépendantes. Surtout, la magie du travail des libraires opère, si bien que plus d’une fois sur deux, les jeunes venus acheter un manga ressortent de la librairie avec leur manga, certes, mais aussi avec un autre livre : de ce que l’on m’a dit, romans, bandes dessinées, livres de cuisine et livres féministes font partie des meilleures ventes via le pass culture. Il y a donc là un potentiel réel, le Syndicat de la librairie française pourra vous le confirmer.

Outre que les ventes par ce biais sont beaucoup plus diversifiées que les seules ventes de mangas, je tiens de la librairie Mollat à Bordeaux, la plus grande de France, que 10 % de son chiffre d’affaires se fait via le pass culture. C’est donc un soutien considérable pour les libraires indépendants. Surtout, cela donne l’habitude aux jeunes gens de se rendre à la librairie, de faire connaissance avec leur libraire, de se rendre compte de la magie des livres qu’ils peuvent y trouver – et, espérons-le, d’y retourner plus tard même quand ils n’auront plus le pass culture. Telle est l’idée qui sous-tend ce dispositif.

L’affiliation des acteurs culturels est une démarche libre assez simple. J’invite les structures culturelles de toute taille qui éprouveraient des difficultés à s’affilier à se mettre en contact avec les équipes de Sébastien Cavalier, le président de la SAS pass culture, et avec les équipes chargées du développement du dispositif auprès des DRAC.

La visibilité des outre-mer sur les chaînes de l’audiovisuel public est d’une telle importance qu’un pacte de visibilité a été conclu à ce sujet par France Télévisions sous l’œil vigilant du ministère de la Culture et du ministère des Outre-mer. Il a eu pour effet que 49,5 millions de téléspectateurs, soit 86 % de la population, ont regardé au moins un contenu ultramarin sur les antennes de France Télévisions en 2021 et que 8,7 millions de téléspectateurs en moyenne regardent chaque semaine des programmes ultramarins sur France Télévisions. Le portail numérique consacré aux outre-mer lancé en juin 2020 a reçu près de 20 millions de visites. Mieux encore, nous avions pour objectif le déploiement des programmes ultramarins sur toutes les chaînes du service public, et c’est le cas : le nombre de programmes ultramarins diffusés en première partie de soirée est passé de huit en 2018 à quarante-et-un en 2021.

L’un des axes prioritaires des contrats d’objectifs et de moyens 2020-2022 de Radio France et de France Télévisions était le renforcement de l’offre de proximité. Il est résulté du rapprochement des réseaux locaux de France 3 et de France Bleu le déploiement progressif, depuis 2019, des matinales communes, dont la généralisation est prévue en 2024. De janvier 2019 à janvier 2022, vingt-quatre matinales communes ont eu lieu ; dix devraient l’être dans les mois qui viennent et le mouvement se poursuivra. Un media numérique de la vie locale a été lancé ; intitulé « Ici », il est piloté paritairement par un GIE réunissant France Télévisions et Radio France ; c’est pourquoi j’ai mentionné ce possible mode de synergie pour concevoir et porter des offres nouvelles. Les synergies existantes doivent être approfondies ; le sujet sera abordé lors de la discussion des nouveaux contrats d’objectifs et de moyens.

Les Français ressentent le besoin de média de proximité, d’une information traitant encore davantage de la vie locale, ouvrant vers des services locaux et la prise en compte de la vie culturelle locale. À mon sens, c’est l’un des éléments clés qui permettront de renouer la confiance entre les Français et les média.

Mme Emmanuelle Anthoine. Je traiterai de l’égalité territoriale, en rappelant qu’en 2019, 58 % des crédits de la mission Culture étaient destinés à l’Île-de-France et donc 42 % seulement aux autres régions. Plus encore : 80 % des dépenses des opérateurs de cette mission sont liées à la région parisienne. Le reste du pays ne saurait être laissé aux marges de notre politique culturelle. La crise sanitaire a appelé l’attention sur les conséquences du tourisme de masse. Il n’est plus possible d’envisager un modèle tel que le Louvre et le château de Versailles sont submergés par un afflux excessif de visiteurs alors que des sites culturels remarquables sont délaissés en province. Le rééquilibrage des parcours des visiteurs passe par un effort supplémentaire de votre ministère. Allez-vous – et si oui, quand ? – entreprendre une politique renforçant réellement l’attractivité des innombrables sites culturels de nos régions cependant que l’offre culturelle parisienne est à saturation ?

Mme Béatrice Bellamy. Je salue votre action auprès du président de la République durant l’apogée de la crise sanitaire, l’action gouvernementale menée alors ayant permis de sauver des pans entiers de notre secteur culturel. Vous êtes néanmoins confrontée à un défi inquiétant, le maintien de la culture du quotidien par la pérennité du tissu associatif local. La fréquentation des salles de spectacle a diminué d’un quart environ par rapport à 2019 ; pour certains de nos concitoyens, les habitudes d’avant la pandémie ne sont pas revenues. Une même baisse de fréquentation s’observe dans le bénévolat associatif : des associations de danse, de théâtre, de musique, de cirque pâtissent de la réduction significative du nombre de leurs adhérents. Autant d’emplois sont en jeu, d’événements en péril, et le dynamisme local est menacé. Quelles mesures avez-vous prises et comptez-vous prendre pour aider les associations culturelles locales à reconquérir leurs adhérents ?

Mme Cécile Rilhac. Étant donné les mutations que connaissent les média, je suis convaincue que les entreprises audiovisuelles publiques doivent développer et renforcer les approches collaboratives pour proposer un service public adapté à l’évolution des usages. Ma question porte sur la politique audiovisuelle pour les outre-mer ; je vous prie de m’excuser si elle est redondante, mais nous travaillons dans de drôles de conditions ce soir, obligés que nous sommes de nous absenter sans cesse pour aller voter en séance publique. Le bilan du pacte pour la visibilité des outre-mer dans l’audiovisuel public est déjà très positif, les vingt-cinq engagements pris ayant déjà été mis en œuvre, ce que je salue. J’espère que cette première étape permettra d’engager une réelle dynamique. Mais, à l’heure de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, quelles garanties budgétaires comptez-vous donner pour renforcer la visibilité des territoires ultramarins dans l’audiovisuel public ?

M. Rodrigo Arenas. Nos va-et-vient répétés ne doivent pas être interprétés comme de la discourtoisie ; il nous faut aller voter dans l’hémicycle en même temps que se tient cette audition, et ce ne sont pas des conditions optimales de travail que cette valse permanente des députés. Je reviens sur la proposition de suppression de la redevance télévisuelle. Elle rapporte chaque année quelque 4 milliards d’euros, l’équivalent du budget du ministère de la Culture, et notre commission devra examiner cette proposition sans que soit respecté le principe de sincérité puisque nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour apprécier comment la suppression de la redevance sera compensée. Nous ne saurons pas davantage si la compensation sera faite à l’euro près, et donc si l’équilibre financier sera respecté et si les missions que finançait la contribution à l’audiovisuel public seront maintenues et poursuivies. On peut craindre que, pour ces raisons, le texte soit retoqué par le Conseil constitutionnel comme l’a été celui qui portait réforme de la taxe d'habitation.

Mme Anne-Sophie Frigout. Nos églises, chapelles et calvaires sont des éléments indissociables de notre identité et de notre histoire. Il nous appartient de préserver ces joyaux architecturaux, fruit du labeur des générations précédentes. Outre l’état parfois inquiétant de nombreux édifices, on estime que dans les dix prochaines années de 2 500 à 5 000 nouvelles églises pourraient fermer. Une autre inquiétude tient à ce qu’un certain nombre d’édifices passent aux mains de propriétaires privés qui pourraient privilégier des intérêts commerciaux ; ainsi, à Angers, une chapelle a été transformée en discothèque. Face à ce désastre annoncé, qu’entend faire le Gouvernement pour renforcer l’accompagnement des élus locaux et de tous ceux qui se battent pour sauver une partie de l’identité de nos communes ? Souscrirez-vous à la proposition de Marine Le Pen visant à instaurer un service national du patrimoine, de jeunes volontaires venant alors œuvrer à la restauration de sites historiques et religieux ? Comptez-vous relever le défi sociétal et civilisationnel que représente la préservation de notre patrimoine religieux en en faisant une priorité de votre action ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous avons déjà dressé un premier bilan positif du pacte de visibilité de l’audiovisuel public pour les outre-mer. Je redonnerai le chiffre le plus important : le nombre de programmes ultramarins en première partie de soirée sur les chaînes de l’audiovisuel public est passé de huit en 2018 à quarante-et-un en 2021. Cela montre l’ampleur du déploiement sur l’ensemble des chaînes de programmes qui mettent en lumière les richesses de ces territoires. Au-delà de l’audiovisuel public, la place des artistes ultramarins et notre politique en faveur du patrimoine ultramarin figurent au nombre de nos priorités. Ainsi dans la commande publique Mondes nouveaux avons-nous mis un accent particulier sur les territoires ultramarins et réussi à obtenir un réel équilibre dans les candidatures. Beaucoup de projets se dérouleront donc dans les territoires ultramarins ; c’est une bonne nouvelle.

Nous avons beaucoup œuvré à la réduction du déséquilibre territorial. Les directions des grands musées parisiens sont déjà engagées dans le déploiement de leurs collections et de leurs expositions en région. Nous poursuivrons ce mouvement, dont je citerai deux exemples emblématiques : l’exposition nationale Arts de l’Islam conçue par le musée du Louvre a été présentée simultanément dans dix-huit villes de France, adaptée dans chacune aux collections locales pour les faire dialoguer avec celles du Louvre ; le Centre Pompidou, qui sera fermé pour travaux pendant trois à quatre ans, va développer un programme de circulation de ses collections et d’expositions « hors les murs ».

Vous avez souligné l’importance de renforcer l’attractivité de nos régions par de grands projets culturels. Je reviens à cet égard à Villers-Cotterêts. Il est remarquable que ce grand chantier présidentiel ne soit pas à Paris, et ne soit pas non plus un bâtiment neuf, contrairement à ce que voulurent souvent des présidents de la République désireux de laisser leur empreinte, mais qu’il consiste en la restauration d’un patrimoine gravement dégradé qu’il fallait faire revivre. C’est de l’attractivité de tout un territoire qu’il s’agit, dans la ville de naissance d’Alexandre Dumas et dans un département, l’Aisne, qui est une très riche terre littéraire – celle de Jean de La Fontaine, de Racine, de Paul et Camille Claudel – une terre de musées et de châteaux, une terre de promenades aussi avec la forêt de Retz et où l’on pourra susciter une attractivité touristique régionale nouvelle.

Vous semblez très inquiets de savoir comment l’État trouvera à financer l’audiovisuel public. Le budget global de l’État s’élève à plus de 300 milliards d’euros ; la dépense considérée en représente donc 1 % environ. Plutôt que moi, c’est Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, qui répondra sur les voies et moyens utilisés mais je n’ai aucune inquiétude. Je rappelle d’autre part que votre commission peut se faire communiquer par l’ARCOM les données qui lui permettent de progresser dans ses travaux ; j’espère que vous pourrez auditionner Roch-Olivier Maistre, son président. Vous trouverez aussi un certain nombre d’éléments dans le rapport des inspections des affaires culturelles et des finances. Je sais enfin que vous allez entendre les entreprises de l’audiovisuel public. Je pense donc que vous aurez accès à toutes les données nécessaires. J’ai indiqué que dans le PLFR pour 2022 est inscrite la compensation de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public à l’euro près, effets fiscaux compris. J’ai aussi rappelé l’engagement, qui figure également dans le texte, que la totalité de la ressource sera versée en début d’année pour éviter une régulation infra-annuelle.

J’en viens à nos églises. Le plan de relance nous a permis d’agir en faveur de notre priorité absolue, la préservation du patrimoine. En particulier, le plan Cathédrales, doté de 80 millions d’euros, ce qui est sans précédent, se traduit par des chantiers sur tout le territoire. Ces chantiers créent des emplois et une dynamique territoriale, soutiennent des métiers d’art et des entreprises locales telles que des carrières de pierre, dans le Gers ou ailleurs. Ce plan se poursuivra. Nous resterons aussi très vigilants, grâce au Loto du patrimoine, à toutes les petites églises, dont certaines ne sont pas classées. Tout citoyen peut signaler sur la plateforme un site en péril, ce qui nous permet d’examiner avec la mission Bern et les DRAC quels sont les monuments à restaurer en priorité.

Cela étant dit, le programme de Marine Le Pen, que j’ai lu, faisait état d’un soutien au patrimoine dans l’optique « du redressement moral de la France ». Ce n’est ni mon vocabulaire, ni ma vision. Je n’ai pas à faire de plus amples commentaires sur le « défi sociétal » dont a parlé madame Frigout mais, pour ma part, je m’attache aux vocations que sont les métiers du patrimoine, ces métiers de sens et d’avenir, l’excellence de la main de nos artisans. C’est ce sur quoi je veux également mettre l’accent : le patrimoine, ce ne sont pas que des pierres, ce sont aussi des vies et des métiers, et ce sera une autre de nos priorités.

Mme Béatrice Piron. Lors de votre prise de fonction, vous avez évoqué le défi majeur de la transition écologique dans le secteur culturel, et la Première ministre a indiqué que chaque ministre aurait une feuille de route « climat ». Quels sont vos projets en matière de transition écologique ? Ne pourrait-on encourager chacune de nos institutions culturelles à devenir encore plus écoresponsable ? Je donnerai pour exemple l’arboretum de Versailles-Chèvreloup, qui fait partie du domaine royal de Versailles. Depuis près d’un siècle, le Muséum national d’histoire naturelle y a développé un musée vivant ; plus de 2 500 espèces d’arbres et 8 000 espèces de plantes y sont répertoriées sur plus de 200 hectares. Les élus de Rocquencourt portent un projet de cultures maraîchères éco-responsables dans cet arboretum pour fournir les cantines scolaires et les résidences pour personnes âgées. Ne pourrait-on étendre les missions de l’établissement pour permettre cette réalisation sur une toute petite parcelle de ce lieu ?

M. Alexis Corbière. Je vous présente mes excuses pour un va-et-vient inconfortable et irrespectueux de nos travaux mais dont nous ne sommes pas responsables. Demain, notre commission examinera pour avis le PLFR pour 2002. Dans l’article 1er, vous proposez la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, présentant cette mesure comme un gain de pouvoir d’achat. C’est une très mauvaise méthode de considérer que l’on peut gagner du pouvoir d’achat en affaiblissant le service public. Non seulement je ne suis pas d’accord avec ce biais idéologique mais, surtout, un flou complet règne sur la manière dont seront compensés les 3,7 milliards d’euros que la redevance rapporte chaque année. Vous venez de tenir des propos saisissants : cette somme représente 1 % du budget de l’État, vous n’avez pas la réponse et il faut la demander à Gabriel Attal. Le budget de votre ministère est de 4 milliards d’euros, et vous nous dites en bref que vous pourriez le doubler par une simple discussion avec monsieur Attal ! Qui peut croire que 3,7 milliards d’euros traînent dans le budget de l’État, avec lesquels on peut facilement compenser la suppression de la redevance ? Ce n’est pas sérieux.

Il est extrêmement inquiétant pour les citoyens et pour les professionnels d’entendre que vous ne savez pas comment sera trouvé l’équivalent d’une redevance qui constitue 80 % du financement de France Télévisions. Ce l’est d’autant plus que les ressources allouées à notre service public de l’audiovisuel baissent depuis des années ; déjà, en cinq ans, depuis 2017, l’allocation à France Télévisions a été réduite de 229 millions d’euros. Quel est l’enjeu ? En même temps qu’est conduite cette politique extrêmement floue, des empires médiatiques se constituent qui perçoivent une aide publique. Ainsi Bernard Arnault a-t-il touché l’année dernière 17 millions d’argent public pour les médias dont il est responsable, pendant que le budget de France Télévisions était amputé de 26 millions d’euros. Voilà pourquoi nous sommes opposés à cette mauvaise proposition.

Mme Véronique Riotton. Députée de la Haute-Savoie, je me félicite que l’industrie créative figure dans votre feuille de route et j’espère vous accueillir au Festival international du film d’animation que nous organiserons en juin 2023. La question de la redevance pour copie privée sur les produits reconditionnés a été débattue lors de l’examen de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France ; les reconditionneurs estiment qu’elle n’a pas à être appliquée à leurs produits puisqu’elle l’a été lors de la première vente. Quelle est votre opinion sur l’avenir de cette redevance ? Est-il envisageable d’intégrer des reconditionneurs dans l’organigramme de Copie France ?

Mme Claudia Rouaux. De multiples communes ont la charge de l’entretien et de la restauration de lieux de culte construits avant 1905, pour l’essentiel des églises, parfois classées monument historique, qui sont aussi des lieux de culture puisqu’elles accueillent notamment des concerts. De nombreuses communes rurales ne peuvent supporter seules le coût de réfection, souvent exorbitant, de ces édifices. Je mentionnerai l’exemple de l’église d’une commune de 300 habitants de ma circonscription, Les Iffs, dont la restauration demande deux millions d’euros. Il en va pourtant de la sécurité des utilisateurs et de la sauvegarde de notre patrimoine. Les préfets tentent d’aider les maires par la dotation d’équipement des territoires ruraux ou de la dotation de soutien à l’investissement local, mais ces dotations ne suffisent pas, et de loin, à couvrir l’ensemble des coûts. Le ministère dispose-t-il d’un état complet des édifices en péril ? Quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement pour mieux aider les maires à faire face aux dépenses de préservation du patrimoine, culturel ou pas ?

M. Karl Olive. J’espère, madame la ministre, que nous vous verrons à Poissy, à la Villa Savoye, la première pièce de collection du futur musée Le Corbusier. Ayant rédigé un rapport sur l’insertion des jeunes par le sport dans les quartiers en politique de la ville, j’ai constaté que le pass’sport est une sorte de machine à gaz peu accessible à la population qui y est éligible. En parallèle, comment s’assurer que tous les élèves des classes de quatrième jusqu’aux classes de terminale découvrent et utilisent le pass culture ? Quel premier bilan peut-on tirer de la généralisation de l’offre pour les utilisateurs éloignés des pratiques culturelles, dans les quartiers de la politique de la ville comme dans les territoires ruraux ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Un des principaux volets du dernier texte relatif à l’audiovisuel concernait la lutte contre le piratage des contenus, dont le coût avait été estimé à quelque 500 millions d’euros pour le seul domaine sportif et à près d’un milliard si l’on ajoute le piratage de films et de musique. On avait alors débattu sur le point de savoir s’il fallait pénaliser l’utilisateur pirate ou les sites illégaux. Quelle est l’efficacité de l’injonction dynamique, mesure prise pour lutter contre les sites pirates ?

M. Belkhir Belhaddad. Je suis heureux de vous avoir entendue évoquer le plan Cathédrales dont a bénéficié la cathédrale de Metz. Au cours de la précédente législature, de nombreux journalistes nous ont parlé des violences dont ils ont été victimes, notamment pendant la crise sanitaire. Ils insistent fortement sur la nécessité de mieux éduquer les jeunes gens aux media et à l’information pour contrer l’enfermement sur les réseaux sociaux. Quelle importance y accorderez-vous ? Comment les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale coopèrent-ils dans ce domaine ?

M. Hendrik Davi. Pour nous, la culture, comme l’éducation, est un moyen majeur d’émancipation des citoyens, non une marchandise comme une autre ; ce qu’il en est pour vous, on ne le sait trop. Plus concrètement, il n’y a pas de culture sans acteurs et travailleurs de la culture, mais l’exercice de ces métiers présente des particularités qui font qu’un régime d’indemnisation spécifique est essentiel à la survie financière des professionnels du spectacle. Le principe de ce régime spécifique a été consacré dans le code du travail, et le régime des intermittents du spectacle a permis un foisonnement culturel en France. Quels engagements prenez-vous pour ce régime, menacé, et en faveur duquel les théâtres se sont mobilisés en 2021, alors même que la réforme de l’assurance chômage pénalise tous les autres précaires ? D’autre part, il n’y a pas de culture vivante si elle n’est pas accessible au plus grand nombre ; il est urgent de résorber la fracture culturelle actuelle. Quelles autres mesures que le pass culture prendrez-vous pour étendre la gratuité de l’accès à la culture, dans les musées par exemple ?

Mme Anne Brugnera. Ma question porte sur la restauration du patrimoine et découle de mes entretiens avec des artisans vitraillistes de ma circonscription. Le plomb pourrait être inscrit à l’annexe 14 du règlement européen Reach qui encadre la production et l’utilisation de produits chimiques. En ce cas, l’interdiction de son usage deviendrait la règle et il ne pourrait plus être utilisé que sur autorisation. Nous savons les dangers de ce matériau pour la santé et pour l’environnement. Toutefois, en l’état actuel de la connaissance, les vitraillistes n’ont pas d’alternative. Les artisans reconnaissent la dangerosité du plomb et utilisent des méthodes de protection efficaces, comme l’ont vu ceux qui sont allés visiter le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. Ils ont un savoir-faire précieux, essentiel à la préservation de notre patrimoine. Nous devons donc les accompagner pour faire face à ce nouveau défi. Comment les aider ?

M. Léo Walter. Comme mes collègues, je vous présente mes excuses pour un va-et-vient permanent vers l’hémicycle, qui me fait peut-être vous poser une question à laquelle vous avez déjà répondu. Elle porte sur les conséquences de la crise sanitaire sur le spectacle vivant, en particulier sur les festivals de musiques actuelles. De très nombreux festivals sont annulés cet été et les autres constatent une fréquentation en baisse de 20 à 30 % alors que le seuil de rentabilité pour ce type de manifestation est un taux de remplissage de 90 %. Dans le même temps, ils font face à la fois à l’inflation des coûts matériels et à une pénurie de personnel technique. Vous avez déclaré le 27 juin que le « quoi qu’il en coûte » était sans doute terminé pour cette filière. Comment envisagez-vous alors de la soutenir dans cette situation difficile ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. La transition écologique sera une priorité pour mon équipe ; c’est l’une des missions spécifiquement allouées à ma directrice adjointe de cabinet ici présente. Nous avons déjà lancé plusieurs groupes de travail au sein du ministère et avec les différents opérateurs et lieux culturels puisque tous les secteurs sont concernés : la mode, les musées, les festivals, les musiques actuelles, le cinéma… Nous devrons traiter de l’équipement et de l’aménagement des salles, mais aussi de la mutualisation de ressources, du recyclage de décors, du traitement des déchets. Le sujet est extrêmement vaste.

J’ai longuement répondu aux questions relatives à la redevance et au budget de l’audiovisuel public, mais je redis avec plaisir que des garanties sont données dans le texte et seront apportées dans les contrats d’objectifs et de moyens qui seront discutés entre l’État et les entreprises de l’audiovisuel public. Nul n’a jamais dit que la suppression de la redevance s’accompagnerait de la suppression du budget de l’audiovisuel public. Au contraire, la Première ministre a parlé d’un financement pérenne, et le président de la République s’est aussi engagé à préserver son indépendance. C’est assez clair.

S’agissant de la trajectoire passée, 190 millions d’économies environ ont effectivement été réalisées ces dernières années par l’audiovisuel public. L’audience a-t-elle baissé ? Non. France Télévisions affiche une part d’audience record depuis 2015, Radio France est en très bonne santé, France Inter a le record d’auditeurs. L’information, à Radio France, à France Télévisions, sur Arte a-t-elle perdu en qualité ? Non. Y a-t-il eu moins d’investigations, moins d’enquêtes, moins de documentaires ? Non. Y a-t-il eu moins de culture ? Non – mieux, L’Expérience, documentaire d’auteur et écriture sonore, a été pérennisée sur France 4. Le soutien à la création a-t-il été maintenu ? Oui, avec 500 millions d’euros pour France Télévisions. Des marges d’économie étaient donc possibles sans renoncer aux missions fondamentales de l’audiovisuel public, qui ont non seulement été préservées mais renforcées.

M. Alexis Corbière. Ce n’est pas ce que disent les syndicats.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. La table ronde que vous avez prévue demain avec les entreprises et les groupes concernés vous montrera un bilan assez réjouissant, et vous pourrez apprécier que notre audiovisuel public est fort et pluraliste. Les chiffres d’audience comme ceux de l’investissement et de la création de France Télévisions sont publics. La qualité de l’audiovisuel public est même plus forte qu’il y a quelques années puisque nos entreprises sont en très bonne santé et innovantes, y compris en matière de stratégie numérique. Nous allons poursuivre avec elles le dialogue de fond sur leurs missions et sur les enjeux prioritaires que sont la proximité, le numérique, l’information, la jeunesse, la création. Les trajectoires se discutent et se négocient et vous aurez évidemment votre avis à donner sur les nouveaux contrats d’objectifs et de moyens au cours des mois qui viennent puisque les contrats d’objectifs et de moyens en cours s’achèvent à la fin de cette année.

M. Alexis Corbière. Et les recettes ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Les recettes sont garanties, nous l’avons dit, mais je ne vais pas me lancer dans un cours de comptes publics. Dans un budget de 300 milliards d’euros, on trouve l’équivalent de la redevance et la compensation des effets fiscaux. C’est possible puisque nous le garantissons.

M. Alexis Corbière. On peut donc doubler le budget du ministère de la Culture ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Ce n’est pas le budget de la culture. Il y a toujours eu un budget pour l’audiovisuel public et autre pour la culture. Ces missions vont rester séparées, visibles et transparentes. Vous me donnez d’ailleurs l’occasion de rappeler que le budget de la culture n’a jamais été aussi haut, puisqu’il a dépassé les 4 milliards d’euros, montant historique, augmentant assez largement depuis 2017. Donc, restons confiants pour la suite au sujet du budget de la culture qui n’est pas mêlé à celui de l’audiovisuel public. Il y aura bien une mission « Audiovisuel public » séparée, pour laquelle la garantie de la compensation à l’euro est très claire dans ce PLFR pour 2022.

Les vitraillistes font partie des artisans des métiers d’art. Nous examinerons avec une vigilance particulière le résultat de la consultation publique en voie d’achèvement sur l’usage du plomb. Le comité européen ad hoc devra se prononcer sur de nombreux paramètres – le tonnage, la dangerosité, le caractère dispersif du plomb – et il examine aussi l’impact des mesures envisagées sur l’industrie. Nous sommes pleinement mobilisés car est en jeu la pérennité de toute une profession, et avec elle de tout un savoir-faire pour nos monuments historiques, nos cathédrales et l’ensemble de notre patrimoine culturel.

Je ne reviendrai pas une nouvelle fois sur le pass culture car je crains de trop me répéter.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Chers collègues, si vous me demandez la parole, je vous la donne volontiers. En revanche, je juge que les interpellations ne sont ni utiles à la bonne tenue du débat et à la compréhension des arguments avancés, ni agréables. Lorsque vous souhaitez prendre la parole, levez le chevalet portant votre nom et je pourrai vous la donner. Monsieur Corbière, si vous voulez bien procéder de la sorte la prochaine fois, ce sera beaucoup plus facile.

Mme Anne Brugnera. Comme il a été question de la restauration de Notre-Dame de Paris, j’indique, madame la présidente, que je vous demanderai prochainement, au nom de tous les collègues, de reconstituer la mission de suivi de ce chantier.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Plusieurs questions ont porté sur le patrimoine religieux. Selon les estimations de la Conférence des évêques de France, notre pays compte environ 42 000 églises et chapelles paroissiales. L’État est propriétaire de 89 édifices affectés au culte catholique, dont 87 cathédrales. Trente-cinq pour cent des édifices religieux ou d’origine religieuse sont protégés au titre des monuments historiques et 60 % des crédits des DRAC alloués à la conservation des monuments historiques sont consacrés à la conservation du patrimoine religieux. Il s’agit là des crédits du ministère de la Culture et, en outre, plus de 110 millions sont destinés au patrimoine religieux ou d’origine religieuse dans le cadre du plan de relance. L’effort est donc colossal mais, étant donné l’ampleur de ce patrimoine, cela ne suffit pas. Nous devons donc restaurer d’abord le patrimoine le plus menacé et procéder par phasages.

Vous avez mentionné les difficultés, aggravées par la vague de chaleur, que connaissent les festivals de spectacle vivant à la suite de la crise sanitaire. Tout est fait, en lien avec les préfets, pour soutenir festivals et festivaliers. Le pass culture est un levier pour les festivals aussi. Au printemps, plusieurs partenariats ont été menés par les équipes du pass culture avec les festivals de musique : 4 000 places ont ainsi été achetés pour le Printemps de Bourges, et à peu près autant pour Marsatac à Marseille. À chaque fois, il ne s’agit pas seulement de billets mais d’expériences et de rencontres. Solidays et bien d’autres ont également conclu un partenariat avec la SAS pass culture.

Dans le cadre des festivals, nous sommes très vigilants dans la lutte contre les violences et le harcèlement sexuel et sexiste. Le ministère de la Culture, par l’intermédiaire du Centre national de la musique, a soutenu la création d’une application qui permet à toutes les personnes présentes à un festival de se signaler en danger si nécessaire et de trouver un stand de prise en charge. Le sujet est pris très au sérieux par tous les directeurs de festivals, que je salue.

Je crois avoir défendu clairement l’importance des métiers de la culture et du régime des intermittents. Je puis vous assurer que lorsque j’étais, précédemment, conseillère Culture du président de la République, nous avons passé quelques nuits blanches à défendre ce qui est devenu « l’année blanche » pour les intermittents, dispositif qui a ensuite été prolongé de six mois pour préserver cette spécificité française, l’un des piliers de notre modèle culturel.

L’application de la redevance pour copie privée aux produits reconditionnés est un sujet technique complexe que je n’aurai pas le temps de développer longuement. Je suis favorable à la rémunération pour copie privée parce qu’elle irrigue tous les territoires et de multiples actions culturelles, dont de très nombreux festivals, le quart des montants perçus au titre de la rémunération pour copie privée étant déployé en actions culturelles. La commission de la rémunération pour copie privée a depuis novembre 2021 un nouveau président en la personne de Thomas Andrieux. Elle n’a pu se réunir car certains représentants ont refusé de participer aux travaux, mais les discussions reprennent, la réunion initialement prévue aura lieu et nous attendons de savoir à quelles conclusions elle parviendra. Il faut trouver le juste équilibre entre la préservation de l’écosystème artistique qui bénéficie de la rémunération pour copie privée et le développement du reconditionnement, qui va dans le sens de la transition écologique.

Le drame qu’a été la mort en Ukraine de Frédéric Imhof, journaliste pour BFM TV, m’a beaucoup marquée à mes premiers jours au ministère. De réelles menaces pèsent sur la liberté de la presse et sur nos journalistes, notamment lorsqu’ils couvrent des conflits, risquant leur vie pour aller chercher l’information la plus juste possible. Le renforcement de la protection de nos journalistes et de la liberté de la presse sera au cœur des états généraux du droit à l’information.

M. Alexis Corbière. En matière de préservation du patrimoine religieux, la vigilance de vos services s’impose. La restauration de tout édifice religieux abandonné ne doit pas être financée par de l’argent public. L’État n’a pas à voler au secours de tout bâtiment détérioré, au risque, sinon, que l’intégralité du budget de votre ministère y passe. De plus, du point de vue de la laïcité, on s’aventurerait sur un terrain glissant. Je propose donc que nous reprenions un jour cette discussion avec vos services car des précisions s’imposent. Le sujet préoccupe l’ensemble des collègues, mais je pense que l’on ne parle pas toujours exactement de la même chose.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Cher collègue, cette discussion est très intéressante mais, en ma qualité de garante du temps et de la police des débats, je propose que nous nous fixions pour règle de limiter toute interpellation à trente secondes.

M. Jérémie Patrier-Leitus. Dans le prolongement de l’intervention de monsieur Corbière, même si nous ne parvenons pas à la même conclusion, j’indique que seules 90 des 154 cathédrales de France sont propriété de l’État. L’enjeu est très sérieux pour les collectivités locales ; ainsi, la magnifique cathédrale de Lisieux est propriété de la ville. La question se pose de la soutenabilité de l’entretien de ces édifices par les communes.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je rappelle que le financement du chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris provient intégralement de dons, l’incendie ayant suscité un émoi international et une grande collecte.

J’ai omis de répondre à la question portant sur le piratage des contenus audiovisuels. Je ne résumerai pas les débats très riches qui ont eu lieu lors de l’examen du projet de loi audiovisuelle, mais la création de l’ARCOM par la fusion du CSA et de l’HADOPI offre un nouvel outil pour lutter contre les sites de streaming illégaux et les sites miroirs. L’approche retenue n’est pas de sanctionner les utilisateurs mais de de lutter contre la source, en amont du piratage. Même si les sites illégaux sont très organisés et de plus en plus sophistiqués, nous devons lutter vigoureusement contre eux car ils sont à l’origine d’un manque à gagner considérable pour le secteur. Grâce à votre travail à tous et à cette loi, nous pourrons créer une liste noire des sites contrefaisants, Je saisis cette occasion pour vous rendre hommage, une nouvelle fois, pour ce texte indispensable, mené à son terme alors que la France, en état d’urgence sanitaire, vivait une pandémie inédite.

Je vous remercie de l’intérêt que vous avez manifesté pour la culture et l’audiovisuel en cette journée où votre énergie était aussi mobilisée par ailleurs. Je serai heureuse de poursuivre la discussion sur ces sujets, avec les groupes ou même individuellement.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Madame la ministre, je vous remercie pour votre disponibilité.

 

 

 

La séance est levée à vingt heures.


Information relative à la commission

 

La commission a désigné Mme Céline Calvez rapporteure pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022 (n° 17).


Présences en réunion

Présents.  Mme Emmanuelle Anthoine, M. Rodrigo Arenas, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, M. Idir Boumertit, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, M. André Chassaigne, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. Hendrik Davi, Mme Béatrice Descamps, M. Francis Dubois, M. Inaki Echaniz, M. Philippe Fait, Mme Anne-Sophie Frigout, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Yannick Haury, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Jérôme Legavre, Mme Sarah Legrain, Mme Christine Loir, M. Alexandre Loubet, M. Christophe Marion, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, M. Julien Odoul, M. Karl Olive, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Emmanuel Pellerin, Mme Isabelle Périgault, Mme Béatrice Piron, Mme Angélique Ranc, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Cécile Rilhac, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Boris Vallaud, M. Paul Vannier, M. Léo Walter

Excusés. – Mme Aurore Bergé, M. Raphaël Gérard, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot