Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

 Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Jean Castex, dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) (M. Bruno Millienne, rapporteur)              2

 Vote sur cette proposition de nomination.................22


Mercredi 27 juillet 2022

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 4

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence de

M. Jean-Marc Zulesi,

Président


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Jean Castex, dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) (M. Bruno Millienne, rapporteur).

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous sommes aujourd’hui réunis en application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, pour entendre M. le Premier ministre Jean Castex, que le Président de la République propose de nommer aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France).

Le rapporteur que nous avons désigné sur cette proposition de nomination, M. Bruno Millienne, vous a adressé, monsieur le Premier ministre, un questionnaire dont les réponses ont été rendues publiques sur le site internet de l’Assemblée nationale et diffusées aux membres de la commission.

Je salue la proposition de vous nommer à la présidence de l’AFIT France. Il s’agit d’une grande et belle responsabilité. L’agence est en effet un opérateur incontournable, dont la feuille de route a été fixée par la loi d’orientation des mobilités (LOM) que nous avions adoptée en 2019.

Elle est confrontée à des défis importants. Elle doit mettre en œuvre la trajectoire volontariste et pragmatique d’investissements de l’État dans les infrastructures, inscrite dans la LOM, en poursuivant plusieurs objectifs ambitieux : réduire les inégalités territoriales, renforcer les offres de déplacements du quotidien par une amélioration et une régénération des réseaux, accélérer la transition énergétique. Les montants qui doivent y être consacrés sont importants : 14,3 milliards d’euros sur la période 2023-2027, selon une programmation claire et structurante, gage de visibilité pour les acteurs du secteur.

Compte tenu de ces investissements massifs, l’enjeu réside dans la pérennité et la sécurisation des recettes de l’agence, qui est un « gardien du temps long », selon la formule utilisée par M. Christophe Béchu lors de son audition, en juin 2021, devant notre commission. Les autres défis pour l’agence sont nombreux : la transparence de l’action, le dialogue avec les autorités de tutelle, ou encore l’accompagnement des mutations en cours dans le secteur des mobilités.

M. Bruno Millienne, rapporteur. Si je me fie à vos réponses à mon questionnaire, vous vous inscrivez dans la continuité de votre prédécesseur, adhérant aux objectifs et reprenant les axes de travail qu’il avait définis pour l’agence : la soutenabilité financière, son rôle d’acteur à part entière de la transition écologique ainsi que son efficacité et sa transparence.

Je m’interroge sur la contribution de l’AFIT France au réseau des agences européennes de financement des infrastructures de transport dont la création a été actée lors de la présidence française de l’Union européenne – il s’agit là d’une autre réussite d’une présidence dont nous avons trop peu parlé, je le regrette. Bien que les choix en matière de programmation n’appartiennent pas à l’AFIT France, quel est votre avis sur le projet Euro Carex – Cargo Rail Express – qui vise à utiliser les voies à grande vitesse existantes, principalement la nuit pour transporter des marchandises entre des points stratégiques de l’Union européenne, notamment les aéroports ? Ce projet, inscrit initialement dans le Grenelle de l’environnement mais qui n’est pas aujourd’hui une priorité du Gouvernement, pourrait le devenir à la faveur d’une nouvelle dynamique européenne.

Vous analysez la situation de notre réseau ferroviaire en soulignant la nécessité d’intensifier les investissements dans ce secteur pour répondre à l’enjeu climatique. Ayant eu l’honneur de participer aux travaux du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), je ne peux que partager votre constat.

Ensuite, vous faites part de votre intention de respecter strictement les préconisations de la LOM et l’objectif de neutralité carbone que nous avons fixé pour 2050 en rappelant les efforts financiers importants déjà consentis pour l’atteindre. Vous évoquez à plusieurs reprises l’actualisation de la trajectoire pluriannuelle prévue par la loi qui devrait intervenir d’ici au milieu de l’année prochaine pour poursuivre une politique volontariste de renouvellement et d’innovation pour nos infrastructures de transport.

Les responsabilités que vous avez exercées, les positions que vous avez exprimées ainsi que les aptitudes que vous avez démontrées à gérer des projets structurants ne laissent planer aucun doute quant à votre capacité à orchestrer la mise en œuvre de nos choix. Au-delà des considérations techniques et des motivations que vous ne manquerez pas de nous exposer, je me permets quelques mots sur l’homme : votre écoute constante des territoires, votre capacité à résister aux pressions et votre sens de l’intérêt général seront des atouts indéniables à la tête de l’AFIT France. C’est la raison pour laquelle j’appelle mes collègues commissaires à apporter leur soutien à votre nomination,

M. Jean Castex. Je suis très honoré de m’exprimer devant votre commission. J’ai été sollicité pour occuper la place laissée vacante par M. Christophe Béchu après sa nomination au Gouvernement et j’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme pour deux raisons. La première est personnelle : ces sujets m’ont toujours passionné ; lorsque j’étais Premier ministre, j’ai essayé de m’y consacrer le plus possible dans l’intérêt de nos territoires et de nos concitoyens.

La seconde raison tient plus au fond. Si la dénomination de l’agence, créée en 2004, est sans doute un peu datée – aujourd’hui, le terme de « mobilités » remplacerait celui d’« infrastructures » –, les sujets qu’elle a à traiter sont déterminants pour les raisons que vous venez de rappeler, qu’il s’agisse de la transition écologique, de la vie quotidienne de nos concitoyens, du développement des territoires, de l’accessibilité ou encore de la relation de confiance avec les pouvoirs publics. Tous ces sujets sont au cœur des politiques publiques et doivent le rester.

Ma désignation éventuelle intervient à un moment particulier de l’histoire de l’AFIT France qui s’est désormais installée dans le paysage. L’exercice en cours et le précédent représentent une période plutôt faste pour l’agence, ce qui était loin d’être acquis. Ses ressources ont subi quelques aléas liés au produit des amendes ou à la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Mais l’État a assumé son rôle et le Plan de relance, qui comporte un important volet sur les transports, a alloué des moyens supplémentaires à l’AFIT France. Pour l’exercice en cours, selon les informations dont je dispose – je ne suis pas encore président –, les engagements atteignent le montant record de 3,6 milliards d’euros, soit une hausse de 600 millions d’euros par rapport à 2021.

En ce qui concerne la transparence et la qualité de la gestion, objectifs fixés par mon prédécesseur, les dettes importantes dont l’agence devait s’acquitter sont aujourd’hui apurées. Le Plan de relance a contribué à soulager la trésorerie. En effet, sur les 7,2 milliards d’euros dévolus aux mobilités dans le Plan de relance, plus de 3 milliards transitent par les comptes de l’agence.

La LOM a fixé des objectifs de dépenses et d’engagements sur lesquels un point d’étape est prévu en 2023. À peu de choses près, ces objectifs seront tenus – ce n’est pas le cas dans tous les établissements publics ; ne nous en cachons pas, les crédits du Plan de relance en fin de période ont apporté une aide précieuse. Deux tiers des engagements de l’AFIT France concernent le ferroviaire, le fluvial, le portuaire, le vélo, en d’autres termes, les transports en site propre. J’ajoute que 45 % des crédits de paiement ont été consacrés aux infrastructures existantes, conformément à la priorité donnée par la LOM à la régénération.

L’agence a connu des périodes plus difficiles que ces deux dernières années. Pour autant, les défis ne manquent pas et c’est heureux.

Sur la soutenabilité, la transition écologique et la transparence, les trois axes de travail définis par mon prédécesseur, des rendez-vous essentiels vous attendent. Le COI, dont certains d’entre vous sont membres, doit remettre un nouveau rapport à l’automne, après celui publié en mars qui fait état d’un « mur d’investissement ». Les exigences écologiques imposeront des choix en matière d’investissement. Le COI a vocation à faire des propositions en la matière. Ensuite, les choix appartiennent non pas à l’AFIT France mais à la représentation nationale et au Gouvernement. Vous n’auditionnez ni le ministre des transports ni une personnalité politique – je sais évidemment qui je suis et d’où je viens – mais un candidat à la présidence du conseil d’administration d’une agence chargée de préparer et d’appliquer les décisions prises par les autorités légitimes.

C’est l’un des avantages de l’agence que de compter au sein de son conseil d’administration des parlementaires mais aussi des représentants des collectivités territoriales. Les choix seront partagés avec ces dernières, au premier rang desquelles les régions – qui disposent de compétences en la matière. Les contrats de plan État-région (CPER) sont le lieu déconcentré de ces choix. Lorsque j’étais Premier ministre, j’avais lancé les discussions techniques sur le volet mobilité des CPER. Elles devraient aboutir à la fin de l’année.

Les travaux du COI et les CPER vous permettront de vous prononcer de manière éclairée sur la révision de la trajectoire financière établie par la LOM qui doit être entérinée à la fin du premier semestre 2023.

Les enjeux sont considérables tant les mobilités sont appelées à croître. À titre personnel et en ma qualité de Premier ministre, j’ai toujours été un fervent partisan des investissements dans les mobilités, dans toute leur diversité ; je n’ai pas besoin de rappeler la réouverture de plusieurs lignes de train de nuit, les protocoles de relance des lignes de desserte fine du territoire, la reprise de la ligne de fret Perpignan-Rungis, diverses mesures en faveur du fret, ou encore l’accélération de la réalisation de plusieurs lignes à grande vitesse.

La nation a devant elle des défis majeurs. Les choix vous incomberont ; ils porteront sur les projets mais aussi sur les financements correspondants. L’AFIT France a ceci d’original qu’elle dispose d’outils de financement qui ne se résument pas aux crédits budgétaires classiques ; elle bénéficie aussi de taxes affectées et de ressources non fiscales. C’est l’un des leviers que vous pouvez utiliser, mesdames, messieurs les députés, pour atteindre les objectifs que vous fixerez.

Le président du conseil d’administration a pour mission de préparer la définition de ces objectifs – il siège ès qualités au COI – ainsi que de veiller à la transparence et à la bonne gestion des fonds qui sont confiés à l’AFIT France. Je prends l’engagement devant votre commission de vous rendre compte de l’exécution des décisions que vous aurez prises. Il reste des progrès à faire en la matière, malgré la signature du contrat d’objectifs et de performance (COP). Nous devons nous appuyer sur les audits qui ont été réalisés ainsi que sur les rapports de la Cour des comptes pour améliorer la transparence et l’efficacité des deniers dépensés par l’agence mais aussi celle de ses moyens – je salue sa secrétaire générale qui est l’une des quatre personnes que compte l’AFIT France. Je m’y engage.

Vous le savez, les attributions de l’agence concernent des sujets déterminants pour l’avenir de notre pays.

M. Damien Adam (RE). Monsieur le Premier ministre, les infrastructures, particulièrement ferroviaires, ont jalonné votre parcours. Tout commence par la ligne reliant Villefranche-de-Conflent et Perpignan. Cette ligne, qui passait auparavant par Prades, vous a inspiré un livre en 2017. Latour-de-Carol est le terminus du train qui traverse la France chaque nuit depuis Paris, l’un de ces trains de nuit que vous avez relancés lorsque vous étiez Premier ministre ; après Paris-Tarbes et Paris-Nice, la réouverture d’une dizaine de lignes est annoncée d’ici à 2030.

Votre présence à Matignon pendant deux ans aura été marquée par votre engagement en faveur des infrastructures alors que la LOM avait été adoptée avant votre arrivée. Sous votre haut patronage, auront ainsi été décidés la relance du fret ferroviaire, l’investissement sur les petites lignes ferroviaires et la contractualisation avec les conseils régionaux, ainsi que les investissements pour les lignes TGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan. Au vu de ces quelques éléments, la proposition de votre nomination par le Président de la République apparaît tout à fait légitime, c’est la raison pour laquelle le groupe Renaissance la soutiendra.

L’AFIT France est l’agence de l’État chargée de coordonner le financement des grands projets d’infrastructures de transport, qu’il s’agisse de création ou d’entretien – le canal Seine-Nord Europe, le tunnel Lyon-Turin, les nouvelles lignes ferroviaires ou routes, telles que le contournement Est de Rouen. Ses ressources proviennent notamment des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), de la taxe d’aménagement du territoire, des redevances domaniales mais aussi du produit des amendes des radars automatiques. L’AFIT France est aussi un acteur essentiel de la transition écologique et de la décarbonation des mobilités.

Si vous êtes nommé, vous succéderez à MM. Gérard Longuet, Dominique Perben, Philippe Duron et Christophe Béchu. Vous aurez un rôle majeur tant l’AFIT France est au cœur des politiques publiques chères à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

La LOM prévoit une actualisation de la trajectoire financière qui doit être présentée au Parlement au plus tard à la mi-2023. Le dernier rapport du COI, présidé par notre collègue M. David Valence, met en évidence un « mur d’investissement » pour les transports collectifs en Île-de-France, les services express métropolitains, les mobilités actives ou encore la technologie ERTMS – European rail traffic management system – qui nécessiteront donc des choix collectifs délicats dans les mois qui viennent et au-delà, une priorisation des demandes. Selon vous, quels sont les moyens annuels dont l’AFIT France aurait besoin pour remplir 100 % de ses missions ? Quelles devraient être les priorités si les moyens venaient à manquer ?

Enfin, quelles sont les ressources humaines dont l’agence aurait besoin pour combler le déficit actuel que vous soulignez ?

Mme Alexandra Masson (RN). Les transports, particulièrement ferroviaires et routiers, sont primordiaux et vecteur de difficultés.

En ce qui concerne le ferroviaire, le choix du tout-TGV, que le président Macron avait mis en pause en 2017 avant de le réaffirmer en septembre 2021, pose question. 6,5 milliards d’euros doivent être investis et six nouvelles liaisons ouvertes dans les prochaines années : Bordeaux-Toulouse, Marseille-Nice, Montpellier-Perpignan, Paris-Normandie, Roissy-Picardie, sans oublier la très controversée ligne Lyon-Turin. Le Président de la République a vanté une passion française, un génie technologique qu’il nous faudrait poursuivre en grand.

Quel dommage qu’il n’ait pas les mêmes mots pour les transports des Français qui vont travailler chaque jour en train express régional (TER), le terme « express » pouvant largement prêter à discussion, en particulier dans ma région. Le 1er décembre 2021, l’exécutif régional des Hauts-de-France, déplorant retards, suppressions de trains et manque de personnel ou de matériel depuis plusieurs mois, a décidé de suspendre ses paiements à la SNCF, dans l’attente d’un redressement de la qualité de service. Une application pour smartphone « Balance ton TER » avait été créée à cette occasion. Le 8 avril dernier, même punition, même motif, la région Grand-Est a annoncé qu’elle suspendait son paiement mensuel à la SNCF, en attendant un retour à la normale. Mon département des Alpes-Maritimes n’est évidemment pas épargné ; la ligne TER du littoral est sinistrée, particulièrement dans ma circonscription sur son tronçon entre Nice et Menton : suppressions de trains, manque de conducteurs, retards, accidents et dysfonctionnements sont récurrents. Mais au problème de la ligne du littoral s’ajoutent ceux des lignes de montagne comme celle reliant Nice et Cuneo en Italie qui dessert la vallée de la Roya mortellement touchée par la tempête Alex en octobre 2020 et dont les dysfonctionnements graves perdurent hélas à ce jour. En 2017, mon prédécesseur avait annoncé que M. Gérald Darmanin comptait mobiliser ses collègues pour améliorer les transports ferroviaires dans l’est des Alpes Maritimes ; nous n’avons hélas jamais rien vu venir.

Aux difficultés du transport ferroviaire s’ajoutent évidemment celles du secteur routier : les trois quarts des routes de France, y compris dans mon département, sont en mauvais état et n’ont plus de marquage au sol. L’État a massivement transféré aux agglomérations et aux conseils départementaux la gestion des routes lesquelles, faute de moyens financiers suffisants, sont mal entretenues, causant chaque année des accidents souvent mortels.

En 2021, l’AFIT France a dépensé 264 millions d’euros pour les projets de ligne à grande vitesse (LGV). Monsieur le Premier ministre, si votre nomination est approuvée, avez-vous l’intention d’inverser la vapeur et d’arrêter le tout-TGV ?

M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). La nomination sur laquelle nous devons nous prononcer pose plusieurs questions. La première porte sur l’utilité de l’AFIT France. Le candidat Castex en convient à demi-mot, il s’agit d’un opérateur opaque à la main du seul ministère en même temps que d’une coquille vide – seulement quatre personnes pour la gérer.

C’est aussi un opérateur qui contrevient aux principes budgétaires d’unité et de non-affectation. Il a été créé pour échapper au contrôle du Parlement. Malgré ce que vous prétendez, monsieur Castex, le Parlement n’a aucune prise sur la révision de la trajectoire budgétaire. L’AFIT France n’est ni plus ni moins qu’un fonds de concours géant à la discrétion du ministère chargé des transports.

La seconde question concerne la légitimité ou la neutralité du candidat qui nous est proposé. Vous avez été le promoteur des LGV au prix de l’abandon de petites lignes ferroviaires du quotidien. Je pense aux fameuses lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne, baptisées Grand projet du Sud-Ouest (GPSO). En tant que Premier ministre, vous aviez promis 4,1 milliards d’euros sur un coût total de 14 milliards pour un gain de temps de trajet estimé à deux minutes par milliard dépensé – je vous laisse mesurer la gabegie.

Je ne parle pas de la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur (LNPCA) entre Marseille et Nice, ni de Perpignan-Montpellier ou encore de la gabegie du Lyon-Turin, d’autres le feront bien mieux que moi. Ces projets sont réalisés au détriment des petites lignes et malgré un discours volontariste sur l’entretien et la modernisation du réseau ferroviaire, l’âge moyen de ce dernier demeure préoccupant : vingt-neuf ans en moyenne, contre dix-sept en Allemagne et quinze en Suisse, et quelque trente-six ans pour les petites lignes.

Votre nomination participe à un concours géant de pantouflage-recasage : parmi les anciens membres de votre gouvernement, Emmanuelle Wargon est appelée à présider la Commission de régulation de l’énergie (CRE) tandis que Jean-Baptiste Djebbari est désormais président du conseil d’administration d’Hopium. C’est l’exemple même de ce que j’appellerais une « copinocratie ».

Pour ces diverses raisons, nous nous opposons à la nomination proposée mais aussi à l’existence même de cet opérateur de l’État. J’espère que les discussions sur les candidatures à une telle coquille vide nous seront à l’avenir épargnées.

M. Pierre Vatin (LR). Monsieur le Premier ministre, nous pouvons nous réjouir qu’une personnalité ayant votre parcours s’intéresse à l’AFIT France. Nos territoires auront besoin de toute votre influence et de tout votre poids pour défendre les projets d’infrastructures tant attendus, même si, comme cela a été rappelé, l’agence a de petits effectifs. Votre personnalité pourra, je l’espère, faire pencher la balance du bon côté pour les territoires.

À ce titre, ma première question concernera la soutenabilité du financement de l’agence. Il est en effet préoccupant de faire reposer des investissements d’infrastructures importants et de long terme sur des ressources incertaines et en passe de s’amenuiser du fait du verdissement du parc automobile et de la baisse inéluctable du produit de la TICPE. Le modèle de financement de l’agence devra donc inévitablement évoluer. Que comptez-vous faire en la matière pour pérenniser ses financements ?

Ma seconde question porte sur les déficits de recettes de l’agence, récurrents à chaque projet de loi de finances. Que proposerez-vous au Gouvernement en la matière afin de l’inciter à préserver des financements ad hoc ?

Enfin, parce que je sais que ce n’est pas une question isolée, quelle stratégie adopterez-vous à la tête du conseil d’administration de l’AFIT France ? Comptez-vous soutenir les projets d’aménagements en zone rurale ? Allez-vous imposer un tournant à la stratégie adoptée jusqu’alors ? Les villes moyennes rurales pourront-elles compter sur vous pour poursuivre leur désenclavement ? En ferez-vous une priorité ?

Pour ce qui est du ferroviaire, le groupe Les Républicains avait, lors de l’examen de la loi « climat et résilience », soutenu un amendement visant à doubler la part modale du fret ferroviaire pour la porter de 9 % à 18 %. Qu’en sera-t-il sous votre présidence ?

Quant au fluvial, hormis, bien évidemment, le canal à grand gabarit Seine-Nord Europe, qu’en sera-t-il de l’influence de l’AFIT France sur les projets de rénovation des canaux et de circulation sur ces derniers ?

Mme Aude Luquet (Dem). Monsieur le Premier ministre, vous n’avez jamais caché votre passion pour le ferroviaire, et cela ne sera pas de trop face aux défis qui nous attendent et qui vous attendent. Le verdissement de nos déplacements est en effet un levier majeur de la transition écologique. L’AFIT France a donc un rôle décisif à assumer, car une infrastructure s’inscrit dans un temps long et nous engage sur des dizaines d’années, voire sur des siècles. Il s’agit donc non seulement d’accompagner les évolutions, mais surtout d’anticiper les nouveaux usages et de prévoir des clauses de revoyure pour des projets engagés sur plusieurs années.

Si cette transition doit se faire en France, elle doit aussi se faire à l’échelle européenne et internationale. Il est crucial de se coordonner au-delà des frontières, avec une planification conçue également avec nos voisins.

À la tête du Gouvernement, vous vous étiez engagé en faveur d’un plan de revitalisation des lignes de desserte fine du territoire, du développement du fret ferroviaire et du retour des trains de nuit. Les défis à relever pour y parvenir sont donc nombreux et supposent des besoins de financement conséquents. M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, milite pour un doublement de la part modale du rail et chiffre les investissements nécessaires à 1 000 milliards d’euros si nous voulons tenir les engagements environnementaux de la France. Qu’en pensez-vous et quelle est votre vision du réseau ferré français ?

Nous faisons face aujourd’hui à une inflation record, de près de 30 % sur les métaux, qui touche de nombreux secteurs, comme la construction et le rail, enchérissant d’autant le coût de la régénération de nos infrastructures. Quels impacts cela aura-t-il, selon vous, sur nos projets ?

Au-delà du report modal de la route vers le ferroviaire, il nous faut nous engager dans le sens des mobilités durables et actives – je pense notamment à la multiplication des infrastructures cyclables sécurisées, au déploiement des énergies alternatives, avec la feuille de route européenne, et à l’accueil des véhicules 100 % autonomes. Comment pensez-vous accompagner l’essor de ces nouvelles mobilités ?

Pour ce qui concerne les finances de l’AFIT France, le Conseil d’orientation des infrastructures fait état d’un « mur d’investissement » sur le quinquennat à venir, avec une fiscalité qui dépend beaucoup de la TICPE, laquelle représente plus d’un tiers des ressources du budget initial pour 2021. Or, cette recette est appelée à décroître à mesure de l’électrification de nos déplacements. Comment faire face à cet enjeu financier ?

Vous avez, enfin, rappelé les priorités de votre prédécesseur : transparence, viabilité financière et efficacité. Quelles seront les vôtres ?

M. Gérard Leseul (SOC). Monsieur le Premier ministre, vous avez accepté la proposition du Président de la République de prendre la tête de l’AFIT France, auparavant présidée par M. Christophe Béchu, nommé récemment au Gouvernement. Au-delà de ce qui pourrait ressembler à un jeu de chaises musicales entre ministres, des questions très sérieuses se posent quant à l’avenir du financement des infrastructures de transport à l’heure de l’urgence climatique.

En votre qualité de Premier ministre, vous avez relancé de nombreux projets routiers, pour un coût de plus de 18 milliards d’euros. Ces dernières années, vous en étiez même devenu le meilleur ambassadeur, multipliant les déplacements pour relancer des projets à l’arrêt depuis des années, balayant parfois au passage les arguments des opposants locaux. Dix-huit milliards d’euros pour plus de 900 kilomètres de bitume ! Avec ce choix, la France se situe à rebours de ses voisins européens, qui investissent tous massivement dans leurs réseaux ferroviaires, avec notamment un plan de 90 milliards d’euros acté par le gouvernement allemand.

Toutes ces annonces ont contribué à envoyer un signal positif au transport routier, au détriment du ferroviaire. À l’heure de l’urgence climatique, nous pensons qu’il aurait fallu faire l’inverse et que l’AFIT France aurait dû être mobilisée tout entière en direction des investissements ferroviaires et fluviaux, afin de décarboner le secteur des transports, qui est le plus émetteur de notre pays.

Vous étiez à Matignon le 6 avril, lors de la signature discrète du contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, planifiant les objectifs de l’opérateur du réseau et les moyens alloués par l’État jusqu’en 2030. Alors que tout le monde pensait que l’on attendrait le lendemain de l’élection présidentielle pour signer cet accord, vous l’avez signé et nous souhaiterions savoir pourquoi. Il avait d’ailleurs été très fortement critiqué de toutes parts pour son manque d’ambition, car il prévoit un effort en faveur de la régénération du réseau ferré de 2,8 milliards d’euros annuels, montant jugé insuffisant notamment par l’Autorité de régulation des transports, qui estime qu’il manque 4 milliards d’euros par an pour le ferroviaire d’ici à 2030, et par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), qui dénonce un manque de 1 milliard d’euros par an. Même le PDG de la SNCF, que nous avons auditionné voilà quelques mois, nous avait dit qu’il fallait doubler la part modale du ferroviaire et qu’un investissement supplémentaire de 100 milliards d’euros sur quinze ans serait nécessaire.

Le maintien d’une performance ferroviaire nécessite des investissements d’envergure. Ainsi, en Suisse, pays dont nous pourrions suivre l’exemple, les dépenses publiques représentent 2,7 % du PIB, contre 2,1 % seulement en France.

Le signal prix très négatif donné en faveur du routier, qui va dans le sens d’une poursuite des mobilités individuelles, ne me semble pas être un bon signe. Nous avons besoin de votre part, pour nous rassurer, d’un signe très fort en matière de transports collectifs.

M. Vincent Thiébaut (HOR). Les transports sont essentiels dans la vie quotidienne des Français et de nos territoires. Ils permettent de se déplacer, de se former, d’aller au travail, de retrouver un emploi ou de se soigner. À ce titre, le droit à la mobilité est au cœur de la promesse républicaine. Il est aussi au cœur des enjeux majeurs auxquels nous, politiques et parlementaires, devons répondre. Les enjeux liés à la mobilité douce, au développement du train comme alternative permettant d’offrir à tous et toutes une mobilité accessible et propre, sont donc des priorités absolues. Nous devons agir en la matière avec cohérence et pragmatisme : on ne peut pas dire d’un côté, comme le font certains, qu’on veut décarboner l’économie et proposer en même temps l’essence à 1,40 euro le litre.

Face à ce constat, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France est sans aucun doute un acteur essentiel. M. Christophe Béchu, ancien président de l’AFIT France, rappelait à ce titre toute l’importance de cette structure, qui a notamment pour objectif d’accompagner la transition écologique en mettant en œuvre la trajectoire financière de la LOM et le volet transports du Plan de relance. Vous n’êtes pas sans savoir que, dans un contexte urgent de sobriété énergétique et de résilience, le temps est évidemment à l’action.

Comme vous l’avez évoqué, plusieurs mesures ont déjà été prises, qu’il s’agisse de la LOM ou du Plan de relance, de telle sorte que nous avons aujourd’hui investi fortement dans le ferroviaire. À ce jour, ce sont ainsi 1 100 kilomètres de lignes qui ont été rénovés et 6 000 kilomètres pérennisés. Le Plan de relance, ce sont aussi 100 millions d’euros investis dans la réouverture des lignes de train de nuit, avec notamment la ligne Paris-Nice, ouverte en mai 2021 et que vous avez vous-même inaugurée, monsieur Castex.

Ces avancées confirment que nous sommes en bonne voie, mais nous ne devons pas nous arrêter là. Transparence, viabilité financière et efficacité ont été trois priorités données par M. Christophe Béchu à l’AFIT France ces dernières années. La mise en place d’un contrat d’objectifs et de performance, en avril 2021, a permis de répondre à cette exigence de transparence et d’efficacité, ainsi qu’à la viabilité financière et s’inscrit évidemment dans la trajectoire financière de la LOM et du Plan de relance.

Il nous faut aujourd’hui œuvrer dans ce sens et approfondir l’adaptation à la transition écologique. Il faut continuer à désenclaver nos territoires et permettre à tous l’accès au travail, aux soins et à l’école. Il faut continuer à œuvrer contre l’isolement des personnes. Il nous faut rendre les transports plus verts, plus accessibles, plus confortables et moins coûteux pour nos concitoyens.

Monsieur Castex, votre expérience d’élu local et de Premier ministre vous confère la connaissance de l’importance de nos territoires dans la mise en œuvre des plans et mesures nationaux.

Ma première question est de savoir comment développer les outils pour mieux accompagner les collectivités territoriales, notamment dans les choix d’infrastructures. Votre vision de président de l’AFIT France m’intéresse. J’ai bien compris que vous n’étiez pas décideur des priorités d’investissement, mais on peut aujourd’hui s’interroger sur le fait que l’on développe des lignes à grande vitesse, comme le TGV, plutôt que des lignes à 250 kilomètres à l’heure, qui sont beaucoup moins coûteuses et apportent déjà une réponse importante aux questions budgétaires et aux besoins des territoires.

Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Monsieur le Premier ministre, comme vous l’avez dit, l’AFIT France peut et doit jouer un rôle majeur dans la bifurcation écologique. La transition des mobilités est en effet un enjeu central et le secteur des transports représente 30 % de nos émissions de gaz à effet de serre au niveau national. À l’heure où le prix du litre de carburant atteint les 2 euros, la diversification des modes de transport et le report modal sont aussi des questions de justice sociale. Il est plus que temps de sortir du modèle de la voiture individuelle partout où c’est possible, même si ce n’est pas possible partout. Pour y parvenir, les investissements dans les infrastructures seront évidemment déterminants. Il y a urgence, comme cela a beaucoup été dit, à investir dans les infrastructures ferroviaires nécessaires au développement des trains du quotidien et du fret ferroviaire, mais également à accompagner les collectivités dans le déploiement de transports en commun en site propre et d’infrastructures cyclables.

En examinant le rapport d’activité de l’AFIT France pour l’année 2021, j’ai pu constater avec une certaine satisfaction que le transport ferroviaire est le premier bénéficiaire, avec un peu plus de 1,3 milliard d’euros de dépenses en sa faveur, soit plus de 42 % des dépenses réalisées en 2021. Malheureusement, en regardant de plus près, on constate que la majorité des engagements et des paiements en faveur du ferroviaire va en réalité vers les LGV, les lignes à grande vitesse, et le tunnel Lyon-Turin. C’est là que le bât blesse. Il est urgent de stopper ces grands projets inutiles et de réorienter ces fonds vers des infrastructures utiles au quotidien des Françaises des Français.

La LOM, fin 2019, a légèrement modifié les objectifs et en a fixé de nouveaux à l’AFIT France, parmi lesquels le renforcement des déplacements du quotidien, l’augmentation de la part des déplacements opérés par les modes les moins polluants ou collectifs, et l’amélioration de l’efficacité des transports de marchandises.

Comment comptez-vous, en tant que président de l’AFIT France, atteindre ces objectifs et quelles sont vos marges de manœuvre ? Par ailleurs, quelle sera votre position sur les grands projets inutiles tels que la construction de nouvelles LGV ou autoroutes, ou le tunnel Lyon-Turin, qui vont précisément à l’encontre des objectifs précités ?

M. Guy Bricout (LIOT). Monsieur le Premier ministre, au cours du mandat précédent, je suis intervenu à plusieurs reprises, dans le cadre des questions au Gouvernement, pour dénoncer le trop grand nombre d’agences nationales. Un rapport montre en effet qu’il en existe 1 244 en France, alors qu’on n’en compte que 122 en Allemagne, et que ces agences coûtent 49 milliards d’euros par an. Pensez-vous que l’AFIT France soit absolument indispensable ? Ne fait-elle pas double-emploi, par exemple, avec l’Autorité de régulation des transports (ART)?

Considérez-vous par ailleurs que les moyens humains de l’AFIT France soient suffisants, alors que l’agence s’est vu confier plusieurs nouveaux axes d’intervention ces dernières années ? Nombre d’experts ont jugé que le contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau signé le 6 avril dernier était bien en deçà des réalités, avec des moyens alloués par l’État jusqu’à 2030 loin d’être à la hauteur des enjeux. Ainsi, il ne manquerait pas moins de 1 milliard d’euros pour maintenir notre réseau ferroviaire en l’état. L’ART avait dénoncé une occasion manquée, qui allait priver nos voies de la maintenance nécessaire notamment à la sauvegarde des petites lignes. Quelle analyse faites-vous, pour votre part, de la situation ?

L’heure est venue plus que jamais de redonner du souffle à nos trains d’équilibre du territoire, à nos petites lignes, si utiles et efficaces en matière d’environnement et d’économie. Or, à ce stade, et malgré de nombreuses promesses qui avaient pu redonner espoir, les moyens sont loin d’être à la hauteur. Comment, dès lors, à la tête de l’AFIT France, comptez-vous vous positionner sur la question des trains d’équilibre du territoire ? On vous a vu, ces dernières années, particulièrement attaché à défendre les petites lignes. Où en est-on aujourd’hui de leur développement et comment comptez-vous les appuyer ?

Comme cela a déjà été dit, le PDG de la SNCF a appelé, le 13 juillet dernier, à une amplification des investissements dans le ferroviaire à hauteur de 100 milliards d’euros supplémentaires sur quinze ans, montant auquel, a-t-il indiqué, l’État pourrait contribuer à hauteur de 50 %. Il appelle à un doublement de la part modale du rail, via la création de RER dans les grandes villes de province et de nouvelles lignes TGV, ainsi qu’à une accélération de l’effort de modernisation du réseau. Qu’en pensez-vous ?

Comme vous le savez peut-être, je suis un fervent défenseur du fluvial et me suis ainsi beaucoup investi dans le dossier du canal Seine-Nord Europe, dont je me réjouis de voir les grands travaux commencer à la rentrée prochaine. Quelles seront vos priorités pour le fluvial et pouvez-vous nous dresser un état des lieux précis de sa régénération ?

Parallèlement, quelle vision du routier comptez-vous porter à la tête de l’AFIT France ? Certains vous reprochent d’avoir beaucoup favorisé la route ces dernières années en lançant pour 18 milliards d’euros de projets routiers. Quelle place ferez-vous au ferroviaire par rapport à la route au sein de l’AFIT France ? Restera-t-il en première position ?

M. Jean Castex. Comme je m’y attendais et comme il est normal, certaines des questions qui ont été posées s’adressent autant à l’ancien Premier ministre et aux décisions qu’il a prises qu’au candidat aux fonctions de président du conseil d’administration de l’AFIT France.

Les infrastructures de transport sont variées et nombreuses. On me présente tantôt comme un fervent défenseur du train, ce qui est tout à fait exact et que je revendique, et tantôt comme un chaud partisan de la route. C’est, me semble-t-il – et vous le voyez sans doute dans vos territoires, mesdames et messieurs les députés – qu’il faut les deux. Vous avez été nombreux à citer M. Farandou. Or je ne suis pas le PDG de la SNCF pour répondre à toutes les questions réelles et concrètes que vous avez soulevées, mais M. Farandou pourra vous dire que j’ai été un Premier ministre particulièrement à l’écoute de toutes les questions et de toutes les préoccupations ferroviaires. Cependant, bien que la multiplication par deux de la part des déplacements ferroviaires soit un objectif auquel je pourrais souscrire, 90 % des déplacements se font encore par la route : si donc la part des déplacements ferroviaires passait à 20 %, il resterait encore des routes en France, dont l’état d’entretien n’est pas toujours fameux. Nous devons donc avoir des priorités claires : les transports décarbonés et les transports collectifs. Les chiffres l’attestent : dans le bilan de l’AFIT France, là est clairement la priorité. La réalité est cependant qu’il faut aussi investir dans la route, notamment pour désenclaver les territoires, comme cela a été dit à plusieurs reprises.

Lorsque j’étais Premier ministre, j’ai souvent eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Peut-être y a-t-il un malentendu : si la route a mauvaise réputation en termes de développement durable, c’est parce que les véhicules qui circulent ont des moteurs thermiques et contribuent donc fortement aux émissions de gaz à effet de serre. Si cependant, même si ce n’est pas le rôle de l’AFIT France, nous nous engageons très fortement pour le développement des véhicules électriques, hybrides et décarbonés, la route ne contribuera plus de la même manière au bilan carbone. C’est ce que nous faisons, et l’Europe fixe en la matière un cadre assez précis, notamment calendaire.

Je ne sais pas d’où les deux intervenants qui l’ont cité tirent le montant de 18 milliards d’euros. Toujours est-il que, lorsque j’étais Premier ministre, j’ai favorisé ou développé certains projets routiers – essentiellement, monsieur Bricout, dans les territoires. Je suis, au demeurant, très à l’aise en vous répondant cela, et il y a là un lien avec ma présence ce matin devant vous : nous n’avons jamais autant investi par ailleurs dans le ferroviaire. Ce n’est du reste pas nécessairement contradictoire avec l’idée que cela ne suffit pas. Certains d’entre vous ont fait des comparaisons internationales avec l’Allemagne ou la Suisse, et il est exact que la France se situe derrière ces pays.

Monsieur Leseul, par exemple, vous avez souligné que les investissements consacrés à la régénération étaient insuffisants. Mon point de vue personnel est que vous avez raison, mais ces investissements sont toutefois nettement supérieurs à ceux des dix années précédentes, y compris avec le contrat de performance. Nous aurions certainement souhaité signer un contrat de performance plus ambitieux mais, en politique, on fait avec les moyens du moment. J’invite cependant votre commission à constater – la représentante du groupe Écologiste l’a fait – que nous avons désendetté la SNCF et donné des moyens nouveaux à SNCF Réseau. Tous les chiffres sont à votre disposition. Nous avons investi, alors qu’il existait un retard considérable, mis en lumière par des audits.

Ce retard n’est pas encore comblé et ce sont bien là les enjeux de demain. Il faudra poursuivre et, je l’espère, amplifier ce mouvement. C’est vous qui devrez faire ces choix et trouver les recettes y afférentes. Cependant, ni ce que vous avez appelé le « tout-TGV » ni les investissements nécessaires par ailleurs sur notre réseau routier, notamment pour le désenclavement des territoires et l’accessibilité des populations, n’ont jamais été faits au détriment des investissements ferroviaires, qui se sont significativement accrus et qui devront croître encore.

Je saisis cette occasion de dire aussi ma fierté d’avoir amplifié l’action de mon prédécesseur en accroissant, notamment au moyen de l’AFIT France – mais pas seulement –, les aides aux mobilités, avec notamment le plan Vélo.

On peut du reste se demander si l’agence est centrée sur de grands projets d’infrastructures. On a en effet évoqué les lignes de desserte fine des territoires et je rappelle à cet égard qu’en vertu de la décentralisation, les autorités organisatrices dans ce domaine sont les régions. Pour ce qui concerne par exemple les pistes cyclables, le maître d’ouvrage est, non pas l’État, mais les collectivités locales. Le choix a été fait, et je l’ai amplifié, de financer le développement de ces infrastructures – je me suis déjà longuement exprimé à ce propos. Je ne suis plus en situation de décider, mais mon avis personnel est qu’il faudra poursuivre ce mouvement, car il existe un effet de levier : même si l’agence ou l’État n’est pas, selon les canaux choisis, le principal financeur de ces ouvrages ou de ces infrastructures, qui sont décentralisées, il est indispensable, puisque le choix politique va dans le sens des mobilités durables, de continuer à les encourager.

J’ai donc une vision des priorités claire, mais équilibrée, une vision réaliste et pragmatique de ce que sont la réalité et la densité du territoire français en matière d’irrigation par des infrastructures.

Il n’y a pas de « tout-TGV ». Nous avons inversé la tendance pour ce qui concerne le fret et les petites lignes de desserte du territoire. Il reste encore beaucoup à faire, bien entendu, et nous sommes là pour ça. J’ai pris des décisions pour accélérer certains projets – qui existaient, et que je n’ai pas inventés –, comme le GPSO, le Grand projet du Sud-Ouest.

Monsieur Prud’homme, j’ai été élu dans les Pyrénées-Orientales. Allez-vous dire aux habitants de Perpignan qu’ils n’ont pas droit au TGV ? Qu’on peut l’emprunter pour aller à Rennes ou à Strasbourg, mais pas à Toulouse ou à Perpignan ? C’est une question d’équité territoriale et il vaut mieux l’assurer.

Quant à la possibilité d’utiliser les voies LGV pour le fret ferroviaire, je rappelle qu’une partie de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) est en effet mixte et reçoit du trafic de voyageurs et du fret. Nous avons trouvé un accord avec les collectivités locales et créé la société de projet. Pour la desserte de Toulouse, de Perpignan et, plus loin, de l’Espagne, ainsi que pour la ligne nouvelle PACA, il est souhaitable, au nom de l’équité territoriale et du développement des territoires, que la grande vitesse puisse reprendre son cours – mais, j’y insiste à nouveau, pas au détriment des lignes de desserte fine du territoire. Cela fut le cas précédemment et nous devons veiller à ce que ce ne le soit plus désormais.

La politique des transports doit être une politique « tous azimuts ». Nous avons besoin de transports collectifs et devons être ambitieux en la matière, et veiller à ce que cela corresponde aux réalités du terrain et des usages.

Deux d’entre vous au moins avez posé la question de l’utilité même de l’agence. Je me suis déjà exprimé sur ce point. On ne peut pas dire que cette agence soit particulièrement coûteuse en termes de frais de fonctionnement, comme l’indiquent les comparaisons que vous avez citées – c’est même l’inverse. J’ai déjà évoqué dans mon propos liminaire l’utilité de cette agence.

Par ailleurs, on ne peut pas la confondre avec l’ART, qui est une autorité administrative indépendante chargée de réguler ce secteur, car l’AFIT France a, au contraire, un rôle opérationnel. Il faut concilier des ressources affectées avec un contrôle du Parlement. À cet égard, des progrès sont encore possibles, mais beaucoup est déjà réalisé. La suppression de l’agence aurait, selon moi, un bilan coût-avantages clairement défavorable par rapport à son maintien. Nous devons améliorer le dispositif et tenir compte des préconisations de la Cour des comptes en la matière ainsi que des observations du Parlement, et améliorer la transparence et la gestion. Il serait, du reste, quelque peu paradoxal, si je pensais qu’il faut supprimer cette agence, de ne pas avoir essayé de le faire lorsque j’étais aux manettes et de venir me présenter devant vous dans l’intention de la présider. Je peux néanmoins entendre que certains d’entre vous n’aient pas la même opinion.

Il est au moins un point sur lequel nous serons d’accord, y compris avec vous, monsieur Prud’homme : l’agence est un établissement public administratif de l’État et, jusqu’à nouvel ordre, le pantouflage désigne les départs vers le secteur privé. Or, je ne pense pas que l’AFIT France relève en quoi que ce soit du secteur privé. C’est un outil du service public, et j’entends bien qu’elle le demeure. Vous l’avez d’ailleurs dit vous-même dans votre question, en considérant qu’il s’agissait d’un prolongement du ministère des transports –  ce qui est vrai d’une certaine manière. Il n’y a donc pas de pantouflage.

Je ne reviendrai pas sur les points que j’ai déjà évoqués dans mon propos introductif.

Nous sommes confrontés à des besoins appelés à s’accroître et qu’il nous faudra hiérarchiser. C’est le sens de la proposition du COI.

Pour ce qui est des recettes, mon expérience me conduit à vous dire qu’il vaut mieux disposer d’un panier de recettes que dépendre d’une seule ressource pour assurer le financement de nos besoins. Il faudra continuer à disposer de ressources affectées, fiscales et non fiscales, et il y aura toujours un complément de crédits budgétaires. Le Plan de relance a été, je le répète, l’occasion de les « booster », si vous me permettez cette expression – c’est-à-dire de les augmenter significativement. Il faut, surtout, que nous nous accordions sur un niveau de besoins et une trajectoire de dépenses – ce qui sera le travail des six à douze mois à venir –, pour fixer ensuite le panier de recettes. C’est en tout cas la méthode que je suggère pour atteindre cet objectif.

La représentation nationale et le Gouvernement ont besoin d’une agence forte pour peser dans les choix, défendre les territoires et se montrer à la hauteur des enjeux.

M. Jean-Luc Fugit. Le développement de mobilités propres et actives est une condition de la réussite de la transition énergétique et de l’amélioration de la qualité de l’air. Les transports ferroviaires urbains en font partie. L’AFIT France a décidé récemment de financer plusieurs grands projets ferroviaires tels que le prolongement du RER Eole à Paris et la troisième ligne de métro à Toulouse. Quels autres grands projets de transport en agglomération vous semblent prioritaires dans les années à venir ? Par ailleurs, quelle est votre vision concernant la ligne Lyon-Turin, formidable opportunité pour la France et l’Europe ?

M. David Valence. S’agissant des infrastructures de transport, la France est prisonnière de l’annualité budgétaire. Une occasion a été en partie manquée au moment du vote de la LOM, qui comportait une trajectoire quinquennale des dépenses de l’AFIT France. Nombre de régions et d’acteurs de ce secteur souhaitent caler les programmes de financement sur la réalité du temps des infrastructures, c’est-à-dire au moins dix ans. Estimez-vous possible l’adoption d’une loi de programmation des infrastructures qui permettrait enfin de prévoir les recettes de l’AFIT France sur une durée supérieure à cinq ans ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert. Lorsque vous étiez à Matignon, vous avez toujours accordé une attention particulière au dossier complexe du Lyon-Turin. Nombreux sont les parlementaires qui attendent impatiemment la réalisation complète du dernier maillon de ce corridor méditerranéen, véritable trait d’union écologique, économique et humain entre les Européens qui permettra de reporter les camions sur les rails. Il ne subsiste plus guère d’incertitudes que sur le financement des accès français. La réalisation de la section française peut être étalée sur dix ans, ce qui est compatible avec les ressources de l’AFIT France compte tenu des taux de subvention exceptionnels auxquels est éligible cette liaison transfrontalière stratégique. Pourriez-vous nous donner un éclairage complémentaire sur ces financements ?

M. Anthony Brosse. Dans mon département, le Loiret, les voyageurs qui souhaitent relier Orléans à Chartres doivent passer par Paris ou par Tours via Le Mans ; quant à la liaison Orléans-Châteauneuf-sur-Loire-Gien, nous restons en attente de sa mise en œuvre. En tant que président de l’AFIT France, quelle place accorderez-vous aux petites lignes ferroviaires et quels dossiers seront prioritaires ?

M. Nicolas Dragon. Nouveau député, je n’avais jamais entendu parler de l’AFIT France – sans doute l’une des mille agences que compte notre chère République… Quelles garanties pouvez-vous offrir concernant la sauvegarde des petites lignes de trains, notamment régionales, véritable fil conducteur de nos territoires ? Quelles garanties d’indépendance pouvez-vous offrir si vous êtes nommé président de cette agence ?

M. Sylvain Carrière. L’urgence climatique est là : nul ne peut le contester. Pourtant, l’action publique ne s’adapte pas – ou peu. Ainsi, le Conseil d’État vient de valider le projet routier de la liaison intercantonale d’évitement du nord de Montpellier, dit LIEN, qui sanctifie plusieurs kilomètres de route et accroîtra l’artificialisation des sols tout en détruisant les milieux naturels. C’est donc une perte pour la biodiversité, un risque de calamité décuplé en cas de fortes pluies alors que l’Hérault est déjà sujet aux épisodes cévenols, et un danger pour la santé publique avec l’augmentation de la pollution de l’air. Dans un passé proche, vous avez apporté votre soutien à de nombreux projets routiers, allant jusqu’à marteler que la France avait besoin de routes. Or le modèle ne peut plus être celui des années 1980 et du « tout voiture ». Poursuivrez-vous dans cette logique lorsque vous prendrez vos fonctions, ou bien stopperez-vous ces projets inutiles au bénéfice des mobilités douces comme les lignes ferroviaires de proximité ? L’écologie ne doit plus être un simple slogan : elle doit être prise en compte dans toutes nos décisions futures.

Mme Manon Meunier. Le sous-investissement dans les lignes ferroviaires qui desservent les territoires, notamment ruraux, est criant, entraînant chaque année la fermeture de petites lignes de trains et de gares. Les causes sont aisément identifiables : sous la précédente législature, la France n’a investi que 45 euros par an et par habitant dans le réseau ferroviaire, contre 124 euros en Allemagne et 271 euros en Autriche. Vous avez préféré investir dans des projets routiers et autoroutiers, qui rapportent davantage à Vinci qu’à nos concitoyens. Nous avons la possibilité, grâce au réseau ferroviaire français, de décarboner les déplacements et de tendre vers la gratuité des transports en commun, qui serait une véritable mesure de justice sociale.

Quels engagements pouvez-vous prendre devant nous quant à la relance des petites lignes du quotidien ? Quel modèle allez-vous choisir : une ouverture à outrance à la concurrence ou le soutien à un service public accessible à tous en investissant massivement dans la SNCF ? Enfin, pourquoi postuler à la présidence d’une telle institution si, comme vous le dites, elle n’a aucun pouvoir ?

M. Nicolas Ray. Les infrastructures de mobilité sont un vecteur majeur d’aménagement du territoire, de désenclavement des territoires ruraux et de développement de modes de transport décarbonés. Toutefois, certaines régions sont nettement moins bien dotées que d’autres. C’est le cas du Massif central, dont les habitants ressentent un sentiment d’abandon. Ainsi, la ligne Clermont-Paris connaît de nombreuses difficultés liées à un manque d’investissement. Nous attendons de nouvelles rames et une modernisation de cette ligne. De même, le contournement routier nord-ouest de Vichy, promis depuis quinze ans, n’existe toujours pas. Même si vous n’êtes pas directement décisionnaire, comment comptez-vous assurer une juste répartition entre les différentes régions de France ?

M. Stéphane Delautrette. Vous reconnaissez l’importance des petites lignes ferroviaires et vous dites avoir inversé la tendance. Or, entre décembre 2016 et décembre 2021, 430 kilomètres de petites lignes ont été fermés – et la Haute-Vienne n’a pas été épargnée ! Le groupe Socialistes et apparentés a toujours défendu l’idée d’un moratoire sur leur fermeture et sur la suppression des services en gare. Qu’envisagez-vous de faire pour redonner la priorité aux petites lignes ferroviaires ?

M. Nicolas Thierry. Le GPSO est très controversé en raison de son coût pharaonique : 14 milliards d’euros ! En outre, le plan de financement est bancal : certains départements refusent d’y contribuer et une très grande incertitude pèse sur la participation de l’Europe. Plus grave encore, ce projet détruirait près de 5 000 hectares d’espaces naturels et de forêts : après les incendies dévastateurs que nous venons de subir, vous comprendrez que cela suscite une réelle indignation.

Une alternative existe, qui consisterait à aménager les voies existantes. Les avantages en sont multiples : une réduction considérable de l’impact sur l’environnement et une économie d’au moins 8 milliards d’euros. Le différentiel de temps entre les deux scénarios est par ailleurs minime : vingt-deux minutes entre Bordeaux et Toulouse et six minutes entre Bordeaux et Dax. Il me semble important de connaître votre avis, en tant que futur président de l’AFIT France, sur cette alternative proposée localement par un grand nombre d’élus et de citoyens.

M. Jean Castex. Concernant le GPSO, les choix à venir n’incombent pas à l’AFIT France ni à son président. Je précise que seuls deux départements refusent de signer, l’immense majorité des autorités locales s’étant prononcée favorablement. Les débats, les contestations, les propositions alternatives sont légitimes : cela s’appelle la démocratie. Mais s’il faut quarante ans pour mettre en œuvre les décisions qui ont été prises, les gens n’y croient plus ! Il fallait donc avancer.

Nous avons triplé les moyens affectés aux petites lignes : près de 180 millions d’euros entre 2020 et 2022, contre 60 millions de 2015 à 2018. Ce n’est certes pas suffisant mais cet effort significatif nous a permis de remettre à niveau 1 500 kilomètres de lignes. J’ai signé avec plusieurs présidents de région des conventions à cet effet. La régénération des petites lignes sera l’une des priorités des élus régionaux dans le volet mobilité des contrats de plan État-région (CPER).

Il faudra aussi que la SNCF se montre performante dans l’exploitation car la ponctualité et la qualité du service sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Bonne infrastructure et régularité du service sont liées : c’est pourquoi l’agence finance des travaux d’amélioration de l’existant. Cela étant, les travaux eux-mêmes prennent du temps et perturbent le trafic ferroviaire, même s’ils ont lieu la nuit – cela affecte la circulation des trains de nuit, que je me félicite beaucoup d’avoir relancés, comme sur la ligne Paris-Latour-de-Carol. Il faut aussi assumer le fait que les chantiers durent un certain temps. La mise en service de nouveaux matériels roulants peut ainsi prendre trois ou quatre ans, suscitant les plaintes des usagers. La hausse considérable des crédits budgétaires ne doit toutefois pas faire oublier que nous devrons en plus assumer les conséquences de l’inflation : les travaux coûteront plus cher compte tenu de la conjoncture.

J’entends votre credo sur les petites lignes ferroviaires ; je vous réponds qu’une forte impulsion a été donnée. J’espère qu’elles continueront à être prioritaires dans les choix qui seront retranscrits dans les volets mobilité des CPER et qu’elles feront l’objet d’une répartition équitable entre les régions.

Concernant le contournement routier de Montpellier, je me suis occupé du contournement ouest (COM) et non du contournement nord – et je pense que j’ai bien fait car il permet d’éviter de renvoyer beaucoup de véhicules à l’intérieur de Montpellier. C’est un projet de territoire décidé par les élus de l’agglomération montpelliéraine. Les enquêtes et les procédures ont été validées par le Conseil d’État et j’ai décidé à bon droit d’engager ce projet.

Certains d’entre vous m’ont demandé quelles garanties j’apporterais, en tant que président de l’AFIT France, pour le maintien des petites lignes. Or le président de cette agence n’est pas décideur. De même, concernant son indépendance, je vais être très clair avec vous : il s’agit d’un établissement public de l’État et non d’une juridiction ou d’une autorité administrative indépendante. L’AFIT France ne peut pas être indépendante des dépositaires du pouvoir élus : j’appliquerai ce que le Parlement aura voté, ce que le Gouvernement aura décidé. Les choix vous incombent, et c’est normal. La question est donc de savoir quel type de personnalité vous souhaitez mettre à la tête de l’agence pour préparer puis pour appliquer les décisions qui auront été prises.

Concernant le Lyon-Turin, le président de l’agence, à supposer qu’il en ait la volonté, n’aura pas le pouvoir d’arrêter ce projet. Les travaux sont en cours, le financement est acté, l’Union européenne l’a même augmenté. Le sujet devant nous n’est pas l’arrêt mais le financement des accès. La facture étant extrêmement élevée, des choix d’aménagement devront être faits entre l’automne prochain et l’été 2023. Ils n’ont pu l’être avant car je ne disposais pas encore de l’ensemble des informations techniques lorsque j’ai quitté mes fonctions de Premier ministre. Ces choix seront lourds mais il n’est pas à l’ordre du jour de remettre en question le projet du Lyon-Turin, qui a fait l’objet d’un traité international signé par la France avec la République italienne.

Le moyen de concilier la règle de l’annualité budgétaire avec la longueur des projets d’investissement dans le domaine des infrastructures de transport est d’affecter des recettes à un établissement public. Le retour à un financement par des crédits budgétaires de droit commun ne permettrait pas de garantir la réalisation des nombreux investissements qui sont devant vous.

M. Antoine Armand. Le 12 décembre dernier, votre gouvernement s’engageait dans un plan sans précédent de rénovation des quelque 9 000 kilomètres de petites lignes ferroviaires qui maillent notre territoire. Cela est nécessaire, tant nous les avons laissées dépérir pendant des années. C’est le cas de la ligne Aix-Les-Bains-Annecy, vétuste alors qu’elle est l’une des infrastructures à voie unique les plus chargées de France.

Ces investissements indispensables doivent être amplifiés et poursuivis. Pouvez-vous nous donner une estimation du montant qui serait nécessaire pour rénover l’ensemble des lignes de desserte fine dans les prochaines années et nous confirmer votre engagement en ce sens ?

Mme Huguette Tiegna. Dans le Lot, le train, malgré ses retards, reste le moyen que privilégient nos concitoyens pour se déplacer. Le Gouvernement s’était engagé à moderniser la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT), alors que tous les territoires souhaitent renouveler leurs petites lignes ou les remettre en fonctionnement.

Ces financements sont-ils sanctuarisés ? L’échéance de 2025 sera-t-elle respectée ?

M. Lionel Causse. La ligne de financement de l’AFIT France pour les actions de gestion, d’aménagement et de protection du littoral avoisine 5 millions d'euros depuis de nombreuses années. À l’heure où l’État s’engage à accompagner la transition écologique des territoires littoraux face au changement climatique, comment accroître la capacité d’intervention financière de l’AFIT France, pour créer ou restaurer des infrastructures naturelles de gestion souple du trait de côte, notamment des espaces naturels littoraux protégés ?

Des contractualisations, comme la convention signée avec Voies navigables de France (VNF), pourraient être étendues, par exemple au Conservatoire du littoral. Des appels à projets pourraient également être lancés.

Mme Annick Cousin. Monsieur le Premier ministre, vous avez signé en mars le protocole de financement de la LGV Bordeaux-Toulouse, qui traversera le Lot-et-Garonne. Il n’est toutefois pas certain que la gare d’Agen voie le jour.

Les élus du Rassemblement national ont soutenu ce projet, au nom du désenclavement du territoire et de la démétropolisation, Nous en contestons cependant le financement, notamment par un nouvel impôt sur les sociétés et les particuliers.

Le projet, dont le coût est estimé à 14,3 milliards d’euros, devait être financé à 40 % par l’État, 40 % par les collectivités locales de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie, et 20 % par l’Union européenne. Or, le 30 juin, la présidente de la commission des transports et du tourisme au Parlement européen a indiqué que ce financement n’avait pas été retenu.

Le prolongement sera-t-il réalisé, « quoi qu’il en coûte », y compris si l’Union européenne ne participe pas à son financement ?

M. Gabriel Amard. Le tracé de la ligne Lyon-Turin enfreint les lois sur l’eau : il est interdit de forer dans les périmètres de protection des captages de l’eau à usage domestique. Monsieur le Premier ministre, nous aiderez-vous à répondre favorablement à la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), qui demande un report modal sur la ligne existante ? Comme dans les années 1980, cette ligne peut supporter 150 trains par jour, au lieu des 26 actuels.

Cela permettrait aussi de soulager les habitants de quelque 800 000 camions, sur les 1 400 000 qui circuleraient si l’hypothétique Lyon-Turin à 30 milliards d’euros était réalisé. Le promoteur Tunnel Euralpin Lyon-Turin (TELT) et SNCF Réseau n’ambitionnent de ne les diminuer que de 360 000. Le report modal serait plus rapide, plus efficace et bien moins onéreux que l’écocide à 30 milliards d’euros dans lequel nous sommes engagés en dépit de la loi sur l’eau de 1964.

Mme Mathilde Paris. Le tram-train offre une solution pour désenclaver les territoires, notamment lorsque de petites liaisons sont nécessaires. Dans ma circonscription, un territoire sinistré, il n’existe aucune liaison entre Gien et la métropole, Orléans. C’est le cas de nombreuses petites villes, pôles de centralité.

Comptez-vous développer ces trains légers, avantageux sur le plan écologique et qui permettent de parcourir de petites distances, jusque dans les centres-villes ?

M. Aymeric Caron. Monsieur le Premier ministre, ce qui pose un problème, c’est l’existence même de l’AFIT France, non votre personne. L’opposition n’est pas la seule à estimer que cette agence ne sert à rien : dans un référé de 2016 sur l’AFIT France, la Cour des comptes la voit comme une « quasi-coquille vide ». L’agence a pourtant un coût, celui de votre rémunération – 3 500 euros par mois –, puisque la présidence de son conseil d’administration n’est plus bénévole depuis 2005.

En tant qu’ancien chef d’un gouvernement qui ne cessait de prôner la réduction des dépenses publiques, n’est-il pas curieux de nous solliciter pour valider une dépense dont la Cour des comptes nous dit qu’elle est inutile ?

M. Jean-Yves Bony. En tant que Premier ministre, vous avez travaillé à rouvrir les lignes de trains de nuit et à améliorer les petites lignes ferroviaires, y compris entre Aurillac et Paris – le trajet dure sept heures, en train.

Dans une grande partie du Cantal, un des départements les plus enclavés de France, la route reste le seul moyen de déplacement. Nous sommes loin de l’équité territoriale que vous évoquiez. Si nous vous proposons un projet pour désenclaver le nord du Cantal vers l’A71, pourrons-nous compter sur votre appui ?

Mme Marie Pochon. La route est tout ce qu’ont les habitants de la grande ruralité. Hier, à Saillans, dans la Drôme, se sont tenues les obsèques de deux garçons de 15 et 17 ans, morts d’un accident de scooter jeudi dernier. Ce drame n’est pas un simple fait divers. Il dit la difficulté des mobilités en milieu rural, notamment pour les plus jeunes : vélo sur des départementales dangereuses, auto-stop, deux-roues motorisés d’occasion, ou conduite sans permis.

Ici, comme ailleurs, 80 % des trajets entre le domicile et le travail se font en voiture individuelle car pour parcourir les soixante kilomètres qui séparent Crest de Nyons, il faut deux jours en transports en commun, avec les correspondances. L’inflation alourdit le prix du carburant : on est condamné à l’immobilité, à l’inactivité, à la limitation dans l’accès à la culture, aux soins, aux loisirs.

Comment pouvez-vous assurer à nos générations, et à celles à venir, notamment dans la grande ruralité, des solutions de remplacement à la mobilité urbaine, qui est vectrice de tant d’inégalités ?

M. Jean Castex. Monsieur Caron, la Cour des comptes a évoqué l’AFIT France à plusieurs reprises – dans le référé de 2016, que vous avez cité, dans une insertion au rapport public de 2009 ainsi que dans ses notes d’exécution budgétaire. Il est dans son rôle de rappeler les principes budgétaires et de maintenir une position plutôt défavorable à l’existence d’agences. Au fil du temps, la Cour a néanmoins tempéré ses critiques, compte tenu des progrès que l’AFIT France a réalisés en matière de transparence et de gouvernance, et de ses choix d’investissement.

Je ne vous invite pas à changer votre position mais, puisque vous la fondez non sur votre propre appréciation, mais sur ce qu’a dit la juridiction financière, je me dois de porter ces éléments à votre connaissance.

Les arguments juridiques à l’encontre de l’AFIT France sont respectables ; il faut les entendre et y répondre. Mais, depuis 2005, tous les gouvernements successifs ont choisi de maintenir l’agence. Ce choix consiste à sanctuariser des financements, pour gérer les sujets qui nous occupent sur le temps long et les affecter selon les choix des parlementaires.

De même, une collectivité peut compter une assemblée délibérante, élue et dépositaire du suffrage universel, et une instance ad hoc, non décisionnelle, qui ne se substitue pas aux élus de la République, mais qui permet d’avoir une vision claire des décisions mises en œuvre. Tel est le rôle de l’AFIT France, dont le conseil d’administration est notamment composé d’élus locaux et nationaux.

En matière de mobilités – je préfère ce mot à celui de transports –, les compétences, organisées par les lois de la République, sont partagées. L’État n’est pas le seul titulaire des prérogatives pour organiser les mobilités de nos concitoyens ; il vient en appui. Au fil des ans, le législateur a transféré des responsabilités à des élus, à des pouvoirs de proximité. Comme le Conseil d’orientation des infrastructures, l’agence est un lieu où faire vivre ce partage des compétences.

L’État, non le président de l’agence, doit énoncer les priorités qu’il fixe et dégager les ressources afférentes. Il paraît utile qu’il dispose d’un outil permettant clairement d’assurer le suivi de ces choix dans la durée, en lien avec les autorités organisatrices.

Cela a naturellement certains inconvénients, que la Cour des comptes a rappelés à bon droit. Je n’écarte pas ces critiques, mais le bilan coût/avantage me paraît favorable au maintien de cette structure. Au-delà de l’aspect organique, il faut définir la politique des mobilités que nous voulons, les moyens que nous lui affectons et les leviers institutionnels dont vous disposez pour en assurer le suivi et le contrôle.

Si je suis désigné président de l’agence, je m’engage à rendre compte, autant que nécessaire, à la représentation nationale. C’est un enjeu démocratique essentiel.

Monsieur Bony, je ne peux certes pas refuser une amélioration du réseau routier du Cantal. Les fonds seront répartis entre les différents domaines. Ces choix incombent au Gouvernement et au Parlement, non à l’agence.

Pour ce qui concerne le trait de côte, monsieur Causse, l’agence consacre déjà 5 millions d’euros par an aux actions pour le littoral. Le sujet est essentiel mais les financements dépendront de la pondération des arbitrages successifs. En outre, l’AFIT France a fortement accru ses investissements sur les mobilités douces, comme le vélo, pour créer un effet levier.

Madame Tiegna, les délais et les financements de l’axe Paris-Orléans-Limoges-Toulouse ne sont en rien menacés.

Madame Cousin, le conseil départemental du Lot-et-Garonne a refusé de participer au financement de la LGV Bordeaux-Toulouse, qui irriguera pourtant le département. Lorsque j’étais Premier ministre, j’avais souligné le paradoxe consistant à refuser un tel équipement tout en réclamant une gare à Agen, que les Gersois et les Lotois devront payer. Cette gare figurant dans la déclaration d’utilité publique du projet, elle sera réalisée. J’invite à nouveau le conseil départemental du Lot-et-Garonne à revenir sur sa position, afin de trouver un accord.

Monsieur Amard, vous affirmez que la ligne Lyon-Turin est contraire à la loi sur l’eau – je n’ai pas d’élément à ce sujet. Chacun connaît les procédures qui sont suivies en la matière pour chaque projet, a fortiori pour cette liaison.

Monsieur Valence, quel est le coût que le COI a estimé pour rénover les petites lignes ferroviaires ?

M. David Valence. Le Comité d’orientation des infrastructures estime que la rénovation totale de ces lignes à dix ans coûtera 7 milliards d’euros. Les montants se répartiront de façon inégale selon les régions : la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie présentent le plus fort besoin de financement, avec plus de 1 milliard d’euros de travaux nécessaires chacune ; plus de 500 millions d’euros devront être mobilisés dans chacune des régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes.

M. Jean Castex. Quant aux tram-trains ou RER métropolitains, madame Paris, ils font partie des priorités incontournables des contrats de plan État-région (CPER).

Enfin, pour ce qui concerne les solutions pouvant remplacer la route, madame Pochon, la LOM a rendu autorité organisatrice des mobilités, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la maille très fine du territoire. Elle a favorisé des solutions de transport à la demande ainsi qu’un meilleur maillage par les transports collectifs. La question est cruciale en milieu rural très enclavé.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Merci, monsieur le Premier ministre.

 

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Après le départ de M. Jean Castex, il est procédé au vote sur la proposition de nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d’âge étant Mme Manon Meunier et M. Pierre Cazeneuve.

Les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :

Nombre de votants

49

Abstention, bulletins blancs ou nuls

13

Suffrages exprimés

36

Pour

26

Contre

10

 

 


Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du mercredi 27 juillet 2022 à 9 h 05

 

Présents. - M. Damien Adam, M. Henri Alfandari, M. Gabriel Amard, M. Antoine Armand, M. Christophe Barthès, Mme Lisa Belluco, M. Emmanuel Blairy, M. Jean-Yves Bony, M. Jorys Bovet, Mme Pascale Boyer, M. Guy Bricout, M. Anthony Brosse, M. Stéphane Buchou, M. Aymeric Caron, M. Sylvain Carrière, M. Lionel Causse, M. Pierre Cazeneuve, M. Mickaël Cosson, Mme Annick Cousin, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Nicolas Dragon, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Luc Fugit, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, M. Jean-François Lovisolo, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Alexandra Masson, Mme Manon Meunier, M. Pierre Meurin, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bruno Millienne, M. Hubert Ott, M. Jimmy Pahun, Mme Mathilde Paris, Mme Christelle Petex-Levet, M. Bertrand Petit, Mme Marie Pochon, M. Loïc Prud'homme, M. Nicolas Ray, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean-Pierre Taite, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, Mme Huguette Tiegna, M. David Valence, M. Pierre Vatin, Mme Anne-Cécile Violland, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - M. Jean-Louis Bricout, Mme Clémence Guetté, M. Benjamin Saint-Huile, M. David Taupiac

 

Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Gérard Leseul, M. Jean-Luc Warsmann