Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen des articles 1er à 5 et 20 du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (n° 19) (Mme Charlotte Parmentier Lecocq, rapporteure)              2

– Présences en réunion.................................18

 

 

 

 

 


Mardi
12 juillet 2022

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 5

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 

 


  1 

La réunion commence à vingt et une heures trente.

 

Article 1er (suite) : Création de deux primes de partage de la valeur

Amendement AS203 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Nous souhaitons accroître la capacité des employeurs à verser la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA). Cette dernière a été une réussite grâce à la facilité de sa mise en œuvre et aux exonérations accordées aux employeurs. Nous proposons de permettre aux entreprises, lorsqu’elles ont conclu un accord d’intéressement, de verser une prime sans limitation de montant – alors que le texte prévoit un plafond de 6 000 euros.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure. Le Conseil d’État a précisé que la limite fixée – le plafond de 6 000 euros – était essentielle au regard du principe d’égalité devant l’impôt.

Avis défavorable.

M. Stéphane Viry. Nous ne sommes pas tenus de suivre l’avis du Conseil d’État. Vous m’avez déjà opposé cet argument, mais je rappelle qu’il nous appartient de voter la loi. Le juge pourra ensuite se prononcer sur certaines dispositions à l’occasion d’un recours.

Mme Sandrine Rousseau. Supprimer le plafond de la prime revient à reconnaître qu’il ne s’agit pas d’accroître le pouvoir d’achat des plus fragiles mais de soutenir les primes défiscalisées pour l’ensemble des salariés, y compris les cadres et les cadres supérieurs, ce qui est inacceptable.

M. Thibault Bazin. Les plafonds actuels ne concernent pas seulement les cadres. Les situations diffèrent selon les salariés, mais le statut n’entre pas en ligne de compte.

Mme la rapporteure. L’intérêt de l’avis du Conseil d’État est de nous permettre de mesurer le risque d’inconstitutionnalité de ce type d’amendements. Par ailleurs, le plafond de 6 000 euros offre des marges de manœuvre satisfaisantes.

La commission rejette l’amendement.

Puis la commission adopte l’amendement rédactionnel AS369 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendements AS218 de M. Stéphane Viry et AS96 de M. Thibault Bazin.

M. Stéphane Viry. Cet amendement vise à supprimer la condition tenant à la conclusion d’un accord d’intéressement pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à cinquante salariés.

M. Thibault Bazin. Le versement de la PEPA est limité, notamment, par deux freins : il ne peut y avoir qu’un versement annuel et il faut avoir conclu un accord d’intéressement. Nous souhaitons, par cet amendement, favoriser le versement de la prime dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME).

Mme la rapporteure. Le dispositif se caractérise déjà par sa souplesse et sa simplicité, et est assez couramment utilisé par les TPE. Je rappelle que nous triplons les plafonds. L’article a vocation à encourager la conclusion d’accords d’intéressement, dont l’accès est largement simplifié.

M. Thibault Bazin. Il est nécessaire d’assouplir les dispositifs d’intéressement pour permettre leur montée en puissance.

La commission rejette successivement les amendements.

La réunion est suspendue de vingt et une heures quarante à vingt-deux heures trentecinq.

Amendement AS77 de Mme Véronique Louwagie.

M. Stéphane Viry. L’amendement est défendu.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS209 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. L’amendement a pour objet de maintenir l’exonération fiscale liée à la prime de partage de la valeur pendant la période transitoire pour tous les salariés, quelle que soit leur rémunération.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Suivant le même avis, elle rejette ensuite l’amendement AS204 de M. Stéphane Viry.

Amendement AS80 de Mme Véronique Louwagie.

M. Stéphane Viry. Il vise à permettre aux salariés qui le souhaitent de verser leur prime de partage de la valeur sur leur plan d’épargne salariale pour acquérir un logement ou faire face à des besoins futurs.

Mme la rapporteure. Le fait de verser la prime sous la forme d’un supplément d’intéressement reviendrait à substituer la prime à d’autres éléments de rémunération. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS242 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Sandrine Rousseau. Il s’agit de supprimer les exonérations de cotisations sociales pour les très grandes entreprises.

Mme la rapporteure. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, je suis défavorable aux amendements qui visent à exclure certains salariés en raison de la taille ou du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Mme Sandrine Rousseau. Ce ne sont pas les salariés qui seraient pénalisés mais les entreprises multinationales, lesquelles devraient verser les cotisations sur les
primes – c’est le minimum qu’on puisse leur demander.

M. Hadrien Clouet. Cet amendement mettrait fin à la contribution financière que les TPE apportent indirectement, dans le cadre d’un régime fiscal unique, aux grandes entreprises.

M. Thibault Bazin. L’exposé des motifs évoque les multinationales, alors que le dispositif prévu concerne toutes les entreprises. Par ailleurs, n’oublions pas que les grandes entreprises emploient aussi des salariés de la première ligne, aux revenus modestes. Raisonner comme vous le faites reviendrait à exclure ces salariés, alors que ceux qui travaillent dans des entreprises de plus petite taille pourraient bénéficier d’une prime. Cela me paraît profondément injuste, et je m’interroge sur la constitutionnalité de cette mesure.

Mme Sandrine Rousseau. Nous ne proposons pas d’interdire le versement de primes mais souhaitons que les multinationales s’acquittent des cotisations sociales.

Mme la rapporteure. À la lecture de l’avis du Conseil d’État, on peut penser que cette mesure conduirait à une rupture de l’égalité devant l’impôt. Si on exclut certaines entreprises, on exclut de fait leurs salariés, car la prime sera moins attractive.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS243 de M. Sébastien Peytavie.

Mme Sandrine Rousseau. L’amendement vise à subordonner l’exonération de cotisations pour les grandes entreprises au respect d’obligations en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Mme la rapporteure. Aux arguments précédents, j’ajouterai que votre amendement introduit beaucoup de complexité, alors que l’objectif poursuivi est de créer un outil simple, efficace et rapide, pour donner du pouvoir d’achat aux salariés.

M. Thibault Bazin. Les conditions énoncées sont déjà prévues par la loi, qu’il s’agisse, par exemple, de l’égalité entre les femmes et les hommes ou de la trajectoire minimale de réduction des émissions. Il ne faut pas catégoriser les entreprises en fonction de leur taille : elles sont toutes appelées à contribuer à une transition écologique vertueuse.

M. Pierre Dharréville. Votre argumentation met en évidence le fait que vous ne voulez jamais conditionner le versement d’aides aux entreprises au respect de certaines obligations. L’absence de conditionnalité des aides a été très critiquée au cours de la période récente, dans la mesure où elle réduit l’efficacité de la dépense publique. Vous allez en outre accentuer les inégalités entre les entreprises du point de vue du taux d’imposition effectif.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS156 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. Nous avons entendu que l’intention du Gouvernement était d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, et c’est louable. Toutefois, votre mesure crée pour les organismes de sécurité sociale un manque à gagner que vous ne proposez pas de compenser. Il est prouvé que, dans un grand nombre d’entreprises, les mécanismes de prime ou d’intéressement se substituent à la rémunération.

La sécurité sociale a enregistré un déficit très important en 2021, le déficit prévisible pour 2022 s’établissant à plus de 30 milliards d’euros. Nous nous opposons à votre logique d’appauvrissement des caisses des organismes sociaux. Pour les renflouer, nous proposons de mettre à contribution les entreprises qui ont réalisé des superprofits pendant la crise du covid et la crise russo-ukrainienne. Je donne quelques exemples de ces superprofits : 4 milliards d’euros pour Total ; 925 millions pour Engie ; 4,4 milliards pour CMA-CGM.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

N’étant pas prise sur le salaire, la PPV n’entraînera pas de perte de recettes pour la sécurité sociale. En outre, elle ne serait pas nécessairement versée en l’absence des exonérations qui la rendent attractive.

D’après le rapport présenté à la Commission des comptes de la sécurité sociale, nonobstant les différentes primes instituées au cours des années passées, la masse salariale a continué d’augmenter, de 8 %, ce qui a procuré des recettes supplémentaires à la sécurité sociale. L’argument selon lequel les mesures qui permettent aux entreprises d’accorder des primes aux salariés réduiraient les recettes sociales ne tient pas. Si tel était le cas, il ne serait d’ailleurs pas nécessaire d’inscrire une compensation, puisque celleci découle des textes en vigueur.

M. Thibault Bazin. Je ne soutiendrai pas l’amendement, mais ses auteurs soulèvent une question fondamentale que nous devrons traiter lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – il est d’ailleurs dommage que, dans la situation actuelle, on ne nous soumette pas de PLFSS rectificatif – et sur laquelle nous pourrions tous nous retrouver : la compensation des mesures d’exonération par le budget de l’État.

Nous pouvons nous accorder sur des mesures ponctuelles en fonction du contexte, mais cette compensation est un principe institué en 1994 par la « loi Veil » et inscrit à l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale. Soyons donc vigilants. Madame la présidente, madame la rapporteure, je vous invite à vous faire l’écho de cette préoccupation de notre commission, de sorte que les mesures prévues dans le présent projet de loi soient effectivement compensées par le budget de l’État – sachant que l’on parle de 63 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires.

M. François Ruffin. Nous souscrivons à l’amendement de notre camarade Gérard Leseul, pour deux raisons. D’abord, en l’occurrence, les dépenses dispendieuses, c’est vous ; la gestion en bon père de famille, c’est nous. Lorsqu’on ne prévoit pas les recettes nécessaires, le trou de la sécurité sociale est en réalité une construction. Ensuite, l’examen de ce projet de loi intervient à un moment précis de notre histoire : si l’on considère l’économie française dans son ensemble, jamais le taux de marge des entreprises après impôt n’a été aussi élevé.

Certes, dans vos rangs, vous ne voyez pas là de difficulté particulière ! Il faut néanmoins se demander à quoi ces marges doivent servir. À la rémunération des actionnaires ? C’est essentiellement à cela qu’elles sont utilisées aujourd’hui. À l’investissement dans l’outil de production ? Ce n’est pas le souci prioritaire pour l’instant ; le capital se sert très largement, comme il ne s’est jamais servi. Au financement des écoles, des hôpitaux, des retraites par la collectivité ? C’est une nécessité, et l’amendement y répond en partie.

M. Gérard Leseul. Je ne peux pas être d’accord avec vous, madame la rapporteure : dès lors que vous préférez des primes exonérées à une augmentation du salaire, il y a bel et bien un manque de recettes. D’autre part, je ne comprends pas votre raisonnement : avec des primes exonérées, comment faites-vous entrer des cotisations dans les caisses sociales ? Admettez au moins ce principe de bon sens : une augmentation de salaire donne lieu à des cotisations et ne fragilise pas les caisses sociales.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS352 de M. Didier Martin.

M. Didier Martin. Cet amendement du groupe Renaissance reprend une proposition formulée par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi.

Le système d’exonération spécifique de la PPV est prévu en deux temps. Jusqu’au 31 décembre 2023, la prime sera totalement exonérée des cotisations salariales et patronales ainsi que de l’impôt pour les salariés percevant moins de 3 SMIC par mois ; jusqu’à cette même date, les autres salariés seront exonérés de cotisations salariales avec un régime aligné sur celui de l’intéressement et de la participation. À compter du 1er janvier 2024, le régime d’exonération des salariés percevant moins de 3 SMIC sera aligné sur celui des autres salariés, à savoir l’exonération des cotisations sociales.

Compte tenu du changement des critères d’attribution et du montant de la prime versée, il serait intéressant de réaliser un premier bilan du dispositif au 30 juin 2024, soit six mois après la fin de la première phase – le 31 décembre 2023.

L’amendement tend à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d’évaluation visant à s’assurer que la PPV a bien atteint ses objectifs et qu’elle ne se substitue pas à des augmentations de rémunération.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Un tel rapport, remis par le Gouvernement avant le 30 juin 2024, permettrait effectivement d’évaluer l’effet de la PPV, notamment de son régime temporaire, au regard de l’objectif visé : stimuler le pouvoir d’achat.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Exonération de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS370, AS371 et AS372 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendements AS373 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS46 de Mme Emmanuelle Anthoine (discussion commune).

Mme Isabelle Valentin. L’amendement AS46 est défendu.

Mme la rapporteure. Mon amendement AS373 est rédactionnel. J’émets un avis défavorable à l’amendement AS46.

La commission adopte l’amendement AS373.

En conséquence, l’amendement AS46 tombe.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS374 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendements AS256 de M. Pierre Dharréville et AS158 de M. Gérard Leseul (discussion commune).

M. Pierre Dharréville. L’article 2 introduit une nouvelle baisse des cotisations d’assurance maladie pour les artisans, commerçants, professions libérales et chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole ayant un revenu équivalent au SMIC. L’étude d’impact indique : « Sur la base des revenus 2019, l’impact budgétaire de cette mesure, hors microentrepreneurs, est évalué à environ 320 millions d’euros en 2022, dont 200 millions pour les artisans, commerçants et professionnels libéraux non réglementés, 54 millions pour les professions libérales et 66 millions pour les travailleurs non salariés agricoles. »

À l’image de la baisse des cotisations salariales maladie et chômage opérée en 2017, ces mesures vont attribuer un maigre supplément de pouvoir d’achat aux indépendants, de l’ordre de 45 euros par mois, sans droits nouveaux. De surcroît, elles vont de nouveau affaiblir grandement le financement de la sécurité sociale.

Pour ces raisons, l’amendement AS256 a pour objet de rappeler au Gouvernement la règle, héritée de la « loi Veil » du 25 juillet 1994, selon laquelle toute baisse de cotisation sociale doit être intégralement compensée au régime concerné par le budget de l’État. Nous relevons que, depuis 2018, cette obligation n’a pas été observée de manière absolue par les gouvernements successifs, en application de la « doctrine Charpy ». Ce fut notamment le cas, à la fin de l’année 2019, de mesures d’urgence d’un montant de 3 milliards d’euros qui visaient déjà à renforcer le pouvoir d’achat, en réponse au mouvement des « gilets jaunes ». Nous avions critiqué à l’époque cette décision sans précédent.

Les présentes dispositions s’inscrivant dans la continuité de ces mesures, il y a lieu de s’inquiéter. Chaque fois que l’État déroge à la « loi Veil », il remet en cause les fondements et le principe même de la sécurité sociale, initialement conçue comme un ensemble géré par les organisations syndicales et financé par les cotisations.

M. Arthur Delaporte. L’amendement AS158 va dans le même sens. Compte tenu du principe de compensation rappelé par notre collègue Pierre Dharréville, nous suggérons de compenser la baisse des cotisations en faveur des travailleurs indépendants par un impôt sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques réalisé sur les produits remboursés par l’assurance maladie. Ce serait un juste retour des choses.

Mme la rapporteure. J’appelle votre attention sur l’importance de l’article 2 : il prévoit une baisse des cotisations perçues sur les revenus des indépendants, donc un gain immédiat de pouvoir d’achat pour eux. Nous mettons leurs cotisations au même niveau que celles des salariés, tout en maintenant les prestations auxquelles ils ont droit.

Mon avis est défavorable. D’une part, il est clairement indiqué dans l’étude d’impact que cette réduction des cotisations sera compensée par l’affectation d’une fraction de TVA. D’autre part, le principe de compensation est prévu dans la loi, à l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, mentionné précédemment. Il n’est pas nécessaire de le préciser à nouveau.

M. Adrien Quatennens. Au contraire, la précision a son importance, car le coup nous a déjà été fait ! Il faut réaffirmer que la règle est la compensation par l’État des baisses de cotisations sociales. Par le passé, vous ne l’avez pas toujours appliquée, et vous le savez très bien. En l’espèce, si la compensation est déjà prévue, ainsi que vous venez de nous l’expliquer, n’ayez pas peur de l’inscrire dans la loi !

Avec ce projet de loi, vous organisez une nouvelle fois les conditions d’un affaiblissement des comptes de la sécurité sociale. Vous vous en servirez comme une preuve lorsque vous reviendrez vers nous, dans quelque temps, pour justifier des réformes, par exemple celle des retraites.

M. Hadrien Clouet. La mesure qui nous est présentée tend à opposer, dans le temps, deux formes de redistribution : au nom du gain de 1 euro aujourd’hui, on vous prendra 2 euros demain. L’attribution d’un peu de cash à la fin du mois est un prétexte pour s’en prendre au salaire différé, par le biais des cotisations sociales.

En l’état de la rédaction, la hausse de pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs indépendants résultera exclusivement d’une réduction des cotisations sociales. Cela marque un recul du financement de la sécurité sociale, d’où la compensation demandée, à juste titre, par mes camarades. Le Gouvernement manque en outre l’occasion de tirer les leçons de plusieurs échecs passés. Je pense notamment au rapport d’information sur l’allocation des travailleurs indépendants (ATI), publié par cette commission il y a un an. Il montrait l’inefficacité totale de l’ATI lorsque les indépendants perdent leur activité, alors même que les périodes d’affiliation sont plus longues pour eux que pour les salariés et qu’ils sont soumis à des conditions de ressource plus exigeantes.

Pour nous, la priorité est le maintien du financement pérenne de la sécurité sociale et l’égalisation – enfin ! – des droits sociaux des indépendants avec ceux des salariés.

M. Pierre Dharréville. Madame la rapporteure, ce qui figure dans l’étude d’impact est un engagement très modeste. Nous souhaitons qu’il soit inscrit dans la loi. Vous conviendrez que cela n’aurait pas tout à fait la même portée.

Quand on procède régulièrement à des exonérations de cotisations sociales, on affaiblit le principe même de la cotisation et on fait de la sécurité sociale une sorte de variable d’ajustement des politiques économiques. Or les institutions ont été faites précisément pour protéger la sécurité sociale contre cela : elle doit, en tout temps, assurer le meilleur niveau de protection sociale. Vous l’affaiblissez non seulement de manière immédiate, mais aussi dans la durée, comme vient de le relever mon collègue, car les montants qui ne sont pas versés aujourd’hui sous forme de cotisations ne constituent pas de droits pour demain. Il y a un problème philosophique profond dans les réformes que vous nous proposez. C’est d’ailleurs pourquoi je préfère parler de « prise en charge » des cotisations par l’État plutôt que d’« exonération ».

M. Nicolas Turquois. Certains propos traduisent une profonde méconnaissance de la réalité. M. Clouet vient ainsi de dire qu’il doit y avoir, pour les indépendants, les mêmes cotisations que pour les salariés.

Un indépendant paie à la fois les cotisations sociales du salarié et de l’employeur. Il paie ainsi 45 % de charges sociales, quand un salarié paie entre 24 % et 27 %, et son employeur, un taux équivalent. Pour un indépendant qui se lance et qui gagne l’équivalent du SMIC, cela représente un effort considérable – je vous le dis en ma qualité d’agriculteur. Il est proposé ici que les indépendants qui gagnent peu paient des cotisations de l’ordre de celles des salariés ; ce n’est donc pas une renonciation à la cotisation sociale.

Les indépendants ont un statut intermédiaire : certains économistes les considèrent comme des salariés ; d’autres, comme des entrepreneurs. S’installer comme indépendant, c’est tout de même une démarche particulière. Pour la faciliter, il existe, dans différentes professions d’indépendants, des dispositifs proposant un effort partiel et temporaire.

M. Thibault Bazin. L’amendement prévoit que toute mesure d’exonération de cotisation soit intégralement compensée, c’est-à-dire que la loi – l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale – soit respectée. Faut-il l’inscrire dans ce texte pour s’en assurer ? Nous n’aurions pas davantage de certitudes. Si cet amendement n’était pas adopté, cela voudrait-il dire que la loi ne serait pas respectée ? J’espère que non.

En pratique, malgré la vigilance de la rapporteure générale, la compensation par le budget de l’État n’est pas totalement assurée. Il faut donc se donner rendez-vous dès le PLFSS pour examiner les précédentes mesures d’exonération, notamment celles prises à la suite du mouvement des « gilets jaunes ». Si M. Dharréville redépose cet amendement en séance, il faudra que le ministre délégué chargé des comptes publics prenne l’engagement que la loi soit respectée et nous devrons exercer un contrôle à la fin de chaque année.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. M. Dussopt s’est engagé hier, lors de son audition, avant même que je pose la question, à ce qu’il y ait des compensations. S’il faut reprendre toutes les lois existantes dans les nouvelles, on ne va pas s’en sortir.

M. Paul Christophe. Contrairement à la loi « gilets jaunes », ce qui nous avait d’ailleurs fait réagir, l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale prévoit expressément une compensation. C’est le régime de droit commun, si je puis dire. Notre rôle, monsieur Bazin, est effectivement de contrôler son application.

La réunion est suspendue de vingt-trois heures cinq à minuit trente le mercredi 13 juillet.

M. Thibault Bazin. Je propose, pour la qualité et la lisibilité de nos travaux, qu’on ne suspende pas de nouveau cette réunion pour retourner dans l’hémicycle mais plutôt qu’on la lève définitivement, sachant qu’il n’y a pas de séance publique demain matin.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS159 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport évaluant l’efficacité et la pertinence des mesures temporaires de réduction des cotisations sociales prévues par l’article 2.

Nous nous interrogeons en particulier sur le caractère temporaire de ces réductions pour certains travailleurs indépendants  elles seront pérennes pour les autres. Il n’y aurait pas d’égalité de traitement, et nous souhaitons comprendre ce qui a présidé à un tel choix.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

D’abord, votre demande est satisfaite par l’annexe 5 du PLFSS, qui énumère, chaque année, les exonérations de cotisations sociales, précise leur coût et indique si elles sont compensées ou non. Ensuite, en application de la loi organique promulguée le 14 mars dernier, chaque dispositif d’exonération doit faire l’objet d’une évaluation tous les trois ans. Ainsi, le dispositif proposé sera nécessairement évalué.

M. Gérard Leseul. Pouvez-vous nous éclairer sur la distinction faite entre les travailleurs indépendants et sur la non-pérennité de certains régimes ?

Mme la rapporteure. Il n’existe pas de distinction. Toutes les exonérations de cotisations seront évaluées, dans le cadre de l’annexe 5, et il n’y aura pas de régime non pérenne.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Promotion de la diffusion de l’intéressement

Amendement AS241 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Nous contestons le principe qui est à l’origine de cet article. Non seulement l’intéressement concourt, en tant que modalité de rémunération, à contourner les salaires, mais il devrait aussi faire l’objet d’une véritable négociation. Ce que vous proposez repose sur une décision unilatérale de l’employeur.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

L’objectif est de rendre plus souple l’accès à l’intéressement tout en préservant le dialogue social : il faudra au préalable une consultation des représentants du personnel, sauf carence en la matière dans les entreprises – cela se produit souvent dans celles de moins de cinquante salariés, ce qui peut bloquer l’accès à l’intéressement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS306 de M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet. Je redis que nous sommes assez hostiles aux formes anormales de rémunération qui ne sont pas des salaires et qui leur font concurrence. Vous appliquez aux entreprises la méthode de Mme Borne, à savoir le culte du pouvoir solitaire et absolu. Les employeurs décideraient seuls, sans institutions représentatives du personnel et sans négociation collective dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues d’un cadre collectif, qui représentent les deux tiers de cette catégorie d’entreprises. Ce serait une reféodalisation. En effet, les primes d’intéressement dépendent exclusivement des rapports de force dans chaque entreprise.

L’intéressement lui-même peut sembler louable en tant que principe de rémunération – par la reconnaissance de l’individu dans l’entreprise – mais il est aléatoire. Au lieu de recevoir un salaire « quoi qu’il en coûte », le personnel voit sa rémunération fluctuer d’un mois ou d’une année à l’autre, suivant la météo des marchés, l’organisation des chaînes d’approvisionnement et même l’humeur de l’employeur. Aux salaires on substitue une loterie ou plutôt une course sans fin. La conséquence systématique du remplacement des salaires par l’intéressement est d’obliger à travailler plus longtemps et plus durement pour espérer une prime. En somme, c’est travailler plus pour gagner peut-être quelque chose, ce qui ne nous semble pas correspondre à l’urgence actuelle.

Mme la rapporteure. Avis défavorable pour la raison que j’ai déjà évoquée. Il ne s’agit pas de passer outre à la représentation du personnel lorsqu’elle existe, mais de permettre à l’entreprise, en cas d’échec des négociations collectives ou d’absence de représentants du personnel, d’instaurer un accord d’intéressement. Ce n’est pas une loterie en matière de rémunérations.

M. Thibault Bazin. Je n’en peux plus des discours caricaturaux – il a été question de féodalisation et de rapports de force. Dans les très petites entreprises, de moins de cinquante salariés, que le chef d’entreprise connaît souvent et avec lesquels il discute tous les jours, les résultats fluctuent. Tout n’est pas connu à l’avance. Je crois beaucoup à la participation et à l’intéressement, qui redonnent une place aux salariés et permettent de partager quand un peu plus de valeur est créé. Certains types d’entreprises marchent toujours très bien, et tant mieux, mais dans beaucoup de cas ce n’est pas vrai. Or nous fixons un cadre général dans la loi. Par ailleurs, objectivement, tous les chefs d’entreprise ne s’inscrivent pas dans un rapport de force avec leurs salariés.

Mme Justine Gruet. Vous êtes en train de faire passer tous les chefs d’entreprise pour des méchants, alors que ce n’est pas du tout le ressenti que j’ai eu pendant ma campagne. C’est plutôt du donnant-donnant, un travail d’équipe fait dans une grande complémentarité. Je tiens à saluer l’engagement de nos chefs d’entreprise qui, eux aussi, ont été victimes de la crise et qui affrontent encore des problèmes auxquels nous devons nous intéresser : le manque de main-d’œuvre, l’augmentation des prix de l’énergie et celle du coût des matières premières. L’enjeu, en matière de pouvoir d’achat, est aussi de redonner de la confiance aux chefs d’entreprise, au lieu d’instaurer de la défiance. La prime d’intéressement, quand le chef d’entreprise connaît ses salariés, est une belle façon de les valoriser et de les fidéliser.

M. Adrien Quatennens. Il ne s’agit pas de dire qu’il y a des gentils et des méchants mais que le rapport du salarié avec son patron est de subordination. C’est du rapport entre le capital et le travail qu’il est question.

Si on vous suit, ce n’est plus un projet de loi pour protéger le pouvoir d’achat mais pour le faire fluctuer. Le problème des accords d’intéressement est qu’ils sont conditionnés à l’atteinte d’objectifs et à des décisions unilatérales de l’employeur. C’est une nouvelle fois une manière d’éviter l’essentiel : il faudrait augmenter les salaires, mais vous vous y refusez depuis le début. Nous ne sommes pas d’accord avec la variabilité et le lien avec l’atteinte d’objectifs.

M. Nicolas Turquois. Comment fait-on pour augmenter les gens quand les entreprises ne gagnent pas leur vie ?

M. Adrien Quatennens. L’augmentation des salaires profitera à beaucoup d’entreprises par la relance de la consommation populaire. Il faut aussi distinguer les petites entreprises des plus grandes. Ce sont des profiteurs de guerre que nous parlons, comme d’ailleurs Emmanuel Macron. Notre programme prévoit notamment une caisse de péréquation pour assurer une solidarité entre les grandes entreprises et les petites et faire en sorte que tous puissent bénéficier de l’augmentation des salaires.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS395 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendement AS298 de M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet. Au lieu d’avoir des hausses de salaire tangibles, fixes ou prévisibles, ce texte fera courir les salariés derrière une carotte parfois imaginaire. Surtout, l’intéressement aux bénéfices est un intéressement aux risques. Si l’entreprise va bien, les revenus des salariés pourront augmenter ; si elle va mal, ils fluctueront dans le même sens. Or le principe du salariat, la raison même de son invention, c’est de déconnecter les revenus de la personne qui travaille du chiffre d’affaires à la semaine, au mois ou à l’année de l’entreprise.

Au niveau macroéconomique, la généralisation des dispositifs d’intéressement est catastrophique : dès qu’une entreprise fléchit, elle distribue moins de revenus et ses salariés consomment moins, ce qui peut mettre en difficulté d’autres entreprises par le biais de la consommation.

Au lieu d’aller avec les salaires, l’intéressement les remplace : il y a un effet de substitution depuis 2017. Les négociations sur l’intéressement sont deux fois plus nombreuses que les négociations salariales. Pourquoi ? C’est notamment parce que l’intéressement est une forme de dumping : exonéré de cotisations sociales, il est plus attractif que le salaire pour l’entreprise, sur le plan comptable.

Si l’on veut préserver les ressources de la sécurité sociale, c’est-à-dire nos droits à partir à la retraite et à être soignés, et si on veut des rémunérations dignes, assurées, pérennes, il faut soumettre l’intéressement au versement de cotisations. C’est l’objet du présent amendement.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Je ne partage pas du tout la vision de nos collègues de La France insoumise, qui sont contre les primes et contre l’intéressement. Pour nous, il est important que les employeurs puissent avoir une multitude d’outils allant au-delà des salaires. Nous encourageons à augmenter ces derniers, mais les salariés sont également favorables aux primes et à l’intéressement. Nous souhaitons donc conserver le caractère incitatif des accords d’intéressement.

M. Marc Ferracci. Certaines explications reposent sur une erreur de raisonnement. Vous partez du principe que les résultats d’une entreprise dépendent du contexte macroéconomique. Ce n’est vrai que dans une faible mesure. De nombreux travaux montrent que les résultats des entreprises dépendent d’abord de la politique qu’elles mènent. La philosophie de l’intéressement est d’impliquer les salariés dans les résultats de l’entreprise, de faire en sorte que par leur action, collective mais aussi individuelle, ces résultats soient meilleurs. Il ne faut pas inverser la causalité en partant du principe que le contexte macroéconomique détermine, par l’intéressement, les revenus des salariés.

M. Thibault Bazin. Nos collègues de La France insoumise opposent systématiquement l’augmentation des salaires et l’intéressement. En moyenne, les augmentations salariales sont remarquables cette année. Selon une étude de la Banque de France, elles sont comprises entre 2,5 % et 3,5 %, et dépassent même 4 % dans certains secteurs, comme l’automobile, ce qui permet une revalorisation structurelle de certains métiers. Le but est de pouvoir verser une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, non pas à la place du salaire mais en plus, si la santé de l’entreprise le permet.

Si des entreprises fléchissent, elles ne peuvent même plus verser des salaires. Le nombre de défaillances d’entreprises a augmenté ces dernières semaines. Pour que les entreprises perdurent, et pour que ceux qui ont donné leur vie à une entreprise ne perdent pas leur emploi, il faut trouver un juste équilibre.

J’ajoute que ce n’est pas M. Macron qui donne des primes, même si l’on parle maladroitement de « primes Macron », mais les entreprises, en fonction de leur secteur.

On aimerait que les gens aient plus de pouvoir d’achat. Concernant les salaires, des évolutions ont eu lieu. Il reste des freins, qui sont notamment liés à la conjoncture. Certaines peurs peuvent se comprendre : on ne veut pas faire peser un risque structurel sur la pérennité de l’entreprise. Tout le monde y perdra si elle n’est plus là dans un an. Lorsque la situation est meilleure mais qu’on n’est pas encore sûr que c’est durable, on peut verser des primes.

M. François Ruffin. La faculté donnée aux chefs d’entreprise de verser des primes d’intéressement ne résoudra pas le problème macro-économique de la distorsion entre les revenus du capital et ceux du travail – dans ce pays, la part de la valeur ajoutée consacrée au capital n’a jamais été aussi élevée.

Le rapport de Christine Erhel sur les 4,6 millions de salariés de la deuxième ligne montre que ceux-ci perçoivent un salaire inférieur de 30 % au salaire moyen et, pour nombre d’entre eux, en dessous du SMIC parce qu’ils travaillent à temps partiel ou alternent intérim et chômage.

Il faut relever le niveau des salaires en France. Vous n’y parviendrez pas avec des incantations ou en vous remettant au bon vouloir des patrons. Je fais une distinction entre les petits patrons qui font ce qu’ils peuvent et les requins du CAC40. Les salariés des petites entreprises ne doivent pas être des salariés de seconde zone. Les grandes entreprises traitent souvent mieux leurs salariés que les sous-traitants car les premières peuvent distribuer la valeur ajoutée qu’elles ont confisquée aux seconds.

Comment mieux répartir la valeur ajoutée tout au long de la chaîne ? Comment faire en sorte que le travail en bénéficie plus que le capital ? Les réponses qui nous sont apportées sont vraiment médiocres mais je doute que le problème vous intéresse.

Mme Sandrine Rousseau. La baisse de pouvoir d’achat est un problème structurel – que je sache, aucune déflation n’est prévue dans les mois qui viennent – que le recours à des primes ne permet pas de résoudre.

Le temps de l’énergie chère ne fait que commencer. Sans une augmentation des salaires, vous ne pourrez pas protéger le pouvoir d’achat comme vous prétendez le faire.

M. Pierre Dharréville. Le débat ne concerne pas le bien-fondé de l’intéressement.

L’article 3 donne injustement une place accrue à l’intéressement puisqu’il permet à l’employeur, en cas d’échec des négociations, de l’instaurer unilatéralement, passant outre la volonté des salariés. Si le texte comportait aussi des mesures en faveur des salaires, notre appréciation serait peut-être différente.

M. Ferracci présentait l’intéressement comme un outil pour impliquer les salariés. Mais le moyen incontournable de les aider à se sentir bien dans l’entreprise – on le sait, la bonne santé des salariés et la qualité de leurs conditions de travail participent à la bonne santé de l’entreprise –, c’est le salaire ; l’intéressement ne suffit pas.

M. Hadrien Clouet. Madame la rapporteure, les salariés sont selon vous favorables à l’intéressement. Pourquoi dès lors laisser l’employeur décider seul ? Pourquoi ne pas créer un cadre de négociation collective permettant de confirmer votre hypothèse ? Mon amendement précédent reste à votre disposition pour ce faire.

Mme la rapporteure. Le cadre que vous souhaitez existe bel et bien. L’article prévoit qu’en cas d’absence d’institutions représentatives du personnel ou d’échec des négociations, l’employeur peut proposer de l’intéressement aux salariés. Je vous invite à faire un sondage auprès des salariés pour savoir s’ils sont favorables ou non à l’intéressement – je suis convaincue qu’ils le sont.

Vous opposez de manière dogmatique salaires et primes d’intéressement. Pourquoi l’employeur n’aurait-il pas plusieurs outils à sa disposition selon la situation ?

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS396 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendement AS160 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. L’amendement vise à limiter à trois ans la durée maximale du régime d’intéressement instauré par décision unilatérale de l’employeur.

Mme la rapporteure. La durée est alignée sur celle qui est prévue pour le régime d’intéressement institué par un accord.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS161 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. L’amendement vise à restreindre le champ du régime d’intéressement à l’initiative de l’employeur au seul cas de l’absence d’instances représentatives du personnel dans l’entreprise.

Mme la rapporteure. Le comité social d’entreprise doit être consulté sur le projet de régime d’intéressement élaboré par l’employeur en cas d’échec de la négociation.

M. Gérard Leseul. L’amendement a précisément pour objet de restreindre le dispositif aux entreprises de moins de cinquante salariés

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS397, AS398 et AS399 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendement AS162 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. L’amendement vise à limiter à trois ans la durée maximale du régime d’intéressement de projet.

Mme la rapporteure. Par cohérence, les accords d’intéressement de projet sont conclus pour une durée équivalente à celle des autres accords d’intéressement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS402, AS400, AS401, AS403 et AS404 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Amendement AS100 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Il est proposé d’adjoindre aux critères collectifs d’intéressement des critères individuels.

Mme la rapporteure. L’intéressement n’a pas vocation à être une prime de performance, l’employeur disposant d’autres leviers.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

Amendements AS102 et AS103 de M. Thibault Bazin (discussion commune).

M. Thibault Bazin. L’amendement AS102 vise à exonérer de forfait social les sommes versées au titre de l’intéressement tandis que l’amendement AS103 a le même objet pour les seules entreprises de moins de deux cent cinquante salariés.

Mme la rapporteure. Les sommes versées au titre de l’intéressement sont déjà exonérées de forfait social dans les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés. De manière plus générale, les cotisations liées à l’intéressement bénéficient aussi d’un régime préférentiel.

La suppression totale du forfait social relève plutôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En outre, le coût de la mesure dépasse 2 milliards d’euros.

M. Thibault Bazin. L’harmonisation est une nécessité mais il faut veiller aux effets de seuil et à la bonne lisibilité des dispositifs.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements AS108 et AS109 de M. Thibault Bazin (discussion commune).

M. Thibault Bazin. L’article 207 de la loi de finances pour 2021 a temporairement exonéré de forfait social, pour les années 2021 et 2022, les abondements de l’employeur aux plans d’épargne entreprise qui complètent les versements des salariés pour l’acquisition d’actions ou de certificats d’investissement de l’entreprise ou d’une entreprise du groupe.

Cette exonération permet d’inciter les salariés à flécher leur épargne vers le renforcement des fonds propres des entreprises, d’accroître l’actionnariat salarié qui est un facteur de motivation et de fidélisation des salariés et ainsi de favoriser le partage de la valeur dans l’entreprise.

L’amendement AS108 vise à pérenniser l’exonération tandis que l’amendement AS109 tend à la proroger jusqu’au 31 décembre 2024.

Mme la rapporteure. Je m’interroge sur l’utilité de proroger ad vitam æternam un dispositif prévu pour soutenir les entreprises dans un contexte de crise... Quoi qu’il en soit, vu l’impact potentiel d’une telle disposition sur le budget de la sécurité sociale, je vous invite à la présenter plutôt dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances.

M. Thibault Bazin. Vu l’urgence, le Gouvernement ne pourrait-il pas envisager de déposer cet été un PLFSS rectificatif ?

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS107 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. La monétisation des jours de réduction du temps de travail (RTT) et des congés payés au-delà de la cinquième semaine est aujourd’hui possible pour les entreprises couvertes par un accord collectif dans le cadre d’un compte épargne‑temps (CET). La loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire avait permis une monétisation simplifiée des jours de repos conventionnel et d’une partie du congé annuel excédant vingt‑quatre jours ouvrables et ce, de manière exceptionnelle, jusqu’au 30 juin 2021. Il serait souhaitable que cette mesure soit pérennisée.

Mme la rapporteure. Votre amendement, qui consiste à pérenniser à un dispositif mis en place à l’occasion de la crise sanitaire afin de tenir compte des situations d’activité partielle et d’ouvrir d’autres possibilités de revenus pour les salariés, me semble insuffisamment encadré et précis. Comment s’articulerait-il avec le dispositif existant dans les entreprises qui disposent d’un CET ? De surcroît, il n’y a pas eu de consultation préalable avec les partenaires sociaux, ce qui me semblerait, vu le sujet, une précaution souhaitable. Dans ces conditions, il me semble difficile d’émettre un avis favorable à votre amendement. Je vous propose de le retirer et de le retravailler.

M. Marc Ferracci. J’ajoute que le programme présidentiel prévoit la création d’un compte épargne‑temps universel, qui sera précédée d’une large concertation avec les partenaires sociaux et qui vise à étendre le CET actuel et à permettre sa monétisation dans des conditions à définir. Ce sera l’occasion d’en rediscuter.

M. Thibault Bazin. Il semblerait que j’aie eu une bonne idée... À nouveau quinquennat, nouvelle méthode : ne voulez‑vous pas vous rallier à nos propositions, plutôt que le contraire ? Votez cet amendement, quitte à ce qu’en séance, vous y apportiez des précisions ou des rectifications. Cette mesure est attendue par nos compatriotes et sera efficace. Quant à la concertation, elle pourrait avoir lieu dans les jours qui viennent.

M. Hadrien Clouet. Non, monsieur Bazin, c’est une mauvaise idée. Demander de choisir entre, d’un côté, l’argent, de l’autre, la vie de famille et le temps avec les proches, cela revient toujours à attenter à la vie de famille et à la santé des travailleuses et travailleurs. Un droit aussi fondamental que celui au repos ne doit pas être à vendre.

Mme Justine Gruet. Pour ma part, je souscris pleinement aux propos de mon collègue Bazin. Une telle disposition laisserait aux salariés une liberté de choix, en fonction de leur situation. Typiquement, cela donnerait un coup de pouce quand on est en début de carrière, qu’on a envie de bosser, de bien gagner sa vie, qu’on est en train de s’installer et qu’on a des prêts à rembourser.

Chers collègues de la majorité, vous souhaitez que nous travaillions ensemble : c’est l’occasion !

Mme Isabelle Valentin. Durant la campagne électorale, nous avons visité des entreprises, petites et grandes, et rencontré des salariés : tous nous ont tous dit qu’ils préféraient l’argent aux RTT ! Quand on gagne 1 200 ou 1 300 euros par mois, 100 ou 150 euros de plus, c’est appréciable : la vie de famille ou les loisirs, ça coûte cher.

M. François Ruffin. Comment est-il possible que des gens qui font un travail que l’on juge indispensable à ce pays touchent 1 200 ou 1 300 euros de revenu, alors que personne ici n’accepterait de telles conditions ? C’est cela le problème, et non de savoir s’il faut faire des heures sup ou attenter aux jours de RTT ! Ce qu’il faut, c’est relever le salaire minimum et que les gens soient payés au moins 1 500 euros – et encore, ce n’est pas probablement pas assez.

On doit pouvoir vivre de son salaire. Ceux qui célèbrent continuellement la « valeur travail » sont souvent les premiers à la profaner. Car qu’est-ce qui fait la valeur du travail ? C’est d’abord un revenu correct, pour pouvoir en vivre dignement ; on doit pouvoir se loger, se nourrir, se vêtir, éduquer ses enfants. C’est ensuite un statut, avec des droits associés, qui ne doivent pas être en permanence remis en cause : le droit au chômage, à la sécurité sociale, à la retraite. C’est enfin un droit au repos. Depuis le début du mouvement ouvrier, la lutte autour du travail est aussi une lutte pour arracher des moments à ce travail. Petit à petit, on a conquis du temps : le congé maternité, le dimanche chômé, la semaine anglaise, les congés payés... Et aujourd’hui on vient nous dire que, pour être rémunéré correctement pour son travail, il faudrait renoncer au repos ? Non, le problème, c’est le salaire – un mot qui a totalement disparu de nos débats. Nous discutons du pouvoir d’achat et de la valeur du travail, mais le mot « salaire » est tabou !

La réunion est suspendue de une heure quinze à une heure cinquante.

Mme Rachel Keke. La sous‑traitance, c’est la maltraitance. On dit qu’on prend trop souvent les entreprises pour des méchants, mais certaines entreprises sont vraiment très méchantes ; elles profitent des femmes de ménage, ne paient pas les heures supplémentaires. Je peux vous en parler : je suis dedans. Il arrive que nous fassions trente à cinquante chambres pour toucher, à la fin du mois, 700 à 900 euros. C’est de la pure maltraitance.

Il faut que nous réfléchissions ensemble à une loi permettant d’augmenter les salaires. À l’hôtel Ibis Batignolles, nous avons dû faire grève pendant vingt-deux mois pour obtenir 250 à 500 euros d’augmentation de salaire ! Pourtant, de l’argent, il y en a. On ne devrait pas être obligé de se mettre en grève pour obtenir cela. Souvent, les syndicats sont complices des employeurs, et les entreprises font ce qu’elles veulent, parce qu’il n’y a aucun contrôle. Certaines femmes, qui ne savent ni lire ni écrire, ne comprennent rien à leur fiche de paie ; on ne leur paie pas les heures supplémentaires et quand elles demandent pourquoi, on les envoie chier. La voilà, la réalité ; il faut que vous la compreniez. C’est un problème dramatique, et c’est pourquoi nous demandons une augmentation du SMIC, non des
primes – les primes, les patrons ne les paient pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS106 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. De plus en plus d’entreprises souhaitent intégrer des critères liés à la responsabilité sociale des entreprises dans leurs accords d’intéressement. Il s’agit d’utiliser ce dernier comme un levier de performance sociale et environnementale. Ces entreprises sont néanmoins dissuadées par la crainte d’un redressement en cas de contrôle par les URSSAF, les critères de RSE pouvant ne pas être reconnus comme aléatoires.

Légalement, l’attribution de la prime d’intéressement et son montant doivent en effet impérativement varier et être soumis à des aléas. Fixité, variation de montant dans une même fourchette ou minimum assuré sont interdits.

Un levier pour faciliter le recours à des critères de responsabilité sociale des entreprises dans les accords d’intéressement serait de préciser qu’ils peuvent être une composante de la formule de calcul de l’intéressement et d’imposer aux organismes de contrôle de clarifier ce qu’ils entendent par « critères aléatoires ».

Mme la rapporteure. S’agissant de l’intégration des objectifs sociaux et environnementaux dans la formule de calcul de l’intéressement, je peux vous suivre ; d’ailleurs, la loi ne l’interdisant pas, il est d’ores et déjà possible de le faire. En revanche, ajouter de nouvelles charges aux URSSAF ne me semble pas souhaitable, d’autant moins que des outils et informations se trouvent déjà à la disposition des entreprises et du public.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement et d’en déposer en séance un autre, qui se limiterait au premier point.

M. Hadrien Clouet. Si je comprends bien, lorsqu’une entreprise polluera ou maltraitera ses sous-traitants, ses salariés perdront des revenus ? Et vous appelez cela de l’intéressement ? Pour moi, c’est plutôt la double peine !

Mme Sandrine Rousseau. Quel amendement fascinant ! Après nous avoir expliqué que l’on ne pouvait pas aider les entreprises en fonction de critères environnementaux, vous proposez maintenant que les salariés prennent en charge, à travers leurs primes, les risques liés aux activités polluantes de l’entreprise ? J’ai vraiment du mal à comprendre comment vous concevez les critères sociaux et environnementaux... Néanmoins, je reste positive : je suis certaine qu’un jour nous parviendrons à faire en sorte qu’on les prenne en considération pour accorder des aides aux entreprises.

M. Thibault Bazin. Évitons les caricatures. Ce n’est pas du tout l’esprit de cet amendement.

Vous, vous voulez contraindre, et interdire le versement de primes quand les normes environnementales et sociales ne sont pas respectées – ce qui peut d’ailleurs paraître étonnant, vu que les entreprises sont censées les respecter et ne pas « maltraiter » les gens.

Ce que nous proposons est totalement différent : il s’agit d’éviter que certaines sommes versées dans le cadre de primes d’intéressement fassent l’objet, en raison d’une interprétation divergente des textes, d’un redressement de la part de l’URSSAF. Il convient donc, d’une part, de sécuriser l’intégration d’objectifs RSE dans le calcul de l’intéressement, d’autre part, de faire en sorte que les contrôles les prennent bien en considération ; pour cela, il faut clarifier la notion de « critères aléatoires », de manière à apporter davantage de sécurité aux entreprises, qui, en l’état, évitent de verser des primes d’intéressement sur cette base afin de ne pas prendre de risque.

La commission rejette l’amendement.

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La réunion s’achève à deux heures.


Présences en réunion

Réunion du mardi 12 juillet 2022 à 21 heures 30

 

Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, Mme Bénédicte Auzanot, M. Thibault Bazin, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, M. Pierre Dharréville, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Marc Ferracci, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Justine Gruet, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Christine Le Nabour, Mme Marie Lebec, M. Gérard Leseul, Mme Katiana Levavasseur, M. Matthieu Marchio, M. Didier Martin, M. Thomas Mesnier, Mme Sophie Mette, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Michèle Peyron, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry

 

Excusés.  M. Elie Califer, Mme Caroline Fiat, M. Philippe Juvin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Olivier Serva

 

Assistait également à la réunion.  Mme Clémence Guetté