Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

 


Jeudi
7 juillet 2022

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 3

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le ministre, c’est un grand plaisir de vous accueillir pour votre première prise de parole devant la représentation nationale en tant que ministre des armées. Vous avez modifié votre emploi du temps pour venir aujourd’hui devant nous : c’est une marque de considération à laquelle nous sommes tous très sensibles.

Notre commission, installée il y a une semaine, est renouvelée – 80 % des commissaires n’étaient pas députés ou pas membres de la commission sous la précédente législature – et féminisée – elle compte 40 % de femmes, contre 30 % précédemment.

Nous avons la volonté commune d’être utiles à notre défense nationale en développant notre expertise stratégique pour apporter une contribution singulière aux débats sur la stratégie, en continuant le travail engagé en 2017 pour que nos armées disposent de moyens à la hauteur des missions qui leur sont confiées, en veillant à notre défense globale et en contribuant à renforcer l’esprit de défense de toute la nation, enfin en développant les relations interparlementaires au service de la paix et des intérêts de notre pays partout dans le monde.

Vous prenez vos fonctions dans un contexte géostratégique particulièrement complexe. Pour citer le Président de la République, avec l’agression russe contre l’Ukraine, la « guerre de haute intensité s’est engouffrée sur le sol européen » ; les relations internationales ont renoué avec les rapports de force ; les tensions se multiplient partout, au Sahel comme en Afrique, au Moyen-Orient, en Afghanistan, dans la zone indo-pacifique ou en Méditerranée orientale, et de nouvelles causes et formes de conflictualité se développent. L’engagement de nos soldats, marins et aviateurs nous inspire une grande reconnaissance.

Je vous cède la parole afin que vous nous fassiez part de votre vision et de vos projets. Les membres de la commission ont bien conscience du fait que vos réponses à leurs questions ne pourront pas toujours être exhaustives, faute de temps ou afin de protéger notre défense. Si certains points ne peuvent être abordés ici, nous vous proposons d’en prendre note afin d’être en mesure d’apporter des réponses complémentaires selon d’autres modalités.

M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées. J’ai d’abord une pensée pour nos soldats, notamment les blessés et les tués – notre travail implique un état d’esprit humain et fraternel envers ceux qui s’engagent pour notre pays.

Je vous adresse à tous mes félicitations républicaines pour votre élection ou réélection. Votre commission se caractérise par un sens profond du travail partenarial et républicain, mais aussi démocratique. Or, si certains de nos compétiteurs ne sont pas des démocraties, nos institutions, elles, imposent au Gouvernement – à la Première ministre et au ministre des armées – de rendre compte de son action devant la représentation nationale, et le Parlement devra prendre des décisions en la matière et se prononcer sur d’importantes orientations stratégiques.

J’insisterai d’abord sur l’actualité que suggèrent les théâtres opérationnels, car c’est d’elle que découle sinon le plan de bataille – l’expression serait malheureuse –, du moins l’effort collectif à fournir dans les temps futurs, auquel je viendrai ensuite.

Dans le contexte géopolitique et sécuritaire actuel, la question qui s’impose à nous est évidemment celle de l’Ukraine. L’aide que nous apportons à ce pays est cruciale. Du point de vue stratégique, intellectuel, géopolitique et diplomatique, il y a un avant et un après le 24 février dernier. En effet, alors que tout notre système stratégique a été remis à jour après la guerre froide, désormais, des agressions contre notre souveraineté – contre les souverainetés – sont commises aux portes de l’Europe. Quand l’Ukraine se bat pour protéger ses frontières, sa souveraineté et, donc, sa liberté – on redécouvre que l’une ne va pas sans l’autre –, elle se bat pour un principe du droit international auquel nous sommes attachés. Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, mais quand nous aidons les Ukrainiens, nous défendons nous aussi de tels principes, auxquels les républicains et la nation française tiennent depuis longtemps.

L’aide française à l’Ukraine est directe. Elle est d’abord matérielle – ce sont des armes, létales ou non, parmi lesquels les canons CAESAR (camion équipé d’un système d’artillerie) popularisés par les médias et qui, au nombre de dix-huit, forment une unité d’artillerie complète permettant aux forces ukrainiennes de se défendre. Mais il s’agit aussi de formation – à quoi servirait le matériel sans soldats capables de l’utiliser ? –, l’une de nos préoccupations à l’échelle européenne, ainsi que du soin aux blessés ; sur ce dernier point, nous avons peu communiqué, mais je me suis rendu au chevet de soldats ukrainiens à l’hôpital d’instruction des armées de Percy.

Comment poursuivre l’aide dans la durée ? Il le faut : puisque, malheureusement, le conflit peut durer, la solidarité ne saurait être ponctuelle. Elle doit donc faire l’objet d’une coordination entre les alliés pour affiner la compréhension des besoins – après une première phase où ils se manifestaient tous azimuts – et œuvrer à la logistique d’acheminement.

À cet égard, l’Union européenne a très heureusement joué un rôle sans précédent, sous l’impulsion de la présidence française. Quoi qu’on en pense, la facilité européenne pour la paix est un instrument inédit dans l’histoire de l’Union ; appelée à durer, elle est cruciale sur le plan financier comme sur le terrain de la coordination opérationnelle. Les sanctions, qu’il ne faut pas oublier, ont également fait l’objet d’un niveau de coordination qui n’allait pas de soi jusqu’alors. Il appartient aussi à l’Union européenne – je le dis souvent à nos partenaires de l’Alliance atlantique – d’apporter une réponse humanitaire par l’accueil des réfugiés, mis en œuvre dans vos circonscriptions.

Enfin, je ne serais pas complet si je ne mentionnais pas l’énergie et les matières premières alimentaires, même je ne suis pas en première ligne dans ce domaine qui appelle lui aussi une importante coordination.

La situation a remanié l’agenda de l’OTAN de manière inédite depuis la fin de la guerre froide – c’est un fait, quoi que l’on pense de l’Alliance atlantique. Au cours du mois passé se sont tenus une réunion ministérielle à Bruxelles puis le sommet de Madrid, qui a rassemblé l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance.

Concernant l’OTAN, il me semble utile de vous rendre compte de certains aspects très précis, sur lesquels il faudrait peut-être que le Gouvernement revienne davantage devant le Parlement, ce qui pourrait éviter caricatures et fausses informations.

Le premier est évidemment l’élargissement de l’Alliance atlantique à la Suède et à la Finlande, à leur demande – ce ne sont pas les États-Unis d’Amérique, la République française ni le royaume de Grande-Bretagne qui sont allés les chercher : ces deux pays, qui ont une longue histoire de neutralité, ont décidé, pour pouvoir se défendre le cas échéant, de faire appel au mécanisme de solidarité prévu à l’article 5 du traité – mais pas seulement. Les discussions ministérielles, les échanges formels et informels, puis le sommet de l’OTAN ont permis de faire droit à cette demande d’adhésion, dont les premiers actes ont été signés ; il reviendra au parlement de chaque État de se prononcer sur elle – vous serez amenés à le faire au nom de la nation française dans les toutes prochaines semaines.

Deuxièmement, il a été question de posture stratégique et militaire, et c’est heureux – l’Alliance atlantique est une alliance militaire. À cet égard, le Président de la République a de nouveau insisté sur les points suivants.

D’abord, l’Alliance est défensive et dissuasive ; elle a donc une vocation nucléaire. C’est factuel, ce n’est pas nouveau, cela date de l’époque où le général de Gaulle a courageusement souhaité que la France soit dotée de cette arme, et nous avons à affirmer cette vocation.

Ensuite, l’Alliance a aussi une vocation euro-atlantique. Il est important de conserver cet équilibre otanien historique à l’heure où certains pays membres peuvent être tentés de regarder davantage vers le Pacifique ou vers la Chine.

S’y ajoutent des enjeux de moyens sur lesquels je reviendrai pour la partie française. S’agissant, je le répète, d’une alliance militaire, il faut s’intéresser à l’effort militaire réel, qui repose sur le budget, à propos duquel plusieurs pays se sont engagés, notamment concernant la proportion de 2 % du PIB. Quelle que soit sa taille, chaque pays doit participer à cet effort.

Troisième élément en ce qui concerne l’OTAN : la part que la France prend à l’affaire sur le terrain militaire. Nous assumons courageusement des missions non plus de police du ciel, mais bien de défense du ciel, en Estonie et en Pologne ; elles sont appréciées par nos partenaires et amis polono-baltes. Nous allons ainsi jusqu’à la frontière de l’Alliance et de l’Union européenne et, dans ces pays, les forces armées françaises – souvent l’armée de l’air et de l’espace, souvent nos chasseurs, mais pas seulement – sont engagées pour s’assurer de l’intégrité des frontières. Cette posture, dissuasive, est devenue également défensive avec des aviateurs français me disant, qu’au radar mais aussi à l’œil nu, ils peuvent apercevoir derrière la frontière, du côté russe, un certain nombre d’engagements. Tout cela étant très équilibré mais, enfin, c’est réel, c’est concret. Nous ne sommes plus dans un champ théorique, on est dans un champ évidemment complètement opérationnel.

En outre, en Roumanie – où des membres de votre commission pourraient se rendre rapidement –, nous assumons le rôle de nation-cadre. Il y a peu de pays dans l'Alliance qui savent assurer et assumer ce rôle de nation cadre : les Américains, les Britanniques et nous. Je le dis parce que nous avons souvent tendance, quelle que soit notre opinion politique, à sous-estimer le poids de la France ; mais on peut aussi être fier d’être Français ! Ce rôle inclut une défense du ciel qui dépend de l’armée de l’air et de l’espace et passe par des dispositifs sol-air, outre la construction d’une base militaire à Cincu, où le génie français est en train de se déployer et qui permettra d’accueillir des forces interalliées – c’est d’autant plus crucial que nous organisons, si malheureusement le besoin en était – je dis bien si malheureusement le besoin en était –, notre capacité à nous élever à un niveau de type brigade, chose totalement inédite depuis la fin de la guerre froide. Nos partenaires roumains apprécient eux aussi beaucoup cet effort.

Évidemment, lorsque le Parlement a voté la loi de finances pour 2022, nous étions loin de nous douter que la Russie envahirait l’Ukraine : tout ce que nous faisons en Roumanie n’était pas prévu dans nos budgets.

J’en viens au reste du monde. Et le problème, c’est que la situation en Ukraine pourrait nous rendre myopes et nous pousser à regarder uniquement dans un sens, ce n’est pas une critique, même les médias nous emmènent là-dessus.

J’aimerais d’abord évoquer le terrorisme et la bande sahélo-saharienne. L’Afrique ne fait que trop peu, malheureusement, l’objet d’une attention et d’une actualité françaises, alors que ce qui s’y passe est clé : nous y avons beaucoup de ressortissants, il s’agit de pays amis, nous avons ensemble une histoire ancienne, et la déstabilisation sécuritaire sur place a des effets immédiats sur tous les pays de la Méditerranée, dont la France.

Un mot sur l’opération Barkhane, dont je veux défendre ici les résultats, car ce sont ceux de nos forces armées : nous pouvons ne pas converger politiquement sur les orientations politiques ou diplomatiques, mais je veux bien dissocier ces orientations du travail que font nos militaires sur le terrain. C’est toute la différence entre le gouvernement et l’État. Je fais la différence entre l’État et le Parlement, pardon pour ce moment de définition des mots mais je crois que c’est important. Le travail accompli dans le cadre de Barkhane, comme de Takuba et de la MINUSMA (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), est objectivement remarquable et salué. La neutralisation et l’extinction de plusieurs groupes terroristes suffit à le faire comprendre. Néanmoins, la question du terrorisme est toujours présente, évidemment ; et elle est particulièrement préoccupante.

Nous prenons acte des décisions de la junte malienne, ce qui veut dire, non pas que nous sommes d’accord, ni que nous ne sommes pas inquiets – loin s’en faut –, mais que nous respectons la souveraineté du Mali. Si le président Hollande avait déclenché cette opération, c’est parce que les représentants du gouvernement et de l’État malien à l’époque l’avaient demandé. Si nous quittons le Mali, c’est parce que les représentants actuels de l’État du Mali ne souhaitent plus notre présence. Je le rappelle parce que l’on a entendu des propos curieux sur le sujet dans le débat public pendant la campagne pour l’élection présidentielle. La France respecte la souveraineté des autres États, comme elle s’attend à ce que l’on respecte sa propre souveraineté.

Nous menons actuellement une manœuvre logistique particulièrement délicate de réarticulation depuis le Mali vers le Niger, dans un contexte sécuritaire très difficile – je rends hommage à la manière dont nos forces armées conduisent l’opération. Nous avons restitué aux forces maliennes les bases de Gossi et de Ménaka et nous finissons les manœuvres de redéploiement sur la base de Gao. J’espère tenir l’échéance de la fin de l’été ou du début du mois de septembre, mais sans confondre vitesse et précipitation, car la sécurité des forces engagées est cruciale.

L’agenda est d’autant plus difficile qu’il y a en Afrique une menace nouvelle pour nos forces armées, dont on parle peu dans les médias alors qu’on l’évoque beaucoup à propos du théâtre ukrainien : Wagner, dont des renforts sont à enregistrer dans la zone. Le fait que la junte malienne fasse davantage confiance à cette milice qu’à la République française est pour le moins curieux.

Nous devons réaffirmer un agenda de sécurité en Afrique, en association étroite avec le Parlement. J’aurai l’occasion de me rendre avec la ministre Colonna au Niger juste après notre fête nationale ; je me rendrai également à Abidjan et je serai heureux de vous rendre compte, peut-être à la rentrée, des différents échanges que nous aurons eus. Nous ne pouvons pas regarder l’Afrique de trop loin, car l’Afrique elle-même nous regarde et nous attend.

Dans l’Indo-Pacifique, nous avons des intérêts directs : avec près de 1,6 million de Français vivant dans la zone, nous en sommes riverains et nous devons y réaffirmer notre souveraineté, dont les instruments résident aussi dans nos zones économiques exclusives (ZEE), notamment par la lutte contre les pêches illégales, pour laquelle les armées sont très sollicitées. Il y a évidemment aussi des enjeux et des défis que pose la République populaire de Chine, qui suscitent un certain nombre d'inquiétudes auprès des différents États de cette zone, et que nous devons évidemment entendre, mais j’emploie le mot « de défi » à dessein, parce que c'est comme ça qu'il faut le regarder et le percevoir.

En Australie, enfin, la parole manquée du gouvernement Morrison a donné lieu à de nouvelles élections lors desquelles le peuple australien s’est prononcé, et le nouveau Premier ministre Albanese reprend une démarche de normalisation vis-à-vis de la République française ; elle s’est traduite par un accord entre l’Australie et Naval Group qui, de l'avis de Naval Group, est un bon accord, et je reprends ce jugement à mon compte puisque c’était à l’entreprise de le discuter et de le négocier. Cela nous permet de réaffirmer un agenda avec l’Australie dont nous avons besoin pour la Nouvelle-Calédonie et pour Wallis-et-Futuna, riverains immédiats. On l’a vu pendant la crise sanitaire et on le voit aussi dans un certain nombre de crises environnementales : le réchauffement climatique continue de faire de nombreuses victimes en Océanie, et l’élévation du niveau de la mer ainsi que le déclenchement de phénomènes de plus en plus violents nous font prendre conscience, à nous, Européens, de l’importance croissante que vont avoir les mécanismes de sécurité civile, tels que l’accord FRANZ (France, Australie, Nouvelle-Zélande) qui permet aux États concernés de se coordonner en cas de catastrophe.

Il nous faut déployer un agenda diplomatique, industriel et militaire dans l’axe indo-pacifique. L’aspect industriel est connu, et je viens de parler du volet diplomatique. Sur le terrain militaire, nous allons continuer à mener des opérations d’entraînement et de partenariat. L’année dernière, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) français a été déployé dans la zone ; l’opération d’entraînement, particulièrement saluée par plusieurs de nos partenaires sur place, nous a permis d’y réaffirmer notre présence. Il en va de même du déploiement, pendant quelque temps, d’avions Rafale en Polynésie française ; depuis la fin des essais nucléaires, cela faisait longtemps que nos avions de chasse n’avaient pas effectué quelques missions et opérations dans le ciel polynésien. Je rappelle que la Polynésie est aussi grande que le continent européen. Nos forces y sont prépositionnées, de même que les FANC en Nouvelle-Calédonie et les FAZSOI (forces armées dans la zone Sud de l’océan Indien) à La Réunion et à Mayotte, mais nous en avons également à Djibouti et aux Émirats arabes unis ; cela représente 7 000 à 8 000 militaires en tout.

Je pense que c’est la situation géopolitique et sécuritaire qui, rationnellement et pragmatiquement, nous oblige à être imaginatif pour notre modèle d’armée de demain.

Le préalable en est les moyens. Tous les candidats à l’élection présidentielle ont inscrit dans leur programme des moyens pour nos armées, quelles que soient leurs divergences quant à l’utilisation de ces moyens ; voilà au moins une base d’accord pour la suite de nos constructions budgétaires. Celles-ci passent par les lois de programmation, auxquelles le ministère des armées a été le premier à recourir. Dans le cadre de la programmation 2019-2025 – des crédits dont je vous rendrai compte au fur et à mesure –, heureusement que l’on n’a pas attendu l’invasion russe de l’Ukraine pour réamorcer un effort budgétaire important. Parce qu'entre le moment où nous vous proposons un effort budgétaire, entre le moment où vous le votez et vous le décidez, et le moment où il se traduit par des effets réels dans les armées, il se passe inévitablement du temps. Deux symboles résument ces derniers. D’abord, l’arrivée du programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) dans l’armée de terre où il était attendu depuis de nombreuses années et où le Griffon et le Jaguar prennent leur place. Ensuite, dans la marine, l’admission au service actif du SNA Suffren, premier du programme Barracuda – une décision ancienne, mais financée dans le cadre de la présente loi de programmation militaire (LPM).

Les 2 % du PIB sont tenus depuis 2020, mais ce maintien est fragile, le PIB s’étant beaucoup tassé à la suite de la pandémie. Il faut donc continuer à gravir les marches permettant d’aller de l’avant. Vous en avez autorisé dans le cadre de la LPM, puis chaque année ; je vous confirme que, l’an prochain, le Gouvernement vous proposera une nouvelle hausse de 3 milliards d’euros, la plus importante depuis le début de la trajectoire que vous aviez définie, ce qui portera le budget des armées à 44 milliards pour 2023.

Ces moyens n’ont de sens que si on les confronte à un premier retour d’expérience (retex) concernant notre action en Ukraine. Le moment est délicat : nous allons nous inscrire dans le cadre de la loi que vous avez votée, mais ce à quoi nous assistons depuis quelques semaines nous oblige à certaines mises à jour. C’est le sens de la commande que le chef de l’État a passée au chef d’état-major des armées et à votre serviteur et qui consiste à opérer de premiers ajustements, que nous allons vous proposer pour 2023 en plus de la LPM. Il s’agit par exemple des stocks stratégiques de munitions, qu’il faut réapprovisionner par suite de notre solidarité envers les armées ukrainiennes ou parce que le retour des conflits de moyenne à haute intensité de nature conventionnelle redonne une place particulière à l’artillerie et à l’infanterie dans notre schéma de défense.

Ce retour d’expérience ne serait pas complet si l’on ne s’interrogeait pas sur les capacités de production des bases industrielles et technologiques de défense (BITD) française et européenne. Le Président de la République a affirmé, lors du salon Eurosatory, que « nous entrons dans une économie de guerre. » Cela ne signifie pas que nous sommes en guerre mais qu’il faut s’adapter à la présence de la guerre aux portes de l’Europe. Les stocks de matériels servent habituellement aux exercices d’entraînement ou sont employés sur des théâtres classiques, soit onusiens – comme la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) –, soit dans le cadre de la lutte antiterroriste en Afrique. La guerre de haute intensité en Ukraine entraîne une augmentation de la consommation et du risque de destruction des matériels, en même temps qu’elle accélère leur obsolescence. Cela fait resurgir une question ancienne : C'est la capacité d'une industrie à très vite être résiliente si malheureusement nous devions être en guerre, la capacité à produire plus vite aussi bien dans les standards de qualité ou de sûreté, parce que nous ne mettons pas n'importe quelles armes dans les mains de nos soldats. C'est notre éthique. Et puis, notre capacité, bien sûr, à tenir les budgets.

J’ai écrit à l’ensemble des industries françaises pour leur demander de nous faire des propositions à ce sujet. Je crois savoir que le président Thomas Gassilloud souhaite que la commission travaille sur cette question. Il faut s’accorder un minimum de temps pour réfléchir, d’ici à l’automne, au cadre de l’économie de guerre. C’est un sujet qui me tient à cœur, car c’est le moyen d’avoir, à l’avenir, un système national encore plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui. On pense souvent aux grands groupes mais les petites et moyennes entreprises (PME), les très petites entreprises (TPE) et les sous-traitants, dont le nombre est considérable dans notre pays, jouent un rôle primordial dans le cadre de la BITD nationale. Pour construire un canon ou un avion, ce sont parfois 500, 600 ou 700 sous-traitants, bien souvent français et n’employant fréquemment que 15 ou 20 salariés, qui sont mobilisés. Je travaillerai évidemment, sur ce débat économique, avec Bruno Le Maire.

Il s’agira aussi de réfléchir au cadre global de la prochaine LPM. Je m’emploierai à vous faire rapidement des propositions de méthode pour que l’on puisse co-construire ce cadre avec l’ensemble des formations politiques représentées au Parlement. Le retex de la guerre en Ukraine devra être approfondi mais un certain nombre de sujets s’imposent déjà à nous. Le caractère hybride du conflit met en lumière la question de la guerre informationnelle et du renseignement. S’y ajoutent les menaces cyber et les questions liées à l’espace et aux drones. Cela nécessite un travail important d’innovation, mais nous devons aussi être capable de revenir aux fondamentaux du combattant en proposant des équipements plus individuels et peut-être plus sobres et plus basiques, ce qui participera du modèle d’armée complet que nous défendons.

Cela posera des questions sur nos coopérations industrielles en Europe. Je pense en particulier au char de combat du futur (MGCS, Main Ground Combat System) et au système de combat aérien du futur (SCAF, système de combat aérien futur), qui sont au cœur de nos échanges avec nos amis allemands, notamment, ainsi qu’avec les industriels, dans le cadre de la BITD européenne.

Peut-être une dernière série de remarques qui me tiennent particulièrement à cœur puisque le ministère des armées emploie plus de 260 000 personnels civils et militaires. Il n’y a pas d’armée sans soldats, ni de soldats sans leur famille. Nous devons réfléchir à ce que la nation doit à ses soldats, et nous demander ce que sera la militarité dans les années qui viennent. C’est vrai pour les forces armées comme pour la gendarmerie nationale, les sapeurs-pompiers de Paris, les marins-pompiers de Marseille… Autrement dit, on doit engager une réflexion globale sur le statut militaire. Lorsqu’on a les idées claires sur celui-ci, on les a également sur des questions comme la rémunération ou le système de retraite des militaires. Le statut permet d’expliquer dans notre identité, dans notre histoire, ce pourquoi il y a des spécificités attachées au métier de militaire.

Les soldats sont, comme tous les Français, confrontés à des difficultés en matière de pouvoir d’achat et attendent donc la revalorisation de 3,5 % du point d’indice de la fonction publique. Parallèlement, nous appliquons la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). J’ai eu un long échange, avant-hier, avec l’ensemble des représentations du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), qui ont insisté sur le fait que les revalorisations indiciaires ne devaient pas se substituer, en tout ou en partie, aux effets de la nouvelle politique de rémunération, et inversement. Je souhaite que le troisième volet de cette politique de rémunération s’applique en 2023, en se laissant peut-être encore un peu de temps. La chaîne hiérarchique doit consacrer du temps à ce sujet et faire preuve de pédagogie auprès de chaque soldat – j’ai donné des instructions en ce sens. Je pense qu'on a un certain nombre de situations individuelles dans lesquelles il peut y avoir quelques perdants, comme toutes les réformes systémiques et macroéconomiques. J’ai demandé au secrétariat général pour l’administration et à la direction des ressources humaines du ministère de me faire des propositions en la matière. Nous veillons également à ce que les civils de la défense, que l’on oublie parfois un peu, soient pleinement pris en compte.

Je voulais vous annoncer que je travaille à l’élaboration d’un plan « famille » 2. Beaucoup a été fait en la matière, grâce à l’implication de Florence Parly, qui y a mis beaucoup de cœur et a engagé d’importants moyens, que le Parlement a approuvés. Des avancées spectaculaires ont été obtenues sur certains sujets, mais on doit pouvoir faire mieux sur d’autres. Le ministère des armées est un de ceux dans lesquels il y a le plus de mutations : on en compte parfois 35 000 au cours d’une année. Ce sont autant de conjoints et de conjointes qui doivent retrouver un nouvel emploi, d’enfants pour qui on doit trouver une solution de garde, proposer une place en crèche ou dans un établissement scolaire. Nous savons, pour être des élus, que ces tracas pratiques peuvent polluer l’existence et dissuader de mener une belle carrière. Être à hauteur de femme et d’homme, c’est aussi traiter ce sujet.

Sur cette question, je souhaite qu’une réflexion plus approfondie ait lieu avec les collectivités territoriales. Dans les territoires abritant une implantation militaire, l’armée a parfois la tentation de traiter ce sujet en son sein, en oubliant, éventuellement, que le centre communal d’action sociale, les travailleurs sociaux du conseil départemental, les propositions existantes en matière culturelle et sportive, les bailleurs sociaux du département peuvent offrir des solutions. Je vais lancer sans tarder une concertation avec les associations d’élus afin que, dans les grands territoires militaires, qui ont toujours la chance d’avoir une emprise militaire, des partenariats plus étroits soient conclus sur la base du volontariat mais que les élus qui souhaitent montrer leur attachement à nos armées développent aussi des politiques d’attractivité en faveur des femmes et des hommes qui servent dans les armées. Les tuyaux ne se sont pas suffisamment croisés jusqu’à présent. Nous verrons s’il faut passer par des labellisations, des contractualisations, etc. Je serai heureux de recueillir les propositions des parlementaires à ce sujet. Le retour du terrain nous permettra de réussir la deuxième édition du plan « famille ».

Nous devons aussi aller plus loin dans la rénovation immobilière et l’entretien des bâtiments des forces armées. Bien souvent, on construit un grand bâtiment plus vite et plus facilement que l’on ne répare une douche dans un casernement. J’ai connu cela au sein de la gendarmerie. Cet état de fait pollue l’atmosphère et le moral des troupes au quotidien. Le ministère de l’intérieur a mené l’opération « poignées de porte » dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Elle a bien fonctionné, d’après ce que j’ai constaté dans l’Eure. Je souhaite que nous menions une réflexion symétrique pour les forces armées. Ce ne sont pas des travaux spectaculaires, mais ils redonnent rapidement de la confiance.

Dans le domaine des ressources humaines, il faut également renforcer la fidélisation. Le ministère des armées recrute beaucoup, mais il doit aussi former et garder les compétences, civiles comme militaires. Je serai heureux que le Parlement contribue à cette réflexion. La rémunération joue un rôle clé en la matière, comme le plan « famille », mais d’autres instruments peuvent être sollicités.

Enfin, un tout dernier point pour nos blessés. à manière dont un pays traite ses blessés dit quelque chose de la considération qu’une nation a pour ses forces armées. Il suffit de regarder ce qui se passe aux portes de l’Europe. Beaucoup a été fait dans notre pays ces dernières années, souvent au sein de l’armée de terre, mais aussi, plus largement, au sein de chaque arme. Cela mènera sans doute à faire des propositions en ce domaine dans le cadre de la discussion du budget des anciens combattants et de la mémoire. Il conviendrait de dégager des moyens nouveaux, notamment en faveur des maisons dédiées aux blessés, pour lesquelles le retour d’expérience qui est important et sur lequel je veux qu’on puisse aller plus loin.

Le service de santé des armées (SSA) est essentiel, comme j’ai pu le constater lorsque j’étais ministre des outre-mer. Une partie du système sanitaire en outre-mer aurait été beaucoup plus en souffrance qu’il ne l’a été si le SSA n’était pas intervenu. Il y a, en la matière, un avant et un après covid. Plus généralement, on le sait, il n’y a pas de condition opérationnelle sans services de soutien – cela s’applique aussi à la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) et à d’autres grandes directions. Le SSA joue toutefois un rôle particulier, et je formulerai un certain nombre de propositions le concernant.

Je n’ai pas évoqué le service national universel (SNU) car je sais que vous souhaitez auditionner Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel, qui a une double tutelle : celle du ministre de l’éducation nationale et celle de votre serviteur. Je répondrai, le cas échéant, à vos questions.

Il en va de même de la mémoire et des anciens combattants, questions essentielles dont est chargée Patricia Mirallès. Sans racines, sans identité, sans histoire, on ne peut pas donner de sens aux combats que nous menons. Il n’y a pas d’anciens combattants, il n’y a que des combattants : ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. C’est une seule et même famille.

Je laisserai les deux secrétaires d’État placées sous ma tutelle – qui ont fait preuve, dans leurs fonctions de députée, d’un engagement remarquable – développer ces points particuliers devant vous.

J’aurais aussi beaucoup à dire sur les opérations extérieures (OPEX) et les moyens de reconnaissance.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour cet exposé clair et complet. Je crois pouvoir m’exprimer au nom de tous mes collègues en disant que nous accueillons très favorablement votre proposition de méthode de co-construction.

Nous avons pris note des points que vous avez évoqués, notamment de l’examen par le Parlement de l’élargissement prochain de l’OTAN à la Finlande et à la Suède – peut-être aurons-nous l’occasion d’accueillir des parlementaires de ces pays à la rentrée –, du déplacement en Roumanie, évoqué devant le bureau, ou encore de la réaffirmation d’un agenda français en Afrique.

Par ailleurs, je vous remercie pour les éléments budgétaires liés à la LPM que vous nous avez fournis. Nous avons également noté la réaffirmation de l’effort supplémentaire de 3 milliards d’euros qui sera proposé par le Gouvernement dès l’année prochaine. À ce propos, nous nommerons la semaine prochaine nos rapporteurs budgétaires et auditionnerons, au cours des semaines à venir, le délégué général pour l’armement (DGA) et l’ensemble des grands industriels.

Enfin, je vous remercie pour l’attention que vous prêtez aux soldats et aux familles. L’association des territoires que vous promouvez – apportant, ce faisant, votre expertise d’élu local au monde de la défense – contribuera à relier les acteurs et à renforcer la résilience de notre pays. S’agissant, enfin de l’attention portée aux blessés, je précise que nous visiterons, lundi prochain, l’Institution nationale des Invalides.

M. Mounir Belhamiti. Dans un contexte géopolitique marqué par des tensions croissantes, l’équilibre de la zone indo-pacifique reste précaire. Nombreuses sont les grandes puissances qui tentent d’y élargir leur zone d’influence. La France se doit plus que jamais de continuer à assurer la sécurité de ses territoires et de l’ensemble de ses ressortissants dans la zone. La montée des tensions dans cette région nous rappelle que les équilibres politiques et militaires demeurent incertains – on le constate, plus largement, aux portes de l’Europe. La France, grande puissance militaire, se doit de rester au centre du jeu. Comment notre pays compte-t-il pérenniser sa présence, visible mais discrète, dans l’Indo-Pacifique, et quelle serait notre réaction si des tensions plus fortes éclataient ?

Nous devons également faire face aux perturbations de notre système de télécommunications stratégiques et aux atteintes qui lui sont portées dans cette zone – je pense notamment aux fibres optiques intercontinentales. Les attaques étrangères sont de plus en plus fréquentes et la France ne peut en aucun cas se permettre la moindre fragilité concernant des enjeux aussi sensibles. Sommes-nous, selon vous, capables de faire face à ces niveaux de menace et quels sont les moyens employés pour s’en assurer ?

Comme les dernières crises, notamment sanitaires, nous l’ont montré, la collaboration européenne se doit d’être renforcée partout où elle est possible. Une véritable collaboration des forces européennes est-elle envisageable dans la zone indo-pacifique, alors même que chacun semble avancer seul dans son couloir ?

M. Laurent Jacobelli. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour cet état des lieux précis et pour votre volonté de travailler en étroite collaboration avec le Parlement : dont acte. Nous espérons que ce principe sera très vite mis en pratique.

Le contexte international nous invite à revoir drastiquement nos capacités de défense. Le conflit de haute intensité fait son retour aux portes de l’Europe. Nos intérêts, ainsi que ceux de nos alliés, sont menacés à travers le monde, tant par de grandes puissances que par l’idéologie islamiste ou encore de nouvelles formes d’agression, comme les cyberattaques ou les attaques de drone. Face à ces dangers multiples et à l’urgence de garantir notre souveraineté, notre défense doit être renforcée, repensée, adaptée. Cette défense repose sur une stratégie, mais aussi sur des hommes et des femmes, ainsi que sur du matériel. Le personnel doit être formé en nombre et considéré, et les matériels doivent être entretenus et adaptés. Cela demande des moyens. C’est là, à mon sens, que réside le hic.

En 2021, les effectifs des armées, qui devaient augmenter de 300 postes, ont en fait diminué de 485 emplois en équivalents temps plein. Le taux de disponibilité du matériel – c’est-à-dire la quantité de matériel effectivement utilisable – est difficile à connaître, puisque, sauf erreur de ma part, on ne dispose plus des données du ministère. Cependant, un certain nombre de rapports parlementaires et d’études nous montrent que, si la France était attaquée sur son sol, elle ne pourrait – j’espère que c’est faux – tenir que deux semaines.

Nos besoins capacitaires et humains sont donc encore bien supérieurs à ceux estimés il y a quatre ans, lors de la promulgation de la LPM 2019-2025. Cette loi prévoit une augmentation graduelle du budget de la défense, qui doit être porté à 2 % du PIB en 2025. Cet effort est louable, après des années de recul sur les moyens militaires. Cela étant, il faudra compenser les réductions successives du format de nos armées, qui ont conduit à la suppression de 60 000 emplois au cours de la dernière décennie. Il conviendra aussi de rénover et de renouveler notre matériel.

Les 3 milliards d’euros que vous nous promettez pour 2023, qui porteraient le budget à 44 milliards, suivent à la lettre la trajectoire fixée en 2018, ni plus, ni moins. Mais, entretemps, la guerre en Ukraine et l’inflation, qui devrait atteindre 8 % cette année, sont passées par là et nous montrent que ce budget, qui pouvait être présenté hier comme volontaire, est aujourd’hui obsolète et insuffisant.

Face à tant d’incertitudes, il est urgent, Monsieur le ministre, de revoir à la hausse le budget de nos armées pour les trois années qui viennent. En effet, dans ce domaine comme dans bien d’autres, nous n’imaginons pas que la France soit déclassée, dépassée. Nous le devons aux personnels militaires, auxquels vous avez rendu hommage – et notre groupe s’associe à votre geste –, ainsi que, bien évidemment, à nos compatriotes, dont la sécurité ne pourra jamais être considérée comme une variable budgétaire mais toujours comme une priorité absolue. Êtes-vous prêt, Monsieur le ministre, à travailler à un effort budgétaire avec le Parlement ?

M. Bastien Lachaud. Mme la Première ministre a annoncé hier, lors de sa déclaration de politique générale, que le Président allait fixer les orientations de la prochaine LPM. Le fait du prince semble donc se perpétuer. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron avait décidé seul et exclu tout débat relatif à la dissuasion nucléaire ou au bilan stratégique de nos opérations extérieures. Aujourd’hui encore, alors que nos armées doivent se retirer du Mali dans des conditions délicates, en raison de l’entêtement à y demeurer sans discussion ni stratégie, aucun débat stratégique n’est à l’ordre du jour. Le dernier Livre blanc date de 2013. Le seul débat de la législature précédente avait d’ailleurs eu lieu à l’initiative du groupe La France insoumise. Avec la guerre en Ukraine, il est plus que jamais déterminant que nous ayons un véritable débat stratégique sur les moyens de l’indépendance de la France au service de la paix. Allez-vous, comme il y a cinq ans, décider seuls, sans Livre blanc ni réel débat avec le Parlement ?

Monsieur le ministre, vous faites partie d’un gouvernement dont les membres ayant soutenu les positions de la Manif pour tous sont légion. Vous-même vous êtes prononcé en faveur de la discrimination des personnes et des familles LGBT de façon éloquente. Je vous cite : « Le communautarisme gay m’exaspère autant que l’homophobie. […] Une famille se construit entre un homme et une femme. » Vos déclarations laissent présager le pire pour la lutte contre les discriminations et pour la féminisation au sein de nos armées. Celles-ci ont besoin de recruter et, pour ce faire, doivent s’adresser à l’ensemble de la société. Personne ne doit s’y sentir malvenu, que ce soit en raison de son genre, de son orientation sexuelle, de ses origines ou de sa religion. Au sein des armées, la cohésion du groupe est plus importante qu’ailleurs : elle est vitale. Or celle-ci est sapée par les pratiques discriminatoires. Comment comptez-vous agir, par exemple, en cas d’insulte ou de comportement LGBTphobe au sein d’un lycée militaire ? Selon vous, cela nécessite-t-il des sanctions exemplaires, de même nature que celles réprimant les discriminations sexistes ou racistes ? J’ai rendu en 2019 un rapport d’information sur les dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées, et votre prédécesseure, Mme Parly, avait fait un cheval de bataille de la lutte contre les discriminations et de la féminisation des armées. Si nous partagions ces objectifs, nous n’approuvions pas les moyens engagés.

Dans votre intervention, Monsieur le ministre, vous n’avez pas dit un mot de la féminisation ni des discriminations, ce qui nous rend d’autant plus inquiets. Quelle politique allez-vous adopter pour que les armées soient exemplaires en matière de lutte contre les discriminations et soient à l’image de notre société ?

M. Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour cet exposé complet dont je salue la cohérence. Nous vous souhaitons évidemment le plus grand succès parce que votre engagement est celui des armes de la France et des femmes et des hommes qui les servent. Notre commission est un lieu où l’unité est vitale et où il n’y a pas place pour des querelles ou des polémiques inutiles.

Vous avez annoncé le respect de la marche à 3 milliards, ce dont nous nous félicitons évidemment. Confirmez-vous que les 400 millions supprimés au titre de 2022, qui devaient être ajoutés par la loi de finances rectificative (LFR), seront bien rebudgétés sur l’année en cours ? Pensez-vous que la marche à 3 milliards est suffisante, compte tenu de l’inflation spécifique des matières premières, notamment des stocks qui ont été consacrés à l’Ukraine ? Dans le rapport sur la préparation à la haute intensité que nous avons présenté en début d’année, Patricia Mirallès et moi-même avons conclu que, malgré ces marches, il manquerait probablement, à l’horizon 2030, entre 20 et 40 milliards si l’on veut respecter le modèle d’armée complet.

La BITD et la notion d’« économie de guerre » sont des préoccupations majeures, que nous avons évoquées dans le rapport précité et dans des missions que j’avais menées précédemment. Il nous faut une BITD résiliente, capable de répondre aux besoins. À cette fin, quelle méthode comptez-vous employer pour avoir une BITD aussi efficace que possible – je pense aux 4 000 entreprises et aux 200 000 emplois concernés ? Qui doit assurer le pilotage – le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), la DGA, Bercy ?

S’agissant du financement de la BITD, on sait quelles difficultés peuvent rencontrer les entreprises, du fait, notamment, d’une mauvaise lecture d’un certain nombre de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). On sait aussi que l’Europe veut développer la défense tout en prenant parfois des décisions paradoxales – je pense à la fameuse taxonomie sociale européenne, en particulier aux labels de finance durable. À mon initiative et à celle de la présidente Françoise Dumas, nous avions fait adopter une résolution européenne demandant que le secteur de la défense ne soit pas exclu de la taxonomie européenne de la finance durable. Quelle est votre feuille de route en matière européenne sur ces critères ?

Mme Josy Poueyto. Le groupe Démocrate vous adresse toutes ses félicitations, Monsieur le ministre, pour votre nomination et vous assure de sa confiance pour le quinquennat qui s’ouvre. Vos propos liminaires, fort complets, confirment les compétences et la maîtrise que vous saurez mettre en œuvre pour notre pays. Dès lors, soyez assuré de notre plein soutien.

Au cours du dernier sommet otanien, qui s’est achevé le 30 juin à Madrid, le secrétaire général de l’Organisation, M. Jens Stoltenberg, a rappelé que les décisions prises permettront à l’Alliance de « continuer de préserver la paix, de prévenir les conflits et de protéger nos populations et nos valeurs ». La Russie et la Chine se sont trouvées au cœur des débats. Les priorités de l’alliance militaire ont été redéfinies par l’adoption d’une nouvelle feuille de route stratégique, qui considère très logiquement la Russie comme « la menace la plus significative et directe pour la sécurité des alliés » depuis dix ans. Parallèlement, et pour la première fois, la Chine est considérée quant à elle comme un « défi » pour la sécurité de l’Alliance. Les avancées politiques, militaires et économiques de la puissance chinoise nécessiteront la plus grande attention de notre part. Quel est votre point de vue sur les perspectives de la France et de l’Europe au sein de l’OTAN et, surtout, sur les conséquences à tirer de ce sommet concernant le cas précis de la Chine ?

Mme Anna Pic. Monsieur le ministre, vous entrez dans vos fonctions alors que la guerre de haute intensité ravage un État désormais candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Cette situation force chaque État membre à définir les limites de son engagement – même s’il n’est qu’indirect – dans le conflit.

Je souhaite vous interroger sur la stratégie de notre pays dans la conduite de nos opérations extérieures. Avec Harmattan, Serval, Sangaris, Barkhane, Chammal et désormais Aigle, en Roumanie, les dix dernières années ont vu un niveau d’engagement significatif de nos forces dans des opérations de stabilisation ou de lutte contre le terrorisme. Force est de constater que les conditions de notre départ sont parfois bien éloignées de celles de notre arrivée, comme c’est le cas au Mali.

Cette stratégie a un coût humain, politique et budgétaire non négligeable pour notre pays. Elle soulève la question de nos alliances, alors que le sentiment antifrançais en Afrique se situe à un niveau très élevé, alimenté par une désinformation orchestrée notamment par la Russie. Ce sentiment nous oblige à interroger notre capacité à lutter durablement contre les groupes terroristes, notamment au Sahel, et à nous demander avec quel mandat, émanant de qui.

Cette stratégie pose par ailleurs la question du format de nos armées et des missions que nous pouvons leur confier en OPEX au regard de nos moyens de projection et de nos objectifs stratégiques. Elle conduit aussi à une réflexion sur les outils de soft power que nous mettons au service de notre politique de défense, qu’il s’agisse de la francophonie ou de l’aide au développement, dont les moyens ont reculé, tandis que la Chine a ouvert 550 instituts Confucius dans 140 pays au cours des quinze dernières années. Il conviendrait peut-être de renforcer les liens entre défense et diplomatie.

Quelle est la vision du Gouvernement en matière d’engagement de nos forces à l’étranger et de capacités qu’il nous faut développer pour demeurer une armée disposant d’une puissance influente, au-delà du seul domaine militaire, dans ces zones de crise ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Je vous félicite pour votre nomination, Monsieur le ministre. Vous trouverez auprès des députés du groupe Horizons une écoute et un soutien attentif, dès aujourd’hui, avec la présentation du PLFR en conseil des ministres, puis à la rentrée, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques et du projet de loi de finances pour 2023. Non, l’exécution d’une loi de finances ou d’une loi de programmation militaire n’est pas un long fleuve tranquille. Mais, comme l’a rappelé la Cour des comptes, et pour la première fois en vingt ans, la LPM est scrupuleusement respectée depuis 2019. En réponse aux Cassandre, nombreuses, qui doutaient de la sincérité des trois marches successives de 3 milliards, vous venez de confirmer cet engagement.

Au mois de mars, 300 millions d’euros de crédits de paiement mis en réserve ont été annulés, dont 200 millions sur le programme 146, afin de financer une partie du plan de résilience économique et sociale. Les armées bénéficieront-elles de ces crédits ?

L’Ambition 2030 soulève quelques questions : il faudra remplacer les Rafales prélevés sur la flotte de l’armée de l’air pour répondre aux commandes, tandis que les frégates de défense et d’intervention (FDI) nos 2 et 3, initialement destinées à la marine nationale, seront livrées à la Grèce et que 18 canons CAESAR ont été donnés à l’Ukraine.

Au regard des besoins et de la situation budgétaire, la Cour des comptes nous invite à une réflexion sur le modèle de l’armée lui-même. Dans l’hémicycle, la Première ministre a évoqué un modèle d’armée complet, équilibré, cohérent et capable d’agir, dessinant les contours d’une nouvelle LPM. Quelle est votre vision pour le modèle d’armée 2030, Monsieur le ministre ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur la feuille de route concernant la taxonomie. Alors que le financement des entreprises de la BITD n’est pas assuré, il semble qu’on n’ait pas encore tranché, à Bruxelles, la question de savoir si les investissements de l’industrie de défense pouvaient être considérés comme durables.

M. Fabien Roussel. Compte tenu de la gravité de la situation, de la guerre, de la menace terroriste, il me semble important d’éviter toute posture politicienne dans nos interventions. J’en prends l’engagement ici même. Mais nous devons aussi nous dire, en toute franchise, les choses ; le Parlement doit être associé aux choix que fait la France dans le but de construire la paix et la coopération entre les nations et les peuples, en Europe, en Afrique et dans la zone indo-pacifique.

Le nouveau concept stratégique, adopté lors du sommet de Madrid par les dirigeants des pays de l’OTAN, s’inscrit dans une logique de blocs. Il cible non seulement la Russie mais aussi la Chine, puisqu’il prévoit que l’OTAN a vocation à intervenir partout dans le monde, sous la dominance des États-Unis, et en particulier dans la zone indo-pacifique. J’ai entendu vos précautions oratoires lorsque vous vous êtes exprimé sur la zone indo-pacifique et j’ai compris qu’un débat aurait lieu sur l’élargissement de l’OTAN à la Suède et à la Finlande. Mais ce document nous engage ; la représentation nationale doit être informée des conséquences d’une telle réorientation de l’Alliance atlantique et elle doit fixer les limites à lui donner.

Par ailleurs, je dénonce le chantage qu’exerce le président Erdoğan concernant l’élargissement à la Suède et à la Finlande, lorsqu’il pose comme condition d’avoir les mains libres pour continuer ses exactions contre le peuple kurde.

Enfin, j’ai cru comprendre de vos propos ce matin, que la revalorisation du point d’indice des militaires ne prendrait pas effet avant 2023. Nous souhaitons qu’elle intervienne dès le 1er juillet car les militaires subissent, comme tous les Français, la baisse du pouvoir d’achat.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La zone indo-pacifique est un sujet clé. Voilà un sujet sur lequel il faudrait qu’il y ait un débat au Parlement parce que je sens bien que dans la manière dont on en parle, tout le monde y met des choses très différentes.

Il s’agit d’abord de notre souveraineté puisque des territoires d’outre-mer appartiennent à l’axe indopacifique. Au-delà de l’évidence géographique, nous avons noué des grands partenariats et des amitiés profondes avec beaucoup de pays de la zone. Il ne s’agit pas uniquement de coopérations industrielles ou militaires. Il y a des grands pays qui regardent la France comme la Malaisie, l’Indonésie, l’Inde. Par ailleurs, cet axe présente d’autres enjeux de sécurité. Nous n’avons pas prononcé une seule fois le nom de Corée du Nord. Je pense évidemment à nos alliés de Corée du Sud et du Japon. Réaffirmer la présence française dans cette zone passe par le déploiement, dans les années qui viennent, des six patrouilleurs outre-mer (POM).

La prochaine LPM doit être l’occasion de mener une réflexion spécifique sur la défense, par l’armée, des ZEE, réclamée notamment par Wallis-et-Futuna. Les réserves halieutiques sont soumises à pression – des flottilles de pêche s’aventurent dans les eaux territoriales. Nous devons maintenir l’effort qui a permis, il y a cinq ans – j’étais alors secrétaire d’État à l’écologie –, l’arraisonnement des blue boats qui pêchaient illégalement dans la ZEE calédonienne.

Les territoires d’outre-mer doivent faire face à la prédation, qu’il s’agisse des terrains fonciers ou des fonds sous-marins. Les enjeux sont nombreux, y compris dans le domaine environnemental et climatique. La question des câbles est clé, elle touche à la souveraineté. Je pense aussi à la protection des peuples autochtones et de l’autorité coutumière des différents pays d’Océanie. Les défis sont de taille. Certes, il est ardu de tenir cet agenda en même temps que ceux qui nous occupent en Afrique et en Ukraine, mais en même temps, c’est la vocation universelle de la France.

Ainsi que le Président de la République l’a expliqué, l’Alliance atlantique doit rester euro-atlantique. La manière de structurer les choses en Asie doit se faire avec l'ASEAN, avec les pays de la zone. Ce serait une erreur historique que de regarder ce qui se passe dans l’Indo-Pacifique avec un œil euro-atlantique, sans les pays du Pacifique.

Nous n’avons pas tous les mêmes convictions quant à l’appartenance de la France à l’Alliance atlantique, mais un consensus existe entre les différentes formations politiques françaises sur le fait que l’organisation doit être cantonnée à ce à quoi elle était destinée. C’est pourquoi la France, avec d’autres pays membres, a réaffirmé l’identité profonde de l’OTAN. S’il est vrai que le nouveau concept stratégique évoque la Chine, il faut faire attention à ne pas tout mélanger. Nous devons aussi expliquer à nos compatriotes le sens et l’utilité de ces alliances.

J’en viens aux moyens dont bénéficient nos armées. J’ai dit que la fidélisation constituait un défi majeur : si des postes manquent, ce n’est pas parce qu’ils ont été fermés budgétairement – ils sont reportés d’année en année – mais parce qu’ils n’ont pas été pourvus. La difficulté consiste moins à recruter qu’à fidéliser les personnes, dans le cadre de carrières plus longues au sein des armées. Du reste, le même constat s’impose s’agissant des réserves. On se donne des objectifs élevés, les parlementaires votent des enveloppes importantes, mais il faut, en face, trouver suffisamment de réservistes.

Je réfute les annonces alarmistes, parues dans la presse, sur les capacités de défense de la France en cas d’attaque, et notamment ce qui a été prétendument extrait du rapport Thiériot-Mirallès, sur un stock de munitions qui ne permettrait pas de tenir plus de deux semaines.

M. Jean-Louis Thiériot. En effet, cela ne figure pas dans le rapport !

M. Sébastien Lecornu, ministre. De quelles munitions parle-t-on au juste ? De munitions individuelles, de munitions d’artillerie, de munitions nucléaires ? Ce sont, sur des sujets redoutablement techniques, des raccourcis pénibles. Ils ne visent qu’à inquiéter, à tort. La question ne se pose pas dans ces termes.

Venons-en justement aux discussions stratégiques et à la place de la dissuasion. Pardonnez-moi d’enfoncer une porte ouverte, mais une puissance dotée ne connaît pas les mêmes enjeux conventionnels qu’une puissance non dotée. Le modèle de notre armée – une armée complète – exige une réflexion globale, à 360 degrés. Et notre sujet, c'est quand on a des menaces hybrides. Notre sujet, c'est quand on doit aider un allié en plus

Vous avez acté le fait, Monsieur Jacobelli, que nous tenions parole, « ni plus, ni moins », sur la trajectoire budgétaire. Il est logique que l’exécutif respecte le cadre que le Parlement a fixé. Cependant, la difficulté ne consiste pas à tenir parole, mais à le faire par tous temps. La Roumanie n’était pas prévue. On tient quand même. L’inflation à ce stade n’était pas prévue.

Précisément, les questions liées à l’inflation seront traitées lors du PLF, car nous raisonnons en effort militaire réel – j’y reviendrai lors d’une audition consacrée aux questions budgétaires. Tenons-nous en pour l’instant à deux affirmations : oui, il faut continuer à faire des efforts ; oui, il faut continuer d’augmenter le budget des armées. Vous voterez ensuite, en tant que parlementaires, les équilibres budgétaires globaux pour la nation tout entière. N’oublions pas que la souveraineté de la France tient aussi aux équilibres budgétaires.

Je ne peux vous en vouloir, Monsieur Lachaud, de vous être laissé aller à faire un peu de politique… mais comme M. Roussel nous y a invités, je vais évidemment essayer de me contenir dans les réponses. Vous avez parlé de « fait du prince ». Le Président de la République est, sous la Ve République, le chef des armées. Malgré mon jeune âge, j’ai un côté vieux gaulliste : qu’un président de la République, élu au suffrage universel direct, puisse engager les forces armées, la planification et la dissuasion nucléaire est à mes yeux une force. Vous n’êtes pas un militant de la Ve République telle qu’elle fonctionne aujourd’hui ; c’est votre opinion et je la respecte. Vous avez plus que jamais le droit, en démocrate et en parlementaire de la nation, de proposer un autre système constitutionnel. Mais vous ne pouvez pas reprocher au Président de la République d’appliquer la Constitution en vigueur.

Là où je vous rejoins, et j’espère vous avoir donné des gages sur ce point, c’est que nous devons rendre compte devant les parlementaires des sujets de défense, que ceux-ci ne sauraient être traités sans le Parlement. Plutôt que d'arriver dans des caricatures pendant des campagnes électorales présidentielles, il est bon que nous puissions, le temps d’une législature, déplier les différentes questions et confronter nos arguments. Si nous avons un débat sur l’OTAN ou la dissuasion, nous ne serons sans doute pas d’accord, mais il importe que les Français comprennent nos positions. Je suis d’ailleurs déçu de constater à quel point ces sujets n’ont pas été abordés lors des campagnes législatives. La guerre en Ukraine leur a donné un peu de visibilité, lors de la campagne présidentielle, mais la défense a été absente des débats au mois de juin, sauf dans les circonscriptions qui accueillent des unités militaires.

Je suis partant pour que nous ayons ces débats. Je serais heureux, par exemple, que vous m’expliquiez comment arrêter la dissuasion pour imaginer quelque chose dans l’espace – si j’ai bien lu votre programme. Cela m’intéresse parce que je ne comprends pas bien. Je le dis sans malice car je suis convaincu, comme M. Roussel, qu’il ne faut pas surpolitiser nos échanges… les soldats qui prennent connaissance des travaux de la commission sont attentifs à la tonalité que nous donnons à nos discussions.

Vous m’avez interrogé sur les discriminations. Elles sont inacceptables et doivent être punies, aussi bien sur le terrain de la discipline que sur le terrain judiciaire, car elles constituent des infractions pénales. Ce n’est pas parce qu’on porte des étoiles ou des barrettes qu’on doit discriminer ceux qu’on commande ; au contraire, quand on est dans la hiérarchie, on doit protéger ceux qui servent de toute menace ou discrimination. Il nous faut être exemplaires.

S’agissant de l’égalité entre les hommes et les femmes, il y a un avant et un après Florence Parly. Je pense à la labellisation « Égalité » ou au plan de formation à l’égalité et à la diversité, mis en œuvre en 2020 et 2021, qui produisent déjà leurs effets. Il n’est pas question de les remettre en cause ; si vous considérez que les moyens qui y sont consacrés ne sont pas suffisants, je serai heureux de lire vos propositions et amendements.

Pareil sur les discriminations, quelles qu’elles soient : religieuses, sexuelles, qui doivent être combattues. Les armées doivent ressembler à la République. Ce sont les armées de la République ; les valeurs de la République doivent y circuler. La parole se libère parfois difficilement, et le combat contre les discriminations tient parfois moins aux dispositifs qu’à la capacité à s’emparer des situations individuelles. Si, comme parlementaires, vous vous trouvez saisis par des soldats, des civils de la défense ou des réservistes, je vous invite à me signaler directement leur cas. L’égalité des droits, c’est l’affaire des républicains. Les valeurs de la République doivent être réaffirmées dans les armées, y compris lorsque des conservatismes curieux s’y expriment. Quant aux phrases du passé, j’aurais beaucoup à dire sur l’interview que j’avais donnée lorsque j’étais jeune candidat, mais cela ne concerne pas la commission de la défense. Je serais heureux de vous l’expliquer dans un autre cadre.

Je reviens aux moyens. Pendant la campagne présidentielle, les sénateurs se sont émus de certains gels de crédits. Il s’agit de jeux de gestion, qui nous ont permis de financer d’autres opérations urgentes. Vous retrouverez, dans le PLFR qui sera présenté cet après-midi en conseil des ministres, les fameux 346 millions d’euros – 300 millions pour la mission Défense, 46 millions pour la mission Anciens combattants.

Qui pilote l’effort de résilience sur la BITD ? Politiquement, je prends le lead ; techniquement, il revient à l’état-major des armées de formuler les besoins, tandis que la DGA est compétente pour interagir avec les différents industriels. Il y aura ensuite un travail important à effectuer avec le SGDSN et Bercy. Certaines questions, qui tiennent à la visibilité, à la prévisibilité, aux choix stratégiques sont propres aux armées ; d’autres, comme les difficultés de recrutement, sont plus générales. Je me suis entretenu avec les responsables d’une entreprise à Valenciennes ce week-end : les problèmes qu’ils rencontrent ne sont pas proprement militaires mais concernent davantage la formation ou l’organisation de Pôle emploi et des missions locales. Nous ne découvrons pas aujourd’hui les difficultés qui touchent, dans ce pays, notre capacité à produire !

Madame Poueyto, vous m’avez interrogé sur l’OTAN. Je rappelle que les parlements des États membres sont représentés au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Je le répète devant le président de cette commission, je suis favorable à l’organisation d’un débat, plus approfondi, dans cette enceinte, car je pense que beaucoup de choses mériteraient d’être bien bornées. La célèbre formule « amis, alliés, mais pas alignés » résume bien l’équilibre recherché. Certains d’entre vous souhaitent que la France sorte du commandement intégré, d’autres voulaient qu’elle quitte l’Alliance – mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie les a peut-être conduits à réviser leur programme électoral. Je serais heureux de débattre de ce sujet.

Les perspectives françaises à l’OTAN sont nombreuses. Fruit de l’histoire, des généraux français tiennent des positions importantes. Je veux saluer le travail remarquable qu’accomplit le général d’armée aérienne Philippe Lavigne au poste de commandant suprême allié pour la transformation, notamment sur les efforts de prospective, la numérisation et l’interopérabilité. Par ailleurs, la France étant une force dotée, sa voix est écoutée, même si elle ne fait pas partie des organismes de planification nucléaires.

Madame Pic, le visage que doit prendre la présence française à l’étranger est une question clé, qui ne concerne pas seulement le ministère des armées. Deux modèles existent. Plutôt que d’installer, à l’américaine, des bases fermées, tournées vers elles-mêmes, nous préférons des bases ouvertes sur leur environnement, qui permettent, sans se substituer aux autorités locales, de s’intéresser à ce qui se passe en matière de culture, d’éducation, de sport ou d’accès à l’eau potable.

Cela est d’autant plus important que la France subit, vous l’avez rappelé, des attaques scandaleuses de désinformation, notamment de la part de Wagner, en Afrique, et ailleurs. Je dois dire, à cet égard, que la mise en scène macabre épouvantable sur la base de Gossi n’a pas suscité suffisamment de réactions de la part de la classe politique française. J’estime que les républicains que nous sommes ne se sont pas montrés assez solidaires face à cette attaque hybride. Le chef d’état-major des armées et le directeur général de la sécurité extérieure, que vous auditionnerez prochainement, vous parleront avec plus de technicité et de détails de cette menace terrible, qui pèse davantage sur les démocraties que sur les autres formes de régimes. Mais nous sommes aussi très attachés à la liberté d’expression.

Monsieur Larsonneur, le Président de la République s’est exprimé sur la taxonomie depuis Eurosatory. Nous poursuivons nos efforts avec le commissaire Thierry Breton et l’ensemble de la Commission européenne, mais disons-le simplement : il est inutile de nous compliquer la tâche au moment où nous devons faire face.

La compensation des matériels mis à disposition des armées ukrainiennes fait partie des éléments du retex. Nous ferons des propositions dans le cadre du PLF pour 2023. La capacité à reproduire, rapidement, de nouveaux matériels relève de la résilience. Il convient, à cet égard, de se demander si cela ne doit pas être l’occasion d’effectuer un saut technologique.

Monsieur Roussel, cela fait cinq ans que nous nous parlons franchement ; nous allons continuer. Je vous ai répondu sur la nouvelle posture stratégique dans l’Indo-Pacifique. On parle de puissance d’équilibre, accordons-nous sur le mot « équilibre. On ne peut pas être naïf sur les défis que la Chine porte à l'ensemble du monde et à tous les pays riverains, et en même temps alliés mais non alignés. Donc il faut trouver ce cadre-là, et c'est un travail exigeant. La revalorisation du point d’indice prendra effet dans les armées, comme dans toutes les fonctions publiques, dès le 1er juillet. Il y aura peut-être un décalage avec la nouvelle politique de rémunération des militaires, mais la mise en œuvre de la NPRM, initialement prévue au 1er janvier 2023, pourrait être avancée au 1er septembre. Je tiendrai le Parlement informé de l’évolution des concertations que je mène actuellement en interne, avec les partenaires du CSFM.

M. Jean-Marie Fiévet. À partir du 1er janvier 2022 et durant six mois, la France a exercé la présidence du Conseil de l’Union européenne avec un projet fort en matière de souveraineté. Grâce à l’impulsion du Président de la République, l’Europe a mis en œuvre son premier budget militaire commun, une initiative européenne d’intervention et plusieurs programmes communs d’armement franco-allemands, dédiés à nos armées de l’air et de terre, qui ont ensuite été ouverts à d’autres États membres. La présidence française a également permis de définir concrètement les orientations et les choix que nous voulons faire pour notre défense, en tant qu’Européens.

Le 15 septembre 2021, à l’occasion de son discours sur l’état de l’Union, la présidente Ursula von der Leyen a notamment rappelé la nécessité de développer un écosystème européen de la défense. Plus que d’un écosystème, c’est d’une réelle Union européenne de la défense dont nous avons besoin, où la France jouerait un rôle central.

La ministre Florence Parly avait annoncé en septembre 2019 la création d’une task force énergie, et évoqué une stratégie visant à faire du ministère des armées un acteur majeur de la transition énergétique et de la préservation de notre environnement. Le 5 mai 2021, avec ma collègue Isabelle Santiago, j’avais présenté un rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées. Pour la première fois, le Parlement s’était saisi de cette question. Nous avons pu dresser un état des lieux de la politique que mènent les armées afin de cerner les enjeux de demain en matière écologique et énergétique.

À ce titre, l’ambition de nos armées est de renforcer notre politique et nos équipements essentiels : il faut non seulement les entretenir et les renouveler mais aussi réfléchir à un équipement de demain, qui réponde à de nouveaux standards écologiques.

Monsieur le ministre, pourriez-vous revenir sur le rôle des armées françaises dans la transition énergétique ? La PFUE a-t-elle été l’occasion pour les armées françaises d’instiguer un sommet pour sensibiliser les armées européennes à la transition écologique et énergétique, et coordonner leurs actions en la matière ?

Mme Anne Genetet. Monsieur le ministre, je salue votre approche humaine ainsi que le lien que vous établissez avec les territoires. Ma circonscription comprend des pays clés – la Russie, l’Ukraine, l’Iran, la Chine. De quels moyens disposez-vous, avec le ministère des affaires étrangères, pour lutter contre la désinformation et promouvoir la contre-information ? C’est un enjeu essentiel : nous avons besoin d’être présents dans l’Indo-Pacifique, en particulier dans des territoires comme Wallis-et-Futuna, les Fidji, les Tonga ou Tuvalu.

Après la revue stratégique, envisagez-vous, comme les Britanniques le font, de publier un livre plus ramassé, qui, au-delà de la seule approche militaire, embrasse la totalité des enjeux de défense nationale ?

Mme Natalia Pouzyreff. La guerre en Ukraine a conduit à un sursaut européen. Le Danemark s’apprête à intégrer la politique de sécurité et de défense commune ; la Finlande et la Norvège devraient bientôt faire partie de l’OTAN. Le chancelier Olaf Scholz a récemment déclaré que la Bundeswehr deviendrait la plus grande armée conventionnelle en Europe dans le cadre de l’OTAN, avec un fonds exceptionnel de 100 milliards d’euros. Pour sa modernisation, il annonce un budget annuel de 70 à 80 milliards.

Dans ce contexte, il apparaît d’autant plus important de resserrer notre coopération, afin de parvenir à une meilleure intégration de l’Europe de la défense. Il importe au premier chef de renforcer la coopération entre Paris et Berlin, et de privilégier des achats d’armement développés et produits en commun.

Comment analysez-vous l’état des relations entre la France et l’Allemagne en matière de défense ? Est-il envisageable de faire converger nos analyses stratégiques ? Quel est l’avancement des projets majeurs de coopération, le SCAF et le MGCS ? S’agissant du SCAF, n’est-il pas temps de faire en sorte que les négociations entre industriels aboutissent ?

M. François Piquemal. Monsieur le ministre, le secrétariat d’État chargé de la jeunesse est désormais sous votre tutelle. Quel est le sens de ce choix ? À l’heure où une grande partie de nos jeunes subissent Parcoursup et le travail précaire, est-ce à l’armée ou aux militaires de relever les défis auxquels la jeunesse est confrontée ?

De nombreuses études ont montré que le SNU était trop coûteux, qu’il touchait surtout des jeunes de milieux aisés et, plus encore, qu’il ne répondait pas à sa mission d’intérêt général, grande oubliée du dispositif, alors qu’elle devait être le socle de l’engagement des jeunes. Face à ce constat d’échec, pourquoi ne pas faire bifurquer le SNU, en créant un service citoyen réservé aux moins de 25 ans, rémunéré au SMIC, revalorisé pendant neuf mois, qui ouvrirait de nouveaux droits – formation, bilan santé, permis de conduire – et serait axé sur la planification écologique, un horizon qui touche nos champs d’action et toute la société ?

M. Yannick Favennec Bécot. La France est leader sur le contrat du SCAF. Dassault Aviation est prêt à signer avec Airbus par le biais de ses filiales allemande et espagnole dans le cadre d’une coopération efficace et sans codéveloppement. Son président, Éric Trappier, avait indiqué au mois de mars : « Ce serait mentir à nos forces armées que d’être capable de faire quelque chose en co-développement sans leader et de leur assurer une performance, un délai et un coût ». Les désaccords entre industriels bloquent le projet SCAF.

En outre, dans son dernier rapport sur les programmes d’armement, le ministère allemand de la défense a affirmé qu’il fallait remettre en question la coopération si aucun accord satisfaisant les intérêts des trois nations – France, Espagne et Allemagne – pour une participation sur un pied d’égalité ne pouvait être trouvé.

Monsieur le ministre, pensez-vous que le projet SCAF aboutira ?

M. Yannick Chenevard. Quatre-vingt pour cent des villes de la planète sont à portée d’ailes d’un porte-avions. Aujourd’hui, nous disposons d’un seul porte-avions, le Charles de Gaulle, qui, sur une décennie, n’est opérationnel que sept ans du fait d’une période cumulée d’opérations de maintenance de 3 ans.

Est-il envisagé de mener une réflexion afin d’intégrer un deuxième porte-avions et de disposer de deux armements, PA1 et PA2, comme ce fut le cas avec le Foch et le Clemenceau ?

Mme Delphine Lingemann. S’agissant de l’adaptation des filières de formation aux besoins actuels et à venir des armées, je souhaite évoquer l’exemple du 28e régiment de transmission d’Issoire, situé dans ma circonscription. Dans le cadre du parcours de citoyenneté, un partenariat inédit entre des lycées professionnels et le groupement d’établissements publics locaux d’enseignement (GRETA) permet d’assurer un recrutement de qualité. La réactualisation de la LPM, souhaitée par le Président de la République, constituera un moment opportun pour renforcer le recrutement de nos armées, en anticipant les évolutions des métiers militaires.

Au regard des enjeux, notamment la nécessité de traiter des flux croissants d’information et de recourir à l’intelligence artificielle, comment le Gouvernement envisage-t-il de renforcer le partenariat entre les armées, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur ?

M. Christophe Bex. En avril dernier, le CSFM a rendu un avis motivé défavorable sur la nouvelle politique de rémunération des militaires. Ses observations très sévères recoupent largement les positions de La France insoumise. Le CSFM regrette le manque de transparence et de concertation, et constate que le niveau de vie des militaires risque de baisser.

Comme nous l’avons toujours dit, cette réforme en huit tranches posera problème tant que le plan d’ensemble ne sera pas présenté au Parlement, de façon complète et sincère. Quand comptez-vous faire cette présentation ?

Concernant l’évolution de la valeur du point d’indice, une baisse de 25 % du pouvoir d’achat depuis 2000 par rapport à l’inflation représente trois mois de rémunération. Il est temps de revaloriser la rémunération de l’ensemble des personnels à la hauteur de leur engagement.

M. Benoît Bordat. Le 16 février, à l’occasion de la réunion informelle des ministres européens chargés de l’espace, à Toulouse, le Président de la République a déclaré : « Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté stratégique et militaire ». Depuis deux ans, la France se dote d’une stratégie spatiale de défense de haut niveau. Elle permettra une militarisation de l’espace, qui portera la France et l’Europe au même point que la Russie, la Chine, l’Inde et les États-Unis. La guerre de l’espace se prépare. Pourriez-vous partager des éléments nouveaux concernant la montée en puissance de la France en la matière, d’autant que la Russie et la Chine ont récemment accru leur coopération militaire dans le domaine spatial ? Comment analysez-vous cette entente ?

Avons-nous les moyens de riposter ? La France est-elle capable de se doter d’une capacité de dissuasion dans l’espace comme elle l’a fait pour la dissuasion nucléaire ?

Enfin, notre commission sera-t-elle bientôt saisie pour apporter des modifications à la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, pour adapter la législation à ce virage militaire inédit, que je soutiens avec enthousiasme ?

M. Frédéric Mathieu. Monsieur le ministre, vous avez évoqué l’aide directe à l’Ukraine, notamment avec les canons CAESAR et la formation à leur utilisation. Le maintien en condition opérationnelle (MCO) de ces systèmes d’armes sur le théâtre d’opérations nous préoccupe. Trois hypothèses, non exclusives les unes des autres, peuvent être émises.

Premièrement, les Ukrainiens ont été formés au MCO de ces canons. Cela est peu probable car le déploiement de ces armes sur le théâtre des opérations a été effectué dans l’urgence.

Deuxièmement, le MCO est assuré sur place par des employés de Nexter, sous statut civil, ce qui pose des difficultés au regard du droit national et des conventions internationales sur le mercenariat. Ce risque juridique existe en effet sur un théâtre d’opérations, pour toute personne qui ne fait pas partie d’une armée régulière.

Troisième hypothèse : la projection de personnels sous le statut de réservistes militaires a été utilisée dans les dernières années, afin qu’ils puissent faire partie d’une armée régulière.

Des réservistes de l’armée française sont-ils présents sur place afin d’assurer le MCO des canons CAESAR ? Le cas échéant, pourquoi la représentation nationale n’a-t-elle pas été consultée préalablement ?

M. Xavier Batut. Monsieur le ministre, je vous adresse tout d’abord mes sincères félicitations normandes pour votre nomination à la tête du ministère des armées. Ayant été rapporteur du budget de la gendarmerie nationale lors de la précédente législature, je veux vous interroger sur cette force de sécurité intérieure qui m’est chère, comme à vous.

La France a apporté son soutien à l’Ukraine, notamment en facilitant l’accueil des réfugiés en renvoyant du matériel à ses forces armées et en menant une politique volontariste sur le plan international. La gendarmerie nationale a été sollicitée à l’occasion de ce conflit inédit, qui signe le retour de la guerre en Europe avec des combats à haute intensité.

Pouvez-vous préciser quelles sont les différentes unités de gendarmerie mobilisées ainsi que les missions pour lesquelles elles sont engagées ?

Mme Pascale Martin. La fin d’une législature et le début d’une autre sonnent l’heure des bilans. Au Sahel, nous sommes engagés militairement depuis 2013. Malgré les sacrifices de nos soldats, auxquels nous avons rendu hommage, ces cinq dernières années n’ont apporté aucune amélioration en matière de sécurité, de stabilité, de démocratie et de développement. L’opération Barkhane est désormais cantonnée au Niger. Un certain discrédit s’attache au nom de la France parmi les populations. En quoi l’option militaire au Sahel pourrait-elle obtenir de meilleurs résultats à l’avenir que dans le passé ?

Mme Anne Le Hénanff. Les territoires subissent des attaques de plus en plus nombreuses et fortes en matière de cybersécurité – nous n’en sommes qu’au début. Le ministère des armées et le ministère de l’intérieur ont-ils noué des coopérations sur ces sujets, qui posent un vrai problème de sécurité intérieure et de souveraineté nationale ? Sont-elles envisagées, comme je le souhaite ? Pourrons-nous en parler dans cette commission, dans les mois et les années à venir ?

S’agissant des réserves, Monsieur le ministre, vous avez surtout évoqué les opérationnelles. Il est regrettable que la réserve citoyenne ne soit pas activée. Une politique est-elle envisagée dans ce domaine puisque de nombreux citoyens réservistes sont à la disposition du ministère des armées ?

Mme Caroline Colombier. Dans un contexte global marqué par le retour de la guerre aux portes de l’Union européenne, après la livraison des canons CAESAR, des missiles d’infanterie légers anti-chars (MILAN) et des missiles transportables anti-aérien légers (MISTRAL) à Kiev, après les sanctions économiques envers la Russie, ne craignez-vous pas que la France ne soit considérée comme partie prenante à ce conflit et cobelligérante ? Comment conciliez-vous ce soutien intensif à Kiev, de plus de 100 millions d’euros d’équipements militaires, avec la volonté de préserver la France d’un tel conflit ?

S’agissant de la prolifération du conflit en France, comme pour le conflit yougoslave, il y a trente ans, n’existe-t-il pas un risque que les armes arrivent sur notre sol ?

M. Loïc Kervran. Député et élu local d’un grand territoire de défense, le Cher, qui accueille une partie de la DGA, des industriels et des forces, je suis concerné au premier chef par la question de l’économie de guerre. Envisagez-vous de travailler sur les normes, non seulement de production du matériel de guerre, mais aussi de son utilisation ? Dans cette économie de guerre, faut-il seulement du neuf, du cher et du parfait, ou peut-on envisager autre chose ?

M. Frank Giletti. S’agissant de la condition sociale de nos militaires, il est coutume de dire que le moral des troupes réside dans la gamelle. Selon l’INSEE, au mois de juin, les prix auront augmenté de 5,8 % sur un an. Sur la même période, l’indice des prix de la consommation harmonisé augmenterait de 6,5 %. Le prix de la gamelle s’envole, quand le niveau de vie annuel du militaire s’effondre.

Certes, le Gouvernement a annoncé que le point d’indice serait revalorisé de 3,5 %. Cela n’est pas suffisant pour combler l’écart, d’autant que le ministère des armées connaît déjà des problèmes de ressources humaines, d’abord en matière de valorisation des soldes. Les comparaisons de l’INSEE montrent que les militaires connaissent toujours des niveaux de rémunération et de vie plus faibles que leurs équivalents civils. C’est une véritable discrimination.

Notre enquête montre que de nombreux militaires veulent quitter leur carrière si une opportunité se présente. Cela n’est pas sans incidence sur la fidélisation, donc les capacités opérationnelles. De plus, les pensions des anciens soldats doivent être revalorisées. Ce manque d’attractivité touche malheureusement des secteurs clés.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour surmonter ce contexte d’inflation et de guerre ?

M. Emmanuel Fernandes. Dans un article du Monde du 2 juillet, nous apprenons qu’en cinq ans, l’État a confié des missions à hauteur d’au moins 1,1 milliard d’euros – un « pognon de dingue » – au cabinet de conseil Capgemini. Ces missions ont notamment été effectuées au sein du ministère des armées.

On peut comprendre que le contexte de forte tension internationale requière des agents du ministère une forte présence, une charge de travail élevée et la réalisation de missions extraordinaires. Au-delà de la gabegie d’argent public transféré à des entreprises privées, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’introduire des cabinets privés dans ces questions de défense dont nous connaissons toutes et tous ici le degré de criticité et de confidentialité. L’inquiétude est d’autant plus grande si les missions confiées à ces consultants externes concernent l’évolution des systèmes informatiques du ministère. Or c’est le cœur du métier de Capgemini.

Votre ministère continuera-t-il de recourir à ces cabinets privés très onéreux ? Comptez-vous garantir la confidentialité des informations qui pourraient être collectées par ces consultants, qui travaillent sous contrat privé, et repartent dans la nature à la fin de leur mission ?

M. Aurélien Saintoul. La guerre en Ukraine a été déclenchée par l’agression russe. Une telle atteinte au droit international justifie pleinement que nous agissions pour que le crime ne paie pas. C’est la condition pour tenter de restaurer un système international où puisse prévaloir le droit. Mais c’est une généralité trop vague : il est clair que la France a un intérêt à une non-victoire russe ou à une non-défaite ukrainienne. Une multiplicité de scénarios sont désormais sur la table. Quel objectif final visons-nous en mobilisant nos moyens pour l’Ukraine ?

L’initiative euro-allemande des couloirs de solidarité vise à faire sortir du pays des milliers de tonnes de grains. Une autre option, peut-être plus avantageuse, pourrait exister, celle de garantir à l’Ukraine un accès à la mer et de lui ménager un couloir maritime jusqu’en Roumanie. L’évacuation de l’île aux Serpents par la Russie pourrait en offrir l’occasion. Les partenaires européens pourraient s’y impliquer. Qu’en pensez-vous ?

Mme Stéphanie Galzy. La France a perdu l’un de ses atouts, le plus important de la défense nationale : son industrie. Autrefois rayonnant, notre complexe militaro-industriel est en lambeaux. La capacité matérielle de nos armées est inquiétante. Que deviendront nos soldats s’ils manquent de munitions, comme les Français ont manqué de masques pour se protéger du covid ?

Monsieur le ministre, serez-vous le ministre de la défense nationale ou, comme vos prédécesseurs, le ministre de la défense délocalisée ?

M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Toutes ces questions constituent un ordre du jour pour une prochaine audition : chacun comprend que l’on ne peut raisonnablement pas traiter les grands sujets qui concernent les armées et la défense nationale française en une seule fois. Mes réponses seront donc davantage des points d’accroche pour des discussions ultérieures avec moi-même ou d’autres collègues du Gouvernement, sous l’autorité du président Gassilloud. Nous sommes à la disposition du Parlement pour avancer.

Des projets sont en cours dans les domaines de l’énergie et du développement durable. Nous avons beaucoup de foncier, qui peut être utilisé pour produire de l’énergie verte. Nos nombreux bâtiments sont parfois d’épouvantables passoires thermiques. Nous devons faire mieux. La réponse à cette question pourra être détaillée ultérieurement.

En matière de désinformation, certains moyens peuvent être évoqués ; sur d’autres, il convient évidemment d’être plus discret. Le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) existe. Les gendarmes sont aussi à la manœuvre sur ces sujets, qui ont parfois des implications importantes sur le territoire national. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) y travaille également. C’est un sujet clé, sur lequel nous pourrons revenir lors d’une audition moins ouverte.

Un livre plus ramassé, qui ne traite pas uniquement des questions militaires, nous ramène aux grandes discussions stratégiques que nous évoquions par ailleurs. Elles deviennent tout autant économiques et industrielles qu’elles sont diplomatiques. Elles peuvent aussi être consulaires – les députés représentant les Français de l’étranger le savent – ou donner lieu à des échanges en matière d’enseignement supérieur ou de recherche. Un agenda plus global est à imaginer.

Je serai clair : le SCAF est un projet d’actualité. Il figure dans l’agenda de coopération, tant avec les Allemands qu’avec les Espagnols. Nous souhaitons qu’il puisse aboutir. Les négociations sont en cours entre les différents industriels – Dassault est bien le chef de file du projet. Les discussions avec mon homologue allemande se poursuivent. Le projet du SCAF comme celui du MGCS méritent une audition spécifique – les volets à aborder sont nombreux car les projets ne sont pas d’un seul tenant.

On retient beaucoup que Mme El Haïry est placée sous la tutelle du ministère des armées, mais elle est aussi rattachée au ministère de l’éducation.

Oui, les armées s’intéressent à la jeunesse. Retournant le propos, on pourrait se demander s’il faut arrêter le service militaire adapté (SMA) en outre-mer. Je le dis sans polémique : il est compréhensible que les députés siégeant à la gauche de l’hémicycle aient des craintes quant à une militarisation du SNU. Ma réponse entend les rassurer. Tout en ayant mes propres inquiétudes, j’espère qu’il n’y a pas un fond d’antimilitarisme dans le fait de remarquer que Mme El Haïry est rattachée au ministère des armées.

Dans d’autres dispositifs, éminemment républicains, ce sont des troupes de marines qui encadrent de jeunes volontaires. Je pense au SMA, le plus beau dispositif que la République ait pu donner aux territoires d’outre-mer, grâce auquel de jeunes ultramarins apprennent un métier ou passent leur permis de conduire. Nous reviendrons au débat que vous voulez engager sur une conscription citoyenne, si j’ai bien lu votre programme. Je pourrai vous répondre plus avant, comme la secrétaire d’État, qui se tient aussi à la disposition du Parlement.

Sur la question porte-avions, c’est l’un des gros morceaux d’une prochaine loi de programmation militaire. Une réflexion se tiendra bien sur ce sujet, avec le Parlement. Plus largement, c’est la question du groupe aéronaval qui est posée. Il faudra parler aussi du calendrier de l’avancement du programme Barracuda. Le principe de pouvoir toujours disposer d’un porte-avions est acté, c’est le tuilage qui fera l’objet d’arbitrages.

Le partenariat entre l’armée et l’enseignement supérieur est fondamental, du moins parce que j’assume la tutelle de grandes écoles – l’École polytechnique, l’École de l’air et de l’espace, notamment. Les liens avec l’aéronautique et l’aérospatial civil sont essentiels. Il y a des enjeux de recherche fondamentale et appliquée, sur lesquels nous pourrons revenir ultérieurement.

Quant à la NPRM, j’ai bien lu l’avis du CSFM, et me suis rendu devant ses représentants pour leur dire que j’avais bien reçu leur message. Je me laisse un peu de temps car je ne veux pas passer en force, ni enjamber cet avis. La réforme est toujours d’actualité mais, de toute évidence, nous devons insister sur certains points. Je vous en rendrai compte le moment venu.

Le spatial mérite aussi une audition propre. L’armée de l’air est devenue l’armée de l’air et de l’espace. C’est non seulement un changement de nom mais aussi des moyens, que vous avez votés – près de 4 milliards entre 2019 et 2023. Cela n’est pas sans incidence sur les programmes civils, notamment avec Ariane 6 et les enjeux de constellation de satellites, des sujets fondamentaux pour la souveraineté française et l’autonomie stratégique européenne.

Concernant l’aide directe à l’Ukraine, nous ne donnons pas de canons CAESAR sans transmettre un minimum de fondamentaux sur leur emploi. Des formations ont bien été dispensées. Les artilleurs ukrainiens sont plutôt de bons artilleurs, et disposent des rudiments d’entretien de ces camions porteurs de canons. Nous n’avons pas de réservistes français sur le territoire ukrainien.

L’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et le service de santé des armées se sont déployés. Le GIGN assure d’ailleurs encore la sécurité de notre ambassade. À Boutcha, l’IRCGN a réalisé un travail difficile d’identification criminelle. En tant qu’officiers de police judiciaire (OPJ), enquêteurs ou scientifiques, nos gendarmes sont aguerris à ces tâches. Sous l’autorité de la justice ukrainienne, notamment, ils ont accompli un travail important. Le ministre de l’intérieur vous donnera des précisions lors de son audition.

Le SGDSN, le ministère des armées, le ministère de l’intérieur et la gendarmerie travaillent ensemble sur les questions de cybersécurité, qui constitueront nécessairement des éléments d’une prochaine loi de programmation militaire. Elles sont au cœur de cette guerre qu’« il faut gagner avant la guerre », pour reprendre la formule du chef d’état-major des armées.

La situation de la réserve citoyenne dépend des armées : les gendarmes ont accompli beaucoup d’efforts récemment ; les marins ont développé une réserve citoyenne foisonnante et particulièrement implantée dans plusieurs endroits de la société française. D’autres armées ont pris du retard ; celles qui avaient pris de l’avance la perdent parfois. Cela dépend beaucoup de la personnalité des officiers qui pilotent la réserve. N’y voyez aucune critique : bien que formel, le réseau est souple, et dépend de la façon dont il est mené. Les recommandations du Parlement sur ces sujets sont les bienvenues. S’il faut être plus vigilant dans l’exécution et la conduite, nous le serons car rien n’est pire que de désespérer des personnes qui s’engagent.

Est-ce que les livraisons d'armes font de nous des cobelligérants ? La réponse est non. Le temps manque pour l’expliquer dans le détail mais cela est identifié, documenté. Nous ne faisons pas n’importe quoi. Je m’y engage devant vous.

On peut se demander si un équipement à la pointe technologiquement, mais en faible quantité, est préférable à des matériels nombreux, plus rustiques mais indispensables. C’est une question qui se pose dans le cadre du retex Ukraine et de la réflexion sur la résilience de la BITD. Un équipement performant dans dix ans est intéressant ; un matériel utile dès maintenant l’est également. C’est un équilibre : si, au Parlement comme au Gouvernement, notre génération de décideurs écrase tous les efforts d’innovation pour satisfaire des besoins court-termistes, dans dix ans, nos successeurs nous reprocheront d’avoir fait du surplace dans l’innovation, d’où les questions légitimes sur le spatial. Un équilibre doit être trouvé. En cela, la prochaine LPM sera plus équilibrée que les précédentes, qui prévoyaient soit de la réparation, soit un très grand effort d’innovation – le programme SCORPION en est un exemple.

La revalorisation du point d’indice de 3,5 % est déjà une réponse à l’inflation. La vraie question réside dans le rythme que celle-ci suivra en 2023, pour lequel des scénarios optimistes et pessimistes existent. Cela renvoie à une discussion globale, non seulement pour les armées mais pour l’ensemble des agents des fonctions publiques hospitalière, territoriale et de l’État – civils et militaires. Nous verrons, en fonction de la tendance, quelles mesures il conviendra de prendre. C’est cela qu’il faut que nous documentions, de manière globale.

Lorsqu’elles interviennent dans le champ militaire, les entreprises privées, qu’il s’agisse de cabinets de consultants ou de sous-traitants, ont des obligations liées au respect du secret, de la confidentialité, voire d’éléments du code de la défense. Au sein du ministère des armées, un service de renseignement, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ancienne direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), en assure le suivi. À ma connaissance, il n’a pas lancé d’alerte sur les cabinets de consultants. Je pourrai le vérifier : je n’ai rien à cacher en la matière. La loi est faite pour être respectée, par tout le monde, y compris par ces cabinets. Le Sénat – il faut savoir l’écouter – a établi que l’usage de ces cabinets au sein du ministère des armées était dûment proportionné et fidèle aux besoins de l’institution. Je me tiens là encore à votre disposition, y compris par écrit, si vous avez besoin d’éléments plus précis.

Quel est objectif final que nous visons en engageant nos moyens pour l’Ukraine ? Je reprendrai les propos du Président de la République, « la Russie ne peut ni ne doit gagner ». Si nous croyons aux frontières, à la souveraineté, à la liberté, à la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes – des principes qui nous rassemblent depuis 1789, quelles que soient nos opinions. Donc, oui, on ne peut pas avoir une volonté expansionniste et franchir une frontière. Parce que si on franchit la frontière ukrainienne, si nous-même on ne respecte pas la frontière ukrainienne, demain d'autres ne respecteront pas notre propre frontière. Je suis gaulliste et permanent en la matière – nous avions dit que nous ne ferions pas de politique, donc, je m’arrête là.

Tous les moyens d’acheminement des céréales hors de l’Ukraine sont examinées. La voie ferroviaire, la voie maritime et la voie terrestre posent chacune des problèmes de logistique ou d’interopérabilité mais nous n’avons en réalité d’autre choix que de travailler sur une combinaison des modes de transport. » La ministre des affaires étrangères pourrait répondre plus précisément sur ces sujets, car c’est elle qui les suit.

Dire que notre complexe militaro-industriel est « en lambeaux » est bien dur. Pourquoi se faire violence de la sorte ? Le savoir-faire français est incroyable et de nombreux pays rêveraient de disposer de notre base industrielle et technologique de défense. Il ne s’agit pas uniquement d’entreprises connues comme Dassault ou Naval Group : il existe dans vos circonscriptions un réseau de PME qui réalisent un travail formidable, qui créent de la richesse, de l’emploi et sont des modèles pour l’exportation.

Nous en reparlerons avec nos amis de LFI lors des grandes discussions stratégiques, mais il faut dire que la dissuasion nucléaire a tiré bien des choses vers le haut. Pourquoi Naval Group est Naval Group aujourd'hui ? Parce qu'il y a la propulsion et la dissuasion. Non, la BITD ne part pas en lambeaux, heureusement pour la France.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour ces réponses claires et complètes, dans un temps contraint.

 

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La séance est levée à douze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Christelle D'Intorni, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Julien Rancoule, M. Fabien Roussel, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Martine Etienne, Mme Murielle Lepvraud, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, Mme Corinne Vignon