Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées.

 


Mercredi
13 juillet 2022

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 6

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à quinze heures trente.

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, nous sommes ravis de vous accueillir en cette veille du 14-Juillet pour votre première audition devant notre commission, renouvelée à près de 80 %. Nous avons auditionné le ministre des Armées et, ce matin même, le délégué général pour l’armement (DGA), puis le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Si j’osais filer la métaphore, je dirais que nous sommes dans une la nouvelle configuration politique de l’Assemblée nationale : nous sommes passés de la « guérilla » des oppositions à une « haute intensité politique », opposant des masses plus proches les unes des autres. Et de nombreux réservistes ont été appelés à servir dans l’Assemblée afin de rééquilibrer les rapports de force.

Pour revenir à la défense, en tant que chef d’état-major des Armées (CEMA), vous avez été l’un des premiers à évoquer la possibilité du retour aux combats de haute intensité et la nécessité pour les armées de s’y préparer en durcissant les entraînements et en pensant la guerre probable. Grâce à votre triptyque « compétition-contestation-affrontement », repris par tous, vous avez renouvelé la lecture stratégique des événements et de la conflictualité dans le monde. Par votre objectif affiché de « gagner la guerre avant la guerre », vous avez fixé le cadre d’une action militaire adaptée aux menaces actuelles et aux tactiques possibles.

L’invasion de l’Ukraine constitue un cas d’école de ce que l’actualisation stratégique de 2021 appelait « un aventurisme grandissant ». Quelle est votre appréciation de la guerre en Ukraine et des conséquences sur nos forces ? Quelles sont les conditions potentielles d’engagement de nos forces dans l’ensemble des mesures de réassurance que l’OTAN met en place en Europe orientale et sur ses pourtours ?

Nous serions heureux de vous entendre sur la réarticulation de l’opération Barkhane, le retrait du Mali et la continuation de notre présence au Sahel.

Enfin, de quels moyens disposez-vous pour que les armées réussissent les missions qui leur sont assignées ? Vers quelles conclusions vous conduisent les travaux de réévaluation de la loi de programmation militaire (LPM), à l’aune de la guerre en Ukraine, que le Président de la République a annoncés publiquement. Cela devrait vous conduire à nous parler de l’adaptation du format de nos forces, de leurs effectifs, du volume de leur équipement, de leur intensité technologique, des stocks, de leur capacité à durer et de l’adéquation de tout cela avec les moyens financiers qui leur sont alloués.

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées, permettez-moi de saluer les anciens membres que je suis très heureux de retrouver, et celles et ceux qui rejoignent les rangs et qui pourront apporter un regard nouveau. Il y aura peut-être une redondance dans certains des propos que j’ai déjà tenus dans cette enceinte, notamment pour ce qui tient de la Vision stratégique des Armées, mais je n’ai pas changé d’avis et les évènements militaires semblent confirmer sa pertinence.

La XVIe législature s’ouvre dans un contexte stratégique en profonde mutation, particulièrement exigeant pour les États et pour les armées. Les menaces se multiplient et le passage à l’acte, comme en Ukraine, est une réalité, même en Europe. La mission des armées, elle, demeure inchangée. Elle est de protéger la France et les Français. Nous devons donc poursuivre l’adaptation des termes de l’équation pour façonner l’armée dont la France a besoin. Rien de cela n’est une découverte mais, depuis la guerre en Ukraine, nous constatons une véritable accélération. Il y a un enjeu immédiat pour rester en phase avec l’évolution de la conflictualité.

Mon propos liminaire sera divisé trois parties : mon appréciation de situation sur l’environnement stratégique ; un aperçu des engagements opérationnels en cours et mes convictions face aux défis qui se présentent.

 

 

La dégradation du contexte international durant la dernière décennie, récemment illustrée par la guerre en Ukraine, se caractérise par trois tendances.

Première tendance, l’emploi désinhibé de la force est redevenu pour beaucoup le mode de règlement des conflits. Les structures internationales de régulation qui jouaient un rôle de tampons et de ralentisseurs s’affaiblissent. Alors que le tempo d’une crise était donné par l’ONU, au rythme de résolutions préparées, votées puis mises en œuvre sur le terrain, il est désormais donné par les belligérants qui emploient la force et ne tiennent pas compte ou contestent ces décisions. Si le réarmement n’est pas un fait nouveau, nous constatons une désinhibition dans l’emploi de la force, l’Ukraine en étant l’exemple le plus emblématique.

Ensuite, deuxième tendance, la liberté d’action est contestée, pour les militaires comme pour les États. Sur les plans tactique et opératif, dans l’emploi des unités sur le terrain. Durant les vingt dernières années, le combat contre le terrorisme militarisé n’était certes pas facile, mais notre supériorité ne pouvait être contestée que dans le milieu terrestre. Nous disposions librement des autres milieux, notamment de la troisième dimension. Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), les combats sont durs, mais il est toujours possible de faire appel à un appui aérien pour évacuer un blessé ou ravitailler. Le ciel nous appartient. Dans les conflits de haute intensité, face à nos adversaires, ce milieu est contesté et les autres peuvent l’être aussi. C’est le cas du milieu maritime où nos lignes de communication pourraient être menacées, c’est le cas pour l’espace et le cyber où notre liberté d’action tactique et opérative est contestée. C’est aussi le cas sur le plan stratégique, où nous faisons face à de grands compétiteurs, tels que la Russie et la Chine, et à un autre niveau l’Iran, tous animés de la même volonté d’affirmer leur présence sur le terrain, contraignant notre liberté d’action. Sur des théâtres d’opération, jusqu’à récemment, on pouvait prendre des décisions qui avaient certes un coût politique ou diplomatique, mais l’adversaire ne nous empêchait pas de le faire. A contrario, même si l’Ukraine ne veut pas de la guerre, son ennemi l’impose. S’il faut être deux pour vouloir la paix, il n’est pas besoin d’être deux pour vouloir la guerre, un seul suffit.

La troisième tendance est le changement d’échelle. Il se traduit tout d’abord par l’extension de la conflictualité à l’ensemble des milieux et des champs et donc aussi des grands fonds marins, du cyber, de l’espace exo-atmosphérique, du champ informationnel et la combinaison d’actions dans ces différents champs, propices aux stratégies hybrides qui compliquent notre positionnement et nos capacités de réaction. Ce changement d’échelle se traduit également dans le volume des unités et les types de combats engagés. Par exemple, au maximum au Mali nous étions un peu plus de 5 500. En Ukraine, par le seul engagement des unités d’active, on trouve quelque 150 000 hommes de chaque côté. Ce changement d’échelle a des conséquences non seulement sur la consommation des munitions, mais aussi sur les pertes, cela dans des proportions inconnues dans les engagements actuels.

En résumé, l’évolution du contexte international se caractérise par le renouveau de la puissance et par des interactions qui sont davantage de portée stratégique. Cela doit nous inciter à appréhender le monde de manière beaucoup plus stratégique. De ce fait, le continuum « paix-crise-guerre » ne nous semble plus constituer une grille de lecture stratégique pertinente.

Nous avons donc pris le parti de nous référer à un nouveau triptyque « compétition-contestation- affrontement ». Plus adapté à la prise en compte de l’intrication des différents milieux et champs, il permet d’envisager avec plus d’acuité les stratégies hybrides et de prendre en compte l’importance du rapport de force. Il ne s’agit pas de vous imposer ce nouveau triptyque mais, dans les armées, celui-ci nous aide à structurer nos réflexions, nos travaux et à expliquer notre appréciation de situation.

Qu’entend-on par triptyque « compétition-contestation-affrontement » ?

Je considère la compétition comme le mode normal d’expression de la puissance. Durant cette phase, les armées contribuent à la connaissance des compétiteurs, proposent des options militaires et participent à la signification de la détermination de la France, en vue d’infléchir la détermination et la résolution de nos adversaires. Je le traduis par l’expression « la guerre avant la guerre ». Durant la phase de compétition, nous ne sommes pas en guerre puisque ces actions se conduisent en dessous du seuil armé et plus particulièrement dans les champs non militaires : économique, culturel, diplomatique, et un peu dans le domaine sécuritaire mais sans engagement armé. Dans cette guerre avant la guerre, toutes les actions concourent déjà à se positionner. Quand on se contente de se poser en spectateur, les adversaires et les compétiteurs déroulent leurs manœuvres et contraignent notre liberté d’action immédiate et future.

La contestation, c’est lorsque des acteurs décident de transgresser les règles communément admises pour obtenir un avantage. L’exemple le plus emblématique est celui de la Crimée. Le compétiteur russe avait estimé qu’en s’appuyant sur une forme de guerre hybride, il avait une carte à jouer en imposant un fait accompli sans provoquer de réaction. Durant cette phase, il nous faut lever l’incertitude, forcer l’adversaire à révéler ses intentions et empêcher l’imposition d’un fait accompli, ce qui nécessite de réagir vite et suffisamment fort afin de l’empêcher. C’est « la guerre juste avant la guerre ».

Dans l’affrontement, c’est-à-dire dans « la guerre », un acteur décide de recourir à la force pour atteindre ses objectifs, provoquant une réaction de niveau au moins équivalent. Pour les armées, cela nécessite d’être capable de déceler les signaux faibles afin d’anticiper le basculement dans l’affrontement. En effet, comme il est difficile de s’engager « à froid » dans un affrontement, il y a souvent une phase de préparation et d’anticipation de la bascule, afin, si nécessaire, d’être en mesure de livrer bataille.

Dans ces conditions, l’ambition est de tout faire pour « gagner la guerre avant la guerre », d’imposer notre volonté et de signifier notre détermination à nos adversaires, si possible avant d’aller à la contestation pour éviter l’affrontement. Il y a bien là un sujet de crédibilité. Pour être capable de signifier votre détermination et de gagner la guerre avant la guerre, vous devez disposer d’un outil et de forces préparées et entraînées pour s’engager dans un affrontement et montrer ainsi à votre adversaire que vous seriez capables de gagner la guerre.

Comment donc les armées se positionnent-elles dans cet environnement ? À quels engagements sommes-nous confrontés ?

Pour caractériser les engagements opérationnels, j’ai coutume de décliner les missions en deux volets : le premier relatif à dangerosité du monde, le second, à la dangerosité du quotidien.

Protéger les Français contre la dangerosité du quotidien, c’est, par exemple, lutter contre la pandémie, le terrorisme et les catastrophes naturelles. Ce n’est pas la partie la plus dimensionnante pour les armées, mais c’est la partie la plus visible par les Français. Il importe que les Français puissent voir à quoi sert leur armée.

Protéger les Français contre la dangerosité du monde, c’est lutter contre le terrorisme militarisé ou la menace d’un compétiteur de taille plus importante. Cette mission bien plus dimensionnante en termes d’entraînement et de capacité d’intervention est paradoxalement moins visible par les Français. La guerre en Ukraine fait exception par sa forte présence, depuis presque quatre mois, sur les chaînes d’information continue mais, pour beaucoup d’autres opérations le sujet est peu abordé. D’où l’intérêt de ne pas négliger les missions sur le territoire national au profit direct des Français et de les valoriser, afin de leur permettre de mieux percevoir l’action de leur armée engagée dans leur intérêt.

Avant d’illustrer ces deux volets, je commencerai par évoquer la dissuasion nucléaire parce qu’elle est la clé de voûte de notre système de défense. Le Président de la République l’a rappelé dans son discours du 7 février 2020 à l’École militaire, la dissuasion nucléaire autonome, robuste et crédible demeure la clé de voûte de la défense de notre pays. Strictement suffisante, la dissuasion nucléaire est assurée par une composante océanique et une composante aéroportée. Force nucléaire et forces conventionnelles s’épaulent en permanence pour défendre nos intérêts souverains partout dans le monde.

En ce qui concerne la dangerosité du quotidien, les postures de sûreté visent à garantir en tout temps la sanctuarisation et la protection du territoire national et de ses approches en métropole comme outre-mer.

La Posture permanente de sûreté aérienne (PPSA) garantit le respect de la souveraineté française dans son espace aérien. Il s’agit de détecter – quelque 12 000 pistes radar par jour survolent de la France et de ses approches –, d’identifier et d’intervenir avec la Permanence opérationnelle (PO). Des avions de chasse et des hélicoptères en alerte sont capables de décoller en moins de sept minutes. Depuis le début de l’année 2022, nous avons eu 101 décollages de la permanence opérationnelle pour 109 violations de l’espace aérien. Nos avions ont également décollé pour surveiller six raids à longue rayon d’action des bombardiers russes, dont deux avec mise en œuvre de la chaîne de défense aérienne française.

La Posture permanente de sauvegarde maritime (PPSM) concourt directement à la protection des approches du territoire, dans un milieu où l’activité des États-puissances est croissante. Environ 1 300 marins sont engagés en permanence dans cette mission. Il s’agit, là aussi, de surveiller et d’identifier les menaces et les dangers au moyen d’un réseau fixe de 58 sémaphores, d’une présence permanente à la mer de nos bâtiments et de l’utilisation de moyens aéronautiques. Ces moyens sont également utilisés pour secourir, lutter contre le pillage de nos ressources ou suivre les mouvements de nos compétiteurs, par exemple, par le marquage des bâtiments russes qui transitent en Manche.

Il faut également ajouter nos postures dans les nouveaux champs d’action. Dans l’espace, nous suivons par exemple les orbites basses non déclarées des satellites chinois. Dans le domaine cyber, la détection des attaques informationnelles et la riposte éventuelle, telle que la suppression de comptes Twitter de trolls russes, font partie de nos réalités opérationnelles.

Sur le territoire national, les armées sont très impliquées dans l’opération SENTINELLE, dispositif très réactif grâce à 7 000 soldats engagés en permanence et 3 000 en réserve stratégique pour répondre efficacement à la menace sur le terrain en s’appuyant sur un bon niveau de subsidiarité et la connaissance de la situation par les unités.

En Guyane, au titre de la mission HARPIE de lutte contre l’orpaillage illégal, 350 militaires sont déployés en permanence en coordination avec les forces de gendarmerie pour contrôler 80 000 kilomètres carrés. La mission TITAN, visant à protéger le Centre spatial guyanais, est activée trois à cinq jours par mois par le déploiement d’un effectif pouvant aller jusqu’à 400 militaires pour assurer la sécurité des lancements et le déplacement des engins spatiaux.

Dans vingt-trois départements du sud de la France, la mission HÉPHAÏSTOS est activée durant les mois d’été pour appuyer des Unités de sécurité civile et les pompiers dans la lutte contre les feux de forêt. Pendant les trois mois d’été, cinquante militaires, trois hélicoptères et vingt véhicules sont ainsi engagés.

De plus, les armées sont toujours prêtes à incarner une part de la résilience de la nation par des missions ponctuelles comme l’opération RÉSILIENCE, déclenchée lors de la crise du Covid, ou lors de catastrophes naturelles comme des inondations, où les moyens militaires sont capables d’intervenir très rapidement pour porter assistance aux populations.

En ce qui concerne la dangerosité du monde, sur le flanc est, il s’agit concrètement d’y participer au dispositif défensif et dissuasif de l’OTAN. Pour l’année 2022, la France assure le commandement de la NATO Response Force (NRF) dont l’élément déployable le plus réactif de l’Alliance (Very high readiness joint task force - VJTF). Dans ce cadre, dès le 28 février 2022, la mission AIGLE a déployé en Roumanie un bataillon composé de 800 militaires, dont 500 français, complété par des militaires belges (qui seront remplacés le 1er août par un détachement néerlandais de même volume). Pour cette mission, nous sommes capables d’assurer le commandement au niveau brigade sur court préavis.

En Roumanie, outre le bataillon AIGLE, nous avons déployé le système de défense sol-air MAMBA. Chargé de défendre l’espace aérien, il est connecté aux systèmes de défense de l’OTAN ; il complète la démonstration de notre solidarité stratégique vis-à-vis de nos amis roumains.

Nous sommes également déployés en Estonie dans le cadre du dispositif LYNX, avec environ 250 militaires intégrés à un bataillon britannique d’environ 800 militaires.

Dans le domaine aérien nous avons déployé depuis le mois d’avril quatre avions et cent aviateurs qui patrouillent au-dessus de l’Estonie et des différents pays baltes au sein du dispositif eAP (Enhanced Air Policing), de police de l’air avancée et renforcée.

Depuis le 24 février 2022, des appareils français participent également à la défense de l’espace aérien en Pologne par des missions au départ de Saint-Dizier ou de Mont-de-Marsan, dans le cadre d’un dispositif de vigilance renforcée.

En Afrique, vous le savez, la réarticulation du dispositif français au Mali est en cours. Celle-ci prévoit le désengagement de nos forces afin de poursuivre la lutte contre les groupes armés terroristes à partir du Niger et du Burkina Faso et renforcer nos opérations de partenariat militaire opérationnel au profit des pays du golfe de Guinée. Venus à la demande du Mali en 2013, nous quittons ce pays à sa demande, dans le respect de sa souveraineté. Je constate que les autorités maliennes n’ont pas su, au cours de ces huit années, profiter du contrôle de la situation au niveau sécuritaire qui leur était offert pour trouver des solutions politiques. C’est entre autre le constat de cette impossibilité qui a prévalu dans la décision de retrait du Mali. Le retrait est une opération logistique d’ampleur dans un Sahel très étendu, aux axes de communication peu développés avec toujours un risque sécuritaire élevé. La manœuvre de désengagement en ordre et en sécurité, très lourde à exécuter, devrait être terminée d’ici à la fin de l’été. Nous bénéficions d’un appui américain dans le domaine du renseignement et de la logistique, ainsi que pour ce dernier aspect de l’aide, entre autres, des Émirats arabes unis, du Canada et du Qatar.

L’activation de la task force TAKUBA a permis, dans le cadre d’une coalition ad hoc réunissant une dizaine de pays européens, d’appuyer les unités maliennes dans la région de Ménaka pour la lutte contre le terrorisme. Si ce dispositif est désengagé du fait de notre désengagement du Mali, notre objectif est bien de maintenir l’esprit TAKUBA en coordination étroite avec les pays africains à partir desquels nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme. Celle-ci se poursuit en particulier à partir du Niger, dans le cadre d’un engagement non plus direct mais uniquement réalisé en appui des forces nigériennes, lesquelles décident où sont conduites les opérations, à quel rythme et selon quelle intensité.

Un effort est également consenti au profit des pays du golfe de Guinée au regard du constat d’un terrorisme militarisé qui, descendant vers le sud, commence à tangenter leurs frontières nord, au Togo, Bénin, Ghana, Côte d’Ivoire, Guinée, voire Sénégal.

Les militaires français sont également déployés au Proche et au Moyen-Orient, dans le cadre de l’opération de surveillance de la zone sud du Liban, sous mandat de l’ONU. Depuis cinq ans, le contingent français intègre un détachement finlandais (350 Français et 200 Finlandais). Nous appuyons par ce biais les forces armées libanaises dont l’action est essentielle pour assurer la stabilité du pays.

En Irak, il s’agit de poursuivre la lutte contre Daech auprès du partenaire irakien et d’organiser des activités opérationnelles bilatérales pour les aider à acquérir une autonomie suffisante.

La surveillance de la navigation se poursuit dans le golfe Arabo-Persique, dans le cadre de l’opération de l’Union européenne AGÉNOR.

 

 

Au vu de nos engagements, de la situation que j’ai décrite et des enjeux, quelle est l’armée dont la France a besoin ?

La LPM 2019-2025 a permis de répondre aux enjeux des opérations et d’entamer la réparation grâce, par exemple, à 1,6 milliard d’euros pour des petits équipements tels que les armements individuels, les jumelles de vision nocturne ou encore l’outillage. Elle a permis notamment la livraison d’une centaine de véhicules du programme Scorpion, de frégates multi-missions, d’appareils ATL2 au standard 6 et de Mirage 2000 rénovés. Toutefois, vous avez fait ce constat et des rapports ont été faits en ce sens : vingt années de conflits asymétriques et d’engagements choisis ont conduit à des arbitrages réduisant certaines capacités. Je ne saurais blâmer ceux qui ont fait ce choix dans des circonstances différentes d’un point de vue budgétaire et de type de menaces. En Afghanistan ou au Mali par exemple, les dispositifs de défense sol-air n’ayant pas d’utilité, des impasses ont été faites. Il convient maintenant de les rattraper. Il en va de même dans les domaines du franchissement, de la guerre électronique ou des moyens de protection nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique. En outre, le soutien a été optimisé de manière excessive et le budget de fonctionnement a trop souvent été considéré comme variable d’ajustement. Une logique faible stock a prévalu, considérant qu’on pouvait faire beaucoup à flux tendus, mais on s’aperçoit que c’est plus difficile avec les munitions. L’absence de moyens financiers pour maintenir les flux a créé des dépendances.

Surtout, la guerre de haute intensité en Europe et les menaces stratégiques de nos grands compétiteurs nécessitent de repenser les équilibres entre la technologie et la masse, l’efficience et l’efficacité, l’optimisation et la résilience. Il s’agit aussi de changer d’échelle dans l’entraînement, ce qui n’est pas facile à mesurer. Il faut passer plus de temps à l’entraînement sur nos matériels majeurs, avec lesquels nous pourrions être amenés à nous engager en cas d’affrontement et consacrer davantage de munitions pour ces phases.

Quels sont les axes sur lesquels il est indispensable de faire porter nos efforts ?

Le premier axe concerne la cohésion nationale, élément essentiel auquel les armées peuvent et doivent contribuer. Il conviendra de réorganiser les bonnes et nombreuses initiatives en direction de la jeunesse que les Armées portent déjà. Il faudra aussi contribuer à la montée en puissance du service national universel (SNU) car les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. En outre, il importe de lancer une nouvelle dynamique pour les réserves, afin de pouvoir les engager dans des missions plus complexes et de dégager des marges de manœuvre pour compléter les effectifs d’active. Les réserves sont en mesure d’apporter une masse, une expertise non détenue dans les armées et sont aussi un des vecteurs les plus directs pour le maintien et la consolidation du lien entre l’armée et la nation.

Le deuxième axe vise à développer la solidarité stratégique, nécessaire pour faire face à la nature des nouvelles menaces. Il s’agit d’investir davantage les structures de l’Alliance, qui demeurent la clé de voûte de notre défense collective. Il faut rechercher une plus grande influence dans les structures de commandement en tirant un meilleur parti des exercices, de tous les travaux conduits par l’OTAN et des développements capacitaires.

Il faut être capable d’être nation-cadre en haute intensité, c’est-à-dire d’assurer le commandement d’une structure, comme nous le faisons actuellement en Roumanie. Nous pouvons accueillir d’autres unités, mais il nous revient de fixer le cadre de l’engagement, d’assurer l’organisation des flux logistiques, notamment de mettre en place les moyens de communication permettant de commander l’ensemble. Il faut également revoir nos modèles de coopération opérationnelle ou capacitaire, afin de mieux tenir compte des besoins de nos partenaires et de mieux comprendre les contraintes qui pèsent sur eux. Chaque pays a, par exemple, des modes de fonctionnement et d’exercice de la démocratie différents en termes de contrôle parlementaire, de justification et de mise en valeur. Lorsque l’on forme une alliance ou une coalition ad hoc, il faut impérativement prendre en compte ces contraintes sous peine de nuire à l’efficacité générale. Il nous faut voir nos partenaires tel qu’ils sont et non tels que l’on voudrait qu’ils soient.

Il est également indispensable de développer nos capacités d’influence pour gagner la guerre avant la guerre. La France a beaucoup d’atouts à faire valoir auprès de ses partenaires, mais elle est insuffisamment organisée pour conduire une politique d’influence efficace. Par exemple, il faudrait accueillir beaucoup plus de stagiaires étrangers dans nos écoles. Cela nécessite d’y consacrer des moyens, mais on peut en attendre un fort retour sur investissement.

Le troisième axe est l’efficacité et la crédibilité de notre outil militaire. L’observation du conflit en Ukraine incite à disposer de capacités plus létales. On doit être en mesure d’affronter un adversaire et d’infliger des dégâts importants dès les premiers contacts, ce qui nécessite par exemple de l’artillerie de longue portée. Nous devons aussi penser au développement d’armes nouvelles comme les armes à énergie dirigée et les drones de combat. Il s’agit aussi d’être plus résilients grâce notamment à plus de redondance des moyens de commandement, d’autonomie numérique et de communications satellitaires.

Atténuer la contestation de notre liberté d’action passe par une capacité à anticiper davantage. Il faut être apte à détecter l’évolution de la menace dans les milieux traditionnels terre-air-mer mais aussi dans les milieux cyber, exo-atmosphériques ou les grands fonds marins et pouvoir adapter notre posture pour décourager l’adversaire.

Il faut être capable d’agir au quotidien de manière plus efficace et plus intégrée dans le champ des perceptions. J’ai évoqué ici la nécessité de mieux combiner l’action dans les champs physiques et l’action dans les champs immatériels, autrement dit de conduire la bataille du narratif.

Globalement, il faut être capable d’agir dans tout le spectre de la conflictualité, y compris dans l’affrontement de haute intensité dans la durée. Pour ce faire, il faut disposer d’une organisation du commandement capable d’articuler les forces et de combiner tous les effets pour prendre l’ascendant, dès le contact, de façon brutale et, si nécessaire, avec une létalité très forte.

 

En conclusion, au-delà de nos engagements, demain, nos armées se présenteront aux Français. Le défilé du 14-Juillet est toujours pour les militaires un moment de fierté partagée avec nos concitoyens. Celle-ci est parfaitement justifiée, car la France dispose d’une belle armée dont les succès sont reconnus sur la scène internationale. Pour être déjà allés au contact de nos soldats, vous savez que ces jeunes Françaises et ces jeunes Français ont choisi de s’engager pour leur pays. Ce faisant, ils n’ont pas choisi la voie de la facilité. J’en suis très fier et nous pouvons leur rendre hommage.

Dans les temps qui sont les nôtres, il importe que le soutien de la population à son armée se manifeste non seulement le 14-Juillet mais également les autres jours de l’année. Le courage et la combativité des soldats ukrainiens tiennent pour une large part au très fort soutien de leur population. La commission de la défense a un rôle particulier, voire déterminant à jouer en la matière. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel et ma détermination pour conduire ma mission.

Mme Anne Genetet. Députée des Français établis à l’étranger, j’ai dans ma circonscription la Russie, l’Ukraine, l’Iran, la Chine, l’Inde et l’Australie. À l’étranger, plus de 300 000 jeunes Français n’ont plus accès aux journées défense et citoyenneté (JDC). Le lien entre la jeunesse et notre pays est un élément important, y compris à l’étranger.

Quelles mesures sont prévues afin que nos personnels déployés au sein de l’OTAN puissent revenir partager leur expérience au sein de nos forces armées ou dans d’autres structures nationales ?

Quels sont vos contacts avec le Quai d’Orsay pour développer notre capacité d’influence ?

À de rares exceptions, personne ne comprend ce que signifie le déploiement de moyens dans la zone indo-Pacifique et une stratégie indo-pacifique. Face à des Chinois qui développent un narratif très romantique, nous avons besoin de déployer le nôtre. Nous avons matière à cela. J’ai quelques idées à partager avec vous, si vous le souhaitez.

M. Frank Giletti. Mon général, la guerre en Ukraine a montré que la dissuasion demeure le fondement de notre système de défense. Le regain des tensions est évident. Selon la Cour des comptes, le risque de conflit de haute intensité entre États est moins improbable que par le passé. Alors que certains n’hésitent plus la brandir la menace nucléaire, la position de la France reste incertaine. Le programme de patrouilleurs océaniques, destinés à dégager la voie de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) avant leur dilution dans l’océan, qui date de 2020, bute sur un problème de budget, les industriels ne parvenant pas à entrer dans l’enveloppe financière très contrainte souhaitée par le ministère des armées. Dans un contexte de pandémie, d’inflation et de guerre en Europe, l’actualisation de la LPM permettra-t-elle de lancer cet important programme, sachant que la Cour des comptes estime difficile de la concilier avec la réduction du déficit public à 3 % du PIB en 2027 ?

M. Bastien Lachaud. Mon général, la guerre en Ukraine rebat les cartes et il est plus indispensable que jamais de favoriser une compréhension partagée des événements et du monde dans lequel la France évolue. Nous avons besoin de clarté sur les objectifs poursuivis par nos opérations. Barkhane se replie du Mali vers le Niger. Quel est l’objectif poursuivi par notre stationnement au Niger ? S’il s’agit, comme pour Barkhane, de l’éradication définitive des groupes armés, il est fort à craindre que nous rencontrions les mêmes difficultés qu’au Mali et que l’issue ne soit guère différente.

Plus largement, notre modèle d’armée est taillé, depuis la chute du mur de Berlin, pour être en capacité d’envoyer rapidement des corps expéditionnaires à l’autre bout du monde, ce que nous savons très bien faire. Depuis votre nomination, vous ne cessez de plaider pour en revenir à un modèle capable d’affronter un conflit de haute intensité. Comment les succès tactiques mais aussi l’échec stratégique de Barkhane, comment les retours d’expérience de la guerre au Haut-Karabagh et surtout les premiers retours d’expérience de la guerre en Ukraine influent-ils sur votre vision de l’armée de demain et sur ce que nous devrions faire pour nos armées dans ce monde changeant ?

M. Jean-Louis Thiériot. Mon général, la guerre en Ukraine a fait tomber certaines certitudes et renforcé des éléments d’analyses préalables. Hélas, beaucoup d’éléments figurant dans notre rapport fait avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité ont été largement confirmés. De la place d’acteur et d’observateur qui est la vôtre, quelle leçon tirez-vous d’ores et déjà de la guerre en Ukraine, au niveau tactique comme au niveau opératif ? Quelles conséquences en tirez-vous pour notre format d’armée ou sur les trous capacitaires à combler ?

Mme Isabelle Santiago. Le conflit en Ukraine est le point culminant de l’intensification des conflictualités au niveau mondial. Sur le territoire européen, l’inquiétude grandissait dès avant le démarrage du conflit. De nouvelles zones d’affrontement se dessinent, notamment dans les Balkans et dans l’Indo-Pacifique. Que vous inspire le rapprochement entre la Chine et la Russie à la faveur de la guerre en Ukraine ?

La montée des conflictualités, « gagner la guerre avant la guerre », ces sujets vont nous intéresser lors de l’actualisation de la LPM. Sommes-nous suffisamment dimensionnés pour mener l’ensemble des actions que vous avez déclinées, qu’il s’agisse de la lutte antiterrorisme au Sahel ou de notre présence sur le flanc est de l’Europe ? Compte tenu de l’inflation, le budget sera-t-il à la hauteur des enjeux ?

La boussole stratégique a été ratifiée par l’Europe. L’Allemagne annonce un effort budgétaire pour la défense de 100 milliards d’euros. Dans le prolongement du conflit ukrainien, quel sera le rôle de la France dans la défense européenne parmi des pays européens qui s’engagent très fortement ? Quel est l’état de vos discussions au sein de l’OTAN et de l’Europe ?

Mme Anne Le Hénanff. Général, vous avez évoqué les réserves, sans préciser lesquelles. On pense souvent aux réserves opérationnelles et moins à la réserve citoyenne. Comprenant souvent des gens dotés d’expertises, elle est, à mon sens, sous-exploitée. Quelle est votre feuille de route pour la réserve citoyenne ? Au côté du correspondant défense, présent dans les communes, lui-même un peu sous-utilisé, elle est à même de renforcer le lien armée-nation, d’être un levier d’unité nationale et un moyen de capter la jeunesse dans nos territoires en lien direct avec la mémoire, c’est-à-dire les associations d’anciens combattants. Quelle est l’ambition du chef d’état-major des armées et de ses équipes pour la réserve citoyenne et les correspondants défense ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Dans des pays comme Djibouti ou le Sénégal où des unités françaises sont stationnées, il est possible d’organiser des JDC pour les jeunes Français à l’étranger, mais sans forces pré-positionnées ou de présence, c’est évidemment plus compliqué. La phase Covid a rendu plus difficile l’envoi de missionnaires, mais les armées et le ministère ont bien la ferme volonté de maintenir le lien avec ces jeunes Français. Sur le territoire métropolitain, où les JDC avaient été interrompues, plus de neuf dixième du retard ont été rattrapés. Je vais regarder ce qu’il en est du dispositif à l’étranger.

Mme Anne Le Hénanff. Il faudrait convaincre le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et mettre en œuvre des moyens digitaux pour assurer ce lien essentiel.

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. L’amélioration du partage de l’expérience des militaires français ayant servi dans des états-majors de l’OTAN est prise en compte, afin que ces experts irriguent nos états-majors nationaux de leurs connaissances. Je pense par exemple à des cycles bien définis pour les militaires sortant d’un état-major de l’OTAN et revenant servir dans des états-majors comme le corps de réaction rapide-France (CRR-Fr), à Lille. Des parcours vertueux de ce type sont en place.

Le développement de notre capacité d’influence est un élément clé dont les armées ne sont qu’un des acteurs. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dont c’est la mission, est l’acteur principal. Je ne peux m’exprimer à sa place, mais un lien étroit est en cours de consolidation pour agir en coordination avec les ambassades des pays dans lesquels nous sommes engagés en opération, en particulier dans la bande sahélo-saharienne. Mieux définir et appliquer notre stratégie d’influence relève de la compétence des porte-paroles mais passe aussi par des contacts fréquents au plus haut niveau. Il s’agit d’une guerre en réseau ; un maximum de gens doit donc contribuer à cet effort. Ce n’est pas un domaine dans lequel on obtient des victoires décisives, mais il est important d’occuper intelligemment le terrain et d’utiliser tous les moyens à notre portée. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dispose de moyens puissants, puisqu’il est l’autorité de tutelle en matière de moyens de radiodiffusion et de télédiffusion. Cela est bien identifié, en particulier en Afrique où nous rencontrons quelques difficultés, parce que nous ne sommes pas les seuls et que nous faisons face à des adversaires très engagés et performants.

Concernant la stratégie indopacifique, qui n’est pas une stratégie militaire mais une stratégie nationale, il est sans-doute plus facile pour les Français de la comprendre que pour les autres Européens. La France est une nation de l’Indopacifique, 1,7 million de Français y résident, elle y occupe plus de 9 millions de kilomètres carrés et 7 500 militaires y sont déployés en permanence. Nous avons aussi beaucoup parlé de la Nouvelle-Calédonie, l’année dernière. Cela mérite probablement une attention supplémentaire mais comprendre l’importance de la zone indopacifique ne me paraît pas hors de portée pour les Français.

Le développement des patrouilleurs océaniques figurant dans la programmation militaire n’est pas complètement achevé, mais nous n’en sommes pas encore au stade de la rupture capacitaire. La dissuasion étant un domaine prioritaire, d’autres moyens assurent cette mission, ce qui n’est pas pleinement satisfaisant, puisque ceux-ci pourraient être utilisés autrement. Des choix et un calcul ont été faits en fonction des moyens dont on disposait, mais ce programme figure en haut de la liste des priorités.

Quant à la capacité à gérer l’évolution de la LPM au regard du PIB et de l’inflation, c’est vous qui détenez une partie de la réponse.

M. Frank Giletti. Nous répondrons favorablement !

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Vous qualifiez Barkhane d’échec stratégique, au regard de notre capacité à infliger sur le terrain des pertes à nos adversaires terroristes sans parvenir à régler la situation. Je conteste la notion d’échec. L’échec est le fait des autorités maliennes, ce qui cependant n’est pas satisfaisant pour nous. Les Français, mais également les forces de la mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et l’Union européenne, se sont engagées durant huit ans et ont subi des pertes. Le but était d’améliorer la situation sécuritaire afin de permettre aux autorités maliennes de trouver une solution politique. La solution militaire ne pouvait pas régler le problème malien. En huit ans, il n’y a pas eu un pas malien dans cette direction. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement n’est plus légitime et ne veut plus aller vers la phase de transition. Enfin la présence du groupe Wagner n’est pas compatible avec notre présence sur le sol malien. Cela a conduit le Président de la République à dire que la France entendait poursuivre prioritairement la lutte contre le terrorisme mais qu’elle n’était plus en situation de le faire à partir du Mali.

La nature de notre engagement au Niger est clairement différente de celle conduite au Mali. Au Mali, nous avons commencé par l’opération SERVAL, engagement direct des forces françaises pour rétablir la souveraineté des autorités maliennes. Durant huit ans, l’effectif de l’armée malienne est passé de 7 000 à 40 000 hommes ! C’est le résultat des actions de BARKHANE de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) et de la MINUSMA. Au Niger, notre engagement est uniquement calibré sur un appui des forces nigériennes. Le volume des forces est moindre comparé à ce qu’il était au Mali. Les unités nigériennes ont la main sur le curseur et planifient les opérations qu’elles veulent conduire. Nous nous engagerons dans la zone où elles décideront de s’engager. Si elles ne s’engagent pas, nous ne conduirons pas d’opération. La différence peut sembler ténue mais est d’importance. Le terrorisme ne sera vaincu que par les armées locales africaines. N’importe quel villageois au fond du Mali comprend qu’un terroriste restera toujours plus longtemps qu’un soldat français, danois, de l’ONU ou autre. Le seul fait que les militaires nigériens conduisent des opérations pour lesquelles nous n’intervenons qu’en appui inverse la perception de la population et son rapport aux terroristes.

De plus, les Nigériens sont très sourcilleux au sujet de leur souveraineté, et c’est très bien. Ils veulent avoir la maîtrise des forces qui seront déployées. On a écrit à tort qu’on transférait les unités françaises vers le Niger. Les unités qui sont au Niger sont celles souhaitées par les autorités nigériennes pour conduire les opérations. Actuellement, nous avons un seul groupement tactique interarmes (GTIA), équivalent d’un bataillon, soit un effectif très réduit par rapport à ceux présents au Mali. Nous allons basculer les unités, en particulier nos moyens de soutien santé, de Gao à Niamey, mais ce n’est qu’un changement de localisation, ce ne sont pas un ajout de forces Le soutien santé de nos opérations effectué jusqu’alors à partir de Gao le sera à partir de Niamey. De même, les hélicoptères qui opèrent à partir de Gao opéreront à partir de Niamey.

Une autre différence majeure, et cela ne vaut pas seulement pour le Niger, procède du constat du fort sentiment antifrançais en Afrique. Peut-être pas au point où on le présente parfois, mais il faut se garder du déni. Il n’est pas seulement développé par Wagner. Il est bien présent, et nous devons nous interroger sur ses motivations. Cela montre bien que l’Afrique a changé et qu’il faut faire évoluer la manière dont nous sommes présents. Mes homologues, qui sont à peu près de ma génération, me disent : « cela ne me gêne pas et je comprends la présence de la France en Afrique, mais mes enfants ne comprennent pas ». Et quand ils parlent de leurs enfants, ils parlent aussi de leurs officiers subalternes.

Au-delà de la manœuvre de ré-articulation, il convient de réfléchir à la modification de la présence française en Afrique, et pas seulement du point de vue militaire mais aussi au niveau interministériel et dans la manière dont on communique en Afrique. Cela ne sera pas facile, parce que nous avons nos habitudes. C’est d’autant plus difficile que si notre présence en Afrique a pu être naïve ou maladroite, elle n’a jamais été mal intentionnée. Écrire que l’armée française est en train de piller le Mali ou le Niger ne peut être le fait que de gens qui n’y sont jamais allés. Les Africains aussi devront changer leurs habitudes. Eux aussi ont un travail à faire sur eux-mêmes. Ils doivent être capables de faire évoluer leur communication. C’est à eux d’expliquer pourquoi l’armée française est présente. Eux peuvent avoir les bons mots pour cela et assumer le fait de demander à un pays occidental d’être là pour remplir des missions en appui de leurs actions. Le véritable défi est là. La ré-articulation est une action tactique ; mais la capacité à changer la manière dont nous sommes présents en Afrique est d’un ordre supérieur. Cela ne se fera pas en un claquement de doigts mais c’est une manœuvre décisive.

Vous dites que nous nous sommes transformés en corps expéditionnaires. Nous le faisons assez bien et en effet notre capacité à être une force expéditionnaire ne nous rend pas instantanément aptes à conduire une guerre de haute intensité. Le changement d’échelle et le recouvrement de capacités que nous avons éclipsées sont des défis. Il faudra conserver une capacité expéditionnaire ou de réaction rapide, parce que les crises en Afrique ne vont pas disparaître. Il faudra s’y engager de manière plus comptée et plus maîtrisée mais, face à des opérations de contestation nécessitant une grande réactivité, la capacité expéditionnaire aura toujours du prix.

M. Bastien Lachaud. Depuis longtemps, vous nous parlez de haute intensité, depuis longtemps, vous proposez des pistes. Les retours d’expérience du Haut-Karabagh et surtout de l’Ukraine vous ont-ils conduit à modifier certaines orientations ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Les conflits dans le Haut-Karabagh et l’Ukraine valident ce que nous envisagions. Nous avions une vision assez lucide de ce qui nous manquait. Je ne suis pas sûr que tout le monde comprenait bien ce qu’on voulait dire en parlant de ce qui nous manquait. Avec l’Ukraine, c’est devenu plus évident. Cela étant, il s’agit de deux types de conflits de haute intensité différents, et il ne faut jamais se focaliser à un seul type de conflit.

Concernant la guerre en Ukraine, je fais deux constats et je retiens trois enseignements.

Premier constat, nous sommes engagés – pas au sens strict en ce qui nous concerne mais un peu quand même – dans une guerre de longue haleine en Ukraine. Quand la Russie envahit l’Ukraine, en Europe, nous sommes nécessairement concernés. La Russie a développé une stratégie de long terme depuis plusieurs, voire quelques dizaines d’années. Elle a reconstruit son armée dans le domaine capacitaire. Elle a développé des armes nouvelles comme les missiles hypersoniques et les torpilles nucléaires, qui nous posent certains problèmes. Elle a développé sa stratégie de long terme en matière économique et énergétique en se préparant à fonctionner isolément. Elle a structuré la pensée de sa population, remettant en avant depuis plusieurs années, le modèle de la guerre patriotique.

Face à cette stratégie de long terme, nous devons comprendre que nous resterons en compétition avec la Russie, laquelle ne disparaîtra pas. Ce pays, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, possède plusieurs milliers de têtes nucléaires et s’étend sur onze fuseaux horaires. La Russie sera toujours là, quelle que soit la manière dont la guerre se terminera en Ukraine.

Ensuite, le premier enseignement est l’importance des forces morales. L’armée ukrainienne donne un exemple époustouflant de force morale et de capacité de résistance. Je ne suis pas sûr que beaucoup parmi nous auraient prédit que, quatre mois après le début de l’offensive, l’Ukraine résisterait toujours à la Russie. Toutefois, la force morale ne se décrète pas. L’Ukraine s’est préparée, elle a consolidé ses forces morales, et pas seulement dans les armées. Les forces morales de l’armée ukrainienne procèdent directement du renforcement de la cohésion nationale. Si des soldats ukrainiens meurent pour défendre chaque village, chaque forêt, chaque rivière, c’est parce que derrière chaque village, chaque forêt, chaque rivière, des Ukrainiens soutiennent leurs soldats. On en mesure bien l’effet sur l’efficacité opérationnelle.

Le deuxième enseignement, c’est l’importance du champ informationnel. Là aussi, l’Ukraine a remarquablement joué. Elle s’est bien préparée en structurant sa capacité d’influence jusqu’au plus bas échelon sur les principes de subsidiarité et de souplesse. Objectivement, elle a gagné la guerre du narratif sur le champ de bataille et probablement en Europe. C’est sans doute moins vrai dans le reste du monde où la Russie semble convaincre par son narratif de niveau stratégique. 53 % des pays n’ont ainsi pas condamné son attaque.

Le troisième enseignement, c’est la nécessité de s’entraîner pour la guerre de haute intensité. La Russie a reconstruit son armée mais elle a probablement mal estimé et trop peu investi dans la part nécessaire à l’entraînement. Durant les deux premières phases de la guerre, on a vu une armée russe en grande difficulté en matière de combat interarmes et de soutien logistique dans les derniers kilomètres. J’ai déjà souligné l’importance de l’entraînement, notion assez abstraite. De quoi s’agit-il ? Combien ça coûte ? Pourquoi ça coûte autant ? Pourquoi ça prend du temps ? Un soldat entraîné n’est pas de couleur verte et un autre, non entraîné, rouge. Cela ne se voit pas beaucoup, mais sur le champ de bataille, le défaut d’entraînement coûte toujours très cher.

Enfin, dernier constat, l’armée russe, à l’image de sa société, est l’armée du mensonge : des chefs ont menti à leurs supérieurs, des chefs ont menti à leurs subordonnés et des chefs se sont menti à eux-mêmes. Dans le métier des armes, mentir coûte cher. Je ne connais cependant pas de vaccin contre le mensonge. Il n’y a pas de petits mensonges. On exécute les ordres reçus et on rend compte à ses supérieurs. On doit apprendre aux gens à ne pas mentir et les chefs doivent accepter que les gens leur disent la vérité.

S’agissant des nouvelles zones de conflit, les Russes agissent là où on ne les attendait pas. Ils n’ont pas joué de guerre hybride. On n’a pas observé à ce stade d’action dans les Balkans ou en Transnistrie, où des minorités auraient pu être agitées. En revanche, dans la zone indopacifique, un fait est passé bizarrement inaperçu. Vingt jours avant le début du conflit, la Russie et la Chine ont signé, de manière officielle, une déclaration commune sur les relations internationales. Il s’agissait dans les faits d’un accord de non-agression entre les deux pays qui s’est immédiatement traduit par le désengagement de forces russes dans des districts militaires de l’est, lesquelles ont été transportées par train depuis l’Extrême-Orient russe vers le champ de bataille.

L’armée française peut-elle à la fois gérer des opérations en Afrique et un conflit majeur de haute intensité ? Plus aucun pays n’est capable d’agir seul. Dans la haute intensité, on privilégie la défense collective. C’est la raison d’être d’alliance comme l’Union européenne ou l’OTAN et c’est bien dans ce cadre que l’on doit assurer notre défense. En Afrique, nous devons maîtriser davantage le cadre de nos interventions. Il n’est plus souhaitable de poursuivre des opérations durant huit ans. Il faut repenser la présence de la France en Afrique et le faire avec d’autres pays européens. Il y a quatre ou cinq ans, on n’imaginait pas le Danemark et l’Estonie prendre une part de responsabilité dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. Or ces pays se sont engagés au sein de la task force TAKUBA.

Comme pour tout le monde, l’inflation va peser assez lourd sur le budget des Armées. Je n’ai pas de solution. Il faudra le prendre en compte.

La réserve joue un rôle important, elle sert de réservoir de masse et d’expertise à nos armées. Il existe différents niveaux d’emploi de la réserve citoyenne, réserve de pur volontariat et de bénévolat, et chaque armée ne l’utilise d’ailleurs pas de la même manière. Certaines l’utilisent de manière très répartie sur le territoire, parce qu’elles-mêmes le sont. D’autres, plus concentrées la considèrent comme une réserve de haut niveau en région parisienne. Il n’y a pas un plan d’action, mais on doit mieux mobiliser et surtout mieux informer nos réservistes citoyens sur ce qu’on attend d’eux, c’est-à-dire partager nos messages, les éléments sur lesquels on veut avancer. La réserve citoyenne présente la particularité d’être très diverse. Tout le monde ne vient pas y chercher la même chose. Il faut l’utiliser comme cela. Je ne vois pas la réserve citoyenne se mettre en marche d’un seul bloc dans la même direction. Il faut utiliser les gens en fonction de leurs compétences et de leur appétence. Probablement insuffisamment employée, cette réserve fonctionne plutôt bien.

M. Jean-Michel Jacques. Vous avez décrit les enseignements de la guerre en Ukraine et insisté sur l’entraînement. Cela m’incline à penser que l’armée française présente trois caractéristiques précieuses à cultiver : la subsidiarité, l’autonomie et la singularité. Dans la première partie de la guerre, on a vu beaucoup de forces russes désorganisées après que leurs chefs étaient tombés au combat, parce que, par culture, leur armée est organisée différemment de l’armée française. Comment sanctuariser la plus-value des trois principes de l’armée française ? La société moderne où prévalent le principe de précaution et la tentation de civiliser les fonctionnaires en uniforme ne présente-t-elle pas un risque pour nos armées et la singularité militaire ?

M. Aurélien Saintoul. Au moment nous subissons une nouvelle canicule, existe-t-il un document de référence sur la préparation de nos forces à la crise écologique globale ? Nos infrastructures vont connaître des chocs. Est-on prêt et à quelle échelle ?

Alors que se profile nouvelle loi de programmation militaire, estimez-vous opportune la rédaction d’un livre blanc, laquelle n’avait pas été jugée nécessaire pour la précédente. Un consensus s’exprime sur la mutation des menaces.

L’exercice ORION de préparation à la haute intensité est en cours. La guerre en Ukraine et la mobilisation de nos forces pèsent-elles sur la réalisation de cet exercice ?

Nous avons vécu, ces dernières années, un certain flottement sur le SNU, sa militarité et la part que les armées devaient prendre dans son organisation. Vous connaissez la position de La France insoumise sur le sujet. Nous verrons quelle orientation le Gouvernement voudra lui donner. Apparemment, les armées vont devoir prendre leur part. Cela n’est-il pas de nature à obérer certains efforts vers la haute intensité ?

M. Frank Giletti. Jusqu’à présent, la guerre en Ukraine s’est limitée au territoire ukrainien, montrant que la dissuasion nucléaire a permis d’empêcher une escalade et un débordement vers un pays de l’OTAN, voire vers la Russie. C’est peut-être un sixième enseignement à tirer de cette guerre. Or le traité d’interdiction des armes nucléaires vise à remettre en cause la légitimité de la possession de l’arme nucléaire pour les États dotés selon le traité antérieur. Quelle est votre appréciation sur la dissuasion nucléaire française et son rôle au sein de l’Union européenne ? Le Parlement doit-il réaffirmer le principe de la dissuasion nucléaire et sa légitimité établie dans le cadre du traité de non-prolifération ?

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Les atouts de l’armée française en matière d’organisation de la subsidiarité et d’économie des forces sont précieux. Ils reposent sur l’effort de formation de nos cadres, à tous les niveaux, du caporal au colonel, du quartier-maître au capitaine de vaisseau, tout au long de leur carrière. Dans le commandement, on doit favoriser l’application de la subsidiarité, préparer les gens à prendre des initiatives et donc accepter que celui qui prend des initiatives puisse se tromper. S’il s’est trompé, c’est qu’il a pris une décision, qu’il a agi. S’il n’avait rien fait, il ne se serait pas trompé, mais il n’aurait pas rempli la mission. Ce constat basique mais déterminant est emblématique de la capacité d’une armée à produire des effets sur le terrain.

Sans parler de risque de « civilianisation » des armées, je constate qu’un écart se creuse entre le mode de vie d’un militaire, astreint à des sujétions dans sa vie de tous les jours, et le mode de vie d’un civil. Pour les armées, le défi est de ne pas abaisser le niveau de sujétion, car ces impératifs que le statut nous impose, en particulier l’exigence de disponibilité, sont indispensables pour nous permettre de remplir notre mission. La singularité militaire, c’est d’abord son rapport au temps. Il est disponible et en tout temps, à la différence d’un citoyen ordinaire.

Des entreprises ont expérimenté des semaines de quatre jours, estimant que le personnel était aussi efficace qu’en travaillant cinq jours, sans qu’il soit besoin d’embauche supplémentaire. Bien entendu, cela ne peut pas fonctionner dans les armées. Je dois, comme vous, prendre soin des militaires pour que, d’ici à cinq, dix ou quinze ans, on soit encore capable de recruter de jeunes Français et de jeunes Françaises acceptant de vivre de manière différente en s’engageant pour défendre leur pays. Baisser le niveau de sujétion risquerait de créer une armée qui n’en serait plus une, ce qui reviendrait à gaspiller les ressources qu’on y consacre. Le jour où il le faudrait, ces gens ne seraient pas prêts, n'auraient pas les qualités requises pour s’engager en opération. Il faut veiller à créer les conditions pour continuer d’attirer et fidéliser des jeunes Françaises et de jeunes Français volontaires. Le niveau de sujétion doit rester supportable et l’environnement qu’on leur fournit doit leur permettre de rester. Parmi les propositions envisagées figure la prise en compte des familles, car les sujétions pèsent moins sur les militaires eux-mêmes, qui en comprennent le sens, que sur leurs familles. Un militaire part rarement parce qu’il ne veut plus faire son métier, mais pour tenir compte des aspirations de sa famille.

Existe-t-il une documentation sur le changement climatique et le développement durable ? Les armées concourent directement aux dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU couvrant les dimensions environnementale, économique et sociétale. En novembre 2020, une Stratégie de développement durable a été adoptée par les armées. À l’état-major des Armées, un officier général en charge du développement durable décline ces objectifs aux différents niveaux. La réduction de l’empreinte de nos activités ne doit pas nuire aux capacités opérationnelles actuelles et futures mais nous participons directement aux stratégies de la direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE) sur la biodiversité. En outre, 80 % du domaine foncier des armées, soit 200 000 hectares, est protégé et classé. Les armées sont assez proches de la nature. Les militaires vivent sur le terrain. Nos camps sont des sortes de zones protégées.

De manière plus stratégique, on voit bien que le dérèglement climatique est un facteur de crise, des zones y étant plus sujettes que d’autres, ce qui est pris en compte dans la planification.

Dans le domaine capacitaire, les développements incluent systématiquement la prise en compte des nouvelles technologies, en particulier dans le domaine de la propulsion. La propulsion électrique est intéressante mais le problème du rechargement sur le terrain n’est pas totalement résolu. L’agence de l’innovation de défense (AID) a travaillé sur des scénarios de rupture pour le futur en prenant en compte la dépendance à l’électricité qui va devenir vitale.

Alors que LPM se profile, faut-il un livre blanc ? Ce n’est pas à moi d’en décider. On ne saurait être totalement surpris par la situation stratégique, dont l’évolution de fond est perceptible depuis longtemps, mais il y a eu le passage à l’acte de la Russie. Dans les faits, cela va certes un peu plus vite que prévu mais la tendance était bien prise en compte. À ce titre, je ne suis pas sûr qu’il y ait un besoin de réécriture. Un ajustement est néanmoins sans doute à opérer pour assurer la plus large prise en compte des problématiques.

ORION, lancé début 2020, soit antérieurement à la crise ukrainienne, se veut un exercice de préparation à la haute intensité. Il prend en compte le changement d’échelle, puisqu’il est de niveau division, alors qu’on travaillait plutôt sur des exercices de niveau bataillon. Dans le domaine de la préparation opérationnelle, nous l’avons également complété par des exercices d’état-major de niveau corps d’armée. Ce qui se passe en Ukraine donne évidemment des idées à ceux qui définissent les thèmes de l’exercice.

Le SNU s’articule autour de la jeunesse. Les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. Elles s’y sont toujours intéressées. Il y a par exemple le service militaire adapté (SMA) et le service militaire volontaire (SMV) qui, à mon sens, ne peuvent être considérés comme des instruments de militarisation de la jeunesse, car le terme militaire renvoie plus au style d’encadrement qu’au contenu des activités. Or, il y a dans le SMA et le SMV une implication de l’armée beaucoup plus forte que celle prévue dans le SNU sans que cela ne se traduise par une militarisation. De même, je ne vois pas de militarisation dans les classes de défense et sécurité globale organisées en coopération par des professeurs de l’Éducation nationale, qui peuvent rechercher le concours des armées, d’unités militaires pour des témoignages et d’autres activités.

En tant que citoyen, je considère que la jeunesse, qui est l’avenir de notre pays, mérite qu’on s’y intéresse. En tant que militaire, je pense que les armées ont quelque chose à lui apporter. En parlant de cohésion nationale, je ne pense pas : « Engagez-vous ! ». Recruter des jeunes Françaises et de jeunes Français est certes essentiel, mais en matière de force morale, la cohésion nationale est d’un ordre encore supérieur. « Engagez-vous ! » concerne une faible partie des Françaises et des Français, tandis que la cohésion nationale concerne tout le monde. Le SNU est conforme à cette approche globale qui permettra de toucher toute une classe d’âge. En effet, la surface de contact entre les armées et la population civile est très restreinte. Au total, tous les efforts consentis par les armées dans le cadre du SNV, du SMA, des classes de défense et sécurité globale et des préparations militaires touchent environ 40 000 jeunes par an, sur une classe d’âge de 800 000.

Donner une coloration trop militaire au SNU ne donnerait pas les résultats escomptés et ce n’est pas ce que souhaitent les armées.

Je constate que la dissuasion fonctionne. Elle exige des certitudes. La dissuasion est vivante, puisque tous les cas sont différents, et elle s’est adaptée à ce cas de figure. Vous évoquez la dissuasion française et l’Europe. Dans son discours du 7 février 2020, le Président de la République déclarait : « nos forces nucléaires renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et, à cet égard, ont une dimension authentiquement européenne ». Ces paroles s’adressaient aux pays européens, et la dissuasion, c’est un homme, le Président de la République.

Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires affaiblit le processus de désarmement de l’ONU (TNP), auquel nous participons. Il y a deux voies divergentes. Le traité sur la non-prolifération est très important. Soyons attentifs à la capacité de déstabilisation qui pourrait en résulter et à nos préoccupations vis-à-vis de l’Iran.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Merci beaucoup, mon général, pour vos réponses et ces échanges très précieux.

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La séance est levée à dix-sept heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Jean-Michel Jacques, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Lysiane Métayer, Mme Natalia Pouzyreff, M. Julien Rancoule, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, M. David Habib, M. Loïc Kervran, Mme Delphine Lingemann, M. Olivier Marleix, Mme Michèle Martinez, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. François Piquemal, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre