Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

         Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Boone, secrétaire d’Etat chargée de l’Europe.  2

         Information relative à la commission.................25

 


Lundi
25 juillet 2022

Séance de 20 h 00

Compte rendu n° 6

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 20 h 05

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition de Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe.

Madame la secrétaire d’État, nous avons souhaité vous entendre dès que possible sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), même si cela peut sembler un peu paradoxal, dès lors que c’est Clément Beaune qui, en pratique, s’en est occupé. Il aurait certainement eu à évoquer de nombreuses choses dont, par définition, vous ne pourrez pas nous parler. Toutefois, vous avez une vue cavalière, qui permet de voir de plus haut, plus loin et plus globalement. Nommée il y a quelques semaines, vous avez pu embrasser tous les dossiers dont vous êtes chargée. Je ne doute pas que l’analyse que vous nous présenterez, pour ne pas être exactement la même que celle qu’aurait faite M. Beaune, ne sera pas d’un moindre intérêt. Elle nous permettra, s’agissant d’actions européennes qui présentent toujours un caractère un peu émietté, de saisir la PFUE dans son ensemble.

Permettez-moi – j’aurais dû commencer par là – de vous féliciter de votre nomination à une fonction prestigieuse, dont je dois dire, vous connaissant depuis de longues années, qu’elle m’a personnellement fait plaisir. Lorsque vous étiez à l’Élysée aux côtés du président Hollande, pour suivre des problèmes absolument essentiels, notamment l’épineux dossier grec, vous aviez – sur les conseils, me semble-t-il, du secrétaire général de l’Élysée de l’époque, Jean-Pierre Jouyet –, souhaité me rencontrer. Nous avons eu un échange sur les problèmes européens d’alors, que j’ai jugé tout à fait intéressant. Vous avez développé une approche et une connaissance des grands enjeux européens qui m’autorisent à dire que vous êtes tout à fait à votre place là où vous êtes actuellement.

Vous avez également exercé des fonctions dans différentes sociétés, dont AXA, où vous aviez succédé à Éric Chaney en tant que cheffe économiste. Vous avez ensuite assumé des fonctions tout à fait éminentes à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où vous étiez également cheffe économiste. Nous vous avions auditionnée à ce titre, à l’invitation de Marielle de Sarnez. Vous nous aviez exposé, de façon claire et convaincante, les données, ainsi que les tenants et les aboutissants, de la situation économique d’alors.

Votre carrière vous place à la conjonction du public et du privé, et surtout à la conjonction de la construction européenne et de la réflexion économique. Or de grands enjeux économiques sont actuellement sur la table, par-delà les enjeux géopolitiques majeurs que sont la guerre en Ukraine et le train de conséquences qu’elle entraîne : la remontée de l’inflation – et Dieu sait à quel point la situation est tendue –, les incertitudes liées au comportement des banques centrales, l’exigence de combiner le développement de la croissance, le contrôle des prix et une discipline budgétaire difficile à maintenir mais nécessaire, tout cela dans un cadre européen très fragile et fragilisé davantage encore, ces derniers jours, par la crise, que nous sommes nombreux ici à regretter, affectant la vie politique italienne et mettant un terme au gouvernement, pourtant à bien des égards très remarquable, de M. Draghi.

Madame la secrétaire d’État, vous êtes très bien placée, en raison de votre carrière, de votre engagement personnel au service de la construction européenne et de la qualité de vos contributions intellectuelles, pour nous parler non d’amour mais d’Europe, ce qui est presque la même chose.

Parler de la PFUE est très difficile, car les sujets sont fort divers – or nous avons soif de cohérence. En outre, la présidence du Conseil de l’Union européenne ne correspond jamais à ce qu’on attendait. Lorsque j’ai été élu député européen en 1989, la France exerçait cette présidence et, soudain, la moitié de l’Europe s’est libérée du joug soviétique – c’était aussi impressionnant qu’inattendu, et c’est tombé dans l’escarcelle de la présidence française. Quelques années plus tard, alors qu’on attendait M. Balladur, on a eu M. Chirac. Puis, sous la présidence de M. Sarkozy, nous avons eu la guerre en Géorgie. Il y a toujours de l’inattendu. Avec l’invasion de l’Ukraine, nous avons été servis.

J’ignore par quel bout vous prendrez l’affaire. En tout cas, nous n’attendons pas que vous nous parliez simplement du passé, si important que soit le bilan de la PFUE, mais aussi des grands enjeux de demain, notamment les conséquences de la guerre en Ukraine, la façon d’aborder les problèmes liés à l’inflation, l’évolution du dossier énergétique et en particulier la question du prélèvement carbone aux frontières, les enjeux institutionnels, la défense des droits, qui se heurte à des difficultés considérables, et l’élargissement aux Balkans ainsi qu’à l’Ukraine. Tout cela, c’est l’avenir.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le président, je vous remercie sincèrement pour votre propos liminaire et votre invitation. Permettez-moi également de vous féliciter de votre élection.

Chacun ici connaît l’investissement qui a été le vôtre, et celui de nombreux députés ici présents, pour faire vivre la PFUE. Tous, vous avez œuvré pour la coopération interparlementaire, qui a joué un rôle décisif dans l’avancement de nos dossiers communs. Vous avez, comme toujours, apporté un éclairage précieux au débat public.

Je sais que l’ordre du jour de la présente session extraordinaire est dense. J’ai bien volontiers répondu à l’invitation de la commission des affaires européennes et à celle de votre commission car il importe, me semble-t-il, que nous puissions échanger avant la déclaration du Gouvernement sur le bilan de la PFUE, suivie d’un débat, qui est prévue jeudi 28 juillet dans l’hémicycle. Je suis, bien entendu, à votre disposition.

La PFUE a été saluée sur l’ensemble du continent. À Bruxelles la semaine dernière, à Prague la semaine précédente, j’ai été très impressionnée par la reconnaissance qu’elle inspire. C’est avant tout une réussite collective, qui est aussi la vôtre.

Je commencerai par évoquer les deux éléments structurants de la PFUE qu’ont été la guerre en Ukraine et l’agenda de souveraineté, avant de parler de la suite, sous la présidence tchèque, et de ce qui reste à faire, qui est considérable.

S’agissant de la guerre en Ukraine, déclenchée le 24 février dernier, c’est l’honneur de la France d’avoir tout fait pour essayer d’éviter ce drame, dont nous mesurons aujourd’hui ce qu’il nous coûte, et d’avoir su mobiliser ses partenaires européens pour y répondre. Nous l’avons fait d’abord à l’échelle nationale. La France a pris toutes ses responsabilités pour soutenir l’Ukraine dans cette guerre d’agression, qui lui a été imposée et qu’elle doit gagner. À la présidence du Conseil de l’UE, la France a aussi été au rendez-vous pour répondre à l’agression de la Russie. Les sanctions prises sont sans précédent, tant par leur ampleur que par la rapidité avec laquelle elles ont été adoptées. En tout, six paquets de sanctions ont été décidés, dans l’objectif clair d’empêcher le président Poutine de poursuivre la guerre lancée le 24 février. La semaine dernière, les vingt-sept ministres réunis au sein du Conseil des affaires étrangères se sont mis d’accord sur un nouveau paquet de sanctions, qui vise à maintenir et à harmoniser les précédentes, augmentées de sanctions sur l’or.

Par ailleurs, l’UE a accompli une grande avancée et brisé un tabou majeur en finançant des armements, y compris létaux, qui sont nécessaires à l’Ukraine pour se défendre. Le 18 juillet, le Conseil des affaires étrangères a adopté une cinquième tranche de 500 millions d’euros, ce qui porte à 2,5 milliards le montant total du soutien de l’UE.

Outre une aide militaire, l’UE a fourni une aide humanitaire en accueillant des millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes chassés par le conflit. Dès le 27 février, soit trois jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les vingt-sept États membres, dans le cadre d’un Conseil extraordinaire Justice et affaires intérieures, ont décidé à l’unanimité d’activer, pour les réfugiés ukrainiens, le dispositif de protection temporaire. À l’heure actuelle, 3,8 millions d’Ukrainiens bénéficient de ce statut.

L’UE a aussi fourni une aide alimentaire, en ouvrant des voies de solidarité pour évacuer, par les territoires de l’UE, autant de céréales ukrainiennes que possible. En juin, plus de 2,4 millions de tonnes de céréales ont été exportées, principalement via la Roumanie. Ce chiffre est inférieur à celui des exportations de l’Ukraine avant-guerre, mais il est significatif. Je n’ignore pas les développements survenus ce week-end. Bien entendu, nous souhaitons que l’accord conclu vendredi 22 juillet sous l’égide de l’ONU soit respecté, afin que reprennent les exportations de céréales dont tant de pays, notamment de l’autre côté de la Méditerranée, ont besoin.

Le plus impressionnant, du point de vue politique, est la capacité de tirer les conséquences de la guerre dont l’UE a fait preuve pour se projeter et devenir plus forte, plus souveraine et plus autonome. Lors d’une conférence interparlementaire au Sénat, vous avez, Monsieur le président, prononcé ces mots très forts, qui doivent orienter nos actions à l’avenir : « Nous sommes unis. Il nous reste à être forts. […] Si nous ne réagissons pas, le XXIe siècle se fera sans nous ». Nul ici n’en doute, me semble-t-il : les Européens ont su réagir, non seulement par les actions immédiates que je viens de rappeler mais également de façon stratégique, et ce dans trois domaines.

En matière énergétique, les chefs d’État et de gouvernement réunis au sommet de Versailles sont convenus de travailler à sortir d’urgence de notre dépendance au pétrole et au gaz russes. L’objectif est de réduire de deux-tiers la consommation de gaz russe d’ici à la fin de l’année. Cette première évolution tend à corriger la naïveté dont nous avons pu faire preuve dans nos rapports avec la Russie. Dans ce conflit, la première et principale arme de Vladimir Poutine est notre dépendance à l’énergie qu’il nous fournit.

Une autre décision a été prise au sommet de Versailles : remédier d’urgence au sous-investissement des Européens dans leur défense. Lorsque j’étais conseillère à l’Élysée, il y a cinq ans seulement, l’Europe de la défense était impensable. Aujourd’hui, nous nous apprêtons à adopter un instrument européen doté d’un fonds d’urgence de près de 500 millions d’euros qui permettra aux États membres de reconstituer leurs stocks, grâce à un mécanisme d’approvisionnement conjoint. Ainsi, les petits pays pourront acheter des armes et des munitions pour remplacer celles qu’ils ont cédées à l’Ukraine. À plus long terme, nous voulons mettre en œuvre un programme d’investissement européen pérenne.

La troisième évolution stratégique façonnera l’Europe dans laquelle nous avançons : à Versailles, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé d’approfondir leur vision stratégique de notre voisinage. Ils ont ainsi choisi, à l’unanimité, lors du Conseil européen de juin, d’accorder à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l’UE, et à la Géorgie une perspective européenne. Il ne s’agit pas d’une porte ouverte à une adhésion rapide. Cette décision, certes historique, inaugure un parcours long et exigeant. L’Ukraine devra suivre une feuille de route très claire en matière de réformes. Nous serons là pour l’accompagner. Il y va de l’intérêt de ce pays et du nôtre.

Par ailleurs, plus déterminée que jamais à ouvrir sans tarder des négociations d’adhésion avec Skopje et Tirana, la France a présenté le 30 juin, dans les dernières heures de son semestre de présidence, une proposition de compromis permettant de résoudre les dernières questions en suspens entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. Cette mobilisation de la France a porté ses fruits : le 17 juillet, les gouvernements bulgare et macédonien ont signé à Sofia un protocole bilatéral visant à la mise en œuvre du traité d’amitié de 2017. Mardi dernier, j’ai eu l’honneur de participer aux premières conférences intergouvernementales organisées avec la Macédoine du Nord et l’Albanie.

Cette vision stratégique englobe les Balkans occidentaux, auxquels vous êtes nombreux à porter intérêt, à juste titre, dès lors que cette région fait partie, géographiquement, historiquement et culturellement, de l’Europe. Il est du devoir et de l’intérêt de l’UE de redoubler d’efforts en vue d’assurer son ancrage européen.

On ne dira jamais assez à quel point il importe d’œuvrer pour que ces pays ne soient pas rattrapés par l’Histoire et pour que leur instabilité ne soit pas exploitée par la Russie, ce qui a été une priorité de notre présidence du Conseil de l’UE et doit l’être pour les suivantes. La réunion des dirigeants de l’UE et des Balkans occidentaux du 23 juin dernier, qui s’est tenue à l’initiative de la France, a permis d’avoir une vraie discussion sur la perspective européenne de ces États, envers laquelle l’UE a un attachement total et sans équivoque. Par ailleurs, le Conseil européen est convenu de revenir rapidement sur la question de l’octroi du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine.

S’agissant de l’avenir, j’aimerais aussi évoquer la communauté politique européenne (CPE). Ni la perspective d’une adhésion à l’UE, ni l’ouverture de négociations d’adhésion ne relèvent le défi consistant à arrimer à l’UE les pays concernés. Le processus est très long et semé d’embûches. La nouvelle méthode qui est suivie rend même possible un retour en arrière. Telle est la raison principale pour laquelle le Président de la République a proposé de créer la CPE.

Il s’agira d’un forum au sein duquel nous pourrons renforcer l’appui aux réformes et les coopérations non seulement avec les pays candidats, mais aussi avec les pays limitrophes, le tout sur un pied d’égalité. L’idée n’est pas de transférer un acquis mais de mener des coopérations d’égal à égal et de remédier à l’absence d’une enceinte de dialogue à l’échelle de l’ensemble de l’Europe. Les questions relatives à la sécurité, au changement climatique, aux approvisionnements énergétiques, à la mobilité, voire à certains segments du marché intérieur pourront être abordées dans ce cadre. Les pays voisins de l’UE devront obtenir des bénéfices tangibles au fur et à mesure des discussions, au lieu de se heurter à des difficultés pendant dix ans.

La CPE n’est ni une solution alternative à l’élargissement, ni une duplication des organisations existantes, ni une complexification institutionnelle, puisque cette communauté respectera l’autonomie de l’UE, tout en offrant une plus-value et en permettant d’arrimer des pays. La première réunion se tiendra à Prague les 6 et 7 octobre, sous présidence tchèque.

J’en viens à l’agenda de souveraineté, qui a d’emblée été un axe fondamental de la PFUE. Il s’agissait de renforcer la souveraineté de l’Union européenne en ce qui concerne la transition écologique, le numérique, la défense, la politique commerciale, la politique industrielle, l’espace Schengen et les migrations mais aussi la politique sociale.

En matière de transition écologique, les États membres ont adopté le 28 juin une formidable avancée concernant le paquet « Ajustement à l’objectif 55 », qui nous permettra d’atteindre d’ici à 2030 l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE par rapport à leur niveau en 1990.

Pour ce qui est du numérique, nous avons franchi un grand pas, unique au monde, avec l’adoption du règlement sur les marchés numériques, dit DMA, et du règlement sur les services numériques, le DSA. Il s’agit de limiter les pouvoirs monopolistiques des géants du numérique, de permettre à des entreprises européennes de se développer sur ces marchés et d’accroître le pouvoir de vigilance des utilisateurs, tout en responsabilisant les entreprises au sujet des informations qu’elles véhiculent.

Dans le domaine de la défense, nous avons fait adopter la Boussole stratégique. Ce premier Livre blanc sur la défense européenne constitue une étape pour l’UE. Il fixe des objectifs de court terme, relatifs à la guerre en Ukraine, et des objectifs de moyen terme en matière de moyens, d’industrie et d’articulation avec l’OTAN. L’UE apprend le langage de la puissance, ce qui lui permettra de peser dans les conflits en tant qu’acteur international.

En matière de commerce, mais aussi d’énergie, nous avons mis un terme à la naïveté dont l’UE a jadis fait preuve, grâce à des instruments visant à établir une réciprocité avec nos grands partenaires, s’agissant notamment de l’accès aux marchés publics, et grâce à la taxe carbone aux frontières, qui tend à faire adopter par des pays tiers des politiques de transition énergétique aussi ambitieuses que celle de l’UE.

Sur le plan industriel, l’UE a vraiment pris conscience de la nécessité de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur et de renforcer ses capacités. Trop longtemps, la politique industrielle a été négligée, voire un peu méprisée. Tel n’est plus le cas, comme le prouvent les premiers succès de l’alliance européenne pour les batteries et les programmes paneuropéens en cours dans des domaines stratégiques tels que l’hydrogène, les semi-conducteurs, le cloud et la santé.

La protection de nos frontières, l’espace Schengen et la politique en matière de migrations sont aussi des éléments importants de notre souveraineté. Nous avons obtenu des avancées majeures permettant de résorber des points de blocage anciens. Un accord a ainsi été trouvé au Conseil de l’UE pour renforcer l’espace Schengen et lui donner un pilotage politique. Par ailleurs, nous avons franchi une première étape en ce qui concerne le pacte sur la migration et l’asile, qui reposera sur deux piliers, la responsabilité et la solidarité. Compte tenu des blocages en la matière, il s’agit d’une avancée significative.

S’agissant de la politique sociale, qui est l’une des ancres de l’UE et l’une des sources de son attractivité, nous sommes parvenus à un accord sur une directive relative aux salaires minimaux, en dépit de la diversité des cadres nationaux dans ce domaine. Par ailleurs, je suis très fière, spécialement en tant que femme, que notre pays ait pu faire adopter, après dix ans de blocage, une directive sur la participation des femmes au sein des conseils d’administration, ce qui est d’autant plus important à l’heure où l’égalité entre les femmes et les hommes régresse de manière inquiétante dans de nombreux pays. Dans ce contexte, le Président de la République a également défendu devant le Parlement européen, le 19 janvier, l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

J’en viens à la politique étrangère, qui complète l’agenda de souveraineté. Il est important que l’Union européenne ait une politique étrangère. La vie internationale a bien changé. Elle est devenue chaotique, voire dangereuse. La France a donc entamé un renouvellement de nos partenariats avec les grandes régions du monde, dont dépend notre avenir, au premier rang desquelles l’Afrique. Lors du sommet Union européenne – Union africaine des 17 et 18 février, nous avons procédé à une refondation du partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne, autour des questions économiques, de la formation et de la jeunesse. Quant à la région indo-pacifique, elle est vitale non seulement pour nos exportations et nos approvisionnements mais aussi en matière militaire et de numérique, en raison de la montée en puissance de la Chine.

Les partenariats transatlantiques sont également importants. Il sera difficile de relever les défis écologiques, numériques et internationaux sans coopération entre l’Europe et les États-Unis. Or nous savons, pour l’avoir vécu en 2017, que la politique américaine peut être fragile et volatile. Il importe donc que nous construisions avec les États-Unis une relation suffisamment solide et équilibrée pour résister à d’éventuelles nouvelles turbulences. Nous pouvons nous féliciter des avancées concernant l’articulation entre l’UE et l’OTAN que constituent les demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, ainsi que le renoncement du Danemark à son opt-out à l’égard de la politique de sécurité et de défense commune.

La présidence tchèque puis la présidence suédoise devraient s’inscrire dans la continuité de ce qui a déjà été fait.

Le conseil des ministres européens de l’énergie étudiera demain comment assurer la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne, par le stockage, la réduction de la consommation d’énergie et un plan de solidarité. C’est d’autant plus crucial et urgent que la Russie a de nouveau réduit ses exportations de gaz. Les discussions en trilogue sur le paquet relatif à la réduction de 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre le seront tout autant. Enfin, la présidence tchèque poursuivra les travaux visant à réduire notre dépendance industrielle s’agissant des semi-conducteurs et des matières premières critiques.

Notre présidence avait suscité beaucoup d’attentes concernant les valeurs et l’État de droit. Des discussions seront menées non seulement sur certains pays mais aussi pour améliorer des instruments existants, notamment le régime de conditionnalité et les instruments garantissant la protection et la sécurité des journalistes – ce sont des aspects très importants pour le débat démocratique.

Enfin, la Conférence sur l’avenir de l’Europe a été le premier exercice de participation des citoyens à l’écriture du futur de l’Union. Les propositions du rapport publié le 9 mai doivent trouver des traductions concrètes. Un événement de restitution sera organisé à l’automne. Dans leur grande majorité, ces propositions ne nécessitent pas de changement institutionnel ou de révision de traités et pourront donc être mises en œuvre rapidement. C’est essentiel pour que les citoyens voient que l’Europe répond à leurs attentes. Par ailleurs, dans son discours du 9 mai à Strasbourg, le Président de la République s’est prononcé, pour les dispositions qui le demandent, en faveur d’une révision des traités. Il faudra réfléchir non seulement au contenu d’une telle révision mais aussi à ses objectifs.

S’agissant du modèle démocratique européen et de la façon dont nous pouvons nous préserver des ingérences étrangères, un accord a été obtenu en mars sur la refonte du règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant : d’ici au printemps 2023, il faudra parvenir à un accord sur les autres textes du paquet « démocratie », concernant le financement des partis politiques, la transparence et le ciblage des publicités à caractère politique et la réforme de l’Acte électoral européen. Sur tous ces sujets, nous soutiendrons la présidence tchèque.

La présidence française de l’Union européenne a été exceptionnelle. Il importe de continuer et d’étendre les actions engagées, en particulier face à la guerre en Ukraine.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ne me prononcerai pas sur ce sujet, mais mon idée de la présidence française n’est pas très éloignée de la vôtre. Il est, en tout cas, extrêmement difficile de parvenir à réussir une telle présidence ; or, celle-ci a été très riche.

Mme Mireille Clapot (RE). L’Europe est une construction, et l’Europe est forte. Députés de la majorité, nous avons à cœur cette construction et son partage avec les habitants de nos circonscriptions.

Nous nous félicitons de la réussite de la présidence française de l’Union européenne. Son bilan est plus que positif, l’Europe étant désormais plus souveraine, plus compétitive et plus humaine. Relance, puissance et appartenance constituaient les maîtres mots de la feuille de route initiale. Malgré la guerre en Ukraine, la PFUE a atteint une série d’objectifs écologiques, numériques, sociaux et économiques ambitieux. C’est l’honneur de la France et de l’Union européenne d’avoir déployé sept paquets de sanctions contre le pays agresseur, la Russie, d’avoir accueilli les Ukrainiens, d’avoir aidé l’Ukraine en lui fournissant des moyens de défense et d’avoir ouvert la porte à son adhésion.

Dans le cadre de la politique de voisinage, de grands pas ont été faits vers l’intégration à l’Union européenne de l’Albanie et de la Macédoine du Nord et vers celle des autres pays des Balkans occidentaux.

La conclusion du Digital Services Act et du Digital Markets Act représente une grande avancée pour l’encadrement du secteur du numérique en Europe. Peut-être faudra-t-il réfléchir à des infrastructures souveraines, par exemple en matière de cloud, et envisager que les géants du numérique, dits GAFAM, et les producteurs de contenus contribuent aux infrastructures, ce qu’ils font très peu aujourd’hui.

En matière écologique, il faut saluer le mécanisme carbone aux frontières et la réflexion sur la souveraineté énergétique.

La guerre russo-ukrainienne tend à provoquer une pénurie alimentaire, en particulier en Afrique, où le Président de la République a commencé, au Cameroun, une tournée. L’Europe a la responsabilité morale d’assurer l’approvisionnement en ressources alimentaires de ses partenaires privilégiés en Afrique.

L’initiative Food and Agriculture Resilience Mission (FARM) pour la sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables, lancée le 24 mars dans le cadre de la PFUE, est un véritable pilier pour les marchés agricoles. Elle permet de soutenir les capacités ukrainiennes et de renforcer celles des pays les plus touchés dans le monde. Elle s’ajoute à d’autres engagements des acteurs publics et privés en faveur d’une résilience alimentaire internationale – je pense notamment, dans le cadre de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, à l’utilisation des technologies du numérique pour l’accompagnement de nouvelles stratégies.

Les 600 millions d’euros pour prévenir l’« ouragan de famines » que craint l’ONU s’ajoutent au budget humanitaire européen initialement prévu pour 2022, qui comportait 554 millions pour l’Afrique subsaharienne. Par ailleurs, 225 millions sont fléchés vers le soutien à la résilience du voisinage Sud, dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience.

Au vu des agissements de la Russie ce week-end, ces différentes mesures permettront-elles d’assurer une réponse efficace et solidaire aux conséquences de la guerre en Ukraine pour l’Afrique ?

M. Kévin Pfeffer (RN). La Commission européenne a publié le 15 février un paquet « défense » visant à mettre en place des mécanismes incitatifs en matière d’acquisition conjointe de capacités de défense et à réduire des dépendances technologiques stratégiques. Par ailleurs, le Président de la République a fait part de sa volonté de renforcer et d’institutionnaliser la défense européenne. La France serait ainsi attachée à ce que l’investissement européen dans la défense se fasse au profit d’industries européennes.

Une défense européenne commune reposerait sur trois piliers : une stratégie, des troupes et des moyens communs. Or nos intérêts diplomatiques et stratégiques ne sont pas toujours les mêmes. Nos alliances et relations historiques diffèrent. Pour ce qui est des troupes, depuis le Brexit, seule la France dispose d’une armée suffisamment entraînée, encadrée et performante. La défense européenne resterait donc largement une défense française au service de l’Union européenne. S’agissant des moyens, nous voyons les limites des coopérations intra-européennes dans les dossiers du char franco-allemand et, surtout, du SCAF, le système de combat aérien du futur. Il en résulte une perte de temps et des risques car nos intérêts de défense et industriels sont divergents.

Pour ces raisons, le Rassemblement national ne conçoit la défense qu’à un niveau national. Sans exclure des coopérations ponctuelles, la politique nationale de défense doit permettre de stimuler et de préserver des industries françaises dont la qualité est reconnue dans le monde entier.

La défense a toujours été une compétence nationale ; aucun traité européen ne prévoit qu’il en soit autrement. Cette question illustre une fois de plus la volonté de la Commission européenne, non élue, de s’emparer de prérogatives des États souverains, avec la complicité du gouvernement d’Emmanuel Macron, sans aucun mandat pour le faire.

Comment la France conçoit-elle, concrètement, la défense européenne ? Quel calendrier prévoit-elle ? Comment comptez-vous défendre les intérêts et l’indépendance de la défense française et de son industrie de défense ?

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Le 24 juin, plusieurs centaines de réfugiés venant d’Afrique et fuyant la misère ont tenté de passer la frontière entre le Maroc et l’Espagne, à Melilla. Selon l’Association marocaine des droits humains, qui a dévoilé des images insoutenables, au moins 27 d’entre eux, auxquels il faut ajouter 64 portés disparus, sont morts sous les coups de matraque des forces de l’ordre du royaume du Maroc. Un des militants de l’association explique : « Il y a des migrants qui sont restés au sol, blessés, en train de saigner, pendant des heures au soleil, sans que les autorités marocaines ou espagnoles ne leur procurent les secours nécessaires sur le terrain. Ils sont restés là, à mourir doucement. »

L’Union africaine et l’ONU ont appelé à ouvrir une enquête face à ce qui résulte d’une politique européenne mortifère en matière de gestion des migrations. Le Premier ministre espagnol a beau pointer du doigt les « mafias qui se livrent au trafic d’êtres humains », la réalité est que rien ne peut arrêter ceux qui fuient la misère, désormais accentuée par les crises écologiques et céréalières liées à la situation en Ukraine. À chaque fois que les barrières se renforcent à un niveau, de nouvelles routes migratoires s’ouvrent, avec de nouveaux réseaux de passeurs ou de trafiquants d’êtres humains.

Parmi les plus de 70 millions de réfugiés et déplacés qui fuient les guerres et les famines, certains frappent à la porte de l’Europe. Qu’ils viennent d’Ukraine, de Syrie ou d’Afrique subsaharienne, notre devoir est de garantir les conditions de leur accueil.

Notre politique européenne en la matière amène à s’interroger. Selon la presse, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ferait l’objet d’une dizaine d’enquêtes de la part de l’Union européenne, en particulier concernant des violations des droits humains, au moment même où se discute son financement.

La question de la délégation du rôle de gendarme des frontières à d’autres États se pose aussi : cela a abouti à d’odieux marchandages avec la Turquie et aux morts à Melilla. Depuis qu’il s’est rapproché de l’Espagne, à la mi-mars, le Maroc a renforcé son contrôle aux abords de l’enclave coloniale de Melilla. Cela plaît manifestement au gouvernement espagnol qui, malgré les dizaines de morts, a salué la « collaboration de Rabat » dans la défense de ses frontières.

Nous ne pouvons pas fermer les yeux quand l’externalisation de la gestion des frontières de l’Union européenne tue. Madame la secrétaire d’État chargée de l’Europe, que comptez-vous faire pour qu’un tel drame ne se reproduise plus ?

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Toutes mes félicitations pour votre nomination, Madame la secrétaire d’État. J’espère que nous pourrons travailler ensemble longtemps et de façon constructive.

La dimension parlementaire de la présidence française de l’Union européenne a été atrophiée du fait des élections et du choix du Gouvernement de ne pas décaler cette présidence de quelques mois : privée de la représentation nationale à l’Assemblée, elle n’a pas pu être pleine et entière. Si certaines réunions ont pu se tenir, elles ne rassemblaient pas l’ensemble des composantes.

Vous avez assez peu parlé d’agriculture. De fait, la PFUE n’a pas fait grand-chose en la matière. Il avait été précédemment décidé de diminuer les budgets de la politique agricole commune. La stratégie Farm to Fork a été très critiquée mais rien n’a été fait pour l’améliorer. Cela conduira à une baisse des rendements et des surfaces cultivées, ce qui remet en question la souveraineté alimentaire au moment où on en a le plus besoin, puisque les exportations de l’Ukraine, un pays fortement exportateur, diminuent en raison de la guerre.

Par ailleurs, la PFUE s’est terminée par la signature d’un accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande qui suscite de fortes craintes dans le secteur agricole. En effet, 80 % des exportations de ce pays concernent des matières agricoles, dont certaines productions ne respectant pas nos normes. En Nouvelle-Zélande, on utilise ainsi des herbicides interdits en Europe et on encourage la déforestation pour nourrir les bovins. Cet accord n’a pas été présenté au Parlement. Le ferez-vous ?

De même, l’Accord économique et commercial global (CETA), déjà appliqué, sera-t-il enfin soumis au vote du Sénat ?

Mme Maud Gatel (DEM). Je vous adresse à mon tour toutes nos félicitations pour votre nomination, Madame la secrétaire d’État, et je forme le vœu que nos relations de travail soient aussi efficaces et suivies qu’avec vos prédécesseurs.

La présidence française s’est inscrite dans un contexte particulièrement difficile : outre la pandémie, le défi climatique, ainsi que les préoccupations internes causées par la remise en cause de principes de l’État de droit par certains États membres, l’Union européenne a été percutée de plein fouet par la tragédie ukrainienne.

On a coutume de dire que l’Union européenne n’avance qu’à travers les crises. Il est vrai qu’elle a montré, sous impulsion française, sa capacité à agir : d’abord, par six trains de sanctions dont l’ampleur et la rapidité sont sans précédent ; ensuite, par la fourniture d’un soutien en matière de défense ; enfin, sur le plan humanitaire. Nous souhaitons qu’il en aille de même s’agissant du gaz russe, une question géopolitique, écologique et concernant notre autonomie stratégique.

La présidence française était placée sous le signe de la souveraineté européenne. En décembre 2021, lorsque j’ai présenté avec mon collègue Didier Quentin un rapport d’information sur le sujet de l’autonomie stratégique de l’Union européenne, les avancées que nous saluons aujourd’hui paraissaient encore fort éloignées, qu’il s’agisse de la directive relative aux salaires minimaux, sur le plan social, de l’ambitieux paquet « climat », du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou de la politique commerciale, enfin moins naïve.

Sur le plan de l’asile et de l’immigration, on peut citer la lutte contre l’instrumentalisation des flux par des États ou des acteurs tiers ainsi que la révision du mécanisme d’évaluation et de contrôle de Schengen. Vous avez souligné l’esprit de responsabilité et de solidarité qui a prévalu pour permettre les avancées significatives obtenues par la présidence française. Quelles sont les perspectives de remise en question du règlement Dublin II ?

S’agissant du numérique, la PFUE a permis l’adoption des règlements DSA et DMA.

Dans les domaines de la défense, de la sécurité et de la cybersécurité, la Boussole stratégique adoptée est bien plus ambitieuse que celle qui était prévue à l’automne 2020 : elle appelle à un changement de paradigme, notamment en matière de capacité de mobilisation humaine et d’infrastructures. Le marché est toutefois fragmenté. Comment passer d’une coopération essentiellement interétatique à un cadre supranational ?

Enfin, pouvez-vous apporter des précisions concernant un éventuel endettement à un niveau européen en matière énergétique ?

M. Alain David (SOC). Le choix d’accepter une concomitance préjudiciable entre la séquence électorale majeure de l’élection présidentielle et des élections législatives et ce semestre de présidence était une erreur et une manœuvre politique malsaine. Nous n’avons pas pu faire entendre les analyses des parlementaires au cours de ce moment fort qu’aurait dû être la présidence française de l’Union européenne. Nous ne pouvons que commenter a posteriori, au milieu de la communication rodée du Gouvernement et de votre surenchère d’autosatisfaction.

Si personne ne nie les conséquences de la situation géopolitique et, surtout, les effets cruels de la guerre en Ukraine, nous déplorons que des sujets que notre commission avait considérés comme prioritaires n’aient pas pu aboutir. Lors de l’audition de votre prédécesseur, en amont de ce semestre, nous avions insisté en particulier sur la régulation des géants du numérique, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, l’application du plan de relance européen et l’éventualité d’une relance de l’autonomie industrielle de l’Union européenne, notamment grâce à une initiative concernant les semi-conducteurs.

Comment ces dossiers prioritaires ont-ils été transmis à la présidence tchèque, pour en assurer le meilleur suivi possible ?

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Certains de nos concitoyens expriment une véritable défiance à l’égard de l’Europe, y compris dans les territoires transfrontaliers, qui vivent pourtant la coopération au quotidien. À l’heure où nous passons le pic de la septième vague épidémique, mon intervention concerne l’impact du covid-19 sur les travailleurs frontaliers.

Plusieurs dizaines de milliers de salariés travaillent en Allemagne dans ma circonscription. La fermeture brutale des frontières en mars 2020, après des décennies de coopération politique, économique et humaine, a été très mal vécue. Certaines difficultés subsistent et de nouvelles problématiques ont émergé.

Lors de l’épidémie, de nombreuses entreprises allemandes ont eu recours au chômage partiel, qui est moins indemnisé qu’en France. Pour les travailleurs frontaliers, les indemnités sont imposées dans les deux pays, alors que l’article 13, paragraphe 8, de la convention fiscale de 1959 accorde le droit à l’imposition au pays de résidence.

En mai 2021, les autorités allemandes ont validé le droit à l’imposition en France et la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé l’existence d’une discrimination. En mars, le comité de coopération transfrontalière a réaffirmé la nécessité d’un réexamen de ce dossier. Le Tribunal fédéral social d’Allemagne a constaté le 3 novembre 2021 l’irrégularité de la situation mais les services fiscaux allemands continuent à ponctionner un impôt dit fictif sur les sommes perçues. Une circulaire ministérielle doit imposer à l’Agence allemande pour l’emploi de supprimer cette retenue à la source et de régulariser la situation a posteriori. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur votre engagement pour défendre nos concitoyens auprès des autorités allemandes.

Par ailleurs, dans les deux pays, la réglementation a facilité le recours au télétravail, mis en exergue par la pandémie. Les textes franco-allemands plafonnent pourtant à 25 % le temps de travail à domicile, sous peine de perte du statut de travailleur frontalier, ce qui implique d’importantes conséquences sociales et fiscales. Des mesures dérogatoires avaient été instaurées en 2020 pour supprimer l’obligation de présence sur le lieu de travail. Valables jusqu’à fin juin, elles ont été prolongées jusqu’au début de 2023.

Un retour à la réglementation initiale reviendrait à imposer aux frontaliers d’effectuer des va-et-vient, contrairement à leurs collègues allemands. On conçoit que le bénéfice du statut de travailleur frontalier implique un seuil minimal de présence dans l’entreprise et de lien avec le pays employeur. Un retour à la situation initiale est néanmoins inconcevable, tant pour les salariés que pour les employeurs. Quelles initiatives prenez-vous pour trouver un accord avec nos partenaires allemands à ce sujet ?

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Chaque année, des dizaines de milliers de personnes essaient d’accéder à notre continent, poussées à l’exil par la situation économique, sociale ou climatique de leur pays. Bien souvent, elles endurent des parcours migratoires rudes, qui les écorchent, les brisent et, pour certaines d’entre elles, les tuent, particulièrement en Méditerranée.

La réponse de l’Europe n’est pas à la hauteur : nous ne pouvons pas nous émouvoir des murs érigés aux États-Unis et construire les mêmes à nos frontières. Ces murs qui ne sont ni en briques, ni en béton, pour l’instant, sont notamment l’œuvre de l’agence Frontex, chargée du contrôle des frontières de l’Europe. Cette agence a vu son budget croître constamment : entre 2005 et 2021, il a été multiplié par 90, passant de 6 millions à 544 millions d’euros. Quand redirigerons-nous ces crédits vers une politique migratoire digne de ce nom ?

Les migrations s’amplifieront à mesure que notre monde brûle et se déstabilise. Plus de 200 millions de réfugiés climatiques sont prévus pour 2050 à cause des sécheresses, de la montée des eaux ou des températures trop élevées. Nous devons adapter nos sociétés, non les barricader.

Barricader nos sociétés, c’est également instaurer des procédures profondément injustes, comme celle de Dublin, qui assigne les réfugiés au premier pays dans lequel ils ont posé le pied, majoritairement l’Italie et la Grèce, portes d’entrée géographiques de l’Europe.

La solidarité ne doit et ne peut pas reposer sur quelques pays. Chacun doit prendre sa part : c’est un devoir d’humanité. L’Europe a les moyens d’accueillir dignement les réfugiés. Elle le démontre avec la guerre en Ukraine mais elle ne peut pas le faire à deux vitesses. On ne fuit jamais son pays de gaîté de cœur, que l’on soit européen ou non.

La France est la patrie des droits de l’homme. Elle doit prendre pleinement part à la solidarité. Madame la secrétaire d’État, quand prendrez-vous position contre la procédure Dublin, qui est inefficace et souvent prétexte à reconduire des réfugiés à nos frontières ? Quand la France manifestera-t-elle l’ambition d’adopter une nouvelle orientation politique, digne, concernant l’immigration ?

Nous vous alertons également sur la montée des idées d’extrême droite sur notre continent, à mesure que les barbelés s’y installent. La Hongrie et la Pologne font du lobbying pour installer des murs aux frontières. Ces deux pays ont érigé – ou ont le projet d’ériger – plusieurs centaines de kilomètres de murs surveillés, avec des barrières de barbelés et parfois des lames de rasoir. En janvier, plusieurs dizaines de réfugiés sont morts, bien souvent de faim ou de froid, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Cela n’est pas acceptable pour notre communauté européenne, fondée notamment sur l’esprit de solidarité.

La France doit s’engager au sein de l’Union européenne en faveur d’un devoir conjoint d’humanité et d’accueil inconditionnel.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). La question du devoir de vigilance a été discutée au début de la PFUE, en s’inspirant de la loi française. Dominique Potier nous a associés, Mireille Clapot et moi-même, à ses efforts pour faire vivre cette loi et faire en sorte qu’elle devienne une réalité européenne. Les choses avancent, même si ce qui a été travaillé à l’échelle européenne est un peu en deçà de nos attentes. Nous continuerons donc à œuvrer pour aller plus loin. Envisagez-vous de veiller, de votre côté, à ce qu’il n’y ait pas trop de dérogations ?

Quid de la paix dans le monde de demain ? Le mot n’a même pas été cité. Certains veulent qu’on arme, qu’on surarme, qu’on prépare des stocks ; d’autres considèrent qu’il faut monter des murs. Les pays qui ont demandé à entrer dans l’Union européenne ou qui intègrent l’OTAN se portent-ils candidats pour servir de bases d’armes nucléaires, en grandes quantités et dirigées vers la Russie ? L’avenir s’écrira-t-il ainsi, avec une frontière européenne supra-armée face à la Russie et, comme mes collègues le décrivaient concernant le Sud, avec Frontex ?

Est-ce cela l’avenir d’une Europe humaine ? La présidence française n’a-t-elle pas posé des bases pour établir un no man’s land entre la Russie et les pays frontaliers, y compris l’Ukraine ? Suggère-t-on aux pays qui entrent dans l’OTAN d’être des frontières apaisées, non surarmées ? Acceptent-ils cette idée ?

Le travail pour construire la paix de demain, qui servira à nos enfants et à nos petits-enfants, a-t-il été fait pendant la présidence française de l’Union européenne et le relais a-t-il été passé à la présidence tchèque ? Ou, au contraire, le sujet n’est-il pas abordé car il est plus important de parler de l’industrie de l’armement ?

Enfin, un communiste ne peut qu’approuver vos propos sur la défaillance de notre pays en matière d’industrialisation. Depuis des décennies, nous expliquons avec les syndicats qu’il est absurde de fermer les usines et de licencier les travailleurs. La souveraineté d’un pays s’appuie sur son tissu industriel. Il aura fallu casser une bonne partie de l’industrie française et européenne pour que l’on mesure, enfin, qu’il y a urgence à tout reconstruire.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le 6 juillet, le Sénat a adopté en commission un projet de loi autorisant l’approbation d’un accord visant à renforcer le rôle de la Commission de l’océan Indien (COI). L’adoption du texte a été saluée par le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, qui a œuvré sur ce projet en tant que secrétaire d’État auprès du précédent ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

La COI regroupe cinq États – les Comores, Madagascar, Maurice, les Seychelles et la France, uniquement représentée par La Réunion. Le rapport sénatorial indique que « l’inclusion de Mayotte dans cet environnement régional est contestée au sein de l’organisation en raison d’un contentieux territorial », allusion pudique à la revendication comorienne sur Mayotte.

Les Comores bloquent toute adhésion de Mayotte à la COI, laquelle est largement financée par la France et l’Union européenne. De manière perverse, Mayotte est chargée du pilotage de fonds européens qui financent la coopération régionale avec les Comores. Elle est donc la servante d’un projet dont elle est exclue. Les sénateurs Philippe Folliot, Gisèle Jourda et Vivette Lopez, rapporteure du texte, ont défendu la position de Mayotte. Quand notre diplomatie entend-elle faire adhérer le département français de Mayotte à la COI ?

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame Clapot, la guerre en Ukraine a des conséquences dramatiques sur la sécurité alimentaire, notamment pour les pays en développement et les pays les plus vulnérables. Outre l’initiative FARM et d’autres initiatives internationales pour les régions les plus affectées, nous avons poursuivi nos efforts en vue d’aider l’Ukraine à exporter les céréales et les oléagineux. Près de 2,5 millions de tonnes de céréales ont été exportées en juin. Sur le plus long terme, des accords ont été signés le 22 juillet à Istanbul sous l’égide de l’ONU mais leur mise en œuvre reste incertaine.

Nous devons contrer le narratif russe, qui s’apparente à de la désinformation : les denrées alimentaires ne sont pas sous sanctions. Il y a eu des réassurances de la part de l’Union européenne et de ses États membres.

Au-delà des programmes cités, toute une coopération est menée avec l’Afrique pour augmenter la production agricole et lui permettre de subvenir plus largement à ses besoins alimentaires.

Monsieur Pfeffer, la défense européenne est une réalité inscrite dans les traités, et non une politique dont la Commission déciderait arbitrairement de s’emparer. Nous souhaitons renforcer la politique de sécurité et de défense commune car nous pensons être plus forts à plusieurs. Nous devons nous coordonner pour affronter les crises et défendre la liberté de circulation dans les espaces stratégiques contestés, notamment dans l’Indo-Pacifique.

S’agissant de la base industrielle et technologique de défense, nous voulons être en mesure de faire face à la guerre en Ukraine et de soutenir nos partenaires, en particulier les pays baltes et les pays frontaliers de l’Ukraine. Par ailleurs, nous avons créé un fonds européen et une plateforme commune d’achats, afin d’inciter à acheter européen et de lutter contre la fragmentation de notre industrie de défense. Vous savez que des projets avec l’Allemagne et l’Espagne, comme le SCAF, sont en cours.

Madame Soudais, la France est très préoccupée par le drame survenu à Nador et à Melilla. Nous avons exprimé notre confiance dans la volonté des autorités espagnoles et marocaines de faire toute la lumière sur les faits et d’établir les responsabilités. L’Espagne a ainsi ouvert une enquête. Assurer la sécurité des migrants et des réfugiés, éviter l’usage excessif de la force et respecter les droits fondamentaux constituent des priorités. Cette tragédie montre à quel point il est nécessaire de renforcer notre coopération en matière de lutte contre les réseaux de criminalité organisée impliqués dans le trafic de migrants et la traite des êtres humains, de même que notre partenariat avec l’Union africaine. Nous devons mener une véritable politique de développement pour permettre au continent africain de croître et de subvenir à sa sécurité.

Monsieur Dumont, 4 millions d’emplois en France dépendent des exportations européennes. Comme la guerre en Ukraine et la crise du covid l’ont montré, la diversification et la sécurisation de nos chaînes d’approvisionnement mais aussi la défense de nos normes doivent être au cœur des projets d’accords commerciaux. Pas de naïveté : nous aurons toujours besoin d’échanger avec nos voisins mais plus il y aura de transparence, de sécurité et de diversification en ce qui concerne nos approvisionnements, plus nous serons forts.

Nous avons proposé durant la PFUE d’instaurer des clauses miroirs dans les accords commerciaux pour rétablir une concurrence plus juste et pour imposer nos normes environnementales et industrielles. L’accord conclu avec la Nouvelle-Zélande est le plus ambitieux de ce point de vue puisqu’il reflète entièrement l’accord de Paris sur le climat et fera l’objet d’une évaluation tout au long de son application. Cet accord représente des opportunités pour nos filières agricoles. Il protégera notamment 550 indications géographiques françaises. Le CETA a quant à lui permis une hausse de 32 % de nos exportations agricoles et agroalimentaires vers le Canada entre 2017 et 2021. La politique commerciale contribue non seulement à la défense mais aussi à la promotion de nos filières.

Le Parlement a été associé à la PFUE, notamment lors de la réunion avec la conférence des présidents du Parlement européen, le 9 décembre, lors de la réunion des présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, les 13 et 14 janvier, et lors de la conférence sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qui s’est tenue au Sénat ; je pourrais dérouler une longue liste de réunions, jusqu’au 16 mai. Certes, nous pouvons toujours faire mieux, mais je pense que la coopération a été excellente.

Madame Gatel, il s’agit désormais d’« opérationnaliser », si je puis dire, la Boussole stratégique en travaillant sur plusieurs points : la création, d’ici à 2025, d’une capacité européenne de déploiement rapide, pour des opérations militaires et civiles, l’accompagnement au combat des États volontaires, comme le Niger, le renforcement de notre résilience, notamment dans le domaine de la cybersécurité, qui a fait l’objet d’un exercice grandeur nature, ou encore la présence maritime coordonnée dans l’Indo-Pacifique. Concernant l’investissement dans la défense, le fonds d’urgence de 500 millions d’euros permettra de reconstituer les stocks d’équipements militaires et de munitions, notamment ceux des petits pays. Il serait bon de pérenniser ce fonds pour qu’il serve de base à un plus grand développement de l’industrie de défense en Europe. Enfin, il convient d’approfondir l’articulation avec l’OTAN.

Le plan REPowerEU fait partie des mesures prises pour faciliter et accélérer la transition énergétique. Dans l’hypothèse d’une situation très difficile cet hiver, qui nécessiterait de faire preuve de plus de solidarité, il faudrait se montrer ouvert. On pourrait envisager d’utiliser des mécanismes d’endettement commun qui existent déjà, afin de venir en aide aux pays les plus affectés, ou d’accélérer les investissements ; après tout, nous avons un marché unique de l’énergie.

Monsieur David, nous souhaitons renforcer l’autonomie européenne dans les domaines financier, humain, industriel et culturel. Pour ce faire, nous travaillons avec les industriels afin de créer des alliances, notamment en ce qui concerne les achats de matières premières, l’hydrogène et les batteries, et nous nous attaquons aux pratiques commerciales déloyales. Enfin, nous voulons flécher les investissements vers des objectifs stratégiques.

Madame Kochert, la décision du Tribunal fédéral social allemand du 3 novembre 2021 confirme la position de la France au sujet de l’imposition des travailleurs transfrontaliers. Un Conseil des ministres franco-allemand se tiendra après l’été. Nous souhaitons parvenir à un accord avec le gouvernement allemand pour remédier au plus vite à cette discrimination, dans l’intérêt tant de nos concitoyens que de nos finances publiques. N’hésitez pas à revenir vers moi à ce sujet.

Par ailleurs, la pandémie a conduit à l’adoption, au titre de la force majeure, de mesures de flexibilité en matière de télétravail pour les transfrontaliers, afin d’éviter un changement dans la législation applicable à leur couverture sociale. Cette flexibilité dans l’application des règles européennes a été prorogée jusqu’au 31 décembre. Nous souhaitons en profiter pour préparer une éventuelle adaptation des règles qui permettrait de ne pas défavoriser ceux qui font plus de télétravail, celui-ci étant bon pour le climat et en matière de consommation énergétique.

S’agissant de l’évolution du pacte sur la migration et l’asile, Madame Sebaihi, un volet relatif à la solidarité, qui repose sur une déclaration politique, a été adopté durant la PFUE. Les États membres méditerranéens devraient en bénéficier car l’accueil des migrants pourra se faire dans l’Europe entière, et non pas seulement dans les pays dits de première entrée, des contributions financières étant par ailleurs prévues.

Le règlement de Dublin vise à déterminer le pays responsable de l’examen des demandes d’asile, en somme celui de première entrée. Cette règle du jeu permet d’éviter le dépôt de demandes d’asile d’une même personne dans plusieurs pays et d’assurer au demandeur un examen juste et attentif de sa situation. Le travail réalisé pendant la PFUE permet en outre de mieux prendre en compte les vulnérabilités. Toutefois, le règlement n’est pas parfait, certains pays ayant une charge très importante. Nous avons réalisé une première étape durant la présidence française en traitant séparément les questions d’asile et d’immigration, qui étaient bloquées depuis très longtemps. D’autres phases seront nécessaires pour améliorer le bien-être des migrants et assurer une meilleure coordination entre les pays.

Monsieur Lecoq, la Commission européenne a publié, le 23 février 2022, une proposition de directive sur le devoir de vigilance, qui est largement inspirée par la loi française. J’en profite d’ailleurs pour rendre hommage à MM. Potier et Sapin. Nous continuerons à soutenir cette proposition de la Commission et nous veillerons sur son ambition. J’ajoute que les consommateurs y veillent aussi.

S’agissant de la paix, le président Macron a beaucoup agi pour tenter d’éviter la guerre en Ukraine, ce qui lui a parfois été reproché. Personne ne s’arme massivement de manière spontanée. L’objectif est de se protéger et de créer un espace où les gens sont en sécurité. Les plus allants en la matière et s’agissant des sanctions sont les pays baltes et les pays de l’Est, qui se sentent très menacés. Il est nécessaire d’être fort et dissuasif si l’on veut accélérer le retour de la paix.

Madame Youssouffa, la France est très engagée sur les questions de coopération régionale, en particulier dans le cadre de la COI. Notre ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l’océan Indien assure une coordination en la matière. La France se mobilise aussi à Bruxelles, l’Union européenne étant la principale partenaire de la COI.

S’agissant de Mayotte, aucun département n’est fondé juridiquement à adhérer à une organisation internationale : c’est la France, en tant qu’État de la région, qui est membre de la COI. Nous avons associé Mayotte aux travaux de la COI sur la surveillance épidémiologique régionale et nous veillerons, plus largement, à ce que ce département soit toujours bien inscrit dans son environnement régional, notamment pour la coopération avec les Comores en matière sanitaire et migratoire. Je tiens également à vous rassurer sur notre mobilisation en vue de l’approfondissement de la coopération avec tous les États de la région, y compris dans le cadre d’initiatives multilatérales.

Mme Liliana Tanguy. La France pourra-t-elle veiller au bon déroulement des négociations d’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne ? Comment faire en sorte que la coexistence de plusieurs processus ne freine pas les perspectives d’adhésion de pays candidats qui ont engagé des réformes structurelles courageuses depuis de nombreuses années ?

Mme Brigitte Klinkert. La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, jusqu’au 31 décembre, « toute mesure relevant du domaine de la loi afin de définir les modalités d’organisation, de mise en œuvre et de financement de l’apprentissage transfrontalier […] permettant à un apprenti d’effectuer sa partie pratique ou théorique dans un pays frontalier de la France […] ». Où en sont ces ordonnances, attendues par de nombreux acteurs de l’apprentissage, de nombreuses entreprises et de nombreux jeunes dans les régions concernées ?

Mme Nadège Abomangoli. Le 20 juin dernier, quinze pays membres de l’Union européenne ont signé une lettre réclamant de toute urgence la signature de nouveaux traités de libre-échange afin d’assurer de la croissance économique dans l’espace européen. Parmi les pays favorables à une telle politique se trouvaient la République tchèque, la Suède et l’Espagne, autrement dit les trois prochains pays qui prendront la tête du Conseil de l’Union européenne. La France, en revanche, n’a pas participé à cet appel.

Rappelons ce que signifie le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande : 19 000 kilomètres parcourus par des produits déjà disponibles sur le vieux continent, des normes sociales et environnementales moins-disantes et surtout une production agricole polluante et vouée, à 85 %, à l’export. La Nouvelle-Zélande est le premier exportateur de viande de mouton, et le deuxième concernant le lait et la laine. En cinq ans, la production de viande dans ce pays a bondi de 17 %, et les exportations de 22 %. Qu’avons-nous à gagner avec cet accord ?

La majorité s’est précédemment exprimée à de multiples reprises en faveur de tels accords néolibéraux, en oubliant opportunément les destructions d’emplois, les atteintes au droit local et les conséquences climatiques. L’éthique et la responsabilité sont relayées au second plan quand il s’agit de défendre les profits des uns et l’appauvrissement des autres.

Que pensez-vous du texte signé le 20 juin par quinze pays européens ? Avez-vous évolué sur la question des traités de libre-échange ? Quand la France marquera-t-elle son opposition à l’accord négocié par la Commission européenne avec la Nouvelle-Zélande ? Je rappelle que 130 parlementaires ont demandé que cet accord soit soumis à la représentation nationale.

M. Alexis Jolly. La semaine dernière, une délégation hongroise s’est rendue à Bruxelles dans le but d’échanger avec les instances européennes sur le conflit qui oppose ces dernières à la Hongrie en matière d’État de droit et de démocratie. À la suite de la mise en place d’un mécanisme de conditionnalité destiné à limiter les flux des fonds européens vers des pays présentant des problèmes systémiques d’État de droit, la Commission a décidé d’appliquer des sanctions contre la Hongrie en retenant des subventions allouées à la politique de cohésion européenne.

Par ailleurs, la Hongrie est victime de pressions financières extra-procédurales : elle demeure le dernier État membre à attendre le feu vert de la Commission sur son plan national pour la reprise et la résilience, étape nécessaire au déblocage d’une subvention européenne de 5,8 milliards. Toutefois, la Hongrie n’est pas la seule concernée, la Pologne étant également, pour les mêmes motifs, l’objet de sanctions et d’un chantage de la part de l’Union européenne.

Alors que vous avez dirigé la France avec verticalité et brutalité pendant toute la durée du précédent quinquennat et que vous infligez des restrictions de liberté inédites et disproportionnées aux Français depuis plus de deux ans, vous vous enroulez dans le drap confortable et vaporeux de l’État de droit pour punir des nations dont les gouvernements bénéficient d’une légitimité et d’une assise démocratique largement supérieures à celles du gouvernement français.

Quand soutiendrez-vous l’arrêt de ces sanctions contre des États dont le seul défaut est de ne pas appliquer le même programme politique que celui qui vous a été dicté pour la France ? Comment pouvez-vous justifier le bien-fondé de telles sanctions contre des gouvernements démocratiquement élus qui appliquent des politiques soutenues par une large majorité des peuples qu’ils gouvernent ?

Mme Barbara Pompili. La France fait preuve de leadership dans le domaine du climat et de la biodiversité, comme en témoigne sa réussite dans la négociation du Fit for 55 lors de la PFUE. Nous éprouvons toutefois de plus en plus de difficultés à suivre cet agenda avec certains États membres car il faut d’abord faire face aux conséquences de la crise ukrainienne, qu’il s’agisse du recours aux énergies fossiles – nous avons dû nous réorganiser pour récupérer du gaz – ou de la mise en œuvre de politiques un peu ambitieuses et nécessitant donc des investissements. Comment comptez-vous agir pour que les objectifs climatiques soient respectés ? Comment ferons-nous pour continuer à appliquer le Pacte vert, qui ne s’arrête pas au Fit for 55 ? Par ailleurs, comment faire pour que le leadership européen amène les autres pays du monde à tenir le cap des objectifs climatiques ?

Plus prosaïquement, des négociations ont été menées pour mettre le traité sur la charte de l’énergie en accord avec les objectifs de l’accord de Paris. Un accord a été trouvé, qui doit être validé cet automne. La France faisait partie de ceux qui considéraient qu’il fallait soit prévoir une grande modernisation du texte, soit préparer une sortie coordonnée. Quelle position notre pays défendra-t-il ?

M. Meyer Habib. Ma question concerne les financements européens et français allant à des organisations terroristes. Le 12 juillet dernier, la France a signé une déclaration commune rejetant la désignation par le gouvernement israélien, pourtant très à gauche et incluant des partis islamistes, de six organisations non gouvernementales (ONG) palestiniennes comme étant des organisations terroristes. Comment avons-nous pu signer une telle déclaration ?

Ces organisations sont affiliées au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), responsable de la mort de Leon Klinghoffer, passager américain tétraplégique jeté à la mer lors du piratage de l’Achille Lauro, du détournement d’un vol d’Air France à Entebbe, de l’attentat contre le Publicis Drugstore sur les Champs-Élysées, de l’attentat de la rue Copernic… Alors que le FPLP n’a pas changé – il a récemment tué, lors d’un attentat, une Israélienne de 17 ans, Rina Shnerb –, 650 000 euros ont été versés pour soutenir un projet agricole de l’ONG palestinienne UAWC, qui doit bénéficier cette année de 1,2 million d’euros de fonds publics.

C’est peut-être digne de l’extrême gauche – la NUPES vient ainsi de déposer à l’Assemblée nationale une résolution antisémite accusant l’État d’Israël d’apartheid – mais ce n’est pas digne du gouvernement français : la France ne doit pas financer des organisations terroristes en accointance avec le FPLP.

M. Nicolas Metzdorf. Depuis le Brexit, la France est le dernier pays européen du Pacifique. Les enjeux de la zone indo-pacifique sont nombreux : deux tiers de la population mondiale sont en train de s’y livrer à une guerre économique et géopolitique, qui oppose notamment la Chine et les États-Unis. Les territoires français d’outre-mer demandent un retour de la France et de l’Europe dans la géopolitique locale. Notre absence nous a coûté, comme l’a démontré l’affaire des sous-marins australiens. Que comptez-vous faire pour remettre de l’Europe au sein du Pacifique ?

M. Arnaud Le Gall. En novembre 2020, la ministre allemande de la défense a déclaré que nous devions en finir avec les illusions de l’autonomie stratégique européenne et reconnaître que nous resterions dépendants des États-Unis, résumant ainsi les impasses auxquelles fait face tout projet de défense européenne en raison des divergences de vues stratégiques, héritées d’histoires et de géographies différentes.

La notion de défense ne peut s’appliquer qu’à un territoire doté d’institutions ayant une cohérence géopolitique. Or l’Union européenne ne répond malheureusement pas à cette condition, à la différence des États-Unis, de la Chine et de la Russie, pourtant beaucoup plus faible économiquement. L’Union européenne n’est pas dotée d’une Boussole stratégique, mais d’un simple catalogue de menaces plus ou moins avérées. Quand elles se précisent, son seul réflexe est d’en appeler à l’OTAN alors que les alliances militaires permanentes sont souvent dépassées, à notre époque, au profit d’alliances plus fluides, ad hoc et donc plus adaptées.

L’OTAN permet d’écouler les stocks de l’industrie de défense américaine mais, pour le reste, à quoi sert-il d’appartenir à une telle organisation ? Alors que ses dépenses militaires représentent entre quinze et vingt fois le budget militaire russe, nous demeurons suspendus aux décisions de Poutine quant aux livraisons de gaz. L’OTAN ne parvient pas à sécuriser l’Europe, pas plus que l’Europe de la défense.

Dans ce contexte, est-il sérieux de mettre en avant la création d’une capacité de déploiement rapide de 5 000 hommes d’ici à 2025, pour citer le principal objectif avancé par Emmanuel Macron afin d’accréditer l’idée qu’il aurait renforcé l’autonomie stratégique européenne ? Au lieu de courir après des chimères, le réalisme ne commanderait-il pas de prôner la construction de partenariats bilatéraux solides, fondés sur des intérêts clairs et explicites, avec certains pays européens ?

Mme Laurence Vichnievsky. Si l’Europe avance, à la faveur de catastrophes, j’observe des divergences entre certains États dans le domaine de l’énergie. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou la Hongrie connaissent des situations très différentes. Certains sont peu dépendants du gaz, alors que d’autres veulent accentuer les achats à la Russie : tous ne sont pas d’accord sur la réduction envisagée par l’Europe. Quelle est la position de la France et pensez-vous que les discussions pourront aboutir ?

Mme Élise Leboucher. Ma question porte sur le Fonds européen d’aide aux plus démunis, dont dépendent 60 % de l’aide alimentaire française, celle délivrée par les banques alimentaires, le Secours populaire, les Restos du Cœur et la Croix-Rouge. En France, 8 millions de personnes relèvent de l’aide alimentaire, dont 50 % sont des enfants, souvent élevés par des mères seules qui, malgré leur travail, ne s’en sortent plus. Face à l’incapacité du Gouvernement à combattre l’inflation, combien seront-ils demain ? Je regrette que le paquet pouvoir d’achat ne soit finalement qu’une pochette-surprise pour les plus riches, un lot de consolation indigne pour les travailleuses et les travailleurs, et un bel emballage vide pour les étudiants.

J’ai participé aux distributions alimentaires du Secours populaire dans ma circonscription de la Sarthe durant les confinements, et j’ai vu à quel point l’aide délivrée était vitale mais souvent dérisoire par rapport aux besoins. Elle est aujourd’hui menacée, en conséquence de l’offensive russe en Ukraine et de la déstabilisation de l’économie mondiale. Le Fonds européen d’aide aux plus démunis affiche un nombre croissant de marchés infructueux, parmi lesquels le riz, les graines de couscous ou encore l’huile de tournesol. L’inflation est telle qu’elle menace l’ensemble de la programmation 2022 : elle atteint 26 % pour le sucre, 78 % pour les petits pois carottes et 249 % pour le café. Que comptez-vous faire pour maintenir les aides européennes et garantir une aide alimentaire en faveur des plus précaires ?

M. Frédéric Falcon. La France s’apprête à être condamnée par la Commission européenne à une amende de 500 millions d’euros pour n’avoir pas atteint ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables. Cette condamnation est incompréhensible compte tenu du bilan de la production énergétique française et, surtout, de la comparaison avec les autres pays européens. La France produit 70 % de son électricité grâce à son parc nucléaire, 10 % grâce aux barrages hydroélectriques et 6 % grâce aux éoliennes. Notre empreinte est ainsi de 50 grammes de CO2 par kilowattheure (kWh) produit. L’Allemagne produit 50 % de son électricité grâce à l’éolien et au solaire, 5 % grâce au nucléaire et 45 % grâce aux énergies fossiles, son empreinte étant de 400 à 500 grammes de CO2 par kWh. La France est le meilleur élève d’Europe en matière de décarbonation grâce à l’importance de sa production d’énergie nucléaire.

On voit bien dans cette condamnation honteuse la main du puissant lobby des énergies renouvelables. Ainsi, Frans Timmermans, vice-président de la Commission chargé de l’action pour le climat, a pour directeur de cabinet un ancien haut responsable de Greenpeace. La Commission montre à travers cette décision que l’objectif n’est pas la production d’énergie propre et peu coûteuse mais la protection des intérêts financiers de groupes d’influence puissants à Bruxelles. Comptez-vous agir pour obtenir une annulation de cette condamnation injustifiée, qui vise à faire tomber la France dans la dépendance aux énergies renouvelables, à abandonner le nucléaire et à remettre ainsi en cause notre indépendance énergétique ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je souhaite exercer un droit de réponse à la suite des propos choquants tenus par notre collègue Meyer Habib, qui a établi un lien entre des organisations qu’il qualifie de terroristes avec une résolution déposée par quelques députés de l’Assemblée nationale sur la politique d’apartheid menée par Israël à l’encontre du peuple palestinien. C’est la politique d’un État qui est critiquée, et cela ne peut justifier de traiter les auteurs de cette résolution d’antisémites.

Si cette résolution, qui a fait l’objet de beaucoup de réactions ce week-end, est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, chacun aura la possibilité de débattre de son contenu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ne crois pas qu’il y ait eu une mise en cause personnelle, d’un comportement antisémite, dans les propos de notre collègue. Cette résolution a simplement suscité une émotion, que je partage d’ailleurs.

M. Meyer Habib. Il n’existe qu’un seul État juif, et ce n’est pas un État d’apartheid. S’il y a un apartheid dans cette région, c’est dans les Territoires palestiniens, où un Juif ne peut pas aller sans se faire massacrer.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La question de l’apartheid ne manque pas d’intérêt mais ce n’est pas l’objet de cette audition, qui porte sur la politique européenne de la France. Nous allons laisser Mme la secrétaire d’État répondre aux questions qui lui ont été posées.

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Madame Tanguy, une première conférence intergouvernementale a marqué, le 19 juillet, l’ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord. Une deuxième conférence intergouvernementale sera organisée, selon un format en deux temps inédit, dès que la révision de la Constitution à laquelle s’est engagée la Macédoine du Nord aura été achevée. Durant cette phase, comme au cours de la précédente, la France ne ménagera pas ses efforts.

Madame Klinkert, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail a adressé ce matin un pré-projet de convention bilatérale à la partie allemande, en vue d’une réunion avec le ministère fédéral du travail et des affaires sociales ce mercredi. L’objectif est qu’un dispositif opérationnel soit prêt à l’automne et qu’un accord soit signé en décembre, avant la date limite fixée par la loi 3DS pour la définition par ordonnance des modalités de mise en œuvre de l’apprentissage transfrontalier.

Madame Abomangoli, nous ne nous opposons pas par principe aux accords de libre-échange mais nous n’en sommes pas moins fermes sur les principes qu’ils doivent respecter, notamment ceux relatifs aux standards environnementaux. Je rappelle que l’export représente en France 4 millions d’emplois. Par ailleurs, l’autonomie dans tous les domaines est impossible, comme suffit à le prouver la façon dont sont produites les énergies renouvelables. Il faut des matières premières, notamment du lithium et des terres rares, qui proviennent de pays tiers.

S’agissant de la Hongrie, Monsieur Jolly, aucun fonds n’a encore été suspendu. Néanmoins, ce pays est l’objet de questions légitimes. Des doutes subsistent sur la façon dont les marchés publics sont conclus. Des fonds financés par le contribuable européen risquent ainsi d’être mal gérés. Le contribuable européen, ce n’est pas la Commission européenne, c’est vous et moi. La moindre des choses, surtout en démocratie, est de s’assurer que les fonds publics ne sont pas détournés, parce que les fondements de l’État de droit sont sapés ou minés. Voilà de quoi il est question.

Par ailleurs, l’État de droit n’est pas une injonction abstraite et antidémocratique. Nous parlons d’indépendance et d’impartialité de la justice. Ce n’est pas une demande arbitraire de la Commission, mais un des piliers de la démocratie. L’indépendance des médias n’est pas davantage une demande arbitraire de la Commission, mais aussi un des piliers de la démocratie.

Madame Pompili, vous avez évoqué la difficulté à concilier l’urgence de court terme, qui est d’avoir suffisamment d’énergie pour passer l’hiver à l’échelle de l’Union européenne, et nos objectifs de moyen terme. Nous sommes d’accord, me semble-t-il, sur le fait que la meilleure sécurité énergétique consiste à accélérer la transition énergétique de la France et du reste de l’Europe. Même si nous traversons une période un peu tendue, nous devons absolument nous concentrer sur les trilogues relatifs à l’Ajustement à l’objectif 55. À cet égard, je rends hommage à l’action que vous avez menée lors de la législature précédente, notamment dans le cadre de la réunion informelle des ministres chargés de l’environnement et de l’énergie qui s’est tenue à Amiens en janvier dernier et au sein du Conseil Environnement de mars. Grâce à vos efforts, la négociation a progressé. Quant au traité sur la charte de l’énergie, nous sommes favorables à son évolution, mais en Européens. Nous continuons à travailler avec la Commission à cet effet.

Monsieur Habib, nous avons examiné en détail, comme plusieurs autres États membres de l’Union européenne, les éléments à l’appui de la désignation comme entités terroristes, par Israël, des six ONG palestiniennes que vous avez évoquées. Aucun élément de preuve ne justifie cette désignation. Nous partageons cette conclusion avec la Commission européenne, l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres États membres. Nos principes sont très clairs. Nous n’admettons aucune compromission avec le terrorisme et nous faisons preuve d’une vigilance de tous les instants. Nous partageons ces principes avec nos partenaires européens et la Commission.

Monsieur Metzdorf, l’Indo-Pacifique a été une priorité de la PFUE. Le 22 février dernier s’est tenu à Paris le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indo-Pacifique. Il s’agissait de la première réunion à ce niveau entre l’Union européenne et les pays de la région. Ce forum ministériel a eu lieu moins de six mois après la publication de la stratégie de l’UE pour l’Indo-Pacifique.

J’imagine que vous attendez des résultats concrets, et il y en a. L’UE et de nombreux pays de la zone indo-pacifique, dont l’Inde, le Japon, l’Australie et le Sri Lanka, ont signé une déclaration commune sur la vie privée et la protection des données personnelles. Nous avons également lancé la mise en œuvre du concept de présence maritime coordonnée dans le Nord-Ouest de l’océan Indien.

La présidence tchèque a fait de ces questions une de ses priorités, et nous y serons très attentifs. La Commission et les États membres doivent identifier des projets concrets, notamment dans le domaine de la connectivité et des infrastructures, dans le cadre de la stratégie Global Gateway. Compte tenu de ce qui se passe en Europe, nous sommes particulièrement déterminés à consolider nos relations avec la région indo-pacifique.

Monsieur Le Gall, vous suggérez que les partenariats bilatéraux sont préférables au renforcement de l’Europe de la défense. Permettez-moi de vous rappeler que la phrase de la ministre allemande de la défense que vous avez citée a été prononcée avant la guerre en Ukraine. Je ne pense pas que nous aurions pu faire seuls ce que nous avons fait ensemble dans le cadre de l’Union européenne. Cette dernière a mobilisé 2 milliards d’euros pour soutenir militairement l’Ukraine. Grâce à l’Union européenne, nous avons également pu investir davantage dans la défense et, surtout, rationaliser les investissements des différents pays. Il n’est pas nécessaire de dupliquer les efforts, alors qu’on pourrait investir ailleurs. L’effort est amplifié lorsqu’on agit ensemble.

Par ailleurs, la France n’est pas le seul pays européen à disposer d’une force militaire importante ; c’est aussi le cas de la Finlande.

En travaillant à plusieurs, nous construisons une Europe plus autonome, plus forte et plus sûre. Si la Finlande et la Suède demandent à rejoindre l’OTAN, ou si le Danemark, qui ne voulait pas participer à la PSDC, modifie sa position, c’est qu’ils ont le sentiment que nous serons plus forts ensemble.

Comme vous l’avez souligné, Madame Vichnievsky, l’Europe progresse souvent à la faveur des crises ou des catastrophes. C’est vrai depuis le début de la construction européenne, malheureusement ou heureusement – car nous progressons, ce qui est positif.

Les mix énergétiques diffèrent d’un pays à l’autre : nous ne partons pas du même point. Ces différences nous contraignent à faire preuve d’une solidarité exemplaire cet hiver, afin de ne pas ajouter une crise économique à la crise énergétique, en laissant un pays pâtir seul de sa dépendance. Les ministres de l’énergie discuteront demain de la sobriété énergétique et de possibles dérogations en fonction des interconnexions et des exportations de chaque pays. La solidarité pour passer l’hiver profitera à tous. La situation actuelle permet aussi d’accélérer la transition énergétique, puisque les baisses de consommation du gaz ont été spectaculaires. Malgré les efforts de Mme Pompili, nous ne serions peut-être pas allés aussi vite autrement. La présidence tchèque a fait de ce sujet une priorité et souhaite aboutir à un accord dès demain.

Face à l’augmentation du coût des denrées alimentaires, Madame Leboucher, nous devons faire en sorte que les fonds dédiés à l’aide alimentaire, désormais gérés par le Fonds social européen, évoluent. Cela fait partie des priorités du Gouvernement, des autres États membres et de la Commission. Beaucoup de règles, concernant en particulier la protection des plus vulnérables, ont changé depuis le début de la crise, et nous continuons à y travailler.

Monsieur Falcon, la France n’a pas été sanctionnée pour ne pas avoir atteint ses objectifs en matière d’énergies renouvelables. La Commission est en train d’examiner notre cas, car nous avons 20 % d’énergies renouvelables et non 41 % comme nous nous y étions engagés. Nous sommes néanmoins en bonne voie grâce au projet de loi qui sera bientôt présenté au Parlement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La guerre en Ukraine, les dérèglements monétaires et la montée de forces politiques contestataires, opposées au projet européen tel qu’il a été mené ces dernières années, donnent au débat européen un caractère dramatique. Il y a une tension très forte entre, d’une part, les partisans d’une Union européenne fondée sur la démocratie, l’État de droit, la sécurité collective, l’économie de marché et l’ouverture des frontières et, d’autre part, des forces diverses qui contestent les structures économiques et sociales dominantes en Europe occidentale ou le modèle de la démocratie représentative et qui sont très mal à l’aise avec l’idée d’une solidarité occidentale passant par l’OTAN. Cette tension est très présente en France, comme dans l’ensemble de l’Europe, et constitue un enjeu majeur.

L’Europe n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut l’avoir à l’esprit, quelle que soit la façon dont on souhaite se situer dans le débat. Cela n’est d’ailleurs pas mauvais : la vie politique serait bien ennuyeuse s’il n’y avait pas un peu d’intensité dramatique. Je ne sais pas, néanmoins, s’il faut se réjouir de ce que, à la suite de Raymond Aron, on pourrait appeler un « optimisme catastrophique ».

Après cette note d’ambiance, je vous remercie, Madame la secrétaire d’État, de vous être prêtée à cette audition. Le fleuve tumultueux qu’est l’Europe réclamera certainement que vous reveniez bientôt parmi nous.

 

 

Information relative à la commission

En clôture de sa réunion, la commission désigne :

-          M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède (n° 157).

 

La séance est levée à 22 h 20

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Carlos Martens Bilongo, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Louis Boyard, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Frédéric Falcon, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Meyer Habib, Mme Marine Hamelet, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Ersilia Soudais, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa

 

Excusés. - M. Moetai Brotherson, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Joris Hébrard, Mme Amélia Lakrafi, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, M. Éric Woerth

 

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Warsmann