Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022 (n° 17 – M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général)              2

  information relative à la commission................26

  présences en réunion...........................27

 


Jeudi
7 juillet 2022

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 03

session extraordinaire de 2021-2022

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission entend M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022.

M. le président Éric Coquerel. Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, que j’ai eu l’occasion d’entendre dans cette commission à de nombreuses reprises, mais pas à cette place, ainsi qu’à Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, que nous avons déjà reçu ce matin. Ils viennent tous les deux nous présenter le projet de loi de finances rectificative pour 2022, qui a été déposé en cette fin d’après-midi sur le bureau de l’Assemblée nationale, à la sortie du Conseil des ministres.

La discussion en séance publique de ce projet de loi aura lieu le mercredi 20 et le jeudi 21 juillet. Nous sommes donc contraints de l’examiner en commission dès la semaine prochaine, mardi 12 et mercredi 13 juillet, ce qui fait que nous disposerons d’un temps restreint pour déposer des amendements sur ce texte, comme d’ailleurs sur le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, à savoir jusqu’à samedi 9 juillet à dix-sept heures. Nous l’avons vu tout à l’heure lors de la réunion du bureau : c’était la seule façon pour que l’administration puisse traiter les amendements dans le délai imparti, et encore en travaillant tout le week-end.

Je vous propose, comme ce matin, d’organiser l’audition de la façon suivante : après les ministres, le président et le rapporteur général interviendront, puis nous entendrons les orateurs des groupes, qui disposeront de deux minutes chacun. MM. les ministres répondront à ces orateurs et, en fonction du temps qu’ils pourront nous accorder, nous prendrons une seconde série de questions, à raison d’une minute par orateur.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Tout d’abord, j’adresse mes félicitations au président Coquerel pour son élection à la tête de la commission des finances. J’adresse également mes félicitations à toutes les députées et à tous les députés qui ont été élus et qui siègent dans cette prestigieuse commission.

Avec le ministre délégué chargé des comptes publics, nous avons présenté le projet de loi de finances rectificative pour 2022 et le projet de loi relatif au pouvoir d’achat il y a quelques instants en Conseil des ministres. Avant d’en venir plus spécifiquement au PLFR, qui nous occupe aujourd’hui, vous me permettrez de rappeler la stratégie globale que le Gouvernement a adoptée depuis plusieurs mois pour lutter contre l’inflation.

Première remarque, cette situation d’inflation est exceptionnelle : c’est la première fois depuis de nombreuses années que l’Europe est confrontée à une augmentation aussi forte et aussi rapide des prix à la consommation.

Nous sommes le premier État en Europe à avoir pris les mesures nécessaires pour contenir ce choc inflationniste. Dès l’automne 2021, nous avons gelé les prix du gaz. Sans cette disposition, ils auraient augmenté de 50 %. Nous avons plafonné la hausse du prix de l’électricité à 4 %, faute de quoi celui-ci aurait augmenté de 35 %. Nous avons complété ces mesures par une remise sur les carburants de 18 centimes par litre, par une revalorisation de 10 % du barème kilométrique de l’impôt sur le revenu et par un chèque énergie exceptionnel d’un montant de 100 euros, versé à près de 6 millions de Français. Pourquoi ces mesures ? Tout simplement parce que 60 % de l’inflation que nous subissons sur le territoire français est importée et liée au prix de l’énergie. Mettre en place un bouclier énergétique, c’est donc combattre l’inflation. La preuve en est que, même si le niveau de l’inflation est toujours trop élevé, nous avons le taux le plus faible de tous les pays de la zone euro : il se situe aux alentours de 5 %, alors qu’il approche voire dépasse les 10 % ailleurs dans la zone et que dans d’autres pays d’Europe, notamment les États baltes, il se situe entre 15 % et 20 %.

Nous sommes désormais au cœur du pic inflationniste – je le dis même s’il convient de garder beaucoup d’humilité face à ce qui peut se passer dans les mois à venir. Par ailleurs, il importe de bien comprendre à la fois le mécanisme qui est en jeu et le point où nous en sommes.

L’inflation a été amorcée par la vigueur de la reprise économique au lendemain du covid-19. Toutes les entreprises, que ce soit aux États-Unis, en Chine ou en Europe, ont demandé des matières premières, de l’énergie, du gaz, du pétrole, des semi-conducteurs – bref, les moyens de fonctionner pour répondre à une forte demande.

La deuxième raison de l’inflation est évidemment la crise en Ukraine, qui a commencé au début de l’année, et dont l’acteur principal est l’un des plus grands producteurs d’énergie au monde : la Russie.

S’ajoutent à cela les difficultés sur le marché chinois et la relocalisation des chaînes de valeur – que je revendique, mais qui coûte plus cher : produire des batteries électriques en France, par exemple, est plus coûteux que de les importer de Chine.

Tous ces éléments nous ont amenés à une inflation de l’ordre de 5 %. J’ai toujours dit que le plus dur était devant nous : désormais, nous y sommes. Le pic inflationniste, c’est maintenant ; c’est donc maintenant qu’il faut régler le problème et apporter des réponses complémentaires à celles que nous avions déjà apportées avec le Président de la République à l’automne dernier.

Ce que nous anticipons – mais je le dis avec beaucoup de prudence –, c’est que le choc inflationniste pourrait décroître à partir de l’année 2023, avec une incertitude majeure que je tiens à souligner et qui tient aux décisions que prendra Vladimir Poutine en matière de gaz.

Quelle est ensuite la philosophie de ce paquet visant à soutenir le pouvoir d’achat ? Trois principes politiques sont au cœur des décisions que nous avons prises.

Le premier est l’efficacité. C’est la raison pour laquelle il vous est proposé de maintenir l’intégralité du bouclier énergétique jusqu’à la fin de l’année 2022. Nous serions ainsi le seul État de la zone euro à geler intégralement le prix du gaz, alors même que nous faisons face à son explosion, et à plafonner à 4 % l’augmentation des tarifs de l’électricité, alors même que nous sommes aussi confrontés à une flambée de ces derniers. Je confirme, pour rassurer ceux qui ont exprimé des craintes à ce propos, qu’il n’y aura aucun rattrapage pour le consommateur début 2023, même si les prix continuaient à augmenter dans les semaines qui viennent.

Le deuxième principe est la justice. Cela consiste à protéger ceux qui n’ont absolument aucune arme pour se défendre contre l’inflation. C’est le cas des retraités, par exemple : si vous ne revalorisez pas les pensions de retraite, chaque point d’inflation supplémentaire est autant de pouvoir d’achat perdu. Nous revalorisons donc les pensions de 4 %, après une revalorisation de 1,1 % au début de l’année 2022. C’est la même chose pour les fonctionnaires, ce qui explique que nous revalorisions le point d’indice. Il en va de même pour les familles : d’où la revalorisation des prestations familiales – car il est évident que lorsque l’on a deux, trois ou quatre enfants, le coût de l’alimentation est d’autant plus pénalisant pour la vie quotidienne.

Le troisième principe est la préservation des finances publiques. Nous ne voulons pas financer ce paquet par la dette. Nous souhaitons donc qu’il le soit par les rentrées fiscales de l’année 2022. Grâce aux mesures de relance que nous avons prises, l’activité a été forte en 2021, notre économie résiste et donc les recettes d’impôt sur les sociétés sont bonnes. Les cotisations sociales sont elles aussi plus élevées, parce que nous avons créé des emplois. Ces recettes permettent de financer le paquet en faveur du pouvoir d’achat sans alourdir le déficit ni la dette publique. C’est le cœur de notre politique : pour redistribuer des richesses, il faut d’abord en créer.

Quelles sont ensuite les grandes lignes de ce paquet ? Je rappelle que nous avons déjà engagé 23 milliards d’euros en 2021 et 2022 pour protéger nos compatriotes, notamment à travers le bouclier énergétique. Nous ajoutons, avec ce paquet, 20 milliards d’euros de mesures nouvelles, dont 10 milliards figurent dans le projet de loi de finances rectificative qui vous est présenté.

Ce sont d’abord les mesures d’indexation dont j’ai parlé : indexation des retraites et revalorisation du point d’indice pour 3,7 milliards d’euros, revalorisation des allocations et des prestations sociales pour 2 milliards d’euros.

Ce sont ensuite des aides ciblées spécifiques qui visent les postes de dépenses quotidiennes les plus lourds pour nos compatriotes.

Le premier de ces postes est le loyer. Après une longue consultation de l’ensemble des acteurs concernés, nous avons décidé de plafonner à 3,5 % l’indice de revalorisation des loyers, faute de quoi la revalorisation aurait été de l’ordre de 6 %. Entre le 1er octobre 2022 et le 1er octobre 2023, les loyers ne pourront donc pas augmenter de plus de 3,5 % ; chez nos voisins européens, la hausse sera de près de 10 %. Cette mesure procure donc une protection massive et efficace.

Le deuxième poste de dépenses, dont vous avez évidemment tous entendu parler dans vos circonscriptions, ce sont les carburants. La hausse des prix des carburants pénalise principalement tous ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour aller travailler, qu’il s’agisse de salariés, d’agents publics ou de travailleurs indépendants, sans oublier les aides-soignants et les infirmiers à domicile. Tous ces gens nous disent qu’ils ne peuvent plus aller travailler, que cela leur coûte trop cher. C’est inacceptable.

Nous avions engagé une remise de 18 centimes d’euros par litre, qui avait le mérite d’être massive mais qui couvrait tout le monde indifféremment. Nous vous proposons de la supprimer progressivement : elle pourrait passer à 12 centimes en octobre, 6 centimes en novembre avant de s’éteindre définitivement en décembre. À la place, dès le 1er octobre, nous ouvririons un guichet à la direction générale des finances publiques où pourrait venir s’inscrire, sur une base déclarative – par souci de simplification – toute personne utilisant sa voiture pour aller travailler, y compris les alternants.

Nous proposons d’aller jusqu’au cinquième décile – mais je suppose que des discussions auront lieu à ce propos –, ce qui permettrait de couvrir 11 millions de foyers, soit la moitié des travailleurs salariés utilisant leur véhicule. Cette mesure toucherait donc les catégories populaires et les classes moyennes. L’indemnisation serait de 200 euros pour les premier, deuxième et troisième déciles et de 100 euros pour les quatrième et cinquième déciles, là aussi dans un souci de justice. Nous prévoyons une majoration de 50 % pour tous ceux dont le lieu de travail est situé à plus de 30 kilomètres du lieu d’habitation et qui ont donc des dépenses encore plus importantes.

Le troisième poste de dépenses majeur est l’alimentation. Nous proposons un chèque alimentaire de 100 euros par foyer et de 50 euros par enfant, qui concernera les 9 millions de foyers les plus modestes.

La troisième grande ligne du paquet consiste à protéger tous ceux qui travaillent : revalorisation de 4 % de la prime d’activité ; baisse des cotisations sociales pour les indépendants, qui touchera 2 millions de personnes ; triplement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA), défiscalisée, qui sera portée à 6 000 euros ; simplification de l’intéressement et de la participation, de façon à inciter les entreprises à utiliser davantage ces mécanismes de répartition de la valeur et de rémunération des salariés.

Je souhaite insister sur deux principes qui me paraissent importants. Le premier est la préservation des finances publiques. Nous avons atteint la cote d’alerte car les conditions de financement ne sont plus les mêmes. Par conséquent, chaque euro compte. Nous voulons tenir la trajectoire qui nous permettra de revenir en dessous des 3 % de déficit en 2027, contre 6,5 % en 2021 et 5 % en 2022.

Le second principe est que le fardeau doit être partagé équitablement. Les entreprises doivent en prendre leur part. Certaines le font par des augmentations de salaire. Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. Par ailleurs, toutes celles qui bénéficient de la situation actuelle parce qu’elles sont dans des secteurs porteurs, tels que celui des hydrocarbures et celui du transport, doivent redistribuer une partie de leurs profits à nos compatriotes. Nous ferons les comptes d’ici à la fin de l’année pour nous assurer que les entreprises ont bien fait le nécessaire.

Pour finir, je dirai quelques mots du PLFR lui-même, pour que chacun mesure bien la répartition des crédits. Ce projet de loi de finances rectificative autorise l’ouverture de 44 milliards d’euros de nouveaux crédits. Il se décompose en quatre volets.

Le premier concerne la lutte contre l’inflation – je ne reviens pas sur les mesures que je viens de présenter : la moitié d’entre elles environ figurent dans ce texte, pour un montant total de 9,3 milliards d’euros.

Deuxième volet majeur : le PLFR prévoit des crédits pour la nationalisation d’EDF et pour toute autre opération qui pourrait s’avérer nécessaire dans le contexte économique très particulier où nous sommes. Nous avons donc décidé d’inscrire 12,7 milliards d’euros au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Troisième volet : le texte prévoit des ouvertures de crédits pour diverses mesures de soutien à l’économie – concernant notamment l’alternance et l’emploi –, pour près de 10 milliards d’euros.

Enfin, le PLFR matérialise de manière très claire que nous avons atteint la cote d’alerte pour les finances publiques, puisque nous sommes obligés d’ouvrir 12 milliards d’euros de crédits pour faire face à l’augmentation de la charge de la dette liée à l’inflation en France et dans la zone euro. On ne saurait mieux dire la nécessité de compter chaque euro.

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. Si nous présentons plusieurs textes pour mettre en œuvre le paquet pouvoir d’achat, c’est pour respecter la spécificité du domaine des lois de finances, défini par la Constitution, mais il s’agit bien d’un seul et même ensemble, qui dépasse d’ailleurs les deux textes transmis au Parlement puisque certaines mesures sont d’ordre réglementaire. Nous avons ainsi adopté tout à l’heure en Conseil des ministres le décret permettant la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique de 3,5 %, les crédits correspondants étant quant à eux inscrits dans le PLFR. Pour la fonction publique d’État, la mesure s’appliquera dès la feuille de paye du mois de juillet ; pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière, ce sera sur celle du mois d’août, avec évidemment effet rétroactif pour le mois de juillet.

Ces textes possèdent une logique et une cohérence, à savoir la poursuite de la lutte contre l’inflation, avec des mesures que l’on pourrait résumer en disant qu’il s’agit de dépenser moins et de gagner plus. Bruno Le Maire a évoqué la plupart d’entre elles. Je mentionnerai simplement la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, contenue dans le PLFR. La disparition de cet impôt, payé par 23 millions de Français, permettra à ces derniers de gagner 138 euros dès l’automne prochain. Là où certains voudraient augmenter les impôts, nous les baissons ; là où certains voudraient en créer, nous en supprimons, comme nous l’avons fait avec la taxe d’habitation, qui a été supprimée pour 80 % des Français – pour les 20 % qui la payent encore, elle a d’ores et déjà baissé d’un tiers et diminuera encore d’un tiers cette année, avant d’être intégralement supprimée l’an prochain.

Un certain nombre d’ouvertures de crédits prévues dans le PLFR correspondent à des mesures que nous avons prises dans le cadre du plan de relance ou du plan de résilience économique et sociale.

Il s’agit notamment de poursuivre notre politique en faveur de l’apprentissage, qui constitue un formidable succès partout sur le territoire : les chefs d’entreprise, en particulier les artisans, nous disent à quel point les mesures prises dans ce domaine leur sont utiles. Désormais, 700 000 jeunes sont en apprentissage, contre moins de 300 000 en 2017.

Nous continuons également à soutenir les Français qui souhaitent acquérir un véhicule hybride ou électrique, à travers le financement du bonus écologique qui est prévu dans le texte.

Nous poursuivons aussi les mesures destinées à aider les entreprises particulièrement affectées par l’inflation et la hausse des coûts de l’énergie. À cet égard, l’aide aux entreprises énergo-intensives a démarré cette semaine. Elle concerne les entreprises dont plus de 3 % du chiffre d’affaires est consacré à des dépenses d’électricité ou de gaz et qui ont vu leur facture doubler sur la période de référence par rapport à 2021. Cette aide très concrète leur permettra de résister.

La cohérence vaut également, comme vient de le rappeler Bruno Le Maire, en ce qui concerne la maîtrise des comptes publics, à travers une trajectoire que nous entendons poursuivre : 8,9 % de déficit en 2020, 6,4 % en 2021, 5 % en 2022 en intégrant ce paquet et 3 % en 2027. Il y va, là aussi, du pouvoir d’achat des Français, car la dette que nous accumulerions aujourd’hui serait un impôt que les Français paieraient demain ou après-demain. Il y va également de l’indépendance de notre pays, car un pays qui ne tient pas ses comptes n’est pas un pays libre. Nous défendons l’indépendance et la souveraineté de notre pays sur le plan énergétique, sur le plan alimentaire et sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan financier.

M. le président Éric Coquerel. Mes questions et mes observations ne surprendront pas Bruno Le Maire : je les faisais précédemment au fond de la salle.

Tout d’abord, selon votre analyse macroéconomique, nous sommes au sommet du pic inflationniste et il y a toutes les raisons de penser que la courbe va décroître à partir de 2023. Sur quoi fondez-vous cette analyse ? Si vous considérez que l’inflation provient principalement de la guerre en Ukraine – même si ce n’est pas ce que vous avez dit –, j’infirme pour ma part cette idée : des logiques spéculatives sont à l’œuvre, qui profitent de la guerre mais sont indépendantes de celle-ci.

Si je vous interroge sur ce point, c’est parce que l’augmentation des prix est forte et qu’elle continue : elle a atteint 5,9 % en juin et devrait approcher les 7 % en septembre. En moyenne annuelle, elle serait ainsi de 5,5 % en 2022, alors que les salaires n’augmenteront que de 3,6 % en moyenne – et cette moyenne cache de fortes disparités. Pour remédier à cette situation, vous demandez aux chefs d’entreprise d’augmenter les salaires et vous dites que le bilan sera fait à la fin de l’année. Nous ne sommes pas sûrs que les salaires vont augmenter, mais entre-temps les aides auront été attribuées aux entreprises, sans contrepartie. Vous savez que cette méthode a constitué, à mes yeux, l’un des problèmes majeurs des cinq dernières années. C’est la raison pour laquelle je préconise plutôt, avec les groupes qui ont proposé mon élection à la tête de cette commission, de porter le SMIC à 1 500 euros net et d’organiser une conférence annuelle du travail cadrée, rassemblant les partenaires sociaux et permettant d’augmenter les salaires.

Comment pensez-vous, concrètement, faire en sorte que les salaires augmentent, qu’il s’agisse aussi bien de leur part nette que de leur part socialisée ?

Le pouvoir d’achat des Français a diminué de 1,5 % au premier trimestre. Or, comme à chaque fois, les mesures que vous proposez ne sont que des coups de pouce ponctuels au pouvoir d’achat, à l’image du chèque énergie et de l’indemnité inflation. Ce ne sont pas des dispositions permettant d’améliorer structurellement le partage des richesses.

Avec ce plan d’urgence sociale, 55 milliards d’euros environ sont mis sur la table. Je regrette que, plutôt que de continuer à appauvrir l’État en diminuant de 10 milliards les impôts de production, on n’en ait pas profité pour récupérer de l’argent, notamment auprès de tous ceux qui ont largement profité de la crise. Vous le savez aussi bien que moi : alors que tous les groupes du CAC40 ont reçu des aides publiques en 2021, les deux tiers d’entre eux ont battu des records en matière de profits et leurs actionnaires vont recevoir sous forme de dividendes et de rachats d’actions plus de 80 milliards d’euros au titre de l’année 2021. Il y aurait donc eu matière à créer une taxe pérenne – c’est ce que nous souhaitions – ou, à tout le moins, exceptionnelle.

Par ailleurs, la plupart des mesures que vous proposez ne permettent pas de compenser l’inflation. J’en veux pour preuve les aides sociales et l’aide personnalisée au logement (APL). C’est vrai également pour les fonctionnaires : certes le point d’indice va augmenter, mais comme il avait été gelé pendant des années, cette hausse sera de toute façon inférieure à l’inflation, et les fonctionnaires continueront à perdre du pouvoir d’achat.

Vous nous dites que l’augmentation des loyers va être bloquée à 3,5 %. La lecture que je fais de cette mesure est tout autre : votre proposition signifie concrètement que les loyers pourront connaître jusqu’à 3,5 % d’augmentation, tandis que la hausse de l’APL – que tout le monde ne touche pas, d’ailleurs – sera bien inférieure, ce qui se traduira par une perte de quasiment 200 euros. Le logement est pourtant considéré, dans la plupart des foyers modestes, comme le problème numéro un.

Pour ces raisons, il y a donc une disparité entre, d’un côté, ce que vous laissez augmenter ou ne freinez pas suffisamment et, de l’autre, les aides sociales que vous mettez sur la table.

Il en va de même en ce qui concerne le carburant et l’énergie – je m’en tiendrai au premier pour ne pas aborder l’ensemble des questions. Pourquoi, monsieur le ministre, ne bloquez-vous pas le prix du carburant, dès lors que la remise de quelques centimes au litre consentie par l’État – dont vous avez dit, d’ailleurs, que vous alliez progressivement la flécher d’une autre manière – est avalée par la hausse ? Qui plus est, les raffineurs, comme TotalEnergies, continuent à s’enrichir sans qu’il leur soit demandé de contribuer à l’effort national.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je salue ce paquet destiné à lutter contre les effets de l’inflation, pour trois raisons en particulier – mais il y en aurait beaucoup d’autres.

Premièrement, il procurera un soutien massif, à hauteur de 20 milliards d’euros, et bénéficiera à l’ensemble des Français : personne ne sera laissé sur le bord de la route.

Deuxièmement, il ciblera plus spécifiquement ceux qui sont le plus affectés, qu’il s’agisse des gros rouleurs ou des personnes ayant les revenus les plus faibles. Il est de bonne gestion de passer de dispositifs très généraux à des dispositifs aussi ciblés que possible.

Troisièmement, il traduit notre volonté partagée de maintenir à 5 % le déficit en 2022. La hausse des taux va nous coûter 12 milliards d’euros, ce qui rappelle à la réalité tous ceux ici qui pensaient que la dette n’avait pas de conséquences et qu’on pouvait continuer à l’augmenter indéfiniment. Nous avons l’obligation économique, mais aussi morale, vis-à-vis des générations futures, de tenir la trajectoire de rétablissement des finances publiques.

Je souhaite vous poser quatre questions.

Vous annoncez que ces mesures, qui représentent 3 points de PIB, permettront de maintenir voire d’augmenter légèrement le pouvoir d’achat des Français en 2022, après une hausse assez significative en 2021. Pouvez-vous être un peu plus précis ?

Vous n’avez pas modifié votre prévision de solde public effectif pour 2022, qui demeure à – 5 % du PIB depuis la loi de finances initiale, estimant que la révision à la hausse du niveau des recettes compensait grosso modo l’augmentation des dépenses. Pourtant, le présent PLFR prévoit une augmentation de 14,6 milliards d’euros du déficit de l’État et, dans le même temps, une révision à la baisse de la croissance. Comment expliquez-vous ces différents éléments ? Par ailleurs, comment parvenez-vous à faire baisser le ratio dette/PIB ?

Le PLFR prévoit une augmentation très significative des recettes fiscales et non fiscales de l’État. Les recettes liées à l’impôt sur les sociétés (IS) apparaissent très dynamiques en 2022, puisqu’elles augmenteraient de 20 % par rapport à 2021 après une hausse tout aussi significative l’année dernière, en dépit d’une baisse du taux d’imposition. Quelle est donc la contribution des entreprises à l’augmentation des recettes de l’État depuis 2020 ?

Vous avez déjà répondu en partie à ma dernière question, qui porte sur les 15,1 milliards d’euros venant abonder les crédits de la mission Économie et les 12,7 milliards devant permettre à l’État d’intervenir dans les entreprises stratégiques françaises. Vous avez parlé d’EDF : quels seront les montants consacrés respectivement à cette entreprise et à d’autres participations éventuelles ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Je vous remercie pour la qualité de ce beau débat démocratique que nous venons d’engager sur la meilleure façon de protéger nos compatriotes des effets de l’inflation.

S’agissant des prévisions, je m’exprime avec humilité et prudence car notre monde est particulièrement instable. Nous élaborons différents scénarios, puis nous choisissons un scénario de référence, mais il est possible que ce dernier soit démenti par la réalité en raison des événements géopolitiques et des décisions que prendra Vladimir Poutine au sujet du gaz. Je le répète, une coupure brutale et totale de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe aurait un impact économique lourd sur la croissance dans la zone euro, en particulier pour notre premier partenaire commercial, l’Allemagne. Si nous devons prendre cet élément en considération, notre scénario de référence reste le même que celui du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de nombreux observateurs, à savoir celui d’une décroissance progressive de l’inflation à partir du milieu ou de la fin de l’année 2023. En effet, nous ne subirons pas chaque année une hausse de 100 % du prix du pétrole et nous cherchons, avec d’autres États, des solutions alternatives aux énergies fossiles russes. Par ailleurs, les perturbations affectant les chaînes d’approvisionnement devraient s’atténuer, notamment du fait de la réouverture du marché chinois.

Je veux cependant être très clair : à la sortie de cette crise inflationniste, le niveau moyen d’inflation sera environ deux fois plus élevé que celui que nous connaissions avant la crise du covid, car certains facteurs structurels ne changeront pas. Je citerai deux raisons qui me paraissent absolument décisives. D’une part, nous faisons le choix d’une régionalisation de la mondialisation : nous avons décidé de produire sur le territoire français ou européen un certain nombre de biens industriels que nous importions jusque-là, parmi lesquels les semi-conducteurs ou les batteries de voitures électriques. Cela va dans le bon sens mais cette production est, de fait, inflationniste. D’autre part, la transition énergétique que nous avons engagée est très coûteuse – sans doute même beaucoup plus que nous ne l’imaginons. Nous devons construire de nouvelles infrastructures nécessaires à la production d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables, nous devons décarboner un certain nombre de sites industriels, en utilisant notamment l’hydrogène, et cela renchérit considérablement les coûts de production.

Le niveau des salaires est une vraie question, que je n’évacue pas d’un revers de la main car c’est probablement l’attente la plus forte de nos compatriotes. Je le répète : toutes les entreprises qui disposent des marges de manœuvre pour augmenter les salaires doivent le faire – c’est d’ailleurs dans leur intérêt, car les problèmes de recrutement rencontrés dans tout le territoire montrent que l’attractivité des entreprises tient avant tout au niveau de salaire qu’elles proposent. Les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration ont consenti des hausses de salaire importantes, sans lesquelles ils n’auraient pas eu la possibilité de recruter. Certaines entreprises, notamment les plus petites d’entre elles – les PME et TPE –, arguent du fait qu’elles ne peuvent se projeter au-delà d’une ou deux années et refusent donc d’accorder des augmentations salariales qui pourraient menacer leur survie dans deux ou trois ans. Je les comprends parfaitement : rien ne garantit à un petit entrepreneur du bâtiment dans l’Eure, qui gagne des marchés aujourd’hui, que la situation sera aussi bonne dans deux ans. Cependant, nous avons mis à la disposition des entreprises tous les instruments nécessaires pour garantir, dans des conditions économiques viables, une meilleure rémunération des salariés. J’invite notamment les employeurs à utiliser la PEPA, défiscalisée, dont le montant peut atteindre 6 000 euros et qui permet d’accroître les salaires sans risquer de fragiliser l’entreprise ou de menacer son avenir à long terme. J’ajoute que les dispositifs d’intéressement et de participation ont été massivement simplifiés et que nous avons supprimé la taxe de 20 % sur l’intéressement pour les PME.

Je vous rejoins, monsieur le président – cela nous arrivera sans doute rarement –, sur la question des minima de branche. Il n’est pas acceptable qu’un si grand nombre de minima de branche soient inférieurs au salaire minimum : de ce fait, les salariés de ces branches embauchés au niveau du SMIC – c’est le minimum légal – poursuivent leur carrière sans augmentation salariale, ce qui les décourage et les maintient dans des conditions de vie déplorables. C’est pourquoi le ministre du travail a formulé plusieurs propositions, que la Première ministre a rappelées et qui doivent permettre de remédier à cette difficulté sociale.

Je le répète : les entreprises, notamment celles qui bénéficient de la situation actuelle, doivent porter leur part du fardeau. Je les incite vivement à redistribuer les profits qu’elles réalisent au bénéfice de nos compatriotes. Nous ferons les comptes d’ici à la fin de l’année.

Je crois évidemment à la politique fiscale que nous avons conduite sous l’égide du Président de la République. La baisse des impôts de production se traduit par une réindustrialisation de fait de notre pays : nous créons enfin des emplois industriels et nous rouvrons des usines. Pour continuer dans cette voie, il ne faut pas que nos impôts de production soient sept fois plus élevés que ceux de nos voisins allemands. Je rappelle que le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené, sous mon autorité et celle du Président de la République, avec l’accord de la majorité précédente, de 38 % à 25 % entre 2017 et 2022. Cela n’empêche pas les recettes de l’IS d’être plus élevées en 2022 qu’en 2017, pour la simple raison que la baisse du taux a permis aux entreprises de dégager des bénéfices plus importants.

S’agissant des fonctionnaires, la revalorisation du point d’indice s’ajoute à des mesures catégorielles et à des mesures techniques de revalorisation des traitements.

Vous connaissez ma position relative au blocage des prix des carburants. Au bout du compte, il y a toujours quelqu’un qui paie. Si nous décidons de plafonner le prix du litre à 1,40 ou 1,50 euro, ou encore de supprimer toute taxe au-delà de ce montant, le coût de la mesure sera supporté soit par l’État, soit par les fournisseurs, lesquels décideront d’arrêter de nous livrer du pétrole puisqu’ils préféreront le vendre ailleurs. Au fond, cela revient à choisir entre l’effondrement de nos finances publiques – la suppression de toute taxe pour ramener le prix du carburant à 1,50 euro par litre coûterait 50 milliards d’euros par an – et la formation de files d’attente à l’entrée des stations-services du fait des pénuries de carburant. Je ne crois ni au plafonnement des prix, ni à la suppression de toute taxe sur les carburants ; je crois bien davantage à la proposition que nous faisons.

Puisque notre objectif est d’accélérer la décarbonation de l’économie, il serait surprenant de subventionner les énergies carbonées : il ne convient donc pas de réduire les recettes fiscales liées aux énergies fossiles. En revanche, et bien que le ministre délégué chargé des comptes publics soit très attaché au principe de non-affectation des taxes, nous pourrions faire une exception pour celles portant sur les énergies fossiles, dont les recettes pourraient être fléchées vers le financement de la transition écologique et énergétique – j’ai déjà formulé à plusieurs reprises cette proposition juste et efficace, et je suis tout à fait prêt à travailler dans ce sens.

Monsieur le rapporteur général, je veux vous rassurer s’agissant de la hausse des taux. Ne cédons pas à une forme de surenchère verbale : nous avons certes atteint une cote d’alerte, mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir au sujet du financement de la dette française sur les marchés. Le taux d’emprunt à dix ans, qui était monté à plus de 2 %, est redescendu aux alentours de 1,7 %, et notre spread avec l’Allemagne est maîtrisé. Toutefois, à partir de maintenant, chaque euro compte, et nous devons veiller à la manière dont nous orientons nos finances publiques car tout peut déraper très vite. Les marchés seront extraordinairement attentifs aux décisions que nous prendrons. Je rappelle également que 10 % de la dette française sont indexés sur l’inflation, et que les deux tiers de ces 10 % sont indexés sur le niveau d’inflation moyen de la zone euro, lequel est plus élevé que l’inflation française. Ainsi, lorsque l’inflation est forte, non seulement les taux augmentent, mais la charge de la dette progresse également très fortement : c’est pourquoi 12 milliards d’euros supplémentaires ont été inscrits à ce titre dans le PLFR. Je le répète : toutes ces évolutions dépendent très fortement des décisions que vous prenez, en tant qu’élus du peuple, en matière de finances publiques.

Nous estimons que l’ensemble des mesures prises en 2021 et 2022 permettront de maintenir, en moyenne, le pouvoir d’achat de nos compatriotes. Si je me méfie comme de la peste des statistiques et des moyennes, qui sont généralement à des années-lumière des situations personnelles réellement vécues, je me réjouis tout de même de cette évaluation statistique moyenne, selon laquelle l’ensemble des mesures adoptées préserveront le pouvoir d’achat des Français.

S’agissant enfin des 12,7 milliards d’euros venant abonder le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État, je n’ai pas le droit de vous préciser le montant exact qui sera consacré à la nationalisation d’EDF, puisqu’il s’agit d’une opération en cours – les choses seront précisées dès que l’opération aura été bouclée. Je redis cependant que ces 12,7 milliards ne serviront pas uniquement au financement de la nationalisation d’EDF, mais également à d’autres opérations qui pourraient s’avérer nécessaires au cours de l’année.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous avons dit en effet que ce paquet de mesures de soutien public au pouvoir d’achat représentait 3 points de pouvoir d’achat. Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur général, je précise que 1,5 point correspond au « dépenser moins » que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire à toutes les mesures permettant de contenir l’inflation, et que 1,5 point correspond au « gagner plus », à savoir à toutes les revalorisations de prestations et de minima, à toutes les mesures que nous avons prises en faveur de la rémunération des salariés – pérennisation de la PEPA – et des fonctionnaires – revalorisation du point d’indice – et à la suppression de la redevance audiovisuelle.

Vous nous avez demandé pourquoi nous maintenions notre prévision de solde public à – 5 % du PIB alors que le PLFR comporte des dépenses nouvelles et seulement 31 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Cela s’explique par le fait que le déficit de l’État est présenté en comptabilité budgétaire alors que le solde public est issu de la comptabilité nationale. Les 55 milliards d’euros de recettes supplémentaires prévus en 2022 ne correspondent pas uniquement à des recettes de l’État – il y a aussi des recettes de sécurité sociale – et ne sont donc pas tous présentés dans ce texte. C’est la raison pour laquelle nous parvenons à maintenir à 5 % notre prévision de déficit pour 2022 et à ne pas dévier de la trajectoire qui doit nous conduire à 3 % de déficit en 2027.

S’agissant du ratio dette/PIB, notre prévision de PIB a été révisée à la hausse par rapport à celle de la loi de finances initiale pour 2022 – après avoir procédé à une première réévaluation en loi de finances rectificative pour 2021, nous avons constaté qu’il convenait d’augmenter encore notre prévision. C’est ce qui explique les écarts que vous avez constatés.

Vous nous avez enfin interrogés sur le rehaussement très important des recettes fiscales et non fiscales de l’État, en particulier de celles issues de l’impôt sur les sociétés. Si nous prévoyons une augmentation de ces dernières alors même que notre prévision de croissance est inférieure à celle que nous avions inscrite dans la loi de finances initiale pour 2022, c’est parce que les données dont nous disposons montrent que le bénéfice fiscal des entreprises a progressé très fortement – de 40 % – en 2021. Cette « bonne surprise » observée fin 2021 a un effet double en 2022, du fait de la mécanique de cet impôt, puisque tant le solde de l’exercice 2021 versé en 2022 que les acomptes payés en 2022 connaissent une forte hausse.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je vous remercie d’avoir rappelé que ce paquet de mesures en faveur du pouvoir d’achat devait être appréhendé dans son ensemble, en soulignant tant sa cohérence que son ampleur.

La cohérence de ce paquet témoigne de l’esprit de responsabilité qui anime la majorité depuis 2017, grâce auquel nous avons pu faire face aux crises d’ampleur que nous avons traversées. Le redressement des finances publiques n’est pas une option. C’est notre majorité qui a fait sortir la France de la procédure de déficit excessif, qui avait stabilisé la dette avant la crise sanitaire et qui avait « sincérisé » le budget de l’État. J’insiste également sur la cohérence de ce paquet avec les mesures en faveur du pouvoir d’achat prises par la majorité ces cinq dernières années, en gardant comme boussole la revalorisation du travail. N’oublions pas tout ce que nous avons décidé et intégralement financé : la hausse de la prime d’activité, la baisse des cotisations salariales, la baisse de l’impôt sur le revenu, la suppression de la taxe d’habitation, les revalorisations salariales importantes telles que celles décidées dans le cadre du Ségur de la santé.

Oui, nous continuons à mener une politique de l’offre, une politique qui crée avant de redistribuer et qui récompense le travail. Oui, nous conduisons une politique de lutte ciblée contre l’inflation pour préserver le pouvoir d’achat des Français – cette politique, d’une ampleur sans précédent, revêt également une dimension structurelle. Oui, nous poursuivons les baisses d’impôts engagées pendant le précédent quinquennat.

L’ampleur des mesures proposées par le Gouvernement, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros, doit nous inviter à la plus grande responsabilité à l’aube du débat parlementaire. La revalorisation du point d’indice coûtera 7,5 milliards d’euros, soit l’équivalent de la somme des budgets des ministères de l’agriculture et des outre-mer. Ce montant doit nous faire réfléchir, alors que notre pays emprunte chaque jour ouvré plus d’un milliard d’euros sur les marchés financiers.

Messieurs les ministres, quel est le scénario de taux d’intérêt que vous avez retenu dans ce PLFR et qui diffère de celui envisagé en loi de finances initiale ?

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous ne nous attendions pas à grand-chose, mais nous sommes quand même déçus – pas pour nous mais pour les Français, en particulier pour les classes moyennes qui, encore et toujours, n’ont droit à rien, sont les grandes perdantes et vont tenir à bout de bras ce qui reste debout dans notre pays par leurs efforts, leur travail et leur épargne. Vous dites que l’effort est partagé, mais je ne sais pas de quoi vous parlez. Jamais le désordre économique et social n’a été aussi fort en France : d’un côté, des travailleurs, des entrepreneurs, des retraités qui ne s’en sortent plus ; de l’autre, des profiteurs de crise et même des profiteurs de guerre qui ne font aucun effort et se gavent de l’argent des Français comme ils se sont gavés de l’argent public pendant la crise du covid. Vous me faites penser à Necker qui, à l’aube de la Révolution, demandait au clergé de faire un don ou de lui accorder l’aumône pour sauver l’État. Une fois encore, vous demandez l’aumône aux profiteurs ; je peux vous dire que ces gens ne vous donneront rien, comme ils n’ont jamais rien donné à la France que l’État ne leur impose. Vous êtes les garants de l’ordre économique et de la justice fiscale : vous n’avez pas à demander des efforts aux plus chanceux d’entre nous, vous devez leur demander justice pour le peuple français.

Marine Le Pen a été la première grande dirigeante politique à annoncer l’inflation structurelle qui allait frapper l’Occident et la France. La seule manière macroéconomique de diminuer l’inflation importée consiste à baisser la TVA – à fixer à 0 % le taux de TVA auquel sont soumis les biens de première nécessité et à ramener de 20 % à 5,5 % le taux de TVA applicable à l’énergie, qu’il s’agisse du carburant, bien sûr, mais aussi du fioul, qui est le grand oublié du Gouvernement. Comme nombre d’entre nous, je reçois en ce moment des factures de fioul transmises par des habitants de ma circonscription devant remplir une cuve de 2 000 litres : les montants ont doublé en un an. Comment voulez-vous que nos compatriotes puissent honorer ces factures ? C’est totalement impossible !

Enfin, je ne comprends pas pourquoi vous gâchez des ressources publiques pour nationaliser EDF, que vous contrôlez déjà – à moins qu’il ne s’agisse de récupérer le capital de l’entreprise pour mieux la démanteler en échappant à des procédures contraignantes. Vous devriez plutôt accélérer le déploiement des nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR), sans attendre 2035, et sauver ce qui reste de notre indépendance énergétique.

M. David Guiraud (LFI-NUPES). Je commencerai par une question simple. Ce PLFR comprend une partie du paquet de mesures en faveur du pouvoir d’achat, qu’il convient de mettre au regard de l’augmentation générale des prix. Vous avez affirmé que vous alliez préserver le pouvoir d’achat moyen des ménages, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Ce pouvoir d’achat va-t-il augmenter, stagner ou baisser ? En d’autres termes, l’inflation va-t-elle, comme je le crains, dévorer les aides sitôt qu’elles auront été versées ?

Vous mettez en avant votre bouclier tarifaire mais, avant sa création fin 2021, des flèches avaient déjà frappé les prix. Le prix du gaz, par exemple, a augmenté de 30 % entre janvier et novembre 2021, et il en est de même des prix de l’essence et de l’électricité. Comment comptez-vous revenir sur ces hausses de tarifs, qui sont insupportables pour nos concitoyens ?

Les marges des fournisseurs d’énergie ont augmenté. Pourquoi refusez-vous donc de bloquer les prix pour créer, cette fois, un bouclier contre les profits déraisonnables ?

Dans tous les domaines, vos mesures ne semblent pas rattraper la hausse des prix. Vos aides sont dérisoires – pire, pour les pauvres, elles sont provisoires. Vous prétendez combattre l’inflation avec des chèques inflation. Cela ne conduira qu’à une chose : l’inflation des chèques inflation. Pourquoi ne pas opter pour une hausse durable des bas salaires, en commençant par exemple par fixer le SMIC à 1 500 euros net ? Pourquoi ne pas faire contribuer les entreprises qui le peuvent, notamment les plus grandes, à l’effort que vous demandez aux TPE et PME ? Pendant ce temps, les 500 Français les plus riches ont un ticket d’or illimité : ils possèdent plus de 1 000 milliards d’euros, et leur fortune a été multipliée par quatre en dix ans. Pourquoi refusez-vous de partager ces richesses, au moins pendant la crise ?

S’agissant des causes de l’inflation, comment réagissez-vous à la récente déclaration de M. Leclerc, qui a qualifié certaines hausses de prix de suspectes ? Compte tenu de votre fonction, vous devez avoir des éléments de réponse, monsieur le ministre. Y a-t-il une spéculation qui croque dans le pouvoir d’achat des Français, oui ou non ? Y a-t-il des profiteurs de crise, oui ou non ? Si oui, combien nous volent-ils et comment comptez-vous enfin les sanctionner ?

Mme Véronique Louwagie (LR). Quand j’ai entendu que le paquet de mesures s’élevait à 20 milliards d’euros, je n’ai pu m’empêcher de comparer ce montant aux 19,7 milliards d’augmentation des recettes issues de trois impôts – l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu et la TVA – constatée lors des cinq premiers mois de l’année 2022 par rapport aux cinq premiers mois de l’année 2021. Cette augmentation s’établit effectivement à 10,4 milliards pour l’impôt sur les sociétés, à 3,6 milliards pour l’impôt sur le revenu et à 5 milliards pour la TVA. Finalement, les 20 milliards du paquet de mesures ne sont donc qu’une redistribution des 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires encaissées lors des cinq premiers mois de l’année. Pouvez-vous s’il vous plaît me confirmer ces montants pour ces trois impôts au 30 juin ?

J’aimerais également évoquer nos propositions, notamment celle relative au prix du carburant. Comme Mme la Première ministre l’a dit hier, il est important « de nous parler plus, de nous parler mieux, et de construire ensemble ». La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la TVA sont les impôts les plus injustes, parce qu’ils touchent la France qui travaille, la France qui se lève tôt. Vous étiez un élu de l’Eure, monsieur le ministre, et moi je suis députée de l’Orne : nous connaissons tous les deux ces territoires ruraux où le prix du carburant pose un problème beaucoup plus important – les salariés y effectuent des trajets moyens de 27 kilomètres – et à qui il faut apporter une réponse. Contrairement à ce que vous dites, un plafonnement du prix du carburant à 1,50 euro par litre ne représente pas du tout, pour le Gouvernement, une dépense de 50 milliards d’euros. La seule TICPE produit 33 milliards de recettes fiscales ; si l’on y ajoute la TVA applicable aux carburants, on arrive à 50 milliards. Or nous ne proposons pas du tout de supprimer la totalité de ces taxes.

M. Mohamed Laqhila (Dem). Le PLFR et le projet de loi relatif au pouvoir d’achat sont les deux blocs de protection du portefeuille de nos compatriotes. Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre texte, notre préoccupation doit être de restaurer les capacités de l’État pour faire face à de nouvelles crises et pour voir plus loin. Il nous faudra nous imposer davantage de rigueur – dans le bon sens du terme –, en envisageant des dispositifs pérennes. Les chèques ponctuels répondent uniquement à l’urgence et ont pour principal défaut de créer une logique d’accoutumance, voire de donner l’apparence de la normalité à des efforts exceptionnels qui pèseront sur l’avenir à court, moyen et long terme.

Comme vous, messieurs les ministres, les députés du groupe Démocrate sont très attachés à la valeur travail, que nous devons remettre au cœur de notre projet de société. Grâce à cette valeur travail le pouvoir d’achat de tous nos concitoyens augmentera, gageons-le. Nous partageons également l’idée que les entreprises doivent davantage partager la valeur ajoutée créée.

La remise de 18 centimes et les dispositifs relatifs au carburant annoncés par la Première ministre et par vous-même, monsieur le ministre, seront amenés à évoluer. Est-il envisagé de mieux les cibler vers les ménages les plus modestes, en particulier vers ceux qui travaillent ? Les 4 milliards d’euros de crédits budgétés dans la mission Écologie, développement et mobilités durables seront-ils suffisants ?

Si nous avons appris des erreurs commises durant la crise de la dette de 2011-2014, il est primordial de mener une réflexion rigoureuse sur l’efficacité de la dette publique et de la maîtrise de nos dépenses. Peut-on envisager une nouvelle loi de programmation des finances publiques ? Où en sont les avancées en matière de réforme du cadre budgétaire européen ? Quelle position la France entend-elle défendre ?

Soyez assurés, messieurs les ministres, de notre volonté de mieux contrôler les dépenses contraintes et de cesser de creuser la dette publique. Vous pourrez compter sur notre soutien plein et entier pour y parvenir.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Les deux éléments exogènes que sont la pandémie et l’éclatement de la guerre en Ukraine n’expliquent pas à eux seuls la progression du déficit. La Cour des comptes affirme d’ailleurs qu’une partie de la dégradation provient de « mesures nouvelles qui ont réduit les prélèvements [obligatoires] », parmi lesquelles la réduction du taux de l’IS et la baisse des impôts de production, qui ont profité essentiellement aux grandes entreprises. En résumé, c’est aussi en diminuant structurellement les ressources fiscales que vous creusez le déficit. Nous dénonçons ce choix.

La charge de la dette augmente fortement en raison de l’émission accrue d’obligations indexées sur l’inflation. Pourquoi avoir fait ce choix, alors que d’autres étaient possibles ? Quels autres pays européens ont recouru à ce genre de produits ?

Il y a donc un risque accru pour les finances publiques, mais il faut avant tout répondre à l’urgence sociale, et ce PLFR contient des mesures bienvenues. Toutefois, certaines d’entre elles nous paraissent être en trompe-l’œil et suscitent légitimement notre inquiétude. Le triplement de la prime Macron est un mauvais choix, car tous les salariés n’en profiteront pas. Surtout, la prime est exonérée de cotisations sociales ; c’est donc du salaire différé en moins. Par ailleurs, la revalorisation des minima sociaux, des allocations et des bourses est fixée à 4 %, en deçà du taux d’inflation au mois de juillet, qui s’élèvera à 6 %. Quant à la suppression de la redevance télé au nom du pouvoir d’achat, c’est une farce : cela correspond à 25 centimes par jour ! La mesure s’apparente davantage à une mise sous tutelle de l’audiovisuel public.

Après avoir supprimé la taxe d’habitation et distendu le lien entre le citoyen et le territoire, vous allez désormais distendre le lien entre les entreprises et les territoires avec la suppression totale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), annoncée hier par la Première ministre. C’est une erreur politique, dangereuse pour la cohésion du pays.

L’augmentation du point d’indice est nécessaire pour les fonctionnaires territoriaux comme pour les fonctionnaires de l’État, mais certaines collectivités – je dis bien certaines – ne pourront pas y faire face. Quelles mesures envisagez-vous pour ces collectivités ?

Enfin, pourquoi ne pas mettre à contribution, comme l’ont fait de nombreux pays voisins, les quelques entreprises qui ont réalisé des surprofits ?

Mme Lise Magnier (HOR). Ce PLFR est nécessaire et attendu. Avec le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, il constitue un paquet destiné à préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens face à l’inflation.

Nous nous réjouissons bien sûr de la prolongation du bouclier énergétique ainsi que de l’instauration d’un bouclier en matière d’augmentation des loyers et d’une indemnité carburant pour les travailleurs qui doivent prendre leur véhicule pour aller travailler. Nous saluons également le report d’un an de la suppression du tarif réduit applicable au gazole non routier (GNR). C’est une mesure de bon sens, compte tenu de l’envolée des prix de l’énergie et des carburants.

Vous avez annoncé que l’indemnité carburant pour les travailleurs concernerait nos concitoyens jusqu’au cinquième décile de revenu. Afin que les choses soient claires pour tout le monde, pouvez-vous nous préciser quel est le revenu correspondant par foyer ou par part ? Pourrions-nous envisager d’aller au-delà du cinquième décile, dans la mesure où l’on considère que les classes moyennes en France couvrent jusqu’au septième décile ?

La revalorisation des retraites prévue concerne le régime général. Avez-vous entamé des discussions avec les organismes de retraite complémentaire, afin de savoir s’ils seraient disposés à accompagner cette mesure ?

S’agissant de l’article 4 du PLFR, j’ai bien compris que l’institution d’une redevance était rendue nécessaire par le très fort taux de non-présentation des candidats inscrits aux épreuves de l’examen visé. Avez-vous déjà une idée du montant de cette redevance, qui doit être fixé par arrêté ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Je suis d’accord avec vous, monsieur le président, les mesures que propose le Gouvernement en faveur du pouvoir d’achat sont le plus souvent ponctuelles, sous forme de chèques, de primes ou d’intéressement, alors qu’il est nécessaire d’augmenter les salaires, de revaloriser le SMIC et de contraindre les branches à relever les grilles de salaires conventionnelles.

Plusieurs questions se posent à propos de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. D’abord, celle de l’estimation des gains cachés induits par cette suppression. Elle se traduira en effet par une diminution des charges pour les professionnels, notamment dans l’hôtellerie-restauration, donc par une augmentation du résultat fiscal et du montant d’IS versé. Plus fondamentalement se pose la question de l’indépendance des médias publics et de la pérennité de leur financement. Si vous supprimez cette contribution, comment garantir le maintien du lien avec le public et la stabilité du financement indépendamment des aléas politiques ?

Vous prolongez le bouclier tarifaire énergétique et vous en profitez d’ailleurs pour reporter d’un an la suppression du tarif réduit applicable au GNR. Ces dépenses sont peut-être nécessaires, mais néfastes pour le climat – vous nous l’avez dit ce matin, monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics. Surtout, la vraie réponse à la flambée des prix de l’énergie, ce sont les économies d’énergie, qui rendront les ménages moins vulnérables aux fluctuations. Or j’observe que les moyens consacrés à la rénovation thermique ne sont pas augmentés en crédits de paiement et ne sont portés qu’à 2,1 milliards en autorisations d’engagement. En 2010, je le rappelle, la France dépensait 2,6 milliards d’euros pour la rénovation thermique au travers du crédit d’impôt en faveur du développement durable. Dès lors, ces moyens vous paraissent-ils à la hauteur des enjeux énergétiques auxquels la France est confrontée ?

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Nous sommes, avez-vous dit, au pic de l’inflation, qui atteindra, d’après les prévisions, près de 7 % en fin d’année. La croissance étant complètement atone, c’est une stagnation qui se profile.

Face à ces difficultés, il y a deux orientations possibles. La vôtre consiste à distribuer des primes ou des chèques, à faire appel au civisme des chefs d’entreprise ou à promouvoir l’intéressement. Or ces mesures ne sont pas pérennes et tendent à diviser nos concitoyens, comme l’ont relevé mes collègues de la NUPES. Il faut plutôt une mesure générale d’augmentation des salaires, qui passe d’abord par la revalorisation du SMIC. C’est la seule façon de retrouver un cercle vertueux, avec des hausses de salaires fiscalisées et socialisées. Il faut aussi des accords de branche qui se tiennent, afin de ne pas écraser l’échelle des salaires. Enfin, les PME et les TPE doivent être soutenues : il n’est pas normal qu’un salarié de TPE ou de PME ne puisse pas bénéficier d’une augmentation de ses revenus au motif que son entreprise n’en a pas les moyens.

Les revalorisations du point d’indice des fonctionnaires, des pensions, des APL et des minima sociaux sont très inférieures à l’inflation. Celle du point d’indice représentera, avez-vous dit, 7,5 milliards d’euros, dont une part sera à la charge des collectivités territoriales. Comme Christine Pires Beaune, j’estime nécessaire que cette augmentation soit compensée dans certaines collectivités. Elle risque aussi de faire du dégât dans les hôpitaux ; il faudra bien trouver des moyens pour y relever les salaires.

L’égalité commande en outre de s’attaquer à la fois aux superprofits et aux superpatrimoines, qui se sont envolés. D’après l’édition de Challenges de ce jour – même si ce n’est pas mon magazine de chevet –, les 500 premières fortunes de France cumulées dépassent désormais 1 000 milliards, ce qui est absolument considérable. En 2008-2009, monsieur le ministre, avec une autre majorité, vous aviez su taxer les superprofits.

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le ministre, je vous félicite d’avoir déclaré récemment : « Nous avons atteint la cote d’alerte en matière de finances publiques. » Je regrette seulement que vous ayez mis cinq ans pour vous en apercevoir !

Estimez-vous que le montant de la dette publique est soutenable ? Il atteindra 2 936 milliards d’euros à la fin de l’année 2022, soit une hausse de 682 milliards par rapport à 2017. Sachant que les taux d’intérêt s’envolent : ils sont passés de 0 % à près de 2 % à la fin du mois de juin, et s’élèveront probablement à 3 % à la fin de l’année.

Estimez-vous possible de maintenir un niveau de dépense publique aussi élevé ? En 2022, la dépense publique représentera 57,3 % de notre richesse nationale, contre 55,7 % en 2017. Autrement dit, le taux est pratiquement inchangé. Si vous répondez non à cette question, pouvez-vous me dire où sont les économies ?

Peut-on continuer à afficher un tel niveau de prélèvements obligatoires ? Celui-ci s’établira à 44,8 % du PIB en 2022, soit une hausse de 1,5 point par rapport au projet de loi de finances pour 2022. En 2017, il était de 45,1 %. En d’autres termes, il n’a pratiquement pas bougé depuis cinq ans.

Vous estimez le déficit structurel à 3,6 % en 2022, alors que la loi de programmation des finances publiques prévoyait 0,8 %. L’écart est énorme ! Là encore, quelles mesures entendez-vous prendre pour revenir vers un niveau raisonnable de déficit structurel ?

Les mesures en faveur du pouvoir d’achat sont-elles suffisamment différenciées ? En supprimant progressivement la remise de 18 centimes au profit des catégories les plus touchées par la hausse du prix des carburants, vous allez dans la bonne direction, mais pourquoi n’appliquez-vous pas les mêmes principes au bouclier tarifaire, dont il faudra bien sortir un jour ? Êtes-vous favorables à des modulations accentuées en fonction des territoires – territoires ultramarins, Corse, zones rurales ?

M. Bruno Le Maire, ministre. La question étant revenue à plusieurs reprises, je commence par une remarque générale sur les recettes supplémentaires, notamment fiscales. Le ministre délégué chargé des comptes publics l’a indiqué, elles devraient s’établir à 55 milliards d’euros. Cela tient à une politique qui a permis de créer des emplois et de la richesse.

Ces 55 milliards d’euros de recettes supplémentaires sont constitués de : 17 milliards de cotisations sociales, 3 milliards de recettes d’impôt sur le revenu, 18 milliards de recettes d’IS – preuve que notre politique économique a donné des résultats –, 11 milliards de recettes de TVA – preuve que la consommation s’est bien portée –, 4 milliards de recettes exceptionnelles, dont 2 milliards d’amendes versées par Google et McDonald’s.

Je m’attarde sur les recettes supplémentaires de TVA, qui font l’objet de controverses invraisemblables. Sur les 11 milliards précités, 3 milliards seront perçus sur les carburants, mais nous allons en dépenser près de deux fois plus, à savoir 5,6 milliards, pour protéger nos compatriotes contre l’augmentation du prix de ces mêmes carburants. Ce montant correspond à la remise appliquée entre avril et la fin de l’année 2022, en tenant compte de sa réduction progressive entre octobre et décembre. Actuellement de 18 centimes, elle coûte 800 millions par mois !

Revenons donc aux chiffres et à la réalité ; arrêtons de dire que l’État s’en met plein les poches, qu’il se gave aux dépens des Français ! C’est tout simplement faux ! On peut vouloir faire plus, par exemple supprimer la TVA ou la TICPE. Ces propositions relèvent du débat démocratique, parfaitement légitime, mais discutons sur le fondement de chiffres exacts : pour les carburants, l’État a dépensé près du double de ce qu’il a reçu en recettes de TVA.

Il est effectivement intéressant, monsieur Lefèvre, de se pencher sur les conditions de financement présentes, qui n’ont plus rien à voir avec les prévisions que nous avions collectivement adoptées en loi de finances initiale pour 2022. D’après notre scénario actualisé, le taux d’intérêt à trois mois s’établira à la fin de l’année à 1,2 % au lieu de – 0,5 %, et le taux d’intérêt à dix ans, à 2,5 % au lieu de 0,75 %. Voilà ce qui m’a amené à parler de « cote d’alerte », comme l’a rappelé M. de Courson.

Il n’est pas exact, monsieur Tanguy, que les classes moyennes n’ont droit à rien. Peut-être pourraient-elles avoir plus, mais elles n’ont pas rien. Nous avons dépensé près de 25 milliards d’euros pour le plafonnement des prix de l’électricité, pour le gel des prix du gaz et pour la remise de 18 centimes sur le carburant, trois dispositifs qui valent pour tous les Français. Nous n’aurions servi qu’une seule catégorie de Français ? Ce n’est pas vrai, et ce n’est d’ailleurs pas mon genre de beauté : je fais de la politique depuis vingt ans et je m’efforce de servir l’intérêt général. Les classes moyennes, qui effectivement travaillent et contribuent à l’effort national, doivent pouvoir bénéficier elles aussi des mesures que nous prenons.

Je reconnais bien volontiers que ces mesures n’ont pas été les plus visibles. L’un d’entre vous l’a relevé, et je ne le conteste pas, il y a eu une hausse des prix du gaz à l’automne 2021. Beaucoup de nos compatriotes ont constaté une augmentation de leur facture, sans nécessairement s’apercevoir qu’ils n’ont pas payé davantage grâce au gel des prix du gaz, autrement dit grâce à l’effort de l’État. Je rappelle que la facture aurait augmenté de 50 % supplémentaires si nous n’avions pas pris cette mesure, qui concerne toutes les classes moyennes.

Quant aux factures qu’il faut payer pour remplir les cuves de fuel, c’est un vrai problème, notamment dans les zones rurales. Nous avons prévu une aide aux ménages.

S’agissant des entreprises, c’est notamment le produit de l’IS, je l’ai dit, qui nous permet de financer le paquet en faveur du pouvoir d’achat.

Nous aurons un débat sur la TVA, et c’est parfaitement légitime, mais j’estime qu’il n’y a rien de plus injuste et inefficace que les réductions de TVA, car tout le monde paie cet impôt. Si vous baissez la TVA sur les produits alimentaires, par exemple, ce sont ceux qui dépensent le plus pour acheter ces produits, à savoir les ménages les plus favorisés, qui en bénéficieront le plus. Il vaut mieux des mesures massives et ciblées sur les ménages modestes que des mesures très coûteuses qui concernent tous les ménages, y compris ceux qui n’en ont pas besoin.

Vous êtes soucieux d’accélérer le déploiement des EPR. Je tiens à vous rassurer, c’est précisément en reprenant intégralement le contrôle d’EDF que l’État pourra le faire. Soyons très clairs, aucun investisseur privé n’acceptera de financer des réacteurs nucléaires, ni en France ni ailleurs, parce que l’horizon est trop lointain et le rendement, trop faible. Si nous voulons aller vite, il faut que le garant de l’intérêt général, l’État, prenne la main sur ces programmes.

Monsieur Guiraud, je reconnais bien volontiers, je l’ai dit, qu’il y a eu une augmentation de 30 % des prix du gaz à l’automne dernier. Ensuite, nous avons protégé les Français en leur épargnant une augmentation de 50 %. D’après les chiffres de l’INSEE – je les considère avec prudence car je sais qu’ils ne correspondent pas à ce que ressentent nos compatriotes –, le pouvoir d’achat a augmenté de 2 % en 2021.

S’agissant des hausses de prix, je partage les inquiétudes exprimées par nombre d’entre vous. C’est pourquoi nous allons lancer deux missions.

Premièrement, nous allons charger l’Inspection générale des finances de vérifier que les dispositions des lois EGALIM 1 et 2 – loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ; loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs – sont respectées, en particulier l’interdiction d’abaisser les prix en deçà du seuil de revente à perte, qui a été relevé de 10 %. J’ai été ministre de l’agriculture pendant trois ans et je suis profondément attaché à la juste rémunération des producteurs. Nous ne souhaitons pas relever davantage le seuil de revente à perte, car cela pénaliserait, par définition, les consommateurs, mais je veux m’assurer que ces 10 % vont bien dans la poche des producteurs, non dans celle de distributeurs ou d’intermédiaires. Je propose que tous les parlementaires qui le souhaitent, dans chaque groupe politique, soient associés à cette mission. J’ai également proposé aux représentants des syndicats agricoles d’y participer.

Deuxièmement, nous allons demander à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes (DGCCRF) de réaliser des contrôles tout au long des filières de production, de transport et de distribution, pour nous assurer qu’il n’y a pas de profiteurs de la crise inflationniste. S’il y en a, ils seront lourdement sanctionnés.

Madame Louwagie, j’aimerais convaincre Les Républicains de renoncer à l’idée de revenir à un prix du carburant de 1,50 euro le litre. Les chiffres et les faits sont têtus : abaisser le prix du carburant de 10 centimes coûte 5 milliards d’euros. Le prix de l’essence étant à 2,20 euros, sans la remise, la mesure que vous proposez équivaut à une baisse de 70 centimes, soit un coût de 35 milliards d’euros. Si l’on ajoute la remise de 18 centimes, cela fait entre 45 et 50 milliards. C’est totalement déraisonnable ! Ayant été élu dans une circonscription voisine de la vôtre, je vous connais suffisamment pour savoir que vous n’y croyez pas vous-même.

Mme Véronique Louwagie. Ah, si ! Vous me connaissez très mal, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est d’ailleurs Christine Lavarde, sénatrice Les Républicains, qui parle le mieux de cette proposition : elle la juge infaisable, inadaptée et trop coûteuse. J’espère que la raison l’emportera. Si nous avions 50 milliards à dépenser, je préférerais qu’on les investisse dans le nucléaire ou les énergies renouvelables plutôt que de s’en servir pour financer du pétrole fourni par la Russie ou les pays du Golfe ; ce serait de l’argent mal placé.

Monsieur Laqhila, l’indemnité carburant sera ciblée sur les travailleurs modestes obligés de prendre leur voiture pour aller travailler. Elle représentera en moyenne 25 centimes par litre.

Madame Magnier, nous avons effectivement prévu que cette indemnité carburant s’applique aux travailleurs jusqu’au cinquième décile de revenu, c’est-à-dire jusqu’à un revenu fiscal de référence de 14 000 euros. La Première ministre a été très claire, hier, à propos de l’esprit d’ouverture et de compromis du Gouvernement – et je me réjouis de nouveau de la qualité de nos débats. Il appartient à la représentation nationale d’évaluer si le cinquième décile est le niveau approprié, ou s’il faut aller un peu au-delà, considérant que les classes moyennes ne sont pas suffisamment concernées par la mesure, ou s’il faut, au contraire, faire davantage pour moins de bénéficiaires. C’est un beau débat politique. Je pense que notre proposition est juste et cohérente, mais je ne vous dis pas que nous n’en bougerons pas. Les parlementaires peuvent évidemment améliorer les propositions du Gouvernement.

Madame Pires Beaune, 10 % de la dette publique française est indexée sur l’inflation, comme c’est le cas dans tous les pays de l’OCDE, sans exception. Cela correspond tout simplement au souhait de certains investisseurs. Les assureurs, par exemple, demandent que les parts d’obligations assimilables du Trésor (OAT) qu’ils acquièrent soient indexées sur l’inflation, afin de préserver la valeur des assurances vie. Le recours à ces produits est donc un moyen de garantir le bon financement de notre dette.

Je laisse le soin au ministre délégué chargé des comptes publics de répondre à toutes les questions que vous avez légitimement posées au sujet de la contribution à l’audiovisuel public.

S’agissant de la CVAE, je veux être très clair. En premier lieu, nous sommes déterminés à baisser les impôts de production et à supprimer la CVAE, dont le produit s’élève à 8 milliards d’euros, dans le projet de loi de finances pour 2023. La reconquête industrielle est pour moi une priorité absolue et je considère que c’est un levier important pour relocaliser des productions industrielles dans notre pays. En second lieu, nous voulons discuter des modalités de mise en œuvre avec les collectivités locales, notamment les grandes métropoles et les régions. Je comprends les inquiétudes, et il faut y répondre.

Concernant les crédits pour la rénovation énergétique, nous avons prévu 2 milliards d’euros dans la LFI pour 2022. L’exécution est très dynamique, vous avez raison. C’est pourquoi nous ouvrons 400 millions d’euros supplémentaires dans le PLFR. Ce sont vraiment des crédits utiles, et même nécessaires, qui méritent toute notre attention.

S’agissant du GNR, je comprends parfaitement qu’on puisse regretter le report qui est prévu, mais j’ai eu de multiples discussions avec de très petites entreprises des secteurs du transport et du bâtiment et je peux vous dire que la suppression de cet avantage fiscal serait tout simplement insupportable financièrement pour elles : cela effacerait toutes les marges et risquerait de conduire à beaucoup de dégâts sur le plan social. Je ne prétends pas que ce report soit ma décision préférée, mais une question d’acceptabilité économique et sociale se pose pour beaucoup de très petites entreprises.

En ce qui concerne les salaires, je crois avoir déjà répondu. Tous les dispositifs d’intéressement et de participation doivent être utilisés, de même que la prime PEPA.

Monsieur de Courson, je n’ai pas mis cinq ans à m’apercevoir que la cote d’alerte était atteinte et qu’il fallait gérer les finances publiques avec sérieux. Je rappelle que nous avons sorti la France de la procédure de déficit excessif, contrairement à d’autres majorités. Nous sommes revenus, dès 2018, sous le seuil de 3 % de déficit budgétaire. Le quinquennat a ensuite été affecté par la crise des gilets jaunes, puis par la crise économique la plus grave depuis 1929. Celle-ci nous a amenés à protéger les entreprises, les salariés mais aussi les finances publiques dans le cadre du « quoi qu’il en coûte ». Toutes les évaluations de l’OCDE, du FMI et de l’INSEE montrent que nous aurions un niveau de dette publique plus élevé, de 12 ou 14 points, si nous avions laissé une catastrophe sociale et économique se produire dans notre pays.

La dette publique est-elle soutenable ? De fait, oui ; ne cédons pas à la panique. Elle est soutenable puisque nous finançons notre dette à des taux d’intérêt certes plus élevés mais qui restent raisonnables et que notre spread demeure contenu. Faut-il continuer dans la même direction ? Certainement pas. Nous devons réduire la dette publique pour éviter d’être confrontés à des problèmes de financement. Ma responsabilité première en tant que ministre des finances est de garantir que nous pouvons financer correctement la dette publique, que nous la réduisons – c’est une question d’indépendance et de souveraineté – et que nous poursuivons la baisse des déficits pour atteindre les 3 % en 2027. Faut-il, afin d’y parvenir, réduire les dépenses publiques ? Certainement. Néanmoins, ce n’est pas la seule solution, et je ne crois absolument pas à l’austérité, qui serait particulièrement malvenue aujourd’hui. Je considère que la meilleure manière de revenir à des finances publiques saines est le plein emploi, mais le plein emploi seul et la croissance seule ne suffisent pas. Il faut aussi réduire un certain nombre de dépenses publiques. Des députés m’ont proposé de travailler sur ce sujet en prévision du projet de loi de finances pour 2023 : cette initiative, de Daniel Labaronne, me semble particulièrement bienvenue.

Concernant les prélèvements obligatoires, le ratio augmente en effet, tout simplement parce que la richesse nationale a diminué, la croissance ayant été plus faible ces derniers mois. Je rappelle toutefois que nous avons réduit les impôts de 50 milliards d’euros au cours du quinquennat précédent. C’était la plus forte baisse d’impôts depuis plusieurs décennies dans notre pays.

J’en viens au déficit structurel. Je rappelle que nous avons droit, dans le cadre de la révision du bras préventif du pacte de stabilité et de croissance, à une déviation de 0,6 point par an, soit 1,2 point sur deux ans. L’écart par rapport à la norme européenne, à savoir 0,5 point de PIB, est donc de 0,7 point, sur deux ans, soit 0,35 point par an. C’est à peu près ce à quoi nous parvenons aujourd’hui – pas tout à fait, mais à peu près. Vous le verrez lorsque vous examinerez le programme de stabilité. Je confirme que nos marges de manœuvre, si nous voulons rester dans les clous européens, sont effectivement réduites, ce qui nous amène à faire attention à chaque euro.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Madame Pires Beaune, madame Sas, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public est cohérente avec notre choix politique de réduire les impôts des Français et, quand nous le pouvons, d’en supprimer.

Pourquoi proposons-nous de supprimer cette contribution en particulier ? Parce que c’est un impôt injuste : tout le monde paie la même chose, la contribution demandée ne dépendant pas des revenus. Vous avez qualifié de farce la mesure que nous prévoyons, au regard de son montant. Souvent, quand on annonce des dispositions de nature législative, les Français s’interrogent sur ce qu’ils verront très concrètement dans leur vie quotidienne. En l’occurrence, c’est clair et net : 138 euros seront rendus à 23 millions de foyers. Cette contribution annuelle n’aura plus à être payée.

Par ailleurs, c’est un impôt daté : il est assis sur le fait d’avoir chez soi un téléviseur, alors que de moins en moins de Français déclarent en posséder un ; ils consomment des contenus de l’audiovisuel public grâce à d’autres dispositifs, comme les smartphones, mais ne paient pas la redevance. Le rendement de celle-ci ne cesse de décroître depuis des années, car de moins en moins de Français s’achètent une télé. Certains avaient proposé la création d’une taxe sur les smartphones mais ce n’est pas le choix que nous avons fait, parce que nous ne voulons pas créer des taxes supplémentaires.

La contribution à l’audiovisuel public est aussi un impôt dont la collecte est coûteuse. Je rappelle que cette contribution est collectée avec la taxe d’habitation, que nous avons déjà supprimée pour 80 % des Français et qui disparaîtra pour tous en 2023.

Pour toutes ces raisons, en particulier parce que cela rendra du pouvoir d’achat aux Français, la suppression de cet impôt a un sens.

J’en viens à la question de l’indépendance de l’audiovisuel public. Je ne vois pas en quoi la suppression de cet impôt la remettrait en cause : les Français ne paient pas chaque année un impôt pour financer le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel ou la Cour des comptes, qui sont pourtant indépendants – ils nous le rappellent assez régulièrement… Du fait de la baisse du rendement de cette contribution, l’État s’est mis à apporter une compensation, au moyen de crédits budgétaires, de 700 millions d’euros par an, me semble-t-il, sans que cela conduise à des évolutions quant à l’indépendance de l’audiovisuel public.

Nous souhaitons rassurer en donnant toutes les garanties au sujet de l’indépendance des sociétés de l’audiovisuel public et de leur visibilité. Le présent texte vise ainsi à créer une mission budgétaire spécifique et à garantir le versement des subventions en une fois, en début d’année, et non mensuellement comme c’est le cas actuellement. Je ne crois pas qu’il existe beaucoup de crédits budgétaires pour lesquels un tel engagement soit pris. Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques qui sera présentée en septembre, nous pourrons aussi donner de la visibilité concernant le budget de l’audiovisuel public. Je comprends parfaitement que ces sociétés aient besoin de visibilité sur leur trajectoire, pour faire leurs choix et s’organiser. Je précise également que nous passons des contrats d’objectifs et de moyens qui permettent d’apporter certaines garanties.

M. Michel Castellani. Nous sommes convaincus qu’il convient de soutenir le pouvoir d’achat des personnes les plus fragiles, comme nous sommes convaincus qu’il convient d’adapter les mesures à la spécificité des territoires. Je parlerai pour la Corse, dont vous connaissez bien la situation : le coût de la vie y est largement plus élevé et je ne reviens pas sur toutes les avanies sociales qui existent… Nous voudrions une adaptation à la situation spécifique de la Corse, qu’il s’agisse du chèque alimentaire, de la prime Macron, de l’indexation des retraites ou des carburants. Nous défendrons cette demande, adoptée à l’unanimité par la collectivité de Corse, sous la forme d’amendements. J’espère que le Gouvernement en comprendra le sens et la justification. Nous ne demandons pas des passe-droits, mais au contraire des mesures de justice permettant une prise en compte des réalités économiques et sociales de notre île.

M. Charles Sitzenstuhl. Nous connaissons votre attachement, monsieur le ministre, à la bonne tenue des finances publiques – vous l’avez vous-même rappelé. Vous êtes le ministre qui, avec la majorité sortante, a conduit la France hors de la procédure de déficit excessif et replacé notre pays sous la barre des 3 % en 2018, avant que la crise, hélas, n’arrive.

La Cour des comptes a publié ce matin son rapport sur la situation des finances publiques. J’imagine que nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de cette commission. Ce rapport confirme ce que vous avez dit à propos de la cote d’alerte pour nos finances publiques, et la Cour a identifié deux leviers afin d’assurer la soutenabilité de la dette : maîtriser la dépense et continuer à stimuler la politique industrielle. Dans quelle mesure le paquet que vous nous présentez continuera-t-il à stimuler l’activité industrielle et, plus largement, à aider nos entreprises ? Pouvez-vous nous faire part de votre philosophie pour cette législature ?

M. Damien Maudet. J’ai une question concernant l’aide aux carburants : vous avez parlé de 200 euros ; cette aide est-elle mensuelle ou ponctuelle ? Si elle est ponctuelle, pensez-vous qu’elle permettra vraiment un changement pour le pouvoir d’achat des Français ? La remise de 18 centimes n’a pas empêché le prix du carburant d’augmenter et même de dépasser des records.

Y a-t-il, par ailleurs, un gage quand on prononce le mot Total en demandant de récupérer de l’argent et de bloquer les prix de l’essence, voire de les baisser ? Total a battu un record exceptionnel en faisant 15 milliards d’euros de bénéfices et son patron a augmenté sa rémunération de 50 %. Pourquoi ne taxerait-on pas Total ? Qui peut croire que cette société, si on le faisait, comme d’autres pays européens, arrêterait de servir le marché français ? J’aimerais comprendre la raison de ce tabou.

M. Jocelyn Dessigny. Vous dites depuis plusieurs semaines, monsieur le ministre, que la réussite de votre projet en matière de pouvoir d’achat est liée au plein emploi. Celui-ci se traduirait par un taux de chômage de 4 %. Or nous en sommes encore loin, et je crains que cet objectif ne soit une chimère. De plus, les recettes que vous vous enorgueillissez d’obtenir grâce à l’emploi sont indexées sur la baisse du taux de chômage, sans prise en compte du coût de la formation, de l’insertion et de l’accompagnement du retour à l’emploi, que vous souhaitez regrouper, demain, sous l’égide de France travail. Qui paiera et comment regrouperez-vous les différentes structures ?

Vous demandez aux entreprises d’augmenter les salaires alors que les charges liées à l’achat de matières premières et de carburants sont au plus haut. Pourquoi ne pas exonérer de cotisations patronales les entreprises qui augmenteraient de 10 % les salaires des employés ? C’est ce que Marine Le Pen préconise.

M. Christian Baptiste. Quelles mesures fortes prévoyez-vous dans le cadre du PLFR pour les outre-mer ? Il convient de renforcer leur indice de développement humain, notamment en matière de santé, d’éducation et de pouvoir d’achat.

On voit bien qu’il existe des richesses dans ce pays. Ni la crise sanitaire ni la guerre en Ukraine n’ont appauvri les plus riches, bien au contraire. Il faut une redistribution des richesses, une taxation des plus riches afin d’augmenter des prestations sociales telles que les retraites, les aides pour les plus jeunes et les allocations logement. La France n’a pas un problème structurel de pauvreté, mais de répartition des richesses.

M. Karim Ben Cheikh. Vous nous dites, monsieur le ministre, que le PLFR doit permettre de financer plusieurs dispositifs visant à protéger le pouvoir d’achat de l’ensemble des Françaises et des Français. Hors d’Europe, l’aide sociale pour les Français est dispensée par les postes consulaires. Les crédits qu’ils gèrent en la matière sont destinés aux personnes âgées à faible revenu, aux personnes en situation de handicap et aux enfants vulnérables, dans la limite des moyens budgétaires alloués au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Le système social français, en application du principe de territorialité des mesures législatives, n’est pas applicable à nos compatriotes établis hors de France. Quelles sont les dispositions que le Gouvernement est prêt à prendre pour eux ? Vous ne prévoyez rien les concernant dans le texte que vous nous présentez. Un nouveau mode de calcul des taux de base de leurs minima sociaux représente pourtant une piste qu’il serait possible de suivre rapidement. Comprenez mon inquiétude : les PME et les TPE françaises à l’étranger n’avaient pas été intégrées dans le périmètre du plan de relance. Cela préfigure-t-il une absence de prise en compte des Français établis hors de France dans votre plan de protection du pouvoir d’achat ?

M. Emmanuel Lacresse. Je comptais vous interroger sur le verdissement des budgets, sur la manière dont ce PLFR s’articule avec les lois de programmation, notamment en matière de nucléaire, et sur l’évaluation de ces textes, mais je reviendrai plutôt sur la taxation des grandes entreprises, qui fait l’objet de vifs débats dans les médias. Il me semble que la conjonction entre la position de la majorité qui est clairement hostile à toute hausse de la taxation des agents économiques et le recours à l’esprit de responsabilité des entreprises qui a prévalu, semble-t-il, lors de la préparation de ce projet de loi, permet d’atteindre un équilibre. Nous souhaitons vous entendre sur ce point.

M. Alexandre Sabatou. Il existe un moyen immédiat d’augmenter le pouvoir d’achat des Français tout en soulageant les finances publiques : sortir des règles européennes pour la fixation du prix de l’électricité. Vous savez pertinemment qu’elles sont à la fois inflationnistes et injustes pour les Français. Nos compatriotes ont payé leur parc nucléaire et hydroélectrique avec leurs impôts depuis des années. Ils doivent en tirer seuls, et eux seuls, les bénéfices. Les Français n’ont à payer ni les dérives ultralibérales de l’Union européenne ni les erreurs énergétiques des Allemands. Maintenir ces règles en France coûte une fortune à nos compatriotes et à nos entreprises et affaiblit depuis des années EDF, qui est tout simplement au bord de la ruine. Comme Marine Le Pen le propose depuis des mois, nous vous demandons de faire le nécessaire pour que la France fixe à nouveau souverainement le prix de son électricité.

M. Sébastien Rome. Mme la Première ministre a dit que les élus locaux étaient le ciment de la République. Ils nous alertent et nous demandent de vous interroger sur l’impact puissant de la hausse des coûts sur les budgets de leurs collectivités – je pense au prix de l’énergie, à celui de l’alimentation dans les cantines, pour la rentrée prochaine, et à la hausse, souhaitable, mais inférieure à l’inflation, du point d’indice pour les fonctionnaires. Les maires craignent d’être contraints de réduire fortement les services publics de proximité dus à la population : des piscines municipales ferment déjà, des bibliothèques réduisent leurs horaires, des ordures ménagères ne seront pas ramassées certains jours, des centres communaux d’action sociale feront moins jouer la solidarité et l’investissement ralentira aussi. Êtes-vous prêts à reprendre nos propositions afin de répondre à ces élus pour qui la hausse des coûts constitue une véritable inquiétude ? Les municipalités ont besoin de moyens pour fonctionner. Augmenterez-vous la dotation globale de fonctionnement ? Des compensations suffisantes sont-elles prévues ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Castellani, j’entends parfaitement votre remarque concernant la Corse. J’ai eu un échange avec Gilles Simeoni : nous avons parfaitement conscience des spécificités qui peuvent effectivement conduire à des adaptations, et il faut que nous en discutions ensemble.

S’agissant du rapport de la Cour des comptes et de la politique industrielle, monsieur Sitzenstuhl, je confirme que notre objectif est bien d’accélérer la reconquête industrielle du pays par la baisse des impôts de production, qui pénalisent les implantations industrielles, par le maintien du crédit d’impôt recherche et par le plan de 30 milliards d’euros qui a été adopté il y a plusieurs mois mais qui a déjà été oublié par beaucoup, alors qu’il nous permet de financer de nouvelles filières industrielles, comme les semi-conducteurs, sur lesquels nous travaillons depuis près de deux ans avec beaucoup de détermination. La reconquête industrielle est une des priorités absolues de ce quinquennat.

L’aide que vous avez évoquée, monsieur Maudet, est annuelle et non mensuelle – sinon son coût serait totalement délirant. Je souligne qu’elle s’ajoute à d’autres mesures déjà prises, comme celle relative au barème kilométrique, et que d’autres pourraient être proposées par les entreprises.

Quant à Total, je vous rassure : il n’y a aucun tabou – ni totem ni tabou, comme dirait l’autre. Simplement, nous ne voulons pas stigmatiser qui que soit. Je rappelle aussi qu’on confond souvent les bénéfices mondiaux de Total avec son résultat fiscal en France. Total fait principalement ses bénéfices dans les pays producteurs. La difficulté est que ces derniers fixent librement, souverainement – je sais que vous êtes attaché à cette notion – leur fiscalité, ce qui n’a pas d’impact sur le résultat fiscal français de Total. Je le redis : nous attendons de toutes les entreprises qui profitent – sans connotation morale de ma part – de la situation actuelle qu’elles participent davantage au soutien à nos compatriotes.

Monsieur Dessigny, nous avons fait des exonérations de cotisations – la baisse de 1 point de la contribution sociale généralisée pour l’intégralité des salariés serait très coûteuse, de l’ordre de près de 9 milliards d’euros.

Je considère que le plein emploi est parfaitement atteignable. Nous avons réduit de 2,3 points le taux de chômage entre 2017 et 2022. Il nous reste une marche à franchir, et je reconnais bien volontiers que c’est la plus difficile, celle qui nous fera passer d’un peu plus de 7 % à 5 %. Je considère qu’il est indispensable pour la cohésion nationale de parvenir au plein emploi.

Monsieur Baptiste, s’agissant des outre-mer, je vous ferai la même réponse que précédemment. J’entends parfaitement leurs inquiétudes : ils sont notamment très pénalisés par l’augmentation des coûts de transport. Je suis prêt à ouvrir une discussion spécifique avec les outre-mer sur la question du pouvoir d’achat.

Monsieur Ben Cheikh, ce qui est prévu concerne l’ensemble de nos compatriotes : il n’y a pas de mesures spécifiques pour les Français établis hors de France.

Monsieur Sabatou, je vous rejoins à propos des règles européennes du marché de l’électricité. Nous menons un combat qui est en train de faire bouger les lignes. Cela fait des mois que j’explique personnellement aux ministres européens des finances et de l’économie qu’il est totalement inacceptable que les prix de l’électricité soient indexés sur ceux du gaz. Nous continuerons à livrer cette bataille, parce que je constate qu’elle commence à donner des résultats. La présidente de la Commission européenne a reconnu que les règles actuelles ne fonctionnaient plus et Margrethe Vestager, la commissaire qui était la plus hostile à une modification des règles, a admis il y a une semaine qu’il fallait les changer. Néanmoins, je ne veux pas créer d’illusion : si l’indexation sur les prix du gaz, c’est-à-dire sur le coût marginal de l’ouverture de centrales à gaz à l’Est de l’Europe, expliquait l’augmentation des prix de l’électricité il y a quelques mois, une grande partie de l’explication tient actuellement à notre faible production en France, à l’indisponibilité d’un certain nombre de réacteurs. Notre production est passée de 360 à 330, puis à moins de 300 térawattheures, et les prix explosent donc – il faut également savoir balayer devant sa porte. Cela justifie pleinement de réinvestir massivement, constamment mais aussi rapidement dans l’énergie nucléaire et les compétences dans ce domaine.

Monsieur Rome, je vous rejoins au sujet des municipalités. Je mesure et je reconnais leurs difficultés. Là aussi, nous sommes prêts à ouvrir des discussions pour préserver leurs ressources.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, je vous remercie.

Le bureau de la commission a proposé que nous nous saisissions pour avis des articles 1er à 6 et 15 à 19 du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, que nous examinerons dès lundi prochain, pour permettre au rapporteur pour avis de présenter ensuite devant la commission saisie au fond les positions de notre commission.

 

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Louis Margueritte, rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d’achat (n° 19).

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 15 heures

 

Présents. - M. David Amiel, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, M. Jocelyn Dessigny, Mme Alma Dufour, Mme Stella Dupont, Mme Sophie Errante, Mme Félicie Gérard, M. Daniel Grenon, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, M. Denis Masséglia, M. Damien Maudet, M. Benoit Mournet, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Sébastien Rome

 

Excusés. - Mme Marie-Christine Dalloz, M. Fabien Di Filippo, M. Xavier Roseren, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy