Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, et M. Christian Charpy, président de la première chambre, sur le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ainsi que sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022              2

  présences en réunion...........................26

 


Mardi
12 juillet 2022

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 06

session extraordinaire de 2021-2022

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission entend M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ainsi que sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022.

M. le président Éric Coquerel. Je suis heureux d’accueillir Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Vous venez nous présenter le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques (RSPFP), qui a été publié jeudi 7 juillet. Comme chaque année, il présente un certain nombre de diagnostics. Son importance est d’autant plus grande qu’il intervient au début de cette nouvelle législature et qu’il analyse plus précisément les années couvertes par la dernière loi de programmation de finances publiques (LPFP), c’est-à-dire la période 2018-2021.

En qualité de président du HCFP, il vous revient également de nous présenter l’avis de ce dernier relatif au premier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022. Ce document a aussi été rendu public jeudi dernier. Dans cet avis, le HCFP doit se prononcer sur la cohérence de la trajectoire de solde structurel retenue par le projet de loi avec celle de la LPFP. C’est sans doute le dernier avis qui sera rendu dans ce cadre organique. Avec la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui entrera en vigueur à compter de cet automne, il est prévu que les avis du HCFP s’étendent à la cohérence de l’article liminaire des projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) au regard des prévisions de recettes et de dépenses compte tenu des prévisions économiques connues. Nous aurons l’occasion d’en parler.

Cette audition, qui précède l’examen en commission du premier PLFR pour 2022, peut utilement contribuer à éclairer nos débats. Que l’on soit d’accord ou non avec certaines conclusions, les auditions précédentes de ce type ont toujours fourni des éléments intéressants pour les débats en commission et en séance publique.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. C’est la première fois que je me rends à l’Assemblée nationale depuis le début de cette nouvelle législature, et j’en suis très heureux. Avant toute chose, j’aimerais vous adresser mes plus sincères et chaleureuses félicitations pour votre élection et tous mes vœux d’épanouissement et de succès dans vos nouvelles fonctions, dont je connais l’importance. J’ai un attachement tout particulier pour cette commission, où j’ai siégé lorsque j’étais député, et où je suis souvent intervenu en tant que Premier président de la Cour, mais aussi, avant cela, comme ministre de l’économie et des finances et comme commissaire européen aux affaires économiques et financières.

S’il y a bien une chose que je ressens à chaque fois que je franchis les portes de l’Assemblée nationale ou du Sénat, c’est mon attachement très profond aux liens qui unissent la Cour des comptes au Parlement. Notre mission d’assistance au Parlement, prévue par la Constitution, est pour moi essentielle car elle permet d’informer directement les parlementaires et les citoyens sur la conduite des affaires publiques et de faire vivre le débat démocratique. Je tiens donc sincèrement à ce que la Cour réponde au mieux à vos attentes. J’y veillerai personnellement.

J’en viens désormais à l’objet de ma venue, c’est-à-dire le RSPFP. Chaque année, sa publication est un moment très important pour ceux qui s’intéressent à la situation des finances publiques – et tout particulièrement pour votre commission.

Pour vous présenter ce rapport, sont présents à mes côtés le président de la première chambre, Christian Charpy, la rapporteure générale de la Cour, Carine Camby, et les rapporteurs. Permettez-moi de les remercier pour leur travail important. Il s’agit de Stéphane Guéné, rapporteur général, ainsi que des rapporteurs Guillaume Boudy, Olivier Vazeille, Olivier Redoulès et Livia Saurin. Je salue également le contre-rapporteur, Jean-Pierre Laboureix, garant de la qualité du rapport. Pour présenter l’avis du HCFP, que je préside en qualité de président du Haut Conseil, Éric Dubois, rapporteur général du Haut Conseil, est également présent.

Ces travaux revêtent cette année une importance plus grande encore qu’à l’ordinaire. Nous sommes en effet au début d’une nouvelle législature, dans un contexte marqué par un fort durcissement de la situation internationale et économique.

Le RSPFP et l’avis du HCFP comportent des messages importants, qui méritent d’être connus des citoyens et d’être entendus des décideurs – donc de vous-mêmes. Pour résumer, ils montrent l’état très dégradé de nos finances publiques et la nécessité de se mobiliser en faveur d’une stratégie équilibrée entre soutien à la croissance, d’une part, et maîtrise des dépenses, d’autre part.

Je sais que ces contributions sont attendues avec une certaine impatience, d’autant plus que leur publication est très tardive en raison de l’élection présidentielle – mais pas seulement. Pour ne rien vous cacher, nous aurions aimé que ces textes soient publiés avant, dans le respect des dispositions de la LOLF ; nos rapports, eux, étaient prêts à temps. Pour mémoire, le projet de loi de règlement (PLR) de l’année 2021 a été présenté le 4 juillet, soit avec plus d’un mois de retard par rapport à la date limite prévue par la LOLF. J’ai néanmoins décidé de ne pas anticiper afin que la Cour respecte la LOLF, qui dispose que le rapport sur l’exécution du budget de l’État est joint au PLR. À mon grand regret, ce rapport n’a donc pas pu vous être présenté en tant que tel et je reprendrai aujourd’hui devant vous ses grandes conclusions.

Par ailleurs, le PLFR a été présenté en conseil des ministres seulement jeudi dernier.

Enfin, à l’heure actuelle le programme de stabilité n’est pas encore connu. Pour être tout à fait franc, je n’ai pas été saisi d’un quelconque projet. Ce programme devrait être dévoilé dans les prochaines semaines et il sera naturellement assorti d’un avis du HCFP. D’ordinaire la présentation de ce programme intervient en avril. Il était convenu que cela ait lieu fin juin. Nous nous approchons de la fin de juillet. Voilà pour les faits.

Comme à chaque fin de législature, la Cour des comptes a conduit un audit approfondi des finances publiques. En l’absence de saisine du Gouvernement comme en 2012 et en 2017, cette année la Cour a mené cet audit de sa propre initiative. Je souhaitais en effet que cette tradition, désormais bien établie, connue par les Français et attendue, soit respectée – quel que soit le contexte politique, qu’il y ait ou pas alternance, que ce rapport soit demandé ou non par l’exécutif. Le citoyen doit toujours être informé. Cet audit interviendra donc tous les cinq ans, quelle que soit la conjoncture. Cela me paraît normal.

La Cour a choisi de porter son étude rétrospective sur le périmètre de la dernière LPFP.

Cette longue introduction m’a paru nécessaire pour vous transmettre des messages que je considère significatifs.

Le rapport que je vais vous présenter se décompose en quatre temps.

Les deux premiers chapitres sont consacrés à l’audit des finances publiques sur les années 2017-2021 et à l’examen de l’année 2022, en mesurant les aléas et les risques susceptibles d’affecter les prévisions de la loi de finances initiale (LFI) et du PLFR. Nous en profiterons pour présenter l’avis du HCFP sur les prévisions de croissance, d’inflation et de déficit du PLFR.

Ensuite, nous aborderons la question de la trajectoire future des finances publiques.

Enfin, nous proposerons une stratégie équilibrée pour rétablir des finances publiques soutenables et durables, fondée sur deux piliers : renforcer la croissance et maîtriser la dépense. Il faut faire les deux. Ce dernier temps est particulièrement important selon nous car, au-delà de ses constats objectifs, la Cour a à cœur, depuis désormais vingt ans, de formuler des recommandations opérationnelles et précises dont le Gouvernement et le Parlement pourront se saisir – s’ils le souhaitent bien sûr.

Je commence par l’audit approfondi des finances publiques sur les cinq dernières années, de 2017 à 2021. Il révèle sans surprise une césure très nette entre la période qui précède la crise sanitaire et celle qui la suit.

De façon plus fine, on pourrait même distinguer très clairement une première césure au moment de la crise des gilets jaunes. Il n’y a pas deux périodes, mais plutôt deux périodes et demie.

Les deux premières années du précédent quinquennat ont indéniablement permis d’engager un redressement bienvenu des finances publiques. Il s’appuyait sur des économies pour financer des baisses de prélèvements obligatoires. En 2017, le déficit public s’est établi à trois points de PIB, ce qui a permis à la France de sortir de la procédure de déficit excessif au printemps 2018. J’étais alors de l’autre côté de la barrière, à la Commission européenne, et je m’en suis réjoui.

Cet effort réel a connu un arrêt brutal avec la crise des gilets jaunes. Que s’est-il passé ? La baisse des impôts a continué – et a même été amplifiée – alors que la maîtrise des dépenses s’est incontestablement interrompue.

De ce fait, la France est l’un des seuls pays de la zone euro à n’avoir pas su profiter pleinement des taux d’intérêt exceptionnellement bas et d’une croissance plutôt soutenue, de l’ordre de 2 % en moyenne. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Autriche ni même du Portugal – pays qui sortait d’un réajustement budgétaire. Tous ces pays ont cherché à redresser leurs finances publiques en haut de cycle et ils y sont parvenus. Le déficit structurel français, une fois corrigé de l’effet de la baisse des charges d’intérêts, s’est donc dégradé de 0,4 point de PIB en 2019 par rapport à son niveau de 2017. Si l’on considère la situation en 2019, il s’écarte de 25 milliards d’euros de l’objectif fixé par la LPFP.

Cette loi est donc devenue très vite obsolète, avant même la crise sanitaire. Je n’ai cessé de le répéter lors de la législature précédente : il faut trouver une ancre pour les finances publiques, et j’attends comme vous une nouvelle LPFP.

Il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce fut une occasion manquée, dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui. La France a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques insuffisamment assainies.

À la lueur de cette analyse – si vous la partagez – des leçons devront être tirées et les pouvoirs publics devront désormais veiller à mener des politiques réellement contracycliques, pour gagner en résilience. Ce qui veut dire : être capable nous aussi de nous ajuster en haut de cycle.

Avec la crise sanitaire, la dégradation des finances publiques a pris une ampleur inédite, en raison du repli de l’activité économique et des mesures d’urgence prises pour en atténuer les effets.

Le déficit enregistré en 2020 est le plus élevé depuis l’après-guerre – 8,9 points de PIB. Ces mesures, connues sous le nom que chacun connaît de « quoi qu’il en coûte », étaient nécessaires et la Cour des comptes ne les a jamais remises en cause. Quand on fait face à des circonstances exceptionnelles, qui touchent à la vie de nos concitoyens, il faut savoir prendre des mesures exceptionnelles. Elles ont préservé la situation des entreprises, des ménages et de notre système social. De surcroît, elles ont permis un fort rebond de l’activité dès 2021.

Cette médaille a un revers, avec l’existence de niveaux de dette et de déficit trop élevés et qui font peser des risques pour l’avenir. Le déficit reste en 2021 de 6,4 points de PIB, malgré un très fort dynamisme des recettes en période de reprise économique.

Je profite de cette analyse de l’année 2021 pour vous présenter rapidement les grands messages du rapport sur l’exécution du budget de l’État. Le déficit de l’État en 2021 résulte en large partie de baisses d’impôts pérennes et de la croissance soutenue des dépenses, sans rapport avec la crise ni la relance. En 2021, les dépenses de l’État ont augmenté de 37 milliards d’euros. Outre les dépenses de relance qui ont naturellement progressé, les dépenses hors crise – l’indemnité inflation, la montée en charge de la loi de programmation militaire ou la hausse de la charge d’intérêts de la dette, entre autres – ont progressé l’année passée de 17,6 milliards d’euros (+ 5 %) à périmètre constant, soit beaucoup plus fortement qu’en 2020.

Dans son rapport sur l’exécution du budget de l’État, la Cour recommande aussi un plus grand respect des principes de notre droit budgétaire, notamment l’annualité des autorisations de dépenses et la spécialité des crédits. En effet, depuis la crise sanitaire le Gouvernement inscrit systématiquement en LFI ou en LFR des crédits allant au-delà des besoins prévisibles, choisissant de reporter des crédits non consommés. Sur l’ensemble du budget de l’État, le total des crédits reportés à la fin de l’année 2021 vers l’exercice 2022 est de 23 milliards d’euros.

C’est un problème qui vous concerne au premier chef, parce que ces pratiques affaiblissent la portée de l’autorisation parlementaire et conduisent à faire voter des montants de dépenses et de soldes différents des prévisions réelles du Gouvernement. Or les lois de finances sont et doivent demeurer l’élément central du contrôle et de la transparence de la feuille de route du Gouvernement par le Parlement.

Pour revenir à la vision de l’ensemble des finances publiques après ce point sur le déficit de l’État, la Cour constate qu’en deux ans, la dette publique totale a bondi de quinze points, soit 440 milliards d’euros supplémentaires. En sortie de crise, les dépenses publiques atteignent 58,4 % du PIB – la France a le niveau de dépenses le plus élevé parmi les neuf principaux pays de la zone euro – et la dette 112,5 % du PIB.

Je résume : c’est bien un message d’alerte que nous adressons – le ministre de l’économie et des finances a d’ailleurs lui-même utilisé ce mot, que nous partageons –, car les dimensions des déficits et de la dette publique ont changé de nature. Cette dégradation se fait par ailleurs dans un contexte économique et financier plutôt incertain.

L’inflation n’allège pas le poids de la dette, contrairement à ce qui a pu être enregistré dans le passé– j’y insiste car il y a beaucoup de fausses idées. Elle l’alourdit en raison de la part des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises indexées sur l’inflation, qui augmente considérablement la charge de la dette.

Plus que jamais, l’inflation est une fausse amie et en particulier de la dette. Ne croyons pas que l’inflation va résoudre le problème de la dette. C’est faux.

Le second temps du rapport, consacré aux prévisions pour 2022, révèle des perspectives économiques moins favorables qu’en LFI. La Cour indique par ailleurs que les mesures nouvelles annoncées et prévues en dépenses dans le PLFR 2022, qui représentent de l’ordre de 60 milliards d’euros, viendront peser sur le solde public.

Parmi ces dépenses, le coût de la dette augmentera de 17,8 milliards d’euros par rapport à la LFI. De quoi s’agit-il ? Le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février, avec ses effets sur l’activité et l’inflation, a conduit à une augmentation très conséquente du coût de la dette, et notamment celle liée aux obligations indexées sur l’inflation, qui représentent environ 11 % de la dette émise.

Ainsi, la Cour estime que de fortes incertitudes pèsent sur la prévision de déficit de cinq points de PIB en LFI, malgré un surcroît exceptionnel de recettes, en raison de la durée et des conséquences de la guerre en Ukraine, de l’évolution de la situation épidémique, du rythme de la normalisation de la politique monétaire ou d’éventuelles mesures nouvelles en faveur du pouvoir d’achat.

Selon l’avis du HCFP sur le PLFR, plusieurs facteurs viennent fragiliser la prévision de croissance, révisée par le Gouvernement à 2,5 % – elle était de 4 % en LFI.

La consommation des ménages, moteur traditionnel de la croissance économique en France, menace en effet d’être plus faible qu’escompté. Le Gouvernement prévoit une croissance du pouvoir d’achat des ménages, là où les institutions auditionnées par le Haut Conseil prévoient plutôt un léger repli. Et la chute de l’indicateur de confiance des ménages fait craindre qu’ils décident de différer leurs décisions d’achat au profit de l’épargne. La diminution des marges des entreprises, due à la forte hausse de leurs coûts, et la remontée des taux d’intérêt devraient peser sur l’investissement.

Enfin, nos exportations pourraient progresser plus lentement qu’escompté compte tenu des vents contraires qui soufflent sur l’économie mondiale et sur le commerce.

Au bout du compte, le risque d’une accentuation du ralentissement de l’économie française en fin d’année n’est pas négligeable. Pour le dire autrement, les 2,5 % de croissance sont atteignables, mais si et seulement si tous les facteurs se révèlent particulièrement favorables. Cela pourrait être un peu moins, mais nous n’en sommes pas sûrs.

En parallèle, le Gouvernement a révisé à la hausse sa prévision d’inflation en 2022, à 5 % en moyenne annuelle pour l’indice des prix à la consommation – contre 1,5 % en LFI –, en hausse sensible par rapport à 2021. Notons que cette prévision se situe toutefois dans le bas de la fourchette des prévisions disponibles. Elle suppose un tassement des pressions inflationnistes au second semestre, notamment en ce qui concerne les services, ce qui n’est pas acquis au vu des revalorisations salariales récentes et attendues. Pour le HCFP, l’inflation prévue pour 2022 paraît donc légèrement sous-estimée.

Les effets d’une croissance plus faible et d’une inflation plus élevée jouent en sens opposés sur les recettes. Mais le Haut Conseil relève qu’une inflation plus élevée se traduirait par des charges d’intérêts de la dette accrues, notamment du fait des titres de dette indexés sur l’inflation. D’ores et déjà, et c’est un point essentiel, cette charge va augmenter de quelque 18 milliards d’euros en 2022. Il s’agit d’une augmentation considérable et amenée à s’accroître encore – ne nous voilons pas la face. Elle réduit nos marges de manœuvre pour l’avenir. C’est un motif de préoccupation majeur. Les dépenses de santé risquent aussi d’être plus élevées en raison de la récurrence des vagues épidémiques. Le coût de certains dispositifs, tels que les boucliers tarifaires sur le gaz et sur l’électricité, sensible à l’évolution des prix de marché de l’énergie, est quant à lui entouré d’une grande incertitude tant ces prix sont volatils.

Par ailleurs, la prévision de recettes suppose une croissance spontanée des prélèvements obligatoires nettement supérieure à celle du PIB pour compenser les 60 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Avec le taux d’élasticité de 1,5 qui est retenu, celle-ci peut en partie se justifier par le dynamisme de la masse salariale et des prix à la consommation. Mais le produit de certains prélèvements obligatoires – tels que les droits de mutation, l’impôt sur les sociétés ou la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – risque toutefois de pâtir davantage que prévu de la dégradation amorcée du marché immobilier, de celle des résultats des entreprises, ou encore d’une baisse accrue de la consommation de carburant.

Aussi le HCFP a-t-il estimé que la prévision de déficit de 5 % en 2022, si elle n’est pas inatteignable, est affectée de risques défavorables. Le déficit pourrait être supérieur, sans que cela soit dramatiquement plus. D’ordinaire, je souligne que les prévisions de déficit du Gouvernement sont prudentes et les résultats sont meilleurs que prévus. Cette fois-ci, elles sont un peu optimistes.

Dans ce contexte économique et financier, la Cour se doit plus que jamais d’être une vigie solide, indépendante et impartiale. Et croyez-moi, elle le sera ! Pendant la crise, la Cour n’a jamais remis en question les dépenses nécessaires de soutien à l’économie ni de relance de l’investissement. Mais elle a pris acte de leurs conséquences sur la dette. Nous ne changeons pas d’avis : le « quoi qu’il en coûte » était justifié, nécessaire et utile. Toutefois, nous constatons que le dynamisme des dépenses ne tient pas uniquement à la crise et la trajectoire actuelle présente des risques qui ne peuvent être ignorés. Nous avons compris la réponse exceptionnelle liée à la crise de la covid, qui menaçait la vie de nos compatriotes, mais nous disons aussi que nous ne pouvons pas nous installer dans un « quoi qu’il en coûte » systématique et perpétuel. La réponse à tous les problèmes des Français n’est pas et ne doit pas être la dépense publique.

Que l’on ne se méprenne pas : la Cour des comptes ne remet nullement en cause l’idée de mesures pour protéger le pouvoir d’achat des ménages modestes. Mais la situation ne permet pas d’envisager des mesures pérennes et généralisées, beaucoup plus onéreuses que chez nos voisins. Ces mesures de dépenses doivent selon nous être temporaires, financées et ciblées – n’oublions pas que l’inflation est d’abord un impôt sur les ménages les plus modestes, qui subissent une large part de dépenses contraintes.

La France se situe aujourd’hui dans le groupe des pays qui connaissent une situation plus défavorable au sein de l’Union Européenne – avec l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Cette situation diverge avec celle des pays qui ont une dette modérée, à l’image de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Autriche – et cette divergence s’accroît. Tout cela commence à avoir un effet visible. On l’observe déjà en l’Italie, dont l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne n’a pas été aussi élevé depuis longtemps. La situation française est différente : notre dette est finançable et, à ce jour, les marchés nous font confiance.

L’accroître bien davantage serait risqué, d’autant que nous sommes sortis de la période de taux d’intérêt négatifs pour rentrer dans une phase de taux plus élevés. D’où cette conclusion : il est impératif de mener une stratégie de désendettement crédible.

Il faut en tirer toutes les conséquences pratiques. Avant tout, la France doit transmettre très rapidement son programme de stabilité à la Commission européenne pour fixer une trajectoire indiquant comment s’effectue le retour à un niveau de déficit soutenable – 3 % en 2027 selon l’objectif fixé par le Gouvernement – et comment infléchir la dette. Par ailleurs, si la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance a été prolongée jusqu’en 2023, il est impératif de construire à l’échelle européenne de nouvelles règles budgétaires adaptées et lisibles, qui permettent de favoriser la convergence entre les pays de la zone euro. Je ne crois pas à l’absence de règles mais à des règles plus solides, plus lisibles et plus pratiques. Nous devons retrouver des objectifs solides à moyen terme.

Voilà pour le message d’alerte.

Mon deuxième message est un message d’action. Il est nécessaire d’agir, et d’agir vite. La dégradation du solde public est inédite. Le dynamisme des dépenses n’est à ce stade pas maîtrisé. La maîtrise des finances publiques devient plus que jamais une exigence sans laquelle le pays s’exposera à des risques grandissants en matière de souveraineté et de pérennité de son modèle.

Ce n’est un secret pour personne, je n’ai pas la religion de l’austérité. Je ne suis pas un ayatollah anti-dépenses ni un Cassandre de l’endettement. D’autres font ça très bien. Pourtant, il faut dire clairement qu’accroître notre dette à l’excès ferait peser sur les générations futures une charge insupportable, qui réduira d’autant nos marges de manœuvre. Voilà un héritage que nous n’avons pas le droit de laisser à ceux qui nous suivent ! N’oublions pas que la soutenabilité de notre dette, c’est celle de notre modèle de société.

Dans le prolongement du rapport que j’ai remis il y a un an au Président de la République et au Premier ministre, la Cour propose une stratégie claire et lisible pour nos finances publiques.

En termes de méthode, tout d’abord. Le rapport recommande de saisir l’occasion de la prochaine loi de programmation prévue à l’automne pour fixer une stratégie de finances publiques soutenable et durable – en prenant en compte une situation plus dégradée que prévu, une croissance fragilisée par la situation géopolitique ainsi que par la remontée de l’inflation, et des dépenses publiques en forte hausse du fait des mesures adoptées pour préserver le pouvoir d’achat.

Les objectifs ambitieux fixés par les lois de programmation antérieures n’ont jamais été respectés par les lois de finances successives. Nous recommandons donc d’établir une loi de programmation plus crédible, c’est-à-dire qui s’appuie sur des hypothèses économiques réalistes et qui présente des mesures de dépenses détaillées et mises en œuvre tout au long de la période. Cette stratégie sera d’autant plus efficace qu’elle reposera sur la responsabilité collective, en impliquant l’ensemble des acteurs publics : l’État, mais aussi la sécurité sociale et les collectivités territoriales – nous venons de publier un rapport qui souligne la bonne santé financière de ces dernières.

Enfin, nous recommandons de veiller à prendre en compte les lois de programmation sectorielles, plus nombreuses chaque année, qui contribuent à un empilement de mesures et de dépenses sans vision globale. Ce sont des vecteurs d’échappement de la dépense. Il faut que la programmation centrale l’emporte sur les programmations sectorielles, pour conserver une vision d’ensemble.

Au début de ce nouveau quinquennat, j’ai la conviction que le Gouvernement devrait plus que jamais se saisir de nos recommandations pour faire des lois de programmation un outil de pilotage effectif, pluriannuel et lisible pour tous.

Nos concitoyens demandent de la transparence et de la visibilité en matière d’utilisation de l’argent public – c’est le leur – et ils sont en droit d’exiger un meilleur suivi de l’action publique.

Sur le fond, le rapport préconise une stratégie équilibrée de redressement des finances publiques qui s’appuie sur deux piliers. D’une part, renforcer le potentiel de croissance économique durable par des investissements, notamment dans la transition écologique et la politique industrielle. D’autre part, maîtriser les dépenses par la mise en œuvre de réformes structurelles.

Cette stratégie s’inscrit dans le droit fil de celle développée par la Cour en juin 2021 lors de la sortie de crise. Elle me paraît toujours aussi justifiée. Pourquoi ? Parce qu’elle redonne du sens au redressement des finances publiques, non pas pour rendre hommage à un esprit austéritaire stérile ou par un goût formel des comptes bien tenus, mais pour dégager les marges de manœuvre nécessaires afin d’être prêts face à la survenance de nouvelles crises et afin d’investir dans la croissance française sur le long terme.

Non seulement la France a besoin d’investissements, mais sans ces investissements nous risquerions de voir les gains attendus de la maîtrise des dépenses absorbés par les pertes liées à une dégradation de la croissance.

Contrairement à ce que certains semblent penser, notre croissance potentielle sort plutôt affaiblie de la pandémie de covid-19 et de ses conséquences – le Haut Conseil publiera une étude sur la question la semaine prochaine –, et elle est menacée par celles de la guerre en Ukraine. Nous ne sommes pas à l’aube de nouvelles Trente Glorieuses spontanées. On peut en rêver, mais cela n’arrivera pas. Nous avons besoin d’investir pour avoir de la croissance.

Pour le premier pilier, le renforcement d’une croissance durable implique une action cohérente et ciblée, en investissant en priorité dans les compétences et l’innovation. Je sais que les effets de cette démarche ne se feront sentir qu’à long terme mais ils assureront un soutien significatif à la croissance.

En s’appuyant sur les notes sur les enjeux structurels de la France publiées par la Cour à l’automne 2021, le rapport s’est attaché à identifier les leviers de croissance et de création d’emplois, notamment le renforcement de la compétitivité de l’industrie française pour regagner des parts de marché. Depuis très longtemps, je suis convaincu que l’industrie est une des clés de l’avenir de la France. Ainsi, le rapport met en avant les investissements nécessaires pour créer et structurer des filières industrielles.

Pour le second pilier – contribuer à la soutenabilité des finances publiques par la maîtrise des dépenses et la préservation des recettes –, la Cour identifie en priorité la nécessité d’activer des leviers transversaux. Nous ne préconisons pas l’utilisation bête et méchante du rabot – il y a des manières stupides de réduire la dépense : elles sont douloureuses, mal ressenties et inefficaces –, mais de faire des choix difficiles que la France n’a cessé de repousser. Le rapport suggère ainsi de se concentrer sur la préservation des recettes publiques en renforçant le pilotage, l’évaluation et la rationalisation des niches fiscales et sociales, lesquelles pèsent respectivement 93 milliards d’euros et 83 milliards d’euros. Je sais que c’est un marronnier, car nous le répétons d’année en année, mais la pédagogie est affaire de répétition. Ces montants sont considérables et il faut supprimer les niches, trop nombreuses, dont l’efficacité n’est pas démontrée.

Une modernisation de la gestion des ressources humaines dans les administrations publiques est également nécessaire au regard de l’enjeu sensible mais important que constitue la maîtrise de l’évolution de la masse salariale, laquelle est très dynamique, avec une augmentation du nombre de fonctionnaires de plus de 1,1 million entre 1996 et 2020. Il s’agit non pas de préconiser je ne sais quelle diminution sauvage, mais de constater qu’il est possible de gérer les ressources humaines.

Par ailleurs, le rapport énumère les marges d’efficience répertoriées et documentées par les différents travaux de la Cour, notamment pour être en mesure de financer les investissements nécessaires.

La Cour n’est pas exclusive ; elle jette un coup de projecteur sur trois domaines dans le champ social et deux dans le champ régalien.

D’abord, la réforme des retraites est toujours nécessaire à nos yeux, pour des questions tant d’équilibre financier des régimes que d’équité entre les générations. Cela doit se faire en agissant sur l’âge de départ – même si nous ne nous prononçons pas sur un chiffre ou sur une modalité particulière : c’est le travail de l’exécutif et du législatif, pas le nôtre –, en stabilisant les conditions de départ anticipé et en poursuivant la convergence des régimes. Ces mesures devront évidemment prendre en considération l’équité, tout en visant à simplifier les règles et à harmoniser les régimes. Mais je suis persuadé que cette réforme est nécessaire. Je sais que certains, ici même, préconisent de ne pas reculer l’âge de départ. Le risque, en l’absence de mesure d’âge, est de se trouver contraint de baisser les pensions, ce que nos concitoyens ne souhaitent pas.

Ensuite, en matière de santé, les dépenses de l’assurance maladie, qui connaît un déficit de 26 milliards en 2021, devraient, autant que faire se peut, être stabilisées – nous ne proposons pas de les réduire. Notre système de soins a révélé, au cours des dernières années, sa grande capacité à protéger les citoyens dans des situations de crise majeure, mais aussi une véritable inadaptation entre les besoins en matière de santé et les ressources. Pour que les dépenses de santé demeurent pérennes et pour garantir l’accès aux soins de tous, il faut financer des investissements, en particulier à l’hôpital, qui a incontestablement besoin de rénovation, par des mesures en dépenses intelligentes. Gardons-nous des œillères : la réorganisation des soins, la refonte de la rémunération des acteurs de santé, la revue des causes évitables de dépenses ou encore le renforcement du numérique dans le domaine de la santé peuvent produire des économies sans dégrader de quelque manière que ce soit la qualité du système de santé. Certaines dépenses doivent être augmentées, d’autres diminuées.

Enfin, en ce qui concerne l’emploi, le rapport préconise de garantir la soutenabilité du régime de l’assurance chômage et d’améliorer l’accompagnement vers l’emploi et la formation professionnelle en clarifiant le rôle des acteurs. Je vous renvoie notamment à l’évaluation de politique publique publiée par la Cour récemment au sujet de l’apprentissage.

Concernant l’État régalien, nous soulevons deux questions majeures.

Tout d’abord, il existe un décalage entre le décrochage de la France dans les classements internationaux en matière d’excellence scolaire, notamment celui du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), et un effort budgétaire de l’État bien supérieur à la moyenne européenne. Ce décalage frappe tout le monde, que ce soit l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec laquelle nous travaillons, ou encore le FMI, dont je recevais récemment encore une délégation.

Il faudra, là aussi, trouver des solutions pour financer les investissements nécessaires en supprimant les dépenses non adaptées. Les priorités consistent à revoir le parcours de l’élève, rénover le cadre du métier de professeur, renforcer l’autonomie et mieux évaluer pour améliorer la performance du système scolaire. Retrouver notre excellence scolaire va coûter de l’argent. Pour ce faire, il convient de trouver des leviers de financement pérennes.

Le dernier exemple que nous développons concerne le fait que les moyens supplémentaires importants alloués à la police nationale ne se retrouvent pas dans les résultats affichés, qu’il s’agisse de la présence sur le terrain ou de l’élucidation des faits de délinquance, qui se détériorent. Il faut faire la guerre à ces paradoxes de la dépense publique. La Cour recommande à cet égard un ajustement de l’allocation des effectifs aux besoins des territoires et des missions, une organisation du travail plus adaptée aux besoins opérationnels, une formation renforcée et modernisée et une mutualisation des moyens entre police et gendarmerie.

J’en ai terminé avec la présentation de ce rapport important, sans en avoir épuisé les analyses et les recommandations. Je vous invite donc à en prendre connaissance par vous-mêmes. Toutefois, s’il fallait en retenir deux choses, voici celles que je choisirais.

Premièrement, alors que la France a dû faire face à une succession de crises qui ont contribué à dégrader massivement les finances publiques, il est impératif que la prochaine loi de programmation des finances publiques donne un cap clair pour assurer leur soutenabilité. Nous ne pouvons pas vivre dans l’illusion d’une dette gratuite ni d’un monde tranquille, sans crises ni dérèglements.

Deuxièmement, pour garantir la crédibilité de la France, il faudra faire des choix difficiles mais justes envers les générations futures, auxquelles il ne serait ni digne ni responsable de laisser une dette environnementale et financière aussi lourde à porter.

M. le président Éric Coquerel. Merci pour votre présentation, monsieur le Premier président.

Vos propos ne sont pas tout à fait neufs, ce qui est normal car l’objectif des instances que vous présidez est de maîtriser les finances publiques, voire de diminuer les dépenses publiques – objectif que j’ai contesté à plusieurs reprises. Cela dit, et en dépit de certains désaccords, que je formulerai par la suite, avec quelques-unes de vos affirmations, il me semble que votre rapport pointe les contradictions du Gouvernement. En effet, celui-ci estime qu’il doit à la fois relancer la croissance et revenir à 3 % de déficit en 2027. Or, dans votre avis, vous expliquez, en termes très diplomatiques et modérés, que ce projet est quelque peu optimiste, qu’il s’agisse des prévisions concernant la croissance ou de celles relatives au déficit en pourcentage du PIB. La période économique est telle que, comme vous l’avez dit, il est difficile de penser que nous soyons « à l’aube de nouvelles Trente Glorieuses spontanées ». La question est de savoir comment faire succéder une démarche construite à ce « spontané » pour créer des mécanismes permettant de sortir de la situation économique dans laquelle nous nous trouvons, tout en répondant aux besoins de la population.

J’observe une première chose : à partir du moment où l’on pense que la croissance ne sera pas spontanée, il faut trouver un moyen de nourrir celle-ci – vous le dites vous-même quand vous parlez d’investissements. Je pourrais vous rejoindre sur ce point, à ceci près que l’investissement nécessite des dépenses publiques. Le premier investissement nécessaire doit consister à éviter de laisser aux générations futures une dette écologique. À mes yeux, cette dette prime sur toutes les autres. Or on peut se demander si les investissements prévus dans les années à venir permettent ne serait-ce que d’essayer de respecter l’accord de Paris, c’est-à-dire de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius, comme le préconisent la plupart des scientifiques. Vous l’aurez compris : selon moi, la réponse est non, mais vous avez le droit d’avoir un avis différent. Quoi qu’il en soit, si l’on considère que les dépenses engagées ne sont pas suffisantes, il faudra les augmenter d’une manière ou d’une autre.

Deuxièmement, la question est de savoir comment avoir davantage de recettes dès lors que l’on n’augmente pas les impôts. Cela conduit à s’interroger sur la manière de partager les richesses et de relancer la consommation populaire.

Vous avez abordé deux questions importantes : la réforme des retraites et la stabilité des dépenses de santé. Je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez dit. En ce qui concerne la première de ces questions, je ne vois pas très bien en quoi ce que vous suggérez permettrait de relancer la croissance. Quant à la santé, je note que vous n’appelez pas à diminuer les moyens qui lui sont alloués, mais les termes que vous employez sont ceux qui ont été souvent utilisés pour baisser les dépenses publiques, avec les résultats que l’on connaît. Je n’ai pas vraiment vu de nouveautés à cet égard dans vos propositions.

Les questions que je souhaite vous poser sont simples, et elles rejoignent en partie vos préoccupations.

Si la croissance sur laquelle table le Gouvernement à la fois pour résoudre le problème des déficits publics et relancer l’économie n’est pas au rendez-vous, ou en tout cas pas autant qu’il le souhaite, et si, dans le même temps, l’objectif des 3 % de déficit est maintenu, la question se pose : est-il raisonnable de continuer à baisser les ressources fiscales ? Vous le savez, je ne suis pas d’accord avec le cadre des 3 %. Je pense, notamment, que l’on aurait pu s’interroger sur le statut de la dette liée au covid possédée par la Banque centrale européenne et par la Banque de France, et même envisager sa transformation en dette perpétuelle. Quoi qu’il en soit, la question est de savoir, disais-je, si l’on doit continuer à appauvrir l’État en diminuant la recette fiscale. Vous notez, à propos des cinq années qui viennent de s’écouler, que la baisse des prélèvements obligatoires de 50 milliards d’euros concourt à « dégrader de manière pérenne le niveau des prélèvements obligatoires », car elle n’est pas totalement compensée « par la dynamique spontanée des recettes ». Or le Gouvernement envisage des baisses d’impôts supplémentaires. Pensez-vous que ce soit une urgence dans la situation actuelle ? J’ai cru comprendre que ce n’était pas votre avis, puisque vous préconisez même de revoir certaines dépenses fiscales, notamment les niches fiscales et sociales, qui représentent respectivement 93 milliards d’euros et 83 milliards d’euros. Le Gouvernement, pour sa part, n’entend pas, pour l’instant, revenir sur ces dépenses.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Merci pour votre présentation, monsieur le Premier président. Je remercie également vos équipes pour le document qu’elles ont préparé. Vos travaux enrichissent nos débats et permettent de les contextualiser. La période dans laquelle nous entrons, et qui durera jusqu’à la fin de l’année, sera cruciale pour la trajectoire des finances publiques. Le débat sera politique, mais il est bon qu’il se déroule sous l’œil averti d’institutions indépendantes comme celles que vous présidez.

Je partage l’essentiel de vos conclusions et je ne peux que souscrire aux alertes que vous lancez s’agissant de l’état de nos finances publiques, de la nécessité de maîtriser les dépenses, de préserver les recettes et de contrôler la dette. Je ne vois pas d’incohérence entre ces différents objectifs, contrairement au président Coquerel : il nous faut autant de croissance que possible pour être en mesure d’augmenter les recettes et d’investir.

Je relève également que, d’une certaine manière, la Cour valide les hypothèses gouvernementales associées au PLFR, même si vous les trouvez un tantinet volontaristes et légèrement optimistes. Il est vrai, monsieur le Premier président, que le Gouvernement maintient l’objectif de 5 % de déficit fixé dans la loi de finances pour 2022, malgré la crise en Ukraine et ses conséquences, à savoir l’augmentation de l’inflation et le ralentissement de la croissance.

Ma première question porte sur la notion de solde structurel, chère à notre collègue Charles de Courson, et sur son utilité comme instrument de suivi et de pilotage des dépenses publiques. Depuis la crise de 2020, cette notion présente de nombreuses limites. Son mode de calcul repose sur un grand nombre d’hypothèses et de conventions, décrites en particulier dans une loi de programmation nécessairement datée. Cette notion conserve-t-elle une utilité, notamment dans la perspective de la réflexion que nous devons mener sur les règles budgétaires européennes ?

Vous préconisez, dans votre rapport sur les finances publiques, « une réflexion d’ensemble sur le financement des collectivités territoriales, complexifié et rendu illisible par les réformes successives ». Avez-vous des pistes de simplification en la matière ? Comment rendre compatibles l’autonomie financière des collectivités territoriales, d’une part, et la maîtrise des dépenses publiques toutes administrations publiques (APU) confondues, d’autre part ?

Enfin, s’agissant de l’effet de l’inflation sur le ratio de la dette publique, vous avez dit que l’inflation était « une fausse amie », contrairement à ce que l’on pourrait penser, en raison du poids des OAT indéxées sur l’inflation. Ce phénomène est-il spécifique à la situation française ? Seriez-vous d’accord pour dire que lutter contre l’inflation coûte moins cher que de compenser les effets de cette dernière ?

M. Pierre Moscovici. Je ne me lancerai pas dans un débat singulier avec vous, monsieur le président. Je me limiterai à exposer la logique de la Cour des comptes, laquelle est d’ailleurs assez claire ; elle a été présentée de manière exhaustive dans le rapport que j’ai adressé il y a un an au Président de la République et au Premier ministre de l’époque, et elle est reprise dans celui-ci. L’analyse a été formulée après une consultation très large : nous avons entendu de nombreux économistes français, européens et même américains.

Nous traversons une période très difficile, sur le plan géopolitique comme sur le plan économique, et la situation a naturellement des traductions sur le plan financier. Nous ne contestons en rien – bien au contraire – l’idée selon laquelle, dans ce contexte, des investissements sont fondamentalement nécessaires. Notre croissance potentielle a été affectée, et c’est naturel, par le choc extraordinaire qu’a été la pandémie, et elle continue d’être menacée par les conséquences de la guerre en Ukraine. Elle se situe aux alentours de 1 % plutôt que de 1,5 % – il s’agit, encore une fois, de la croissance spontanée. Pour l’améliorer, il n’y a qu’une seule voie : celle de l’investissement.

Le plan de relance consacre quelque 30 milliards d’euros à la transition écologique, ce qui représente un premier effort important. Toutefois, il faudra faire davantage, notamment pour reconstituer notre capacité de production électrique. Vous débattrez ainsi de la renationalisation d’EDF et de la construction de nouveaux réacteurs, que le Président de la République a annoncées et qu’il faudra financer – je ne me prononce pas sur ce choix en tant que tel. Nous pensons, effectivement, qu’il faut davantage d’investissements, ce qui va un peu dans votre sens. C’est vrai en ce qui concerne la transition écologique et la politique industrielle ; c’est vrai également dans le domaine de l’équipement militaire – le rapport que nous avons consacré il y a quelque temps à la loi de programmation militaire montre qu’une remise à niveau a déjà eu lieu. Dans ce domaine, nous bénéficierons à l’avenir de davantage de ressources de la part de l’Union européenne, notamment à travers la mutualisation des dettes.

Toutefois, cette nécessité d’investir suppose selon vous d’augmenter les dépenses publiques, ce qui veut dire aussi, en pratique, accroître la dette. À cet égard, nous divergeons. La Cour considère que l’endettement français a vraiment atteint la « cote d’alerte », pour reprendre l’expression de Bruno Le Maire. Nous ne pouvons pas aller au-delà. Il est indispensable de retrouver une courbe plus pertinente.

Cela m’amène à l’une des questions du rapporteur général. En effet, une inflation plus forte ne réduit pas la dette publique. Certes, l’inflation facilite le remboursement de la dette héritée, mais son impact à long terme dépend de l’évolution des taux d’intérêt, que par définition nous ne connaissons pas encore. D’autres éléments doivent également être pris en compte, parmi lesquels l’alourdissement de la charge des intérêts résultant de la part des OAT dans le financement de notre dette – la Cour a consacré un rapport à la question. De facto, l’inflation s’est ainsi traduite par une augmentation de quelque 18 milliards d’euros du coût de remboursement de la dette publique, ce qui est considérable.

Si nous continuons à accroître les déficits et la dette publics, monsieur le président, alors que les dépenses publiques atteignent déjà 58,4 % du PIB, la charge de la dette augmentera elle aussi et cela réduira d’autant le financement de l’investissement. Je puis vous en parler d’expérience : lorsque j’étais ministre de l’économie et des finances, entre 2012 et 2014, la croissance était nulle, les spreads étaient tendus et la charge de la dette constituait le deuxième poste du budget de l’État, à raison de quelque 80 milliards d’euros. Je vous prie de croire que, dans une telle situation, les marges de manœuvre pour préparer le futur sont très restreintes. Plus nous nous endettons, plus nous nous étranglons, en réalité. C’est la raison pour laquelle, à côté de l’investissement nécessaire pour relancer la croissance, nous préconisons une stratégie fondée sur la maîtrise de la dépense.

Ne laissons pas croire que la maîtrise de la dépense soit l’équivalent de l’austérité. J’ai évoqué la stabilisation des dépenses de santé, mais en points de PIB : je ne préconise pas une diminution de leur part dans le PIB. Il s’agit de jouer sur différents postes, pour un ensemble de dépenses dont le montant est considérable. Stabiliser ces dépenses en points de PIB, cela veut dire, en réalité, qu’elles continuent à augmenter en valeur absolue.

En ce qui concerne les retraites, le débat va s’ouvrir. La Cour des comptes n’a pas d’idéologie à ce propos. Elle ne se prononcera pas non plus sur l’âge de départ. Nous disons simplement que l’âge effectif de départ devra être reculé si l’on veut que le système soit à l’équilibre et financé, faute de quoi l’on risque de devoir prendre une décision extrêmement pénible, et même tout à fait détestable, à savoir toucher aux pensions.

Vous parliez d’appauvrir l’État. Avec des dépenses publiques représentant 58,4 % du PIB, on n’a pas affaire à un État slim fit : l’État a quelques rondeurs. Il existe des marges de manœuvre. L’approche que nous suggérons n’est pas austéritaire, il ne s’agit pas de manier le rabot : nous préconisons de transformer l’action publique, de se demander comment dépenser moins mais de façon plus intelligente, tout en améliorant les prestations publiques. Outre les exemples que j’ai donnés, j’aurais pu parler du logement : voilà un secteur dans lequel nous dépensons deux fois plus que les pays de la zone euro, pour une performance qui n’est pas forcément la meilleure, y compris dans le domaine du logement social, particulièrement cher à certains d’entre vous. Certaines réformes peuvent être engagées, et elles permettraient de dégager des ressources. Nous avons produit une note à ce propos.

Enfin, vous m’avez interrogé sur les dépenses fiscales – j’ai noté certaines convergences entre nous à cet égard – et sur les baisses d’impôts. Je ne saurais dire si celles-ci sont trop importantes. Je tiens simplement à souligner qu’elles ont atteint 50 milliards d’euros au cours du dernier quinquennat, soit deux fois plus que ce qui était prévu, car les mesures prises à la suite du mouvement des gilets jaunes puis celles de la période du « quoi qu’il en coûte » se sont ajoutées. Mon sentiment est que nous n’avons guère les moyens, dans une période de déficits et de dette élevés, d’opérer des baisses d’impôts sèches : toute nouvelle diminution devrait être compensée par l’augmentation d’autres impôts ou par une maîtrise de la dépense à due concurrence. Le débat sur la question existe dans d’autres pays : pour s’en convaincre, il suffit d’observer ce qui se passe au sein du Parti conservateur britannique dans le cadre de la succession de Boris Johnson.

Monsieur le rapporteur général, vous avez dit que nous validions les hypothèses. C’est vrai, au sens où nous ne les trouvons pas inatteignables, mais notez quand même les nuances que nous apportons : qu’il s’agisse de la croissance anticipée, des prévisions concernant les recettes, de l’inflation ou encore de l’élasticité des recettes fiscales au PIB, tout est tiré au cordeau. Jusqu’à présent, chaque fois que je suis venu devant cette commission en tant que Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, j’ai seriné l’air de la prudence, tout en ayant le sentiment que le résultat serait plutôt meilleur qu’anticipé, et je ne me suis jamais trompé. Or, cette fois-ci, ce n’est pas ce que je vous dis : je considère que les prévisions sont plutôt optimistes. Ce serait en vérité une bonne surprise d’en rester à 5 % de déficit. L’objectif n’est pas inatteignable, mais il faudrait vraiment que tous les facteurs se combinent au mieux. Ce n’est pas ce que nous anticipons.

Le solde structurel reste nécessaire pour éviter de mener des politiques procycliques. Nous tenons à ce qu’il soit possible de maîtriser ou d’augmenter les dépenses au bon moment. Cela dit, cet outil est sans doute amené à perdre une partie de sa force ou de sa pertinence. Je ne peux pas anticiper ce que sera la réforme des règles du pacte de stabilité, mais l’intuition ainsi que la connaissance que j’ai de ces questions me conduisent à penser que si un consensus se dessine, ce sera plutôt autour de l’idée selon laquelle on doit traiter davantage la dette publique à l’échelle nationale et que, s’agissant des dépenses publiques, il faut se doter d’une règle simple, lisible et qui permette de privilégier l’investissement. Le Haut Conseil des finances publiques a organisé il y a quelques mois une manifestation très intéressante à ce propos, à laquelle participait notamment le commissaire Gentiloni.

Enfin, en ce qui concerne les collectivités territoriales, nous avons souligné leur relative bonne santé, qui permet de s’interroger sur leur contribution éventuelle au redressement des finances publiques. Il en est plutôt question dans le fasciule 1 du rapport sur les finances publiques locales publié hier, mais les deux documents vont dans la même direction.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de son travail. Je salue vos propos, monsieur le Premier président, sur le « quoi qu’il en coûte », rappelant à quel point cette politique était indispensable. Je salue également la sagesse de la Cour sur le sujet des retraites, dont nous aurons l’occasion de reparler prochainement.

Fort de vos expériences passées, pensez-vous que la réforme des critères européens soit possible, dans des délais raisonnables ?

Le débat sur la politique monétaire européenne est en train de revenir, réactivant des clivages Nord Sud. Quel serait l’effet sur les finances publiques du relèvement rapide des taux que semblent demander plusieurs États ?

On entend tout et son contraire sur les collectivités territoriales. Quelle lecture faites-vous de la dynamique de leurs dépenses ? Quelles lumières la Cour peut-elle apporter à un débat public quelque peu brouillon ?

M. Philippe Lottiaux (RN). Merci pour ce rapport très instructif, qui souligne le retard de présentation et le faible délai pour examiner le PLFR. Sur le fond, il souligne la dégradation des finances publiques, partiellement imputable à la crise, un contexte inflationniste et incertain, une fuite en avant de la dette qui n’est plus maîtrisée, des prévisions hasardeuses et une position défavorable, ce qui rompt avec les exercices d’autosatisfaction auxquels nous avaient habitués les groupies de M. Macron.

Oui, nous rejoignons vos conclusions : pour une croissance durable, il faut retrouver une trajectoire lisible. « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va », écrivait Sénèque ; on a l’impression que ce gouvernement ne sait pas où il va, ni même, parfois, où il est.

Quelques points de divergence, toutefois. Vous dites que la réforme des retraites est nécessaire. Il me semble que ce qu’on y gagnera éventuellement, on le perdra ailleurs, puisque les problèmes d’employabilité des plus de 55 ans se répercuteront sur l’assurance chômage et l’assurance maladie. Cette réforme sera en fin de compte neutre.

Ce que vous dites des collectivités territoriales m’inquiète. Il se trouve que j’ai pratiqué la question jusqu’au 22 juin. La perte progressive des recettes provenant de la taxe d’habitation a réduit les marges de manœuvre des collectivités et je crains qu’une nouvelle réduction des dotations, après celle imposée sous le quinquennat 2012-2017, n’ait des conséquences majeures sur les services publics de proximité, que la population réclame pourtant.

Pour optimiser l’efficacité de l’action publique, il y a de quoi faire avec les niches fiscales. Nous devrons aussi travailler sur les normes et les contraintes, dont l’accumulation étouffe les acteurs économiques. Enfin, il nous faudra parler de la lutte contre les fraudes et contre les produits de la spéculation.

Mme Alma Dufour (LFI-NUPES). Vous affirmez que, pour ramener le déficit budgétaire à 3 % en 2027, le Gouvernement doit à la fois préserver les recettes et réduire les dépenses. Pourquoi avoir choisi de focaliser votre rapport sur les dépenses ? Pourquoi ne pas avoir traité des baisses de recettes, auxquelles a abouti la politique de baisse des prélèvements obligatoires, et des niches fiscales, qui bénéficient surtout aux plus hauts revenus et aux grandes entreprises ?

Dans ce contexte budgétaire tendu, et alors que l’objectif est de préserver les recettes, considérez-vous que les nouvelles baisses d’impôts en direction des entreprises, et notamment la suppression de la CVAE, sont raisonnables ?

Comme vous l’avez dit, nous aurons besoin d’investissements massifs – 50 milliards d’euros par an – dans la transition écologique pour assurer les conditions d’une croissance durable. Or la règle des 3 % risque de contraindre fortement les capacités d’investissement public. Ne pensez-vous pas qu’elle nous empêche de créer les conditions d’une croissance durable, qui, vous le dites vous-même, passe nécessairement par la transition écologique et la relocalisation industrielle ?

Vous avez affirmé que les dépenses publiques de soutien à l’économie étaient nécessaires et justifiées par le caractère exceptionnel de la crise sanitaire. Quelles sont, selon vous, les chances que la France revienne à un déficit de 3 % et, a fortiori, parvienne à rembourser sa dette publique, alors que le changement climatique nous fait entrer dans une époque de grande incertitude et d’exceptions permanentes ? Malgré nos investissements, toujours insuffisants, il est probable que le changement climatique fasse baisser le PIB mondial et devienne un frein structurel à la croissance.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). J’ai apprécié votre rappel des règles budgétaires. Il est important que ce soit dit en commission des finances. La notion d’inscription dans le cadre de l’annualisation des dépenses est fondamentale et il me semble qu’on a dérogé à ces règles élémentaires depuis quelques années.

Tous les intervenants ont parlé de la baisse, pérenne, des impôts. On assiste à un paradoxe. Si la mesure a bien été mise en œuvre, dans les faits, ce sont 64 milliards d’euros supplémentaires, par rapport à 2017, qui ont été prélevés sur les Français ces cinq dernières années. Rien que sur les cinq premiers mois de l’année 2022, il y a eu 19,7 milliards d’euros de prélèvements fiscaux supplémentaires – 10,4 milliards d’IS, 3,6 milliards d’IRPP et 5 milliards de TVA. Alors, cessons de nous gargariser avec la baisse pérenne des impôts !

Vous relancez l’idée que la France doit se conformer au programme de stabilité, mais comment être crédibles dans cet effort d’assainissement des finances publiques alors que nous n’avons jusque-là jamais respecté les différents programmes ?

Vous concluez en retraçant les perspectives de maîtrise de dépenses publiques, la réforme des retraites et la réforme globale du système de santé. C’est fondamental. Les collectivités locales, elles, ont fait l’effort d’assainir leurs dépenses, elles se sont mises à jour et je trouverais injuste de ponctionner leurs excédents.

M. Jimmy Pahun (Dem). La situation est très différente de celle dans laquelle nous étions, lors de l’examen du dernier texte financier, fin 2021. Le retour de l’inflation est plus important que prévu et les États occidentaux, plus que les autres, peut-être, ont des difficultés à y faire face. Je voudrais souligner que les mesures prises depuis octobre dernier par notre majorité, notamment le bouclier tarifaire et la remise de 0,18 euro par litre de carburant, ont permis de contenir l’inflation. Si celle-ci reste moins élevée que dans le reste de la zone euro, elle mord sur le pouvoir d’achat des ménages et la rentabilité des entreprises. Le projet de loi pour la protection du pouvoir d’achat et le PLFR visent à y remédier à court terme, tout en permettant des réformes plus structurelles.

Ces projets de loi s’inscrivent toutefois dans un contexte de finances publiques dégradées par la crise de la Covid et – ne nous mentons pas à nous-mêmes – par quarante ans d’inconséquence budgétaire. Ma question sera triple : quel est l’impact de l’inflation sur les finances publiques ? Quel regard le HCFP porte-t-il sur les mesures qui visent à atténuer l’inflation, mais avec des conséquences importantes à court terme sur l’équilibre des finances publiques ? Est-il rentable d’essayer d’éviter du mieux possible les effets de second rang ? À moyen terme, la remontée des taux entamée par la BCE risque-t-elle de provoquer une nouvelle crise de la dette souveraine ? Quels sont les effets du plan de relance européen en la matière ?

Sur un tout autre sujet, je voudrais saluer le travail de la chambre régionale des comptes de Bretagne sur les algues vertes et sa proposition de cinq leviers pour endiguer leur prolifération.

M. Philippe Brun (SOC). En préparant cette audition, je me suis plongé dans un rapport d’information que Gilles Carrez, alors rapporteur général, avait publié le 30 juin 2010. Le premier chapitre, intitulé « 2000 à 2010, dix années de pertes de recettes non compensées », s’ouvrait sur le constat suivant : entre 100 et 120 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales sur le budget général de l’État depuis 2000. Gilles Carrez appelait à la vigilance sur ces baisses d’impôts non compensées, écrivant : « L’année 2000 a constitué une rupture dans l’orientation de la politique fiscale de la France. Alors que, depuis l’adoption du traité de Maastricht en 1993, l’objectif était de dégager des surplus fiscaux permettant de remplir les critères du pacte de stabilité et de croissance, un retournement se produit à la suite de la création de la zone euro en 1999 ». Il conclut que les baisses des prélèvements obligatoires devront être compensées par des économies sur la dépense, invitant à sanctuariser les ressources de l’État.

Nous n’avons pas écouté cette alerte du rapporteur général de l’époque puisque nous avons fait le CICE, le pacte de responsabilité, et, pendant le dernier quinquennat, 50 milliards d’euros de dépenses fiscales supplémentaires avec le prélèvement forfaitaire unique, la suppression de l’ISF et de la taxe d’habitation. Ne pensez-vous pas qu’il faille changer désormais de logique, lever le bon niveau d’impôts pour couvrir les charges et ne pas trop attendre de la fiscalité comportementale, dont on voit la faible efficacité et les effets très néfastes sur les finances publiques ?

Mme Lise Magnier (HOR). Je vous félicite d’avoir travaillé dans des délais particulièrement contraints, une situation que nous, parlementaires, connaissons bien. J’irai droit au but puisque vous avez fait le tour de la situation macroéconomique et budgétaire et tracé les perspectives d’actions nécessaires dans le cadre d’une bonne gestion des finances publiques.

Pourriez-vous préciser quelle est la part des titres de dette indexés sur l’inflation dans le stock global de dette publique ? L’Agence France Trésor continue-t-elle d’émettre des titres de dette indexés ?

Disposez-vous d’une projection sur la remontée des taux d’intérêt à court et à moyen termes, en plus de celle annoncée au mois de juillet ? Au-delà de quel seuil le niveau des taux d’intérêt rendrait-il la dette publique française insoutenable ?

Tout le monde s’accorde à dire que l’analyse du déficit structurel est complexe car elle repose sur l’indicateur de croissance potentielle et dépend de l’intégration ou non des dépenses « hybrides ». Comment moderniser cet outil ? Faut-il tout simplement cesser de l’utiliser ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). Merci pour cette présentation qui a le mérite d’être claire, même si nous n’en partageons pas toutes les conclusions, notamment sur la question des retraites.

Dans le rôle qui est le vôtre et l’optique que vous défendez – celle d’un retour à l’équilibre budgétaire –, pensez-vous qu’il soit pertinent de se priver des 3,2 milliards d’euros de recettes de la redevance sur l’audiovisuel public et des 8 milliards d’euros de CVAE en 2023 ?

Vous estimez que les investissements dans la transition écologique maximisent le potentiel de croissance. Même si nous mettons en doute la pertinence du PIB comme indicateur, notre analyse rejoint la vôtre : la transition écologique est souhaitable et nécessaire. Vous soulignez d’ailleurs dans votre rapport la possibilité de créer, selon l’ADEME, entre 170 000 et 700 000 emplois nets d’ici à 2050. Pouvez-vous préciser quels sont les investissements dans la transition écologique que vous pensez nécessaire d’amplifier ?

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Je suis heureux de vous retrouver et de constater que, malgré vos nouvelles fonctions, vos convictions, à l’instar des miennes, n’ont pas changé. Vous avez expliqué que les indicateurs retenus par le Gouvernement étaient « optimistes », ce qui est, dans le langage policé de la Cour, un soufflet donné au Gouvernement.

J’ai trois interrogations. La Cour a fait part de son inquiétude quant à la baisse des prélèvements obligatoires, y voyant une source de creusement du déficit, mais elle ne dit rien des surprofits ou de la surépargne constatés ces dernières années.

Il serait utile que vous puissiez détailler et nous dire ce qui, dans les prélèvements obligatoires, relève des dépenses publiques, des dépenses fiscales ou des dépenses sociales. Pour s’attaquer aux niches fiscales, il faut démontrer que lorsqu’on supprime certaines dépenses fiscales, on diminue les prélèvements obligatoires et on améliore les recettes de l’État.

Enfin, je ne partage pas votre opinion s’agissant des collectivités locales, tant leur groupe est hétérogène. Beaucoup d’entre elles ont du mal à absorber les dépenses nouvelles – en matière d’énergie et d’alimentation – et une nouvelle difficulté va se poser à elles avec l’augmentation, non compensée pour le moment, du point d’indice. Certaines seront à l’os. La Cour peut-elle changer son analyse et montrer que ce groupe est très hétérogène ?

M. Michel Castellani (LIOT). Merci pour la présentation de cet avis, qui essaie de nous éclairer un peu au milieu de tant d’incertitudes économiques et budgétaires.

Vos prévisions de dépenses prennent-elles en compte l’annonce de la nationalisation d’EDF – à hauteur de 6 milliards d’euros, si j’ai bien compris ?

Le Gouvernement entend déposer un nouveau texte de programmation puisque la loi de programmation 2018-2022 est complètement obsolète. Est-il pertinent de déposer un tel projet de loi aujourd’hui, alors que le contexte économique n’a jamais été aussi flou ? En d’autres termes, est-il possible de fixer un horizon fiable, crédible, quand vous soulignez vous-mêmes que les prévisions de croissance à 2,5 % sont complètement aléatoires, de même que le solde public à moins de 5 points de PIB ?

Vous indiquez que la hausse des taux d’intérêt résulte de l’indexation des titres sur l’inflation française et de la zone euro. Je ne suis pas certain que les autres États membres aient également indexé leurs titres de dette, mais ce qui importe, c’est le fameux spread, la différence des taux d’intérêts entre les différents emprunts d’État. Vous soulignez la nécessité de favoriser la convergence des règles budgétaires, la condition sine qua non pour l’exercice d’une concurrence juste et efficace. Mais on sait combien il est difficile de passer de la proclamation à une démarche concrète. Comment vous donner tort lorsque vous recommandez, en conclusion du rapport, de maîtriser les dépenses et de préserver les recettes ? Mais vous savez très bien, monsieur le Premier président, que c’est toujours dans le passage à l’acte que réside la difficulté.

M. Pierre Moscovici. Monsieur Sansu, je suis heureux, moi aussi, de vous retrouver. J’ai atteint l’âge où l’on ne change plus beaucoup de convictions, et comme la greffe de cerveau n’existe toujours pas, les miennes restent intactes. Lorsque je m’exprime ici, je le fais au titre de la Cour des comptes, un organe indépendant, impartial et collégial. Je ne viens pas faire état de mes convictions personnelles, mais des travaux objectifs d’une institution de la République.

M. Castellani, la Cour ne s’est pas penchée sur la question d’EDF car les décisions ont été prises après la saisine du HCFP et parce qu’il s’agit de dépenses non maastrichtiennes. Mais, compte tenu des effets qu’elles pourraient avoir sur la dette, nous serons amenés à y revenir.

Les règles budgétaires européennes sont suspendues jusqu’en 2023. Je suis convaincu qu’il en faudra de nouvelles, d’abord parce qu’elles sont nécessaires. On ne peut pas gérer les finances publiques sans boussole ni ancre. Les règles actuelles sont obsolètes. J’en ai fait l’expérience sous plusieurs angles, elles sont illisibles, complexes et ont un caractère procyclique tout à fait dangereux. Il est difficile de dégager un consensus mais il semble que l’outil du solde structurel sera modernisé et qu’un indicateur plus simple, qui portera sur les dépenses – en volume et en termes de taux de croissance – sera choisi.

La gestion de la dette devra être davantage individualisée. Je n’ai pas la religion du 3 %, mais c’est une règle qui présente quelques avantages. Elle désigne le niveau au-delà duquel on estime que la dette continuera d’augmenter. C’est aussi une norme applicable par tous, une référence commune, partagée et commode. Plusieurs d’entre vous ont évoqué l’idée qu’on pourrait tout aussi bien retenir 4 % ou 5 %. Mais plus on s’écarte des 3 %, plus on s’écarte des autres. Dans une union monétaire, on se trouve sous le regard du marché. Sur les spreads, ce qui compte, c’est non seulement le niveau, mais aussi la pente, l’écart.

Les 60 % demeureront car il n’y a pas de consensus pour les supprimer, mais chacun sait qu’aucun pays ne les atteindra à court terme. On ira vers un traitement plus individualisé, plus national de la dette. Que personne, cependant, n’éprouve ici un lâche soulagement : ceux qui sont les plus endettés devront quand même se rapprocher de ceux qui le sont moins. En 2008, la France avait un niveau de dette proche de celui de l’Allemagne ; aujourd’hui, l’écart est de 40 points. Au sein d’une zone monétaire unique, le risque est significatif. Il ne faut pas se faire d’illusion : ceux qui ont une dette élevée devront faire plus d’efforts que ceux qui ont maîtrisé la leur.

J’entends parler d’annulation, de dette perpétuelle. Mais une zone monétaire rassemble plusieurs pays, et certains répondront à d’autres : votre demande d’annulation est bien sympathique, mais nous, nous avons déjà fait les efforts nécessaires, alors balayez devant votre porte ! Il y a une sorte d’illusion à croire que la BCE « n’a qu’à » annuler la dette. Ce n’est pas si simple. Les gouverneurs des différents pays, qui composent son board, répondront que ce n’est ni dans leurs compétences ni dans leur philosophie.

Oui, une dette doit être remboursée in fine. J’estime que la dette est finançable, mais en rajouter ne fera que peser sur les spreads, réduira notre indépendance et nos marges de manœuvre, nous empêchera de financer les investissements et, petit à petit, nous étranglera. Quand bien même nous ne serions pas dans l’union monétaire, ce serait la même chose, car on ne peut vivre en autarcie.

J’ai appris il y a très longtemps qu’il ne fallait jamais commenter les décisions de politique monétaire, surtout avant qu’elles interviennent. Mais je peux dire trois choses. D’abord, la normalisation va avoir lieu ; par définition, on ne connaît pas son ampleur ; il ne faut pas tout attendre de la politique monétaire. Elle seule ne peut répondre à la fragmentation. Une part viendra de la politique budgétaire, la convergence est ici absolument indispensable.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit sur les collectivités territoriales. Leur situation financière est favorable : on peut y voir un effet des efforts qu’elles ont consentis ; le fait qu’elles votent leur budget à l’équilibre n’y est pas étranger non plus. Il est vrai qu’on peut distinguer plusieurs composantes et que les blocs ne sont pas dans la même situation. Le rapport de la Cour le dit de manière assez claire.

Il faut quand même imaginer de nouveaux mécanismes d’association des collectivités locales au redressement des finances publiques. Ils succéderont aux contrats de Cahors, dont la durée est limitée.

La Cour des comptes ne préconise pas la baisse des dotations. Celle-ci est intervenue dans le passé, entre 2014 et 2017, non sans brutalité, mais avec une certaine efficacité. La Cour a été saisie par la commission des finances du Sénat d’un rapport sur le financement des collectivités locales, qu’elle rendra fin septembre.

J’ai dit qu’il était très important de jeter un regard attentif sur les dépenses fiscales – niches fiscales et niches sociales. C’est sans doute un marronnier, mais c’est indispensable. Ces dépenses fiscales sont d’un montant tout à fait considérable et on sait très bien – des rapports, émanant de votre commission notamment, l’ont montré – que toutes ne sont pas utiles ou efficaces. Alors qu’on cherche des marges, il serait quand même dommage de ne pas regarder plus en détail.

S’agissant de la transition écologique, le budget vert prévoit déjà 32 milliards d’euros d’investissements.

La dette à amortir représente 145 milliards d’euros en 2022. Cela signifie que 45 % des émissions sont destinées à amortir la dette déjà émise. C’est typiquement ce qu’on appelle l’effet boule de neige. C’est la raison pour laquelle il faut mener une stratégie de désendettement crédible.

Dans la situation actuelle, il nous paraît tout à fait légitime de prendre des mesures pour préserver le pouvoir d’achat. Mais elles doivent être ciblées, temporaires et efficaces. Nous n’avons pas les moyens de prendre des mesures pérennes et généralisées – ce ne sont d’ailleurs pas les plus intelligentes. Je le répète, l’inflation est un impôt sur les plus pauvres. Il faut, par équité et réalisme, cibler ceux qui rencontrent les difficultés les plus grandes.

La remontée des taux d’intérêt est incontestablement un risque pour la dette française. Elle a déjà commencé : le taux à dix ans des titres du Trésor a connu une hausse de près de 200 points de base depuis début 2022. Ce n’est pas une surprise et le mouvement devrait se prolonger. On a vu les effets de l’inflation par le biais des OAT – 18 milliards d’euros –, mais on sait aussi qu’une augmentation de 100 points de base aboutira d’ici à une dizaine d’années à 30 milliards d’euros supplémentaires de charge de la dette. Or on ignore quelle sera la hausse. Encore une fois, gérer une situation où la charge de la dette approche les 80 à 100 milliards d’euros, j’ai connu cela et je ne le souhaiterais à personne, pas même à mes adversaires politiques si j’en avais encore – mais je n’en ai plus puisque je ne fais plus de politique. Prenez-y garde ! Ce n’est bon ni pour ceux qui dirigent aujourd’hui, ni pour ceux qui auraient à diriger demain. Nous n’avons aucun intérêt à léguer une telle situation au pays et aux générations futures. Les politiques publiques ne pourraient être menées, les nouvelles générations seraient écrasées ; qui le souhaite ? Ce serait irresponsable. Je le dis en cherchant à convaincre plus largement que par le passé.

La part des obligations indexées sur l’inflation dans le stock de dette est de 11 %. Les émissions d’OAT ont continué, notamment une OAT verte. Nous n’avons pas de projection concernant la montée des taux d’intérêt.

J’ai indiqué ce que dit notre rapport des niches fiscales et sociales.

Mme Sas m’a interrogé sur l’investissement écologique nécessaire. Plusieurs secteurs nous semblent à privilégier : la rénovation des bâtiments, les véhicules électriques, l’hydrogène et tout ce qui concerne les mobilités durables.

M. Pahun a mentionné notre étude sur les algues vertes. La Cour est très engagée dans son travail sur la transition écologique. Cette étude a été présentée par nos magistrats au conseil régional de Bretagne il y a quelques jours et y a été très appréciée ; le président du conseil régional a bien voulu me le témoigner.

En ce qui concerne la CVAE ou la redevance audiovisuelle, nous n’avons pas les moyens de procéder à des baisses d’impôt sèches, non compensées par d’autres recettes de prélèvements ou par des dépenses équivalentes. Sans entrer dans le détail, je suis conscient du fait que l’audiovisuel public est quelque chose de particulier : c’est un bien commun, auquel les Français sont attachés. Si la décision est prise de supprimer la redevance, il faut donc envisager à la fois une garantie de recettes pour le système audiovisuel public, fondée sur de puissants mécanismes, et un contrôle du dispositif. Ce dernier a été envisagé à des stades antérieurs du texte, mais ne se trouve pas dans le PLFR actuel ; toutefois, en allant fouiller du côté du Conseil d’État, vous trouverez des versions qui ne sont pas inintéressantes.

M. Patrick Hetzel. Vous avez évoqué les écarts marqués entre pays en matière d’endettement public, citant l’exemple de la France et de l’Allemagne au cours des quinze dernières années. La situation devient critique pour la France : l’écart s’est creusé et il va falloir rechercher de nouveau la convergence.

Vous souhaitez une « loi de programmation crédible et globale ». Quels seraient les éléments constitutifs d’une telle crédibilité ? Dans ce que vous nous présentez au sujet du projet de loi de finances rectificative, on voit bien que les prévisions ont été faites par le Gouvernement au doigt mouillé.

M. Mathieu Lefèvre. Je ne comprends pas le chiffre, cité par Mme Dalloz, de 64 milliards d’euros de hausse d’impôts en cinq ans : le Premier président a dit que les baisses de prélèvements obligatoires avaient été deux fois supérieures au cours du précédent quinquennat à ce qui était indiqué dans la loi de programmation des finances publiques.

En ce qui concerne les lois de programmation des finances publiques, vous avez rappelé leur obsolescence très rapide dans un contexte macroéconomique volatil, et appelé de vos vœux des hypothèses macroéconomiques plus crédibles. Nous souscrivons tous à ce souhait. Mais ne faut-il pas aller encore plus loin, par exemple en rendant ces lois opposables aux lois de finances annuelles, au besoin par un mécanisme juridique de niveau organique ou constitutionnel, bien que l’environnement macroéconomique soit susceptible d’évoluer vite ?

M. Charles de Courson. Pour le Haut Conseil, quel est l’ordre de grandeur du taux de croissance potentielle à retenir dans le cadre de la future loi de programmation des finances publiques ? Dans la précédente, on nous avait expliqué que le taux allait doubler, passant de 1,2 ou 1,3 % à 2,5 % ; on a vu le résultat – on en est toujours à 1,2.

Vous dites à juste titre qu’il faut préserver les recettes, mais le taux de prélèvements obligatoires va être en 2022 de 44,8 % du PIB, contre 45,1 % en 2017 : il n’y a quasiment pas eu de baisse des prélèvements obligatoires, on a simplement rendu une partie de la hausse. Pour vous, faut-il rester à ce niveau de taux ?

Enfin, pourquoi le Haut Conseil ne précise-t-il pas que le déficit de l’État, comme celui de la sécurité sociale, est massivement un déficit de fonctionnement et absolument pas un déficit d’investissement ?

Mme Christine Pires Beaune. Il y a deux façons de creuser le déficit : augmenter les dépenses publiques ou baisser les recettes – sur ce dernier point, j’abonde dans le sens de Philippe Brun. Dans un contexte de crise, on dépense souvent pour soutenir les entreprises et les ménages – c’est le fameux « quoi qu’il en coûte », qui était utile et que nous avons voté, même si, après l’adoption d’une mesure très générale dans un premier temps où il fallait aller vite, on aurait dû flécher davantage ses bénéficiaires –, mais on n’est pas obligé de réduire les ressources : on peut faire appel à des contributions exceptionnelles, notamment en taxant les surprofits. Ce n’est pas ce choix qui a été fait.

La Cour a-t-elle évalué ce que représente, en pourcentage du PIB, la baisse des impôts au profit des entreprises, d’une part, et des ménages, d’autre part, en 2020 et en 2021 ?

Dans le PLFR, je vois une hausse des crédits de paiement de 3,8 millions d’euros pour la revalorisation du régime indemnitaire de la Cour « conformément à l’engagement du Premier ministre » : quel est cet engagement ?

Mme Véronique Louwagie. Merci, monsieur le Premier président, d’avoir travaillé dans des délais réduits.

À propos de la situation de nos comptes publics, vous indiquez dans votre rapport que « l’effort de redressement structurel des finances publiques n’a été que marginal » entre 2017 et 2019 et que cette période constitue une occasion manquée dont les conséquences sont encore visibles. Cela fait écho à plusieurs alertes que nous avons nous-mêmes déjà lancées.

En ce qui concerne la maîtrise des finances publiques, vous avez indiqué des pistes susceptibles de dégager des marges d’efficience. Je vous remercie de ces éléments clairs qui ont le mérite de fournir quelques orientations. Vous avez notamment développé ce qui concerne les retraites. Vous avez aussi parlé de « garantir la soutenabilité du régime de l’assurance chômage » ; cela fait-il signe vers une loi de réforme de l’assurance chômage ?

Parmi les marges d’efficience, vous n’évoquez pas de processus de décentralisation. Ne pourrait-il s’agir d’une piste ?

Avez-vous évalué l’impact sur la gestion des collectivités territoriales de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique et de l’augmentation du prix de toutes les matières premières ?

M. Jean-Philippe Tanguy. Tout d’abord, je vous présente les excuses du groupe Rassemblement national pour les allées et venues de ses membres entre cette salle et l’hémicycle, dues au fait que la séance publique se tient en même temps que votre audition. Nous aurions préféré être tous présents pour vous écouter, car le rapport que vous nous avez présenté est non seulement intéressant, mais objectif, alors que nous avions du mal, depuis quelques semaines, à obtenir des informations sur l’état réel de nos finances publiques et de notre économie.

Pourquoi l’État a-t-il eu recours à des titres de dette indexés sur l’inflation ? D’autant que, si j’ai bien compris, ils ne le sont que dans un sens – en cas de déflation, leur valeur serait bloquée. Quel en est l’avantage du point de vue de l’intérêt général ? La Cour a-t-elle donné son avis, a-t-elle été consultée ?

Enfin, la Cour s’est-elle penchée sur l’effet que l’injection d’argent public dans l’économie depuis deux ans a pu avoir sur le taux de profit des entreprises, notamment du CAC40 ? Ce taux, énorme, justifierait un prélèvement exceptionnel puisque l’argent public a nourri les profits de ces entreprises plutôt que leurs performances.

M. Pierre Moscovici. Je n’aurai pas les réponses à toutes vos questions, dont plusieurs renvoient à d’autres travaux de la Cour. Madame Louwagie, nous n’avons pas voulu explorer dans ce rapport toutes les pistes possibles de maîtrise de la dépense ; vous en trouverez plusieurs autres dans les notes structurelles que la Cour a rendues publiques à l’automne dernier.

En ce qui concerne les délais, il y a ceux que l’on aurait aimé réduire davantage – notre rapport sur l’exécution du budget de l’État était prêt le 15 mai, celui sur la situation des finances publiques l’était depuis quelque temps également et nous l’avons actualisé rapidement ; il faut que nous respections tous les délais de la LOLF – et ceux qui sont beaucoup trop courts. À ce sujet, le Haut Conseil des finances publiques a été saisi mercredi matin en vue d’un avis à rendre le vendredi soir, des économistes sérieux ne savent pas faire cela. Je demande que l’on respecte notre institution, qui est importante pour le débat public et dont le rôle a été renforcé par la LOLF. C’est l’intérêt de tous, notamment du Parlement, qui en sera mieux informé.

S’agissant de la loi de programmation des finances publiques, nous souhaitons des hypothèses réalistes, particulièrement en matière de croissance, un regroupement de toutes les administrations publiques, des lois de programmation sectorielles et que l’on détaille les évolutions des dépenses, à la fois en pourcentage et en valeur absolue. C’est ce dont vous avez besoin et c’est ce que nous attendons pour la prochaine fois.

Quant à la croissance potentielle, il ne nous paraît guère raisonnable de tabler sur celle évoquée dans la précédente loi de programmation. Le Haut Conseil va s’exprimer sur ce point et je ne veux pas dévoiler sa publication, mais la croissance potentielle a été érodée par les crises que nous avons connues et elle continue de l’être. Aujourd’hui, elle serait plus proche de 1 % que de 1,5 %, et en aucun cas au-dessus. Je ne dis pas qu’elle ne peut pas augmenter : c’est tout l’enjeu d’une stratégie d’investissement et de désendettement crédible. Mais telle qu’elle est actuellement, compte tenu des facteurs de production que nous maîtrisons, aucun économiste n’aboutira à des chiffres supérieurs, à moins de recourir à la magie.

Sur l’évolution des recettes, l’élément nouveau ces dernières années, qui a permis de bons résultats, est la forte élasticité des prélèvements obligatoires – de 1,7 % en 2020 et en 2021, 1,5 % étant prévus en 2022 –, qui en accroît le niveau ; il reste à savoir si cela va continuer à ce degré, comme se le demande le Haut Conseil des finances publiques dans son rapport.

Concernant les prélèvements obligatoires, je vous renvoie au tableau qui figure page 36 de notre rapport et qui détaille cette évolution, notamment en 2021, pour les ménages, pour les entreprises et s’agissant des mesures nouvelles.

Monsieur de Courson, le rapport sur l’exécution du budget de l’État a bien souligné, en effet, que le déficit était davantage de fonctionnement que d’investissement.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. En ce qui concerne les OAT indexées sur l’inflation (OATi) – qui sont indexées sur l’inflation à la hausse et à la baisse, et non dans un seul sens –, nous avions fait un rapport pour la commission des finances du Sénat qui étudiait attentivement la politique d’émission. À l’époque, il s’agissait de répondre à une forte demande du marché, dans un contexte d’inflation durablement faible depuis des années. Aujourd’hui, le contexte est un peu différent. La position de la Cour quant à l’émission de nouvelles OATi est prudente tant que les perspectives d’inflation ne sont pas stabilisées. L’avantage de ces obligations est que le risque d’inflation ne se paye pas par le taux. Globalement, le bilan est équilibré si les OATi représentent 10 à 15 % de l’ensemble des émissions. Le contexte nouveau doit inciter à une grande prudence.

M. le président Éric Coquerel. Merci messieurs.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mardi 12 juillet 2022 à 17 heures 15

 

Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, Mme Émilie Bonnivard, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Fabrice Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Alma Dufour, Mme Sophie Errante, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, M. Daniel Grenon, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M.Marc Le Fur, Mme Karine Lebon, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Denis Masséglia, M. Bryan Masson, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, M. Benoit Mournet, M. Jimmy Pahun, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Jean-Paul Mattei, M. Franck Riester