Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

–  Audition de M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué et président de la commission finances et fiscalité locale de Départements de France, sur les finances locales et les conséquences pour les collectivités territoriales des réformes envisagées dans le projet de loi de finances pour 2023.              2

  présences en réunion...........................29

 


Mercredi
28 septembre 2022

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 22

session de 2021-2022

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission entend M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué et président de la commission finances et fiscalité locale de Départements de France, sur les finances locales et les conséquences pour les collectivités territoriales des réformes envisagées dans le projet de loi de finances pour 2023.

M. le président Éric Coquerel. Nous achevons notre cycle d’auditions sur les finances locales et les conséquences pour les collectivités territoriales des réformes envisagées dans le projet de loi de finances pour 2023, en recevant M. Jean-Léonce Dupont, vice-président délégué et président de la commission finances et fiscalité locale de Départements de France. M. Dupont, je vous passe la parole pour évoquer la situation actuelle des départements et pour nous livrer votre vision du projet de loi de finances pour 2023.

M. Jean-Léonce Dupont. Depuis deux exercices, les départements se trouvent dans ce que j’appellerai une embellie provisoire. Nous sommes cent trois départements et naturellement, la situation peut être extrêmement contrastée de l’un à l’autre. Cette embellie provisoire est à mettre au crédit des importants efforts de gestion conduits par les départements depuis un certain nombre d’années. Elle est également due à une dynamique inattendue de recettes, en particulier après la crise du Covid. En revanche, cette situation ne dénote pas un soutien accru de l’État. La situation actuelle est conjoncturelle et nous ne saurions préjuger du futur dans un contexte de forte évolution structurelle. Comme vous le savez, nous sommes fortement affectés par une série de mesures décidées par les Gouvernements successifs et financées pour tout ou partie par les départements (avenant 43 de la branche de l'aide à domicile, champ médico-social, RSA, hausse du point d’indice, revalorisations salariales diverses, primes de feux, ASFAM, Ségur 1, 2, et 3). Dans un département moyen comme le mien, le Calvados, ces mesures représentent une augmentation des dépenses de vingt millions d’euros. Ces décisions s’imposent à moi et à l’ensemble de mon assemblée.

Nous faisons face à des incertitudes face à une recette qui a été dynamique ces dernières années, à savoir les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). En effet, le durcissement des conditions de crédit aux particuliers devrait à lui seul provoquer une diminution de cette recette. J’estime que certaines projections sont relativement optimistes par rapport à l’ampleur que pourrait prendre cette réduction. Nous faisons donc face à un contexte de ressources qui risquent de plafonner, voire de diminuer, quand simultanément les dépenses vont augmenter. Nous nous retrouvons donc face à un potentiel effet ciseau.

Jusqu’à une période récente, les départements disposaient d’une variable d’ajustement à travers la fixation d’un taux d’imposition sur le foncier. Ce levier a disparu. Nous sommes dépendants de recettes sur lesquelles nous ne sommes pas en mesure d’influer. J’insiste sur ce point car nous allons devoir faire face, comme l’ensemble de la Nation, à un alourdissement structurel de nos charges du fait du vieillissement de la population. Cette tendance devrait s’observer durant les cinq à dix prochaines années.

Bien entendu, nous sommes également confrontés à la problématique du renchérissement des prix énergétiques, avec là encore des conséquences objectivement importantes.

Il convient à nos yeux de sécuriser et non pas de fragiliser les départements. Je connais la difficulté de l’exercice des fonctionnaires de Bercy mais j’invite à ne pas s’arrêter à une vision conjoncturelle et à tenir compte des tendances que j’indiquais.

S’agissant du projet de loi de finances, Départements de France aimerait que ce dernier soit garant d’une stabilité juridique, financière et fiscale. Mener à bien des politiques est malaisé dans un environnement mouvant.

L’une de nos demandes, qui ne vous surprendra pas même si elle ne sera pas entendue par tous, est liée à l’indexation des dotations des départements. Avec une inflation à 7 %, l’absence d’indexation représente un effort budgétaire de 1,8 milliard d’euros pour les collectivités. Nous avons été habitués, ces dernières années, à une inflation stabilisée aux alentours de 1 %, et il était relativement « facile » d’absorber les effets de la désindexation – quand bien même au fil du temps, les sommes cumulées devenaient assez importantes – mais une inflation de 7 % nous fait changer de paradigme. Je pense donc que la question de l’indexation des dotations doit être analysée.

À propos de la revalorisation du RSA, qui avait fait l’objet d’un débat au sein de votre commission, une compensation de cent vingt millions d’euros avait été accordée sur une période de six mois. Le montant de cette compensation devrait donc atteindre deux cent quarante millions d’euros en année pleine. Je précise d’ailleurs que cette compensation ne couvrait pas l’intégralité de la charge. J’insiste sur le terme de « compensation » en me référant à vos débats parlementaires, et à vos propos explicites, monsieur le président. Il n’est en effet pas impossible que d’aucuns considèrent que cette mesure serait transitoire et n’aurait vocation à concerner que certains départements. Ce n’était pas l’esprit dans lequel cette compensation a été créée.

Concernant la CVAE, nous ne sommes, comme vous l’imaginez, guère favorables à sa suppression, mais nous constatons néanmoins un certain nombre de points positifs. Tout d’abord, la compensation serait basée sur la TVA, ce qui était à nos yeux l’option préférentielle. Nous en sommes donc satisfaits. De même, notre souhait d’utiliser une période de référence triennale a été respecté. De la même manière, nous avions formulé le souhait de ne pas avoir à subir d’année blanche, et que l’indexation du produit individuel calculé sur la base de la TVA puisse tenir compte de la dynamique observée entre 2022 et 2023. Le projet de loi de finances semble aller dans ce sens et nous en sommes donc satisfaits. Une question reste pendante : celle de la territorialisation fiscale. Elle est prévue par défaut pour l’ensemble des collectivités territoriales mais nous pensons que cette question concerne principalement les EPCI et n’est pas véritablement pertinente pour les départements. Départements de France souhaite donc que la territorialisation ne soit pas appliquée à la strate départementale.

Concernant l’avenir du fonds de péréquation de la CVAE, comme ce qui a été mis en place pour les régions au 1er janvier 2021, nous demandons qu’une dynamique calquée sur la TVA soit retenue.

Concernant le FNGIR (Fonds national de garantie individuelle des ressources), qui était destiné à garantir la neutralité budgétaire de la taxe professionnelle, trois départements ont contribué au FNGIR, qui a reversé les montants collectés à tous les autres départements. Tant les prélèvements que les reversements sont figés en valeur. Par conséquent, les départements éligibles ont vu s’atténuer la croissance de leurs ressources alors que ceux concernés par le prélèvement ont bénéficié d’une forte croissance. Nous ne sommes pas opposés à l’intégration du FNGIR dans la référence CVAE mais nous attirons votre attention sur le cas particulier de Paris, qui est tout à fait atypique.

J’aimerais évoquer à présent le projet de loi de programmation des finances publiques. Nous avons entendu les discussions à propos de l’assignation d’un objectif de réduction des dépenses à raison de 0,5 % en dessous de l’inflation. Nous pouvons comprendre l’objectif d’une trajectoire de dépenses. En l’état des discussions, le raisonnement portera sur la strate départementale. Nous sommes favorables à cette approche. Cela nous laisserait une certaine souplesse vis-à-vis de collectivités qui connaîtraient des difficultés particulières. L’idée est que si la strate départementale dans son ensemble ne suit pas la trajectoire budgétaire prévue, alors la situation individuelle des collectivités serait examinée. Cette approche nous semble intéressante, même si nous sommes relativement dubitatifs quant aux critères de sanctions. Nous l’entendons dans l’optique de regards bruxellois, mais moins par rapport à notre conception de l’autonomie des collectivités territoriales.

Le périmètre d’application de ces taux de croissance est un grand sujet. Il ne vous aura pas échappé que les collectivités territoriales présentaient des situations différenciées. Je rappelle par ailleurs que le champ de la solidarité est du ressort de la strate départementale. Les AIS (allocations individuelles de solidarité) correspondent à des dépenses non pilotables des départements. Nous n’avons pas le pouvoir de refuser le versement d’une indemnité à ses ayants-droits, ni d’en modifier le montant. Il nous semblerait donc logique que les dépenses non pilotables soient exclues du champ d’analyse de la trajectoire des dépenses. Je classe dans la même catégorie les dépenses qui résultent de décisions des Gouvernements successifs que j’ai mentionnées tout à l’heure.

Je discutais avec mon collègue président du département du Nord il y a un instant. Dans son département, la prise en compte de l’ensemble de ces dépenses représente 3,8 % d’augmentation de son budget pour l’année prochaine. Ainsi, sur la base de l’hypothèse d’inflation indiquée, cela représente déjà l’intégralité de l’augmentation permise. Sans même tenir compte des AIS ni des coûts énergétiques, ce seul champ consomme l’intégralité de sa capacité d’augmentation budgétaire. Je pense donc que ces dépenses, tout comme les AIS, devraient être exclues du champ d’analyse. À tout le moins, si l’on devait opter pour une approche moins fine, nous plaidons pour une exclusion des dépenses liées au champ de la solidarité. Dans l’absolu, nous aimerions également pouvoir exclure les dépenses qui résultent de la contractualisation entre l’État et les départements. En effet, dans la mesure où l’État nous invite à signer un contrat ayant pour conséquence une augmentation de nos dépenses, il ne nous semblerait pas illogique d’exclure le cadre contractuel du périmètre d’analyse. Nous distinguons donc trois strates de dépenses : les AIS, les dépenses découlant de décisions gouvernementales et les dépenses résultant de dispositifs de contractualisation.

Départements de France souhaite également engager une réflexion sur la mise en place d’un bouclier énergétique. Des boucliers ont été mis en place pour les particuliers et pour les entreprises et il ne nous semble pas incohérent de pouvoir également bénéficier d’un tel dispositif. Nous pourrions par exemple convenir que les départements supporteraient les surcoûts en 2022 et que si d’aventure les coûts augmentaient encore en 2023, un tel bouclier serait mis en place. Il me semble d’ailleurs que des mesures de ce type ont déjà été arrêtées dans certains pays européens. Si les mesures prises par l’État pour contrecarrer ces effets inflationnistes sont fructueuses, alors nous n’aurons pas besoin d’envisager de bouclier énergétique.

L’élaboration de nos budgets pour 2023 sera un exercice délicat. Nous disposerons d’une enveloppe calculée sur la base des comptes administratifs de 2022 et d’un taux d’augmentation égal à l’inflation minorée de 0,5 %. Nous devrons ensuite répartir ces ressources entre les différents postes de dépenses. Trois cas de figure peuvent alors se produire. Dans le premier, le taux d’inflation réel s’avère en ligne avec les prévisions. Dans le deuxième, l’inflation est moindre que prévu. Notre budget voté en équilibre sur la base d’un taux prévisionnel se retrouvera alors en excédent. Enfin, dans le troisième cas, l’inflation est plus importante que les prévisions. Il nous faudra alors avoir recours à des décisions modificatives pour rétablir l’équilibre dans la mesure du possible.

Les écarts entre les prévisions et les indicateurs réellement constatés sont donc susceptibles de compliquer le pilotage des documents et ainsi, de les rendre moins compréhensibles si des écarts devaient être constatés.

Nous faisons face à une difficulté à propos des salaires versés à nos collaborateurs. Les régimes indemnitaires diffèrent entre les différentes strates de collectivités territoriales, ce qui peut en rendre certaines plus attractives que d’autres. Nous faisons face à une situation inédite de difficultés de recrutement pour certains postes, et cette problématique est liée aux écarts entre les régimes indemnitaires. Plusieurs de mes collaborateurs sont partis pour ces raisons et j’ai des difficultés à leur trouver des remplaçants. Or nous exerçons des missions essentielles dans le champ de la solidarité. Il serait impensable de se retrouver dans l’incapacité de couvrir l’ensemble de notre champ de compétences faute d’effectifs suffisants. Et nous n’avons guère de marges de manœuvre pour nous aligner sur les régimes indemnitaires des autres collectivités, du fait de l’encadrement de nos dépenses.

J’insiste pour conclure sur l’hétérogénéité de situation des départements. En dépit de l’embellie conjoncturelle actuelle, plusieurs départements sont en grande difficulté, avant même la mise en œuvre des mesures que j’ai commentées. Il me semble donc pertinent de prévoir un dispositif adapté pour les départements les plus en difficulté. Je ne saurais vous les dénombrer exactement mais je pense qu’entre dix et vingt départements pourraient avoir besoin d’un soutien.

M. le président Éric Coquerel. Merci monsieur le président. Tout d’abord, j’adhère assez largement à vos observations sur l’article 23 du projet de loi de programmation. L’État tend à encadrer les dépenses des collectivités territoriales plus strictement qu’il ne le fait pour lui-même en fonction des critères de Maastricht. Il me semble pertinent, et presque logique, d’exclure du champ d’analyse les dépenses qui ne sont pas pilotables au niveau des départements ainsi que les dépenses qui résultent de décisions gouvernementales.

Nous voyons poindre des mesures d’aides énergétiques aux entreprises dans le projet de loi de finances et il me semblerait donc normal que les collectivités territoriales bénéficient d’une telle protection.

J’ai quelques questions à vous poser. Tout d’abord, les résultats de l’exercice 2021 confirment la forte sensibilité des finances départementales à la conjoncture économique. Comment anticipez-vous la dégradation prochaine de la conjoncture en 2023 – qui se traduira par un moindre dynamisme des recettes fiscales ? La Banque Postale fait état d’une prévision de dégradation de l’épargne brute du secteur, même si l’échelon départemental semble moins concerné. Il n’en demeure pas moins que vos capacités d’investissement en seront minorées.

Êtes-vous favorable à une territorialisation de la dynamique actuelle de la fraction de la TVA affectée en compensation de la suppression partielle de la CVAE ? Vous pensez apparemment que la TVA serait la « moins mauvaise » solution mais dans l’absolu, vous préféreriez que la CVAE soit maintenue – tout comme moi d’ailleurs.

Quel regard portez-vous sur la part croissante de la fiscalité nationale transférée dans les ressources des départements, notamment du rôle grandissant de la TVA ? Estimez-vous suffisante la mesure votée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2022 visant à compenser, pour près de cent vingt millions d’euros, la revalorisation anticipée de 4 % du RSA ? J’ai cru comprendre que vous vous inquiétiez d’une interprétation selon laquelle il s’agirait d’une aide temporaire et non pas d’une compensation à l’euro près – ce qui était effectivement une exigence.

Quel bilan dressez-vous des expérimentations de recentralisation du RSA dans les départements de la Seine-Saint-Denis, des Pyrénées-Orientales et d’outre-mer ? Seriez-vous favorable à une généralisation de cette recentralisation ?

Avez-vous constaté une incidence du dérèglement climatique, notamment chez les pompiers (matériel, besoins humains) ? Quelles seraient les conséquences si les incendies tendaient à devenir aussi intenses année après année ?

M. le rapporteur général Jean-René Cazeneuve. Monsieur le Président, vous avez fait preuve de modestie en qualifiant la période d’embellie provisoire alors que la capacité d’autofinancement des départements a tout de même augmenté de 45 % entre 2018 et 2021. Cette belle performance relativise une potentielle baisse de 0,5 % en 2022.

Les départements sont exposés à un risque d’effet de ciseau lorsque les conditions économiques se dégradent, situation qui peut s’inverser en période de prospérité économique. Cela rend le pilotage budgétaire particulièrement complexe. Nous entrons dans un cycle où l’effet de ciseau risque de se manifester. Comment Départements de France peut-elle s’organiser pour lisser les effets des cycles économiques ? On pourrait imaginer de constituer des réserves en période de croissance. Comment comptez-vous vous organiser, sachant que vous rencontrerez probablement encore une succession de périodes assez euphoriques suivies de périodes plus austères. Le dynamisme de certaines recettes pourra-t-il vous permettre de constituer des réserves ?

Je pense que votre requête sur la non-territorialisation de la CVAE sera probablement entendue dans la mesure où la territorialisation serait plus complexe à mettre en œuvre.

Il ne me semble pas que l’intégration du FNGIR dans la compensation de la suppression de la CVAE ait été mentionnée dans le projet de loi de finances. Un engagement vous a-t-il été formulé en ce sens ?

M. Jean-Léonce Dupont. Des discussions ont eu lieu à ce sujet.

M. le rapporteur général Jean-René Cazeneuve. Je comprends que vous revendiquiez le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales, de l’autonomie financière et fiscale, mais je remarque également que vous avez tendance à vous tourner vers l’État lorsque celui-ci prend des mesures de portée nationale, comme l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, que les départements doivent mettre en œuvre. Seriez-vous prêts à assumer, à l’échelon départemental, la fonction publique territoriale ? Les points d’indice seraient alors modifiés indépendamment pour les fonctionnaires d’État et pour les fonctionnaires territoriaux.

Je comprends parfaitement votre demande relative au bouclier énergétique. Certains départements risquent d’être plus exposés que d’autres. Vous avez d’ailleurs insisté sur l’hétérogénéité de la situation des départements. Selon vous, faudrait-il plutôt créer un bouclier pour protéger les départements les plus vulnérables ou bien un champ de mesures qui concernerait l’intégralité des départements ? Préférez-vous qu’un dispositif de solidarité animé par l’État aide certains départements – avec probablement parmi eux, les départements d’outre-mer – ou qu’une compensation généralisée soit mise en place, comme celle votée cet été au Parlement ?

M. Jean-Léonce Dupont. Nous anticipons effectivement une dégradation pour les prochains exercices compte tenu du plafonnement, voire de la diminution, de certaines ressources et de l’augmentation de nos dépenses. Je rappelle tout de même que la strate départementale est probablement la seule à avoir créé un système de solidarité entre pairs : le fonds de péréquation horizontale. Sa dotation se monte à 1,6 milliard d’euros, ce qui n’est pas neutre. Ce montant peut être comparé au reste à charge pour les collectivités territoriales au titre de l’AIS : environ dix milliards d’euros. Cela correspond cette fois à un mécanisme de péréquation verticale.

Nos ressources sont effectivement fluctuantes et elles peuvent parfois évoluer de manière contracyclique au gré de la dynamique du marché immobilier. Monsieur le rapporteur général sait que je me suis battu pendant de nombreuses années pour mettre en place ce que j’avais appelé une provision contracyclique. Nos recettes peuvent atteindre des valeurs extrêmes puis chuter brutalement. En 2008 par exemple, j’ai vu disparaître trente millions d’euros de recettes sur les droits de mutation par rapport à l’année précédente. Pour pouvoir garantir dans la durée la capacité d’investissement de la collectivité départementale, nous constituons, lorsque cela est possible, des provisions qui nous permettent de réaliser des investissements. Je rappelle au passage que 70 % de l’investissement public émane des collectivités territoriales.

Je vous remercie, Monsieur le président, de m’avoir interrogé sur la part croissante de la fiscalité nationale. C’est un vrai sujet. De mon point de vue, c’est un sujet d’inquiétude. En effet, les compensations sont souvent opérées sur des bases qui peuvent être discutables, elles sont susceptibles de ne pas être revalorisées dans le temps et elles risquent même d’être amputées à terme. Rappelez-vous, il y a deux quinquennats de cela, nous assistions à une diminution brute de notre dotation globale de fonctionnement. L’État peut nous promettre une compensation la première année, la maintenir pendant plusieurs années sans jamais la revaloriser, et finalement en diminuer le montant une quinzaine d’années plus tard.

Nous allons effectivement être confrontés à des dépenses supplémentaires pour nos pompiers. D’ailleurs, j’entends d’aucuns dire que la TSCA ne serait pas totalement affectée à la dépense des SDIS. Je rappelle qu’à l’époque de sa création, la TSCA avait pour objectif de couvrir trois champs totalement distincts : une part (au moins 15 %) alimentait les SDIS ; une part était une compensation fiscale ; une part finançait une augmentation des charges de rémunération. Reprocher aux départements, des années plus tard, de ne pas reverser l’intégralité de la TSCA aux SDIS me semble donc relever de la mauvaise foi.

Nous devrons effectivement nous préoccuper du financement des SDIS mais je rappelle que si les départements sont les principaux contributeurs, les collectivités territoriales dans leur ensemble y participent.

Comme vous l’avez compris, la compensation de cent vingt millions d’euros au titre du RSA portait sur une période de six mois. La logique voudrait donc que cette somme soit au moins doublée sur une année pleine – sachant que la compensation ne couvre pas l’intégralité du surcoût. Or, certaines informations laissent à penser que cette somme ne serait peut-être pas alimentée par un fonds de compensation mais par un fonds d’urgence. Mon expérience passée de dix-neuf ans en tant que parlementaire m’a appris que lorsque le Parlement votait une mesure sans l’aval de Bercy, l’État finissait par trouver un moyen de récupérer les sommes. Or, alors qu’un fonds de compensation a vocation à devenir pérenne, un fonds d’urgence qui ne concernerait au surplus que quelques départements – contrairement à l’esprit de vos débats dans votre commission – verrait son existence remise en cause lorsque le caractère d’urgence serait levé. Et ce même si la mesure est structurelle. J’insiste donc sur ce point : le montant versé est censé couvrir une moitié d’année, et la mesure doit être considérée comme une compensation.

La recentralisation du RSA est un sujet complexe sur lequel, je vous le confesse, nous n’avons pas de position unanime. J’aimerais vous inviter à vous demander quelles pouvaient être les intentions de Bercy lorsque la recentralisation du RSA a été proposée. Je poursuis mon raisonnement – et j’accepte par avance les critiques et les avis divergents. Je n’ai jamais vu Bercy prendre des décisions qui soient favorables à l’évolution des finances des collectivités territoriales… Nous assistons depuis plusieurs années à une diminution du nombre de bénéficiaires du RSA ; l’idée de la recentralisation est de faire remonter une partie des financements départementaux au niveau national et, si le nombre de bénéficiaires baisse effectivement, une marge de manœuvre financière est créée.

M. le rapporteur général Jean-René Cazeneuve. C’était une demande des départements, Monsieur le président, vous le savez très bien !

M. Jean-Léonce Dupont. Non, c’était une demande de quelques départements, qui de surcroît, n’ont pas associé Départements de France à leur démarche. Ils ont abouti à un accord qui a remis en cause une partie du financement de la péréquation. Pour en revenir à mon propos, je pense que cette proposition a été lancée avec une arrière-pensée. Expliquez-moi pourquoi, alors que je vous ai fait part d’un reste à charge de dix milliards d’euros sur les allocations de solidarité, l’État déciderait d’assumer à son niveau les sommes qu’il n’a pas voulu mettre à disposition des collectivités… D’ailleurs, force est de constater qu’avec les inconnues de l’évolution conjoncturelle économique, cette demande semble moins pressante au niveau national.

Votre remarque sur la capacité d’autofinancement est tout à fait juste, Monsieur le rapporteur général. Il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que les départements ont mis en œuvre une stratégie de désendettement – et c’est d’ailleurs la strate où le désendettement est le plus sensible. Nous avons donc apporté notre contribution à l’effort national dans ce domaine.

Nous avons débattu à plusieurs reprises de la forme que pourrait prendre le bouclier énergétique, et d’ailleurs nous n’avons pas encore arrêté de position entre un dispositif général ou une aide qui ne concernerait que certains départements. Quoi qu’il en soit, la finalité première est d’aider les départements les plus en difficulté. Nous sommes prêts à en discuter avec tous les interlocuteurs possibles. Nous ne prétendons pas que toutes les collectivités territoriales devraient être traitées de manière équivalente, il existe des spécificités pour chaque strate et au sein de chaque strate. Nous n’appelons donc pas à des mesures générales mais particulières, et nous sommes prêts à discuter de leur contenu.

M. le président Éric Coquerel. Merci. Nous allons pouvoir donner la parole aux orateurs de groupe.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Monsieur le président, je n’ai pas bien compris votre interrogation à propos de la compensation de la hausse du RSA étant donné que la mesure que nous avons votée portait sur la moitié de l’année 2022 et n’avait pas vocation, dans notre esprit, à devenir pérenne. Et ce dans un contexte où le nombre d’allocataires du RSA tend à décroître sous l’effet de la politique gouvernementale et des politiques départementales.

Vous opposez beaucoup Bercy aux collectivités mais sans les décisions de Bercy, nous n’aurions pas débloqué 2,5 milliards d’euros de recettes de TVA en novembre pour l’ensemble des collectivités.

Concernant la recentralisation du RSA, ma question est encore plus directe que celle du Président : ne faudrait-il pas instaurer une logique « financeur, payeur » plutôt que de mener des expérimentations dans le cadre permis par la loi 3DS ?

J’ai une dernière question sur la logique de conditionnement du RSA à un contrat d’engagement réciproque, dans l’esprit de la loi de 2008. Plusieurs départements ont déjà expérimenté cette forme de conditionnalité aux fins d’améliorer le retour à l’emploi des Français les plus précaires. Quel bilan tirez-vous de cette expérimentation ? Je mentionne notamment une expérimentation dans le Val-de-Marne sur le « juste retour à l’emploi ». Plusieurs départements ont participé à une expérimentation avant le lancement officiel à l’automne.

Mme Véronique Louwagie (LR). Merci Monsieur le président pour cet exposé. Je partage votre inquiétude lorsque vous évoquez un accroissement des dépenses de vingt millions d’euros pour le Calvados. Dans l’Orne, ce montant est de quinze millions d’euros.

Au sujet des cent vingt millions d’euros, nous avons entendu votre inquiétude et nous serons vigilants car il s’agissait d’un amendement qui était soutenu par l’ensemble des groupes représentés à l’Assemblée nationale. Nous serons donc vigilants à ce que notre volonté soit bien respectée.

Ma question sur le RSA est connexe à celle posée par Mathieu Lefèvre. J’ai cru comprendre qu’une expérimentation avait été proposée pour cinq à dix départements, notamment à propos de la réforme relative aux allocataires du RSA. Il s’agissait de conditionner le versement du RSA à quinze à vingt heures de travail par semaine. Les départements sont-ils sensibles à cette expérimentation ? Sont-ils nombreux à vouloir y adhérer ?

M. Luc Geismar (Dem). Beaucoup de sujets ont été évoqués et je serai donc bref.

 Certains départements, dont le mien (la Loire-Atlantique), se plaignent de refus de demandes de prêt de la part des banques et de la hausse des taux. Avez-vous des retours à ce sujet ?

Vous avez indiqué que vous vous attendiez à une baisse des droits de mutation plus prononcée que dans certaines prévisions. Quelle pourrait être l’ampleur de cette baisse et quels seraient les départements les plus touchés ?

L’expérimentation de la réforme du RSA pourrait être étendue à une dizaine de départements en 2023 avant une généralisation en 2024. Je partage la question de Monsieur le président : quel bilan en tirez-vous ?

M. François Jolivet (HOR). Monsieur le président, en tant qu’ancien collaborateur d’un département, je vous ai tout à fait compris. De manière conjoncturelle, les départements sont les « esclaves » de l’évolution de la vie économique et sociale. Les effets ciseaux étaient déjà signalés il y a une vingtaine d’années. D’ailleurs, je ne vous ai pas entendu répondre au rapporteur général : dans quelle mesure pourrait-on imaginer la création d’une réserve de précaution pour faire face aux fluctuations conjoncturelles ?

En ma qualité de rapporteur spécial sur les crédits du logement et de l’hébergement, je peux vous annoncer qu’un certain nombre de vos adhérents, qui sont déjà délégataires des aides à la pierre, souhaiteraient voir leur champ de compétences élargi et pouvoir assumer la compétence logement au plus près du terrain. J’aimerais vous entendre sur ce sujet.

Vous n’avez pas cité l’aide aux communes et aux territoires, qui est à mes yeux une compétence clef des départements, même si l’aménagement du territoire est désormais une compétence régionale. Nombre d’habitants de zones urbaines et péri-urbaines ont acheté des maisons en zone rurale, se retrouvent connectés au très haut débit et des charges sont à prévoir pour satisfaire leurs besoins.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Monsieur le président, j’aimerais avant tout rendre hommage aux services départementaux d’incendie et de secours, composés de pompiers professionnels et volontaires, qui ont combattu en première ligne pour protéger les biens et les personnes lors des incendies majeurs qui ont touché la Gironde, le Jura, le Maine-et-Loire, le Morbihan et l’Aveyron. À travers eux, c’est l’importance des actions de tous les départements de France qui est mise en lumière, mais aussi les effets du réchauffement climatique sur lesquels nous alertons depuis maintenant trop longtemps. Pour agir efficacement, il faut des moyens adéquats.

Or, comme le répète depuis des mois l’assemblée des Départements de France, la situation financière prévisionnelle des départements est tout sauf favorable, en particulier pour certains. Malgré cette alerte, le PLF entérine la suppression de la CVAE dont bénéficient les départements.

Dans son communiqué, votre assemblée indique que la période de référence retenue au titre de la compensation est un sujet de satisfaction. Pourtant les années 2020 et 2021 étaient des années de crise sanitaire, ce qui a rejailli sur la CVAE en 2021. Que penseriez-vous d’une intégration des années 2017, 2018 et 2019 en tant que période de référence au lieu des années 2020, 2021 et 2022 ?

Face à la montée des précarités, les départements sont en première ligne du fait des compétences sociales qui sont les leurs. Quel regard portez-vous sur le refus du Gouvernement d’indexer la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation et les contraintes qu’il souhaite appliquer aux collectivités dans le cadre de son contrat de confiance, donnant ainsi à penser que les contrats de Cahors n’étaient pas fondés sur cette qualité ?

Enfin, Monsieur le président, soyez assuré de l’attention totale que portera le groupe Écologiste à l’examen du futur projet de loi sur l’asile et l’immigration, particulièrement eu égard aux conséquences qu’induirait ce texte sur votre mission d’accueil des mineurs isolés.

M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES). Monsieur le président Dupont, j’ai beaucoup apprécié que vous ayez évoqué l’image d’un mur représenté par la hausse des prix énergétiques et par la hausse des coûts en général. Nous avons déjà connu un choc similaire au sein des départements à l’époque où le RSA et les AIS ont été transférées.

J’espère bien que nous parviendrons, à travers le projet de loi de finances, à faire pérenniser les cent vingt millions d’euros mentionnés précédemment. De toute manière, si la recentralisation devait intervenir, l’État devrait payer cette augmentation de 4 %, comme dans les départements où cette décentralisation a été mise en place. C’est bien normal puisque la décision d’augmenter les minima sociaux relève de l’État. Pour les départements, la compensation doit suivre la hausse de l’AIS.

Vous êtes aujourd’hui inquiet pour l’avenir de vos finances. Il est impossible d’asseoir des recettes sur des DMTO, qui sont volatils, ni sur des fractions de TVA, tout aussi volatiles. Quel panier de recettes proposeriez-vous ? Est-il possible de rétablir une fiscalité stable et pilotable pour les départements comme pour l’ensemble des collectivités territoriales ?

Je comprends que vous demandiez à faire sortir du périmètre encadré les dépenses que vous considérez comme non pilotables.

M. le rapporteur général Jean-René Cazeneuve. Avec tout le respect que je vous dois, la recentralisation du RSA est une demande d’un certain nombre de départements. Cette mesure est optionnelle et je ne pense pas que Bercy soit animé par une quelconque volonté de profiter d’un prétendu « effet d’aubaine ». J’en ai largement discuté avec le président du département de Seine-Saint-Denis, M. Stéphane Troussel, qui a déclaré ne pas souhaiter porter « le risque du RSA ». Ce sont les départements pauvres qui ont demandé que le RSA soit « recentralisé », notamment la Seine-Saint-Denis et des départements d’outre-mer.

Si ce sujet relève de la compétence des départements, ces derniers doivent assumer les bons moments comme les temps difficiles. Une baisse du coût du RSA, comme cette année, est une très bonne nouvelle pour les départements. La démarche consistant à demander à l’État d’intervenir en cas de hausse ne me semble pas cohérente. Soit les départements demandent que le RSA soit « recentralisé », considérant que les aléas en sont trop difficiles à gérer, auquel cas l’État s’est engagé à le reprendre en charge, soit ils le conservent mais en assumant les bonnes comme les mauvaises années.

M. le président Éric Coquerel. Que ce soit par une recentralisation ou par une compensation intégrale à l’euro près, qui me semble devoir être une règle pour le RSA, si j’ai bien compris, la réponse de Mathieu Lefèvre est relativement inquiétante, et les cent vingt millions d’euros seraient considérés comme une mesure d’urgence plus qu’une compensation.

Je rappelle par ailleurs que le nombre de Français susceptibles de pouvoir toucher le RSA n’est pas en baisse, bien au contraire. C’est le nombre d’ayants-droits qui récupèrent leur indemnisation qui diminue. Ce n’est pas tout à fait équivalent.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Si vous me permettez de rebondir, Monsieur le président, c’est ce que nous avons voté dans le projet de loi de finances rectificative cet été.

M. le président Éric Coquerel. Peut-être chacun a-t-il alors eu l’impression de voter une mesure différente. Comme cela a été expliqué, la mesure a été votée pour six mois, et dans mon esprit, nous devions entrer dans une logique de compensation à l’euro près ou de recentralisation.

M. Jean-Léonce Dupont. Il me semble réellement que ces cent vingt millions d’euros étaient une compensation d’une nouvelle charge structurelle, et que s’agissant d’une demi-année, le montant était censé être doublé pour une année complète.

Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le député, je suis inquiet de vous entendre parler de la dynamique de la TVA, sous-entendant qu’il s’agit de quelque chose d’extraordinaire. Cela laisse entendre que si une ressource s’avérait dynamique, alors il faudrait absolument la plafonner, comme cela a été proposé pour l’IFER, mais que les chutes de ressources ne seraient pas compensées… Certains impôts sont dynamiques, certes, et le nombre de bénéficiaires du RSA peut certes baisser, mais structurellement les revalorisations successives ont toujours entraîné une augmentation globale de la dépense, et si nous pouvons acquérir une certaine marge de manœuvre pour pouvoir traiter la question du vieillissement de la population – à propos duquel rien ne se dessine concrètement – cela me semblerait assez satisfaisant. Je vous rappelle par ailleurs qu’à la différence de l’État, nous n’avons plus de pouvoir fiscal.

Je n’ai pas d’informations particulières sur le retour à l’emploi. Je ne peux donc malheureusement pas répondre à la question.

S’agissant des refus de prêts, certains avancent le taux de 30 % de prêts qui seraient refusés mais je n’ai pas les éléments me permettant de le confirmer. Si 30 % de prêts sont véritablement refusés, cela aura indéniablement des conséquences importantes.

Pour ce qui est de la diminution des DMTO, il est objectivement difficile de formuler une hypothèse précise, d’autant que plusieurs phénomènes simultanés peuvent avoir des effets opposés. Toutes choses égales par ailleurs, une baisse du nombre de prêts se traduit par une chute des droits de mutation. Cependant, certains investisseurs, confrontés à l’inflation, peuvent décider de se reporter sur l’immobilier, un marché qu’ils considèreraient comme moins risqué. Il m’est donc difficile de prévoir l’ampleur exacte de la baisse des DMTO, d’autant plus que nous observons généralement des disparités très fortes des variations de cette recette d’un département à l’autre. Certains départements font office de précurseurs, c’est-à-dire qu’ils sont concernés avant les autres par un phénomène de hausse ou de baisse.

Pour en revenir à la recentralisation du RSA, nous sommes en charge de l’insertion. L’objectif est de permettre aux bénéficiaires de ces dispositifs d’en sortir. Si la problématique financière vient à être déconnectée du champ de l’insertion, pensez-vous que les acteurs départementaux déploieront des moyens considérables en faveur de l’insertion s’ils ne bénéficient d’aucune manière du fruit de leurs efforts ? Cette question peut vous paraître choquante mais elle mérite d’être posée. Il me semble qu’assurer la cohérence entre d’une part la gestion du financement de cette aide nécessaire de la solidarité – qui est une solidarité nationale – et d’autre part, la politique d’insertion, est assez cohérent.

La question sur la compétence logement ne me semble pas incohérente. Le véritable sujet a trait aux moyens d’exercer cette compétence dans l’hypothèse où elle serait transférée. Je n’ai pas les données suffisantes sur l’ensemble des départements pour pouvoir vous répondre mais le dialogue est possible.

Merci de votre hommage aux pompiers, auquel je suis très sensible. On a souvent tendance à mettre l’accent sur les destructions mais il conviendrait aussi d’évoquer les biens sauvés par l’intervention des pompiers. Nous avons pratiqué ce que j’appellerai la mutualisation intelligente, c’est-à-dire que nous avons envoyé des moyens disponibles de certains départements vers ceux qui faisaient face à des incendies hors normes. Les retours sont d’ailleurs excellents. D’ailleurs, je signale que le Calvados n’a pas été épargné par les incendies : pour la première fois, nous y avons été confrontés cet été, avec quatre cents hectares brûlés. Des régions considérées comme à l’abri, comme la Bretagne ou le Jura, ont été également touchées. Nous devons réfléchir collectivement à la manière dont nous allons pouvoir intégrer ce nouveau paradigme et, éventuellement, pousser plus loin la mutualisation. Nous pouvons réfléchir avec l’État à la mise à disposition de moyens, notamment aériens.

À propos de la TSCA, j’aimerais que les acteurs fassent preuve de bonne foi et tiennent compte, dans la durée, des conditions initiales dans lesquelles une mesure a été créée.

Concernant l’aide aux territoires, nous considérons effectivement, au sein de Départements de France, que nos compétences reposent sur deux piliers : la solidarité aux personnes (enfance, chômage, handicap, vieillissement, etc.) et la solidarité aux territoires. L’aménagement du territoire ne fait plus partie de notre champ de compétences mais le champ considérable de la solidarité aux territoires nous revient toujours. Et, effectivement, les modifications budgétaires que nous pourrions rencontrer pourraient soulever des questions à ce niveau. C’est d’ailleurs une des motivations qui m’ont animé lorsque j’ai mis en place, dans mon département, des provisions contracycliques. L’objet est de pouvoir sécuriser, sur la durée d’un mandat, les sommes allouées à la solidarité aux territoires. Cela permet d’éviter que face à une crise déflationniste, nous nous retrouvions dans l’obligation d’utiliser la seule variable d’ajustement à notre disposition, à savoir l’investissement, ce qui tendrait à amplifier la crise. Tous les départements n’ont pas été en mesure de mettre en place ce dispositif mais certains l’ont fait et ont constitué des réserves.

Vous devez savoir en tant qu’élus que la désindexation, même en période de faible inflation, finit par produire des effets sensibles au bout d’une dizaine d’années. Or nous entrons dans une période inflationniste comme nous n’en avons pas connu depuis les années 1980. La question se pose donc avec une certaine acuité. S’il était décidé de ne pas indexer, j’aimerais que l’effort des collectivités locales pour compenser cette non-indexation soit reconnu. Une inflation de 7 % représente un effort de 1,8 milliard d’euros. Si l’inflation devait se maintenir à un tel niveau pendant cinq ans – ce qui n’est pas l’hypothèse que je retiens pour l’heure – nous atteindrions quasiment dix milliards d’euros, soit le montant qui avait été annoncé par certains comme devant être la contribution des collectivités pour les prochaines années. Ces montants ne sont donc pas négligeables. Cela étant, nous ne nions pas que des mesures ont été prises pour tempérer l’inflation dans notre pays comparativement à d’autres pays européens, si bien que l’inflation devrait atteindre 6 % cette année. L’inflation est censée ralentir en 2023 à hauteur de 4,2 ou 4,3 % mais je m’interroge sur cette valeur. Qui est capable de prévoir le taux d’inflation pour 2023 ? Quoi qu’il en soit, je vous ai expliqué la complexité de la construction budgétaire dans un tel contexte.

J’avais effectivement compris que le fonds de compensation était une recette permanente.

Monsieur le rapporteur général, je respecte tout à fait votre opinion à propos du RSA. Je conçois que certains départements aient pu s’interroger quant à la pertinence de la recentralisation, et aient pu initier une demande en ce sens. Comprenez cependant que je puisse m’interroger quant au fait qu’alors que nous réclamons depuis plusieurs années sans succès une indemnisation du reste à charge, le financeur national puisse accueillir favorablement la recentralisation. Quelles sont ses motivations ? De mon expérience personnelle de quarante-sept ans de mandat d’élu, j’ai plutôt tendance à penser que l’État s’efforce généralement de proposer des montages qui lui soient plutôt favorables. Je pourrais citer des dizaines d’exemples. Vous avez tous exercé des responsabilités dans les collectivités locales ou avez entretenu des contacts au sein de ces dernières, et vous ne serez pas étonnés si je vous indique que la compensation que mon département reçoit au titre des collèges ne correspond guère qu’au dixième des dépenses. De même, les compensations prévues dans le cadre du transfert de responsabilité pour les routes nationales apparaissent en fort décalage avec la réalité des dépenses.

S’agissant de la compensation de la disparition de la CVAE, le principe d’une période de référence triennale nous semble intéressant. D’après les échanges que nous avons eus, la dynamique de 2023 pourrait être prise en compte. Le problème ne se poserait donc pas. Même si nous étions opposés à la suppression de la CVAE, il nous semble que nos préoccupations sur les modalités de cette suppression ont été entendues.

Mme Stella Dupont (RE). J’ai siégé pendant onze ans au conseil départemental du Maine-et-Loire et je connais le sujet de la compensation des compétences transférées. Le vieillissement de la population est effectivement porteur d’enjeux, à l’image de l’APA, d’où une problématique de financement de cette compétence. Mais rétrospectivement, les départements présentent une situation financière saine et ils continuent d’investir. Je pense qu’en définitive, quand bien même des écarts existent entre les compensations et les dépenses, les différents transferts financiers et leur dynamique – ne seraitce que les DMTO – permettent de dégager, bon an mal an, des marges de manœuvre pour exercer l’ensemble de ces compétences tout en conservant une capacité d’initiative et d’investissement.

M. Jean-Léonce Dupont. J’aimerais partager une illustration de ce que j’ai vécu pendant dix ans. J’ai mis en place un plan patrimonial immobilier stratégique qui m’a permis d’économiser plusieurs millions d’euros en frais de location, dépenses énergétiques, etc. J’ai contrôlé très fortement l’évolution de ma masse salariale. J’ai fermé des établissements scolaires qui avaient des milliers de places disponibles par rapport à l’évolution démographique. Vous pouvez imaginer à quel point il peut être difficile de prendre ce genre de décision. J’ai fermé des casernes de pompiers – en réalité trois garages où travaillaient quatre volontaires. Là encore, j’ai dû fournir des explications. J’ai dû, au moment de la baisse des dotations de trente-cinq millions d’euros sous le quinquennat Hollande, réduire certaines mesures « extra-légales » relevant du champ de la solidarité. Pratiquement tous les départements ont réalisé des efforts de gestion, et savent bien qu’il est relativement aisé de trouver des marges de manœuvre au début de l’exercice puis qu’au fil du temps, les décisions deviennent de plus en plus difficiles. C’est pour cela que je parlais d’une embellie conjoncturelle. Même si le projet de loi de finances ne concerne que l’année 2023, je vous demande d’avoir à l’esprit ces perspectives structurelles.

Nous faisons face à un quadruplement des coûts de l’énergie, voire parfois à un décuplement. Les décisions qui s’imposent à nous se sont accumulées ces derniers mois, provoquant à elles seules une augmentation de notre budget de fonctionnement de 3,5 à 4 %. Nous ne nions absolument pas l’embellie conjoncturelle dont nous venons de bénéficier mais nous attirons l’attention sur ces surcoûts structurels qui réduisent nos marges de manœuvre.

Dans mon département, le nombre d’établissements relevant du champ de la dépendance est jugé suffisant par rapport à mes moyens, ce qui signifie que toute création d’établissement est problématique. Nous sommes en train de mettre en place des politiques audacieuses de maintien à domicile par l’intermédiaire des aides au logement (pour les économies d’énergie) et des mesures d’accessibilité – qui n’avaient pas été anticipées au moment de la construction de nombre de logements sociaux. Nous devons engager des investissements considérables pour permettre aux personnes âgées de se maintenir le plus longtemps possible dans leur logement.

Dans les cinq à dix ans qui viennent, nous assisterons à une flambée des dépenses dans le domaine de la solidarité. Dans un tel contexte, une ressource dynamique voire une diminution de certaines dépenses ne peuvent être que les bienvenues, car nous trouverions immédiatement un usage à ces ressources supplémentaires.

Je suis prêt à vous donner accès à nos projections pour que vous ayez une idée précise des éléments de perspective.

M. le président Éric Coquerel. Merci pour cette intervention qui clôt ce cycle d’auditions très intéressantes sur les collectivités. Je pense que chacun a la base de réflexion nécessaire en vue du PLF.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 28 septembre 2022 à 18 heures

 

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, Mme Stella Dupont, M. François Jolivet, M. Pascal Lecamp, M. Mathieu Lefèvre, Mme Véronique Louwagie, M. Nicolas Sansu, M. Jean-Philippe Tanguy

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, Mme Émilie Bonnivard, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune, M. Charles Sitzenstuhl

 

Assistait également à la réunion. - M. Luc Geismar