Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, chargé des Outre-mer                             2

 Information relative à la Commission................. 21

 

 

 

 

 


Mercredi
28 septembre 2022

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 10

2021-2022

Présidence
de M. Sacha Houlié,
Président


  1 

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La commission auditionne M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, chargé des Outre-mer.

M. le président Sacha Houlié. Nous avons le plaisir, monsieur le ministre délégué, de vous accueillir pour la présentation de la « feuille de route » pour les outre-mer. C’est sous l’autorité du ministre de l’intérieur et des outre-mer que celle-ci est mise en œuvre, mais nous avons souhaité organiser une audition spécifique pour bien identifier les sujets relatifs aux outre-mer, auxquels la commission des lois est particulièrement attachée. La commission étant par ailleurs compétente pour les aspects statutaires, qui seront bientôt d’actualité, nous serons heureux que vous nous fassiez part de votre récent déplacement en Nouvelle-Calédonie.

Je souhaite vous interroger sur un autre sujet statutaire. On distingue les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74, territoires régis par des statuts pouvant prévoir une autonomie, des collectivités régies par l’article 73, départements et régions d’outre-mer dans lesquels prévaut l’application du droit commun, selon le principe d’identité législative. Cependant, un mouvement se développe aux Antilles et en Guyane pour réclamer plus d’autonomie. Comment répondre à cette aspiration dans le cadre constitutionnel actuel ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. L’exercice est difficile, mais c’est un honneur, un bonheur même, d’être auditionné par votre commission. Vous avez déjà effectué un travail important – j’aperçois M. Vuilletet, rapporteur du projet de loi relatif à la fonction publique des communes de Polynésie – et montré votre attachement à ce que j’appelle « l’archipel France ». Les outre-mer donnent à notre République toute son amplitude, sa diversité et sa richesse ; je souhaite, à titre personnel, que les citoyens de l’Hexagone les connaissent mieux et en soient plus fiers.

J’évoquerai devant vous les principaux thèmes qui structurent le début de mon mandat rue Oudinot, placé sous l’égide de la Première ministre et du ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je parlerai aussi de la Nouvelle-Calédonie, un sujet auquel vous êtes particulièrement attentifs, ainsi que de Mayotte et de la Guadeloupe, dont la situation est préoccupante.

La feuille de route, que j’ai appelée « Renouveau des outre-mer », a été lancée par le Président de la République le 7 septembre, lors de la réception à l’Élysée des élus ultramarins signataires de l’appel de Fort-de-France. Elle renferme des actions concrètes et des investissements, par territoire, et est assortie d’un calendrier.

Une deuxième feuille de route a été signée par le ministre de l’intérieur et des outre-mer à mon intention. Je suis fier et heureux de travailler auprès de Gérald Darmanin ; loin de me sentir un « ministre au rabais », comme on a pu l’entendre ces trois derniers mois, je pense qu’une fois encore, l’histoire montrera que ce sont les ministres délégués qui réussissent le mieux dans ce portefeuille. Il est vrai que je laisse volontiers au ministre les questions de sécurité et d’immigration ; pour le reste, nous nous aidons. Je peux vous dire que Gérald Darmanin se montre très attentif aux questions de développement économique, social et d’investissements outre-mer.

Il s’agit, dans chacune des feuilles de route, de trouver les voies d’une action publique plus efficace face aux problèmes du quotidien rencontrés par nos compatriotes. Au terme d’une période de travail de six mois, un comité interministériel des outre-mer (CIOM) se tiendra pour préparer une première série de décisions. S’ouvrira alors une deuxième phase de travail. Il s’agit de définir si, dans les domaines de l’action publique, les procédures, les méthodes, les lois et décrets sont bien adaptés aux principes – différenciation et responsabilisation – définis par le Président de la République. Au terme de ces travaux, nous verrons s’il convient de modifier les articles 73 et 74 de la Constitution. Le Président de la République et la Première ministre ont été très clairs : s’il est nécessaire de faire bouger les institutions et la répartition des compétences, pour une action publique plus efficace et mieux partagée avec les collectivités, nous le ferons.

Nous entendons renforcer l’ambition républicaine grâce aux habitants des territoires, en visant particulièrement la sécurité, l’immigration, la formation et l’éducation. Nous affirmons, plus fortement qu’avant, notre volonté d’agir dans deux autres domaines : la création de valeur et le développement des entreprises – il est inacceptable qu’il n’y ait pas d’avenir économique pour les jeunes de l’archipel France – ; la culture et l’histoire – le rapport aux outre-mer est fondamental pour l’histoire de la République et les ultramarins doivent être fiers de ce qu’ils apportent à la France.

Nous devons aussi traiter, en urgence, de plusieurs sujets comme les sargasses, le chlordécone, l’eau potable ou les dessertes aériennes. Un dernier point de la feuille de route fera l’objet de toute notre attention en 2023 : l’insertion et le rayonnement international des territoires dans leur bassin géographique. Cela imposera peut-être de modifier certaines normes, françaises comme européennes. Les normes sont utiles, car protectrices et créatrices de valeurs, mais elles ne doivent pas être forcément les mêmes à Maripasoula, en Guyane, et à Langogne, en Lozère.

À la demande du Président de la République et de la Première ministre, j’ai effectué une visite du 9 au 15 septembre en Nouvelle-Calédonie, ce trésor du Pacifique. J’y ai rencontré l’ensemble des acteurs calédoniens. Il s’agissait, après la tenue du troisième référendum, de renouer les fils du dialogue. Je sais l’Assemblée nationale, et sa présidente, très présentes dans ce dossier.

À l’issue de ces premiers contacts bilatéraux, ardus, l’ensemble des parties sont convenues de se rendre à Paris, d’abord pour des réunions bilatérales. Un comité des partenaires pourra ensuite remplacer le comité des signataires, avec la tenue éventuelle de réunions trilatérales. Depuis l’obtention de cet accord, les journalistes sont pressants, les divers bureaux s’expriment, les déclarations fusent, la situation est compliquée et incertaine. Mais j’ai confiance car je connais nombre d’acteurs – c’est la raison pour laquelle le Président de la République m’a envoyé à Nouméa – et je sais la valeur de la parole donnée. Seul compte le fait de se retrouver et de tracer, ensemble, les voies d’une Nouvelle-Calédonie rayonnante pour les trente ans qui viennent. Nous allons tenter de trouver une méthode consensuelle pour avancer sur ce chemin. L’énergie et le nickel – un trésor absolu pour l’île – sont des sujets centraux mais, je ne le cache pas, très complexes.

Le ministre de l’intérieur et des outre-mer s’est exprimé devant cette commission sur les enjeux de sécurité et de contrôle de l’immigration, à Mayotte et en Guyane ; son engagement est total et sa volonté sans faille. Je me suis entretenu hier au téléphone avec Serge Letchimy et le président de la collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville, pour préparer son déplacement à Cayenne, puis en Martinique, en compagnie du garde des sceaux, du ministre chargé des comptes publics et de vous-même, monsieur le président.

La situation est grave, elle doit nous interroger : si on laisse faire quand on assassine des gens dans la rue, c’est la République qu’on tue. Vous connaissez la formule de Paul Valéry, « Deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre. » Eh bien, il faut revenir à plus d’ordre, tout en garantissant les libertés républicaines et la protection des droits de la personne. Le temps est à la fermeté. Le Parlement, en votant le budget, nous a donné des moyens, mais il existe encore une marge de progression pour assurer que la République ne meure pas en certains endroits du territoire.

Lorsque vous vous rendez à Mayotte, que vous discutez avec les élus, vous êtes frappé par l’attachement des Mahorais au drapeau français, à la République. Le lien est sincère, il n’est pas motivé par le fait qu’on paye un peu mieux que les voisins. Je leur parle de progression, de lente évolution : voilà onze ans que Mayotte est un département français ; les autres ont mis plus de cent dix ans pour parvenir à la stabilité.

Plusieurs sujets sont à l’ordre du jour : ordre public, immigration, habitat, création de valeur – il y a, à Mayotte, des entreprises qui fonctionnent bien –, infrastructures. Il faut parfois quatre heures de voiture pour aller travailler à Mamoudzou et quatre heures pour en revenir ! Je sais, pour avoir travaillé aux premières configurations du Grand Paris Express, que les grands projets d’infrastructures prennent du temps. C’est pourquoi il faut commencer dès maintenant. Une mission sur les infrastructures de transport à vingt ans a été lancée, en liaison avec le maire de Mamoudzou et le président de la collectivité territoriale.

Nous voulons aussi travailler sur le logement. De vastes bidonvilles se sont constitués à Mamoudzou et à Koungou ; la problématique dépasse de loin celle de l’habitat insalubre. Nous travaillons, en accord avec les deux maires, le président de la collectivité territoriale et le préfet, pour mettre en place une société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLAIN), sur le modèle de ce qui s’est fait, pour la rue d’Aubagne, à Marseille. L’idée est de « décaser » les personnes et de reconstruire sur place. Tout le monde est en phase, il faut maintenant accélérer les efforts.

Je me suis rendu en Guadeloupe après le passage de la tempête Fiona. Trois mille foyers ont été touchés ; par miracle, nous n’avons à déplorer qu’un décès. J’ai ressenti une grande émotion lors de ma visite, en voyant la solidarité s’exprimer entre les familles ou les personnes d’un même quartier, mais aussi de la part de la République : les équipes du RSMA – le régiment du service militaire adapté de la Guadeloupe – sont intervenues, des régiments de Martinique et des services de la sécurité civile sont venus en renfort. Il faut désormais travailler au relogement des victimes et à l’adduction d’eau potable. Une équipe est arrivée de Paris pour dresser le bilan des ponts endommagés. Une quarantaine de ponts, sur les routes territoriales et communales, devront être reconstruits.

M. le président Sacha Houlié. Un groupe de contact, consacré à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, a été mis en place. Il réunit les députés de Nouvelle-Calédonie, le président de la délégation aux outre-mer et les représentants des groupes. J’y siège également, en tant que président de la commission des lois, puisque celle-ci aura à examiner, le cas échéant, les réformes institutionnelle et constitutionnelle.

Par ailleurs, je serai aux côtés du ministre de l’intérieur, du garde des sceaux et du ministre chargé des comptes publics, lors du déplacement en Guyane, puis en Martinique, du 29 septembre au 1er octobre.

M. Guillaume Vuilletet. De nombreuses crises ont touché notre pays : crise sanitaire, crise internationale, crise énergétique. Dans les outre-mer, les difficultés sont encore plus importantes, du fait de déséquilibres structurels.

Les résultats électoraux ne sont pas le seul baromètre du malaise d’un territoire mais, ne soyons pas dans le déni, si la majorité que je représente n’a pas connu le succès qu’elle escomptait aux dernières élections dans les outre-mer, c’est tout de même lié au mécontentement dans ces territoires.

J’aimerais que vous reveniez sur la dynamique de lutte contre la vie chère que vous avez lancée grâce à l’Oudinot de la vie chère. Comment produire localement pour éviter les mouvements de biens et de services, qui renchérissent le coût ?

Vous avez évoqué le logement insalubre à Mayotte, mais la question se pose dans tous les outre-mer, et elle impose une réponse. Il y a quelques années, j’ai rendu un rapport au Premier ministre sur la lutte contre l’habitat indigne ; on parlait alors de 25 % de logements insalubres outre-mer.

En matière de sécurité, je ne reviendrai pas sur Mayotte – Jean Terlier le fera plus tard – d’autant que le garde des sceaux nous en a parlé.

Pouvez-vous décrire la situation que vous avez trouvée en Nouvelle-Calédonie lors de votre visite, Philippe Dunoyer ayant exposé les informations dont il dispose ?

La crise sanitaire a abouti à un rétrécissement des échanges à l’échelle de la planète. Cela signifie que les outre-mer peuvent représenter la France dans leur zone d’influence.

Enfin, quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises après la publication du rapport de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences ?

M. Timothée Houssin. Je tiens à vous interpeller sur la situation intenable du département français de Mayotte. La population y fait face à un flux migratoire massif qui pose problème en matière de sécurité et fragilise son modèle social.

Vous l’avez évoqué dans vos propos liminaires, mais vous n’apportez pas de solution. À Mayotte, le niveau de la délinquance est intolérable : il y a quatre fois plus de vols et deux fois plus de violences sexuelles par habitant qu’en métropole ; un Mahorais sur dix a été victime de violences physiques au cours des deux dernières années.

La situation migratoire est effarante : la moitié de la population est étrangère – la moitié ! –, souvent en situation irrégulière et presque exclusivement en provenance de l’archipel des Comores. Le taux de fécondité des Comoriennes est extrêmement élevé, puisqu’il dépasse six enfants par femme. Or ces enfants, dès lors qu’ils sont nés en France, peuvent devenir Français à leur majorité. À leur naissance, leurs parents deviennent de fait non expulsables, et leurs familles restent à la charge de la France et de Mayotte.

L’âge moyen de la population, très bas en raison de l’immigration, pose aussi des problèmes sociaux, en réduisant les débouchés en matière d’emploi et de formation. Il y a tant de naissances à Mayotte qu’il y manque près de 1 000 classes. Le système d’obtention de la nationalité et les avantages sociaux qu’obtiennent les Comoriens en devenant Français constituent un véritable appel à l’immigration, dont Mayotte subit les conséquences, notamment en matière d’insécurité.

N’est-il pas urgent de mettre fin au droit du sol à Mayotte ? La proposition est soutenue par les Mahorais puisqu’ils ont voté à 59 % pour Marine Le Pen, qui en avait fait son cheval de bataille. Il faut également lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité : moyennant finances, elles créent un véritable trafic de nationalité.

M. Jean-Hugues Ratenon. Avec le remaniement de juillet, le ministère des outre-mer est passé sous la tutelle du ministère de l’intérieur. C’est un mauvais message envoyé aux ultramarins, qui y voient un affaiblissement institutionnel et se sentent encore plus abandonnés. Les députés ultramarins de la NUPES ont exprimé collectivement leur ras-le-bol le 20 juillet, dans une conférence de presse commune, lors de l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Dans ce texte, les spécificités des outre-mer n’ont pas été prises en compte.

Le Président de la République a reçu certains de ces élus, en votre présence, le 7 septembre. Il a affirmé que nous étions arrivés au bout d’un cycle et qu’il fallait aborder les problèmes sans tabous. Il s’est prononcé pour le plein emploi outre-mer, a plaidé pour faire bouger les normes et les adapter aux territoires. Vous-même avez annoncé un Oudinot de la vie chère, qu’en est-il ? Les mois passent et les conditions de vie des ultramarins continuent de se dégrader. Il y a urgence à agir !

Par ailleurs, le groupe Total a appliqué une baisse de 20 centimes par litre sur les carburants en métropole. À la suite de plusieurs interpellations, il a accepté d’étendre ce rabais outre-mer. Mais, récemment, le grand patron de Total a clairement mis en cause le Gouvernement, affirmant que vous lui aviez demandé de ne pas appliquer cette ristourne outre-mer. La demande du Gouvernement est en totale contradiction avec l’Oudinot. Ne pensez-vous pas que la ristourne aurait dû être appliquée prioritairement dans ces territoires, où la pauvreté et le chômage sont plus importants et les salariés moins bien payés ?

Enfin, confirmez-vous que vous êtes favorable à des adaptations et à la différenciation pour les outre-mer ? Plus précisément, pour La Réunion, êtes-vous pour la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73, dit amendement Virapoullé ?

M. Erwan Balanant. Le 22 septembre, lors d’un déplacement à Saint-Nazaire pour l’inauguration du premier parc éolien français en mer, le Président de la République a précisé sa feuille de route concernant le développement des énergies renouvelables (ENR) avec, notamment, la création d’une cinquantaine de parcs éoliens en mer d’ici 2050.

Combler le retard de la France en la matière est d’une importance capitale et le Gouvernement prend le sujet au sérieux, comme en témoigne le projet de loi en préparation. Mais notre dépendance aux énergies fossiles ne cessera pas avec l’adoption d’une nouvelle loi, les territoires ultramarins en sont le criant exemple. Excepté en Guyane, la part d’énergies fossiles dans le mix énergétique des outre-mer est considérable, alors que ces territoires disposent d’atouts essentiels. En 2011, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) plaidait déjà pour que les territoires ultramarins deviennent « un véritable laboratoire » en matière d’ENR. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte leur fixait un double objectif : couvrir 50 % du mix énergétique par des ENR d’ici 2020 et 100 % d’ici 2030.

Ces objectifs ambitieux n’ont pas été respectés, alors que la crise énergétique rend urgente l’indépendance énergétique, pour des raisons à la fois économiques et sociales – on sait que les premières victimes de la crise énergétique sont les habitants les plus pauvres et le taux de pauvreté dans les outre-mer est bien plus élevé – cinq fois plus à Mayotte par exemple – que la moyenne française.

Dans ce contexte d’urgence, et au regard des ambitions réaffirmées par le Président de la République et les mouvements politiques de la majorité, tout en prenant en compte les difficultés d’approvisionnement, de gestion des réseaux électriques et le caractère insulaire de certains territoires – donc de la faible connexion au réseau métropolitain –, quelles marges de manœuvre l’État français peut-il offrir aux collectivités ultramarines pour diminuer leur dépendance aux énergies fossiles ? Quels projets le Gouvernement envisage-t-il pour développer les énergies renouvelables dans ces territoires ?

M. Philippe Pradal. Ma collègue Naïma Moutchou, membre du bureau de la délégation aux outre-mer, m’a demandé de la suppléer.

L’avenir de la Nouvelle-Calédonie est un sujet très complexe. Les états généraux de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie ont permis de mettre la place de la jeunesse dans la société néo-calédonienne – la moitié de la population a moins de 30 ans – au centre d’une large réflexion. Ces états généraux, ainsi qu’un rapport du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie remis en janvier 2022, ont mis en exergue certaines problématiques, notamment l’addiction de nombreux mineurs à l’alcool et au cannabis. Quelles mesures de prévention sont déployées ? Ces problèmes de santé publique ont un impact sur l’accès au marché du travail et parfois, par effet domino, sur la délinquance. Parmi les quatre-vingt-onze équivalents temps plein (ETP) annoncés dans le PLF pour 2023 pour le SMA, combien seront « fléchés » vers la Nouvelle-Calédonie ?

Vous avez annoncé la création d’un comité des partenaires, qui devrait se réunir en octobre à Paris. Vous avez également annoncé le report du référendum de projet destiné à valider un nouveau cadre juridique du territoire, annoncé pour juin 2023 par votre prédécesseur, Sébastien Lecornu. Pourriez-vous nous expliquer votre méthode et le calendrier des négociations qui se dérouleront dans le cadre du comité des partenaires ?

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Un colloque sur le logement social outre-mer, auquel j’ai participé, s’est tenu le 26 septembre au Sénat. La situation est très complexe.

La prolongation du plan Logement outre-mer 2019-2022 (PLOM 2), annoncée par vos services, donnera le temps de dresser un bilan. En Guyane, neuf habitants sur dix peuvent prétendre à un logement locatif très social (LLTS), mais seuls 12 % du parc est concerné. Les outre-mer représentent les territoires français les plus pauvres de la République – la Guyane arrive au deuxième rang derrière Mayotte. Cela signifie que la grande majorité des demandeurs de logements sociaux ne sont pas en mesure de payer leur loyer.

Cette situation illustre la réalité économique et sociale de nos territoires. Les outre-mer ne bénéficient pas des aides personnelles au logement pour financer le logement social, ces dispositifs étant remplacés par la ligne budgétaire unique (LBU). Or, celle-ci est passée de 270 millions en 2010 à 220 millions en 2020. La Cour des comptes a pointé du doigt l’opacité du calcul de cette LBU – les critères ne sont pas clairement identifiés.

Pourquoi une baisse de 50 millions d’euros, alors que les besoins augmentent ? Pourquoi les crédits n’ont-ils pas été consommés en totalité ? Pourquoi le PLOM 2 est-il un échec ? Quels sont les problèmes identifiés ? Avons-nous apporté des solutions ? Pourquoi l’accession sociale à la propriété a-t-elle été supprimée dans nos territoires, alors que c’est un élément d’ancrage des familles ? Nous allons d’échec en échec, il est temps de réformer le dispositif.

Pour que les financements soient bien orientés, nos territoires doivent être représentés dans les instances nationales telles que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

Vos propos, monsieur le ministre délégué, m’interpellent et m’effraient. Le fossé entre la République et nos territoires est dantesque. Vous plaidez pour davantage d’entreprises, mais nous en avons déjà ! En 1946, nous sommes passés de colonie à département et, si le plan Marshall a permis de reconstruire la métropole et engendré les Trente Glorieuses, nos territoires n’en ont pas bénéficié. L’État n’a jamais engagé les investissements majeurs nécessaires à leur structuration. C’est donc lui qui est responsable de la situation actuelle !

M. Stéphane Lenormand (LIOT). Notre groupe attend des engagements forts de votre Gouvernement pour les outre-mer. Les premiers textes adoptés cet été omettaient en grande partie les territoires ultramarins et leurs spécificités. Nous resterons donc particulièrement vigilants.

Cet été, j’ai fait adopter un amendement permettant d’assurer la prise en charge par l’État du financement de la prime exceptionnelle de rentrée de 100 euros par foyer sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce dispositif, validé par le Sénat et confirmé en commission mixte paritaire (CMP), impose à l’État de prendre en charge le coût de ce dispositif. Où sont passés ces crédits ?

L’inquiétude est vive à Saint-Pierre-et-Miquelon, car l’inflation est à plus de 10 % et le prix du fioul explose – il est passé de 65 centimes à 1,20 euro le litre. Remplir une cuve de 800 litres coûte donc 960 euros, au lieu de 520 euros par le passé. Ce différentiel de 440 euros est problématique quand on touche moins de 1 000 euros de retraite… Je relaie ici la proposition du président de la collectivité et de la maire de Saint-Pierre de bloquer le prix du fioul à 65 centimes le litre jusqu’en juin 2023, afin de permettre à la population de se chauffer. C’est un marqueur explosif chez nous – si vous me permettez l’expression – car nous consommons 3 000 à 3 500 litres de fioul par an.

Notre groupe a également fait adopter un amendement, défendu par Estelle Youssouffa, permettant de financer de l’aide alimentaire pour les outre-mer à hauteur de 15 millions d’euros. Comment avez-vous réparti ces crédits entre les collectivités ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Monsieur Vuilletet, vous m’interrogez sur l’Oudinot de la vie chère – ou plutôt du pouvoir d’achat –, que j’ai bon espoir de voir aboutir mi-octobre. Mon premier voyage en tant que ministre délégué a été pour La Réunion. Pour répondre au groupe LFI, je n’ai pas dormi, mais nous avons réussi ; la « convention canne » a été signée et je m’en félicite. L’État a joué son rôle de soutien, aux salariés des usines et aux planteurs de canne à sucre, puisqu’il injecte 200 millions de subventions pour une production de 70 millions.

C’est à La Réunion que j’ai découvert le bouclier qualité prix (BQP). Le sujet n’est pas nouveau. Avec le préfet et les élus, nous sommes convenus d’élargir ce panier familial de consommation. Les préfets ont donc reçu des instructions. Il s’agit de peser sur toutes les composantes de la valeur d’un produit – production, transport, taxes éventuelles, distribution. Tout le monde s’est mis autour de la table, notamment les régions, qui gèrent l’octroi de mer et sont prêtes à consentir un effort. J’ai bon espoir que, pour une période d’un an, voire un peu plus, les discussions locales aboutissent soit à un blocage de prix sur le panier de consommation familiale, soit à des baisses de prix sur certains produits. Parallèlement, je reçois, avec mon directeur de cabinet et Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, les grands acteurs, qui nous exposent leurs efforts – certains nous racontent des histoires – pour contenir la hausse des prix.

S’agissant du logement, le problème n’est pas d’ordre financier : il concerne le foncier et les normes. Le PLOM 2 doit être mené à son terme. Cela fait trop longtemps que l’on discute de la simplification des normes, et la tentation du bien étant parfois pire que celle du mal, on stagne. Hier, au congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH), les élus et les représentants de sociétés de HLM ont tous souligné que leurs problèmes étaient liés aux normes et au foncier. Je ne veux plus entendre certains élus me dire « Construisez ! », alors que, dans le même temps, ils ne mettent pas à disposition leurs terrains inutilisés. Nous allons traiter de manière ad hoc le problème du logement – l’aspect normatif sera aussi traité dans le cadre des réponses à l’appel de Fort-de-France.

Il y a plusieurs points d’attention particuliers. Je pense d’abord à Saint-Laurent-du-Maroni, dont je rencontrerai la maire prochainement. Je pense ensuite à Mayotte où l’état de certains quartiers, notamment à Koungou et à Mamoudzou, est épouvantable : ce ne sont même pas des bidonvilles. Je suis en liaison avec le maire de Mamoudzou. Comme je l’ai expliqué, nous allons mettre sur pied une SPLAIN ; j’ai reçu l’accord des deux maires concernés, du président de la collectivité territoriale, des sociétés de HLM, de l’ANRU et de l’Agence française de développement (AFD). Il faut maintenant engager le projet.

L’accès à l’eau en Guadeloupe est un vrai problème. La crise provoquée par la tempête Fiona a permis d’en prendre pleinement conscience ; au-delà même des dégâts matériels, chacun a été étreint par l’émotion devant la catastrophe. Le problème existe depuis de nombreuses années. Le Parlement a créé le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), mais la collectivité se heurte à des problèmes d’ingénierie, de maîtrise d’ouvrage et de prise de décision.

Là non plus, la question n’est pas d’ordre financier, au moins pour les trois prochaines années. Le syndicat mixte a besoin d’une assistance technique. C’est la raison pour laquelle nous lui envoyons des ingénieurs. Je recevrai vendredi le président du SMGEAG. Mon directeur de cabinet ira ensuite passer quatre jours sur place, en accord avec lui, pour « serrer les boulons » et voir ce qu’il convient de faire. Le président du conseil régional a reçu de l’argent européen ; en ce qui concerne la contribution de l’État, les crédits de paiement (CP) n’ont pas été consommés, alors que les autorisations d’engagement (AE) ont été inscrites au budget.

C’est peut-être notre dernière chance de faire des choses intelligentes ; après, cela risque de mal tourner, car les gens n’ont pas d’eau – l’un de vos collègues s’en plaint régulièrement. Il a fallu acheminer des instruments de potabilisation depuis la métropole. Quoi qu’il en soit, nous essayerons de régler le problème.

Monsieur Houssin, la République existe aussi à Mayotte. Le droit à l’éducation et le droit à la santé valent pour toute personne, quelle que soit sa nationalité. C’est là un principe indéfectible, pour moi comme pour M. Pap Ndiaye – avec qui nous parlons souvent de ces questions – et pour M. Braun. Il n’y aura pas d’exception au respect des droits des êtres humains, ce ne serait pas conforme à notre conception de la République. C’est vrai pour l’ensemble du Gouvernement et pour le Président de la République.

Les chiffres que vous avancez sont exacts, mais nous menons une lutte de longue haleine. La solution consiste à réduire l’immigration et à aménager le droit de la nationalité. Un enfant né à Mayotte devient désormais français à l’âge de 18 ans si l’un de ses parents était en situation régulière au moment de la naissance. Cette règle a favorisé les trafics de certificats de nationalité. Le projet de loi que présentera le ministre de l’intérieur et des outre-mer abordera ces enjeux. Je ne déflorerai pas la matière ; le Parlement en débattra. Nous essayerons aussi de rassembler les reconnaissances de paternité en un seul lieu pour mieux les contrôler.

L’enjeu est très important pour le ministre de l’intérieur et pour le Président de la République. Le problème est réel, et nous devons trouver des solutions, mais cela ne saurait passer par une négation des valeurs de la République. En tout cas, je ne l’accepterais pas.

Monsieur Ratenon, ce n’est pas très sympathique de me traiter de « ministre au rabais ». Dans l’histoire des outre-mer, c’est précisément lorsque des ministres délégués étaient adossés à des ministres forts que les choses se sont le mieux passées. Pour ma part, je souhaite être adossé à un ministre fort qui me pousse. Je n’ai donc aucun état d’âme. Nous travaillons bien et, lors de mes déplacements outre-mer, plus personne, y compris les élus, ne me fait de remarque à ce propos.

En ce qui concerne le rabais supplémentaire de 20 centimes proposé par le groupe Total dans tous les outre-mer, et le fait qu’il n’a pas été accordé – sauf à Mayotte, où il a même atteint quasiment 30 centimes, me semble-t-il –, je rappelle que l’État et vous-même, lors de l’examen devant le Parlement des mesures financières, avez accordé des baisses de taxes extrêmement fortes dans tous les outre-mer ; ce mécanisme joue désormais pleinement. J’ai dès lors assumé publiquement le choix de ne pas autoriser le rabais ailleurs qu’à Mayotte. Ne faites donc pas porter au groupe Total une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le groupe Total n’est pas en situation de monopole, sauf à Mayotte. Or les autres gros fournisseurs de carburant n’ont pas souhaité opérer ce rabais. Ils ont même convaincu les distributeurs et les pompistes que leur marge serait diminuée s’ils le faisaient – ce qui est faux, car cette marge est fixe. Devant la menace d’un désordre important, j’ai reculé : avec l’accord du ministre de l’intérieur, j’ai demandé que la mesure soit différée. Seule la victoire est jolie, monsieur Ratenon. Or, je l’ai reconnu publiquement, j’ai perdu cette bataille. Mais je ne suis pas sûr d’avoir perdu la guerre, si difficile soit-elle.

Certes, nous enregistrons des retards, mais les choses avancent. La vie est ainsi faite… La question d’ordre institutionnel que vous m’avez posée ne fait pas partie de celles que je traite en priorité. Je vous répondrai donc par écrit. La question majeure dont je m’occupe, en revanche, concerne la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur Balanant, j’aimerais que l’ensemble des collectivités locales soient plus réactives pour ce qui est de la signature des programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE). Celles-ci constituent un accord entre l’État et les collectivités. Il y a toujours une bonne raison, d’un côté comme de l’autre, de ne pas franchir le pas ; les torts sont partagés. À ce jour, seule La Réunion a signé une véritable PPE s’inscrivant dans la durée. Ailleurs, on conçoit des PPE simplifiées pour créer tel ou tel outil.

Dans l’ensemble, je suis favorable au maintien d’une centrale au biocombustible dans chacun des territoires, en espérant qu’elles servent le moins possible. Il y va de la sécurité du système et de notre capacité à le piloter. C’est la raison pour laquelle je me bats comme un lion pour que la centrale du Larivot soit construite. C’est difficile ; nous verrons ce que décidera la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui est saisie de la dernière question restant en suspens – celle du permis de construire. Quoi qu’il en soit, n’opposons pas les grosses installations aux autres, dès lors qu’elles passent au biocombustible. Le maintien d’une grande centrale assure la sécurité du système. C’est vrai en Corse aussi bien qu’en Nouvelle-Calédonie, où il existe une centrale à gaz.

À côté de ces installations, il faut développer les ENR. Encore faut-il, par ailleurs, accepter les nouveaux tarifs ainsi que le fait que les grosses installations ne fonctionnent que 700 heures par an. C’est ce qu’a fait la Commission de régulation de l’énergie (CRE), que j’ai eu l’honneur de présider.

J’ajoute que, dans les grosses installations, il y a des enjeux sociaux. Le sort de leurs salariés me préoccupe. Regardez, par exemple, ce qui se passe depuis des mois chez ContourGlobal, en Guadeloupe, ou encore la juste mobilisation des agents d’EDF à Larivot. On ne peut pas décréter que l’on ferme et dire : « Circulez, il n’y a rien à voir. ».

Le développement des ENR est en cours. Il n’y a pas de problème d’ordre financier. Il suffit de vouloir en produire. Si les collectivités locales, comme c’est déjà le cas dans l’Hexagone, veulent être elles-mêmes productrices, elles peuvent le faire. Étant donné le prix de l’énergie, les candidats sont d’ailleurs nombreux.

Les RSMA seront dotés au total de 91 équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires : 80 jeunes en seront bénéficiaires et 10 volontaires viendront renforcer le dispositif sur le plan technique, par l’apport de compétences professionnelles. L’un d’entre eux ira en Nouvelle-Calédonie, un autre en Polynésie française, deux à Mayotte, deux à La Réunion, deux aux Antilles et en Guyane. L’une des priorités sera de renforcer les savoirs, notamment la capacité de lecture, avec un enseignant de plus par régiment. Au total, les effectifs avoisinent 6 000. Quand ils arriveront à 6 500, l’enveloppe augmentera – j’ai reçu l’accord de M. le ministre des comptes publics. L’évolution est donc très positive, et je vous remercie de m’avoir interrogé sur ce point important, monsieur Pradal.

La politique de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie est une compétence de la République, certes, mais pas de l’État : elle entre dans le champ des compétences du gouvernement du territoire. Il n’en demeure pas moins que nous travaillons à la question, notamment avec la Croix-Rouge française. L’organisation a ouvert un service de prévention des addictions. J’ai visité récemment avec des éducateurs la prison de Nouméa. Nous avons gagné : celle-ci va être rénovée. Il faut dire que les conditions de détention y étaient vraiment « limites » – on y trouvait, par exemple, quatre personnes par cellule.

Il est vrai que le plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance a été adopté il y a quatre ans, mais, dans cette période de négociations globales concernant la Nouvelle-Calédonie, je prends grand soin de respecter les compétences du territoire et de ne pas me substituer à l’exécutif local. Or la sécurité fait partie de ses compétences. Cela dit, nous sommes attentifs à la question et nous essayons de donner des moyens à la collectivité.

Monsieur Rimane, j’ai pris rendez-vous avec la directrice de l’antenne guyanaise de l’Office national des forêts (ONF). Je suis fâché que l’accord de 2017, qui prévoit une mise à disposition des terrains de l’État dans des conditions encadrées, ne soit pas appliqué. Il est vrai que le financement pose problème : si l’on ne fait rien de ces terrains, l’État ne paye pas la taxe foncière, mais dès que l’on y installe un opérateur, on y est assujetti. C’est le cas, par exemple, à Saint-Laurent-du-Maroni. J’ai dit à M. Serville que, s’agissant de l’attribution des terrains, quelque chose n’allait pas.

Les crédits consacrés au logement outre-mer me semblent suffisants. Pendant longtemps, ceux qui étaient affectés à la LBU n’ont pas été consommés, pour des raisons de foncier disponible et de procédure. On inscrivait toujours, en loi de finances, un peu plus de crédits que l’on n’en consommait. En 2021, 247 millions étaient disponibles sur la LBU, alors que le Parlement avait voté 225 millions – nous en avons ajouté en prenant sur les crédits généraux du ministère. Dans le projet de budget pour 2023, nous passerons de 225 millions à 239 millions. Toutefois, ce n’est pas une question d’argent. Ce qui est en cause, c’est la capacité à rassembler les volontés pour agir sur les normes et trouver des terrains.

Certes, il existe des entreprises outre-mer, mais mon ambition est qu’elles se développent, qu’elles donnent du travail aux jeunes et moins jeune de tous ces territoires. Je suis content qu’un abattoir de volailles soit implanté à Mayotte. Je me réjouis que la Guyane agisse pour développer les ENR.

Vous dites que l’État a failli, mais l’État c’est nous, tous ensemble. Du reste, nous n’avons pas failli partout. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder comment on vit outre-mer par rapport aux pays voisins. Même si ce n’est pas suffisant, ce que la République a fait depuis 1946 est à son honneur. Pourquoi, selon vous, y a-t-il 10 millions de touristes chaque année à Saint-Domingue, contre 850 000 en Guadeloupe et à peu près autant en Martinique ? C’est parce qu’à Saint-Domingue, un employé d’hôtel ne coûte que 400 euros toutes charges comprises, ce qui garantit au pays une exploitation tranquille… C’est dans ce domaine qu’il faut agir, en trouvant le chemin de la solidarité, ce qui n’exclut pas d’ailleurs de créer de la valeur – au contraire, cela permet d’en créer. C’est le résultat que nous visons à travers les mesures fiscales. J’aborderai ce point ce soir lors de mon audition par la commission des finances.

En ce qui concerne l’aide de rentrée pour Saint-Pierre-et-Miquelon, d’un montant de 100 millions d’euros, la réponse est « oui », monsieur Lenormand. Par ailleurs, à la demande du président de la collectivité territoriale, le ministère a débloqué 700 000 euros pour aider à faire baisser le prix du fioul en fin d’année. Il est convenu que le ministère, le président de la collectivité territoriale et le préfet dressent un bilan du dispositif.

Enfin, l’aide alimentaire, qui s’élève à 15 millions d’euros, est répartie de la façon suivante : 2,1 millions pour la Guadeloupe, 3,5 millions pour la Guyane, 1,9 million pour la Martinique, 2,6 millions pour La Réunion, 4,8 millions pour Mayotte et 50 000 euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Je dois rencontrer M. Baland, président de la Banque alimentaire, cette semaine ou la suivante, pour lui demander un effort supplémentaire. Je n’en suis pas très fier, car ce n’est pas comme cela qu’on doit nourrir les gens.

Voilà mon engagement en faveur des outre-mer. Lors de mes déplacements dans ces territoires, je sens une envie d’agir, d’entamer une nouvelle période, sous l’impulsion du Président de la République. Celui-ci a énoncé son programme : création de valeur et de richesses, action en faveur de la culture, responsabilisation et différenciation.

M. Jean Terlier. Vous êtes un ministre de plein exercice, concentré sur son attribution, qui est primordiale, et non un ministre au rabais comme certains fâcheux ont pu le dire.

Malgré une hausse continue des moyens techniques et humains déployés sur place, le ministre de l’intérieur et vous-même avez annoncé vouloir renforcer la lutte « contre l’attractivité sociale et administrative » de Mayotte. La loi « asile et immigration » a déjà durci les conditions d’accès à la nationalité française. Pourtant, la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, tandis qu’un tiers des étrangers sont nés sur l’île ; en 2022, le flux migratoire ne faiblit pas, en dépit des moyens considérables mis au service de la surveillance.

Nous partageons le double objectif de durcir les conditions d’accès à la nationalité et de lutter efficacement contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier d’instauration du dispositif, ainsi que ses modalités ?

M. Yoann Gillet. Nos outre-mer méritent un ministre d’État. Le simple fait que les ultramarins aient un ministre délégué rattaché au ministre de l’intérieur montre le peu de considération du Gouvernement à leur égard. Ce sentiment est largement partagé par les intéressés. On pourrait au moins espérer que votre rattachement permette de bien doter les outre-mer en moyens de lutte contre l’insécurité, mais il n’en est rien.

Je suis chargé d’un avis budgétaire qui se concentrera notamment sur la sécurité dans les outre-mer, et si l’Assemblée nationale et notre commission m’ont refusé un déplacement pour y rencontrer nos forces de l’ordre, je n’en procède pas moins à de nombreuses auditions à distance. Elles confirment l’abandon total des outre-mer par l’État. Ces termes sont ceux de mes interlocuteurs, qui sont nombreux à les employer, notamment de représentants des policiers d’outre-mer, pas plus tard que ce matin.

Nos forces de l’ordre subissent la réforme de l’organisation de la police en vigueur dans certains territoires ultramarins. La spécialisation des policiers est menacée ; on demande déjà à certains agents de la police aux frontières de s’occuper de sécurité publique, et vice versa. Comment croire, d’ailleurs, que cette réforme n’aura pas les mêmes effets en métropole ? Nos forces de l’ordre subissent aussi l’inadaptation des moyens humains et financiers aux spécificités des outre-mer, des tenues aux véhicules en passant par les effectifs, sous-dimensionnés.

L’ensemble des organisations syndicales de policiers tirent la sonnette d’alarme. Arrêtez le bla-bla et agissez ! Les habitants, les institutionnels, les élus locaux sont eux aussi désespérés. À quand de vrais moyens pour la sécurité, à quand une volonté affirmée de maîtrise des frontières, notamment maritimes ? À quand une vraie stratégie, à court, moyen et long termes, grâce à une loi de programmation sur quinze ans, pour un développement économique qui est primordial ?

M. le président Sacha Houlié. Si je vous ai refusé des crédits de déplacement, c’est parce que les accepter m’aurait amené à en accorder à tous vos collègues. Nombre d’entre eux mènent des auditions en visioconférence, comme je l’ai moi-même fait avec le préfet de la Guyane, par exemple. Cela se passe très bien, vous en conviendrez.

Quant à l’abandon de l’État, plusieurs visites ministérielles sont prévues dans les territoires ultramarins, y compris en ma présence et au nom des commissaires aux lois. Je ne suis donc pas d’accord avec vous sur ce point.

M. Antoine Léaument. La République, monsieur le ministre délégué, ce n’est pas seulement un régime d’organisation de la vie publique : c’est un programme politique, contenu dans la devise Liberté, égalité, fraternité, et qui garantit le droit à l’existence et au bonheur. J’ai trouvé vos propos choquants ; quand on parle de la République, il faut être capable d’en tenir les promesses.

Où est la République quand le taux de pauvreté varie entre 33 et 77 % dans les outre-mer, quand il s’établit à 14 % dans l’Hexagone ? Où est la République quand le chômage y varie de 11 à 30 %, contre 7,4 % dans l’Hexagone ? Quand les prix des produits alimentaires y sont de 28 à 38 % plus élevés que dans l’Hexagone ? Quand le droit à l’eau n’est pas garanti, quand 50 % de la flotte se perd en Guadeloupe à cause de fuites, quand 15 à 20 % de la population de Guyane n’a pas accès à l’eau potable à cause de la vétusté des canalisations ? On n’est plus capable de faire des tuyaux ? Nous sommes la France, tout de même, la sixième puissance économique du monde ! S’il n’y avait pas de flotte dans le 16e arrondissement de Paris, le problème serait réglé depuis longtemps ! Où est la République quand 12 % du parc immobilier, contre 1,2 % en métropole, est vétuste ? Quand le taux d’illettrisme atteint 20,3 %, contre 7 % en métropole ? Quand les outre-mer sont parmi les pires déserts médicaux et que l’on refuse pourtant la réintégration des soignants non-vaccinés ?

La République, c’est un très beau mot, mais il a un contenu. Parlons-en, mais à condition de donner corps aux deux derniers termes de notre devise – « égalité », « fraternité ».

Mme Mathilde Desjonquères. Le 16 septembre, la tempête Fiona a violemment frappé la Guadeloupe, causant la mort d’un homme et d’importants dégâts matériels. Au nom du groupe Démocrate, je transmets aux Guadeloupéens l’expression de notre soutien et l’assurance de notre mobilisation.

Face à l’urgence, les services de l’État sont à pied d’œuvre pour assurer le déploiement des différents dispositifs d’aide aux populations. Vous vous êtes rendu sur place pour réaffirmer le soutien de l’État aux personnes sinistrées, et l’arrêté de catastrophe naturelle a été rapidement signé. Une première enveloppe de 10 millions d’euros est débloquée en faveur des particuliers, des agriculteurs et des collectivités touchés, destinée en priorité aux non-assurés et aux biens non assurables. Les actions du plan ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) ont été déclenchées, notamment pour rétablir l’accès à l’eau potable. La sécurité civile a mis à disposition un module pour rendre potable l’eau des rivières, et l’approvisionnement en eau se poursuit.

Vous avez annoncé une assistance technique pour SMGEAG, particulièrement mobilisé. Concrètement, comment cela va-t-il se traduire ? Avec quels moyens, et dans quels délais ?

Les problèmes d’accès à l’eau potable sont le quotidien des Guadeloupéens. La députée Justine Benin avait fait un travail remarquable avec le sénateur Dominique Théophile en vue de rénover la gouvernance du service public de l’eau ; le texte issu de leur proposition de loi représente une avancée. Nous devons poursuivre leur action, afin de garantir à tous les Guadeloupéens un accès sûr et pérenne à l’eau potable. Comment comptez-vous agir dans ce domaine ?

Mme Elsa Faucillon. Croyez-vous que dégrader le droit du sol soit la meilleure chose à faire au moment de la montée des fascismes en Europe ? Pensez-vous, comme le député Houssin, que la nationalité est une donnée biologique ?

Le droit du sol est, chez nous, une conquête majeure. Nous entendons le préserver. Or, il a été annoncé par voie de presse que le droit du sol à Mayotte, qui a déjà fait l’objet d’une sacrée dérogation dans la loi « asile et immigration » de 2018, allait en subir une nouvelle à l’occasion du prochain projet de loi, en 2023. Dans l’Hexagone, un enfant né de parents étrangers peut devenir français à partir de 13 ans s’il a au moins cinq ans de présence sur le territoire et si ses parents en font la demande, à 16 ans à sa propre demande et il l’acquiert à 18 ans de manière automatique. À Mayotte, au mépris de l’article 73, alinéa 4, de la Constitution, il en est autrement. Après le coup de canif de 2018, le texte à venir requerra que les deux parents soient présents sur le territoire depuis un an ; dans votre propos liminaire, vous avez quasiment fait comme si ce point était déjà décidé.

Cette dérogation valide une idée particulièrement nauséabonde, une idée raciste : les étrangers feraient des enfants pour obtenir la nationalité française. Face à l’essor de l’extrême droite et des fascismes sur notre continent, il faut s’y opposer radicalement, car toute dégradation du droit du sol revient à dérouler le tapis rouge à leurs idées.

M. Olivier Serva. Nous voulons une date de réintégration des soignants non-vaccinés suspendus : les choses n’ont que trop duré ! Au chevet des malades, nous avons besoin de soignants qui respectent les gestes barrières, qui n’ont pas le covid et ne le transmettent pas. Nous proposons donc qu’ils soient testés toutes les quarante-huit heures, comme cela s’est fait, avec succès, pour les pompiers non-vaccinés en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. La situation en France hexagonale n’est pas la même que dans la France des Amériques. Ici, 90 % des personnes sont vaccinées ; chez nous, 50 %.

Je prie la représentation nationale de considérer que les raisonnements que l’on peut tenir ici ne sont pas transposables là-bas. Nous avons des déserts médicaux, vous le reconnaissez, et nous ne pouvons nous passer, ne serait-ce que d’un orteil, de soignants ; or nous nous privons d’environ 1 500 d’entre eux en Guadeloupe. Je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre délégué.

Que le Gouvernement et la représentation nationale ne se crispent pas sur leur position. Dans les outre-mer, il y a une situation à traiter. Vous avez dit que les outre-mer étaient votre seconde famille : montrez-lui que vous êtes en mesure de vous faire entendre de la première. L’idée serait d’apaiser les tensions et de redorer le blason de l’État, bien abîmé par les élections comme par ce type de décisions. Je compte sur vous !

M. Romain Baubry. En Guadeloupe et en Martinique, les coupures d’eau sont quotidiennes chez les habitants, mais également à l’hôpital, ce qui entraîne des difficultés persistantes. Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est pourtant un droit fondamental reconnu par les Nations unies. Alors que la ressource en eau préoccupe dans l’Hexagone, il est difficilement acceptable qu’en outre-mer, notamment en Guadeloupe, l’eau se perde dans le réseau du fait d’installations vétustes. J’espère que votre rencontre avec le SMGEAG – auquel certains territoires ne veulent d’ailleurs pas être rattachés – débouchera sur des réponses concrètes et sur un plan d’investissement majeur. Qu’allez-vous faire précisément pour donner à nos compatriotes ultramarins un accès durable à l’eau ?

Mme Danièle Obono. Le temps est à la fermeté, avez-vous dit. Cet état d’esprit était de mise pendant le précédent quinquennat ; durant la crise sociale, l’envoi manu militari du RAID (recherche assistance intervention dissuasion) et du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), bien plus rapide que la réponse aux besoins sanitaires, l’a montré. Nous espérons que vous ne serez pas préoccupé par les seules réponses sécuritaires, quand les enjeux fondamentaux ont trait à la question sociale et aux inégalités – qu’il s’agisse des prix des produits alimentaires, des revenus, de l’emploi ou du logement. Antoine Léaument a bien rappelé l’inégalité structurelle entre l’Hexagone et les outre-mer ; à ces problèmes structurels, il faut des solutions structurées.

Nous avons défendu tout au long du précédent mandat la nécessité d’un plan d’urgence doté de moyens à la hauteur : augmentation du SMIC, extension de la prime de vie chère, blocage des prix des produits de première nécessité par la réforme du BQP, plan de scolarisation, d’insertion des jeunes et de développement de l’économie locale, instauration du principe de faveur pour garantir 50 % de recrutements locaux dans tous les corps de la fonction publique, alignement des prestations sociales à Mayotte, mise en valeur des ressources disponibles pour atteindre l’autonomie énergétique, activation du dispositif ORSEC eau potable, partout où les pénuries sont quotidiennes.

Êtes-vous prêt à considérer ces enjeux et quels moyens y consacrerez-vous ? Comptez-vous traiter les problèmes plus structurels par l’investissement massif dans les canalisations, la dépollution et l’énergie… ?

Mme Nathalie Bassire. Entré en vigueur le 1er janvier 2013, le dispositif Pinel outre-mer, après avoir été prolongé, prendra fin le 31 décembre 2024. Jusqu’à la fin 2022, les taux de défiscalisation ne seront pas modifiés : 23 % sur six ans, 29 % sur neuf ans, 32 % sur douze ans, mais ils deviendront dégressifs à partir de 2023. Afin de ne pas pénaliser la dynamique engagée dans les territoires ultramarins, où le tissu économique reste à la peine après la crise sanitaire, ne serait-il pas bénéfique de conserver exceptionnellement les taux de 2022 ?

Ne serait-il pas possible également d’étendre le dispositif Denormandie à toutes les communes de La Réunion au lieu de trois seulement ?

Mme Estelle Youssouffa. Élue de Mayotte, je regrette que le Gouvernement n’émette aucun message explicite de soutien et de compassion face à la violence qui y déferle et traumatise nos familles. Nous n’attendons pas seulement une réponse technocratique, mais un peu d’humanité.

Concernant l’eau potable, la situation est critique. Un tiers de la population mahoraise n’y a toujours pas accès. Au-delà des projets et des plans dont on entend parler, je veux des réponses précises : quel est le calendrier ? Quel est le budget prévu pour que la production d’eau potable augmente de façon palpable et que la retenue collinaire supplémentaire, un impératif, soit enfin construite ?

L’avion est indispensable pour se rendre légalement à Mayotte. Le projet de piste longue est déterminant pour le désenclavement, donc le développement économique et touristique du territoire. Cette véritable Arlésienne est en cours depuis 2011 ! L’an dernier, on nous a annoncé le début des travaux pour 2023, après l’élection présidentielle. Finalement, on apprend dans la presse qu’ils pourraient commencer en 2026, un an avant la prochaine élection présidentielle. Hasard du calendrier ? Les besoins de Mayotte n’ont rien d’aléatoire, eux. Quelle est la date de début des travaux et quel budget est prévu pour la réalisation de cette piste ?

M. Stéphane Rambaud. Je tiens à dire que je souscris à 200 % aux propos de mon collègue Olivier Serva quant à la nécessaire réintégration des personnels soignants non vaccinés. Il faut tenir compte de la spécificité ultramarine, qu’il a parfaitement rappelée.

J’en viens à ma question. Alors que la scène internationale connaît des évolutions géostratégiques et géopolitiques d’importance, la puissance que confère à la France l’immensité de son espace maritime, grâce aux départements et territoires d’outre-mer, constitue un atout considérable sur les plans diplomatique, militaire et économique. Or, faute d’une volonté politique affirmée, la souveraineté de la France sur ces espaces est de plus en plus menacée : intrusions dans ses eaux territoriales, exploitation illicite de ses ressources, trafic de marchandises et de drogues, immigration clandestine, et j’en passe.

Pour maintenir – ou rétablir – la souveraineté de la France dans son domaine maritime, il est indispensable de disposer d’équipements de surveillance et d’interception adaptés à l’immensité de la mer. Notre doctrine de protection, qui date du milieu des années 1980, est totalement dépassée. Quand redonnerez-vous à notre pays les moyens d’assurer la protection de ses intérêts, en particulier dans le ressort des eaux sous souveraineté française outre-mer ?

Mme Edwige Diaz. Le 12 décembre 2021, au terme d’un processus interminable, la Nouvelle-Calédonie a exprimé de manière définitive son souhait de rester au sein de la République française. Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais il importe à présent d’organiser de façon pérenne les rapports entre l’État et la Nouvelle-Calédonie et d’y assurer la présence de la France au service de l’ensemble de la population. Il faut en effet éviter que cette terre magnifique et attachante tombe sous l’influence de la Chine communiste et de l’Australie, dont on connaît l’hostilité à notre présence dans le Pacifique.

La défense et le développement de notre espace maritime de 4 millions de kilomètres carrés sont des enjeux vitaux. Lors de votre déplacement, vous avez affirmé que la question statutaire n’était pas encore à l’ordre du jour. Il nous semble essentiel que, le processus dit de Nouméa étant clos, on ne s’achemine pas vers de nouveaux abandons de compétences. De plus, la souveraineté de la France étant désormais totalement légitime en Nouvelle-Calédonie, sa présence doit s’y affirmer avec toute la rigueur nécessaire : présence militaire, forces de l’ordre, justice, mais aussi enseignement supérieur, santé, développement économique, mise en valeur et défense du patrimoine naturel. Quelles sont les initiatives que le Gouvernement entend prendre en ce sens ?

M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Nombre d’entre vous m’ont interrogé au sujet de Mayotte. Pour le Gouvernement, pour le ministre de l’intérieur, comme pour les élus locaux, la situation n’est pas si simple. J’ai dit qu’il fallait y durcir les conditions d’accès à la nationalité française et que le ministre de l’intérieur allait présenter un projet de loi en ce sens : je l’assume. Mais il faut sortir des raisonnements binaires. On ne peut pas dire non plus : « Tout le monde dehors ! ».

Et puis, ces flux migratoires sont aussi la preuve que la France est attractive, et j’aimerais parfois qu’on en soit fier, même si l’arrivée en Guyane de personnes venant de Syrie et d’Afghanistan pose des tas de problèmes. Pour avoir été préfet dans de nombreux territoires ultramarins, je peux vous dire que c’est une satisfaction de voir que la France est attractive et que les gens ont le sentiment qu’on y vit mieux qu’ailleurs. Cela donne de la fierté. Et cette fierté, elle s’est construite pas à pas, depuis 1946.

Certains nous reprochent de ne pas nous occuper des outre-mer, mais le budget qui leur est consacré est en augmentation et atteindra 21,7 milliards en 2023. Le PIB par habitant, à Mayotte, progresse de 3 % par an : même si on part de très bas, ce n’est pas rien. C’est un combat long et difficile ; être républicain, c’est aussi sortir des raisonnements binaires.

Il est faux de dire que les élus rejettent la République, monsieur Gillet. Au contraire, ils ont confiance en la France. Vous avez affirmé, monsieur Léaument, que j’avais tenu des propos choquants. Dire qu’il faut s’engager sur le chemin du mieux vivre, est-ce choquant ? Je ne le crois pas. J’ai précisément essayé, à la demande du Gouvernement, d’attaquer la colline avec l’ensemble des élus, en veillant à respecter la compétence des uns et des autres – élus, collectivités territoriales, communes. L’État n’a pas de compétence sur l’eau en Guadeloupe, et pourtant, nous sommes aux côtés des citoyens, des salariés et des élus. N’essayez pas d’opposer les gens, la situation est déjà assez compliquée !

Monsieur Serva, vous avez évoqué la situation des personnels soignants non vaccinés. J’ai reçu à deux reprises les représentants de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG). Je leur ai fait part de mon incompréhension, je leur ai dit que je ne comprenais pas que les gens refusent de se faire vacciner. Nous n’avons pu que constater notre désaccord sur ce point. Je les connais depuis l’an 2000, nous avons déjà eu de nombreux débats et je crois qu’il existe entre nous un vrai respect mutuel. Nous essayons donc de construire une solution globale, mais le chemin est très étroit. J’ai fait des propositions et leur ai demandé de formuler les leurs, car ils sont, eux aussi, responsables de l’avenir de leur territoire. Il faut que nous trouvions ensemble ce chemin, cette porte étroite. Le drame, ce n’est pas le nombre de personnes concernées – moins de 200, si l’on ne tient pas compte des libéraux – mais l’incompréhension qui règne de part et d’autre.

Madame Desjonquères, tout ce que vous avez dit au sujet de la tempête Fiona est exact. Nous avons apporté une assistance technique, en envoyant trois ingénieurs, et débloqué immédiatement 10 millions d’euros sur le fonds de secours pour les outre-mer (FSOM), en direction des personnes qui ne sont pas concernées par l’arrêté de catastrophe naturelle.

Vous m’interrogez plus précisément sur la question de l’accès à l’eau. La tempête Fiona a été un déclic et nous a montré comment nous pouvions travailler ensemble sur cette question. Le problème, ce n’est pas l’argent. En plus des 10 millions du FSOM, nous ferons ce qu’il faut, dans le cadre du fonds exceptionnel d’investissement outre-mer (FEI). Par ailleurs, la Banque des territoires, la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement sont prêtes à accorder des prêts sur soixante ans. Je le répète, ce n’est donc pas un problème d’argent. Ce qu’il faut, c’est se retrousser les manches et agir. Le problème est vieux de quarante ans : historiquement, on n’a rien fait. Mais je suis sûr que si on commence à faire les choses, on va avancer. Je fais confiance à Jean-Louis Francisque, le président du SMGEAG. Mon directeur de cabinet doit se rendre prochainement sur place pour veiller à l’« alignement des planètes », avec lui et le président de région, Ary Chalus. Nous tenterons ensemble d’accélérer la sortie de crise.

Madame Faucillon, vous dites que nous entendons « dégrader le droit du sol » à Mayotte. La situation est explosive ; il faut au moins nous mettre d’accord sur ce constat. Si le ministre de l’intérieur, dont c’est le boulot, propose une adaptation du droit du sol à Mayotte, je l’assumerai. Mais si vous avez une proposition claire pour régler le problème, je vous écoute ! Certains disent qu’il faut favoriser le développement économique des Comores : nous y avons consacré 150 millions d’euros ; d’autres qu’il faut développer l’hôpital d’Anjouan. Nous sommes ouverts à toutes les propositions. Mais ne faites pas croire que le Gouvernement pense que les gens font des enfants pour obtenir la nationalité française ! C’est faux.

Ce que nous voulons, c’est trouver des solutions pour faire face à une situation terrible. Que faire des mineurs non accompagnés (MNA) ? Que faire de tous les jeunes qui arrivent ? Il n’y a pas de solution miracle, et celui qui penserait la détenir serait dans le faux. Il faut agir dans tous les domaines, avancer sur la convergence sociale et sur la création de richesses, puisqu’il y a des entrepreneurs à Mayotte.

Je me bats d’ailleurs avec Bruxelles au sujet des droits de pêche : alors que les habitants de Mayotte meurent de faim, des bateaux étrangers viennent pêcher sur leurs côtes... Luttons avec les élus ! Il faut de la création de richesses, mais aussi une politique de maintien de l’ordre, une politique du logement, pour faire disparaître les bidonvilles, et de la fermeté en matière d’immigration. J’assume ce dernier point, même si cela ne me fait pas plaisir, même si cela passe par une adaptation du droit du sol.

Monsieur Serva, je vous ai déjà répondu au sujet de la réintégration des personnels médicaux non vaccinés. Le problème des déserts médicaux n’est pas propre à la Guadeloupe ; il se pose aussi en Nouvelle-Calédonie. Si l’on veut faire venir des médecins dans ces territoires, il faut que leurs conjoints puissent aussi trouver un travail : c’est la clé.

Monsieur Baubry, vous me demandez ce que je compte faire pour améliorer l’accès à l’eau en Guadeloupe. L’idéal serait que je n’aie rien à faire car, comme dans l’Hexagone, c’est une compétence locale. Mais, dans la mesure où il y a un vrai problème, il est normal que la solidarité nationale, sur le plan technique et financier, s’applique. C’est ce que vous votez régulièrement et je m’en réjouis.

Madame Obono, le temps est effectivement à la fermeté en matière de sécurité. J’étais récemment en Martinique ; vers dix heures, nous sommes allés faire un tour en ville et on m’a donné un gilet pare-balles. Croyez-vous que ce soit cela, notre France ?

D’ailleurs, nous n’avons jamais mis autant de moyens en personnels, en moyens à terre, en moyens marins, en radars aux Antilles et à Mayotte que depuis deux ans. Reconnaissez-le, monsieur Rambaud.

Oui, il y a des problèmes de scolarisation, de recrutements locaux, de convergence sociale, et nous y travaillons. Mayotte n’est un département français que depuis dix ans. On va progresser le plus vite possible ; un certain nombre de mesures seront prises dans le cadre du PLFSS et, je l’espère, également dans celui du PLFR.

Madame Bassire, nous allons nous battre, avec Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, pour qu’un taux élevé de défiscalisation soit maintenu.

Avons-nous manqué de compassion pour les familles après la tempête Fiona ? Je ne peux pas le laisser dire ; cela m’a presque ému aux larmes et un journal a souligné, dans l’un de ses titres, la compassion et le soutien du Gouvernement. J’ai écouté les gens et je peux vous dire que les familles ont reçu notre message de compassion.

S’agissant de l’accès à l’eau à Mayotte, madame Youssouffa, nous avons signé une convention de 411 millions d’euros, dont je suis très fier. Trois problèmes doivent encore être réglés. D’abord, seule une partie de l’usine de dessalement fonctionne actuellement. Je me suis investi personnellement entre la société des eaux de Mayotte et la filiale de Vinci, qui est délégataire de service public, pour relancer le fonctionnement de l’autre moitié de l’usine : nous y sommes. Ensuite, il faut construire en urgence la troisième retenue et créer une deuxième usine de dessalement. La question de la localisation de la troisième retenue est un problème local sur lequel je n’ai pas de prise, mais j’ai confiance : j’aide les gens à se mettre d’accord.

Enfin, le Président de la République a pris un engagement clair sur l’aéroport. Des problèmes techniques se posent et des études, pour plusieurs millions, ont été réalisées. Mais le projet, d’un coût de 500 millions d’euros environ, verra le jour ; veillons à ce qu’il se fasse dans le respect de l’environnement et qu’il tienne compte des risques sismiques.

Monsieur Rambaud, vous m’interrogez sur la présence militaire outre-mer. La loi de programmation militaire (LPM) prévoit déjà 3 milliards d’euros supplémentaires, rien que pour cette année. Je suis consulté sur ces sujets par le ministre des armées, parfaitement au fait, lui aussi. Rassurez-vous : la future LPM s’appuiera sur les outre-mer.

Madame Diaz, j’ai évoqué l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Les trois référendums ont eu lieu. Le Président de la République a été très clair et je l’ai été moi aussi lors de mon déplacement. J’espère que nous arriverons ensemble à construire une Nouvelle-Calédonie meilleure, pour ses enfants.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur le ministre délégué, je vous remercie.

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La séance est levée à 16 heures 50.

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Information relative à la Commission

La commission a désigné M. Florent Boudié, rapporteur sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (n° Sénat 876, 2021-2022).

 


Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, M. Benjamin Lucas, M. Thomas Ménagé, Mme Danièle Obono, M. Philippe Pradal, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Lechanteux, Mme Naïma Moutchou, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Andrée Taurinya

Assistaient également à la réunion. - Mme Nathalie Bassire, M. Stéphane Lenormand, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Olivier Serva, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa