Compte rendu

Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments (Pierre Henriet, député, et Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs)              2

 


Jeudi 6 octobre 2022

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 148

 

 

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence

de M. Pierre Henriet,
président
 


Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 6 octobre 2022

Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l’Office

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments (Pierre Henriet, député, et Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs)

M. Pierre Henriet, député, rapporteur, président de l’Office. – Chers collègues, chers invités, chers internautes qui nous suivez en ligne, je vous souhaite la bienvenue à cette audition publique, qui est la deuxième depuis le renouvellement de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) cet été, à la suite des élections législatives.

Après avoir discuté voici quinze jours du thème de l’alimentation ultra‑transformée dans le cadre de la note scientifique que prépare notre collègue Angèle Préville, notre audition de ce jour est consacrée à la rénovation énergétique des bâtiments. Nous poursuivons ainsi une tradition bien établie et importante de l’Office, à savoir l’audition du Centre scientifique et technique du bâtiment, représenté par son directeur général adjoint chargé de la recherche, Hervé Charrue.

L’article 9 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique dispose que le CSTB « établit un rapport annuel d’activité, qu’il remet au gouvernement et dépose sur les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui en saisissent l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ».

Plutôt que d’organiser une audition du seul CSTB, nous avons décidé cette année d’élargir cette rencontre à d’autres acteurs énergétiques des bâtiments, afin de discuter de l’état des connaissances et des modalités de la transition de ce secteur vers une moindre consommation énergétique. Outre Hervé Charrue, nous avons donc le plaisir d’accueillir ce matin M. Francis Allard, ingénieur et professeur émérite en génie civil à l’université de La Rochelle, ancien président de la Fédération européenne de chauffage, de la ventilation et de l’air conditionné, M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, Mme Marie Gracia, directrice de l’association Effinergie, M. Franck Perraud, vice‑président de la Fédération française du bâtiment, accompagné de M. Éric Durand, directeur des affaires techniques, et de Mme Léa Lignères, chargée des relations institutionnelles, M. Emmanuel Normant, directeur du développement durable de Saint‑Gobain, mais qui est ici en tant que représentant de l’Association des industries des produits de construction (AIMCC) dont Saint‑Gobain est membre adhérent. Il est accompagné de M. Jean‑Christophe Barbant, directeur des relations extérieures de l’AIMCC et délégué permanent du comité stratégique de filière « Industries pour la construction », et de M. Charly de Laage, membre de la commission énergie environnement de l’AIMCC et animateur du collectif Isolons la Terre contre le CO2. J’excuse M. Daniel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons ! au sein du CLER‑réseau pour la transition énergétique et de Réseau Action Climat.

L’Office a déjà travaillé à plusieurs reprises sur la rénovation énergétique des bâtiments. Je souhaiterais par conséquent rappeler ici succinctement le contenu des trois rapports qu’il a publiés sur le sujet depuis une douzaine d’années.

En 2009, sur le fondement de l’article 4 de la loi de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, nos anciens collègues Christian Bataille et Claude Birraux s’interrogeaient, en sous‑titre de leur rapport sur la performance énergétique des bâtiments, sur la manière de « moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs », outre l’accélération de la diffusion des solutions les plus performantes et le fait de privilégier les meilleures solutions techniques sans a priori. Parmi les propositions structurantes formulées dans ce document, figuraient, d’une part, l’introduction d’un plafond d’émission de CO2 en complément du plafond de consommation énergétique, qui permet de mieux prendre en compte les émissions liées au chauffage au gaz par rapport au chauffage électrique, d’autre part, la mesure des gains réels de performance énergétique après travaux, ce qui encourage l’innovation technologique.

En 2014, nos anciens collègues Jean‑Yves Le Déaut et Marcel Deneux ont estimé dans leur rapport intitulé Les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment qu’il fallait mettre en œuvre dans ce domaine une « thérapie de choc ». Ils proposaient notamment un recentrage des missions du CSTB et une simplification des aides afin de les rendre plus globales, à l’image de MaPrimeRénov’. Ils suggéraient par ailleurs de faire de la rénovation un axe majeur de la stratégie nationale de recherche.

En 2018, enfin, nos collègues Jean‑Luc Fugit et Loïc Prud’homme ont établi une note scientifique de l’Office sur la rénovation énergétique des bâtiments, dans laquelle ils reprenaient certaines des recommandations précédentes et préconisaient de mesurer le nombre de rénovations effectuées, ainsi que leur qualité précise, de traiter en priorité les 7,4 millions de « passoires thermiques » et, plus largement, de soutenir l’innovation et de mieux financer la recherche.

Il est vrai que les objectifs fixés, à l’instar de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, sont ambitieux au regard de la faiblesse des moyens disponibles pour les atteindre. Or, plus que jamais, motivations environnementales et motivations économiques se conjuguent en vue de diminuer la facture énergétique de ce secteur si important pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Les enjeux sont également politiques et sociaux, à l’image de l’indépendance énergétique et de la réduction de la précarité énergétique.

Cette audition publique contradictoire aura pour but de préciser comment réduire la consommation énergétique du secteur, notamment en énergies fossiles, d’identifier ce que la recherche peut apporter à cette transition, de discuter de la portée des politiques publiques telles que la réglementation thermique ou la généralisation des diagnostics de performance énergétique (DPE), ou encore de s’interroger sur la lisibilité des dispositifs existants, la rénovation énergétique des bâtiments se caractérisant par un grand nombre d’acteurs, de règles, de documents et de solutions de financement.

La fixation d’objectifs quantitatifs et qualitatifs pour la rénovation des bâtiments, l’adoption de plans et l’attribution de labels sont‑elles des moyens efficaces ? Les DPE sont‑ils effectués correctement et pas trop coûteux ? Le rythme de la transformation des bâtiments envisagée, avec un minimum de 27 millions de logements rénovés sur un total de 37 millions à l’horizon 2050, est‑il réaliste ? Comment, in fine, comptabiliser les logements rénovés ?

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Elle sera ensuite disponible en vidéo à la demande sur le site des deux chambres.

Les internautes auront par ailleurs, comme nous en avons désormais pris l’habitude à l’Office, la possibilité de soumettre des questions en ligne, par l’intermédiaire de la plateforme dont le lien figure sur les pages internet de l’OPECST. Certaines questions pourront ainsi être relayées auprès des intervenants.

M. le premier vice‑président, peut‑être souhaitez‑vous ajouter quelques mots introductifs ?

M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur, premier viceprésident de l’Office. – La rénovation énergétique est une thématique majeure pour l’Office. Ce sujet est par ailleurs au cœur de l’actualité, si bien que nous avons vraiment envie de vous écouter au plus vite et de comprendre ce qu’il est possible de faire au mieux, dans la mesure où notre rôle est, je le rappelle, de conseiller nos collègues parlementaires, députés comme sénateurs.

M. Hervé Charrue, directeur général adjoint en charge de la Recherche et Développement du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). – Je souhaiterais tout d’abord effectuer un bref rappel permettant de positionner l’enjeu de la rénovation énergétique. La France compte plus de 35 millions de logements, avec un taux de renouvellement et de rénovation très faible, soit environ 1 % de constructions neuves et 1 % d’équivalent pour la rénovation. Face à cela, les ambitions et les enjeux sont maintenant bien connus : on pense bien évidemment au changement climatique, qui a eu cette année des retentissements plus importants qu’auparavant, à la problématique énergétique et environnementale qui en découle, aux enjeux sur le CO2 et les ressources, notamment au niveau des matières premières, à l’impact de l’évolution démographique et du vieillissement de la population (avec une nécessaire adaptation des logements), aux problématiques de santé (à l’image du Covid qui persiste) qui impliquent de trouver dans les bâtiments, où nous passons plus de 80 % de notre temps, des solutions pour éviter ces épidémies, et surtout à une mutation des usages, sachant qu’avec l’arrivée du numérique le bâtiment a un rôle très important dans l’économie française.

Le sujet de la rénovation est majeur et les acteurs du domaine ont une vision assez réaliste du secteur du bâtiment : il s’agit d’un système résilient, mais généralement mal adapté aux enjeux qui se présentent à nous : changement climatique, précarité énergétique, réduction des consommations d’énergie, etc. Rénover suppose d’être en capacité d’amener à la fois le driver énergétique auquel on fait référence, mais aussi de prendre en compte tous les autres enjeux, principalement sanitaires et de confort, pour lesquels il existe une appétence et qui renvoient à une problématique au sens économique du terme.

Concernant l’état des lieux en matière de rénovation énergétique, je pense que l’on peut simplifier la question en la recentrant sur les quatre leviers existants.

Il faut tout d’abord une meilleure connaissance du parc, actuellement insatisfaisante. Je souhaite à ce propos signaler une réalisation assez récente, mise en œuvre dans le cadre des certificats d’économies d’énergie par le CSTB et ses partenaires, sous la forme d’une base de données nationale des bâtiments permettant de récupérer, grâce au croisement de différentes bases, pour chaque bâtiment de logements et bientôt pour le tertiaire, des données non seulement cadastrales, mais aussi de constitution, voire d’enveloppe ou de consommation. Cet outil de référence a vocation à être enrichi. Il pourra, dans de nombreux cas, servir de base au diagnostic en termes de priorité à donner à la rénovation. Ces sujets sont extrêmement importants.

Ensuite, on voit fleurir de nombreux acteurs qui se prévalent d’établir des diagnostics, notamment des DPE. Ceci pose question. La presse s’est, en effet, fait l’écho de situations montrant que les performances de ces diagnostiqueurs n’étaient pas forcément à la hauteur de ce qui est attendu. Sans doute y a‑t‑il quelque chose à faire dans ce domaine.

Au‑delà du diagnostic, il faut savoir que des solutions techniques existent depuis longtemps déjà pour rénover les bâtiments et ont fait l’objet de recherches nombreuses, qui se poursuivent et montrent que l’on dispose de capacités à répondre aux différents enjeux de la réduction de la consommation d’énergie et de l’amélioration du confort. Elles sont toutefois, du fait de leur non massification, associées à des problématiques économiques.

Un autre sujet est donc celui de l’économie. Il s’agit d’un enjeu national, autour notamment de la question de la précarité. Il est évident que les personnes qui se trouvent en situation de précarité et vivent dans des « passoires thermiques » ont généralement des difficultés à effectuer une rénovation complète de leur logement, malgré les aides proposées. La question est la suivante : disposons‑nous d’un modèle permettant d’assurer une rénovation en masse, sans mettre en porte à faux la capacité de chacun à s’offrir par ailleurs des éléments de confort et de mobilité ? En effet, grever son budget pour effectuer des travaux de rénovation de bâtiment peut conduire à devoir réduire d’autres postes de dépenses, y compris de la vie courante. Ces sujets doivent être traités.

Le dernier point, qui constitue sans doute le nœud gordien de la rénovation, est celui de la capacité de production. Les politiques successives ont en effet envisagé d’effectuer des rénovations en nombre, en surplus des productions dont le nombre oscille actuellement entre 350 000 et 450 000 logements neufs ou rénovations lourdes : ainsi, rénover 500 000 logements supplémentaires suppose de mobiliser des capacités qui font aujourd’hui défaut. Nous avons déjà eu à ce propos des échanges avec les différents partenaires. La problématique centrale est celle de la massification des solutions : faut‑il considérer que chaque bâtiment est un modèle unique, nécessitant une réponse spécifique ou au contraire qu’il est possible d’apporter des solutions de masse, permettant de déployer des solutions techniques avec des coûts de production relativement bas et ainsi de résoudre l’équation économique ? Il convient en outre de ne pas omettre d’examiner des questions adjacentes, comme le fait que des solutions trop uniformes peuvent avoir des impacts sur la qualité de vie, notamment urbaine : effectuer par exemple une rénovation par l’extérieur – comme ce fut le cas à Grenoble – peut créer une certaine uniformité architecturale susceptible de poser problème.

Un autre sujet, à côté de la question de la rénovation des bâtiments individuels pour lesquels chacun peut prendre ses dispositions, est celui des copropriétés, pour lesquelles l’engagement de rénovations reste un sujet majeur, qui fait débat. Nous avons souvent vécu des situations de rénovation, notamment acoustique, accompagnées par l’Ademe, qu’il s’avérait impossible, pour des raisons budgétaires, de coupler avec une rénovation thermique.

La problématique des solutions constitue pour moi un vrai sujet. Nous sommes aujourd’hui en capacité d’apporter des réponses assez globales, permettant une performance moyenne de haut niveau, sans pour autant être la meilleure performance possible pour le bâtiment. Il faut en effet tenir compte de la relation coût/bénéfice. Ceci passe par une logique d’approche industrielle, sachant qu’une rénovation par l’extérieur sur une barre de bâtiments avec une copropriété permet de ne pas intervenir dans les logements, tandis qu’une solution de rénovation par l’intérieur implique une intervention en site occupé qui crée des problèmes en termes d’acceptabilité et de qualité de la relation entre usagers et corps professionnels.

Le sujet de la formation est tout aussi important, notamment pour articuler les phases de travaux. En effet, si les solutions industrielles existent au niveau des équipements et des matériaux, un problème non encore résolu est celui des interfaçages entre les différentes solutions. Souvent, les industriels vendent une solution sans disposer d’un interfaçage permettant d’assurer la continuité de l’installation du produit dans la performance globale du bâtiment. Prenons l’exemple d’une fenêtre : elle peut être parfaitement qualifiée et certifiée en laboratoire, mais l’industriel qui la vend ne prévoit pas en général de donner à l’installateur le système d’assujettissement qui va garantir l’étanchéité à l’air, la thermique et l’acoustique. Ces questions d’interfaçage nécessitent la prise en compte par les industriels d’une intégrabilité robuste de la part des professionnels : ceci suppose des formations de haut niveau, mais aussi des solutions – excusez ce terme quelque peu désobligeant – dites « idiotproof », c’est‑à‑dire garantissant au système un niveau de performance minimal, quelle que soit la personne chargée de le mettre en œuvre.

Sont venus s’ajouter à ces sujets les enjeux de ressources et de carbone liés au changement climatique et à l’environnement, qui impliquent de tenir compte des taux de déchets rencontrés dans le secteur du bâtiment et de la quantité d’énergie grise stockée, donc des économies de carbone que ceci représente potentiellement, sans pour autant différer la capacité d’intervention sur les sujets de rénovation actuels. La problématique majeure à laquelle nous sommes confrontés est en effet celle du passage à l’acte. Nous sommes toujours dans une zone de transition, qui a concerné l’énergie, puis le carbone. Or si l’on attend de traiter la question du carbone dans une situation de rénovation énergétique, on ne passera pas à l’acte rapidement et il faudra encore attendre pour que le secteur du bâtiment réponde aux enjeux qui sont les siens, à savoir réduire sa consommation d’énergie et ses impacts carbone.

Pour moi, la rénovation des bâtiments reste un sujet majeur, qui mobilise les résultats des recherches antérieures, lesquelles ont porté leurs fruits en termes de solutions technologiques et doivent se poursuivre pour l’intégrabilité, en changeant d’échelle dans la mesure où les approches multicritères se multiplient, l’impact sanitaire d’une crise comme celle de la Covid pouvant par exemple conduire, dans une logique de prévention, à une modification des systèmes de ventilation. Néanmoins, il faut commencer à passer vers des sujets énergétiques et de rénovation prenant en compte les problématiques actuelles de confort, de santé et d’adaptation du bâtiment, ce qui suppose le développement de solutions au niveau des acteurs et une main‑d’œuvre adaptée, formée et plus nombreuse. Or l’attractivité du secteur n’est pas au rendez‑vous, avec des salaires trop bas et une valeur ajoutée reportée vers les industriels, même si le niveau moyen en termes d’ingénierie s’est fortement étoffé, avec des formations d’enseignement supérieur autour de l’énergie, l’environnement et la santé. La mise en œuvre et la régulation des solutions restent toutefois, à l’échelle nationale, un vrai problème de formation initiale et continue.

Le sujet fondamental de la capacité à produire avait déjà été pointé avant 2010. Je pense que l’intégration du numérique, du building formation model, est un moyen d’attirer des acteurs sur une logique permettant le passage à des solutions plus industrialisées, même si ceci est sans doute moins adapté aux TPE‑PME, qui vont certainement mettre plus de temps à prendre leur envol sur ces sujets. Il s’agit d’un élément majeur, permettant in fine le contrôle de la performance tel que cela a été rappelé dans le cadre des recommandations formulées par l’OPECST en 2009. Ce sujet de la mesure de la performance après réalisation draine nombre d’autres aspects, dont le fait que l’on observe encore beaucoup de non qualité en livraison, avec des impacts sur la performance énergétique, économique et environnementale, et avec parfois la génération de grandes quantités de déchets.

Cette expérience vécue par toute personne ayant effectué des travaux chez elle ou dans un bâtiment public ou autre implique de nombreux questionnements, dont beaucoup sont encore devant nous. Je pense que les acteurs présents autour de la table ont la capacité à apporter des solutions. Subsistera toutefois la dimension économique. Je rappelle que la question de savoir s’il fallait doter le secteur du bâtiment d’un régime spécifique par rapport aux règles budgétaires européennes avait été abordée voici fort longtemps, autour de l’idée que tous les pays conduisant une politique de rénovation énergétique pour maîtriser le changement climatique devaient pouvoir déroger au critère des 3 % de déficit budgétaire. Pour l’instant, ceci n’a pas été fait. Je pense qu’il y a véritablement des perspectives dans ce domaine. Mais si des solutions techniques se développent au sens industriel du terme, avec par exemple des maisons industrialisées en offsite comme le font déjà certains industriels coréens, anglais ou états‑uniens, on court le risque, comme l’a déjà pointé la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), de voir ce marché investi par des acteurs étrangers. Je pense pour ma part que le bâtiment est un secteur qui peut générer un emploi durable, pour peu qu’il soit attractif : il faut revisiter cet ensemble, en activant les leviers que sont la force de production, les outils et solutions industriels, les outils issus de la recherche pour la qualification et les modèles économiques développés.

Voici, brièvement exposée, la position qu’il nous faudrait avoir. J’ajoute qu’en matière de recherche – mon collègue Francis Allard y reviendra très certainement – le secteur du bâtiment consent un effort proche de la paupérisation, inférieur à 3 pour 1000 de la valeur ajoutée. Ce sujet est éminemment social : faut‑il réinvestir dans ce secteur ? Quel sera le rôle du bâtiment dans l’équation incluant la mixité énergétique, le transport ? Faudra‑t‑il faire de la recherche énergétique in situ dans des sites privés ou dans l’espace public ? Quelle mixité ceci va‑t‑il produire ?

M. Francis Allard, ingénieur et professeur émérite en génie civil à l’université de La Rochelle, président de Tipee, ancien président de la fédération des associations européennes de chauffage, de la ventilation et de l’air conditionné (REHVA). – Je précise qu’en tant que professeur en ingénierie du bâtiment, j’ai créé cette nouvelle filière en 1992 à l’université de La Rochelle : elle n’existait pas auparavant dans la géographie universitaire française. Je n’ai pas la prétention de représenter aujourd’hui l’ensemble du monde de la recherche, mais je souhaiterais simplement vous apporter quelques éléments relatifs au cadre de réflexion, aux forces vives en présence et à l’organisation.

Le travail d’un chercheur est aussi de répondre aux questions posées par la société. Dans notre domaine, nous sommes confrontés à des enjeux sociétaux, environnementaux et énergétiques majeurs, ainsi que vient de le rappeler Hervé Charrue. Dans ce cadre, les questions posées à la recherche visent à éradiquer la précarité énergétique, limiter l’impact environnemental des bâtiments au niveau local – îlots de chaleur urbains par exemple – et global avec le problème de l’évolution climatique, réduire de façon drastique la consommation énergétique des bâtiments sans concession ni à la santé, ni au confort des usagers, enfin assurer la durabilité et la résilience des solutions techniques face aux aléas et à l’évolution du climat.

Quels sont, en France, les moyens mobilisables ? Dans notre domaine, la communauté scientifique est assez riche – j’ai recensé quelques 500 auteurs de publications sur ces thématiques – mais aussi très dispersée. On trouve des centres de recherche chez les industriels, le CSTB, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), les centres techniques, la recherche académique (CNRS et universités, dont trois unités mixtes affichant un axe de recherche sur le bâtiment et des chercheurs isolés, l’école des Mines, le CEA, etc.), les plateformes issues du Grenelle (dont Tipee, que j’ai l’honneur de présider, Nobatek/Inef4, Efficacity ou le centre « Construction durable et écomatériaux » dit Codem), toutes chargées d’effectuer, sur l’ensemble du territoire, de la recherche partenariale ou en propre, mais aussi de diffuser les bonnes pratiques vers les acteurs, et les laboratoires des énergéticiens (Engie Lab, EDF R&D, etc.), qui assurent une présence dans ce domaine et se sont parfois substitués à la recherche publique pour financer certains travaux durant des périodes de vaches maigres.

Il convient de noter que les financements de la recherche dans ce domaine sont en totale inadéquation avec les enjeux, sachant que l’on fait peser sur le bâtiment des défis sociétaux majeurs.

L’investissement public et privé, qualifié d’insuffisant dans tous les rapports publiés au cours des dernières décennies, représente en moyenne 1 pour 1000 de la valeur ajoutée de la filière. Pour certaines autres filières comme l’informatique, les ordres de grandeur sont bien différents.

Plus inquiétante encore est la décroissance constante des crédits publics alloués au secteur, qui représentent aujourd’hui moins de 1 % des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ainsi, on ne trouve plus, dans le schéma ANR 2023, les mots « bâtiment » ou « ville ». L’ANR agissant au taux de pression, ce sont surtout les grosses communautés qui sont représentées. Il existait auparavant des programmes fléchés, intitulés « Bâtiments et villes durables », puis « Villes et bâtiments durables », or tout ceci a cessé. Les appels à projets fléchés ont disparu. Historiquement, Prébat a pendant un temps coordonné tout cela. Ceci a été repris par la suite dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA), avec des projets se rapprochant davantage de la mise en œuvre que de la recherche, mais auxquels ont participé des équipes de recherche. Je pense par exemple au programme « Bâtiment et îlots à énergie positive et bilan carbone minimal » coordonné par l’Ademe, qui a permis des projets structurants dans le domaine de la réhabilitation, dont plusieurs étaient fléchés.

On observe, comme je l’indiquais précédemment, une production scientifique assez riche : 500 publiants recensés certes mais ils sont parfois difficiles à identifier dans la mesure où le bâtiment est davantage un domaine d’application que de recherche, même si les aspects systémiques peuvent nécessiter de la recherche spécifique. Les publiants se retrouvent ainsi dans les domaines des matériaux, de l’énergie, du numérique. L’innovation n’est en outre pas forcément technologique, mais peut aussi être méthodologique, notamment en matière de réhabilitation. Plusieurs travaux doctoraux ont ainsi été publiés en France sur des méthodologies d’optimisation des opérations de réhabilitation, qui sont aujourd’hui disponibles et pour partie transférées comme outils pour le secteur aval. Des travaux ont également été menés sur des aspects de sciences humaines, un peu délaissés durant un temps et qui ont repris de l’importance autour de l’acceptabilité des solutions et du comportement des usagers vis‑à‑vis des opérations de réhabilitation. Un autre domaine majeur, central, est celui de la santé et du confort.

En résumé, les budgets alloués à la recherche sont fortement décroissants et en totale inadéquation avec les enjeux pesant sur le bâtiment. Trop peu de projets sont financés par des moyens publics, ceux de l’ANR notamment, et la communauté est difficile à mobiliser. Faute de programmes structurés et face à des taux de retour très faibles, les chercheurs se sentent découragés. On observe toutefois depuis quelques années une évolution positive, pour laquelle je félicite le CSTB. Nous avons en effet signé voici dix ans environ une première convention avec le CNRS notamment, qui s’est enrichie de conventions multiples avec des équipes de recherche sur tout le territoire. Ceci produit indéniablement des effets bénéfiques.

En conclusion, je souhaiterais insister sur le fait qu’il ne faut pas conditionner le lancement d’un effort de rénovation important à l’atteinte de nouveaux résultats de la recherche. En effet, les acquis de plusieurs décennies permettent d’aborder sereinement le problème de la réhabilitation des bâtiments, avec des outils efficaces et des technologies éprouvées. Nous disposons d’ores et déjà d’éléments tangibles pour travailler. Pour autant, la recherche doit bien évidemment poursuivre son effort, afin d’apporter une contribution à la fois technologique et méthodologique au secteur.

Il me semble enfin opportun de resituer la question dans un cadre plus large, c’est‑à‑dire à l’échelle européenne. De très nombreux travaux ont été menés au niveau européen dans le domaine de la rénovation, qui permettent d’alimenter la réflexion et de favoriser la diffusion des bonnes pratiques. L’un des objets de la recherche est en effet de produire des résultats et d’en assurer, souvent avec l’aide des industriels, le transfert sous forme de bonnes pratiques. Ainsi, le groupe de travail Renovate Europe, qui capitalise l’ensemble des résultats sur la rénovation énergétique est intéressant car il propose des déclinaisons par pays. Voici quelques années, j’avais travaillé avec des économistes danois qui avaient essayé d’évaluer les bénéfices financiers pour l’ensemble des États membres d’une rénovation globale en Europe. Le premier de ces bénéfices, notamment pour la France, résidait dans l’amélioration des qualités sanitaires et la réduction des coûts de santé publique. Ainsi, aborder uniquement la rénovation sous l’angle de l’énergie n’est certainement pas la bonne méthode. On n’a jamais construit de bâtiment pour économiser de l’énergie. Depuis que l’humain cherche des abris, il recherche avant tout la sécurité, la santé et le confort. Les questions d’énergie ou d’impact environnemental sont des contraintes de conception, non des objectifs.

M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable. – Je souhaiterais en premier lieu vous rappeler que le Plan Bâtiment durable est une mission inventée par le gouvernement de 2009 sous l’impulsion de Jean‑Louis Borloo, et qui se poursuit depuis lors ; elle consiste à mobiliser l’ensemble des acteurs de la société civile autour du thème des bâtiments durables. C’est là que beaucoup de propositions, reprises ensuite par la représentation nationale, ont vu le jour et que des concertations se déroulent aujourd’hui encore.

En 2014, votre Office appelait à une « thérapie de choc ». En 2018, vous réclamiez une véritable rupture dans la démarche de rénovation énergétique des bâtiments. Je vous invite cette année à proposer une accélération maîtrisée de l’action.

Je commencerai par vous donner quelques éléments d’un bilan que je qualifie de « contrasté ». Je tiens tout d’abord à souligner l’existence d’un phénomène politique extraordinaire : en 2007, une stratégie a en effet été posée à l’horizon 2050 par la société toute entière regroupée au sein du Grenelle de l’environnement. Depuis lors, les majorités successives ont invariablement situé leur action dans cette perspective, sans jamais la remettre en cause. Savoir que nous avons cet objectif permanent à atteindre, aujourd’hui à un horizon de trente ans, constitue un élément fort.

Le deuxième point que je retiens réside dans le fait que la société s’est mobilisée même si ce n’est pas nécessairement avec l’efficacité requise : les 700 000 gestes de rénovation financés par MaPrimeRénov’l’an dernier, qui devraient être plus nombreux encore cette année, sont une manifestation de la prise de conscience par nos concitoyens du besoin de mise d’équerre des logements sur le plan énergétique ; c’est le signe d’un changement considérable.

La troisième idée est que je n’incite pas à revoir l’équilibre subtil que le Parlement a réussi à installer entre coercition et incitation. Il existe ainsi des obligations en matière d’information, de connaissance de la situation avec la réalisation de diagnostics et d’audits, de rénovation énergétique du parc tertiaire pour les surfaces de plus de 1 000 m2 et d’intégration de la performance énergétique à l’occasion de gros travaux réalisés dans un immeuble collectif. Enfin, une obligation plus récente, faisant suite à la loi « Climat et résilience », conduira à ce que les logements énergivores soient progressivement évincés du parc locatif si leur transformation n’est pas assurée. Ce bloc d’obligations me paraît tout à fait adéquat, suffisant, et il me semble que l’effort qu’il convient de mener aujourd’hui est de réussir à ce que les incitations toujours en œuvre voient leur efficacité accrue. Il existe pour ce faire plusieurs dispositifs qui vont dans le bon sens. MaPrimeRénov’est l’un d’eux : bien que l’on sache qu’elle n’a pas, loin s’en faut, financé que des rénovations globales, la capacité à mobiliser l’aide publique d’État à travers la plateforme mise en place par l’Agence nationale de l’habitat dont elle témoigne constitue malgré tout une bonne nouvelle. Citons également France Rénov, avec son réseau de proximité d’information et de conseil, doublé à présent d’accompagnateurs qui vont venir tenir la main des ménages pour réussir leurs opérations de rénovation énergétique, mais aussi le système des certificats d’économies d’énergie, incompréhensible de façon globale mais très efficace dans ses actions.

À côté de ces éléments qui me paraissent positifs, existent quelques zones d’ombre correspondant à ce que l’on n’a pas maîtrisé en ouvrant la porte à des rénovations à un euro : je pense ici aux éco‑délinquants, dont les actions indélicates ont conduit de nombreux ménages de ne plus tenter de rénovations énergétiques à la suite de déceptions massives. Les fédérations du bâtiment se sont employées à redresser le tir autant que possible, mais le mal était fait.

La rénovation globale, que nous espérons tous, est à la peine : qu’elle se déroule en une fois ou par étapes, elle ne figure pas encore en tête de gondole. Ceci peut être attribué, me semble‑t‑il, à la main insuffisamment tendue par l’appareil d’État aux élus locaux pour qu’ils prennent en charge l’animation dans leur ressort de la rénovation énergétique. On a besoin que le maire montre l’exemple ou que l’intercommunalité donne la tonalité dans son périmètre.

Enfin, le pilotage national actuel me fait regretter le « chef de meute » qu’était Jean‑Louis Borloo. Nous avons aujourd’hui un appareillage politico‑administratif complexe, qui se traduit par une division extrême des tâches entre la transition énergétique, la transition écologique, la planification écologique qui s’installe à Matignon et le ministère du logement et de la ville qui rassemble tout cela. Ceci ne permet hélas pas d’identifier qui est le porteur du projet, dont nous devons suivre l’étendard pour traverser le pont d’Arcole.

Je terminerai mon intervention en évoquant cinq perspectives.

La première, mentionnée par Hervé Charrue et qui sera certainement reprise par la Fédération française du bâtiment, concerne le sujet difficile de l’offre. On peut penser que le sujet de la rénovation sera, dans son versant énergétique comme dans sa dimension d’adaptation au vieillissement, un marché puissant pour les entreprises du bâtiment et pour la filière de services en aval. On observe, sur tous ces plans, qu’il va falloir améliorer en quantité et en performance l’offre de services et de travaux sur tout le territoire. Il s’agit d’un sujet majeur. Les pouvoirs publics ont probablement davantage veillé, dans les années passées, à soutenir la demande qu’à épauler l’offre nécessaire pour y faire face.

La deuxième idée, exprimée précédemment par Francis Allard, est que l’on ne se réveille pas brusquement un jour dans une maison avec le projet d’effectuer une rénovation énergétique : les sujets sont souvent plus forts, comme l’adaptation du logement à la taille du groupe familial ou au vieillissement des occupants. Je pense qu’à l’avenir, la rénovation énergétique devra être embarquée dans des rénovations répondant à d’autres préoccupations. Ceci sera certainement plus efficace et je vois d’un très bon œil arriver MaPrimeAdapt’, qui va, avec MaPrimeRénov’, favoriser l’adaptation du logement au vieillissement, sujet de transition démographique traité depuis trop longtemps avec une grande désinvolture.

Le troisième point est l’échelle de l’action : nous avons jusqu’à présent trop raisonné par logement ou immeuble collectif. Il faut changer la maille. Le raisonnement et l’action doivent s’opérer dans la centralité de la commune, dans le pâté de maisons, l’îlot, le quartier. J’appelle de mes vœux une généralisation d’actions sur le modèle des opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) qui, parce qu’elles présentaient une unité de lieu (avec un périmètre défini), de temps (avec quelques années pour se mobiliser) et d’action (avec une thématique particulière) ont réussi à transformer des quartiers de façon très spectaculaire, avec une contractualisation entre la collectivité, l’Agence de l’habitat, la région, l’État, etc. Raisonnons à une échelle pertinente, qui nous permettra d’accélérer les rénovations.

La quatrième perspective porte sur l’accompagnement des bailleurs et des locataires visés par la loi « Climat et résilience ». Ce sujet est plutôt angoissant, puisque notre pays compte 12,5 millions de logements locatifs, dont 5 millions dans le parc social et 7,5 millions dans le parc privé. Si le parc social va assurément finir par éliminer ses « passoires énergétiques » et ses logements trop énergivores, ceci s’annonce beaucoup plus compliqué dans le parc privé. Le risque de voir le parc se contracter sous l’effet de cette loi est un sujet qui doit nous mobiliser, non pour changer la loi et revoir les étapes prévues, mais pour accompagner puissamment bailleurs et locataires afin que la transformation des biens puisse s’opérer. Il s’agit d’un sujet à traiter avec vigueur.

Enfin, je préconise depuis longtemps, sans grand succès, de s’occuper d’un sujet visible, consensuel et de nature à témoigner de l’intérêt porté aux jeunes, dont on parle en permanence pour dire que nous sommes en train de charger leur barque avec tous les désordres que nous causons : il s’agit de la rénovation des écoles. C’est un sujet qu’un maire parvient à faire voter à l’unanimité dans sa commune et qui est de nature à embarquer l’équipe éducative, laquelle devra adapter son enseignement à la situation de l’établissement. Ceci fera des enfants des ambassadeurs qui, dans les maisons et les appartements, viendront expliquer à leurs familles les bons gestes à effectuer. Un tel phénomène s’est déjà produit avec les ceintures de sécurité dans les voitures ou le tri des déchets : ce sont nos enfants qui nous ont éduqués. Je pense que ce sujet doit être porté aussi par les jeunes. L’objectif de rénovation des écoles devrait donner lieu, même si l’État n’a pas la maîtrise du sujet, à une puissante incitation et à un financement.

Mme Marie Gracia, directrice de l’association Effinergie. – L’association Effinergie, créée en 2006 et reconnue d’intérêt général, regroupe des collectivités, principalement des régions, et des acteurs de la filière bâtiment, avec l’objectif d’améliorer et de généraliser la prise en compte des sujets d’efficacité énergétique dans les bâtiments. Nous travaillons notamment à travers des labels qui nous permettent de favoriser le retour d’expérience auprès des professionnels et des pouvoirs publics, et nous contribuons à un certain nombre de projets de recherche et d’innovation.

Je ne reviendrai pas sur les enjeux de rénovation énergétique qui sont devant nous et souhaite simplement insister sur la question de la massification, que nous appelons tous de nos vœux. Cet enjeu concerne non seulement le nombre de rénovations, mais aussi leur qualité et leur performance.

Nous portons depuis 2009 le label règlementaire BBC (pour Bâtiment Basse Consommation) rénovation, qui repose sur la définition réglementaire du BBC, inscrite dans un arrêté de 2009, et sur des règles techniques complémentaires permettant d’assurer la qualité et la performance des rénovations in fine. Ce BBC a notamment permis de guider les objectifs, puisque dans la stratégie nationale bas carbone, l’objectif à l’horizon 2050 est de disposer d’un parc en moyenne au niveau BBC.

Les labels présentent pour nous plusieurs enjeux et bénéfices. Il s’agit tout d’abord d’aller au‑delà de la réglementation, qui fixe des seuils assez bas en matière de performance énergétique. Ces labels constituent des repères par rapport aux seuils et aux ambitions que l’on entend se fixer. Ils permettent de guider la maîtrise d’ouvrage vers ces objectifs, de valoriser les efforts lorsqu’ils sont effectués, de donner un appui aux politiques publiques aussi bien nationales – j’ai évoqué l’enjeu et les objectifs inscrits dans la SNBC – que locales. De nombreuses collectivités s’appuient en effet aujourd’hui sur le label BBC pour y adosser leurs aides à la rénovation énergétique et avoir un effet levier sur la performance des rénovations qu’elles peuvent financer. Il existe par ailleurs un enjeu en termes de retour d’expérience : tous les labels donnent des résultats que nous capitalisons via un observatoire accessible à tous. Ceci permet in fine de faire évoluer nos perspectives sur la rénovation, de guider les évolutions réglementaires et d’être dans un dialogue basé sur le retour d’expérience et la réalité de ce que l’on sait faire et de ce que l’on peut faire.

Le label BBC rénovation a évolué assez logiquement l’année dernière pour intégrer les sujets liés au carbone. Notre rôle est de porter les aspects de référentiel technique et les exigences inscrites dans ce label, en concertation assez large avec les acteurs et nos adhérents. Ce label est délivré par des organismes certificateurs qui ont conclu des conventions avec nous, ce qui permet d’assurer le contrôle des travaux réalisés par un organisme indépendant, une tierce partie, et de veiller ainsi à ce que la performance souhaitée soit réellement atteinte. Lorsqu’un programme de travaux est prévu, il se fonde souvent sur des calculs théoriques, mais il faut ensuite s’interroger sur l’impact des travaux réalisés sur la baisse effective des consommations d’énergie.

Sans revenir sur l’ensemble du contenu du label et les exigences qui s’y attachent, je souhaiterais vous faire part de quelques grands principes qui y sont associés, comme le caractère multi‑usages des labels. Il existe ainsi, dans le volet réglementaire et l’arrêté de 2009 auquel je faisais précédemment allusion, un seuil de consommation énergétique à atteindre pour le résidentiel et le tertiaire, et des règles complémentaires permettant d’introduire les sujets de baisse d’émissions de gaz à effet de serre, avec un seuil de consommation à respecter sur les énergies relatives à l’usage dans le bâtiment, des aspects liés à l’enveloppe du bâtiment afin d’assurer la qualité de l’isolation réalisée, des aspects relatifs à la perméabilité à l’air avec un test effectué en fin de chantier pour s’assurer que les travaux faits respectent réellement les recommandations et que la consommation énergétique sera vraiment basse à l’arrivée, une dimension liée à la ventilation avec la question de la qualité de l’air intérieur et les sujets de santé susceptibles de s’y rattacher, et enfin une logique visant à assurer le confort pour les occupants. Seule la prise en compte de l’ensemble de ces éléments permet d’obtenir une rénovation énergétique performante, garantissant au quotidien la qualité et le confort pour les occupants de ces bâtiments.

Quasiment 300 000 logements et plus de 4 millions de m2 de bâtiments tertiaires sont concernés par la labellisation BBC rénovation depuis 2009. Le plus intéressant pour nous est la forte dynamique apparue ces dernières années : 2021 a en effet été une année record, que 2022 viendra d’ailleurs vraisemblablement surpasser. Ceci montre que la rénovation performante est un objectif atteignable dès aujourd’hui.

Sur un plan plus qualitatif, nous avons mené plusieurs études, essentiellement dans le domaine résidentiel, qui montrent que les occupants sont très satisfaits des rénovations atteignant ce niveau de performance : plus de 99 % d’entre eux jugent satisfaisant le confort atteint à l’issue des travaux et constatent une amélioration de la qualité de l’air intérieur et une baisse effective des factures d’énergie. Ainsi, la rénovation permet à la fois d’atteindre les objectifs environnementaux fixés et de répondre aux attentes des occupants au quotidien.

Une réflexion est actuellement ouverte sur une éventuelle évolution du label BBC rénovation, à la demande de l’État qui souhaite qu’il puisse se baser sur la méthode de calcul introduite par le DPE en 2021 – ce qui soulève de nombreuses questions –, mais aussi pour introduire le sujet de la rénovation par étapes. Aujourd’hui, le label fixe des objectifs pour une rénovation globale, que l’on sait parfois difficilement atteignable en raison notamment de contraintes économiques. L’idée est donc de pouvoir donner les lignes directrices de ce que pourrait être une rénovation par étapes, permettant à terme d’atteindre un niveau de performance élevé. Ceci supposerait de s’inscrire dans un nombre limité d’étapes, organisées dans le temps dès le début, en privilégiant tout d’abord des travaux liés à l’isolation et à la ventilation, puis en traitant les interfaces de travaux entre les étapes, afin d’obtenir en bout de course des rénovations performantes.

En conclusion, nous avons face à nous des enjeux conséquents et un vrai virage à opérer sur la performance des rénovations. Nous voyons que le débat porte aujourd’hui essentiellement sur ce point et la manière dont l’État pourrait orienter les aides vers la rénovation globale plutôt que vers le financement de simples gestes de rénovation. C’est essentiel. De nombreuses collectivités ont depuis des années alloué des aides à la rénovation globale et l’on observe que ceci produit un véritable effet de levier et crée une capacité à orienter les rénovations de manière significative.

Il existe également un enjeu en termes d’information et d’accompagnement. En effet, les rénovations entreprises n’atteignent leurs objectifs que lorsqu’elles sont accompagnées. Il est difficile, notamment pour un particulier, de se saisir d’un programme de travaux et de se débrouiller seul pour mener à bien ce chantier. Cette démarche d’information et d’accompagnement, en cours de structuration, doit se poursuivre et être pérennisée. Ceci suppose un financement du service public pour le secteur résidentiel. Il est de même important d’accompagner les acteurs du tertiaire dans le cadre du dispositif « Éco énergie tertiaire », notamment le petit tertiaire privé, qui n’est aujourd’hui pas concerné par cette obligation mais représente un véritable enjeu pour la suite. Le dernier sujet concerne l’accompagnement de la filière, en vue d’accroître son attractivité et de poursuivre la montée en compétences de l’ensemble de ses professionnels, pour garantir la qualité des travaux et atteindre nos objectifs.

M. Franck Perraud, viceprésident de la Fédération française du bâtiment (FFB). – Mon intervention va s’articuler autour de trois points : un état des lieux incluant les mesures économiques, le rôle des entrepreneurs et enfin les axes de réflexion actuellement à l’œuvre au sein de la FFB.

La stratégie française bas carbone vise 700 000 rénovations par an. Nous en sommes aujourd’hui à 70 000 à 80 000 maximum. Il existe donc un écart important à combler. Nous estimons que la problématique centrale aujourd’hui est celle du retour sur investissement. J’ai beaucoup apprécié les propos invitant à associer rénovation énergétique et confort des occupants. Nous savons en effet que la réalisation de travaux peut être intrusive pour des particuliers. La question du coût est majeure. Plusieurs études montrent que le coût d’une rénovation oscille entre 40 000 et 70 000 euros par logement, pour un gain de l’ordre de 1 500‑1 600 euros par an sur la facture énergétique du ménage. Ainsi, MaPrimeRénov’, qui concerne les ménages les plus modestes, fonctionne surtout avec les bailleurs sociaux, qui y voient un effet d’aubaine, et assez peu dans le privé. Cet environnement économique me semble un élément important à prendre en considération, car il peut constituer un frein à la rénovation.

Plusieurs pistes sont envisageables pour tenter de remédier à cette situation. Peut‑être faudrait‑il par exemple mettre en place, en plus de MaPrimeRénov’, des crédits d’impôt à l’intention des ménages moins précaires. Il a aussi été question de la rénovation énergétique : nous sommes évidemment favorables à la rénovation globale, mais celle‑ci coûte très cher et l’idée d’un passeport en plusieurs étapes se succédant au fil des années serait intéressante, d’une part au niveau économique, d’autre part pour permettre aux ménages de programmer certains travaux de rénovation intérieure, particulièrement intrusifs.

Depuis 2007, il est demandé aux entreprises d’être prêtes et impliquées dans cette démarche de rénovation. Nous avons, depuis le Grenelle, formé beaucoup de RGE (Reconnu garant de l’environnement) et mis l’accent sur la sensibilisation à ces questions. Or force est de constater que le marché n’est malheureusement pas au rendez‑vous.

Il n’en demeure pas moins que nous avons continué à travailler sur l’attractivité de nos métiers. Notre secteur a, durant les périodes difficiles que nous avons traversées, créé beaucoup d’emplois et a su faire preuve de résilience pour conserver ses professionnels ou les orienter vers d’autres métiers. Nous savons que la production de logement neuf sera amenée à diminuer très fortement, aussi bien pour la maison individuelle que pour le logement collectif. Il est donc de notre devoir que d’accompagner les entreprises vers une montée en puissance sur le marché de la rénovation. Les entrepreneurs sont désormais conscients de la situation et de la nécessité de s’adapter à cette évolution. Ceci constitue un axe de travail majeur pour la FFB.

Nous communiquons beaucoup sur nos métiers, par le biais notamment de campagnes télévisées, et constatons aujourd’hui un vrai retour des jeunes vers le secteur du bâtiment. Nous n’avons jamais accueilli autant d’apprentis dans les centres de formation d’apprentis (CFA).

D’énormes progrès ont également été effectués depuis une dizaine d’années en matière de salaires, ce qui joue un rôle considérable dans le regain d’attractivité de nos métiers.

La Fédération française du bâtiment a pendant très longtemps travaillé en silos, chaque spécialité professionnelle ne connaissant pas réellement les autres. Nous avons décidé de changer cela et organisé des Assises des métiers, afin de projeter nos métiers à un horizon de dix ou quinze ans et favoriser les groupements d’entreprises, pour faire en sorte que les professionnels apprennent à travailler ensemble et puissent se réunir pour répondre aux projets de rénovation globale.

Nos métiers ont énormément évolué : le numérique et les nouvelles méthodes de production sont aujourd’hui totalement intégrés dans les entreprises. Les relevés pour les rénovations peuvent par exemple s’effectuer grâce à des scanners 3D. Ces techniques, qui sont en train d’être massifiées, intéressent et attirent notamment les jeunes vers nos métiers.

Les entreprises proactives, formées au label RGE, se trouvent malheureusement confrontées à un phénomène d’éco‑délinquance. Le développement du marché de la rénovation a créé un effet d’aubaine et de nombreuses entreprises de marketing direct, sans aucune connaissance de nos métiers, ont pris le pouvoir. La situation s’est légèrement améliorée, mais il faut savoir que lorsque nos organismes de qualification RGE attaquent un éco‑délinquant, la justice les contraint bien souvent à réintégrer l’entreprise concernée. Il faut vraiment une action forte des pouvoirs publics sur ce sujet. La presse se fait largement l’écho des agissements de ces éco‑délinquants, qui effectuent du travail de mauvaise qualité, voire ne terminent pas les chantiers, si bien que les gens hésitent à se lancer dans des travaux de rénovation. Il y a là un vrai combat collectif à mener.

Le dernier sujet sur lequel nous souhaiterions travailler avec vous est celui des copropriétés, au sein desquelles l’intérêt de la rénovation énergétique ne parvient pas à se diffuser. Je pense qu’il serait certainement bénéfique de mettre en place à leur attention une incitation fiscale, sous forme par exemple d’un crédit d’impôt. Peut‑être faudrait‑il également réfléchir avec le monde bancaire. Aujourd’hui en effet, il est possible d’obtenir un prêt pour l’acquisition d’un bâtiment neuf ; en revanche, un particulier achetant une passoire énergétique n’obtient que difficilement un prêt pour sa rénovation, car la banque considère bien souvent que son reste à vivre n’est pas suffisant. Il faudrait prendre en considération la diminution de la facture énergétique, qui peut varier de 1 à 10 entre une « passoire énergétique » et le même logement après rénovation. Il faudrait que le système bancaire n’accorde pas uniquement des prêts pour l’achat d’un logement, mais considère qu’une rénovation peut aussi permettre des retours sur investissement assez importants.

Nous sommes par ailleurs très présents sur la question des énergies renouvelables. Nous sommes ainsi en avance sur le Groupement des métiers du photovoltaïque (GMPV). Les industriels ont effectué d’énormes progrès dans ce domaine et ils nous aident. Contrairement à ce que j’ai entendu, les fournisseurs de fenêtres nous apprennent à mettre en œuvre leurs produits et nous aident à monter en compétences. Je pense en outre qu’il est important en matière de rénovation énergétique, comme ceci a été fait pour le neuf, d’associer des produits de construction biosourcés, car ce sont des éléments auxquels les jeunes générations notamment sont très sensibles.

Je souhaiterais aborder aussi la question de l’usage. Depuis 2020, toutes les entreprises de la FFB effectuant de la rénovation disposent d’un petit guide à l’attention des clients, afin de permettre à ceux‑ci d’apprendre le bon usage des dispositifs techniques installés chez eux (régler un thermostat, etc.). Il existe en effet des gestes simples pour optimiser l’usage de ces dispositifs et faire considérablement baisser la facture énergétique.

J’aimerais pour conclure souligner à nouveau la frustration ressentie par nos adhérents : depuis 2007, on accuse les entreprises de ne pas être prêtes, de ne pas être au rendez‑vous, alors qu’elles ont accompli des efforts considérables en ce sens, que les CFA sont pleins, que la filière est à nouveau attractive. Le problème est que le marché de la rénovation ne décolle pas. Il est toutefois évident que, dans les quinze ans à venir, une véritable révolution va s’opérer entre le neuf et la rénovation : les entreprises en sont conscientes et restent mobilisées pour répondre présentes le moment venu.

M. Emmanuel Normant, Association des industries des produits de construction (AIMCC), comité stratégique de filière des industries pour la construction, directeur du développement durable de SaintGobain. – Je travaille depuis vingt ans au sein du groupe Saint‑Gobain, où je suis directeur du développement durable, mais vais m’exprimer aujourd’hui au nom de l’AIMCC et du comité stratégique de filière des industries pour la construction.

Je voudrais tout d’abord rappeler quelques chiffres, afin de vous donner des ordres de grandeur. Le parc de bâtiments a consommé en 2019 un peu moins de 500 TWh pour le résidentiel (462 TWh) et un peu plus de 250 TWh pour le tertiaire, toutes énergies confondues. La rénovation de l’ensemble du parc au niveau équivalent BBC à l’horizon 2050 conduirait à une économie annuelle d’énergie située entre 400 et 500 TWh. Il faut savoir par ailleurs qu’en 2019, la production d’électricité des 58 réacteurs nucléaires français était de 380 TWH et que les importations de gaz naturel dépassaient 600 TWh, dont 125 provenant de Russie.

Le premier constat, partagé me semble‑t‑il par l’ensemble des intervenants, est qu’il est absolument essentiel d’accélérer la rénovation énergétique des bâtiments. Il ne faut pas croire que les solutions de décarbonation simple du chauffage sont susceptibles à elles seules de résoudre nos problèmes. On observe aujourd’hui un déploiement très rapide des solutions de type pompes à chaleur : ceci est très bien, mais largement insuffisant au regard des défis énergétiques auxquels nous sommes confrontés, d’autant qu’une pompe à chaleur installée dans un logement mal isolé sera inefficace et ne fonctionnera pas de manière correcte. Les associations de consommateurs font remonter de plus en plus de réclamations à ce sujet.

Il sera, par ailleurs, ainsi qu’en témoignent les chiffres que je viens de citer, impossible d’électrifier les usages autres que le bâtiment – je pense en premier lieu à la mobilité – sans un effort massif de rénovation. Je rappelle que le scénario central de RTE s’appuie sur 700 000 logements rénovés en profondeur : nous en sommes encore loin. Sachez par ailleurs que le fait d’isoler un million de combles de maisons permet d’économiser 7 TWh par an soit 2 ou 3 milliards d’euros, ce qui est, dans les deux cas, l’équivalent d’une tranche nucléaire.

Comment accélérer la démarche ? Où sont les blocages ? Comme cela a été souligné précédemment, les solutions techniques existent : nous savons dans la plupart des cas rénover un logement en profondeur, même s’il reste encore de nombreux travaux d’innovation à conduire. Un industriel comme Saint‑Gobain investit massivement dans la R&D de ce domaine, pour décarboner les solutions, réduire leur intensité en ressources, associer efficacité énergétique, économie circulaire, confort et bien‑être pour gérer les interfaçages et avoir une approche centrée sur les solutions. Il ne faut toutefois pas attendre que ces améliorations soient développées pour agir : il faut mettre en œuvre les solutions disponibles, en sachant que les industriels français investissent sur ce sujet. Je pense par exemple à Saint‑Gobain, dans son usine d’isolation à Chemillé.

Il est nécessaire pour cela de disposer d’une main‑d’œuvre qualifiée et en nombre. Je me fais l’écho de la FFB pour indiquer que nos artisans sont qualifiés : il ne faut pas s’imaginer que les quelques éco‑délinquants précédemment évoqués sont représentatifs de l’ensemble de la profession. Mais les artisans ont besoin de visibilité pour pouvoir continuer à recruter, être encore mieux qualifiés et investir en formation pour eux‑mêmes et leurs collaborateurs. Il est vrai qu’il est compliqué de consacrer du temps à la formation alors que le carnet de commandes est plein. Il faut que le jeu en vaille la chandelle. Nous avons, par ailleurs, le sentiment que les instabilités actuelles du système profitent plutôt aux opportunistes, ce qui ne permet pas de créer une filière de rénovation performante pérenne. Il faut bien évidemment avoir confiance dans les diagnostics et la qualité des travaux réalisés. Le DPE est un excellent outil de sensibilisation des ménages, sous réserve d’être correctement effectué. Il est d’autant plus important qu’il constitue le premier élément dont dispose un ménage pour évaluer la performance thermique de son bien. Le fait qu’il soit désormais opposable va renforcer sa fiabilité. Ce rôle sera également rempli par l’audit énergétique obligatoire à venir pour les logements F et G. L’accompagnateur rénovation doit lui aussi aider, en s’assurant toutefois d’avoir les mêmes niveaux de compétence et la même neutralité sur l’ensemble du territoire. Il y a donc là un fort besoin de référentiels communs de formation.

Nous sommes aussi très favorables au développement de méthodes de mesure in situ de la performance et sommes engagés aux côtés de l’Agence qualité construction du CSTB dans l’un des programmes majeurs sur le sujet, le projet SEREINE.

Il faut en outre avoir une approche ciblée : on ne doit pas traiter de la même façon différentes catégories de bâtiments.

Il convient ainsi, comme le soulignait Philippe Pelletier, d’agir sur les bâtiments publics. Je pense notamment ici aux 250 millions de m2 de bâtiments scolaires et de santé. Il convient de noter que ces travaux sont le plus souvent réplicables, ce qui est intéressant dans un contexte où il est question de massification. Je souhaiterais citer en particulier le programme concernant les campus universitaires, le PEEC 2030 (Plan d’efficacité énergétique des campus), qui doit conduire à une démarche de rénovation massive de nos universités. Il existe là un gisement de gains, de réplicabilité et d’accélération extrêmement important.

Pour le résidentiel diffus, la logique adoptée est celle de parcours types de rénovation. Pour qu’une rénovation de logement soit performante, il faut agir principalement sur six postes : les planchers bas, les toitures, les murs, les fenêtres, la ventilation, le chauffage et l’eau chaude sanitaire. Il est possible d’agir simultanément sur plusieurs de ces postes ou par étapes. Dans tous les cas, il faut que le parcours soit clairement défini, avec le bon niveau de performance, les accompagnateurs au niveau local, les tiers de confiance, les incitations, les dispositifs de financement du reste à charge. Sur ce point, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, les dispositifs de type « prêt à taux zéro » retrouvent tout leur sens. Il manque toutefois une vraie mobilisation des établissements bancaires. Je suis tout à fait d’accord avec le fait que le rôle des collectivités locales est absolument essentiel dans toute cette démarche : on n’agit pas de la même façon sur un bâtiment selon que l’on se trouve à Lille ou à Marseille. Un programme porté par le comité stratégique de filière va dans ce sens. Il en va de même avec l’intégration de la rénovation énergétique dans les dispositifs de type « cœur de ville ».

Pour le logement collectif, il s’agit d’articuler les travaux individuels et collectifs. Ceci peut passer par des dispositifs incitatifs, fiscaux notamment, mais je crois qu’il ne faut pas se bercer d’illusion : il faut être un peu plus coercitif, avec des DPE collectifs opposables, l’obligation d’utiliser le fonds travaux pour des travaux de rénovation des parties communes et des obligations de travaux lors des mutations.

Permettez‑moi, en conclusion, de dire un mot sur les dispositifs incitatifs : il faut très clairement orienter les incitations fiscales sur les parcours types de travaux et augmenter les primes lorsque les travaux s’inscrivent dans de tels parcours. Il convient par ailleurs selon moi de s’appuyer encore plus fortement sur les CEE, qui sont de magnifiques outils de redistribution des profits énergétiques vers la sobriété, tout particulièrement si les dispositifs actuels, qui sont exclusivement fondés sur l’énergie, sont complétés par une dimension carbone. Des augmentations des CEE ont eu lieu pour la cinquième période, qui est essentiellement un rattrapage de la quatrième, mais je pense que dans le contexte actuel, caractérisé par la question des énergies fossiles, on peut aller beaucoup plus loin.

Je terminerai comme j’ai commencé, par quelques ordres de grandeur chiffrés : MaPrimeRénov’ représente 2,5 milliards d’euros par an, le coût annuel des CEE est d’environ 5 milliards d’euros et le seul bouclier tarifaire coûte 44 milliards d’euros sur une année.

M. Pierre Henriet, député, rapporteur, président de l’Office. – Merci beaucoup. Avant de vous soumettre les questions posées par les internautes, dont certains sont parties prenantes de la filière, je laisse la parole au premier vice‑président Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur, premier viceprésident de l’Office. – L’effort de rénovation engagé nécessite continuité et stabilité. Le succès dépendra en effet de l’engagement des professionnels, de leurs compétences et de leur capacité à convaincre l’investisseur ou le locataire de la pertinence de l’investissement.

Des éléments très favorables émergent de ce débat. Ceci concerne tout d’abord le plan scientifique – je vous rappelle que nous sommes l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – et renvoie au fait que les solutions existent et sont connues. Ce que l’on connaît moins, en revanche, est le coût relatif des différentes mesures et leur impact. De ce point de vue, je crois que l’Office doit sans doute travailler sur une approche coût – résultat des différentes dispositions.

M. Pelletier dispose d’une expérience et d’une maîtrise du sujet qui lui font dire qu’il existe un bon équilibre entre le coercitif et l’incitatif. J’ai toutefois le sentiment qu’il faudrait, si l’on veut aller plus vite, que l’aspect coercitif commence en réalité par s’appliquer au secteur public pour être réellement convaincant. État et collectivités locales sont en effet d’immenses propriétaires, qui gèrent des centaines de milliers de m2. Le partenariat avec les universités, assez fréquent, devrait être exemplaire pour que nous, élus, soyons crédibles.

Vous avez évoqué, avec tact, l’éco‑délinquance. Je souhaiterais savoir si ce phénomène constitue vraiment un élément démobilisateur pour les particuliers.

M. Franck Perraud. – Je pense que les éco‑délinquants sont peu nombreux en pourcentage, mais font beaucoup parler d’eux. Ils ternissent ainsi l’image de la profession, ce qui peut constituer un frein et générer une crainte chez les gens qui envisagent de s’engager dans une rénovation.

Il est par ailleurs insupportable de constater qu’ils se voient retirer leur mention RGE, mais que les organismes de qualification sont ensuite obligés par les tribunaux à les réintégrer dans le dispositif. Nous avons besoin, sur ce point, que le gouvernement nous aide, afin que ces éco‑délinquants ne puissent pas revenir sur le marché. J’ajoute que le même problème risque de se poser avec MaPrimeAdapt’. Il faut vraiment que nous soyons très vigilants vis‑à‑vis de ce phénomène.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Merci pour vos propos très éclairants. Je suis persuadée, tout comme vous, que la publicité faite autour de ces prestations de mauvaise qualité effraie les gens et peut expliquer en partie le constat selon lequel le marché ne décolle pas. Quelles seraient vos propositions pour éviter cela ? Comment faire disparaître l’éco‑délinquance ?

M. Philippe Pelletier. – J’avancerai deux éléments de réponse. Je pense tout d’abord que le dispositif de rénovation à un euro a totalement déresponsabilisé le maître d’ouvrage. À partir du moment où l’on vient chez moi installer quelque chose sans que cela me coûte quoi que ce soit, de quoi ai‑je à me plaindre ? Dès lors que le système intègre une part de responsabilité financière, il est évident que le maître d’ouvrage devient plus attentif au déroulement du chantier.

Le deuxième aspect réside dans le développement de l’accompagnateur France Rénov, qui choisira ou aidera au choix de la bonne entreprise qualifiée, évitant ainsi le recours à des sociétés qui passent d’une thématique à une autre, au gré des aides disponibles.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Ma mère, qui a 85 ans, a été démarchée par l’une de ces sociétés et cela a été une catastrophe. Des produits isolants ont été laissés sur place et les travaux n’ont pas été effectués. Je pense que nombre de consommateurs ont vécu de telles expériences et portent un regard critique sur cette situation.

M. Philippe Pelletier. – Il ne faut pas généraliser. Tous les travaux à un euro n’ont pas donné lieu à de telles mésaventures. Ils ont, certes, permis ce type de déviance, mais il existe aussi des organisations tout à fait sérieuses, qui ont notamment réussi des campagnes d’isolation des combles efficaces.

M. Pierre Henriet, député, rapporteur, président de l’Office. – De mémoire, il existe des labels, des entreprises certifiées, ce qui permet aux consommateurs de s’y retrouver. Peut‑être faudrait‑il insister davantage sur cet aspect.

M. Franck Perraud. – On peut par exemple citer le label RGE, qui permet aux particuliers de bénéficier de MaPrimeRénov’. Ce label est délivré par trois organismes : Qualibat, Qualifelec et Qualit’EnR. Des contrôles ont été mis en place, qui fonctionnent plutôt bien. En revanche, il est aujourd’hui très difficile de retirer le label RGE à une entreprise, même en présence de preuves d’éco‑délinquance. La jurisprudence est telle que les organismes de qualification sont souvent obligés de réintégrer ces sociétés dans le label. Il faut donc agir sur ce point.

Je souscris, par ailleurs, aux propos de Philippe Pelletier et estime que les accompagnateurs vont en effet permettre de qualifier les entreprises, de vérifier qu’elles sont bien assurées, de s’assurer de celle qui va réaliser effectivement les travaux afin d’éviter les sous‑traitances en cascade. J’attire toutefois votre attention sur la nécessité de correctement former et qualifier les accompagnateurs, afin de ne pas retrouver dans ce domaine ce que l’on constate pour les DPE, où il peut arriver que l’on observe des écarts de deux classes entre des diagnostics effectués pour un même bien, selon l’organisme qui les réalise.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. – Merci à vous tous pour ce panel de présentations, qui couvre un spectre très large des thématiques de la rénovation thermique des bâtiments. Ce sujet est d’actualité. Ma collègue Olga Givernet et moi‑même allons d’ailleurs mener pour le compte de l’Office une étude sur la sobriété énergétique. Les meilleures économies sont réalisées lorsque l’on ne dépense pas et les rénovations thermiques des bâtiments revêtent aujourd’hui un caractère d’urgence dans le contexte international que nous connaissons.

J’ai quelques questions assez précises à vous soumettre. Je souhaiterais tout d’abord, concernant le sujet de l’éco‑délinquance, revenir sur la question des DPE que vient d’évoquer M. Perraud. Un article récent fait en effet état d’exemples dans lesquels on observe parfois deux classes d’écart. J’ai assisté personnellement à certains diagnostics, réalisés très rapidement, avec des outils dont on peut contester la fiabilité. Ceci est dramatique, car on a le sentiment qu’il n’est pas possible de se fier à cette mesure. De même, la rénovation à un euro est un leurre total, qui a consisté à promettre la lune à des personnes parfois en situation de grande précarité. Je trouve cela malsain et pense qu’il faut être vigilant à l’égard des mesures allant dans le sens d’une quasi gratuité. J’ai bien conscience qu’il ne faut pas généraliser, mais nous avons tous connaissance de quelques cas d’abus. Un gros effort doit être entrepris sur les outils de mesure.

Il en va de même pour les contrôles a posteriori évoqués par Mme Gracia. On vend aux propriétaires ou aux locataires un produit fini, avec la promesse d’une qualité thermique qui n’est pas toujours au rendez‑vous. Or le contrôle a posteriori est très important pour engranger de la confiance et permettre au marché de se développer, en effaçant plusieurs signaux aujourd’hui défavorables.

Je souhaiterais par ailleurs demander à M. Allard, qui a mentionné un faible taux de succès des programmes de recherche auprès de l’ANR par rapport à la valeur ajoutée de la filière, si la loi de programmation de la recherche (LPR) a un effet sur les taux de succès de l’ANR. Peut‑on mesurer des effets positifs, un an et demi après son entrée en vigueur ?

Merci à M. Normant d’avoir évoqué le gisement de rénovations et d’économies d’énergie extrêmement important que représentent les 18 millions de m2 des campus universitaires, construits pour la plupart dans les années 1980. Chacun a entendu parler de la récente déclaration de l’université de Strasbourg, qui a indiqué qu’elle allait fermer ses locaux pendant quinze jours supplémentaires cet hiver afin de réduire sa facture de chauffage. Cette annonce était en réalité plus un appel à l’aide qu’une véritable décision. Ceci est néanmoins significatif et les gestionnaires des campus universitaires se trouvent dans des situations extrêmement compliquées, avec d’importantes dépenses énergétiques contraintes, notamment pour les laboratoires.

Un mot à présent sur les obligations faites au parc locatif : j’ai, comme mes collègues parlementaires, assisté au débat sur les contraintes faites aux logements classés F et G. Il faut là aussi faire très attention, car cela concerne souvent des foyers en grande précarité. Que ce soit dans ma commune ou dans des localités voisines, nous avons tous en tête des exemples de petites maisons quasiment dépourvues d’isolation, sans moyen pour les foyers concernés de financer une rénovation globale.

Je souhaiterais, enfin, souligner un dernier point, assez peu abordé dans vos interventions : lorsque j’étais vice‑président de l’agglomération d’Angers Loire métropole, j’ai présidé une agence locale de l’énergie et du climat (ALEC) et la question de l’harmonisation et du pilotage national me tient particulièrement à cœur. Comme l’a indiqué M. Pelletier, si un particulier n’est pas accompagné, il ne sait pas comment procéder, ni par où commencer. Il doit donc pouvoir bénéficier d’un conseil neutre, indépendant. Je plaide pour ma part pour la mise en œuvre d’un service public de la rénovation énergétique. Je suis par exemple choqué que certaines ALEC soient aux mains d’associations militantes. Seriez‑vous favorable à la mise en œuvre d’un pilotage national de la rénovation thermique des bâtiments ?

M. Hendrik Davi, député. – Merci pour vos présentations. En tant que député marseillais, je suis particulièrement intéressé par ce sujet, mais n’étant pas du tout spécialiste du domaine, mes questions vont peut‑être vous sembler quelque peu hors de propos et je vous prie par avance de m’en excuser.

Ma première question concerne le secteur de la recherche et s’adresse donc plutôt à M. Francis Allard. J’ai toujours pensé que le financement par appels à projets n’était pas satisfaisant pour effectuer un vrai pilotage de la recherche. C’est la raison pour laquelle je suis partisan de la suppression de l’ANR et d’une révision des modes de financement. Nous en reparlerons dans un autre cadre. Je crois qu’il convient, si l’on entend piloter la recherche, de renforcer les établissements publics dont c’est le métier.

Nous venons de recevoir les bleus du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, qui comportent une dotation de 16 millions d’euros pour un budget global de 26 millions d’euros pour le CSTB. Une discussion concerne la cible de parts liées à la dotation et la partie partenariale. Vous êtes à 48 %, c’est‑à‑dire sous la cible de 50 %, ce qui, selon moi, pose problème. Nous allons bientôt pouvoir déposer des amendements au PLF. Ne serait‑il pas justifié, dans la mesure où votre budget, en termes de dotation de l’État, ne bouge pas entre 2022 et le PLF 2023, de l’augmenter, notamment pour faire face à la hausse des rémunérations de vos 900 salariés, sachant que la plupart des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) augmentent les salaires de 3,5 % ? Comme vous l’avez souligné, les solutions existent, mais nous avons besoin d’un EPIC bien doté pour qu’elles puissent être correctement mises en œuvre. Il faudrait que l’augmentation allouée permette non seulement de suivre l’inflation, mais de renforcer votre budget de façon significative.

Ceci me conduit à ma deuxième question. Il existe de nombreuses aides, notamment celles à un euro, auxquelles vous faisiez allusion. J’ai moi‑même été sollicité par un professionnel du bâtiment lors d’une réunion à Marseille, qui m’a indiqué qu’il n’y avait plus suffisamment d’aides pour la rénovation des fenêtres, alors que nombre de ses clients percevaient en revanche des aides pour s’équiper de climatiseurs. Je n’ai pas vérifié ses propos, mais espère qu’ils sont faux et que l’on n’aide pas les Marseillais à se doter de climatiseurs plutôt que de fenêtres. Ceci montre en tout état de cause que le foisonnement des dispositifs crée beaucoup d’incompréhension. Je pense qu’il est nécessaire de disposer d’un pilotage plus clair, d’un service public pour guider tout cela et donner confiance aux gens. J’ignore quel impact global ont les scandales survenus dans le cadre des rénovations à un euro, mais je sais que de nombreux citoyens ont renoncé à mobiliser ces aides, qu’ils perçoivent comme des arnaques.

Quid de la construction bois ? Comment la développer ? Elle me semble en effet pouvoir jouer un rôle dans ce domaine.

Mon dernier point portera sur la systématisation des diagnostics. Je pense qu’il faut fonctionner quartier par quartier. Comment aider les villes à systématiser les diagnostics, qu’ils soient de rénovation thermique ou de structure ? Il est d’ailleurs parfaitement possible de coupler ces deux types de diagnostics et de faire d’une pierre deux coups, en améliorant à la fois la structure du bâtiment et sa performance énergétique.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – L’un d’entre vous a évoqué le coût de la rénovation pour les particuliers en maison individuelle et les nombreuses années nécessaires pour amortir l’investissement. Comment concilier ces deux aspects et faire en sorte que les ménages puissent effectuer ces dépenses ?

Je souhaiterais ensuite évoquer sous un autre angle le sujet du DPE, abordé précédemment par Stéphane Piednoir. Non seulement on constate des écarts entre les DPE, mais il semblerait, si l’on en croit les articles parus dans les revues de consommateurs, que les personnes qui entreprennent une rénovation énergétique coûteuse – de l’ordre de 20 000, 30 000 ou 40 000 euros – pour pouvoir louer ou habiter leur bien se retrouvent systématiquement avec un DPE final sans aucune amélioration par rapport au DPE initial. Comment inciter les gens à rénover si cela coûte très cher et ne permet pas d’améliorer le DPE ?

M. Lionel RoyerPerreaut, député. – Ma question concerne la rénovation énergétique dans les périmètres classés. Nous avons en effet dans nos communes des espaces ou des bâtiments classés, avec des périmètres protégés. Or lorsque l’on nous incite à effectuer dans ces espaces des travaux de rénovation énergétique, que ce soit sur les planchers ou les façades par exemple, nous sommes soumis aux contraintes et aux avis quasi discrétionnaires émis par les architectes des Bâtiments de France, dont les décisions varient d’un territoire à l’autre. J’ajoute qu’en fonction des observations formulées, les coûts sont évidemment très différents. Ceci peut donc, notamment dans les villes très anciennes ou ayant un patrimoine remarquable, constituer un frein au développement de politiques ambitieuses en matière de rénovation énergétique. Je souhaiterais connaître votre point de vue à ce sujet.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Vous avez mentionné, M. Pelletier, le fait que les élus locaux pourraient servir d’exemples. Or ce me semble déjà être le cas. Nous, sénateurs, allons très souvent à la rencontre d’élus locaux et partageons leurs projets. Je puis témoigner notamment du fait que dans un département très rural comme le Lot, les élus investissent beaucoup dans la rénovation des écoles ; mais la faiblesse de leurs budgets les freine, même si un subventionnement est apporté en matière de rénovation énergétique. Ils sont en butte aux mêmes problématiques que celles évoquées précédemment à propos du privé et mettent par ailleurs en avant les réalisations effectuées auprès de leurs concitoyens, en inaugurant par exemple les bâtiments rénovés. Ils ont à cœur d’agir en ce sens, dans la mesure où leurs budgets le leur permettent.

M. Pierre Henriet, député, rapporteur, président de l’Office. – Mon propos s’inscrit dans le prolongement de l’intervention de Mme Procaccia sur l’existence de situations de rénovation parfois aberrantes. Ne faudrait‑il pas utiliser un autre mot que « rénover » pour classer et encadrer des travaux n’apportant pas d’amélioration en termes de DPE ? Peut‑être pourrait‑on inventer une échelle permettant de mesurer quantitativement les améliorations liées aux travaux effectués ?

J’aimerais, dans le même ordre d’idée, avoir des informations détaillées sur la manière de mesurer avec rigueur les performances énergétiques des travaux de rénovation et savoir comment éviter les décalages entre les performances réelles du bâtiment et les performances théoriques annoncées.

En outre, je relaie auprès de vous la question très pertinente posée par un internaute, M. Robert Menras, président du syndicat des fabricants d’isolants en couches minces, qui évoque notamment le fait que la majorité des bâtiments sont isolés avec des matériaux épais, fibreux et sensibles aux infiltrations d’air. M. Menras demande s’il ne serait pas intéressant d’envisager l’utilisation d’isolants minces, présentant un certain potentiel de performance. Ceci rejoint notamment les interrogations plus générales sur les objectifs de recherche relatifs à ces sujets. Pouvez‑vous nous éclairer sur ce point ?

M. Francis Allard. – Il me semble trop tôt pour juger des effets de la LPR. Je rejoins en revanche le propos de M. Davi, car j’ai connu au cours de ma carrière de chercheur de grands mouvements de balancier en termes de financement de la recherche. Au début de ma carrière, au CNRS, les laboratoires travaillaient avec des dotations récurrentes pour leurs travaux de recherche. À la fin de ma carrière, au cours de laquelle j’ai notamment créé et développé un laboratoire pendant 18 ans, j’avais plus le sentiment d’être chercheur d’or que chercheur. Je pense que ces évolutions sont totalement néfastes au maintien de communautés scientifiques performantes, quelles que soient les disciplines concernées. Sans être aussi radical que vous au sujet de l’ANR, je constate que les grands appels à projets consolident les communautés de recherche importantes. Or, dans notre domaine, la granulométrie, y compris de la loi de programmation, ne parvient en général pas à ce niveau. Le financement des travaux du CNRS se faisait souvent au travers d’actions de recherche coordonnées ou d’actions thématiques programmées, qui permettaient finalement de soutenir des communautés de recherche dans des domaines jugés essentiels. Certaines de ces actions concernaient le bâtiment. Or tout ceci a disparu. Je pense qu’il faudrait revenir à des financements plus équilibrés entre les dotations directes aux équipes, que nous avons connues par le passé, et les grands appels à projets qui prévalent aujourd’hui, avec toutefois des taux de réussite faibles, que ce soit au niveau de l’ANR ou à l’échelle européenne. La situation est très difficile pour les petites communautés scientifiques, qui n’ont pas accès à ces projets, mais sont pourtant essentielles au regard des enjeux actuels. On observe ainsi aujourd’hui une diminution drastique des équipes travaillant en France sur nos sujets, car les chercheurs – mécaniciens des fluides, thermiciens, économistes, sociologues, etc. – vont ailleurs, où l’herbe est plus verte, et se consacrent à d’autres thématiques que celles du bâtiment.

D’importants travaux de recherche ont été menés sur les isolants, permettant de réduire les épaisseurs. Ceci est essentiel notamment en milieu urbain : vouloir ajouter une couche d’isolant de 10 cm à l’intérieur d’un logement parisien n’est pas un bon calcul. Diverses solutions ont ainsi été travaillées, autour par exemple du développement d’isolants sous vide ou de l’intégration de gels de silice, qui ont des performances intéressantes, peuvent être utilisés soit en projection, soit en panneaux, et sont d’une épaisseur jusqu’à dix fois inférieure aux isolants classiques. Sans doute y a‑t‑il de bonnes idées à creuser dans ce domaine. La solution n’est certainement pas unique. Il faut proposer des palettes de possibilités. Les chercheurs doivent travailler en ce sens. Ensuite, le passage d’une preuve de concept à un produit nécessite que des industriels prennent le relais.

Des solutions existent, en nombre, mais j’insiste sur le fait qu’il ne faudrait pas assujettir le lancement d’une grande opération nationale de rénovation à l’aboutissement des travaux des chercheurs, qui ne sont, par définition, jamais achevés.

J’éprouve une grande satisfaction à voir émerger des solutions qui ont été travaillées dans les laboratoires voici 25 ou 30 ans et sont aujourd’hui à la disposition des professionnels. Il faut que ce travail et cette dynamique se poursuivent, de sorte que la recherche continue à proposer des solutions techniques et méthodologiques pour les décennies à venir. Je pense que nous avons aujourd’hui suffisamment d’outils pour entreprendre des rénovations de très bonne qualité sans attendre de disposer des techniques qui ne seront au point que dans plusieurs années.

La France est aujourd’hui considérée comme l’un des pays d’Europe qui investit le plus dans la rénovation. Le taux de couverture des investissements publics y est, me semble‑t‑il, d’environ 14 % des coûts de rénovation, ce qui nous place dans le peloton de tête. Un rapport européen que je lisais récemment mettait toutefois l’accent sur l’absence de contrôle de la performance à l’issue des rénovations. L’évaluation in fine est une démarche normale pour un scientifique ; je pense que ceci est absolument nécessaire si l’on veut réussir une rénovation globale et éviter les problèmes que vous mentionniez.

M. Philippe Pelletier. – Je souhaiterais répondre tout d’abord à Mme Préville. Je n’ai évidemment pas voulu suggérer une quelconque inaction des élus locaux, mais simplement souligner deux éléments.

Tout d’abord, je pense que la rénovation des logements a besoin d’un effet d’entraînement de la part non seulement de l’État au plan national, mais aussi de ses relais dans les territoires que sont les élus locaux. Je crois que nous avons besoin de ce relais pour inspirer de la confiance et inciter les gens à rénover leurs biens.

Ma deuxième idée concernait la rénovation des écoles. Notre pays compte 48 950 écoles. Certaines réalisations sont tout à fait heureuses. Je veux simplement faire allusion à un rapport que nous avons réalisé avec la Caisse des dépôts voici quelques années, dans lequel nous nous étions interrogés sur la rénovation du parc immobilier éducatif, des écoles, et avions alors réuni une quarantaine d’élus locaux afin d’essayer de comprendre les raisons de leurs difficultés à passer à l’acte. Nous nous étions alors aperçus que la question du financement était loin d’être leur préoccupation première. Comme les ménages, les élus des petites communes ont avant tout des difficultés d’ingénierie : ils ne savent pas par où commencer, comment procéder pour que la rénovation de l’école puisse être effectuée alors que les mois d’été pendant lesquels l’établissement est vacant sont insuffisants pour assurer une rénovation sérieuse, à quelle entreprise s’adresser, s’il faut ou non recourir à une assistance à maîtrise d’ouvrage, etc. Toutes ces questions ordinaires arrivaient avant les aspects de financement. Il faut par conséquent que l’État mobilise les élus locaux en les accompagnant, en les aidant dans leurs décisions.

Mme Procaccia a formulé une double question, sur le coût et sur le DPE. J’exerce des fonctions chez un bailleur social d’Ile‑de‑France, qui effectue des rénovations énergétiques lourdes, dont le coût par logement est d’environ 50 000 euros. Nous en profitons pour refaire les pièces humides (cuisine, salle d’eau, toilettes) et parfois créer un balcon. Cette somme investie change la vie des locataires, écrase radicalement leur niveau de charges locatives et leur permet de consacrer l’argent économisé à d’autres postes. 5 millions de logements sont ainsi traités, avec des dépenses de ce niveau.

Pour le reste, il faut savoir que les aides portées sur les maisons individuelles couvrent 80 % de la dépense lorsque l’on groupe l’ensemble des dispositifs – nationaux, intercommunaux, régionaux, des agences, ou autres. On peut donc réaliser ces opérations même si le coût en est élevé, dans la mesure où il existe une aide puissante et consolidée.

Concernant les copropriétés, où le sujet est plus compliqué, je préside depuis des années des jurys chargés de remettre des prix à des copropriétés vertueuses, qui se sont transformées. L’expérience révèle que ces ensembles concernent le plus souvent des gens aux ressources tout à fait moyennes, qui ont réussi à mobiliser les aides disponibles pour mener à bien des rénovations globales. Ainsi, bien que le coût soit important, l’accès aux financements disponibles permet cette réalisation.

Il demeure une lacune, précédemment exposée par deux intervenants, qui tient au fait que les banques françaises ne sont pas au rendez‑vous de la rénovation énergétique des bâtiments. Nous nous heurtons à cette difficulté depuis longtemps, car l’industrialisation de la distribution des crédits est assez contradictoire avec le travail un peu plus sur‑mesure que constitue une rénovation énergétique, et les exigences de Bâle III, notamment sur les fonds propres qu’il faut mobiliser, rendent le sujet compliqué pour les banques, qui considèrent qu’elles ne sont pas en première ligne. Nous aurons pourtant besoin d’un puissant soutien bancaire, surtout le jour où les aides d’État se concentreront sur les populations les plus fragiles.

Concernant le DPE, j’avais indiqué en 2018, sans succès, qu’il était trop tôt pour rendre le DPE opposable dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi Elan, dans la mesure où la transformation de ce diagnostic n’était pas encore avérée. Nous nous trouvons donc dans la situation, fort bien décrite par Emmanuel Normant, d’un outil en mutation, dans lequel des ajustements doivent être effectués. Il est donc compliqué, pendant cette période, d’avoir un outil opposable. Je trouve que l’on est allé un peu vite en besogne en matière d’opposabilité, mais je partage toutefois l’espoir, exprimé par M. Normant, que les ajustements nécessaires aboutiront rapidement.

Reste à résoudre la question des diagnostiqueurs qui, sur le territoire, sont multicartes et effectuent les mesures, vérifient la présence ou l’absence de plomb, d’insectes xylophages, l’électricité, le gaz et la performance énergétique. Je dois avouer que nous n’avons pas trouvé aujourd’hui de meilleure solution que de leur confier cet outil. En effet, si nous voulons que le diagnostic puisse être effectué sur l’ensemble du territoire et soit très peu coûteux – de l’ordre d’une centaine d’euros, ce qui est le cas aujourd’hui –, il n’y a pas d’autres opérateurs que ceux‑ci. L’idée de faire appel aux bureaux d’études thermiques n’est pas envisageable, dans la mesure où leur coût n’est pas de 100 euros, mais plutôt de 1 500 euros, et où ils ne souhaitent pas intervenir à plus de 30 km de leur siège, ce qui signifie que la couverture de l’ensemble du territoire français ne serait pas assurée. Nous n’avons donc pas d’autre solution en l’état que de faire confiance à ces diagnostiqueurs, sauf à inventer une application informatique à la disposition de chacun, qui règlerait le sujet. Il faut par conséquent aider ces personnes à se former. On a d’ailleurs observé, au cours des années passées, une augmentation des prérequis pour devenir diagnostiqueur.

La réponse que je vous apporte est en demi‑teinte, puisque l’outil est en train de s’améliorer et que ceux qui le servent sont par nature des personnes ayant une connaissance moyenne de l’ensemble des sujets qu’on leur demande de traiter, à la manière d’un couteau suisse qui fait beaucoup de choses, mais les fait moyennement.

Mme Marie Gracia. – Ma réponse concerne également le DPE. Je pense important de rappeler ce pour quoi cet outil a été imaginé au départ et de mettre ceci en regard du poids que l’on fait aujourd’hui peser sur lui. Il s’agit à la base d’un outil d’information et de sensibilisation des ménages, qui devait être largement déployé pour que chacun puisse avoir facilement une idée de la situation de son logement, voire de son bâtiment, puisque ceci existe aussi pour le tertiaire, même s’il n’est pas concerné par la réforme. La première étape a consisté à faire évoluer le DPE pour le renforcer, le fiabiliser, ce qui est normal. Mais on y adosse désormais énormément d’éléments de contrainte réglementaires et d’aides financières. Est‑ce le bon outil pour cela ? En effet, s’il présente un coût plus modeste qu’un audit énergétique complet et est donc susceptible d’être largement diffusé, il n’est qu’un outil simplifié d’évaluation thermique du bâtiment, d’où les écarts parfois constatés d’un diagnostic à l’autre, en plus des problèmes de méthode de qualification des diagnostiqueurs. Ceci conduit parfois à des surprises lorsqu’un nouveau DPE est réalisé après des travaux de rénovation. En effet, la méthode s’appuie sur des choix parfois éloignés de la réalité physique des réalisations, d’où il résulte que l’on ne retrouve pas nécessairement dans le résultat du diagnostic la traduction des travaux de rénovation entrepris. Ceci amène à se demander si le DPE doit rester le pivot central de notre politique de rénovation énergétique, choix qui prévaut actuellement, avec les problèmes que l’on connaît.

La mesure de la performance après travaux est aujourd’hui peu courante. Ce serait pourtant un vrai levier, qui obligerait l’ensemble des acteurs intervenant sur le projet à se mettre en ordre de marche pour que les travaux atteignent l’objectif fixé. Nos labels n’obligent pas à une mesure de la performance réelle, mais nous demandons en revanche que soit effectué un test d’étanchéité à l’air, qui a un coût modeste et oblige à regarder si l’isolation fonctionne ou pas et à apporter les correctifs nécessaires s’il existe un écart trop important entre les résultats du test et les attentes. Le projet SEREINE a également été cité, qui propose une méthode pour simplifier à terme l’évaluation de la performance ; il mérite d’être regardé et certainement déployé assez largement.

Dans tous les cas, ce qui permet in fine d’atteindre réellement les résultats escomptés dans le cadre de projets engagés par des particuliers (lesquels ne sont pas, par définition, des maîtres d’ouvrage professionnels) réside essentiellement dans la notion d’accompagnement. Ceci pose à nouveau la question de la qualification et de la formation des accompagnateurs, dont on doit s’assurer qu’ils remplissent correctement leurs tâches jusqu’au bout. Des recherches et de nombreux retours d’expérience ont concerné depuis une dizaine d’années des projets accompagnés notamment par les collectivités, lorsque l’accompagnement est conséquent, débute dès la phase préalable aux travaux, avec la formulation de préconisations techniques, une aide au choix des entreprises, le montage financier du dossier, et se poursuit durant les travaux et jusqu’à la réception : les tests effectués a posteriori montrent que ce type d’accompagnement permet d’obtenir des résultats très cohérents par rapport à ce qui avait été projeté. Ceci témoigne du rôle essentiel de l’accompagnement des ménages et, de façon générale, des maîtres d’ouvrage.

Ceci me permet de reboucler avec la question du service public, précédemment évoquée. Le service public est inscrit dans les textes législatifs depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte et a subi depuis lors beaucoup d’évolutions. Il a été monté sur la base d’un certain nombre de structures associatives, dont les ALEC, qui ont permis que ce service public existe. Il est aujourd’hui dans une phase de transition, puisque son pilotage national a été basculé de l’Ademe vers l’Anah à compter de l’année dernière, sous le nom de France Rénov’. Une question se pose toutefois quant au modèle adopté et à ce que l’on entend lui faire porter. Ce service public est aujourd’hui co‑financé au travers des certificats d’économies d’énergie et des collectivités territoriales, qui abondent au moins pour 50 %, souvent plus. La pérennité du financement n’est toutefois pas assurée, ce qui ne permet pas de le déployer à la hauteur de ce qu’il devrait être, ni d’embaucher et de former les conseillers de façon optimale. Se pose périodiquement la question de l’avenir de ce système, du devenir et de la rémunération des quelque 1 400 conseillers répartis sur le territoire. Il existe un réel besoin de stabilité dans le temps. Il importe également d’assumer véritablement le fait d’avoir inscrit l’existence de ce service public dans la loi, en lui allouant les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.

Nous menons depuis trois ans une expérimentation sur la rénovation énergétique performante des bâtiments et espaces patrimoniaux, dans toute leur ampleur et leur diversité. Les premiers résultats montrent que des solutions existent, bien que souvent plus complexes à mettre en œuvre que pour les bâtiments classiques et avec un coût inhérent à leur faible développement actuel. Une grande partie de la solution viendra de la capacité à faire dialoguer le monde de la thermique avec celui du patrimoine, qui ont aujourd’hui tendance à s’ignorer gentiment, ce qui conduit à des réglementations qui exemptent généralement tout sujet de rénovation des bâtiments patrimoniaux, alors que ceci apparaît pourtant comme une nécessité pour être à terme au rendez‑vous que nous nous sommes fixé. Je me tiens à votre disposition pour en discuter et vous présenter ces résultats plus en détail si vous le souhaitez.

M. Emmanuel Normant. – Je souhaiterais tout d’abord réagir sur la question des « aides aux fenêtres » par rapport aux pompes à chaleur éventuellement réversibles, pour indiquer que le constat est malheureusement exact : les aides au remplacement des fenêtres ont fortement baissé ces dernières années, alors que les aides au changement de l’installation de chauffage ont fortement augmenté, ce qui crée un déséquilibre.

Concernant les isolants minces et les solutions biosourcées ou autres, je pense que l’important est d’être neutre technologiquement dans la manière dont on aborde les sujets, notamment d’isolation, mais plus globalement de bâtiment. Il existe une multitude de possibilités et il n’y a pas lieu de favoriser a priori une solution technique par rapport à une autre. Il faut s’appuyer sur des analyses de cycle de vie, des déclarations de performance, des mesures de la performance après réalisation des travaux. In fine, le bouquet des solutions doit rester le plus large possible, car la réalité du bâtiment en France est extrêmement diverse.

M. Franck Perraud. – Il me semble que l’important réside dans la stabilisation des dispositifs, afin de permettre à la profession de s’organiser et d’éviter les mouvements de balancier.

Il a été peu question du confort d’été. C’est pourtant une dimension importante de la vie quotidienne, dont le coût est faible, et qu’il conviendrait de mettre davantage en avant dans la politique de rénovation. Des gains énergétiques considérables peuvent être réalisés dans ce cadre.

L’une des questions concernait la place à donner au bois. Il apparaît que tous les produits biosourcés ont de plus en plus de place dans l’axe de la construction. Ceci entraîne d’ailleurs une véritable révolution dans les métiers du bâtiment, car ceci implique de travailler sur de nouveaux supports.

M. Royer‑Perreaut évoquait la rénovation du patrimoine et des périmètres protégés, ainsi que les difficultés éventuellement rencontrées dans les relations avec les architectes des Bâtiments de France, qui freinent certaines actions de rénovation ou l’implantation d’énergies renouvelables. Nous avons de nombreux retours du terrain à ce sujet et je pense qu’il serait opportun d’alléger les contraintes et peut‑être de mettre en place une commission paritaire afin que les ABF ne soient pas seuls à prendre les décisions.

M. Gérard Longuet, sénateur, rapporteur, premier viceprésident de l’Office. – Il existe dans chaque ville des secteurs protégés et il faut que le maire, en concertation avec les habitants du périmètre, prenne l’initiative d’un travail collectif. Je pense que les élus locaux ont un rôle à jouer de ce point de vue, afin de regrouper des gens qui partagent les mêmes préoccupations.

M. Lionel RoyerPerreaut. – J’ai été pendant longtemps président d’un bailleur social, qui gérait des logements dans un secteur protégé de Marseille : s’engager dans une politique de rénovation énergétique était extrêmement difficile. Acheter un bâtiment, y entreprendre des travaux de rénovation et vouloir y créer du logement social n’est pas envisageable. Il s’avère en effet impossible de trouver les équilibres économiques permettant de mener à bien un tel projet. Ce sujet se pose à nous car les demandes qui nous sont adressées par les architectes des Bâtiments de France font exploser les coûts pour respecter l’environnement – ce qui peut au demeurant se comprendre – et sont antinomiques avec l’équilibre économique sous‑tendant toute opération de création de logement social. Deux politiques publiques se confrontent : l’une visant à développer le logement social, ce qui répond à un besoin dans notre pays, à plus forte raison dans la deuxième ville de France, l’autre ayant pour objet la rénovation énergétique des bâtiments patrimoniaux, avec toutes les contraintes que ceci suppose. Ce peut être un frein puissant à la production de logements sociaux notamment dans les cœurs de ville anciens, situés dans des périmètres protégés.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, viceprésidente de l’Office. – Je souhaiterais vous poser une dernière question à propos de la laine de verre. J’ai retrouvé, en préparant cette réunion, un article paru dans Les Échos en 2019, intitulé « La Cour de cassation révèle un “Isolgate” ». L’arrêt que commente cet article indique que plusieurs documents « établissent qu’en conditions normales d’utilisation de l’époque, sans joint, sans membrane et sans écran de sous‑toiture, les produits IBR d’une épaisseur de 200 mm ont une efficacité thermique réduite », pouvant être jusqu’à 75 % plus faible que la performance affichée. Ceci avait d’ailleurs conduit Saint‑Gobain à indiquer qu’ils ne pouvaient plus rester sur une solution classique de type IBR. Ma question est la suivante : depuis 2019, les artisans qui ont posé de la laine de verre ont‑ils été correctement informés qu’ils ne devaient pas continuer à procéder comme ils le faisaient auparavant afin de ne pas perdre une grande partie de l’efficacité ? La pratique a‑t‑elle changé depuis cet arrêt de la Cour de cassation ?

M. Emmanuel Normant. – Il faut savoir que l’on n’installait déjà plus, en 2019, la laine de verre comme cela est indiqué dans l’article que vous citez, lequel décrit en fait une réalité vieille de 20 ou 30 ans.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Je pense que nous sommes tous plus ou moins d’accord sur l’importance de vérifier après coup l’efficacité des travaux réalisés. Est‑ce très coûteux ? Ceci nécessite‑t‑il l’utilisation de caméras infrarouges ? Ne serait‑il pas utile que France Rénov dispose d’une équipe de techniciens assurant spécifiquement ce service, de façon totalement indépendante des entreprises réalisant les travaux, afin d’établir clairement si la rénovation a véritablement servi à quelque chose ? Visiblement, ceci n’existe pas.

M. Hervé Charrue. – Les thermographies infrarouges donnent simplement une indication des différences de température entre les zones soumises à examen, mais pas leur température exacte. Ces caméras permettent toutefois de démontrer, par exemple, l’absence d’isolant. Des organisations sont, par ailleurs, en train d’émerger des projets CEE SEREINE, qui sont une forme de calorimétrie inverse permettant de mesurer la performance du bâtiment à la livraison, avec une charge thermique dont on voit comment elle se dissipe dans le bâtiment. Le temps nécessaire à un tel essai a été ramené à une journée. Ceci procède d’un partenariat que nous avons noué avec les différents acteurs académiques, Saint‑Gobain et l’École des Mines. La mesure de la performance est un sujet qu’il faudra financer. La question rejoint ainsi la problématique initiale du coût. En l’absence d’accompagnement, le projet n’a pas d’objectif, si bien qu’il est difficile de mesurer quoi que ce soit. Si l’on a en revanche réussi à mettre en place une gestion de projet permettant d’identifier pour chacun des acteurs la dépense qu’il va réaliser pour obtenir un niveau de performance attendu, le sujet prend tout son sens dans la mesure où il devient possible de vérifier si la performance a été obtenue ou non. Aujourd’hui, le coût affiché est généralement le coût global de la rénovation. Imaginons que vous rénoviez la toiture de votre maison : ceci suppose d’installer un échafaudage tout autour du bâtiment, de remplacer les tuiles, de changer ou d’installer des isolants. Dans ce cas, seul l’isolant sera, dans le montant total de la rénovation, susceptible de donner droit à des aides. Pourtant, sans échafaudage, il aurait été impossible de poser les isolants. La question est de savoir s’il faut aller plus loin et prendre en compte le coût global ou seulement celui du produit isolant.

Je pense, par ailleurs, comme je l’indiquais en introduction, qu’il faudrait réfléchir à ces problématiques de rénovation à l’échelle européenne, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent. Les financements représentent des montants très importants. Si on les fait supporter par les seuls individus, le retour sur investissement est très faible, comme ceci a été souligné à plusieurs reprises : il faut plusieurs décennies pour amortir les sommes investies. J’avais, pour ma part, poussé au niveau européen, dans les années 2008‑2010, l’idée que les États nations accompagnent et financent eux‑mêmes ces rénovations et qu’un loyer soit ensuite payé par ceux qui en ont bénéficié, calculé sur la moitié de l’économie effectuée. Dans ce système, l’État récupérait tout ce qu’il avait investi à la mutation. Jean‑Yves Le Déaut avait repris cette idée sous le terme de « viager énergétique », formule que je trouvais pour ma part assez peu enthousiasmante.

Le sujet éternellement oublié est celui des externalités : les personnes qui vivent dans des bâtiments énergétiquement précaires sont aussi celles qui génèrent le plus de dépenses de santé publique. 19 milliards d’euros sont dépensés chaque année pour la qualité de l’air intérieur, évaluée par rapport à six polluants seulement. Il faut appréhender une situation dans sa globalité, ne pas se pencher uniquement sur le volet énergétique, mais considérer aussi les dimensions sanitaires et de confort. La rénovation énergétique d’une barre d’immeuble grâce à une isolation par l’extérieur peut sembler intéressante, car ceci est également gage d’une meilleure performance acoustique ; mais c’est compter sans la réémergence, la plupart du temps, des bruits intérieurs, qui ne sont désormais plus couverts par les bruits urbains environnants, ce qui crée un vrai problème social. Ceci plaide en faveur d’une vision globale, permettant de montrer que des économies significatives peuvent être réalisées par l’État, notamment en termes de santé publique, et qu’un autre mode de financement est possible.

Je suis enfin assez inquiet que l’on n’ait pas abordé l’idée, promue par l’Ademe, de se doter d’une vision industrielle définissant les types de solutions que l’on va promouvoir à une échelle réellement industrielle. Il n’existe aujourd’hui aucun acteur français de la ventilation ayant une dimension comparable à celle des acteurs internationaux que l’on peut rencontrer au Japon, en Corée ou aux États‑Unis. Ce sont uniquement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) : la France ne dispose pas de très grands groupes sur ces sujets. De multiples solutions techniques ont été développées, que nous avons contribué à évaluer en recherche. Il n’est pas normal qu’aucune décision n’ait été prise. On aurait par exemple pu décider qu’une pompe à chaleur haute température pour la rénovation d’un bâtiment haussmannien ne devait pas, pour bénéficier des aides, avoir un prix d’achat supérieur à 8 000 euros. Il y a quelques années, une pompe de ce type coûtait près de 20 000 euros. Ceci témoigne d’un vrai problème à la fois de solutions industrielles qui n’ont pas été définies et d’accompagnement. Je pense que la logique européenne nous imposera, étant donné les enjeux énergétiques actuels et à venir, de réfléchir à une révision de cette problématique de rénovation et de ne pas considérer seulement les solutions à l’échelle française.

M. Pierre Henriet, député, rapporteur, président de l’Office. – Il a été largement question ce matin de vision globale à la fois sur la programmation de la rénovation et sur les conséquences des rénovations énergétiques des bâtiments. Je vous remercie de nous avoir éclairés sur ces sujets, qui vont être l’occasion, au cours des semaines à venir, de nombreux échanges au Parlement. Je précise que l’Office continuera bien évidemment à s’intéresser à cette problématique. Un grand merci encore pour votre présence ce matin.

 

La réunion est close à 12 h 10.

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

 

Réunion du jeudi 6 octobre 2022 à 9 h 30

Députés

Présents. - M. Hendrik Davi, Mme Olga Givernet, M. Pierre Henriet

Excusé. - M. Philippe Bolo

Présent hors membre. - M. Lionel Royer-Perreaut

Sénateurs

Présents. - M. Gérard Longuet, M. Stéphane Piednoir, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia

Excusés. - Mme Sonia de la Provôté, Mme Michelle Meunier

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