Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I. Échange de vues avec la commission des Affaires européennes du Bundestag sur l’élargissement et la réforme des institutions de l’Union

II. Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) : examen du rapport d’information portant observations (Mme Louise MOREL, rapporteure d’information)


 

Mercredi
10 mai 2023

13 h 30

Compte rendu n o 34

Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
Puis de
M. Charles Sitzenstuhl, Vice-Président
 


 

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 10 mai 2023

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,

 

 

La séance est ouverte à 13 heures 33.

 

I.            Échange de vues avec la commission des Affaires européennes du Bundestag sur l’élargissement et la réforme des institutions de l’Union

 

M. le Président Anton Hofreiter. La commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale et la commission des Affaires européennes du Bundestag ont convenu de traiter de l’élargissement de l’Union européenne et des réformes des institutions européennes.

En cette époque difficile, nous devons prendre en compte le fait que les pays souhaitant rejoindre l’Union européenne, notamment les six pays des Balkans occidentaux ainsi que plus récemment l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, attendent depuis trop longtemps. L’Union européenne représente un intérêt géostratégique majeur. La Russie, la Chine et en partie la Turquie s’ingèrent de manière problématique et nous souhaitons soutenir la stabilité et la sécurité régionales. Cette procédure d’élargissement doit regagner en crédibilité et nous devons davantage la fonder sur le mérite, au regard des réformes menées par chaque État.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je suis particulièrement heureux d’ouvrir cette réunion commune de nos deux commissions. Nous sommes aujourd’hui le 10 mai, au lendemain de la journée de l’Europe et je crois au sens politique de la tenue de notre réunion conjointe aujourd’hui. Dans la construction européenne, la France et l’Allemagne ont toujours été des partenaires décisifs, sans qui rien ne peut se passer et rien ne peut avancer en Europe. Le moteur franco-allemand a permis d’engranger de nombreux succès depuis plusieurs décennies, à commencer par la paix et la prospérité qui me semblent essentielles en ce temps où la guerre est revenue sur notre continent. L’Ukraine se bat avec beaucoup de courage pour son indépendance, sa souveraineté mais aussi pour nos valeurs européennes.

Cette réunion est, évidemment, toujours l’occasion de célébrer notre amitié commune mais aussi l’occasion de réfléchir à ce que l’Allemagne et la France pourraient faire ensemble à l’avenir. Dans cette perspective, Anton Hofreiter et moi avons choisi d’organiser nos échanges autour de deux thèmes, l’élargissement de l’Europe et la réforme des institutions.

L’Europe, au cours de son histoire, a toujours fait face au choix difficile entre élargissement et approfondissement. Faut-il une Europe plus intégrée ou faut-il l’élargir à de nouveaux États membres au risque de la rendre moins facile à gouverner, voire de la paralyser ? En passant de six membres, en 1957, à vingt-sept aujourd’hui, avec notamment treize pays supplémentaires depuis 2004, l’Europe s’est considérablement élargie. Aujourd’hui, l’Union européenne fait face à la perspective d’une nouvelle vague d’adhésion. Je pense aux Balkans occidentaux mais aussi à l’Ukraine et à la Moldavie, des pays marqués par l’expérience récente et actuelle de la guerre. Là encore, l’Europe est un horizon de paix et de prospérité et je crois que notre Europe doit être fidèle aux sacrifices des Ukrainiens en se tenant prête à recevoir, dans les meilleures conditions, les pays qui ont vocation à rejoindre notre famille européenne. Nous devons les accueillir dans une maison européenne en ordre, rénovée, avec une architecture institutionnelle adaptée.

Pour que nos échanges soient aussi dynamiques que possible, nous avons prévu d’alterner les prises de parole côté français et côté allemand par groupe de deux députés.

M. Josip Juratović (SPD). La perspective de candidature des Balkans occidentaux pour rejoindre l’Union européenne date de nombreuses années. S’il y a eu des développements majeurs en Macédoine du Nord, des blocages persistent. Il est donc important que la France et l’Allemagne, en tant que pilier de l’Union européenne, travaillent conjointement. Notre réponse à ces candidatures souligne notre crédibilité face à d’autres pays tels que l’Ukraine et la Moldavie. À quel point la France, l’Allemagne et d’autres États membres de l’Union européenne doivent-ils agir pour parler ensemble de la démocratie et de notre communauté de valeurs et les faire vivre dans la région ?

M. Gunther Krichbaum (CDU). L’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les réformes institutionnelles sont des sujets étroitement liés. Nous devons, en effet, préparer nos institutions à l’élargissement. Les procédures d’adhésion ne sont plus adaptées. Il importe, par conséquent, de maintenir cette motivation dans les pays et de les accompagner dans la voie de l’adhésion à l’Union européenne. Aussi, la Communauté politique européenne proposée par Emmanuel Macron pourrait devenir un véritable projet franco-allemand.

Toutefois, la perspective d’une adhésion complète doit être maintenue et nous avons besoin d’étapes intermédiaires qui incitent les pays à continuer dans cette trajectoire. Une délégation d’un État des Balkans occidentaux pourrait, par exemple, disposer d’un statut d’observateur au Parlement européen ou au Conseil européen. Ce serait également une réponse géopolitique claire à la Chine, à la Turquie et éventuellement à la Russie.

Mme Brigitte Klinkert (RE). Vous l’avez dit, l’invasion de la Russie en Ukraine, l’influence russe sur ses voisins, la Chine étant également devenue un acteur majeur, nous conduisent à de profonds changements géopolitiques. Nous sommes, ainsi, appelés à agir ensemble pour défendre nos valeurs communes, l’État de droit et la démocratie. Quelle Europe souhaitons-nous demain ? Nous devons penser, en franco-allemand, à l’orientation que nous voulons donner aux structures et aux institutions de l’Union pour garantir la paix et la liberté aux générations futures.

Parler de l’Europe de demain est, effectivement, parler de l’élargissement de l’Union européenne. Le couple franco-allemand a considérablement contribué à cette construction ces soixante dernières années. C’est aujourd’hui à nous, parlementaires français et allemands, de continuer à avancer ensemble pour la construction européenne.

Dans les Balkans, la mémoire des conflits reste très présente. J’ai pu constater combien le miracle franco-allemand, à savoir notre réconciliation et notre forte coopération, est un exemple en Bosnie-Herzégovine et en Moldavie. J’y ai également observé un profond désir d’Europe, les citoyens de cette région sont engagés et souhaitent se tourner vers l’Union européenne. Les Balkans, l’Ukraine et la Moldavie, qui font face à de nombreux défis, méritent tout notre soutien.

Le sujet de l’élargissement fera, par ailleurs, l’objet d’un débat d’actualité lors de la prochaine session de l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui se tiendra à Strasbourg, le 22 mai prochain.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Le débat sur l’élargissement est effectivement important. Ce débat qui, d’ailleurs, a profondément changé de nature depuis la guerre en Ukraine, doit être envisagé avec deux postures. D’une part, nous devons être très ambitieux puisque l’unité de l’Europe passe nécessairement par l’intégration des derniers États européens qui souhaiteraient rejoindre l’Union européenne dans les prochaines années. D’autre part, on a notamment vécu, dans les années 2000, des débats extrêmement difficiles à ce sujet. Ainsi, nous devons être prudents et tirer des leçons d’élargissements précédents qui ont parfois été considérés comme précipités ou mal compris par nos concitoyens. Nous devons tenir cet équilibre.

M. Boris Mijatović (Bündnis 90/Die Grünen). Nous, députés, devons accompagner ce processus d’élargissement. Les parlements nationaux en Europe se réjouissent de cet échange. La situation des pays candidats est très différente de la nôtre. Nous devons soutenir les parlementaires dans cette région et les accompagner dans ce processus afin qu’ils soient capables d’œuvrer en faveur de la construction d’infrastructures notamment. Les parlements sur place ont besoin de notre soutien.

En outre, une mission particulière sera prochainement menée dans le Nord du Kosovo. Il importe, dans ce cadre, de s’interroger sur la sécurité dans la région des Balkans et, de fait, sur les opérations menées par nos forces armées. Par ailleurs, nous devons offrir des possibilités de transformation à la Macédoine du Nord et à la Géorgie en matière de transition énergétique.

Enfin, l’itinérance serait un progrès considérable pour l’Union européenne.

Mme Nicole Westig (FDP). Depuis l’agression russe, le processus d’élargissement pour certains pays des Balkans occidentaux a connu une nouvelle dynamique, non seulement pour la Macédoine de Nord, qui se développe, mais également pour le Kosovo et la Serbie. Nous constatons des progrès et devons maintenir notre engagement. Tout cela est un succès pour l’Union européenne.

Les partenaires et les compétiteurs, notamment la Chine, montrent, toutefois, beaucoup d’intérêt pour la région, ce qui se traduit notamment par l’initiative de la Route de la soie. Si l’Union européenne ne développe pas de perspective, nous courons le risque que ces pays pivotent vers la puissance chinoise. Quel est votre point de vue sur les différentes perspectives d’adhésion dans les pays des Balkans occidentaux ? Y a-t-il encore un travail à faire du côté de l’Union européenne ou sa sphère d’influence est-elle d’ores et déjà garantie ?

M. Benjamin Haddad (RE). La guerre d’agression que la Russie mène contre l’Ukraine rappelle que nous devons nous investir davantage auprès de notre voisinage direct. Elle nous rappelle l’importance d’entretenir ces processus d’élargissement avec les Balkans occidentaux, avec l’Ukraine, avec la Moldavie, avec la Géorgie. Il nous faudra trouver l’équilibre entre une perspective claire, crédible d’élargissement et la capacité de ces pays à être effectivement prêts pour une adhésion. C’est un enjeu pour nos valeurs, un enjeu pour notre continent ou, encore, un enjeu géopolitique quand on voit les tentatives d’influence de régimes autoritaires tels que la Chine ou la Russie dans cette région. Il faudra aussi nous donner les moyens de réformer parallèlement nos institutions pour qu’elles soient prêtes à de tels élargissements qui posent des défis institutionnels majeurs pour la prise de décision au sein de l’Union européenne.

Un accompagnement de ce processus réside dans la Communauté politique européenne qui réunit 44 États de notre continent. Je veux  réaffirmer que nous ne la considérons pas comme une alternative à l’élargissement mais comme un forum politique dans lequel les États peuvent échanger et développer des projets de coopération concrète. Charge à nous de réfléchir désormais à ces projets concrets de coopération.

M. Harald Weyel (AfD). Je veux partager avec vous ce que j’ai vu de mes voyages dans les Balkans et en Géorgie, et notamment en tant qu’observateur des élections en Bulgarie. Cela constituerait un grand avantage pour l’Union européenne, peut-être même plus que pour ces pays, qu’ils nous rejoignent. Je me rappelle les paroles de Che Guevara dans le contexte de la guerre au Vietnam selon lesquelles la Communauté européenne n’aurait pas besoin d’un deuxième pays comme la Hongrie ; je dirais au contraire que l’UE a besoin d’un, deux, trois, quatre pays comme la Hongrie.

M. Andrej Hunko (Die Linke). Y a-t-il un débat à l’Assemblée nationale concernant les questions importantes que sont l’élargissement de l’Union ou la CPE ? Cette dernière est, en effet, d’abord un projet du Président Macron. On sait qu’il y a eu des débats critiques dans l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La CPE ne constitue-t-elle pas un doublon ? Est-elle appelée à durer ? Quelle est la position de l’Assemblée nationale à cet égard, en particulier de l’opposition, de la NUPES ? Idem, en ce qui concerne la question de l’adhésion de la Macédoine du Nord : quelles sont les différentes positions en France ?

M. le Président Anton Hofreiter. Je souhaiterais également connaitre l’état d’avancement du débat sur l’élargissement dans votre pays.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Sur la nature du débat en France s’agissant des élargissements, ma perception, schématique, est la suivante : le débat autour des Balkans est assez faible. Il n’y a quasiment aucune discussion dans le débat public général autour de l’élargissement aux Balkans et ce débat reste confiné, pour le moment, à des cercles diplomatiques ou universitaires. La question qui a été beaucoup plus remarquée par nos concitoyens est celle de l’adhésion de l’Ukraine du fait de la guerre et de la demande formelle formulée par l’État ukrainien d’adhérer à l’Union européenne. À titre personnel, je serai assez prudent sur le fait de savoir quelle sera réellement, le moment venu, la réaction des compatriotes français quant à l’adhésion de l’Ukraine. Je peux, par exemple, souligner que dans un milieu très important en France et en Allemagne, qui est le milieu agricole, l’adhésion d’un pays agricole aussi important que l’Ukraine posera beaucoup de questions du point de vue de l’organisation des marchés et de la production de céréales.

Je terminerai par une remarque relative aux élections en Turquie. Si l’issue de ces élections devait être le retour au pouvoir d’un gouvernement plus ouvert à l’Europe, il ne faudra, pour autant, absolument pas rouvrir le débat de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Cela provoquerait des réactions extrêmement négatives de la part des opinions publiques. Coopérer, oui, mais ne pas rouvrir cette question.

M. Benjamin Haddad (RE). J’appuie ce qui vient d’être dit sur la Turquie.
Il s’agit d’un pays partenaire de l’Union mais une large majorité des opinions publiques dans les pays de l’Union européenne sont opposées à son adhésion. Charge à nous de réfléchir à des alternatives et à un partenariat renforcé avec la Turquie.

Sur les Balkans, je regrette aussi que le débat n’ait pas plus lieu, tant ici à l’Assemblée nationale que dans le débat public français. Il y a un manque d’expertise sur le sujet. Sur la position de la France sur cette question : la France était initialement opposée à l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, non pas par opposition à ces pays mais pour provoquer une réforme de la méthodologie de l’élargissement de l’Union. Je pense que cette réflexion était nécessaire et salutaire : notre Union a besoin de continuer à s’élargir mais on voit, avec les reculs sur le plan de l’état de droit de pays candidats comme la Serbie ou la Turquie, qu’il était nécessaire d’avoir une réflexion sur l’efficacité de cette méthodologie, de ce processus d’élargissement. Depuis la réforme, la France a levé son opposition et même joué un rôle important lors de la PFUE pour dissiper l’opposition de la Bulgarie et renforcer le dialogue entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. Il est heureux que ces deux pays soient aujourd’hui reconnus comme des candidats à l’adhésion. Il est important de ne pas perdre ce lien avec la Macédoine du Nord qui a fait des efforts importants, non seulement en termes de réformes institutionnelles mais aussi avec l’accord de Prespa.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je veux souligner, pour répondre plus largement à votre question, que la position de la France a évolué sur la question des Balkans sous l’effet du contexte géopolitique : la manière d’appréhender cette région du continent européen doit tenir compte des tentatives de mainmise de puissances extra‑européennes qui, à moyen terme, feraient courir le risque de fragmentation de l’espace européen. La position française est beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’était auparavant. En France, le débat n’est pas extrêmement vif sur cette question et se concentre très largement sur l’Ukraine et, par corrélation, la Moldavie puisque le statut de pays candidat leur a été octroyé au même moment. L’attention se porte désormais sur l’ouverture éventuelle de négociations d’adhésion sous présidence espagnole, avant que nous ne rentrions dans ce temps politique qui sera celui des élections européennes. Si l’on veut être fidèle à cette promesse que nous faisons aux Ukrainiens et aux Moldaves – mais c’est aussi valable pour les États des Balkans – il faut que l’on soit capable de mettre notre maison en ordre : des réformes institutionnelles et de fonctionnement majeures se posent. Un exemple de cette nécessité est la décision de la Pologne, il y a quelques semaines, de fermer le passage aux céréales ukrainiennes pour faire valoir ses intérêts – alors même que c’est pourtant l’un des États les plus allants sur le soutien à l’Ukraine. Nous devrons donc être capables de repenser nos grandes politiques historiques : cohésion, PAC, fonctionnement du marché unique, etc. Sans cela, ces élargissements seront des échecs. Les conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe doivent servir de bases à ces réflexions.

M. Johannes Schraps (SPD). Pour compléter la discussion sur l’adhésion des États des Balkans occidentaux à l’Union européenne, je souhaiterais aborder les perspectives d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie. Nous devons soutenir l’Ukraine, ensemble, sur les plans financiers, économique et militaire. Il est inacceptable que des pays ayant opté pour la démocratie soient opprimés par des régimes autoritaires. Il est important que les perspectives d’adhésion, notamment de la Moldavie et de l’Ukraine qui ont désormais un statut de candidat, soient crédibles. Nous devons faire tout notre possible pour soutenir les réformes dans ces pays et pour éviter de donner l’impression que l’octroi du statut de candidat n’est qu’un signal politique, sans actions concrètes.

Je rejoins les propos de mon collègue Andrej Hunko sur le scepticisme initial, au Bundestag, vis-à-vis de la CPE. Nous pouvions craindre une Europe à deux vitesses, avec la création d’un cercle de discussion sans véritable agenda. Ce scepticisme ne prévaut plus car nous avons compris la plus-value de ces échanges personnels et directs. En tant que parlementaires, nous devons participer à la CPE pour qu’elle ne soit pas réservée aux gouvernements. C’est un bon signal que le prochain sommet de la CPE soit organisé à Chișinău, en Moldavie.

M. Gunther Krichbaum (CDU/CSU). Je perçois le potentiel de la Communauté politique européenne, que nous n’exploitons pas encore pleinement. Il convient toutefois d’éviter un débat sans issue. Nous devons veiller, en tant que parlementaires, à ce que la CPE devienne un véritable projet franco-allemand. La CPE doit accueillir les pays qui ne veulent ou ne peuvent pas devenir membres de l’Union européenne. Cela permet à des pays qui ne veulent pas devenir membres, tels que la Suisse, la Norvège, le Royaume-Uni et le Liechtenstein, de coopérer avec des États qui n’ont pas encore la possibilité de rejoindre l’Union. Nous devons travailler sur la procédure d’adhésion des pays qui ne peuvent pas rejoindre l’Union afin de ne pas les perdre.

Je mets en garde sur le fait qu’il ne faut pas créer d’attentes trop importantes vis-à-vis de l’Ukraine. La voie de l’adhésion est longue et difficile, à moins de changer les traités. Une révision des traités permettrait de créer une voie rapide d’adhésion à l’Union européenne. La dernière révision a duré près de dix ans, or les États concernés ne disposent pas d’un tel temps.

M. Michael Georg Link (FDP). Comme l’a évoqué en introduction le Président Pieyre‑Alexandre Anglade, il existe un lien étroit entre les deux sujets : l’élargissement n’est possible que si nous menons des réformes institutionnelles. Ce débat n’a pas été populaire en France pendant très longtemps, puisque la France était plutôt opposée à l’élargissement. Il y a eu un travail de sensibilisation dans les deux sens : la France nous a sensibilisés sur l’Afrique, tandis que nous avons sensibilisé la France sur les Balkans occidentaux, une région qui est au centre de l’Europe. Nous ne devons pas oublier cette région, en particulier dans le cadre de la rivalité systémique avec la Chine. Nous devons progresser pour faire face aux menaces qui émanent des dictatures contre lesquelles nous luttons – notamment face à l’ingérence et l’influence russe.

Je félicite l’Assemblée nationale pour sa résolution, adoptée hier, classant le groupe Wagner comme organisation terroriste à l’initiative de notre collègue Benjamin Haddad. C’est un pas extrêmement important, sur lequel nous pouvons joindre nos forces afin que l’Union européenne fasse de même.

M. le Président Anton Hofreiter. Nous arrivons à la fin de ce premier point de l’ordre du jour : une coopération étroite sur la question de l’élargissement entre la France et l’Allemagne demeure cruciale.

Je remercie tout particulièrement la France pour son engagement en faveur de l’élargissement. En effet, nous sommes confrontés aujourd’hui à une rivalité croissante entre dictature et démocratie : guerre en Ukraine, relation difficile avec la Chine et menaces envers Taïwan. L’Union européenne doit pouvoir avancer unie. Jusqu’ici l’Europe a réussi, mieux que ne le prédisaient certains, en ce qui concerne les sanctions contre la Russie ou le soutien à l’Ukraine.

Cette coopération étroite ne doit pas concerner uniquement les gouvernements français et allemand mais également nos deux parlements. Nous devrions renforcer davantage nos échanges pour des échanges plus personnels. En ce sens, il faudra trouver une date pour permettre une réunion physique entre nos deux commissions. Toutefois la pandémie nous a appris à organiser des réunions en ligne ce qui permet des rencontres plus régulières.

Le processus d’élargissement doit avancer étape par étape afin d’obtenir des résultats concrets plus rapidement. En effet, ce processus ne doit pas être trop long. Les pays qui participent à la zone d’itinérance observent les progrès sur leurs marchés économiques sans que l’intégration ne soit pour demain. Toutefois, ils peuvent déjà observer des changements positifs.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Avant d’introduire le second point de l’ordre du jour, je souhaite revenir sur les propos de Michael Link sur l’inscription du groupe Wagner en tant que groupe terroriste. En effet, l’Assemblée nationale a bien voté, hier, une proposition de résolution en ce sens, sur l’initiative du député Benjamin Haddad, membre du parti Renaissance, présent aujourd’hui dans notre commission. Cette étape est essentielle car vouée à entraîner d’autres initiatives. Ce matin, nos amis Britanniques ont annoncé placer Wagner sur la liste des organisations terroristes. Il est important que l’ensemble des États membres de l’Union européenne aille dans le même sens pour agir contre cette milice, qui va au-delà d’une simple milice, car, par son entreprise violente, elle déstabilise profondément les pays africains dans lesquels elle est présente. La brutalité de ses actions est visible, en Ukraine, tout particulièrement, à Bakhmout.

Concernant le second thème de nos échanges, celui de la réforme des institutions de l’Union, il s’agit d’un vieux serpent de mer des questions européennes : nous entendons depuis plusieurs années des appels à renforcer la place du Parlement européen, à préserver les prérogatives des États membres au sein du Conseil, ou encore à ménager une place suffisante pour les parlements nationaux.

Nous avons désormais une base solide sur laquelle nous appuyer pour porter cette réforme : la conférence sur l’avenir de l’Europe.

Nous avons, pour la première fois dans notre histoire commune, un document de 49 recommandations, cosigné par des citoyens de toute l’Union européenne, des représentants de la société civile, de toutes les institutions européennes et des parlements nationaux. Nous avons également un Parlement européen ambitieux, qui va proposer dans les semaines à venir une résolution appelant à constituer une convention pour traduire dans les traités européens les conclusions portées par nos concitoyens.

La conférence apporte une réponse au défi démocratique d’abord, en proposant le renforcement de la place des citoyens ou de leurs représentants dans le schéma institutionnel : je pense par exemple à la possibilité d’organiser un référendum à l’échelle européenne ou à l’octroi au Parlement européen d’un droit d’initiative législative.

Les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe donnent ensuite à l’Union des pistes pour rendre plus souple son processus de décision, de manière à agir de manière plus rapide et efficace dans un contexte géopolitique marqué par les crises. Nous avons vu dernièrement au Conseil les limites de l’unanimité dans certains domaines, par exemple sur la transposition de l’accord de taxation minimale des multinationales. Le passage à la majorité qualifiée doit éviter le grippage de la machine européenne dans un moment où nos concitoyens attendent une réaction rapide et protectrice de l’Union.

Depuis 2009, le traité de Lisbonne régit l’Union européenne à l’instar de la conférence sur l’avenir de l’Union européenne qui a rendu ses conclusions il y a un an. Il faut vraiment envisager, sans tabou sans totem, la réforme des traités pour passer d’une Europe de la coopération à une Europe de la puissance. Je me dois de souligner les évolutions essentielles qui ont été celles de l’Allemagne ces dernières années concernant notamment l’édiction de listes transnationales ou la fin de l’unanimité en matière de politique étrangère qui nous manquait tant en particulier vis-à-vis de la Chine.

Je donne maintenant la parole à Anton Hofreiter pour qu’il introduise à son tour ce thème.

M. le Président Anton Hofreiter. Je vous remercie. Il est certain que des réformes sont nécessaires et que nous devons prendre nos décisions moins souvent à l’unanimité, tout en respectant les intérêts d’États membres plus petits tels que l’Estonie, pays qui comprend seulement 1,4 million d’habitants. Sans droit de vote dans tous les domaines, ces États membres s’inquiètent de ne pas voir leur avis respecté. Il faut trouver un équilibre entre le vote à la majorité qualifiée et les petits États membres car ceux-ci ne renonceront pas à leur droit de véto sans le respect de cet équilibre.

Si certains États membres, comme la Hongrie, ont freiné le processus de mise en place de sanctions vis-à-vis de la Russie, cela n’a pas empêché l’Europe de présenter aujourd’hui un onzième paquet de sanctions, alors même que le processus avait été vivement critiqué. Les deux thèmes de nos débats d’aujourd’hui sont liés : l’élargissement et la capacité à réformer l’Union européenne doivent aller de pair. En effet, les nouveaux États membres ne devront pas bloquer les réformes à venir. Toutefois, les États membres les plus réticents aux réformes dans le passé manifestent aujourd’hui une volonté de réformer. Il faut se saisir de l’élan porté par l’élargissement pour réformer.

Je suis également en faveur d’une voie médiane entre le vote à la majorité qualifiée et le vote à l’unanimité. Il est possible de faire de nouvelles propositions, si le Monténégro, par exemple, adhère à l’Union européenne, il peut également s’engager à ne pas utiliser son droit de véto pour un temps déterminé. Si nous posons les conditions de l’accord en ces termes : soit une absence d’adhésion avec un droit de veto, soit une adhésion sans droit de véto, je pense que le Monténégro choisira l’adhésion sans droit de véto. Il faut être créatif et faire preuve d’initiatives face aux défis stratégiques auxquels nous sommes confrontés, qu’il s’agissent des relations diplomatiques avec la Russie, la Chine ou le changement climatique.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Cette discussion sur l’avenir des institutions a lieu à une date importante pour l’Europe, puisque, hier, le 9 mai, votre chancelier, Olaf Scholz, a fait un discours important, devant le Parlement européen, à Strasbourg. Il s’agit certainement de son discours le plus important sur l’Europe depuis celui de Prague. J’ai relevé, avec joie, qu’il avait évoqué la question des prises de décisions au sein de l’Union européenne. Je considère qu’avant un grand big bang institutionnel, il faut auparavant se pencher sur le processus de décision, ce qui touche bien entendu à la règle du vote à la majorité qualifiée ou à l’unanimité. Le chancelier Olaf Scholz a indiqué qu’il était favorable à ce que l’Union européenne adopte la règle de la majorité qualifiée en matière de politique étrangère, mais surtout en matière de politique fiscale. Je considère, et nous sommes nombreux en France à considérer que l’Union gagnerait beaucoup à ce que nous passions à un vote à la majorité qualifiée. Cette règle nous aurait permis, en 2018 – je m’adresse en particulier aux collègues de la CDU et du SPD, alors aux affaires lors de la dernière grande coalition, – d’aboutir à la réussite de ce magnifique projet : la taxation des géants du numérique, plus connue sous le nom de taxe GAFA, ce qui aurait été très utile aux citoyens européens. Avançons donc sur la question du vote à la majorité qualifiée, en commençant par la fiscalité, sujet ô combien important.

M. Vincent Seitlinger (LR). Nous nous retrouvons aujourd’hui, non sans beaucoup d’émotion, pour débattre, au lendemain de la célébration de la journée de l’Europe. Robert Schuman souhaitait une Europe des personnes, une Europe populaire. Or, force est de constater, qu’aujourd’hui l’Europe paraît trop éloignée, trop technocratique, pas passez proche des citoyens. L’Europe doit prendre en compte les désirs des citoyens ainsi que leurs besoins quotidiens. Dans ma circonscription ou dans celle de Brigitte Klinkert, Charles Sitzenstuhl ou Louise Morel, nous avons des problématiques frontalières car nombre de nos concitoyens travaillent en Allemagne. Or, en matière de santé, d’emploi, l’harmonisation reste relative. L’enjeu des réformes réside dans le fait que le système institutionnel européen prenne en compte ces problématiques très concrètes pour être au plus près de nos concitoyens. Cela peut prendre la forme de la création d’un référendum à l’échelle européenne tel qu’évoqué par le président Anglade, ou d’un renforcement des pouvoirs du Parlement européen, avec évidemment un Parlement européen dont le siège se trouve à Strasbourg. Second enjeu, la question fiscale reste corrélée aux problématiques budgétaires liées à l’augmentation des taux d’intérêt. Nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir des États membres qui attirent des sièges sociaux ou des emplois par des politiques fiscales accommodantes au détriment des autres États membres. La cohérence fiscale est un enjeu essentiel comme l’a très justement rappelé notre collègue Charles Sitzenstuhl.

M. Axel Schäfer (SPD). Je vais citer un extrait du discours d’Olaf Sholz devant le Parlement européen, à Strasbourg. « Je salue la volonté du Parlement européen de proposer des réformes institutionnelles qui le concernent également. Je ferai un plaidoyer auprès du Conseil européen pour que ces réformes en faveur de la politique étrangère ou de la fiscalité aboutissent. Je serai reconnaissant au parlement de largement soutenir ce plaidoyer. La légitimité européenne n’est pas issue de l’unanimité mais du consensus, des alliances qui nous qualifient en tant que démocrates, de la recherche de compromis qui respectent les minorités. Cela correspond à la définition que nous avons de la démocratie. » Certains députés allemands, de différents groupes parlementaires, ont accueilli ce discours avec des réserves. Pour la première fois, depuis fort longtemps, un chef de gouvernement allemand, le chancelier, a abordé, la question des réformes institutionnelles et pas uniquement les questions de gouvernance. Il a été très clair et a évoqué la nécessité d’un soutien du Parlement européen. C’est pourquoi les résultats de la conférence sur l’avenir de l’Europe sont importants : 12 États membres ont indiqué ne pas être en faveur d’un vote à la majorité qualifiée. Sur ce point, je me réjouis de voir que nos collègues français partagent le même point de vue.

M. Gunther Krichbaum (CDU). Ce que Detlef Seif et Olaf Scholz n’ont pas en commun, c’est la passion. C’est justement pourquoi le parti Les Verts et notamment les députés Verts en Allemagne, ont détruit le discours d’Olaf Scholz. Vous devez résoudre ce problème au sein de la coalition.

Concernant les réformes institutionnelles, l’aspect de la compétitivité est un point oublié. Nous ne parlons pas suffisamment de la compétitivité. Comment la France, l’Allemagne et l’Europe, peuvent être suffisamment préparés à l’avenir afin de financer ce que nous voulons financer en Europe. Il faut ajouter que l’Union européenne n’a pas de compétences de réglementation dans ce domaine cependant toutes ces choses que nous voulons faire, doivent être financés. Nous avons besoin de finances stables un euro stable et enfin notamment, une économie compétitive.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. La volonté à penser l’Europe de demain est absolument centrale dans ce que porte l’Allemagne en Europe. C’est ce que l’on attend de capitales importantes comme Paris et Berlin. La prise en compte d’un changement d’époque ainsi que de la gestion des crises telles que l’Union les envisageait par le passé, n’est plus d’actualité. Il faut au contraire travailler afin d’empêcher les prochaines, construire les outils et les mécanismes qui doivent nous permettre d’être plus résilients, indépendants et plus réactifs dans ces moments de crise.

La réforme institutionnelle de notre Union est centrale si nous voulons être capables de répondre à une forme de distance qui se crée entre les citoyens européens et les institutions européennes. Elle est absolument majeure, si nous voulons être présents au rendez-vous de la promesse que l’on a faite à celles et ceux qui frappent aux portes de l’Union européenne. J’insiste sur ce point car je crois que le débat d’aujourd’hui entre nos deux commissions est majeur, les deux ne vont pas l’un sans l’autre. Il n’y aura pas d’approfondissement et de renforcement de notre Union sans une réforme institutionnelle poussée, et cela passe par le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée. De la manière dont la Commission européenne fonctionne, il est difficile d’imaginer une Europe à 35 avec autant de commissaires. Cela passe également par le droit d’initiative législative du Parlement européen qui doit avoir la possibilité de proposer ses propres textes et un renforcement des compétences du Parlement européen en matière budgétaire. Tout cela doit aller de pair et je me félicite que l’Allemagne à travers le discours du chancelier hier, ait fait le choix d’être un moteur de ces changements importants en Europe.

Mme Chantal Kopf (Bündnis 90/Die Grünen). Je suis très heureuse de ce débat d’aujourd’hui. À l’assemblée parlementaire franco-allemande, au sein d’un groupe de travail, nous discutons beaucoup de sujets de politiques européennes. Au niveau gouvernemental, il y a également un groupe de travail d’experts et je pense que c’est très important que la France et l’Allemagne aillent dans la même direction, afin de mettre en œuvre des propositions pour les réformes institutionnelles de l’Union européenne.

Permettez-moi à l’occasion de souligner ce que vient de dire le président Hofreiter. Nous sommes en faveur de « l’élargissement » pour maintes raisons mais nous voulons aussi une réforme des institutions européennes. Pour nous, ce sont des processus qui doivent aller de pair. Ainsi, j’aimerais savoir quel est le point de vue des collègues français sur la question suivante : est-ce qu’un échec dans le domaine de la réforme institutionnelle serait également un échec de « l’élargissement » ?

Deuxièmement, le Bundestag a soutenu le projet de listes transnationales pour les prochaines élections européennes. J’aimerais savoir de votre côté comment vous voyez cette réforme. Est-ce que vous avez espoir qu’il y ait des progrès sous la présidence espagnole concernant le droit électoral européen ?

M. Michael Georg Link (FDP). Chers collègues, chers amis, je reviens justement à ce point que nous avons discuté tout à l’heure et sur lequel notre président s’est également exprimé lorsqu’il a parlé des structures institutionnelles ainsi que de l’élargissement. Il faut que les deux aillent de pair. Actuellement, un État est membre de l’Union ou il ne l’est pas : c’est noir ou blanc. Cependant nous aurons peut-être besoin d’une forme graduelle d’adhésion. Il faut donner aux pays une possibilité de devenir membre sans avoir un commissaire, sans avoir les mêmes droits que d’autres membres.

Nous soutenons le droit à l’initiative législative du Parlement européen et nous sommes également en faveur d’un élargissement du vote à la majorité qualifiée au Conseil. En ce qui concerne la fiscalité, nous ne sommes pas encore convaincus : il y a de nombreux points qui sont encore à discuter au sein de notre coalition ici en Allemagne. Nous devons également tenir compte de ce qu’il y a déjà dans les traités, à savoir que la Commission ne devrait comprendre que deux tiers des membres de l’Union européenne. Il n’est pas possible de donner à chaque pays un poste de commissaire : les différents domaines des compétences deviendraient épars. Il faudrait éviter que les commissaires soient vus comme un « trophée national ».

Il y a de nombreux domaines dans lesquels nous pouvons faire des progrès et simplifier les procédures. Concernant le régime linguistique, nous sommes pour une simplification. Anton Hofreiter a dit que l’on pourrait prévoir que les futurs membres n’utilisent pas outre mesure les droits de véto. Cela serait un grand progrès : certaines évolutions sont possibles sans changement des traités.

Nous devons nous engager dans ce processus de convention. Si nous nous engageons en faveur de la majorité qualifiée, ce n’est pas pour convaincre les autres de notre opinion mais parce que si nous ne suivons pas cette route, nous ne pourrons pas gagner cette compétition avec les régimes de dictature, la Chine, la Russie.

M. Benjamin Haddad (RE). Je remercie notre collègue Link de ces propos tout à l’heure sur Wagner et bien sûr je suis à votre disposition, pour travailler ensemble sur ce sujet qui est fondamental pour la sécurité de l’Union européenne.

Concernant la majorité qualifiée et sur le fait d’avoir un nombre limité de commissaires ou une rotation de commissaires entre États membres, je crois en effet qu’il faudra que l’on réfléchisse à des façons pour nos institutions d’être plus agiles afin de pouvoir prendre des décisions plus rapidement. En particulier sur des grands enjeux de souveraineté que sont la protection de nos frontières, la politique étrangère, la coordination des politiques fiscales et économiques, sujets sur lesquels il y a une attente assez forte du partenariat franco-allemand à Paris et ailleurs.

Je voudrais souligner, que certaines initiatives de Berlin ces derniers mois ont provoqué une forme de frustration chez certains à Paris. Ainsi, il faudra que l’on trouve le moyen d’avancer ensemble ou de laisser avancer certains sur des initiatives sans les bloquer. Je pense par exemple à la politique énergétique. Nous respectons tous les choix souverains de l’Allemagne en ce qui concerne sa politique énergétique. Toutefois, il est important de ne pas empêcher certains États d’avancer sur le renouvelable ou le nucléaire.

Je ne cherche pas à ouvrir un débat précisément sur le nucléaire mais sur notre façon de réfléchir aux politiques communes. Lorsqu’un groupe d’États important souhaite être pilote sur une initiative comme sur l’énergie, je pense qu’il faut veiller à ce que d’autres ne laissent pas le prolongement de leur choix national les empêcher d’avancer sur des choix stratégiques.

Après le discours important du chancelier, un député français a réagi avec un propos assez critique de la politique allemande. Cette vidéo a été virale sur les réseaux sociaux et a entraîné des réactions parfois très positives de représentants de l’establishment politico-diplomatique Français. Il ne faut donc pas sous-estimer la frustration, l’impatience que peuvent provoquer certains de ces blocages à Paris ou ailleurs. Je le dis en ami du partenariat franco-allemand pour que l’on puisse avancer ensemble sur certaines politiques dans les prochains mois ou prochaines années.

 


II.            Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) : examen du rapport d’information portant observations (Mme Louise MOREL, rapporteure d’information)

 

Mme Louise Morel (Dem). Nous nous livrons aujourd’hui à un exercice inédit car la Commission des Affaires européennes ne s’était jamais saisie, dans son histoire, d’un texte relatif à la loi de programmation militaire (LPM). Les lois de programmation militaires visent à définir les orientations stratégiques de la défense nationale sur une période donnée, généralement entre trois et cinq ans, et allouent aux forces armées les moyens humains et financiers nécessaires à leurs missions de défense et de sécurité. Il s’agit d’une démarche de planification à moyen terme qui permet de fixer les priorités de la politique de défense nationale et de déterminer les ressources nécessaires pour les atteindre. Elles contiennent principalement des dispositions relatives aux investissements dans l'armement, à la formation des militaires, à l'entretien des équipements ou à la réorganisation des forces armées.

Il s’agit d’un exercice essentiellement franco-français. Malgré la présence d’un rapport annexé qui analyse la situation internationale, la LPM contient peu d’occurrences relatives à la coopération européenne en matière de défense, et aucune disposition législative n’y fait directement référence.

Il a toutefois semblé utile que notre commission se penche sur ce texte pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la coopération européenne en matière de défense a franchi ces dernières années plusieurs étapes décisives. En 1999, a été mis en place la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Par la suite, plusieurs outils sont apparus dans ce domaine : l’Agence européenne de Défense en 2004 ; le Fonds européen de défense en 2016 ; la Coopération structurée permanente en 2017 ; ou encore la Facilité européenne pour la Paix en 2021. Tous ces outils ont permis une meilleure mutualisation des moyens de défense de l’Europe. D’autre part, l’adoption en 2016 d’une Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne, puis de la Boussole stratégique en 2022, ont permis de définir les objectifs communs de l’Europe en matière de politique de sécurité et de défense.

Cependant, pour reprendre la formule de Jean Monnet, « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Dans un contexte international déjà marqué par une intensification de la compétition entre grandes puissances au niveau mondial, la crise ukrainienne a bouleversé le paysage stratégique européen.

Au moment même où l’Union européenne adoptait sa Boussole stratégique, ce document fixe une feuille de route pour faire enfin émerger un outil de défense européen capable de faciliter la poursuite des objectifs de l’Union dans le monde. L’invasion de l’Ukraine nous rappelle qu’à côté de la défense européenne, il faut également se préparer à la défense de l’Europe dans le cadre d’une guerre de haute intensité. Cette défense territoriale repose aujourd’hui sur l’OTAN, une organisation à travers laquelle les États-Unis continuent de jouer le rôle principal dans la sécurité du continent, et au sein de laquelle la plupart des « petits » États européens élaborent leurs propres planifications militaires.

OTAN et Europe de la défense ne sont cependant pas en opposition. Comme nous l’ont rappelé plusieurs personnes auditionnées en vue de l’élaboration de ce rapport, la recherche par l’Union européenne d’une autonomie stratégique est souhaitée par nos alliés américains qui seront sans doute appelés à consacrer davantage leurs efforts à la zone indo-pacifique dans les années à venir. En outre, leur souhait d’une plus grande prise en charge des dépenses de défense par les Européens n’est pas nouveau.

La recherche par l’Europe de son autonomie stratégique, malgré le sursaut actuel, a également lieu dans le cadre contraint du traité de Lisbonne qui limite le rôle de l’Union en matière de défense au profit des États membres et de l’Alliance atlantique. L’effort actuel repose donc largement sur des institutions intergouvernementales telles que l’Agence européenne de Défense ou l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, tandis que la Commission intervient au titre de la politique industrielle de l’Union.

Dans ce contexte, il a pu être reproché à la présente loi de programmation militaire de ne pas suffisamment prendre en compte la considération européenne, qui est effectivement appelée à prendre une part plus importante dans les années à venir. Il importe donc de rappeler quelques points essentiels.

En premier lieu, même si cela est évident, la LPM 2024-2030 est un texte législatif français dont le champ d’application est par définition national. Si le rapport annexé auquel renvoie l’article 2 du texte fait état de l’importance comme des limites des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne, le dispositif du texte vise avant tout à donner aux armées les moyens d’atteindre les objectifs capacitaires fixés par le texte.

En deuxième lieu, la défense collective de l’Europe, qu’il s’agisse de l’OTAN ou de la coopération européenne en matière de défense, repose avant tout sur l’agrégation de forces nationales et non sur la constitution d’une véritable armée multinationale. Les programmations nationales doivent certes être coordonnées entre elles, mais cette coordination a lieu aujourd’hui, principalement, dans le cadre de la programmation quadriennale de l’OTAN, à laquelle la France participe et dont elle tient compte au fil de sa propre programmation.

En d’autres termes, la contribution française à la défense européenne tient d’abord aux capacités dont elle dispose et dont elle entend se doter. En portant ses dépenses militaires à 2 % du PIB en 2030, la France est en phase avec l’effort que font depuis peu nos partenaires européens. La simple augmentation des budgets, si elle aboutit à des commandes auprès de l’industrie de défense européenne, est en effet l’élément clef d’un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne.

Troisième point, la loi de programmation militaire, si elle modifie peu le volume des forces pouvant être déployées, renforce certains éléments fondamentaux tels que les achats de munitions, de pièces détachées, l’entraînement ou la réactivité des forces, éléments moins visibles mais cruciaux lorsqu’il s’agit de réagir rapidement à une crise majeure, comme c’est aujourd’hui le cas.

Enfin, le maintien d’un effort budgétaire en faveur de la dissuasion nucléaire française renforce l’autonomie stratégique européenne, en particulier depuis le Brexit qui a fait de la France l’unique puissance nucléaire de l’Union.

Autrement dit, en l’état actuel des traités, la recherche de l’autonomie stratégique européenne passe d’abord par un accroissement des moyens, l’Europe de la défense devant émerger progressivement, d’abord à travers un renforcement des armées européennes opérant au sein de l’OTAN, peut-être en se substituant à cette dernière dans un nombre croissant de ses fonctions et à travers l’usage croissant de matériels européens, et finalement, à terme, en intégrant pleinement les politiques de défense et de sécurité aux traités européens.

Il convient donc de mesurer de façon nuancée la contribution de la présente loi de programmation militaire à la construction de l’autonomie stratégique européenne, qui prévoit un effort capacitaire bienvenu, mais dont il reste à espérer que la tendance ainsi amorcée se prolongera et permettra à la France de contribuer à l’émergence d’une Europe de la défense cohérente, lisible et autonome.

Mme Lysiane Métayer (RE). Ce rapport d’information nous permet de revenir à ce moment crucial d’examen de cette loi de programmation militaire 2024-2030, et sur ses enjeux européens. Je tiens à souligner que le montant de cette LPM est historique : 413 milliards d’euros.

Si la défense européenne ne relève pas d’un simple texte de loi de programmation militaire, un tel texte est néanmoins l’occasion de définir nos objectifs nationaux, et d’envoyer des signaux forts à nos partenaires européens.

J’ai pu entendre en commission de la défense nationale et des forces armées la déception de certains collègues qui auraient voulu que la défense européenne ait une plus grande place au sein de ce texte. Cette déception est compréhensible. Cependant il ne faut pas perdre de vue les limites du cadre législatif et les limites propres aux institutions européennes. Ces signaux en faveur d’une plus grande intégration militaire, l’exécutif les envoie depuis des années. Ils n’ont cependant pas toujours reçu une réponse à la hauteur de nos attentes.

Comme le rapport annexé à la LPM l’indique, cette loi concentre ses efforts sur la coopération industrielle, élément central de l’autonomie stratégique européenne, sans lequel il ne peut y avoir de défense commune. On notera que de nombreux projets européens, à commencer par l’Union européenne, sont nés d’une simple coopération économique et industrielle. Peut-être la défense européenne ne fera-t-elle pas exception.

Madame la rapporteure, pouvez revenir sur cette idée de coopération industrielle comme socle pour une avancée politique, durable en la matière ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je formulerai quelques rapides observations sur le projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.

Tout d’abord, les crédits ont augmenté dans des proportions considérables. Alors que la LPM pour les années 2019 à 2025 prévoyait 295 milliards d'euros de dépenses, la LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit une somme de 413 milliards d’euros, soit une augmentation de l’ordre d’un tiers. L’effort additionnel porte pour l’essentiel sur la dissuasion nucléaire, avec un budget annuel moyen supérieur à 4 milliards d’euros. Le lancement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération et la construction d’un porte‑avion à propulsion nucléaire de nouvelle génération posent des questions, qui ne semblent pas préoccuper le gouvernement. Ainsi, quel sera le véritable rôle de ce porte‑avion au regard de son coût faramineux ? Nous sommes circonspects à l’égard de ces choix d’investissement, qui visent à renforcer la capacité de projection dans d’autres régions du monde dans le cadre de conflits extérieurs.

Ensuite, et surtout, les choix d’investissement effectués dans la LPM se font au détriment d’autres lignes budgétaires. Dans le cadre du programme SCORPION, les cibles fixées initialement sont étalées dans le temps. Sur les 300 engins blindés de reconnaissance et de combat JAGUAR, seuls 100 seront livrés après 2030. De même, le nombre de véhicules blindés GRIFFON est réduit de 1 827 à 1 573, et celui des véhicules blindés SERVAL est ramené de 2 038 à 633. Or, l’ambition du programme SCORPION ne doit pas être revue à la baisse puisqu’il s’agit d’un impératif dans la lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). C’est ce que j’avais souligné dans le cadre de la mission sur la défense NRBC, dont j’étais co-rapporteur. Au cours de nos travaux, le 2e régiment de dragons de Fontevraud nous avait signalé un vide capacitaire pour faire face aux menaces NRBC.

Enfin, je suis pour ma part assez dubitatif quant au risque de « guerre de haute intensité », utilisé pour justifier les différentes dépenses. Car, en effet, qui serait l’agresseur potentiel ? La Russie, qui ne parvient pas à conquérir quelques centaines de kilomètres carrés à côté de ses frontières, mettra de notre point de vue 10 à 15 ans pour reconstituer son potentiel offensif. Je doute donc que l’on puisse considérer qu’il existe un risque de guerre de haute intensité avec la Russie. Quant à la Chine, les risques sont davantage ceux de guerres localisées. Dès lors, le risque d’une guerre de haute intensité prend son sens lorsque l’on raisonne à l’échelle de l’OTAN et, surtout, que l’on se place à la remorque des États-Unis.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Il est symboliquement et institutionnellement important que la commission des Affaires européennes se saisisse de la LPM, ce qui constitue un exercice inédit. À mon sens, l’horizon vers lequel nous devons tendre est celui du renforcement de la défense commune pour aboutir un jour – soyons idéalistes ! – à une défense européenne.

La LPM pour les années 2024 à 2030 comprend de ce point de vue des éléments substantiels. La hausse importante du budget de nos armées est un aspect fondamental, car l’armée française est la plus importante de l’Union européenne et puisque la France est le seul État membre doté de l’arme nucléaire. Lorsque l’armée française se renforce, la défense du continent se renforce de facto.

Je considère, comme plusieurs collègues de cette commission, que la dimension européenne de cette LPM mériterait d’être davantage mise en valeur. J’attends beaucoup des débats qui auront lieu pendant deux semaines en séance publique, et qui permettront au gouvernement d’expliciter certains éléments. Il est effectivement de notre rôle de Député de demander au gouvernement d’expliciter et de préciser cet horizon européen.

Mme Louise Morel, rapporteure. Pour répondre à Lysiane Métayer, je dirais que l’Europe de la défense dépend d’abord d’un renforcement de ses capacités, car c’est sur elles que peut se fonder à terme une véritable autonomie stratégique. Compte tenu des limites fixées par les traités, le développement des capacités militaires de l’Union européenne peut être justifié sous l’angle de la politique industrielle. Il convient ainsi de s’appuyer principalement sur l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). L’article 346 TFUE accorde quant à lui aux États membres une grande latitude concernant les marchés publics en matière de défense, en raison du caractère sensible de ces achats.

La coopération industrielle constitue un socle durable des échanges entre les États membres, et la Commission a adopté en 2013 une stratégie visant à stimuler la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), suivie d’un plan d’action proposant en 2016 la création de nouveaux outils et l’instauration du Fonds européen de défense. Ce fonds est principalement destiné au financement de la recherche et au développement des technologies et produits de la défense, pour encourager in fine les investissements dans les chaînes d’approvisionnement de la défense.

La BITDE dépend enfin du renforcement du marché intérieur dans l’Union européenne, afin de réduire sa fragmentation et d’améliorer sa compétitivité en déployant les règles propres aux marchés publics de la défense et aux transferts de produits liés à la défense.

Les différents outils européens constituent un jalon vers l’objectif d’une défense commune, mais ne s’accompagnent pas d’investissements d’un niveau comparable à ceux prévus dans la LPM. Le Fonds européen de défense est doté d’environ 8 milliards d’euros pour la période 2021 à 2027, et vise à financer les projets dans lesquels au moins trois États européens différents sont partie prenante. Il y a près de 20 ans, en 2004, était créée l’Agence européenne de défense (AED), chargée de renforcer la convergence et la coordination de l’Union européenne sur les achats conjoints.

Par ailleurs, plusieurs projets communs européens ont été initiés, qui contribuent à renforcer la BITDE, à l’instar du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Système Principal de Combat Terrestre (ou Main Ground Combat System, MGS)

J’en viens aux questions d’André Chassaigne. Vous avez rappelé la hausse considérable du budget prévue dans la LPM pour les années 2024 à 2030, et manifesté vos doutes concernant le retour de la guerre de haute intensité.

Je voudrais tout d’abord souligner que les coopérations structurées permanentes en matière de défense peuvent s’appuyer sur le Fonds européen de défense, à côté d’autres outils tels la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui est un instrument extrabudgétaire. Ainsi, toutes les dépenses programmées à l’échelle nationale ne rentrent pas vraiment en compte dans les débats européens. On peut certes discuter de la pertinence de ces dépenses, mais cela sera certainement l’objet de nombreuses heures de débats à partir de la semaine prochaine en séance publique.

Ensuite, nous sommes liés par les dispositions des traités, et l’article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit une clause d’assistance mutuelle. Dès lors que la guerre de haute intensité est revenue sur le continent européen, notre responsabilité est de préciser la politique à adopter face aux guerres de haute intensité. Ces politiques n’ont pas été créées du jour au lendemain : la boussole stratégique a notamment fourni une évaluation commune des menaces et défis auxquels est confrontée l’Union européenne, et dont la guerre de haute intensité fait partie. L’Union européenne mobilise en conséquence certains outils, tandis que certains instruments extrabudgétaires peuvent être alimentés. Mais ce sont surtout les États nationaux qui font le choix ou non d’augmenter leur propre budget militaire. Les choix nationaux des autres États membres suivent la même direction que ceux de la France, ce qui est pertinent comme nous l’ont confirmé les différentes personnes auditionnées dans le cadre du rapport d’information.

Enfin, ces débats s’inscrivent plus largement dans le cadre de l’OTAN. Vous disiez que nous étions « à la remorque des États-Unis ». L’OTAN promeut pourtant un cadre quadriennal permettant de nous équiper en bonne intelligence avec nos partenaires pour assurer une certaine complémentarité au service de la défense du continent.

Je reviendrai à présent sur les réflexions de Charles Sitzenstuhl. Il est effectivement important que la commission des Affaires européennes se saisisse de cette LPM, dont le rapport annexé mentionne seulement de manière allusive les enjeux européens. Le rapport d’information de la commission des Affaires européennes permettra donc d’éclairer nos échanges et débats au cours des prochaines semaines, et contribuera à terme à une vision plus précise de la défense commune européenne.

La boussole stratégique a été publiée quasiment au moment où la guerre en Ukraine éclatait. Si l’exercice a permis aux États membres de se coordonner et de définir les différentes menaces, il n’a donc pas directement pris en compte la guerre en Ukraine. En débattant aujourd’hui de la dimension européenne de la LPM, nous pouvons ainsi discuter de ces menaces qui pèsent en particulier sur les États membres de l’est de l’Europe.

Pour conclure, on dit souvent que l’Union européenne se construit au fil des crises. La règle d’or a suivi la crise financière, les accords de Dublin ont été une réponse à la crise migratoire, tandis que la procédure commune d'acquisition des vaccins a tiré les leçons de la crise sanitaire. On aurait donc naturellement pu penser que la guerre en Ukraine allait aboutir à un renforcement de l’Europe de la défense. En réalité, dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Est, ceci a conduit à un renforcement de l’OTAN, qui procure un sentiment de protection supérieur.

L’autonomie stratégique européenne s’appuie sur un certain nombre d’outils qui gagneraient à être développés. Il nous revient donc d’écrire la suite. Allons-nous vraiment vers une autonomie stratégique européenne ? Comment renforcer la défense européenne face à l’OTAN, tout en gardant à l’esprit que l’une et l’autre peuvent aller de concert ?

M. Benjamin Haddad (RE). Je souhaite tout d’abord remercier la rapporteure pour son travail. Il est bienvenu que la commission des Affaires européennes se saisisse de cette LPM.

Je voudrais réagir aux propos intéressants d’André Chassaigne. Il importe de savoir si la guerre de haute intensité doit être la priorité dans les choix budgétaires et stratégiques de notre pays. À l’heure où les États-Unis se retirent progressivement de l’architecture de sécurité européenne et ne souhaitent plus s’impliquer dans notre voisinage, on pourrait légitimement considérer que la priorité devrait être de continuer à investir massivement afin d’accroître les capacités expéditionnaires et de maintien de la paix dans le voisinage, et de lutter contre le terrorisme.

Pour en revenir à la question de savoir si nous serions « à la remorque des États-Unis », la crédibilité du discours français sur les sujets de défense européenne – en particulier à l’est de l’Europe et dans les pays baltes – dépend dans une large mesure de notre capacité à montrer que nous prenons en compte les impératifs de sécurité et les menaces, à savoir la Russie et la nécessité de dissuasion à long terme de la Russie. Alors que les États-Unis signalent d’autres priorités, en particulier la rivalité avec la Chine, et que les relations transatlantiques dépendront du résultat de l’élection présidentielle de 2024, la seule manière de convaincre nos partenaires est de leur montrer que nous continuerons effectivement de participer avec l’OTAN à la dissuasion de la Russie. Cet équilibre est l’un des objectifs de la LPM, non pas par tropisme atlantiste, mais peut-être au contraire pour préparer une Europe post-atlantiste.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je partage une partie de ces propos, dont j’ai pu constater la véracité en tant que président du groupe d’amitié France-Roumanie lors de la précédente législature. La Roumanie achète quasi systématiquement son armement auprès des États-Unis, dont la force de diplomatie militaire est par ailleurs largement supérieure à la nôtre. La Roumanie continue par exemple de préférer les hélicoptères américains aux appareils européens. Dans les pays d’Europe centrale, des dizaines de diplomates militaires et commerciaux sont présents dans les ambassades des États-Unis. En comparaison, l’ambassade de France à Bucarest ne compte qu’un seul attaché de défense.

Il serait intéressant qu’un rapport d’information se penche plus longuement sur les différents partenariats militaires au niveau européen, et puisse dresser un état de lieux en la matière. On pourrait citer le projet de « Futur Cargo Tactique Médian », ou encore le programme de développement du drone européen « Eurodrone ». Ce programme a fait l’objet de désaccords entre partenaires pendant plusieurs années. La France souhaitait en effet développer un drone d’attaque, tandis que l’Allemagne lui préférait un drone d’observation ou de défense.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Votre suggestion, cher collègue, est intéressante. Il serait très utile qu’un rapport d’information détaille les différents partenariats européens. Mme la rapporteure pourrait peut-être également relayer ces interrogations auprès de la commission de la défense nationale et des forces armées, ou auprès du ministère des Armées.

Deux coopérations industrielles européennes bien avancées pourraient notamment être citées, qui constituent deux armes offensives et défensives majeures. En premier lieu, l'avion de chasse européen du futur SCAF, qui devrait succéder au Rafale dans une quinzaine d’années. En second lieu, le programme franco-allemand de chars Main Ground Combat System (MGCS).

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Je cède ma place à M. Charles Sitzenstuhl afin qu’il assure la présidence pour la fin de cette séance. Je dois en effet prononcer une intervention en séance publique.

 

Présidence de M. Charles Sitzenstuhl, Vice-Président de la Commission

 

Mme Louise Morel, rapporteure. Nous vivons un changement de paradigme politique en Europe, que plusieurs personnes auditionnées ont qualifié de « 11 septembre européen ».

Pour conclure, il ne faut pas oublier que l’Union européenne est forte d’une longue tradition sur le plan des coopérations militaires, au-delà des questions de coopération industrielle. Ainsi, des missions de formation dites European Union Training Mission (EUTM) ont bénéficié à différentes armées, tandis que des missions d’assistance ont été initiées à l’instar de celle contre la piraterie au large des côtes somaliennes. En outre, une fois dans son histoire, dans le cadre de l’opération Artémis, l’Union européenne a mené une opération avec autorisation d’emploi de la force.

La proposition de rapport faite par André Chassaigne est pertinente, mais il faut garder à l’esprit que les coopérations entre États membres sont très diverses en matière de défense. Elles concernent tant l’emploi des forces armées, que l’industrie et la formation, et peuvent prendre des formes bilatérales – comme c’est le cas à Strasbourg avec l’Eurocorps – ou multilatérales. Ces divers schémas, qui sont certes complexes, permettent aussi de s’appuyer sur différents outils pertinents, qui fonctionnent depuis plusieurs années. Il ne nous revient peut-être pas de définir aujourd’hui, de manière pérenne, la forme que devront prendre les coopérations militaires de demain, mais nous disposons en tout cas d’un certain nombre d’outils pour faire vivre le débat, et pour définir une direction à plus long terme.

M. le Président Charles Sitzenstuhl. En l’absence de nouvelle intervention, je demande à présent à la commission des Affaires européennes son accord pour autoriser le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

La commission autorise le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

M. le Président Charles Sitzenstuhl. Notre rapporteure présentera les conclusions de son rapport au début du débat en séance publique, le lundi 22 mai 2023 après‑midi.

 

 

 

 

 

 

La séance est levée à 15 heures 39.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, Mme Annick Cousin, Mme Félicie Gérard, M. Benjamin Haddad, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, Mme Lysiane Métayer, Mme Louise Morel, M. Jean-Pierre Pont, M. Vincent Seitlinger, M. Charles Sitzenstuhl

Excusées. – Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Oziol, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

 

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