Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

–  Audition de M. Gérald Bronner, professeur de sociologie à Paris-Sorbonne Université, président de la commission « Les Lumières à l’ère numérique »              2

– Présences en réunion..............................16

 

 

 

 

 


Mercredi
2 novembre 2022

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
Mme Isabelle Rauch,
Présidente

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Mme Isabelle Rauch, Présidente)

 

La commission auditionne M. Gérald Bronner, professeur de sociologie à ParisSorbonne Université, président de la commission « Les Lumières à l’ère numérique ».

Mme la présidente Isabelle Rauch. Bonjour à toutes et à tous. Nous avons le plaisir de recevoir le professeur de sociologie Gérald Bronner, chargé par le Président de la République en septembre 2021 de se pencher, entouré d’un collège d’experts, sur les répercussions induites par la numérisation croissante de la société, et plus particulièrement sur le traitement et la réception de l’information par nos concitoyens.

Monsieur Bronner, la diversité des membres de la commission que vous avez présidée a constitué une vraie richesse pour aborder les enjeux multiples des effets du numérique sur la société. L’ambition fixée à votre commission était très élevée puisqu’elle devait établir de manière synthétique l’état des connaissances sur le désordre informationnel à l’ère numérique et proposer des recommandations pour y faire face.

Nous souhaiterions donc vous entendre présenter à grands traits les principales conclusions de vos travaux qui prolongent l’analyse que vous aviez présenté dans votre livre paru en 2021, Apocalypse cognitive. Dans cet ouvrage, vous exposiez déjà les risques d’une exposition de plus en plus forte et de plus en plus précoce au numérique et aux réseaux sociaux et vous mettiez brillamment en lumière les biais cognitifs induits et les dangers qu’ils peuvent entraîner dans la compréhension de l’information.

Pouvez-vous nous dire de quelle manière la commission vous a permis de confirmer le cas échéant et de préciser ces premières analyses ? Plus particulièrement, sur les logiques algorithmiques, pourriez-vous nous présenter les biais qu’elles peuvent susciter et les moyens de contrer leurs effets pour garantir plus de neutralité ?

Au moment où vont débuter au sein de notre commission des Affaires culturelles les travaux de la mission-flash sur l’éducation critique aux médias, dont les rapporteurs sont Mme Violette Spillebout et M. Philippe Ballard, il nous est apparu essentiel de vous recevoir. Je suis en effet convaincue que les analyses du rapport de votre commission viendront utilement nourrir le travail de cette mission et plus largement de notre commission.

Je vous donne la parole pour une quinzaine de minutes avant que s’engage la phase de questions-réponses.

M. Gérald Bronner. Merci, madame la présidente, pour cette introduction très claire. Merci de votre invitation à venir m’exprimer à propos du rapport, et au-delà, à propos d’un sujet qui nous concerne tous. Quinze minutes seront bien trop brèves pour être exhaustif, mais je sais que vous aurez de nombreuses questions auxquelles j’essaierai de répondre aussi clairement que possible dans la mesure de mes compétences qui sont très limitées – vous vous en apercevrez.

Il y a quelques années, il fallait consacrer un certain temps pour établir le fait et pour convaincre que le monde numérique tel qu’il se présentait devant nous était de nature à nous apporter de nombreux éléments positifs. Dans le moment de notre échange, nous allons focaliser notre attention sur un certain nombre d’externalités négatives, des processus impliqués dans ce que j’ai appelé à plusieurs reprises « la dérégulation du marché de l’information » qui s’est profondément modifié. À ce titre, sans étonnement, elle implique évidemment de profondes modifications sociales.

Aujourd’hui, il n’est pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps pour nous convaincre qu’il y a là un sujet qui mérite de s’y intéresser.

Je présenterai quelques faits, dont un premier qu’il est difficile de contester. Aujourd’hui, la disponibilité de l’information a atteint des proportions incomparables, si l’on jette un regard rétrospectif sur l’histoire de l’Humanité. Durant les deux dernières années écoulées, nous avons produit 90 % de l’information disponible sur la planète. En d’autres termes, malgré l’excellence de notre cerveau, l’outil probablement le plus complexe de l’univers connu, aucun d’entre nous n’est capable d’absorber l’intégralité de ces informations. Nous sommes donc confrontés à un dédale cognitif et la question fondamentale est de savoir si nous avons plus de chance d’y trouver le Minotaure ou le fil d’Ariane qui nous orientera vers les Lumières à l’ère numérique.

Le siècle des Lumières nous avait fait une promesse et donné un espoir peut-être trop optimiste puisque des penseurs misaient sur le fait qu’en rendant l’information disponible et en permettant à chacun d’avoir un niveau d’éducation acceptable, nous irions mécaniquement vers des sociétés de la connaissance. L’idée était que sur un marché libre des idées, à moyen et à long terme, les idées les plus rationnelles finiraient par s’imposer face à la concurrence. Dans ce rapport, nous avons discuté de cette conclusion libérale et légèrement trop optimiste. Nous avons en effet quelques inquiétudes qu’à court terme ce ne soit pas le cas. Nul besoin d’être sociologue pour observer et voir que l’empire des croyances ne disparaît pas facilement à horizon des progrès de la connaissance. Progrès de la connaissance et empire des croyances n’entretiennent pas un rapport de vases communicants. Ce que l’un gagne, l’autre ne le perd pas forcément. Dans certaines circonstances, l’un peut même irriguer l’autre. Les enjeux sont très importants.

Nous le voyons d’ailleurs déjà au Brésil, pays extrêmement clivé, ou dans notre pays avec la manière dont le moindre débat se polarise. Beaucoup d’études montrent que les échanges d’idées sont aujourd’hui caractérisés par une polarisation affective et politique. Une étude de la Stanford University a montré que les deux pays les plus polarisés sont les Etats-Unis et la France. Il y a donc lieu de prendre le sujet au sérieux, car la fracture du socle épistémique commun nous menace. La démocratie est un espace politique dans lequel il existe un débat dont vous êtes les vivantes représentations. Je crois que le débat contradictoire fait évoluer les choses à condition que les arguments échangés soient commensurables. Un débat est cumulatif et fertile à condition que l’on se situe dans un même espace intellectuel.

Or la récente actualité, particulièrement durant la pandémie, montre que nous pouvons débattre à l’infini dans des espaces intellectuels différents. La menace pourrait être de vivre dans la même société, mais plus tout à fait dans le même monde, ce qui pose un problème considérable.

Les fausses informations, théories du complot et autres ont toujours existé. Les arguments anti-vaccin existent depuis l’origine même des vaccins alors que le vaccin a fait la preuve qu’il est un grand bienfait pour la santé publique du XXe siècle. Pourtant, avec la pandémie, nous sommes face à une partie de la population, certes très minoritaire, qui s’y oppose.

Trois éléments ont fondamentalement changé. Premièrement, la manière dont l’information est éditorialisée a changé. La récurrence et l’obsession pour certaines informations ont considérablement changé. Quelques décennies en arrière, l’éditorialisation de l’information s’opérait sur le marché public par ceux que la théorie de la communication appelait gate keepers. Ces gardiens étaient des gens comme vous, des professeurs d’université, des patrons de syndicats ou d’entreprises et, en premier lieu, des journalistes dont la profession est d’éditorialiser l’information. On peut apporter bien des critiques à l’éditorialisation des gate keepers, notamment le fait qu’elle n’était pas très démocratique puisqu’une portion très minoritaire des citoyens était considérée légitime à prendre la parole dans l’espace public.

L’élément positif sans doute apporté par internet est la démocratisation de la prise de parole. Aujourd’hui, avec un compte Twitter, Facebook ou TikTok, vous pouvez donner votre point de vue sur le vaccin, par exemple, et contredire un grand professeur de médecine sur la question. Il existe donc une concurrence généralisée des points de vue. L’éditorialisation se fait en grande partie par les algorithmes qui président aux réseaux sociaux. De plus en plus de personnes s’informent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Pour les jeunes, cela est tout à fait considérable (40 %) et s’effectue sur des réseaux sociaux très spécifiques. Nous y reviendrons peut-être, puisqu’une récente enquête de NewsGuard postérieure à la publication du rapport montrait que le taux de fausses informations avoisinait 20 %, ce qui est absolument gigantesque. Pour l’heure, la fausse information reste heureusement minoritaire. Un monde avec 50 % de fausses informations serait invivable.

L’éditorialisation s’effectue donc par une logique algorithmique même si nous continuons à aller lire des articles de presse sur les réseaux sociaux, ce qui constitue un paradoxe. Seulement, ces articles de presse ne sont plus présentés comme ils l’étaient dans un journal. Ils sont mis en avant de manière obsessionnelle par l’économie de l’attention. Or l’une des caractéristiques des grandes entreprises du numérique est que leur business model est fondé sur la captation de notre attention, c’est-à-dire visent à nous faire rester le plus longtemps possible sur leurs plateformes. Elles vont convertir ce temps d’attention en capital économique via des publicités, par exemple. Une partie de la très importante manne publicitaire a été captée par ces entreprises au détriment des professionnels de l’information et aux journaux. Cela a conduit à un appauvrissement du journalisme qui rencontre un vrai problème de survie économique alors que la qualité de l’information est un enjeu de bien commun.

Les algorithmes redistribuent l’information selon d’autres logiques que celles de l’intérêt général : celle de l’attention. L’éditorialisation algorithmique de l’information revient à mettre en avant des messages susceptibles de nous mettre en colère parce que la colère et la conflictualité sont des informations intéressant notre cerveau. Il s’agit d’une manière d’hameçonner notre attention et de nous maintenir plus durablement sur le réseau social. Si quelque chose nous met en colère, nous laisserons un commentaire pour contredire l’autre sur internet. Des batailles vont se livrer et, peu à peu, la polarisation dont on parle s’accentue.

Deuxièmement, les êtres humains sont des animaux profondément sociaux. La plupart des choses que nous prétendons savoir reposent sur la confiance que nous mettons dans certaines communautés expertes ou dans autrui. Cela constitue un bien qui permet à l’Humanité de progresser dans la connaissance grâce à la division intellectuelle du savoir. La confiance est donc un élément central dans les démocraties de la connaissance. La confiance est précisément l’élément grippé dans notre société. Beaucoup de sondages montrent que nos concitoyens ne font plus confiance aux politiques, font de moins en moins confiance aux médias et, dans certains domaines, ne font pas confiance à l’expertise scientifique. Les citoyens font confiance à la science, mais on voit, sur certains thèmes, que la défiance l’emporte sur l’existence de consensus scientifiques.

Comment s’établit la confiance ? Nous avons toujours tenu compte de l’avis des autres pour forger notre propre point de vue, mais la question que nous devons nous poser est de savoir, aujourd’hui, ce qui préside à la visibilité du point de vue des autres. De ce point de vue, les réseaux sociaux ont totalement dénaturé le « calibrage social », car ce qui est de la visibilité des autres viendra aussi de la popularité des contenus. On en revient donc à l’éditorialisation algorithmique : plus un contenu est populaire, plus il aura une influence statistique sur notre point de vue, particulièrement quand on n’a pas encore de point de vue établi sur un sujet, par exemple sur des sujets extrêmement techniques. Quand vous n’avez pas le temps de vous intéresser à un sujet, vous croirez probablement le point de vue qui sera le plus visible sur votre réseau social. Statistiquement, vous verrez davantage d’arguments en ce sens et tous sont assez convaincants, ce qui est problématique.

Or l’un des résultats les plus solides des sciences sociales computationnelles est que la dérégulation du marché de l’information a beaucoup profité à des groupes minoritaires, mais très motivés à faire valoir leur point de vue. Ce n’est pas parce qu’ils sont minoritaires qu’ils ont tort. Simplement, en tant que démocrates, nous devons nous interroger sur la visibilité d’un certain nombre d’arguments qui ne sont pas représentatifs, mais seront pris pour de la représentativité en raison du biais de popularité évoqué.

La vraie question est en réalité celle de la « diversité inauthentique ». En démocratie, il est très important de maintenir des points de vue très minoritaires, quels que soient les sujets, sauf lorsqu’ils enfreignent la loi française. Simplement, protège-t-on bien la liberté de jugement lorsqu’on est exposé de façon majoritaire à des points de vue qui, par ailleurs, sont minoritaires ? Sur des plateformes de vidéos, la science nous montre que, sur certains sujets, des points de vue très minoritaires seront mis en avant par les algorithmes parce qu’il s’agit d’enjeux de conflictualité. Nous savons notamment que l’extrême droite, pendant un temps, était surreprésentée sur YouTube, et les propositions conspirationnistes et vidéos climatosceptiques également. Ceci est important lorsque l’on sait qu’un certain nombre de catégories, notamment les jeunes, utilisent ce genre d’outils pour s’informer sur des sujets pouvant être très techniques.

Des études récentes montrent l’existence de super users, c’est-à-dire de personnes représentant 1 % de la population des réseaux sociaux, mais qui publient 33 % des contenus.

Troisièmement, l’un des résultats auxquels abouti notre rapport est tout de même une bonne nouvelle : nous ne sommes pas égaux face aux fausses informations. Des variables prédisent mieux que d’autres l’endossement de certaines fausses informations, comme la variable politique. Si l’on est de droite, on aura évidemment plus de chance de croire à une fake news de droite qui condamne la gauche et inversement. Il en est de même pour toutes les variables de logique. Ce que nous croyons préalablement nous livre au biais de confirmation, c’est-à-dire aller chercher des informations allant dans le sens de nos croyances. Il existe une propension de l’extrême droite, dans tous les pays, à propager plus de fausses informations que les autres catégories politiques. C’est légèrement vrai aussi pour l’extrême gauche. C’est un fait.

Pour terminer, entre toutes les variables, celle qui prédit le plus la probabilité de chance de basculer dans la fausse information n’est pas la variable politique ou du niveau d’études, qui est pourtant assez prédictif sur des sujets comme le conspirationnisme, est la lazy thinking ou pensée paresseuse. En d’autres termes, dans certaines circonstances et en raison de la façon dont le monde numérique se configure autour de notre raisonnement, on peut observer une baisse de notre vigilance épistémique, c’est-à-dire notre vigilance intellectuelle.

Il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle puisque l’une des solutions au problème est que l’on connaît les moyens d’activer la pensée analytique, que certains appellent « pensée critique ». Je préfère l’appeler « pensée méthodique ». C’est pourquoi l’une de nos trente recommandations est de proposer une véritable révolution pédagogique qui serait à la fois peu coûteuse et bien acceptée par les professeurs et les parents d’élèves : proposer à l’ensemble des concitoyens – les plus jeunes, mais pas seulement – des outils d’affermissement de la pensée méthodique. En effet, les fausses informations vont souvent dans le sens de nos attentes intuitives. Nous avons tendance à confondre les corrélations et les causalités. Ce dispositif intuitif présent en chacun d’entre nous, nous pouvons le combattre parce qu’à force d’exercice nous pouvons finir par nous méfier de nos propres intuitions.

Il faut donc penser une forme de révolution pédagogique, mais aussi penser à la formation continue. En France, nous disposons de dispositifs pour proposer à nos concitoyens un certain nombre d’outils pour réaliser notre déclaration d’indépendance mentale. Il s’agit probablement de la façon la moins liberticide de réguler le marché de l’information. Songeons-y : lorsque l’on parle de réguler ce marché, on parle d’opinion et il est toujours très risqué de proposer une régulation du marché des opinions lorsqu’on est démocrate, ce que nous sommes tous ici.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Je vous remercie pour cet exposé liminaire passionnant. Vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions, mais mes collègues en ont encore beaucoup à vous poser. Nous commençons par les orateurs des groupes.

Mme Fabienne Colboc (RE). Comme vous l’avez rappelé, il y a de forts enjeux autour du numérique, des enjeux touchant directement à la cohésion nationale et à notre démocratie. Ce travail s’inscrit dans la continuité des mesures législatives de régulation des grandes plateformes d’internet, de mise en place de dispositifs de lutte contre la désinformation et contre la haine en ligne, que nous avons portées sous le mandat précédent. Les états généraux du droit à l’information qui vont être lancés par la ministre de la Culture seront aussi force de proposition, tout comme le renforcement de l’éducation aux médias et à l’esprit critique que vous préconisez.

Le rapport parle de « désordres informationnels » et de « perturbation de la vie démocratique ». Pionnier à nous avoir sensibilisés sur les dangers du numérique sans renier qu’il était source de progrès à condition que des règles soient clairement établies, vous avez pu faire des recommandations précises en ce sens.

L’accès à l’information fragilise le travail sérieux des journalistes et nous rend vulnérables face aux fausses informations diffusées en continu. S’ajoutent à cela les logiques algorithmiques des plateformes numériques qui renforcent des comportements et des croyances sans permettre de s’ouvrir à d’autres opinions et de faire preuve d’esprit critique. Vous recommandez de revoir ces logiques afin de lutter contre le biais de popularité en responsabilisant les influenceurs et de faire davantage de place à la science. Comment ces mesures sont-elles perçues par les plateformes ? Est-il réellement possible d’agir en la matière ?

Je souhaite aussi vous interroger sur le métavers, le monde de réalité virtuelle, véritable symbole d’un monde numérique en perpétuelle évolution. La conclusion du rapport dit : « Le métavers symbolise notre immersion progressive dans un univers où les mondes réels et virtuels iront jusqu’à se confondre ». Pensez-vous que les règlements européens sur les services numériques soient adaptés pour réguler le métavers ? Quels risques éthiques craignez-vous ?

Mme Caroline Parmentier (RN). En avril 2021, dans une interview accordée à L’Express, vous proposiez de catégoriser les personnes complotistes en précisant qu’elles étaient surreprésentées au sein du Rassemblement national et que leur raisonnement serait renforcé par un trouble mental. Vous listiez ainsi les gilets jaunes, l’hydroxychloroquine ou la défiance vis-à-vis des vaccins. Quand on porte de telles accusations, quand on se revendique d’une commission chargée de lutter contre la diffusion de fausses informations si sobrement intitulée Les Lumières à l’ère numérique, quand on se présente comme expert du complotisme, on se doit de ne pas être au cœur de si nombreuses controverses. Je cite : conflit d’intérêts et dérives méthodologiques, comme votre théorie du temps de cerveau disponible sur lesquelles s’interroge Le Monde du 9 janvier 2022.

Je relève aussi votre mépris de l’opinion publique, car elle se méfiait des effets secondaires des vaccins. Le Gouvernement a pourtant bien procédé à la suspension du vaccin AstraZeneca. Une récente étude publiée dans le British medical journal du 24 novembre 2022 confirme des cas de thrombose 30 % plus fréquents après le vaccin AstraZeneca. D’autres effets secondaires ont été signalés, vous le savez.

Votre commission a connu des débuts chaotiques, notamment avec le professeur Guy Vallencien, qui a démissionné.

Qui décide de ce qu’est un complot ? Qui décide qui est complotiste ? Vous. Ce terme n’est-il pas un outil de disqualification et de censure bien commode pour permettre à votre camp de s’arroger le domaine de la raison ?

Mme Isabelle Périgault (LR). Lors de vos différentes interviews sur la création de la commission « Les Lumières à l’ère numérique », à la demande du Président de la République, vous avez évoqué l’existence de deux menaces du fait de l’omniprésence des réseaux sociaux.

L’une de ces menaces est l’émergence de réalités parallèles qui empêcheraient le débat puisqu’elles auraient créé une fracture du socle commun. Effectivement, en tant qu’élus, quand nous suivons les réactions sur les réseaux quotidiennement, nous avons l’impression de ne pas vivre dans le même monde. Mais, lorsqu’on y réfléchit, les réseaux sociaux ne sont qu’une création de l’être humain et ils sont utilisés de plein gré et en parfaite autonomie.

Imputer la responsabilité de la fracture du socle commun à ces outils ne vous semble-t-il pas finalement limité, puisque nous les avons créés ? Ne pouvons-nous pas trouver des moyens pour redynamiser notre esprit critique et transformer l’utilisation de ces réseaux ?

Dans votre rapport, vous avez fait part de votre volonté de faire du développement de l’esprit critique une grande cause nationale. Certains ont dit que c’était le rôle de l’Éducation nationale et que nous n’avions pas à déborder de ce cadre. Pourquoi, selon vous, cela doit-il dépasser le cadre de l’école ?

Dans ce même rapport, vous avez constaté que certaines logiques algorithmiques étaient responsables de nos croyances ou comportements. Pour vous, trois piliers sont en cause, à savoir l’éditorialisation algorithmique, le calibrage social et l’influence asymétrique qui rendent tous possible la prévalence de certains discours minoritaires ou extrêmes. Pour lutter contre cela, vous proposez notamment de responsabiliser les influenceurs dotés d’une grande visibilité numérique en encourageant une modération accrue de ces derniers. Qu’entendez-vous par là ? Pensez-vous que le législateur pourrait travailler avec les plateformes à un cadre juridique spécifique aux influences à forte notoriété ?

Enfin, vous conseillez de prévenir le risque de surmodération en analysant plus finement les signalements d’utilisateurs. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et en quoi cela consiste plus exactement ?

Mme Géraldine Bannier (Dem). Vous préconisez dans votre rapport de développer l’esprit critique vis-à-vis des plateformes et outils numériques. Il est vrai que la fascination première pour cette révolution technologique et numérique laisse à présent place aux interrogations nécessaires et indispensables : quelle déontologie, quel encadrement pour un outil qui fonctionne parfois en activant nos plus bas instincts ? Vous le rappeliez dans votre livre : « les plateformes et autres services internet exploitent notre appétit pour le sexe, fascination des conflits, instinct de peur fondamentale. »

Quel impact également sur l’environnement pour une technologique qui n’est pas véritablement décarbonée ni en phase avec la transition écologique indispensable ? Quel accès pour tous alors qu’une partie de la population se trouve mise en difficulté dans la maîtrise des outils numériques ?

Ces sujets auraient dû être anticipés. L’innovation ne doit jamais se passer d’une réflexion éthique concomitante. Votre livre, Apocalypse cognitive, comme d’autres (L’enfer numérique) participent d’une nécessaire prise de conscience d’un éveil à l’esprit critique dont vous souhaitez qu’il soit érigé en grande cause nationale. C’est une excellente idée. Alors que la lecture était grande cause nationale en 2021, faire de l’éveil de l’esprit critique une grande cause nationale serait une excellente prolongation.

Comment faire en sorte qu’une évolution technologique d’une telle ampleur anticipe davantage les désagréments qu’elle est susceptible d’entraîner ? Comment développer l’éthique avant même cette innovation d’ampleur ?

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous avons en effet besoin de répondre rapidement à l’amplification du phénomène de ces fausses nouvelles qui influence nos comportements, mais également notre représentation du monde, au risque de voir disparaître l’espace commun nécessaire à la vie démocratique.

Vos recommandations sont claires, précises et concrètes. Il est clair que chacun d’entre nous ne peut agir seul face à ce phénomène. Toutefois un acteur majeur nous semble peu mis en avant dans notre rapport : l’audiovisuel public. Alors que nous sommes confrontés à une masse inédite d’informations et à une concurrence généralisée des points de vue, qui s’expriment sans filtre, que cette saturation et cette dérégulation du marché de l’information en ligne mettent à rude épreuve nos capacités de vigilance intellectuelle, nos rapports aux médias s’en trouvent bouleversés. Force est de constater que l’audiovisuel public est toujours fragilisé par la révolution numérique et la concurrence des plateformes, par la baisse des moyens de l’État et par la récente réforme de son financement et par des courants politiques qui appellent à sa disparition.

Selon vous, préserver et défendre un audiovisuel public fort et indépendant ne serait-il pas un autre moyen de lutter de manière efficace contre les fausses informations ?

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Votre rapport est essentiel pour comprendre les ressorts de la circulation des fausses informations, des théories complotistes et leur rapidité de diffusion. Votre rapport est passionnant et saisissant, car il éclaire de manière frappante ce que nous vivons et ressentons tous au quotidien : un profond désordre informationnel, l’un des vertiges de notre société, de notre démocratie.

Outre les dangers d’ingérence étrangère et de perturbation volontaire du processus démocratique, votre rapport alerte sur une désagrégation du socle commun et sur une forme de sécession mentale d’une partie de nos concitoyens. Notre démocratie pacifiée est ainsi mise en danger.

Pour lutter contre ces risques de désinformation, vous avez identifié cinq grands axes de réflexion et d’action, parmi lesquels la révolution pédagogique, qui me semble particulièrement importante, comme l’est la réflexion menée sur l’enjeu du développement de l’esprit critique et de l’éduction aux médias.

Faire de l’esprit critique une grande cause nationale, systématiser la formation à l’esprit critique et aux médias en milieu scolaire et étendre ce travail dans la société civile, sont devenus urgents, d’autant plus que l’esprit critique est le ciment de notre fonctionnement démocratique.

J’aimerais toutefois connaître l’état de votre réflexion sur deux points qui pourraient avoir évolué depuis la parution de votre rapport : les craintes liées aux déstabilisations venues de l’étranger ont-elles été confirmées ? L’ingérence étrangère s’est-elle exprimée au cours de la période électorale ? Enfin, votre analyse a-t-elle évolué s’agissant du métavers ?

M. Stéphane Lenormand (LIOT). Dans le chapitre IV consacré aux ingérences étrangères, vous considérez que le durcissement du contexte géopolitique mondial entraîne une logique d’affrontement permanent qui caractérise la conflictualité de l’ère numérique. Cette logique conduit à l’émergence de menaces de plus en plus hybrides qui impliquent une grande diversité d’acteurs et de modes opératoires qui en compliquent la compréhension, la détection et la prévention.

Vous proposez la mise en place d’un organe d’expertise indépendant, avec lequel les plateformes pourraient signer une convention et duquel elles s’engageraient de suivre l’avis. Avec un tel organe, quels sont les risques de porter atteinte à des libertés essentielles de la démocratie, telles que la liberté d’expression, d’opinion ou d’information ? Comment appréhender ces risques ?

Vous soulignez par ailleurs la problématique du recours aux hébergeurs à l’étranger. Un rapport de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2017 alerte sur l’augmentation constante des données hébergées à l’aide du cloud notamment qui représente un enjeu pour la sécurité des informations sensibles de notre société. Ne pensez-vous pas qu’il est urgent que la France et l’Union européenne investissent dans le développement de leur propre système de stockage et de traitement des données indépendant, qui en respectera nos règles ?

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Violette Spillebout (RE). Vous proposez de créer une cellule interministérielle dédiée au développement de l’esprit critique et de déclarer grande cause nationale le développement de l’esprit critique et de l’éducation au média, avec une systématisation de l’information en milieu scolaire et une sensibilisation particulièrement auprès des élus locaux.

Nous disposons sur le territoire lillois comme partout en France de conseils municipaux d’enfants et de conseils de jeunes très actifs, qui permettent une participation citoyenne de nos jeunes sur des sujets très variés. Ceux qui sont éloignés de la vie de la cité deviennent de réels acteurs de leur avenir, de notre démocratie française, aux côtés des élus locaux. Comment pourrions-nous intégrer ces instances de démocratie locale dans le grand projet national que vous souhaitez impulser ?

Mme Sophie Blanc (RN). Vos recommandations sur l’esprit critique proposent une série de mesures adaptées à notre système administratif : créer une cellule interministérielle, cartographier les difficultés cognitives des élèves, etc. Ces mesures sont dirigées vers l’État et notre « machinerie administrative » que vous voulez mettre en branle sur le sujet.

Je voudrais vous entendre développer notamment la mesure 27, « Systématiser la formation pour les élèves dès l’école primaire et jusqu’après le secondaire et pour les enseignants en formation initiale et continue et renforcer de manière significative le réseau de référents et coordinateurs académiques dans ces domaines ». J’aimerais que vous m’expliquiez votre pensée, notamment : comment armer nos enfants ? Comment leur donner le recul nécessaire ? Quels outils mettre en place dans les programmes pour leur enseigner le doute et l’analyse ? Surtout, qui va leur enseigner cela de manière objective ?

À quel âge se fait la révolution pédagogique ? L’enseignement n’implique-t-il pas une certaine stabilité ?

Mme Céline Calvez (RE). Vous aviez pour mission d’identifier les mécanismes permettant de limiter la propagation des fausses informations nuisant à la vie démocratique et de renforcer la vigilance des citoyens notamment sur les réseaux sociaux.

Quel est le sens de votre recommandation 29 qui préconise de créer un continuum entre le temps scolaire, l’université, le monde culturel et le monde du travail afin de renforcer la formation à l’esprit critique et à l’éducation aux médias ?

Vous pointez le besoin de faire de l’éducation aux médias pas uniquement pour les enfants, mais aussi tout au long de la vie. J’aimerais aborder avec vous deux leviers possibles : quelle est la place de la formation à l’esprit critique dans le compte personnel de formation  ? L’esprit critique et l’éducation aux médias d’information (EMI) sont-ils intégrés au socle de connaissances et de compétences ?

Quel est le rôle de l’audiovisuel public dans l’accompagnement de son continuum de formation à l’esprit critique ? Dans quelle mesure les médias publics pourraient-ils se saisir de ce rôle fondamental de formation à la pensée méthodique et l’esprit critique ?

M. Maxime Minot (LR). S’agissant de vos recommandations sur l’ingérence numérique étrangère, nous savons que le fait est de plus en plus avéré et fréquent. Vous conseillez d’analyser les données de campagne d’ingérence étrangère ayant visé la conduite de la vie démocratique française afin de mieux anticiper le risque d’ingérence. Qu’entendez-vous par là ? Ne pouvons-nous pas envisager une intervention, la création d’un système ou d’algorithmes de protection innovants afin de lutter contre ces tentatives d’ingérence ?

S’agissant du partage de données entre acteurs de confiance, comment définir ces acteurs ?

M. Laurent Croizier (Dem). Nous pouvons nous demander si les réseaux sociaux ne sont pas devenus des réseaux asociaux. Les utilisateurs sont noyés sous une masse continue d’information non hiérarchisée, et sont orientés par des algorithmes qui visent à les enfermer dans une bulle cognitive. Ils sont alors un terreau pour la propagation de fausses informations et pour le complotisme. Pensez-vous qu’il faille à court terme encadrer les algorithmes par la loi ?

M. Karl Olive (RE). Je partage votre analyse sur le nécessaire renforcement à tous niveaux scolaires des cours consacrés à l’esprit critique et à l’EMI ainsi que sur l’amélioration de la formation des enseignants. La vérification de l’information est l’ADN des journalistes. Je souhaite néanmoins connaître concrètement la place de ces réflexions chez nos voisins européens.

Sur la formation continue des adultes, l’intérêt de développer l’esprit critique tout au long de sa vie et de former aux médias les générations qui n’ont pas connu les réseaux sociaux à l’école s’avère fondamental. Je souhaite connaître votre position sur le sujet.

M. Alexandre Portier (LR). Dans votre rapport, une recommandation vise à soutenir l’engagement de la recherche scientifique française sur la prévalence de la désinformation en ligne, ses effets et les mécanismes par lesquels elle affecte les individus. La mission Recherche et Enseignement supérieur du projet de loi de finances pour 2023 ne traite en rien de cette recommandation. Qu’en pensez-vous ? Quels types de travaux scientifiques faudrait-il lancer en France ? Quel type de dispositif faudrait-il soutenir ?

Mme Angélique Ranc (RN). Les jeunes sont confrontés à un pourcentage de désinformation affolant à travers certains réseaux sociaux. Les recommandations nécessaires de votre rapport relatives aux logiques des algorithmes des réseaux sociaux impliquent des acteurs privés, souvent internationaux. Par quels moyens la France pourrait-elle participer de la régulation des réseaux sociaux, afin de les empêcher de contrôler l’information ?

M. Belkhir Belhaddad (RE). Concernant la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dans sa décision du 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel censurait certaines de ses dispositions. Certains termes haineux ne sont pas considérés par Facebook comme des insultes. Quelles sont vos réflexions et vos réponses face à ces prêcheurs de haine et à la régulation des plateformes ?

M. Bertrand Sorre (RE). Peu de parents ont recours aux outils permettant un contrôle parental sur internet et sur les réseaux sociaux. La loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet rend obligatoire la préinstallation d’un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés vendus en France, l’activation devant se faire sur proposition du vendeur. À votre avis, ce dispositif peut-il permettre de mieux contrôler l’utilisation par les enfants ? La confiance n’empêchant pas le contrôle, savez-vous si les parents se sont d’ores et déjà saisis de cette obligation et si nous pouvons envisager des évolutions favorables ?

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Avec la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information et celle visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, les compétences de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ont été étendues dans le domaine du numérique. Ces compétences sont nécessaires pour veiller à ce que les plateformes et plus généralement les contenus internet ne soient pas source de troubles et fassent l’objet d’une meilleure régulation.

Comment percevez-vous ces nouvelles activités du régulateur ? Quels autres champs de la régulation souhaitez-vous que l’Arcom investisse ?

Mme Béatrice Piron (RE). Vous proposez d’analyser les données de campagnes d’ingérence étrangère afin de mieux anticiper les risques et de mettre en place un dispositif de coopération entre plateformes, institutions et communautés académiques pour réagir rapidement aux opérations détectées. Estimez-vous possible de mettre en œuvre des dispositifs de ce type ? Le cas échéant, seront-ils vraiment efficaces ou vite détournés ?

Pensez-vous que les moyens technologiques puissent aider à garantir la pertinence du numérique ?

Mme Annie Genevard (LR). L’une de vos préconisations-phares consiste à développer l’éducation aux médias et à y associer naturellement l’ensemble du corps enseignant. Étant enseignante moi-même, je sais le rôle que peuvent jouer les enseignants en la matière. Cela présuppose toutefois la neutralité des enseignants, notamment à l’égard des opinions développées par les minorités. Comment peut-on garantir que cette éducation aux médias soit parfaitement neutre ?

S’agissant de l’affaiblissement de la sensibilité aux sciences, je trouve tout à fait préoccupant que peu de formateurs viennent du monde scientifique. Comment fait-on pour éveiller les enfants à la science, et donc à l’esprit critique, lorsque l’on en est si peu familier ?

Mme Estelle Folest (Dem). Que pensez-vous de la levée de l’anonymat sur les réseaux sociaux ?

Mme la présidente Isabelle Rauch. Monsieur le professeur, je vous laisse répondre aux différentes questions.

M. Gérald Bronner. Merci à toutes et tous pour vos excellentes questions qui couvrent pratiquement tous les thèmes. Je vais essayer d’y répondre « par paquet » et me tiens à votre disposition si vous avez besoin de compléments ; j’y répondrai volontiers par mail.

Les questions qui concernent notamment les ingérences étrangères ne sont pas dans mon domaine de spécialité.

Je vais préciser un point très important à propos de l’esprit critique et de l’EMI. La pensée paresseuse est une variable essentielle sur laquelle nous pouvons agir. L’EMI n’est pas du tout le développement de l’esprit critique et les deux sont importants. L’EMI, c’est apprendre aux jeunes à comprendre leur environnement informationnel, y compris l’environnement algorithmique. La question de l’esprit critique ou de la pensée méthodique est tout à fait différente. On apprend à compter et à lire, mais raisonner s’apprend aussi. Les inquiétudes, toutes légitimes, qui se sont manifestées, ne sont pas tout à fait fondées. La question de la neutralité des enseignants est une vraie question, mais n’est pas impliquée dans celle de l’esprit critique. Il existe peu de données sur le résultat pédagogique, mais elles sont relativement encourageantes.

L’esprit critique, c’est penser sa propre pensée. À quel moment, vais-je avoir des intuitions qui peuvent être fausses sur certains sujets ? À quel moment, ne vais-je pas faire disparaître ces intuitions ? Je vais donc reconnaître des structures de situation où j’ai des chances de me tromper. L’identification de ces erreurs est neutre d’un point de vue politique ou idéologique et garantit une forme d’indépendance intellectuelle. Quelle que soit la sensibilité politique des enseignants, il n’y a pas lieu de craindre que leur sensibilité politique s’exprime plus dans l’enseignement des outils du raisonnement que dans un cours autre. Le risque est plutôt moindre.

Nous suggérons d’établir une cartographie des difficultés pédagogiques. Il ne faut pas développer, de notre point de vue, de cours spécifique d’esprit critique. Il faut saupoudrer ce dispositif dans tous les cours où cela est nécessaire. Nous proposons de commencer en 6ème et se servir de la compétence des enseignants de terrain qui repèrent le moment où les élèves ont plus de difficultés pédagogiques.

Une fois cette cartographie réalisée, nous étudierons les moments du programme qui posent problème et nous convoquerons un collège d’experts pour identifier les caractéristiques de ces moments. C’est en saupoudrant out au long du temps pédagogique que l’on peut espérer obtenir un transfert de compétences. Il ne s’agit pas de transformer les programmes. En revanche, le coût porte sur la formation des enseignants. Je reçois très souvent des mails d’enseignants qui sont extrêmement demandeurs. C’est pourquoi je pense qu’il y aurait une grande acceptabilité de ce dispositif. Le corps enseignant est beaucoup plus conscient que la moyenne d’entre nous de la nécessité de procéder ainsi.

Nous avons énormément auditionné dans un temps relativement court et avons été frappés par le manque de coordination. Nous devons par ailleurs réunir les données sur ces questions. J’ai simplement une inquiétude sur le fait que nous ne mesurons pas l’effet pédagogique que nous produisons. Il ne faut pas en venir à se méfier de toutes les sources d’information, ce n’est pas l’objectif.

Les grandes entreprises privées ont un pouvoir qui relève du politique, alors qu’elles n’ont aucune légitimité pour ce faire. Elles peuvent censurer par exemple le compte d’un ex-président des États-Unis. Nous ne pouvons pas ne pas négocier avec elles. Elles se préoccupent de leur image publique. Elles doivent accorder leurs intérêts économiques avec la prise en compte de l’intérêt général et de la sérénité des débats démocratiques. Cette négociation est actuellement en cours et je suis relativement optimiste sur les avancées obtenues. Ces grandes entreprises se sont engagées sur un certain nombre de points, notamment l’accès aux données pour les chercheurs. Il est fondamental que les chercheurs puissent avoir accès à ces données pour comprendre. C’est le cas aux États-Unis. La France a quant à elle besoin de postes de chercheurs spécifiquement fléchés sur les sujets des fausses informations et de la cognition humaine. Or les profils restent insuffisants.

Toutefois, les sujets étant polyédriques, si nous voulons bien les comprendre et les traiter, il faut intégrer des compétences pluridisciplinaires dans les équipes. Or la pluridisciplinarité est souvent sanctionnée. Il faut donc ménager des postes ouverts à la pluridisciplinarité.

Sur le métavers, il est très difficile d’anticiper ce que les gens vont en faire exactement. Pour rappel, une partie du minitel a été orientée vers le minitel rose. Il ne s’agit pas d’une condamnation morale, mais d’un constat. Il est très difficile de créer une fluidification entre toutes les demandes possibles et toutes les offres imaginables. Il faut avoir beaucoup de courage pour imaginer son avenir dans dix ans. S’agissant du métavers, une des possibilités est qu’il ne fonctionne pas du tout et que personne ne s’y intéresse. La réalité augmentée à travers les lunettes n’a pas fonctionné. Certains espaces virtuels sont devenus un désert.

En revanche, certaines promesses de la réalité virtuelle sont formidables : au niveau de la transmission de la connaissance, il est possible de lutter contre certaines formes de stéréotypes ou contre certaines phobies telles que le vertige.

Le métavers n’est pas sans impact environnemental non plus. Je suis tout à fait incompétent pour en faire la balance, mais nous aurions raison de nous pencher sur la question.

Pourquoi ne faut-il pas limiter le développement de l’esprit critique aux enfants, même s’ils sont une priorité ? Car ce ne sont pas eux qui partagent le plus de fausses informations, mais les personnes du troisième âge.

Les outils ne nous disent pas du tout quoi penser, mais nous offrent la possibilité de penser librement. Il ne faut pas être tenu trop captif par la suractivité d’un certain nombre de groupes qui ont le droit d’exister et je me battrai pour qu’ils puissent continuer à parler. Tout démocrate doit s’intéresser à la question de la diversité inauthentique.

Je suis personnellement très attaché à l’existence d’un service public de l’information. Je trouverai tout à fait dangereux que le marché de l’information, public et privé, bascule entièrement vers une logique d’économie de l’attention. C’est malheureusement ce qui est en train de se produire.

En France, les médias ont encore un statut très important, protégé par la puissance publique, et j’espère personnellement que cela va continuer, à condition que les services publics soient tenus à l’écart des logiques du marché de l’attention, ce qui ne me semble pas être vraiment le cas.

Il faut également réfléchir à la manière dont les experts sont recrutés par les médias. Sur la question du réchauffement climatique, 96 % des publications scientifiques vont dans le sens de l’existence du réchauffement climatique et de la confirmation de l’action de l’homme sur ce réchauffement. Est-ce démocratique d’engager un débat sur la question avec 50 % de temps de parole à un climatosceptique et 50 % à un scientifique sérieux ? Je ne le crois pas, mais vous laisse débattre de la question.

Il faut avancer sur ce point, et notamment sur le service public de l’information. Les médias privés sont beaucoup plus pieds et poings liés au marché de l’économie de l’attention.

Sur les ingérences étrangères, je parlerai avec beaucoup de prudence. Les puissances étrangères étaient plus absorbées par la guerre en Ukraine. Vous aurez sur cette question grand intérêt à écouter ma collègue et très grande spécialiste, Frédérick Douzet.

Le compte personnel de formation devrait pouvoir être utiliser, dans la mesure où l’acquisition de ces méthodes serviront aux personnes formées tout au long de leur vie. Je ne vois pas en quoi apprendre à penser sa propre pensée pourrait nuire à qui que ce soit.

La haine en ligne est une question très importante et très spécifique que nous n’avons pas traitée dans notre rapport. Je m’avoue incompétent sur ce point. Il me semble anormal que les insultes puissent rester sur les réseaux sociaux. Les grandes plateformes font tout pour les retirer, mais sont absolument débordées. Ces entreprises, très riches, doivent investir massivement dans de la modération humaine et localisée sur le territoire national de chacun des pays considérés. La France n’a pas la masse critique pour opérer des négociations efficaces avec ces grands groupes, mais nous avons la chance d’être membre de l’Union européenne. Plusieurs personnes nous ont confirmé leur grande admiration pour l’action de l’Europe, qui est à l’avant-garde sur cette question.

À la question de qui décide de ce qui constitue un complot, je voudrais lever un malentendu : il ne s’agit pas d’évaluer la vérité d’un complot, mais la nature de l’argumentation qui prétend être une administration de la preuve. Non, je ne veux pas créer un ministère de la vérité, mais l’oreille est un os et souffrez que la science s’exprime. Si nous faisons la cartographie politique de ceux qui partagent les fausses informations, toutes les enquêtes montrent que le Rassemblement national est en tête et j’en suis désolé.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, j’avais promis à monsieur le professeur de pouvoir le libérer à onze heures. Il s’est engagé à répondre par écrit ou à revenir devant notre commission. Nous attendons les réponses aux questions de régulation et sur le rôle de l’Arcom. Pouvez-vous nous accorder encore une minute pour y répondre ?

M. Gérald Bronner. Oui, d’autant que j’ai été auditionné par l’Arcom. Son domaine de compétences s’est largement élargi. Il faut absolument une instance de ce type. Mon seul doute concerne ses moyens. Nous avons du mal à nous rendre compte de la masse d’informations à traiter. L’absence de modération peut être interprétée comme de la mauvaise volonté. Le risque inverse – que l’on voit pointer dans le métavers – est la surmodération. Je crains que ni l’Arcom ni aucune institution n’ait vraiment le moyen de résoudre le problème de façon satisfaisante.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Merci pour vos propos. Sachez qu’ici la parole est libre et qu’elle le restera. Je suppose que les orateurs sont intelligents, avertis, éduqués et en capacité de répondre aux questions qui leur sont posées. Je souhaite que la Commission ne fasse pas preuve de surmodération, qui peut être un danger pour la liberté d’expression, mais uniquement de modération.

 

La séance est levée à onze heures.


Présences en réunion

 

Présents.  Mme Farida Amrani, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Rodrigo Arenas, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, Mme Céline Calvez, Mme Agnès Carel, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, M. Laurent Croizier, M. Inaki Echaniz, M. Philippe Fait, Mme Estelle Folest, Mme Anne-Sophie Frigout, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Sarah Legrain, M. Stéphane Lenormand, Mme Christine Loir, M. Alexandre Loubet, M. Christophe Marion, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Sophie Mette, M. Maxime Minot, M. Karl Olive, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Isabelle Périgault, M. Stéphane Peu, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, Mme Angélique Ranc, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Cécile Rilhac, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Claudia Rouaux, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, M. Boris Vallaud, M. Paul Vannier, M. Léo Walter

Excusés.  Mme Clémentine Autain, Mme Aurore Bergé, M. Idir Boumertit, M. André Chassaigne, M. Hendrik Davi, Mme Béatrice Descamps, M. Raphaël Gérard, M. Frantz Gumbs, M. Frédéric Maillot, M. Julien Odoul

Assistait également à la réunion.  Mme Ségolène Amiot