Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

–  Audition de M. Didier Samuel, pressenti par M. le Président de la République pour occuper les fonctions de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) (Mme Emmanuelle Anthoine, rapporteure)              2

–  Vote à bulletins secrets sur cette désignation, en application de l’article 13 de la Constitution 20

–  Présences en réunion..............................21

 

 

 

 

 


Mercredi
25 janvier 2023

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de
Mme Isabelle Rauch,
Présidente
 

 


  1 

La séance est ouverte à quinze heures dix.

(Mme Isabelle Rauch, Présidente)

 

La commission auditionne M. Didier Samuel, pressenti par M. le Président de la République pour occuper les fonctions de président de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) (Mme Emmanuelle Anthoine, rapporteure).

Mme la présidente Isabelle Rauch. Mes chers collègues, notre commission, en raison de ses compétences en matière de recherche, doit se prononcer sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Samuel à la présidence de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en application de l’article 13 de la Constitution. Je rappelle qu’aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut pas procéder à la nomination.

Avant d’émettre notre avis, nous allons entendre M. Didier Samuel, qui se rendra demain, à dix heures trente, devant nos collègues de la commission de la culture du Sénat pour le même exercice. En conséquence, le dépouillement des votes des deux commissions aura lieu de manière concomitante, demain, vers douze heures quinze.

Bienvenue, donc, professeur Samuel, pour cette audition diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale et sur les réseaux sociaux. Elle va vous permettre de nous exposer votre projet pour l’Inserm, ainsi que la façon dont vous concevez le rôle de président d’un tel institut de recherche.

J’ai pour ma part une question sur un sujet qui me tient à cœur. En cette période de montée du relativisme et de défiance à l’égard de la science, le rôle des scientifiques – chercheurs, ingénieurs et techniciens – m’apparaît décisif. Les polémiques récentes sur les nouveaux vaccins et les fausses informations qui ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux nous le démontrent. Il est important d’avoir une parole scientifique utile, fiable et crédible pour chacun. Il faut diffuser la culture scientifique pour valoriser les connaissances, ainsi que les avancées scientifiques issues des laboratoires. Pour propager la culture scientifique dans les débats de société qui font l’objet de fortes attentes de la part du grand public, l’Inserm a créé plusieurs outils en plus de son site inserm.fr, parmi lesquels son magazine ou la série Canal Détox, destinée à l’information, notamment des jeunes adultes, par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Quelles perspectives souhaitez-vous ouvrir pour renforcer ce rôle ?

Mme Emmanuelle Anthoine, rapporteure. La procédure choisie pour votre nomination n’est pas neutre : elle est la preuve de l’importance de la recherche en santé humaine, rôle central de l’Inserm.

Par sa taille, son large spectre d’activités et son niveau d’expertise reconnue, l’Inserm joue depuis plus de cinquante ans un rôle pivot dans la structuration et l’orientation de notre recherche biomédicale, en lien avec les orientations de ses tutelles ministérielles en recherche et en santé, et en exerçant la double fonction d’opérateur de recherche et d’agence de financement et de pilotage scientifique.

La crise sanitaire de la covid-19 ainsi que l’actualité médicale – variole simienne, épidémie de grippe, augmentation du nombre de cancers – accroissent son importance et nourrissent l’espoir que les chercheurs puissent apporter des réponses aux questions sanitaires auxquelles l’humanité est confrontée. C’est ce qui fait de l’Inserm un organisme incontournable pour la santé des Français.

Ses chercheurs, implantés au cœur du système de soins, font progresser les connaissances sur la santé humaine et les maladies par la recherche de nouveaux traitements et par des innovations qui fondent le rayonnement à travers le monde de cet institut, et, à travers lui, de la France. Il importe que l’Institut continue de rayonner, en collaboration avec ses ministères de tutelle ; il doit pour cela bénéficier de l’impulsion et des moyens nécessaires.

Or le rapport de la Cour des comptes paru ce lundi dresse un état des lieux assez critique, indiquant que la crise sanitaire fut le révélateur de difficultés : elle a « mis en évidence la faible coordination des acteurs du domaine de la recherche en biologie-santé, parmi lesquels l’Inserm est en première ligne, ainsi que ses conséquences défavorables (dispersion des financements, manque de pilotage et de chef de file, éparpillement des initiatives, rigidités administratives, insuffisante priorisation des recherches, cloisonnement entre politique locale et nationale) ». La première recommandation de la Cour est de définir une stratégie scientifique par site. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre vision de la gouvernance dans le domaine de la recherche biomédicale ? Quel serait, selon vous, le modèle vers lequel les ministères de tutelle devraient faire tendre l’Inserm ?

Conformément à la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, un contrat d’objectifs, de moyens et de performance 2025, le premier de ce type qu’un organisme de recherche ait conclu avec ses tutelles, a été signé le 4 février 2022. Il dote l’Inserm de moyens supplémentaires qui devraient avoir un effet de levier important. Parmi les domaines concernés, l’environnement et la santé, la santé des femmes, les maladies métaboliques, les cancers, les maladies infectieuses, le vieillissement et la santé mentale. Le contrat témoigne aussi d’une volonté d’alignement marquée des forces de recherche sur les priorités de santé, d’un effort spécifique en matière d’investissement technologique et d’attractivité des métiers de la recherche, et met l’accent sur la transition numérique, la science ouverte, la gestion des données massives et l’interaction entre science et société. Ce grand nombre de domaines ne risque-t-il pas d’aggraver la dispersion relevée par la Cour des comptes ?

La mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche a, semble-t-il, eu un impact positif concret sur l’Inserm : elle a permis l’augmentation des moyens de l’Institut dans le cadre du contrat susdit pour financer des mesures de ressources humaines et, plus largement, l’investissement dans la science développée à l’Inserm. Elle a aussi permis le développement des contrats conclus avec l’ANR (Agence nationale de la recherche), l’agence française de financement de la recherche sur projet, faisant passer leur nombre de 210 en 2021 à près de 670 en 2022. La programmation des recrutements vous semble-t-elle avoir également évolué favorablement depuis cette loi, de sorte que, au-delà des moyens financiers, vous disposiez des ressources humaines nécessaires à la conduite des projets de l’Institut ? S’agissant de la subvention pour charge de service public (SCSP), les besoins de l’Inserm vous semblent-ils correctement pris en compte dans le contexte de hausse du coût de l’énergie ?

En matière de rayonnement international, Inserm Transfert, filiale privée de l’Inserm fondée en 2000, est chargée de la valorisation et des innovations de l’Inserm en santé humaine et favorise les transferts de technologies sur le long terme selon les bonnes pratiques internationales. Elle gère, sous mission de service public, l’intégralité de la valorisation et du transfert des connaissances issues des laboratoires de recherche de l’Inserm vers le monde industriel, de la déclaration d’invention au partenariat industriel et à la création d’entreprise. Inserm Transfert propose aussi ses services dans le montage et la gestion de projets nationaux, européens et internationaux, ainsi que l’accompagnement de la valorisation de la recherche clinique, des données et bases de données de santé et de cohortes. Aujourd’hui, l’Inserm et sa filiale sont, semble-t-il, des partenaires de référence pour les industriels et les investisseurs mondiaux. En 2021, l’ensemble des activités d’Inserm Transfert a généré près de 118 millions d’euros de contributions financières pour l’Inserm et ses partenaires. Quelle est votre appréciation des enjeux de la valorisation de la recherche en matière biomédicale ? Comment envisagez-vous le développement de la filiale Inserm Transfert et son articulation, le cas échéant, avec les sociétés d’accélération du transfert de technologies (Satt) ?

Parmi les activités institutionnelles récentes de l’Inserm, on peut noter la création, le 1er janvier 2021, de la nouvelle agence ANRS-MIE, agence autonome intégrée à l’Inserm et chargée de la recherche sur les maladies infectieuses émergentes. Elle a pour missions l’animation, l’évaluation, la coordination et le financement de la recherche sur les maladies infectieuses. L’agence couvre tous les domaines de la recherche : recherche fondamentale, clinique, en santé publique et en sciences de l’homme et de la société. Son organisation met l’accent sur l’innovation et le renforcement de partenariats internationaux. Que pensez-vous de l’approche One Health, qui s’intéresse à la santé humaine et animale et à l’impact de l’homme sur l’environnement ? Comment l’agence prépare-t-elle le traitement des enjeux scientifiques que représentent les maladies émergentes et son déploiement en temps de crise ?

Par ailleurs, en 2022, l’agence a lancé les premiers appels à projets sur la covid-19 et dans le cadre de l’épidémie de variole simienne. Savez-vous ce qu’il en est des projets retenus ?

Que pouvez-vous nous dire du rôle de l’Inserm dans l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et de sa participation au plan France médecine génomique 2025 ?

L’Inserm affiche l’ambition de promouvoir la collaboration entre chercheurs et citoyens, notamment en soutenant des projets de recherche participative lancés avec ses chercheurs. Que pensez-vous de l’association du profane et du scientifique en matière de recherche ?

Le site de Paris-Saclay, où universités, grandes écoles, centres de recherche et développement cohabitent, est en train d’émerger comme pôle d’innovation de rang mondial. Cependant, le Gouvernement a repoussé l’ouverture de la ligne 18 du métro, qui doit desservir le site, de 2024 à 2027 pour le tronçon vers Orly et à 2030 pour le tronçon en direction de Versailles. Que pensez-vous de l’avenir de Paris-Saclay et du Grand Paris Express ?

L’Inserm participe au programme France 2030 et a, à ce titre, développé des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Ils visent à construire ou à consolider un leadership français dans des domaines scientifiques considérés comme prioritaires au niveau national ou européen. Ils sont de deux sortes : les PEPR des stratégies nationales et les PEPR exploratoires.

En ce qui concerne les PEPR des stratégies nationales, l’Inserm a impulsé depuis 2021 plusieurs stratégies d’accélération qu’il pilote ou copilote avec ses partenaires. Tous ces programmes sont-ils entrés dans une phase opérationnelle ? En existe-t-il de nouveaux ?

Où en sont les PEPR exploratoires, qui visent des secteurs scientifiques ou technologiques en émergence ?

Enfin, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du projet sur la santé mentale Propsy, lancé avec la communauté scientifique et médicale le 27 octobre 2022 ?

M. Didier Samuel. Je suis hépatologue, c’est-à-dire spécialiste des maladies du foie. Je suis professeur d’hépatologie à la faculté de médecine Paris-Saclay depuis 1997. J’ai aussi une qualification en réanimation médicale.

J’ai créé et développé l’hépatologie et la réanimation au centre hépatobiliaire de l’hôpital Paul-Brousse au cours des trente dernières années. Je suis chef de l’unité d’hépatologie et de réanimation hépatique et directeur médical du programme de transplantation hépatique de ce même hôpital, qui est le premier centre de transplantation hépatique en France et l’un des plus importants en Europe. J’ai une très grosse activité clinique d’hépatologie et une expertise particulière dans la prise en charge des patients souffrant d’insuffisance hépatique et d’hépatites virales, ainsi que dans la transplantation hépatique. J’ai suivi jusqu’à ce jour plus de 4 500 patients transplantés hépatiques.

J’ai une activité de recherche essentiellement clinique et translationnelle. J’ai créé en 2005 l’unité mixte de recherche (UMR) Paris-Saclay-Inserm qui portait alors le numéro 785, et a été recréée sous le numéro 1193 en 2015 : « Physiopathogenèse et traitement des maladies du foie ». J’en suis le directeur ; elle comprend cinq équipes labellisées ; j’y dirige l’équipe 1, qui se consacre à l’innovation thérapeutique et à la recherche translationnelle dans les maladies hépatiques et en transplantation du foie.

J’ai une bonne connaissance de l’Inserm en tant que directeur d’unité de recherche Inserm, mais aussi comme ancien membre d’une commission scientifique spécialisée, de 2008 à 2012. Dans cette commission, j’évaluais les équipes et les unités de recherche et nous proposions le recrutement des chercheurs sur concours. J’ai plus récemment fait partie du comité de sélection de l’école de l’Inserm et j’ai été co-chairman du récent appel à projets du programme de recherche stratégique en santé Messidore, coordonné par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et l’Inserm.

J’ai une visibilité internationale. J’ai été membre du council de l’International Liver Transplant Society, dont j’ai été le président en 2013. J’ai également été membre du comité scientifique de l’Association européenne de l’étude du foie (European Association for the Study of the Liver, EASL). Pendant cinq ans, de 2010 à 2014, j’ai été éditeur en chef du Journal of Hepatology, qui est devenu pendant mon mandat la première revue mondiale en hépatologie. J’ai une expertise internationale en matière de maladies du foie et de transplantation hépatique.

Par ailleurs, depuis six ans, je suis doyen de la faculté de médecine Paris-Saclay et j’ai entamé un deuxième mandat depuis un an. J’ai également été élu depuis un an à la présidence de la conférence des doyens. Du fait de ma valence recherche, j’ai été élu il y a deux ans et demi à la présidence du Comité national de coordination de la recherche (CNCR), dont le but est de coordonner la recherche hospitalière dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers (CH).

Pourquoi me suis-je porté candidat à la présidence de l’Inserm ? Tout d’abord, j’ai toujours été investi dans la recherche, particulièrement en recherche clinique et translationnelle. Je suis passionné par la science en général et par la recherche. De plus, je considère que la recherche en santé est absolument indissociable de la qualité de la médecine et du soin. C’est aussi un facteur d’attractivité pour les hôpitaux et les médecins. La recherche et l’innovation tirent le soin vers le haut. Au fil des années et avec l’expérience, j’ai acquis la conviction que la recherche en médecine et en santé devait être relancée.

À mon avis, il y a eu pendant une quinzaine d’années un décrochage global des moyens de la recherche en biologie-santé en France, caractérisé par une baisse significative de l’investissement dans la recherche et en biologie-santé. La pandémie de covid que nous avons eu à combattre au sein des hôpitaux a montré que nous n’étions pas complètement prêts à affronter une épidémie de ce type. Notre recherche sur les coronavirus était absente ; nous souffrions d’un manque de compétitivité concernant les technologies liées à l’ARN, ce qui s’est traduit par des difficultés à maîtriser ces technologies et, par rapport à d’autres pays, à créer un vaccin. Nous avons aussi été en retard en matière de séquençage et d’instauration de tests diagnostiques. Enfin, des essais cliniques de niveau international, pourtant de qualité, ont été malheureusement trop souvent désorganisés, se chevauchant, et insuffisamment coordonnés.

Par ailleurs, les difficultés que vivent les hôpitaux retentissent sur le travail hospitalo-universitaire : la partie universitaire est phagocytée par le soin et le management, ce qui commence à fragiliser les unités de recherche et nos capacités de recherche en médecine.

On observe également un manque d’attractivité des métiers de la recherche – techniciens de recherche, assistants de recherche clinique – et du métier de chercheur, en raison du salaire et de l’évolution de carrière.

De plus, l’organisation de notre recherche, à laquelle concourent de nombreux organismes publics et agences, est complexe et lourde.

Cependant – une note d’optimisme –, nous sommes depuis deux ans dans un environnement plus favorable, grâce à une loi de programmation de la recherche qui permet un réinvestissement : même si elle ne suffira pas pour rattraper tout le retard accumulé, elle autorise la création de postes, de chaires de professeur junior, la revalorisation des carrières des chercheurs grâce à une hausse des salaires et la revalorisation de primes. Dans le cadre du volet France santé 2030, plus de 7 milliards d’euros doivent être injectés dans le domaine de la santé. Le Président de la République a annoncé il y a dix-huit mois le plan Innovation santé et la création de l’Agence de l’innovation en santé, dont le positionnement reste à préciser, mais qui remet l’innovation et la santé au premier plan.

Pourquoi l’Inserm ? Il possède de grandes forces : c’est, pour moi, l’acteur national central et incontournable de la recherche en santé. Il doit être à la fois un pilote de la recherche en santé au niveau national, réussir une politique de site avec les universités et les CHU, assurer une veille scientifique, jouer le rôle d’alerte sanitaire et apporter une réponse sanitaire aux crises. Il doit aussi assurer la valorisation de la recherche par des brevets. L’Inserm est très présent au sein des universités et des CHU, et l’interconnexion est très forte entre les mondes universitaire et hospitalier.

L’Inserm a été conforté dans son action par le Gouvernement, qui lui a confié la prise en charge de l’agence autonome ANRS-MIE. Il pilote aussi de grosses infrastructures de recherche, comme F-Crin (French Clinical Research Infrastructure Network), le laboratoire P4 Mérieux et Ingestem.

En outre, l’Inserm a une vraie capacité d’évaluation des chercheurs et des unités de recherche, grâce à ses commissions spécialisées et à son conseil scientifique. Avec ce dernier, les instituts thématiques sont des structures susceptibles d’évaluer et de proposer des stratégies de recherche.

L’Inserm reste un label très important pour les unités mixtes de recherche et est très valorisé dans le paysage de la recherche française.

Par ailleurs, c’est le premier organisme européen de publication scientifique, fort d’une visibilité internationale et d’une grande qualité – très au-dessus de la moyenne – des publications, dont plus de 10 % figurent dans le « top 5 % ». Il détient également un taux élevé de brevets. Certains programmes, comme Atip (action thématique incitative sur programme)-Avenir, destiné aux jeunes chercheurs, sont très attractifs.

Enfin, son réseau international est développé et de qualité.

Cependant, certains éléments appellent, selon moi, l’attention.

La stratégie par site, en coordination avec les universités et les CHU, est encore à clarifier et à améliorer, de même que la stratégie nationale, qui mérite d’être plus ambitieuse et devrait mieux hiérarchiser les axes stratégiques.

La coordination avec les CHU, trop hétérogène, doit, elle aussi, être améliorée, pour une recherche clinique de qualité significativement supérieure. La recherche clinique, ce sont non seulement des essais cliniques incluant des patients, mais aussi la capacité, à partir des maladies des patients, de comprendre la physiopathologie de ces maladies et de décortiquer leur mécanisme en vue de traitements ciblés. Or l’interface avec les équipes de recherche clinique est clairement trop faible et le rapprochement entre chercheurs et cliniciens est absolument essentiel.

Le financement des unités mixtes de recherche ne représente que 57 millions hors salaires, ce qui, pour près de 300 UMR, me paraît trop peu.

Enfin, la valorisation insuffisante des carrières de chercheur et leur manque d’évolution sont un vrai sujet, car ce sont les chercheurs qui font la recherche.

Voici les actions que je propose.

Je souhaite tout d’abord, en tant que président de l’Inserm, doter celui-ci d’une vision stratégique nationale. Je veux que l’Inserm soit un acteur de premier plan en matière de recherche comme d’alerte sanitaire auprès des autorités et du public, par l’amélioration de sa communication et de sa visibilité.

Pour moi, il y a deux aspects à traiter : d’une part, la politique de site ; d’autre part, la politique nationale de recherche, qui coordonnera les politiques de site au niveau national. La politique de site doit se conduire avec les universités, qui en seront le pilote, et avec les CHU. La politique nationale doit fixer la stratégie nationale de recherche en tenant compte des politiques de site, mais aussi en définissant les axes prioritaires stratégiques, ainsi que les axes émergents à soutenir dans le cadre d’un Inserm opérateur de programmes de recherche, opérateur de moyens et pilote de la recherche médicale et en santé en France.

Je pense qu’il faut renforcer les unités mixtes de recherche, en accroissant leur masse critique, en fortifiant leurs grands axes, en soutenant les équipes émergentes brillantes.

L’Inserm doit également affermir sa présence dans son environnement, notamment auprès des universités : vous l’avez dit, madame la rapporteure, l’environnement de l’enseignement supérieur et de la recherche a évolué ; il compte des universités de recherche de niveau mondial, créées par des regroupements universitaires incluant les grandes écoles et par l’intermédiaire des initiatives d’excellence (Idex) et des initiatives sciences-innovation-territoires-économie (Isite). Les universités sont quasiment toujours cotutelles des unités mixtes de recherche et sont en lien avec l’Inserm pour de très nombreux projets relevant du programme d’investissements d’avenir (PIA) : les instituts hospitalo-universitaires (IHU), les recherches hospitalo-universitaires (RHU) et d’autres.

Au niveau des sites, nous avons besoin d’un pilotage par les universités. Les plans quinquennaux de recherche font l’objet d’une coordination avec les universités et nous devons réfléchir à la mise en commun de moyens de gestion des UMR.

Les liens avec les CHU doivent être nettement resserrés, pour améliorer significativement la recherche clinique. C’est pour moi un point faible de l’Inserm, mais aussi des CHU. Il est temps que les uns et les autres travaillent ensemble. Les UMR sont présentes dans les CHU, mais, trop souvent, les CHU ne sont pas au fait du travail des UMR. Il y a trop de recherches en silo ; or, pour une recherche clinique et translationnelle de qualité, il faut de la coopération.

L’articulation avec les centres de ressources biologiques (CRB) doit être efficace ; il convient de professionnaliser la gestion des cohortes, d’améliorer le fonctionnement des centres d’investigation clinique (CIC) et de disposer d’une gouvernance de la recherche locale elle aussi beaucoup plus efficace, par l’intermédiaire des CRDSP (centres régionaux de documentation en santé publique) ou d’une autre structure.

Enfin, la question se posera peut-être de confier aux CHU la cotutelle de certaines UMR, ce qui nécessitera de leur part un investissement réel et direct dans les UMR et une discussion stratégique avec les universités et l’Inserm.

Dans l’environnement de l’Inserm, il y a aussi d’autres agences. L’Inserm doit se coordonner avec l’Institut des sciences biologiques (INSB) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il existe déjà beaucoup d’actions communes, qui ont été renforcées, et d’échanges de chercheurs au sein des unités. L’Inserm doit également s’appuyer sur l’ANRS-MIE et sur le PEPR Maladies émergentes afin de doper la recherche en maladies infectieuses et de réagir aux crises sanitaires. Il doit travailler conjointement avec l’Institut national du cancer (Inca). Enfin, l’Inserm doit définir des stratégies de site en cotutelle avec le CNRS, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et les écoles d’ingénieur, aux fins de recherche transdisciplinaire, une nécessité majeure à l’heure du développement des biostatistiques, de la bio-informatique, de la gestion des données de masse, de l’intelligence artificielle, du numérique en santé et des mathématiques appliquées à la santé.

L’Inserm s’est vu confier la coordination, seul ou en association, de PEPR de stratégie nationale ou exploratoires. Il faut qu’ils démarrent, mais il faut aussi assurer la distribution des fonds, assez élevés, en toute transparence vis-à-vis des chercheurs et du public. Le programme stratégique de recherche en santé financé par la DGOS et piloté par l’Inserm qui a débuté en 2022 est doté de 10 millions d’euros par an ; c’est une chance pour l’Inserm et pour la recherche.

Nous devons aussi accentuer notre développement international, selon deux axes. Le premier consiste à travailler de concert avec les universités et les pôles Europe des universités et des CHU, pour accroître significativement notre présence dans les appels d’offres européens et au niveau de leur coordination, s’agissant notamment d’Horizon Europe, comme de l’obtention des financements ERC (European Research Council). Le second axe passe par les laboratoires associés et les liens entre l’Inserm et les organismes étrangers.

Nous devons accorder une attention particulière à la pérennisation des infrastructures de recherche, aux plateformes technologiques, au développement des nouvelles technologies, et apporter un appui aux plateformes de haute performance technologique afin d’être compétitifs au niveau international.

Au moment où France Cohortes se met en place, nous devons aussi être vigilants quant au développement des cohortes et à leur pérennisation financière, qui est très importante et prévue dans le plan France Santé 2030. Nous devons aussi, comme vous l’avez dit, nous ouvrir aux nouvelles approches de recherche en santé : santé environnementale, santé globale, éthique de la recherche et science ouverte. L’Inserm doit aussi s’approprier les nouvelles technologies – le numérique en santé, l’innovation –, développer des partenariats avec les industriels, en particulier avec l’aide de sa filiale Inserm Transfert, et renforcer sa capacité à développer les recherches translationnelles et à aller du laboratoire vers le médicament et les dispositifs médicaux.

On ne fait pas de bonne recherche sans chercheurs. Tout ne dépend pas de l’Inserm, et il importera aussi d’avoir une vision globale de l’amélioration de l’attractivité des métiers de la recherche.

Il faut, d’abord, redynamiser la carrière des chercheurs et les valoriser. Il faut aussi redonner du temps universitaire aux hospitalo-universitaires – qui, je le rappelle, dirigent 40 % des unités de l’Inserm. Sans temps universitaire de recherche, il n’y a pas de recherche de qualité.

La communication entre les chercheurs et la direction de l’Inserm doit être améliorée. Nous devons aussi être performants pour attirer des jeunes vers les métiers de la recherche, par le biais de l’école de l’Inserm, bien sûr, mais aussi par des approches MD-PhD – double cursus de doctorat en médecine et thèse de sciences – dans les facultés de médecine. Nous devons développer l’enseignement et le goût de la recherche dans le cadre du renforcement de l’année de recherche des internes. Nous devons aussi réfléchir à la réactivation de programmes tels que les postes d’accueil Inserm et les contrats d’interface pour les médecins. Le programme Atip-Avenir doit être développé et nous devons redevenir compétitifs pour attirer et garder des chercheurs de niveau mondial avec des salaires attractifs et des welcome packages qui leur permettront de travailler dans un environnement de qualité à un niveau compétitif.

En conclusion, je souhaite, avec cette candidature, renforcer la position de l’Inserm en tant que pilote, organisateur de la recherche en santé en France et acteur majeur de la politique de site avec les universités, les CHU et les autres organismes de recherche.

Pour répondre aux questions de Mme la rapporteure, en tant que doyen de la faculté de médecine Paris-Saclay, j’ai vu la croissance de Saclay, qui relevait précédemment de l’université Paris Sud. L’inclusion de grandes écoles comme CentraleSupélec, l’ENS Paris-Saclay, ancienne ENS-Cachan, ou I’Institut d’optique graduate school (IOGS) s’est traduite par un bond fantastique en termes d’organisation au sein de l’université. Celle-ci a notamment créé des graduate schools, qui permettent un travail transversal entre les différentes composantes et contribuent à développer la recherche transdisciplinaire.

S’opère également à Saclay un rapprochement entre le monde de la santé – qu’il s’agisse du monde de la pharmacie ou du monde médical, car on y trouve une faculté de médecine et une faculté de pharmacie – et le monde des ingénieurs, des mathématiciens et des ingénieurs agronomes. J’observe un mouvement des chercheurs en santé vers les ingénieurs, les spécialistes de l’intelligence artificielle (IA), les statisticiens et les mathématiciens, ainsi qu’un mouvement inverse des ingénieurs et des mathématiciens venant proposer des idées novatrices au monde de la santé. La recherche en santé doit sortir de son cocon initial, limité à la santé, et doit se montrer plus transdisciplinaire.

Pour ce qui est du modèle et de la gouvernance de l’Inserm, je répondrai en défenseur de l’Inserm, pilote national de la recherche. Je distinguerai deux aspects. Il s’agit, d’une part, de définir des axes stratégiques de la recherche au niveau national, d’identifier, avec des partenaires issus d’autres organismes, des technologies futures qui doivent être développées en amont, de renforcer des axes stratégiques autour de pôles forts et de détecter des pôles et des axes émergents autour de chercheurs particulièrement brillants. Il s’agit en même temps, au niveau local ou régional, de définir une politique de site avec les deux grands partenaires que sont les universités et les CHU.

Il y a de la recherche dans les hôpitaux et en dehors des hôpitaux, et de nombreux médecins y sont impliqués. La particularité et l’originalité de l’Inserm, qui est consacré à la recherche médicale et en santé, tiennent à sa place unique dans le panorama de la recherche en France. C’est ce qui en fait la qualité et l’intérêt, et ce qui justifie qu’on le défende.

Le risque de dispersion que vous avez évoqué, lié à la multiplicité des sujets, est réel, et c’est à nous de définir les priorités stratégiques. Il faut pouvoir centrer ses forces et cela fera partie de mes responsabilités.

Quant à savoir si les moyens sont suffisants, on observe que le budget de l’Inserm est resté stable durant des années, ce qui signifie qu’il a baissé. Il connaît, depuis deux ans, une augmentation significative, qui s’étendra jusqu’à 2025. C’est un excellent signal pour la recherche globalement et pour la recherche en santé particulièrement. Je ne pense pas que ce soit suffisant et il faut que nous fassions plus. La subvention est de l’ordre de 630 millions d’euros, pour un budget global qui se situe entre 1 milliard et 1,1 milliard d’euros. Le reste provient de contrats de l’ANR et du PIA. Pour ce qui est de la subvention, la marge de manœuvre dont dispose l’Inserm au-delà des postes incontournables que sont les salaires ou le mobilier, évaluée à 10 millions d’euros par la Cour des comptes, est actuellement assez faible. Un travail et une discussion s’imposent donc sur ces points.

En termes de valorisation, Inserm Transfert, filiale développée voilà une quinzaine d’années, a généré, comme vous l’avez dit, 118 millions d’euros et commence à porter ses fruits. Cependant, comme l’ont souligné la Cour des comptes et tous les chercheurs, il reste très difficile pour un chercheur de valoriser sa recherche, en raison de lourdeurs administratives qui ne tiennent pas seulement à Inserm Transfert, mais à des délais de mise en route toujours supérieurs à six mois. La difficulté tient aussi à un paysage complexe : les IHU et les RHU travaillent en consortiums et il est fréquent d’observer plusieurs stratégies de valorisation entre les Satt et Inserm Transfert, voire avec des cellules de valorisation hospitalières. Le mécanisme est assez complexe et nous devons faire mieux.

Certains médicaments sont sortis grâce à Inserm Transfert et l’achat d’une société a rapporté une dizaine de millions d’euros à l’Inserm grâce à une molécule innovante. On commence à observer de premiers signes, mais nous avons en France un problème évident, et qui n’est pas propre à l’Inserm, de valorisation de la recherche : la recherche académique est de qualité, mais sa traduction en médicaments et en device est faible, sans commune mesure avec ce qui se pratique aux États-Unis. Un travail global, et qui ne concerne pas seulement l’Inserm, doit être mené en France.

Quant à l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes, je connais bien cette agence depuis l’époque où elle ne portait pas encore ce nom. Travaillant sur les hépatites virales, j’ai en effet été membres durant plus de dix ans de l’ANRS – Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales –, qui a évolué de la prise en charge du seul VIH vers celle des hépatites B et C. Cet organisme, initialement autonome, a été intégré à l’Inserm tout en restant une agence autonome. Lorsque la question a été débattue voilà un ou deux ans, le Gouvernement a choisi d’ajouter à ses missions les maladies émergentes, en réponse à l’apparition de nombreuses maladies telles que la maladie à virus Ebola ou la variole du singe et, bien sûr, le covid-19, qui nous a frappés de plein fouet. L’ANRS-MIE est ainsi la réunion de l’ANRS et de REACTing, cellule qu’avait créée Jean-François Delfraissy au sein de l’Inserm en vue de répondre aux crises sanitaires et qui disposait d’assez peu de moyens.

Le rôle de l’ANRS-MIE et du PEPR MIE est essentiel, non seulement à cause des priorités à établir pour la recherche sur les futures maladies ou sur les maladies déjà connues, mais aussi parce que nous devons avoir une stratégie basique pour préparer les crises – on ne peut pas les prédire toutes. Personne n’avait envisagé la force de la pandémie de covid-19 et il fallait disposer d’un haut niveau de ressources supplémentaires pour la combattre. Il faut donc distinguer entre ce qu’on fait par temps calme et ce qu’on est capable de faire, avec l’aide du Gouvernement et la vôtre, en cas de crise.

Le PEPR démarre et ce sera mon rôle, avec Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE, d’en définir les enjeux scientifiques, de travailler à prévoir les futures crises sanitaires et de développer la recherche dans ces domaines. L’ANRS est une structure assez souple, qui permet d’avoir assez facilement des projets de recherche et des supports pour des bourses doctorales, avec deux appels d’offres par an. Pour y avoir beaucoup travaillé, je sais que c’est très apprécié des chercheurs.

L’Aviesan, l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, créée voilà une dizaine ou une quinzaine d’années en vue de coordonner l’ensemble des agences, avec l’Inserm pour pilote, n’a pas une efficacité optimale. Je souhaite que le rôle de l’Inserm soit renforcé pour tout ce qui concerne la recherche médicale et la recherche en santé. Soit, donc, il faut renforcer l’Aviesan comme structure opérationnelle, avec l’Inserm pour pilote, soit l’Inserm doit développer ses axes stratégiques.

Le plan France médecine génomique 2025 a démarré un peu lentement et nous commençons à en voir les effets. En France, nous créons souvent des structures trop lourdes, dont la mise en place prend trop de temps, ce qui me semble avoir été le cas ici.

Quant à France 2030 et aux PEPR, de l’argent arrive, avec des appels d’offres. Les PEPR, programmes de stratégie nationale ou à caractère exploratoire, sont un mode novateur de financement de la recherche, mais qui n’a pas été compris de tous les chercheurs, habitués à des appels d’offres classiques tels que ceux des RHU, des IHU ou des LabEx, les laboratoires d’excellence. Les PEPR ont été construits avec un financement ciblé sur des consortiums définis par des comités internes de l’Inserm et comportent une partie qui se présente sous la forme d’appels d’offres classiques. Nous devons être vigilants pour assurer la transparence de la répartition des fonds. La plupart des PEPR n’ont pas vraiment démarré et cela fera partie de mon travail si vous me confiez la présidence de l’Inserm.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

Mme Cécile Rilhac (RE). Je reviendrai sur la mise en œuvre des propositions de l’Inserm pour la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, la LPR, que les parlementaires ont votée à la fin de l’année 2020 et qui prévoit 25 milliards d’euros d’ici à 2030 pour que la France reste une nation de recherche, d’innovation et de créativité dans le contexte d’une compétition internationale toujours plus exacerbée, dans laquelle notre pays doit trouver sa place. Plus de deux ans après le vote de cette loi, nous ne pouvons que saluer la mise en œuvre des premières réalisations, décrites comme satisfaisantes par nos collègues sénateurs dans leur rapport rendu en juillet 2022. Sous l’impulsion du Gouvernement, la communauté de la recherche avait déposé diverses contributions sur ce texte. L’Inserm, notamment, au terme d’un important travail de consultations, que je salue, avait formulé douze propositions prioritaires pour la LPR, autour de trois impératifs : renforcer les capacités de financement des organismes de recherche, notamment augmenter le budget de l’ANR ; augmenter l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ; renforcer la collaboration entre les différents acteurs du monde de la recherche.

Les défis auxquels nous sommes confrontés dans les domaines de la santé publique, des biotechnologies ou dans le secteur pharmaceutique démontrent que ces enjeux sont prioritaires. À moins d’un an de la clause de revoyure de la LPR, pouvez-vous nous dresser un point d’étape sur la déclinaison des propositions de l’Inserm et nous indiquer si, selon vous, d’autres propositions devraient être formulées par l’Inserm pour compléter les objectifs définis en 2020.

Puisque vous n’avez pas répondu sur ce point à Mme Anthoine, qu’en est-il du contrat d’objectifs, qui est désormais effectif ? Quant au projet à construire dans le cadre d’Innovation Santé, quel sera votre rôle en tant que président de l’Inserm et quelle politique souhaitez-vous impulser ?

Mme Angélique Ranc (RN). En 2020 et 2021, l’Inserm a créé, avec le soutien des ministères de la Recherche et de la Santé, un pendant de l’ANRS destiné à animer, coordonner et financer la recherche sur les maladies infectieuses émergentes ou réémergentes. La crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a mis en lumière l’importance du développement, d’une meilleure coordination et du financement de la recherche sur ces maladies émergentes et nous saluons donc cette initiative.

Cette agence avait engagé une politique de concertation avec des acteurs issus de la recherche industrielle, idée louable, car c’est par une telle coordination entre les différents secteurs de la recherche académique et industrielle que nous parviendrons à un maximum d’efficacité dans ce domaine. Malheureusement, cette concertation semble être au point mort depuis maintenant près d’un an.

Monsieur le président de la conférence des doyens, vous êtes pressenti pour succéder, à la présidence de l’Inserm, à M. Gilles Bloch, que nous saluons pour avoir rempli sa mission avec brio et professionnalisme. Si vous accédez à cette fonction, quels projets auriez-vous pour le développement de l’ANRS-MIE et la coordination amorcée avec le milieu de la recherche industrielle ?

Par ailleurs, sachant que la santé animale est intrinsèquement liée à la santé humaine, quelle place comptez-vous accorder aux spécialistes de ce domaine dans le cadre de cette concertation de grande envergure ?

Enfin, que fait aujourd’hui l’ANRS-MIE, quels sont ses travaux et quel est le budget à sa disposition, au-delà des effets d’annonce de l’Élysée, après le covid-19 ?

M. Hendrik Davi (LFI-NUPES). La mission de service public de l’Inserm est de produire une connaissance scientifique et une expertise indépendante des différents lobbys industriels et associatifs. La crise du covid-19 a démontré qu’il était important que de possibles conflits d’intérêts ne jettent pas de suspicion sur les résultats scientifiques et les recommandations des sociétés savantes. Quand le soupçon se généralise, il n’y a plus de politique de santé publique possible. Quelles mesures prendrez-vous pour éviter ces conflits d’intérêts ?

L’Inserm devrait jouer un rôle central dans notre société, compte tenu des enjeux sanitaires et des débats éthiques. Or il est, comme tous les autres instituts de recherche, doublement menacé : d’abord par l’austérité, qui engendre une précarité grandissante, et par la volonté, notamment du Président de la République, de transformer ces établissements en simples agences de moyens. Nous nous opposons à ce lent démantèlement du service public de la recherche. L’Inserm, par exemple, a connu une baisse de 20 % du nombre de techniciens depuis 2012. J’ai d’ailleurs déposé cette semaine une proposition de loi de la NUPES sur l’université et la recherche, dont je vous invite à prendre connaissance. Nous échangerons certainement plus tard sur cette question.

Dans ce contexte serez-vous le président qui organise la disparition de l’Inserm, par une fusion avec l’Institut national des sciences biologiques du CNRS ou en confiant la gestion de ses unités à l’université, comme le propose la Cour des comptes, ce qui aura évidemment pour conséquence la fin du statut de chercheur ? Votre prédécesseur, Gilles Bloch, s’était opposé aux recommandations de la Cour des comptes, et c’est peut-être la raison qui explique sa non-reconduction. Quel est votre point de vue sur l’avenir de l’Inserm, à propos duquel les agents sont vraiment préoccupés ? Votre audition semble indiquer que vous penchez plutôt pour une intégration aux universités, mais je souhaiterais des éclaircissements sur ce point.

Quelle sera votre politique de recrutement pour les postes statutaires de fonctionnaires chercheurs, ingénieurs et techniciens, afin de résorber la précarité, dont l’Inserm est le champion parmi les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), avec 40 % de non-permanents.

Pour conclure, les contractuels de l’Inserm sont actuellement mobilisés pour obtenir l’égalité des salaires pour tous les contractuels, anciens et nouveaux. Allez-vous permettre qu’ils puissent tous bénéficier d’une nouvelle grille de rémunérations à compter du 1er janvier 2023 ?

Mme Frédérique Meunier (LR). En 2018, l’Irsem, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, s’était distingué en publiant un rapport sur les manipulations de l’information, qui visait les agissements de certains médias russes. Ce rapport avait d’ailleurs nourri la loi contre la manipulation de l’information, adoptée par le Parlement en novembre 2018. L’ancien président de l’Irsem avait même été poursuivi en diffamation par RT France pour avoir évoqué une manipulation de l’information et des falsifications par cette chaîne de télévision détenue par l’État russe, avant d’être finalement relaxé par le tribunal judiciaire de Paris. En 2022, L’Irsem a publié un rapport sur Pékin intitulé Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien. L’Institut devait prochainement se focaliser sur les grands prédateurs géopolitiques du moment : la Turquie, les organisations paramilitaires bruts et la milice Wagner au Mali.

Pour de nombreux observateurs, l’Irsem a recruté des profils de haut niveau et s’est mobilisé en utilisant des techniques comme l’organisation de renseignement de sources ouvertes. Le succès qu’a connu le rapport sur la Chine, notamment à l’étranger, illustre le fait que la recherche stratégique française est de très bon niveau. Souhaitez-vous développer ces outils, qui permettent de moderniser l’Institut ? Si oui, lesquels ?

De plus, le campus de recherche et d’innovation en santé numérique Paris Santé Campus vise à structurer et fédérer une filière en santé numérique à rayonnement mondial. Il réunit des acteurs publics, dont l’Inserm, et une soixantaine de partenaires privés. Les premières équipes de l’Inserm et des autres partenaires, ainsi qu’une soixantaine de start-up, y ont emménagé au cours du premier trimestre 2022. L’ambition de réunir sur un même lieu tous les talents pour faire rayonner l’excellence française est louable. Quelle est votre opinion sur l’e-santé ?

M. Philippe Berta (Dem). Tous les indicateurs sont concordants pour indiquer un recul de la recherche française ces dernières années, et la recherche en santé n’est pas épargnée. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche constitue désormais un élément de départ aussi bien pour la revalorisation des carrières que pour l’affectation de nouveaux moyens, mais en santé, en particulier, on reste loin du compte. La crise pandémique a confirmé, s’il en était besoin, l’urgence de regrouper l’ensemble des recherches en biologie et santé sous l’égide d’un seul organisme, qui se doit d’être l’Inserm. Ce regroupement s’impose d’autant plus que la recherche médicale implique des investissements massifs, avec le passage à la biologie de « haut débit ». Cela conduirait à alléger les lourdeurs administratives, à rendre plus lisible l’organisation et les stratégies de recherche en santé et à mutualiser les moyens. Quelle est votre position sur cette éventuelle réorganisation, alors qu’aujourd’hui, seule l’Aviesan, que vous aurez à présider, permet des liens inter-EPST ? Quels sont la définition des missions de l’Aviesan, les moyens qui lui sont affectés et, tout simplement, sa réalité opérationnelle ?

Sur le plan des moyens, ne vous paraît-il pas urgent de revaloriser les carrières et de donner à la recherche en santé des moyens nouveaux, qui puissent enfin nous rapprocher des efforts consentis depuis bien longtemps par l’Allemagne ? Une approche consisterait aussi à mettre fin à l’émiettement des sources de financement entre crédits récurrents, de l’ANR, caritatifs et projets hospitaliers de recherche clinique (PHRC). En moins de vingt ans, plus de 5 000 de ces PHRC ont été financés, à hauteur de 860 millions d’euros, sans aucune évaluation du dispositif, alors que, comme le souligne le nouveau président de l’Académie des sciences, le professeur Alain Fischer, ces 5 000 projets n’ont donné lieu qu’à 1 500 publications. Ne faut-il pas regrouper tous ces financements sous l’égide de l’Inserm, en veillant à ce que la part contractuelle n’excède pas, par exemple, 20 % des crédits alloués ?

La dernière analyse livrée par la Cour des comptes confirme, malgré les difficultés budgétaires enregistrées, l’excellence de la recherche produite par les unités de l’Inserm et conforte bien la péréquation entre l’argent investi dans la recherche et les résultats sous forme de publications ou de valorisation. Sur ce dernier point, comment voyez-vous l’évolution d’Inserm Transfert dans le contexte déjà si complexe de l’organisation de structures de valorisation et de transfert ?

Enfin, comment, à l’avenir, mieux organiser cette grande et unique institution de santé que pourrait être l’Inserm, à l’interface de la recherche fondamentale – j’insiste sur ces mots –, de la recherche clinique et de l’industrie, avec la contribution essentielle des associations de patients, que vous n’avez pas mentionnées ?

Mme Claudia Rouaux (SOC).  Créé en 1964, l’Inserm est un établissement public à caractère scientifique et technologique dont la renommée et la qualité des travaux sont reconnues dans le monde entier. C’est l’une des structures dont la France peut être fière et le choix de celui qui la dirigera dans les années à venir est donc important.

L’actualité de l’Inserm, c’est aussi le rapport que la Cour des comptes a rendu public lundi dernier sur ses comptes et sa gestion de 2015 à 2021, rapport plutôt sévère à l’endroit de l’institut que vous souhaitez présider. La situation financière, notamment, est pointée du doigt : entre 2015 et 2019, l’Inserm a enregistré quatre exercices déficitaires et la juridiction financière relève que cette situation n’a pas fait l’objet d’un réel plan de redressement de sa part ou d’une demande de retour à l’équilibre de la part des ministères de tutelle. Quelles mesures allez-vous mettre en œuvre, si vous êtes désigné, pour redresser rapidement la situation financière de l’Institut ?

Autre point faible de l’Inserm : la gestion des ressources humaines, que la Cour juge déconnectée de la stratégie scientifique, estimant que les dispositifs qui permettent d’accueillir en contrat à durée indéterminée des profils choisis de médecins ou de chercheurs sont insuffisants. Résultat : si, dans les années 1980, 30 % des chercheurs statutaires de l’Inserm avaient une formation médicale, ce taux n’a cessé de diminuer, pour atteindre 6,5 % en 2020, situation regrettable pour la Cour, car les médecins favorisent la recherche de la paillasse du laboratoire au lit du patient. Que pensez-vous de ce constat ?

Le rapport exprime, en conclusion, qu’une évolution radicale de l’Inserm est nécessaire en matière d’organisation de la recherche en santé. Dans le langage de la juridiction de la rue Cambon, c’est assurément un jugement sévère. Cette transformation, si elle a lieu, devra être menée par le futur PDG de l’Inserm. La Cour des comptes propose notamment, dans ses recommandations, de fusionner l’Inserm avec l’Institut des sciences biologiques du CNRS, scénario évoqué régulièrement depuis vingt ans. Qu’en pensez-vous ?

Mme Béatrice Bellamy (HOR). Avant tout, nous saluons l’ensemble des recherches réalisées chaque année par les scientifiques de l’Institut, qui permettent indéniablement de mettre en lumière les progrès de la science et sont un gage du sérieux de la recherche française. Si le travail des équipes est précieux, il faut néanmoins reconnaître la nécessité de faire évoluer le positionnement et le rôle de l’Inserm. Ce constat est unanimement partagé. En effet, le rapport récent de la Cour des comptes indique de nombreuses irrégularités dans le fonctionnement comme dans la gestion de l’Institut. Ce rapport fait notamment état d’une multiplicité d’organes cloisonnés pouvant se révéler un obstacle, au détriment du travail réalisé. La Cour explique que l’Institut est allé trop tardivement vers la politique de site. Envisagez-vous une refonte des stratégies scientifiques ? Les définir par site ne vous semblerait-il pas plus efficient ?

Le rapport évoque également la fragilité financière de l’établissement sur plusieurs exercices, hormis l’année 2021, qui a fait apparaître un résultat fortement excédentaire. Cependant, le contrat d’objectifs, de moyens et de performance, signé en février 2022 avec les ministres de tutelle, renforce les moyens alloués. On remarque, pour la première fois, un financement en provenance du ministère de la Santé : saluons-le. Pourriez-vous nous préciser la stratégie que vous envisagez afin que l’Inserm retrouve une stratégie budgétaire et un équilibre ?

Mme Francesca Pasquini (Écolo-NUPES). La recherche connaît une grave crise financière depuis des années. La loi de programmation de la recherche, censée résorber cette crise en neuf ans, n’a pas réajusté sa trajectoire de financement pour prendre en compte l’inflation et la nécessaire revalorisation du point d’indice des fonctionnaires. Les laboratoires de recherche connaissent des surcoûts énergétiques record, que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a estimés à 40 millions en 2022 et à 200 millions en 2023. Ils vont devoir prendre en charge une partie de ces dépenses sur leur fonds de roulement d’investissement, faute d’une politique de soutien suffisante du ministère. Dans le cas de l’Inserm, cette hausse, évaluée à 1,5 million en 2022, pourrait atteindre 10 millions en 2023. Comment comptez-vous y faire face et quelle serait, sous votre présidence, la politique d’investissement dans la résilience énergétique des bâtiments et du matériel de recherche de l’Inserm ?

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

M. Belkhir Belhaddad (RE). La crise sanitaire a aggravé la sédentarité de nos concitoyens, dont l’impact économique est évalué à 17 milliards d’euros par an. L’Inserm, parce qu’il se consacre au traitement des maladies chroniques, a un rôle à jouer dans ce domaine. Avez-vous des propositions à faire pour favoriser la pratique de l’activité physique ? Avez-vous, sur cette question, développé un partenariat avec la direction de la sécurité sociale ?

M. Léo Walter (LFI-NUPES). En 2013, la première expertise de l’Inserm démontrant l’effet des pesticides sur la santé humaine a fait date. Son rapport de 2021 a prouvé la corrélation entre l’exposition aux pesticides et certains cancers. En 2022, ce sont les effets délétères des polluants du trafic routier sur les performances cognitives que l’Inserm a permis d’établir. Ces études sont précieuses pour le combat que nous menons en faveur de la bifurcation écologique.

Mais comment s’assurer que l’Inserm continue de remplir son rôle au service de l’intérêt général, alors que son budget n’est pas à 100 % public ? On lit, sur son site internet, qu’il est financé à 20 % par des associations et des fondations, mais aussi à 8 % par des industriels. Connaissez-vous la liste de ses financeurs et pouvez-vous nous la communiquer ? Si j’insiste sur ce point, c’est parce que la Cour des comptes souligne dans son rapport que les outils créés par l’Inserm pour gérer les liens et conflits d’intérêts ne sont pas toujours mis en œuvre et que cette situation est anormale et doit impérativement évoluer. En tant que probable futur président, que comptez-vous faire pour garantir l’indépendance de l’Inserm vis-à-vis des intérêts privés ?

M. Francis Dubois (LR). La Cour des comptes juge plutôt sévèrement la gestion de l’Inserm au cours des années 2015 à 2021. Elle pointe également le positionnement flou de l’Inserm sur le plan institutionnel. En effet, la multiplicité des organismes de recherche dans le domaine des sciences de la vie et leur cloisonnement empêchent l’institut de prendre réellement sa place. Il lui est notamment reproché de ne pas se recentrer sur certaines disciplines. Que pourriez-vous proposer pour limiter la fragmentation du paysage institutionnel de la recherche en santé ? Les choses peuvent-elles évoluer rapidement ?

M. Maxime Minot (LR). Dans le rapport sur la situation de la recherche scientifique et médicale qu’il a remis la semaine dernière, le professeur Alain Fischer explique que le recul de la recherche biomédicale et en santé en France est dû à une insuffisance de moyens, une organisation complexe, une administration lourde et une stratégie peu lisible. Tout le monde s’accorde pourtant sur le fait que cette recherche est une priorité. Le professeur Fischer propose une revalorisation progressive du financement de la recherche, à l’instar de ce qui s’est déjà fait en Allemagne. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Didier Samuel. La LPR ne suffira pas à rattraper le retard qui a été pris, mais elle a le mérite de remettre la recherche en marche. Elle permet de revaloriser les carrières, les salaires, mais aussi les primes des chercheurs avec le nouveau régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (Ripec). Elle autorise des créations de postes et des recrutements – avec les chaires de professeur junior, les universités pourront recruter des professeurs et les organismes, des directeurs de recherche. La LPR permet, enfin, de programmer des recrutements dans des domaines ciblés, au niveau national. L’Inserm, pour l’instant, peut recruter huit à dix chercheurs par an, au titre des chaires de professeur junior : c’est assez peu mais cela pourra être renégocié. La LPR prévoit aussi une revalorisation du financement de l’Inserm. L’ensemble me paraît donc positif.

Il est vrai que l’on part de loin. La recherche médicale, en France, a été dévalorisée et le rattrapage demandera du temps. J’aurais préféré que la LPR s’étende sur sept ans, plutôt que sur dix, que la revalorisation salariale soit plus importante. Il est clair que les salaires qu’on propose aux chercheurs en France ne nous rendent pas compétitifs au niveau international. À l’Inserm, on recrute des chercheurs qui ont déjà 37 ou 38 ans, qui ont fait une thèse de doctorat, un post-doc, qui ont travaillé à l’étranger, souvent aux États-Unis, qui ont publié dans Nature ou Science, et on leur propose des salaires vraiment trop bas. Redynamiser et valoriser la carrière des chercheurs sera un autre sujet de réflexion pour moi.

S’agissant de l’ANRS-MIE, la crise du covid a mis en évidence la nécessité de se doter d’une agence chargée de lutter, non seulement contre le VIH et les hépatites, mais aussi contre les nouveaux virus et les nouvelles bactéries, l’antibiorésistance devenant aussi une question essentielle. Le budget consacré à l’ANRS-MIE s’élève à 80 millions, tout compris, et un PEPR consacré aux maladies infectieuses émergentes est, lui aussi doté de 80 millions. Vous le voyez, le financement est prévu ; il faut maintenant l’organiser, via des appels d’offres et des actions ciblées. J’y travaillerai avec le directeur de l’ANRS-MIE, le professeur Yazdan Yazdanpanah, et avec ses équipes.

Que les relations de l’Inserm avec l’industrie puissent menacer son intégrité scientifique et son indépendance intellectuelle, je veillerai à ce que cela ne soit pas le cas. L’institut a une charte de déontologie et, pour chaque dossier, on vérifie qu’il n’y a pas de lien ou de conflit d’intérêts. Mais il faut avoir à l’esprit que le point faible de la recherche médicale en France, c’est moins la recherche elle-même que sa valorisation. Pour vous donner un exemple, la France a eu un rôle très important dans la recherche académique sur le virus de l’hépatite C, mais 100 % des médicaments sont américains. Les chercheurs qui travaillent dans le monde académique ne savent pas faire de médicaments. Or la santé, c’est aussi des médicaments. Il est donc essentiel d’articuler la recherche et l’industrie, tout en préservant l’intégrité scientifique de l’Inserm : j’en serai le garant.

Je ne compte pas faire disparaître l’Inserm ou le détruire ; je suis là pour le défendre. L’Inserm est le seul organisme qui prend en charge la recherche médicale et en santé chez l’homme. Il doit donc être défendu, protégé, développé et mis en avant. Si j’ai créé et dirigé pendant dix-sept ans une unité de l’Inserm, c’est que j’y croyais. Dans ces fonctions, j’ai découvert les qualités et les forces de l’Inserm, mais je suis là aussi pour essayer d’en corriger les points faibles et de renforcer son rôle.

La précarité des métiers de la recherche est une réalité. Certes, les chercheurs de l’Inserm ont vu leurs salaires et leurs primes revalorisés, mais l’amélioration doit se poursuivre. Il y a en effet beaucoup trop de CDD dans la recherche. Lorsque j’étais président du CNCR, j’avais regretté auprès du président de l’ANR que l’on ne puisse pas faire travailler des personnes en CDI sur les projets ANR. La LPR a introduit des CDI de mission, et je souhaite que l’on « cédéise » de plus en plus de chercheurs. Concernant l’indice de rémunération, une revalorisation a été décidée au sein de l’Inserm pour les personnes nouvellement engagées en CDD et une discussion est en cours pour celles qui sont déjà en poste. J’y travaillerai avec les équipes administratives.

Madame Meunier, vous m’interrogez sur la manipulation de l’information et les fakes news. Nous devons veiller à ne pas être manipulés par des agences étrangères : cela suppose de travailler avec les systèmes informatiques et la direction des systèmes d’information (DSI). Il importe, en parallèle, de produire une communication scientifique de qualité, ce qu’a commencé à faire l’actuel président de l’Inserm. Les voix discordantes qui se sont exprimées au moment de la crise du covid ont eu un effet négatif sur le public, et il y a encore beaucoup de pédagogie à faire au sujet des vaccins, d’une manière générale. À une époque, on accusait le vaccin de l’hépatite B de donner la sclérose en plaques ; plus personne ne voulait se faire vacciner et j’ai fait partie de ceux qui ont lutté contre ces messages négatifs.

Il importe en effet de développer la e-santé ; le groupement d’intérêt scientifique n’est pas encore finalisé mais j’y travaillerai.

En matière de gestion, il est vrai que l’Inserm a connu quatre exercices déficitaires. À ma connaissance, les deux derniers sont positifs mais, pour le tout dernier, cela s’explique par des recettes exceptionnelles. Il y aura un travail à faire avec les équipes administratives et les membres de l’Inserm pour préciser la stratégie scientifique et décider si l’on redistribue les financements en fonction des axes stratégiques.

Monsieur Berta, il est vrai qu’il y a moins de médecins au sein de l’Inserm : lorsqu’il a été créé, 30 % de ses membres étaient des médecins ; ils ne sont plus que 6 % aujourd’hui. Toutefois, il faut faire une distinction entre les médecins salariés par l’Inserm, d’une part, et les hospitalo-universitaires et les doctorants qui sont présents dans les unités de recherche, d’autre part. Il faut renforcer les contrats d’interface, qui ne sont plus qu’une trentaine, alors qu’on en a compté jusqu’à 300 : des médecins viennent travailler à l’Inserm, et l’Inserm rembourse les hôpitaux pour le temps qu’ils ont consacré à leurs recherches.

S’agissant de la place de l’Inserm au sein d’Aviesan, il est vrai que l’Alliance manque d’efficacité opérationnelle. Néanmoins, il est tout de même nécessaire que les organismes se parlent et essaient de se coordonner. À cet égard, le rôle de l’Inserm est essentiel puisque, devant piloter la recherche médicale, il lui faut se rapprocher de ses partenaires.

Vous estimez que les programmes hospitaliers de recherche clinique devraient être davantage évalués. Je rappelle qu’ils sont gérés par la DGOS. Pour l’instant, il n’y a pas eu de rapprochement entre la DGOS et l’Inserm sur ce point. Il importe en tout cas d’améliorer le rendement des PHRC. Je vois plusieurs pistes, la première étant d’arrêter de rogner sur le financement des personnels, attachés de recherche clinique (ARC) ou techniciens de recherche clinique (TEC), dont l’insuffisance tue l’organisation des PHRC. Il faut également faciliter la mise en œuvre de ces programmes. Actuellement, un chercheur qui obtient un PHRC doit se débrouiller tout seul, ou presque, pour faire le case report form (CRF), contacter le comité d’éthique et lancer le programme de recherche. C’est un travail colossal, qui contraint souvent l’investigateur principal à arrêter la clinique. L’Inserm aurait un rôle à jouer dans l’organisation d’une structure permettant de lancer et de dynamiser les PHRC, en s’appuyant sur les centres d’investigation clinique ou les unités de recherche clinique.

L’Inserm doit évoluer, en même temps que son environnement. On est dans l’aire du technologique et du numérique ; il importe de développer la recherche transdisciplinaire et d’explorer de nouveaux axes : l’éthique, la santé globale, la santé environnementale, le rôle de l’environnement sur la santé, l’impact des pesticides sur la santé, mais aussi celui de la sédentarité. La stéatohépatite non-alcoolique (NASH), une maladie du foie qui donne des cirrhoses, n’existait pas il y a trente ans. Elle est due à l’impact des troubles métaboliques – diabète, surpoids, hypertension – et à la sédentarité. Il faut prévenir ces maladies et l’Inserm doit faire de la recherche à des fins, non seulement de traitement, mais aussi de prévention – et communiquer en la matière.

Il est vrai que j’aurais dû évoquer les associations de patients. Lorsque je travaillais à l’ANRS, je les ai vues prendre part aux décisions relatives au lancement des protocoles, que ce soit pour le VIH ou pour les hépatites. Les associations de patients ont un rôle extrêmement positif dans le domaine de la recherche clinique ; elles contribuent à la fois à la protection du patient et à l’innovation.

Il faut absolument éviter que le budget consacré à la recherche s’appauvrisse sous l’effet du coût de l’énergie et de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, car c’est le cœur de la mission de l’Inserm. L’un d’entre vous a souligné qu’il y avait moins d’ingénieurs et de personnels techniques de la recherche : c’est vrai, je l’ai constaté dans ma propre unité, et on a tendance à reporter leurs tâches sur les doctorants. Il faut revaloriser ces métiers ; la LPR donne la possibilité d’embaucher 180 personnes dans les cinq années qui viennent : c’est peu, mais c’est une manière de relancer la dynamique.

Monsieur Minot, vous avez évoqué le rapport du professeur Alain Fischer. Vous remarquerez que plusieurs des constats que j’ai faits rejoignent les siens, notamment au sujet du manque de moyens. La LPR, les actions au titre des PIA et la stratégie Innovation santé 2030 vont permettre de les accroître. Il estime par ailleurs, comme moi, que le métier de chercheur doit être davantage valorisé. J’ai montré comment je souhaite y travailler, aussi bien pour les chercheurs statutaires que pour ceux qui sont en CDD. Il ne faut plus que nos chercheurs se sentent contraints de partir à l’étranger pour développer leurs recherches ; il faut attirer les meilleurs.

Le rôle du président de l’Inserm est de définir la stratégie de la recherche, ses priorités et ses axes. J’espère que vous m’accorderez votre confiance et que je pourrai mettre cela en œuvre, avec votre aide.

M. Alexandre Portier (LR). Je souhaite revenir sur l’articulation entre la recherche et l’application. La Cour des comptes note, de façon un peu sévère : « Si la présence importante de personnels hospitalo-universitaires au sein de ses unités de recherche contribue à l’interface indispensable de l’Inserm avec le monde des soins, l’Institut n’est pas véritablement présent " au lit du patient " (recherche clinique) contrairement au positionnement qu’il revendique. » La Cour estime que cela tient à la déconnexion entre la gestion des ressources humaines et la stratégie scientifique de l’Inserm, et à la moindre présence des médecins : ils ne représentent que 6 % des effectifs, contre 30 % en 1980. Que pensez-vous de cette situation ? Comment faire en sorte que l’Inserm contribue à lutter contre la dégradation de la qualité des soins qui caractérise le système français ?

M. Didier Samuel. Je suis un hospitalo-universitaire, je suis très attaché à la recherche clinique et à la recherche au lit du patient. Je l’ai dit, je pense que l’Inserm pourrait faire davantage de recherche clinique, mais il doit aussi le faire en lien avec les CHU : je veillerai donc à les rapprocher. Ce qui manque actuellement, ce sont des synergies.

Mon unité de recherche se trouve dans un centre d’investigation clinique. Vingt mètres séparent le laboratoire et la partie où se trouvent les médecins, vingt mètres qui ne se parcourent pas naturellement. Pour que les chercheurs aillent vers les médecins et les médecins, vers les chercheurs, c’est une question de volonté. J’ai bien la volonté de remettre tout le monde autour de la table pour booster la recherche, à la fois du laboratoire au patient et du patient au laboratoire.

La question essentielle, c’est celle du temps consacré à la recherche, mais comme les hôpitaux sont en souffrance, le temps consacré à la recherche est phagocyté par le soin. Je milite pour que l’on redéfinisse le rôle des hospitalo-universitaires et que l’on protège le temps consacré à la recherche. On ne peut pas faire de la recherche de qualité le soir après vingt-deux heures et le week-end. Si l’on veut faire de la recherche clinique de qualité, si l’on veut être compétitif, il faut que le temps consacré à la recherche soit protégé. Il faut donc avoir, avec les CHU et les ministères, une discussion sur la redéfinition du rôle et du travail des hospitalo-universitaires.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Monsieur le professeur, je vous remercie.

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Le dépouillement du scrutin, qui doit être concomitant avec celui de la commission chargée de la recherche du Sénat, et la proclamation des résultats se dérouleront le jeudi 26 janvier à 12 heures 15.

La séance est levée à seize heures cinquante.


Présences en réunion

 

Présents.  Mme Ségolène Amiot, Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, Mme Céline Calvez, Mme Fabienne Colboc, M. Hendrik Davi, M. Francis Dubois, M. Inaki Echaniz, M. Philippe Fait, M. Alexis Izard, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, M. Karl Olive, M. Nicolas Pacquot, Mme Francesca Pasquini, M. Emmanuel Pellerin, Mme Béatrice Piron, M. Alexandre Portier, Mme Angélique Ranc, Mme Isabelle Rauch, Mme Cécile Rilhac, Mme Claudia Rouaux, Mme Violette Spillebout, M. Léo Walter

Excusés.  Mme Soumya Bourouaha, Mme Béatrice Descamps, M. Frantz Gumbs, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Boris Vallaud