Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

 Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Marc Papinutti, dont la nomination est proposée aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public (CNDP), et vote sur le projet de nomination (Mme  Lisa Belluco, rapporteure)              2

 


Mercredi 10 mai 2023

Séance à 15 heures

Compte rendu n° 66

session ordinaire de 2022-2023

Présidence de

M. Jean-Marc Zulesi,

président


  1 

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Marc Papinutti, dont la nomination est proposée aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public (CNDP) (Mme  Lisa Belluco, rapporteure).

 

M. le président Jean-Marc Zulesi. Monsieur Papinutti, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes réunis, en application de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, pour vous auditionner après que votre nomination a été proposée par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission nationale du débat public (CNDP). L’audition, publique, sera suivie d’un vote à bulletin secret effectué par appel nominal hors votre présence ; aucune délégation de vote ne sera possible. Le dépouillement du scrutin aura lieu à la suite de la présente audition, simultanément dans cette commission et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui vous a auditionné le 3 mai. Notre rapporteure, Mme Lisa Belluco, a rédigé un questionnaire qui vous a été envoyé ; vos réponses ont été transmises aux commissaires. Mme Marie Pochon suppléera Mme Lisa Belluco, empêchée, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence.

La CNDP est pour nous un interlocuteur précieux tant pour son expertise que pour son implication dans les procédures de démocratie environnementale auxquelles nous sommes très attachés. En février dernier, nous avons auditionné Mme Chantal Jouanno qui a dressé le bilan de l’action de la Commission nationale. Au cours des dernières années, le nombre de saisines de cette autorité administrative indépendante a crû continûment. Á l’avenir, l’enjeu sera de faire face à l’exigence toujours plus pressante de participation de nos concitoyens aux décisions qui entraînent des conséquences sur leur environnement. C’est donc à une fonction essentielle que vous êtes proposé.

Mme Marie Pochon, suppléant Mme Lisa Belluco, rapporteure. Avant que nous commencions d’examiner la possible nomination de M. Marc Papinutti, pressenti à la présidence de la CNDP, je rends hommage à Mme Chantal Jouanno, présidente sortante de la Commission nationale. La CNDP a été créée pour assurer la participation des citoyens à la construction des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l’environnement. Elle garantit le respect des procédures et organise le débat public. Cette institution qui manque de visibilité et de moyens constitue un potentiel pilier de démocratisation, puisqu’elle permet d’appuyer les décisions politiques sur un public actif. Rechercher une solution au-delà des dissensus est un horizon bien plus souhaitable que de cantonner l’exercice de la démocratie à quelques échéances électorales. En cela, la CNDP contribue à créer « un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue », pour reprendre les mots de l’historien Pierre Rosanvallon et du constitutionnaliste Dominique Rousseau.

Indépendamment de cette contribution à la démocratie, les projets dont les conséquences sur l’environnement pourraient être significatives lui sont soumis ; elle joue donc un rôle actif pour les adapter afin de limiter certaines pollutions. En organisant un débat dont elle peut permettre de tirer des conséquences réelles, elle favorise l’adhésion de la population aux politiques publiques. Nous devons donc étudier minutieusement les avantages et les inconvénients de votre désignation.

Ingénieur des travaux publics de l’État, vous avez, monsieur Papinutti, mené une partie significative de votre carrière dans le secteur des infrastructures de transport. Vous avez dirigé Voies navigables de France (VNF), puis le cabinet de Mme Élisabeth Borne, alors ministre chargée des transports. Vous avez ensuite pris la tête de la direction générale des infrastructures des transports et des mobilités (DGITM) avant d’occuper le poste de directeur de cabinet de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Vous êtes un spécialiste des infrastructures et de leur déploiement avant d’être un professionnel de l’organisation de la participation des citoyens et du recueil de leur avis, mais vos activités vous ont conduit à suivre de nombreux débats de cette nature et ont fait de vous un spécialiste des grands projets d’aménagement.

Néanmoins, à l’hypothèse de votre nomination, je ressens des inquiétudes relatives d’une part à votre conception du débat public telle qu’elle s’exprime dans vos réponses au questionnaire de la rapporteure, d’autre part à votre potentiel manque d’indépendance. Vous dites souhaiter l’inclusion d’un public plus large au débat, mais cette approche quantitative ne garantit pas la prise en compte qualitative des éléments débattus. Suffit-il, pour vous, d’élargir la participation du public sans chercher à élaborer des projets consensuels par une co-construction avec nos concitoyens ? Vous vous dites favorable à la restriction des délais pour certains projets ; ce point de vue vous semble-t-il compatible avec l’exercice de la présidence de la CNDP ? Pouvez-vous le justifier et nous dire quels projets seraient concernés ? Vous évoquez aussi le rehaussement des seuils à partir desquels un débat public devient obligatoire. Comment concilier l’opinion qu’il convient de restreindre le débat et l’inclusion citoyenne avec la présidence d’une institution chargée d’organiser et de promouvoir ce débat ?

Votre indépendance est indispensable à la réussite de la présidence d’une Commission nationale qui tire sa légitimité de son statut d’autorité administrative indépendante. Or vous avez été directeur de cabinet de ministres dont les dossiers seront le plus probablement concernés par la CNDP ; comment assurer que vos décisions ne seront pas influencées par ces anciens supérieurs hiérarchiques ? Évoquer comme vous le faites la collégialité de la décision, qui diluera votre proximité avec le Gouvernement, n’est-ce pas admettre que votre présidence réduira l’indépendance de l’institution ? En admettant même que vous ayez la volonté et la capacité de compartimenter votre ancienne vie de directeur de cabinet de ministres en exercice et celle de président de la CNDP, comment les citoyens, en particulier quand leur avis diverge de celui du Gouvernement, pourront-ils s’exprimer librement auprès d’une institution présidée par un très proche de l’exécutif ? Cela ne risque-t-il pas d’entraîner un reflux du débat public, contrairement à ce que vous souhaitez apporter à la CNDP ? Même dans cette hypothèse optimiste, on est donc dans une impasse.

J’ajoute que des incompatibilités dues à votre carrière passée vous contraindront à vous déporter lors de l’examen de quelque 15 % des dossiers pour assurer l’impartialité de leur traitement. Alors que vous avez retiré votre candidature à la présidence de l’Autorité de régulation des transports (ART) en considérant que le nombre de dossiers desquels vous devriez vous déporter était trop élevé, ne pas pouvoir travailler sur 15 % des dossiers soumis à la CNDP vous semble donc acceptable ?

Enfin, de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « Asap ») à la loi d’accélération des procédures liées au nucléaire en passant par la loi d’accélération de production des énergies renouvelables, le Gouvernement ne cesse de détricoter le droit de l’environnement et de limiter le droit à l’information et à la participation des citoyens. Comment une personnalité historiquement proche de ces gouvernants pourra-t-elle contribuer à enrayer cette dynamique ?

En conclusion, vos connaissances et vos compétences relatives aux grands projets soumis au débat public ne font aucun doute mais ces atouts n’éclipsent ni votre préoccupant manque d’indépendance, ni une conception du débat public potentiellement à contretemps.

M. Marc Papinutti. Les transitions écologiques, sociales et énergétiques en cours sont déterminantes pour notre société. Ma conviction, confortée par des années d’engagement total et résolu au service de l’intérêt général, est que ces transitions ne pourront se faire sans l’adhésion de nos concitoyens ; leur participation aux décisions est donc un préalable indispensable, comme l’est ensuite le retour, soit par le maître d’ouvrage, soit par ceux qui ont proposé le débat, sur ce qui est retenu et ce qui ne l’est pas.

Le Président de la République avait d’abord proposé ma nomination à la présidence de l’ART. Parce que cette nomination, si elle avait recueilli l’aval des commissions compétentes du Parlement, m’aurait obligé à me déporter d’un nombre trop important de dossiers en raison d’incompatibilités dues à mon parcours professionnel, j’ai préféré, en conscience, me retirer.

Je suis honoré d’être face à vous, proposé à votre choix. Diplômé de l’École nationale des travaux publics de l’État, je me suis attaché, au long de ma carrière, à écouter tous les publics avec la même attention et à participer aux auditions des commissions parlementaires. Ce fut le cas lors de l’élaboration du plan de déplacements urbains d’Île-de-France, pour le projet de canal Seine-Nord Europe lorsque je dirigeai VNF, pour le débat commun relatif à la plaine de La Bassée et à l’aménagement de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine, un des premiers débats sur les usages de l’eau. Ce fut le cas au sein des cabinets ministériels lors du Grenelle de l’environnement et des Assises de la mobilité qui ont abouti à la loi d’orientation des mobilités (LOM), de grands moments de concertation et de construction collective. Ce fut le cas pour de nombreux projets d’infrastructures – ferroviaires, routiers, fluviaux – et de fret, y compris pendant la pandémie. Je peux encore mentionner l’élaboration d’une ambition nationale pour le vélo, et le déploiement de solutions de transport, avec les associations et les territoires, par le biais de France Mobilités. Au long de ce parcours, j’ai vu progresser le besoin de démocratie participative en complément de la traditionnelle démocratie représentative et de la légitimité technique. Ingénieur, je peux ajouter que la meilleure des solutions techniques n’a que peu de poids si elle n’est pas partagée.

Il me faudra donc, si vous retenez ma candidature, garantir la participation à la construction des politiques publiques, particulièrement celles qui ont un impact sur l’environnement. Je serai attaché à défendre l’indépendance de la CNDP. Pour ce qui est de ma propre indépendance, celles et ceux qui me connaissent savent avec quelle rigueur j’ai exercé mes fonctions au service de l’intérêt général ; à mon âge, je ne sais pas qui ou quoi pourrait menacer mon impartialité. De plus, le bureau permanent de la CNDP est composé du président, du vice-président et de vingt-deux commissaires – personnalités qualifiées, magistrats, personnalités élues ou représentant des associations et des syndicats – eux-mêmes désignés par dix-neuf organismes ; ils sauront garantir cette indépendance, si nécessaire.

Ma candidature à la présidence de la CNDP s’inscrit dans la continuité de l’action de ses présidents successifs récents M. Philippe Deslandes, M. Christian Leyrit et particulièrement Mme Chantal Jouanno, auxquels je rends hommage. La Commission, créée par la loi du 5 février 1995 dite « loi Barnier », autorité administrative indépendante depuis 2002, est garante du droit à l’information et à la participation du public à l’élaboration des projets, plans et programmes ayant une incidence sur l’environnement. Tenue à une obligation de neutralité absolue, elle ne se prononce ni sur l’opportunité du projet, ni sur le bien-fondé des arguments.

Ses missions sont exercées par 300 garants de la concertation nommés et indemnisés par mission. Ayant à ce jour mené 106 débats publics et 427 concertations et procédures de participation par voie électronique, la CNDP est l’institution européenne dont l’expérience de la participation est la plus forte. Au cours des cinq dernières années, elle a traité plus de saisines que lors des vingt années précédentes et son rôle va croissant, puisque les deux tiers des projets sont modifiés au terme de ce processus participatif. Cette croissance a été assumée avec deux équivalents temps plein (ETP) supplémentaires seulement, l’effectif étant de quinze personnes fin 2023. La Commission nationale a un budget de fonctionnement d’un million d’euros environ pour quatre millions de dépenses prévisionnelles, dont la moitié est assurée par des fonds de concours des maîtres d’ouvrage.

J’en viens aux actions que j’envisage de mener si vous vous prononcez en faveur de ma candidature. Je souhaite en premier lieu mieux présenter le travail déjà réalisé par la CNDP mais aussi ce que sera sa contribution future à la démocratie représentative. La Commission nationale a expérimenté presque toutes les méthodes participatives et a eu à connaître de sujets éminemment conflictuels. La très forte augmentation de ses missions de conseil et d’expertise montre qu’elle est reconnue comme une ressource.

Dans la même ligne, il faut mieux faire connaître les saisines possibles, dans le cadre législatif et réglementaire actuel ou en fonction des évolutions possibles. J’entends aussi renforcer le lien avec la représentation nationale et dans les territoires, par l’installation complète des délégués de région, en accompagnant les collectivités territoriales concernées quand les projets se poursuivent et en instaurant un bilan régulier de notre travail devant vous. Plusieurs rapports publics devront être analysés au sein de la CNDP pour déterminer les transformations réglementaires ou législatives qu’ils pourraient induire, en tenant compte des expériences étrangères, notamment celles de l’Italie et du Québec. C’est dans ce cadre qu’il faudra choisir l’orientation stratégique de la CNDP : être définitivement l’instance de la seule démocratie environnementale ou devenir l’instance de la participation. J’en débattrai avec mes collègues.

Je poursuivrai la professionnalisation du vivier des garants en assurant son renouvellement et sa mixité. Je veux aussi confirmer le rôle d’une autorité garante du droit à l’information et à la participation en diversifiant les moyens et les partenariats permettant de toucher les publics éloignés des dispositifs participatifs actuels. Á cette fin, des expérimentations nouvelles doivent voir le jour, en s’appuyant sur les territoires ; ainsi, les maisons France services peuvent permettre l’accès de tous aux consultations électroniques. Il nous faudra aussi trouver des moyens dynamiques de vérifier les énonciations formulées en cours de débat pour éviter que des contributions non vérifiées et probablement fausses sur le plan scientifique ne biaisent la discussion.

Il me semble également indispensable d’utiliser les compétences de la CNDP en matière de participation citoyenne pour des sujets nouveaux : l’agriculture, la santé, l’eau ou l’alimentation par exemple. La CNDP vient de signer un partenariat avec le Conseil national de l’alimentation ; la démarche pourrait être étendue en vue de collaborations renforcées avec le Comité national de l’eau, le Conseil national de l’air, le Conseil supérieur de l’énergie et le Comité national de la biodiversité.

Il conviendra encore d’aider les maîtres d’ouvrage et leurs bureaux d’études à partager une culture plus sociotechnique, de manière que l’accès à tous les documents, et donc la participation continue, soit possible pour tous les citoyens.

Á court terme, je souhaiterais que lors de l’élaboration de la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), les commissions compétentes du Parlement entendent les garants de la concertation sur le mix énergétique et de la commission particulière du débat public sur le projet Penly. Il nous faudra encore compléter les travaux préparatoires aux débats complexes à venir sur les documents stratégiques de façade comme sur la mine de lithium. Nous devrons aussi, au regard des multiples sujets en jeu – santé publique, biodiversité, agriculture, énergie, transports… – et de la multitude d’acteurs impliqués à tous les niveaux de la gouvernance territoriale, entreprendre un travail méthodologique global sur l’eau. On peut enfin imaginer une saisine éventuelle sur la biodiversité, qui n’est pas dans le champ des plans et programmes, et un travail sur le projet de loi relatif à l’industrie verte.

Je me suis toujours engagé pleinement dans l’exercice de mes fonctions, et l’expérience conforte chaque jour la liberté et la capacité d’initiative dont j’ai fait preuve dans le cadre fixé par les lois et les règlements, comme plusieurs commissaires l’ont remarqué dans mes travaux précédents.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Je vous remercie. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Christine Decodts (RE). Chaque année, des centaines d’enquêtes publiques, de débats publics, de concertations et de consultations électroniques sont organisés au sujet d’infrastructures ou de politiques publiques affectant l’environnement. Ainsi la CNDP a-t-elle été récemment saisie de l’organisation d’un débat public sur la planification de l’espace maritime français dans tous ses usages et à l’échelle de chaque façade maritime, et sur un projet de « gigafactory ». Dans le même temps, les élus locaux ont innové depuis les années 1980 en créant différents outils de participation citoyenne dans le domaine de l’environnement : ateliers populaires d’urbanisme, ateliers de travail urbain, tables de concertation et, à Dunkerque, fabriques d’initiatives locales. Les méthodes participatives ont beaucoup évolué dans les collectivités ; la CNDP doit en tenir compte et chercher des voies de modernisation, en matière d’éducation populaire par exemple. J’ai observé de très longue date, dans les Hauts-de-France, votre attachement aux expérimentations des collectivités et tout l’intérêt que vous portez à la place donnée aux citoyens. J’ai mesuré votre volonté de faire évoluer les pratiques de participation, voire de coproduction qui seront au cœur de l’action future de la CNDP, tout en renforçant son indépendance. Les députés du groupe Renaissance soutiendront votre nomination à la présidence de la Commission nationale.

Mme Annick Cousin (RN). Après que vous avez été directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique et solidaire chargée des transports, puis de Christophe Béchu, votre nom circulait déjà pour prendre la tête de l’ART. Mais auriez-vous été nommé que, selon une analyse de l’ART elle-même, vous auriez dû vous déporter dans quatre dossiers sur cinq – une situation intenable qui vous a conduit à renoncer à cette fonction. Quelques mois plus tard, nous vous entendons en tant que candidat à la présidence de la CNDP. Des projets de loi sont annoncés qui demandent une CNDP indépendante et d’une neutralité complète. Au regard de votre parcours récent au sein de plusieurs cabinets ministériels, le groupe Rassemblement national s’interroge très fortement sur votre capacité à garantir des avis impartiaux. Comment, si votre nomination est confirmée, comptez-vous garantir cette indépendance et cette neutralité ?

M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES). Vous sollicitez une validation politique pour devenir président de la CNDP après que votre candidature à la présidence de l’ART a été retoquée pour cause de conflit d’intérêts. Vous comprendrez notre étonnement de voir arriver un ingénieur technocrate pour prendre la tête d’une entité dont la principale valeur est bien à la peine dans notre pays. Alors que le débat public est absent de la Constitution de la Ve République, et absent depuis le début du mandat présidentiel, vous voici missionnaire d’Élisabeth Borne ou de Christophe Béchu dont vous avez été le directeur de cabinet. Le débat public est une affaire sérieuse et nécessaire, singulièrement dans un contexte de changement climatique et aussi de changement de paradigme. La population ne veut plus d’une énième autoroute mais des projets vertueux qui améliorent les conditions de vie du plus grand nombre. La dernière personnalité proposée par M. Macron qui s’est présentée devant nous est M. Boris Ravignon, qui postulait à la présidence de l’Agence de la transition écologique (Ademe), ce que nous n’avons pas accepté, en partie à cause de ses cumuls de mandats et de conflits moraux. Nous nous trouvons aujourd’hui dans la même situation, et ce n’est pas votre position concernant le contournement Ouest de Montpellier, que vous avez laissé faire sans demander le débat tout en sachant que les projets de ce type doivent être discutés par les populations pour être acceptés, qui modifiera notre vote. Tout au contraire, cela renforce notre opposition à votre nomination.

M. Pierre Vatin (LR). Le groupe Les Républicains a été surpris par l’annonce que le Président de la République proposait de vous nommer à la présidence de la CNDP alors que vous aviez dans un premier temps été pressenti pour prendre la tête de l’ART. Ce grand écart entre deux fonctions aussi dissemblables étonne. Pourriez-vous garantir que cette seconde candidature n’est pas un « plan B » mais résulte d’un choix longuement mûri ? Votre candidature à la tête de l’ART a été abandonnée pour risques de conflit d’intérêts en raison de vos précédentes fonctions. Pouvez-vous nous assurer qu’il n’en sera pas ainsi à la tête de la CNDP ? Il semble que vous seriez obligé de vous déporter d’une dizaine de projets sur les quatre-vingts en cours de concertation ; n’est-ce pas là un frein important ? Les Français méritent un président de la CNDP 100 % à la manœuvre. D’autre part, vos fonctions en cabinets ministériels ont nécessairement créé une relation de confiance avec l’exécutif ; n’y a-t-il pas là un risque de présomption de partialité, notamment lorsqu’il s’agira de débattre d’infrastructures et de projets portés par le Gouvernement ? Certains ont parlé d’un enterrement de première classe de la CNDP. Un profil plus consensuel ne serait-il pas plus indiqué pour incarner l’institution à l’avenir ?

La présidente sortante de la CNDP avait pensé la faire évoluer en transformant l’instance organisatrice de débat en une instance garante de la participation du public et en élargissant ses compétences à l’eau ou à la biodiversité pour qu’elle devienne une sorte de défenseur de l’environnement. Partagez-vous ces orientations ? Contribueraient-elles à améliorer la qualité des projets et du dialogue démocratique et citoyen dans notre pays ? La loi Asap réduit les possibilités de saisine de la CNDP. Certains considèrent que le temps de traitement des projets, notamment industriels, est trop long, ce qui encourage désindustrialisation et délocalisations. Quel est votre avis ? Enfin, que feriez-vous pour renforcer effectivement la prise en compte de l’avis du public et pas seulement sa participation, qui se résume trop souvent à une consultation polie sans conséquences sur les projets ?

M. Bruno Millienne (Dem). Alors que nos compatriotes demandent davantage de démocratie participative, le rôle de la CNDP est primordial. Votre parcours le montre, vous êtes un grand serviteur de l’État. Le groupe Modem vous considère pleinement compétent pour prendre la présidence de la CNDP. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble lors de l’examen de la loi d’orientation des mobilités et je peux témoigner de votre grand professionnalisme. Cela me pousse à affirmer qu’en dépit des craintes exprimées par certains au sujet de votre prétendue proximité avec l’exécutif, vous saurez exercer votre fonction avec l’intérêt général pour seule boussole. Mais j’entends les arguments de certains de mes collègues députés et sénateurs ; il faut les rassurer et rassurer nos compatriotes qui nourrissent pour la CNDP l’espoir d’une participation accrue du public aux décisions de l’État. Pouvez-vous vous engager devant la représentation nationale à exercer votre mandat en toute indépendance ? Les grandes tendances sur les projets soumis à la participation du public sont assez équivoques, qu’il s’agisse de sujets liés à l’énergie d’origine éolienne ou nucléaire ou de projets industriels. Votre expérience professionnelle vous permettra, nous en sommes persuadés, de mener à bien les consultations. Nous avons besoin pour exercer cette fonction d’une personne maîtrisant les sujets énergétiques, ce qui est votre cas. Pourriez-vous nous indiquer quelles seront, selon vous, les prochaines tendances thématiques des consultations du public et nous dire si la CNDP, dans sa configuration actuelle, pourra les organiser et les accompagner au mieux pour rendre compte de l’avis du public ?

M. Gérard Leseul (SOC). Les députés du groupe Socialistes et apparentés sont particulièrement attachés à l’existence de la CNDP et au renforcement de la participation citoyenne. Il serait extrêmement utile que la Commission nationale élargisse son périmètre d’activité. De très nombreux projets gouvernementaux récents auraient gagné en cohérence et en pertinence par la prise en compte de l’avis des corps intermédiaires et de nos concitoyens, parfois exprimé directement dans la rue. La démocratie est légitimée par le dialogue et la recherche de consensus. La participation et le respect des citoyens ne sont ni une option, ni un gadget, mais une nécessité démocratique. La CNDP a donc un rôle fondamental et sa présidente ou son président doit être son promoteur et le garant de son efficacité et de son indépendance.

Le Gouvernement semble avoir pour mantra la simplification administrative. On l’a vu avec la loi Asap et avec chaque texte ayant une portée environnementale, apparaissent de nouvelles « simplifications administratives ». Le risque est notable que la concertation préalable et la participation citoyenne en soient les victimes. En cette période d’écoute citoyenne relative, sinon d’instrumentalisation de multiples consultations citoyennes récentes, le président de la CNDP doit avoir la culture du débat public, de la concertation et aussi de la prise de décision collective. Sans remettre en cause votre expérience et votre expertise technique sur de nombreux sujets, je m’interroge : êtes-vous le candidat le mieux placé pour défendre les nécessaires évolutions, voire réinventions, des modalités de la consultation citoyenne, et donc pour présider la CNDP ?

M. Henri Alfandari (HOR). À l’heure de la méfiance et des remises en cause, il est essentiel de trouver l’adhésion de la population en respectant son besoin de transparence et de participation au débat. La CNDP à la présidence de laquelle vous postulez doit être la garante de cette exigence de nos concitoyens. Or l’existence de cette autorité indépendante est parfois remise en question : proposition de la supprimer, proposition de restreindre son champ d’intervention… Comment ne pas décevoir ceux qui ont participé au débat ? Comment élargir la participation au débat tout en s’assurant que ceux qui font valoir leur point de vue ne soient pas toujours les mêmes ? Comment réussir la meilleure restitution des enjeux pour éclairer ceux qui prennent les décisions, ceux qui ont participé au débat et l’ensemble de nos concitoyens ? Comment améliorer la visibilité et la notoriété de la CNDP ? Notre groupe considère que vous avez toutes les qualités requises pour cette mission et nous soutenons votre nomination. Aussi, nous souhaitons connaître votre vision de l’avenir de cette autorité indépendante et la manière dont vous envisagez votre fonction.

M. Nicolas Thierry (Écolo-NUPES). Étant donné le recul récent des droits et de la protection de l’environnement dû à la multiplication des textes dérogatoires remettant en cause des procédures de participation des citoyens, il est opportun de rappeler que la participation est devenue un droit fondamental. En 2005, la Charte de l’environnement a donné valeur constitutionnelle au nouveau droit à l’information et à la participation, essentiel à la démocratie environnementale. Depuis la loi relative à la démocratie de proximité de 2002, la CNDP est l’autorité administrative indépendante chargée de garantir ce nouvel intérêt général. Monsieur Papinutti, je souhaite exprimer au nom de mon groupe plusieurs réserves significatives sur votre candidature à la présidence de la CNDP. Vous avez renoncé il y a quelques semaines à postuler à la présidence de l’ART car votre nomination vous aurait, nous avez-vous dit, contraint à vous déporter d’un nombre important de dossiers et pouvait en outre jeter le doute sur l’indépendance de cette institution. Or, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a aussi fait état de difficultés déontologiques pour ce qui concerne la CNDP ; étant donné vos précédentes fonctions, vous seriez également contraint de vous déporter d’un grand nombre de dossiers. Par ailleurs, vous avez un passé politique d’ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne et de M. Christophe Béchu. On assiste à la montée de l’abstention et de la défiance des Français à l’égard des institutions. La CNDP est une autorité indépendante transparente et qui veut une égalité de traitement dans ses dossiers ; votre parcours ne permet pas d’offrir ce gage d’indépendance aux citoyens. Vous comprendrez aisément que le groupe Écologiste votera contre votre nomination.

M. Guy Bricout (LIOT). Je vous ai souvent rencontré lors des travaux préparatoires à la création du canal Seine-Nord Europe ; vous étiez alors à la tête de VNF. Dans le questionnaire que vous a adressé la rapporteure, vous rappelez « avoir dirigé la politique des transports fluviaux et un grand projet, le canal Seine-Nord Europe ». J’avais été assez étonné, à l’époque, que vous ne vous prononciez pas officiellement en faveur de ce grand projet, mais peut-être était-ce en raison de vos fonctions administratives. Á la tête de la CNDP, Mme Chantal Jouanno a régulièrement fait preuve de beaucoup de courage, défendant pied à pied la CNDP et la place du débat public, qui doit être sans cesse être reconnue et respectée. Ce fut le cas en particulier en 2021 lorsqu’elle a dénoncé la loi Asap, jugeant qu’elle était le véhicule d’une régression sans précédent du droit à l’information et à la participation du public. Qu’en pensiez-vous ? La fin du mandat de Mme Jouanno a été marquée par un débat sur les énergies pris à rebours. Alors que le débat public sur le nucléaire n’était pas terminé, cela n’a pas empêché le Président de la République de réunir son premier conseil de politique nucléaire, ni le projet de loi favorisant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires d’être déjà examiné par le Parlement. Que pensez-vous de ces manières de procéder, de placer, comme souvent en ce moment, la charrue avant les bœufs, et de bafouer le débat public ? Quelle position prendrez-vous face à cette décision brutale d’un Gouvernement pour lequel vous avez travaillé ? Comment ne pas redouter qu’il vous soit difficile d’être impartial, comme le demandent nos concitoyens, singulièrement quand ils ont le sentiment de n’avoir jamais été aussi peu écoutés par les gouvernants ?

M. Marc Papinutti. J’ai défendu le canal Seine Nord-Europe dès le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire de décembre 2003 et j’y ai beaucoup travaillé lorsque je dirigeais VNF ; nous avons même créé une société régionale.

Il y a une quinzaine d’années, la CNDP recherchait le consensus sur les projets. Les choses ont changé : l’important est que la CNDP permette de mettre les controverses à plat. On connaît les visions et les choix des parties prenantes ; ce sont les citoyens qu’il faut aller chercher et cette recherche sera l’essentiel de mon action future, si vous en décidez ainsi.

Il faut aborder les sujets environnementaux très en amont des projets, avec d’éventuelles saisines complémentaires de l’Autorité environnementale pour cadrer le débat, sans quoi la question n’est pas envisagée complétement. Mais, pour certains projets de gigafactories, la CNDP a été saisie fin 2020 et la mise en service aura lieu en 2023 ; cela montre que les délais peuvent être assez courts au regard des 600 millions, sinon un milliard, d’euros d’investissements en jeu. Nous devons y travailler vigoureusement. D’autre part, si, pour une gigafactory, le dossier soumis à enquête publique comprend 2 500 pages, il est de 22 000 pages pour un lot du dossier du canal Seine-Nord Europe ; que « prédigère-t-on » pour la décision ? Une réflexion s’impose sur cet ensemble de sujets.

Il a été plusieurs fois question de mon indépendance. Je le redis, je suis conscient de la responsabilité qui sera la mienne. L’accès au droit pour tous d’influencer la décision publique est un sujet sociétal. Cela signifie que l’on ne peut s’en tenir à organiser une concertation, à mener un débat public et à faire un rapport. On a vu, pour le grand projet Cigéo, l’importance de la continuité du garant. La reddition des comptes par le maître d’ouvrage d’une infrastructure, autrement dit sa capacité à expliciter pourquoi et comment il a pris ses décisions est plus difficile encore ; là encore, les garants ont un rôle exceptionnel à jouer. Chantal Jouanno a aussi mentionné devant vous la trop faible notoriété de l’activité de la CNDP, ce qui implique d’améliorer la communication sur son existence même, du moins au niveau national.

Ma vision de l’avenir est que la CNDP continue de se battre, non seulement à propos d’infrastructures et de projets, mais aussi au sujet de débats plus complexes dont j’ai mentionné certains. Mais la CNDP ne peut pas s’auto-saisir : la saisine doit émaner des maîtres d’ouvrage, de porteurs de politiques, de vous-mêmes quand vous considérez que des clarifications sont nécessaires. Il est nécessaire de se confronter aux sujets dits systémiques. Par exemple, un débat public vient de s’engager sur l’eau potable en Île-de-France. Ce débat est passionnant, mais il ne porte que sur l’eau potable et sur l’énergie nécessaire pour la rendre potable dans une petite partie de la France, non sur l’eau dans son ensemble. Les débats sont encore très territorialisés. Je pressens qu’un débat général sur l’eau aura lieu, mais il faudra y travailler avec les nombreux ministères concernés pour en définir les contours. La CNDP a fait quatorze concertations sur les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage), mais le citoyen a du mal à percevoir où il peut intervenir. Il nous revient de le montrer.

Suis-je le candidat le mieux placé à la présidence de la CNDP, m’a demandé M. Leseul ? Mon honneur est d’avoir été pressenti à ce poste. Pourquoi l’ai-je été ? Sans doute parce que, je l’ai dit en citant le vélo en période de pandémie, nous avons inventé des méthodes, passant outre de nombreux obstacles pour faire des expérimentations. Avec le président de la commission, nous avons aussi beaucoup travaillé avec les territoires dans le cadre de France Mobilités, avec des ambassadeurs de tous bords politiques. Qui dit « mobilités » ne dit pas seulement infrastructures ; un très grand nombre de micro-sujets doivent être pris en considération et, surtout, un nombre considérable de personnes sont confrontées à des transformations pour lesquelles elles ne sont pas outillées. Nous avons donc diffusé des outils, procédé à des concertations, montré des exemples. Cette expérience me semble intéressante pour expérimenter sur d’autres sujets. Par ailleurs, j’ai bien l’intention d’aller voir les collectivités territoriales, pour les zones à faibles émissions mobilité par exemple, car la CNDP a une grande expertise sur ce point. L’expérimentation est intéressante, et avec elle le fait de prendre en compte les positions des uns et les autres.

Pourquoi raccourcir les délais ? Le sujet est récurrent, mais je pense qu’il y a une confusion entre le rôle de la CNDP, qui est d’aller chercher les citoyens, de parler et d’évoquer les problèmes avant qu’il ne soit trop tard, et l’enquête publique qui suit, avec un ensemble de procédures fluctuant dans le temps qui font courir des risques aux donneurs d’ordres et aux maîtres d’ouvrage. Je suis convaincu que le débat public ou la concertation préalable sont indispensables à tout grand projet, et c’est pourquoi il faut améliorer la communication sur l’existence et l’activité de la CNDP.

Le projet de contournement Ouest de Montpellier a été l’objet de deux concertations publiques, en 2004 puis en 2006. En 2016, à l’occasion d’une nouvelle phase de concertation, le maître d’ouvrage a informé la CNDP de sa décision de ne pas la saisir, et porté cette information à la connaissance du public, comme l’imposent les textes, pour permettre une éventuelle saisine de la CNDP par les acteurs locaux, ce qui n’a pas été demandé. Vous trouverez ma réponse plus complète à ce sujet dans mes réponses écrites au questionnaire de votre rapporteure.

Nous devons trouver des modalités supplémentaires de participation, j’en suis convaincu. Pour le plan de déplacements urbains d’Île-de-France, nous avons eu 400 000 retours, parce qu’il s’agissait de la vie quotidienne des gens et que nous sommes allés à leur rencontre chez eux, dans le métro, dans l’autobus, à la gare. Étant donné l’ampleur des défis de la transition écologique et de la transition énergétique, si on n’agit pas de la sorte, si on ne trouve pas de solutions permettant de renforcer la participation au débat public, on ne parviendra pas à passer le cap et, surtout, les gens décrocheront. Selon moi, le défi actuel de la CNDP est de les faire « raccrocher » et, surtout, de leur dire ensuite comment le point de vue qu’ils ont exprimé a été pris en compte.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Jean-Luc Fugit (RE). Nous venons d’adopter la loi d’accélération des énergies renouvelables, et le projet de loi dit « nucléaire » devrait être définitivement adopté mardi prochain. L’examen de ces textes majeurs pour l’avenir énergétique de notre pays a donné lieu à de riches débats, parfois étonnants sur le plan scientifique. La CNDP organise aussi de nombreux débats locaux sur les enjeux liés au développement des énergies renouvelables et elle a été consultée sur le programme de nouveaux réacteurs nucléaires. Elle contribue ainsi à une vision large et citoyenne des enjeux de structuration de notre filière énergétique. Dans le cadre de l’élaboration des projets de loi de programmation sur l’énergie et le climat et de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) annoncées récemment par Mme la Première ministre, quel rôle envisagez-vous pour la CNDP ? Pourrait-elle engager de nouvelles relations de travail avec le Conseil supérieur de l’énergie ?

Mme Danielle Brulebois (RE). Votre expérience et votre expertise font de vous la personne qu’il faut à la présidence de la CNDP. La Commission nationale n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans le développement de l’esprit critique de nos concitoyens et leur sensibilisation à la désinformation ? Comment comptez-vous attirer un maximum de participants ? Souvent ne participent aux débats publics organisés par la CNDP que les militants associatifs et les organisations non gouvernementales (ONG), mais très peu de nos concitoyens, et ceux qui sont favorables aux projets en discussion ne viennent pas s’exprimer. Comment comptez-vous remédier à cela ?

M. Gérard Leseul (SOC). Comment la concertation doit-elle évoluer pour s’inscrire plus efficacement dans une décision collective ? Quel pourrait être l’élargissement des compétences et des champs d’intervention de la CNDP ? Vous avez mentionné l’alimentation ; pensez-vous à d’autres sujets ? Enfin, vous avez dessiné quelques pistes pour changer de paradigme, mais pouvez-vous nous en dire plus sur vos ambitions ?

M. Nicolas Ray (LR). Au cours des dernières semaines de son mandat, Mme Chantal Jouanno a vivement regretté le vote des sénateurs supprimant le plafond des 50 % de nucléaire dans le mix énergétique lors de l’examen du projet de loi sur l’accélération du nucléaire, ce vote étant intervenu en plein débat public sur les réacteurs de Penly. Ces critiques vous semblent-elle appropriées, même pour défendre la plénitude du droit à la participation du public ? Le débat et les propositions du public sont importants, mais faut-il pour autant refuser aux parlementaires toute possibilité de légiférer dès lors qu’un débat public est en cours ? Comment concilier participation légitime du public et respect de la démocratie représentative fondée sur l’élection, base de notre système politique ? Comment assurer la participation de la majorité silencieuse des citoyens, moins à l’aise dans l’expression orale, afin que le débat ne soit pas préempté par les lobbies, les associations et les citoyens les plus engagés et les plus actifs ?

Mme Christelle Petex-Levet (LR). Les suites du débat sur la réforme des retraites ont montré que nos institutions souffrent d’un déficit patent de confiance et d’intérêt des citoyens. Nous multiplions les élections, les débats et les concertations, mais jamais les Français n’ont autant eu le sentiment que leur avis était inutile, voire utilisé contre leur volonté. La CNDP va organiser des débats publics sur les documents stratégiques de façade qui encadreront notamment la future cartographie de l’éolien en mer. « De façade »… c’est le sentiment que donne la teneur de ces débats, tant est fantomatique la prise en compte des avis contraires. De nombreux Français ont l’impression, à tort ou à raison, que la décision est déjà prise quel que soit leur avis, ce qui aggrave la défiance citoyenne. Comment ferez-vous pour que leur avis soit davantage pris en compte ? Le panel des experts sera-t-il plus ouvert ? Systématiserez-vous la présentation de « l’option zéro », c’est-à-dire l’annulation du projet, comme le prévoit le code de l’environnement ?

Mme Pascale Boyer (RE). Les projets structurants, tel le déploiement des énergies renouvelables, sont essentiels pour répondre aux défis de la transition écologique. La CNDP contribue à l’acceptabilité des projets en diffusant les informations au public et en permettant que l’on apporte aux projets des modifications qui peuvent en améliorer l’acceptabilité. Quels moyens mettrez-vous en œuvre pour la faire mieux connaître et pour faire connaître les débats publics, notamment sur les réseaux sociaux ?

M. Yannick Haury (RE). Étant donné votre expérience, je me réjouis que vous soyez proposé pour présider la CNDP. L’acceptabilité des grands projets liés à la transition écologique passe nécessairement par l’information et la concertation. Á ce sujet, la manière dont les choses se sont passées dans ma circonscription à propos du projet de méthaniseur « XXL » de Corcoué-sur-Logne est édifiant. La saisine de la CNDP a eu lieu tardivement, alors que les tensions s’étaient cristallisées, compromettant ainsi les possibilités d’échanges apaisés et constructifs. Quelles pistes concrètes envisagez-vous pour améliorer la concertation entre les parties prenantes d’un projet de développement d’énergies renouvelables ? Ne pourrait-on imaginer une saisine le plus en amont possible ou des saisines systématisées ?

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie (RE). Envisagez-vous une collaboration plus transparente et approfondie avec les parlementaires ? Comptez-vous nous tenir informés régulièrement des travaux et des initiatives de la CNDP ?

M. Marc Papinutti. La concertation pour la concertation n’est que communication. Comment, alors, s’assurer que le citoyen voit que ce qu’il a dit a été pris en compte ? Ce débat a eu lieu au sein de la CNDP depuis les origines ; elle y a répondu par la concertation continue. Au-delà, la reddition des comptes est impérative, et il revient à la CNDP mais aussi à vous, parlementaires, lorsque vous disposez du rapport ou de l’avis de la Commission nationale, de l’exiger du maître d’ouvrage. Par exemple, dans le domaine nucléaire, le grand débat sur Penly sera extrêmement intéressant ; vous devriez auditionner ceux qui l’ont conduit, la commission particulière du débat public et les garants sur le mix nucléaire, mais c’est bien la réponse du maître d’ouvrage, EDF, pour Penly, et celle de l’État qui contribueront au débat sur la LPEC.

La question des plafonds d’énergie nucléaire était plutôt du domaine législatif. Au‑delà, le débat sur Penly a été révélateur de controverses mais aussi d’un sujet crucial : comment atteindre tout le public ? Les méthodes classiques, notamment les réunions publiques, sont désormais problématiques et ne permettent pas à tout le monde de s’exprimer. Non seulement ne prennent la parole que les bons orateurs, mais certains sont empêchés de parler par des coups de sifflet persistants ; on est dans une impasse. La CNDP a donc utilisé plusieurs autres méthodes : sur le mix énergétique, une centaine de jeunes gens ont été tirés au sort, pour deux jours et demi de brainstorming. On est allé chercher des publics, non pour obtenir une décision politique, mais simplement pour qu’une expression puisse avoir lieu, car tel est le problème actuel. J’ai mentionné les maisons France services. Je suis sûr que l’on peut inventer d’autres méthodes, mais il est difficile de recourir aux réseaux sociaux, qui sont aussi des diffuseurs d’informations fausses qu’il faut ensuite s’efforcer désespérément de corriger. D’autre part, nous gagnerions à transformer nos experts techniques en experts sociotechniques pour que les échanges soient plus faciles. Les collectivités locales, qui expérimentent quotidiennement en ce domaine, nous aideront, et cela sera réciproque.

La CNDP doit aussi des comptes à la représentation nationale. Mme Chantal Jouanno s’est appliquée à le faire il y a quelques semaines devant vous. Je considère que lorsqu’un débat public va se dérouler sur votre territoire, le garant doit vous contacter ; après quoi, il faut déterminer si vous devez parler en premier ou en dernier. Je m’engage à ce que toute décision de tenir un débat public prise par la CNDP soit communiquée à chaque député et sénateur concerné. On éviterait ainsi bien des désagréments.

Les projets tels que ceux de méthaniseurs « XXL » sont complexes. Ils partent d’une bonne intention : réutiliser du lisier et du fumier polluants en biogaz. Le débat public a commencé tardivement, mais sa première étape a permis de réduire le volume du projet. J’ai connaissance d’autres projets, d’éolien terrestre cette fois, pour lesquels le maître d’ouvrage, sentant la réticence de la commune concernée, a demandé un garant. Dans les débats de ce type, le rôle primordial de la CNDP n’est pas de trouver le consensus mais d’apaiser le débat et, lors de la reddition des comptes, de faire comprendre au maître d’ouvrage ce qu’il doit corriger.

Renforcer la concertation n’est pas simplement une question de méthode. Il ne s’agit pas d’améliorer l’organisation de la réunion publique, mais de trouver comment permettre aux gens de s’exprimer et qu’un retour soit fait sur ce qui s’est dit. Parce que la facilité d’expression est inégalement répartie, on en vient à des tirages au sort ou à des micro-conventions. Plus largement, il faut toucher les jeunes gens, qui consultent d’autres media. Ils sont, de très loin, les plus sensibles aux sujets qui font l’objet de débats publics, mais le monde « bien huilé » de la CNDP ne les touche pas facilement. Il nous faut pourtant les atteindre, parce qu’ils sont les plus concernés par les transformations à venir.

Il faudrait, je l’ai dit, généraliser la collaboration entre la CNDP et divers conseils, et que le partenariat lancé avec le Conseil national de l’alimentation trouve son pendant avec le Comité national de l’eau et le Conseil national de l’air, par exemple. Il faudra aussi se pencher sur le sort effectivement réservé aux avis émis par ces instances. Mais la question sous-jacente est plus vaste : quelle orientation donner à la CNDP ? Doit-elle, a demandé Mme Chantal Jouanno, rester un organisme participatif au champ d’activité circonscrit aux questions environnementales, ou devenir une instance participative générale ? D’autres organismes ont un rôle en matière de participation, mais sur des bases différentes, et il ne faut pas négliger le volet « environnement », au cœur de la transition en cours. Il revient donc aux présidents des différents conseils de nous inviter, soit, mieux encore, de rédiger des conventions de méthode, notamment pour les avis, dont la haute technicité fait que les citoyens ont du mal à s’en emparer.

Mme Marie Pochon, suppléant Mme Lisa Belluco, rapporteure. Je souhaite vous entendre clarifier deux points. L’ancienne présidente de la CNDP a publié un communiqué relatif à la chronologie croisée de la consultation publique alors en cours et du débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi d’accélération du nucléaire. Plusieurs collègues ont souhaité connaître votre opinion à ce sujet et j’appuie cette demande : à votre avis, comment aurait-on pu améliorer la manière dont les choses se sont passées ? Ne faudrait-il pas prendre aussi en compte le débat public dans la présentation qui nous sera faite de la PPE ? Par ailleurs, vous avez été interrogé plusieurs fois sur la réalité de votre indépendance dans la fonction à laquelle vous êtes pressenti au regard de votre parcours précédent. Quelles garanties d’indépendance supplémentaires pouvez-vous apporter ?

M. Marc Papinutti. Je me suis efforcé de répondre à la question portant sur le débat au sujet du nucléaire dans mes réponses à votre questionnaire écrit. Ce n’est pas la CNDP qui choisit les textes de loi ; elle a été saisie et a travaillé, dans l’ordre qui lui était demandé, sur le mix énergétique. EDF, de son côté, avait une saisine portant sur Penly. L’examen des projets de loi s’est déroulé dans le même temps. Ces deux sujets vont abonder la LPEC et la PPE, mais vous devez vous en emparer aussi. C’est l’éternel débat de la poule et de l’œuf : un débat a eu lieu, des gens se sont exprimés, des avis ont été rendus. Le débat public a été un peu houleux, comme souvent, avec des réunions classiques dans lesquelles les gens ne peuvent pas s'exprimer – le président de la commission particulière vous le dirait très bien –, mais je pense que ce débat continue d’alimenter la LPEC.

S’agissant de l’indépendance de la CNDP, je suis prêt à être à nouveau auditionné soit par le bureau de votre commission, soit par la commission dans son ensemble, pour que vous me signaliez les occasions où nous n’aurions pas montré d’indépendance, car il serait assez difficile d’admettre un défaut d’indépendance dont la seule manifestation serait que la commission en affirme l’existence. Jusqu’à présent, les décisions prises par la Commission nationale ne le sont pas par son seul président, mais collectivement. Les notes sont individuelles et signées, mais les avis sont collectifs. Je rappelle aussi que la CNDP compte deux parlementaires ainsi que des représentants d’ONG et d’organisations syndicales qui sauront rappeler cette nécessaire indépendance.

Au cours des cinq ans à venir, la transition énergétique et écologique s’accélérera et la CNDP examinera de multiples sujets. Prenons le débat sur l’eau : ce n’est plus un sujet politique, et la CNDP aura pour rôle d’organiser les choses, et surtout, j’y tiens, d’imposer la reddition des comptes au maître d’ouvrage qui a lancé le débat. Je suis certain que si les citoyens voient qu’il a été tenu compte de ce qu’ils ont exprimé sur tel projet de gigafactory ou de retenue d’eau, ce sera bénéfique parce que le citoyen comprendra qu’il peut agir. Le pire serait que l’on ne parvienne pas à cette reddition. Mais nous ne pouvons y parvenir seuls ; nous avons besoin de vous.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Monsieur Papinutti, je vous remercie. Nous allons procéder au vote après que vous aurez quitté la salle de la commission.

 

Après le départ de M. Marc Papinutti, il est procédé au vote sur le projet de nomination, par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d’âge étant M. Sylvain Carrière et Mme Manon Meunier.

Les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :

Nombre de votants

52

Abstentions, bulletins blancs ou nuls

0

Suffrages exprimés

52

Pour

30

Contre

22

 

——————

 


Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 15 heures

 

Présents. - M. Henri Alfandari, Mme  Anne Bergantz, M. Philippe Berta, M. Jean-Yves Bony, Mme  Pascale Boyer, M. Guy Bricout, M. Jean-Louis Bricout, M. Anthony Brosse, Mme  Anne Brugnera, Mme  Danielle Brulebois, M. Stéphane Buchou, M. Aymeric Caron, M. Sylvain Carrière, M. Pierre Cazeneuve, M. Mickaël Cosson, Mme  Annick Cousin, Mme  Catherine Couturier, Mme  Christine Decodts, Mme  Julie Delpech, M. Vincent Descoeur, M. Nicolas Dragon, Mme  Sylvie Ferrer, M. Jean-Luc Fugit, Mme  Clémence Guetté, M. Yannick Haury, Mme  Laurence Heydel Grillere, Mme  Chantal Jourdan, Mme  Stéphanie Kochert, Mme  Sandrine Le Feur, Mme  Nicole Le Peih, M. Gérard Leseul, M. Jean-François Lovisolo, Mme  Aude Luquet, Mme  Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Laurent Marcangeli, Mme  Manon Meunier, Mme  Marjolaine Meynier-Millefert, Mme  Laure Miller, M. Bruno Millienne, M. Hubert Ott, Mme  Christelle Petex-Levet, Mme  Claire Pitollat, Mme  Marie Pochon, M. Loïc Prud'hoMme , M. Nicolas Ray, Mme  Anne Stambach-Terrenoir, M. David Taupiac, M. Nicolas Thierry, Mme  Huguette Tiegna, M. David Valence, M. Pierre Vatin, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - M. Gabriel Amard, Mme Lisa Belluco, Mme  Nathalie Da Conceicao Carvalho

 

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Pierre Vigier