Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen de la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction de leurs seules vingt-cinq meilleures années de revenus (n° 353) (M. Julien Dive, rapporteur)              2

– Présences en réunion.................................16

 

 

 

 

 


Mercredi
23 novembre 2022

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 27

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi, présidente
 

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

 

La commission examine la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction de leurs seules vingt-cinq meilleures années de revenus (n° 353) (M. Julien Dive, rapporteur).

M. Julien Dive, rapporteur. Je vous remercie, madame la présidente, de m’accueillir au sein de la commission des affaires sociales le temps de l’examen de cette proposition de loi. Je remercie également les services de l’Assemblée nationale, qui m’ont accompagné tout le temps de ces travaux et qui m’accompagneront jusqu’à l’examen en séance la semaine prochaine.

Madame la présidente, mes chers collègues, il existe un écart de pension de 580 euros brut constaté chaque mois entre un agriculteur retraité et un salarié à la retraite. Avec une pension moyenne de 800 euros par mois, les agriculteurs retraités touchent ainsi chaque année en moyenne près de 7 000 euros de moins que les retraités du régime général. C’est un terrible aveu d’échec de notre système d’assurance vieillesse, lequel ne parvient manifestement pas à garantir un niveau de vie digne à nos agriculteurs à la retraite. Ce constat est connu et ancien. Parmi les facteurs expliquant la faiblesse du niveau des pensions agricoles figure le fait que le calcul des droits à la retraite des agriculteurs se fonde encore aujourd’hui sur l’ensemble de leur carrière, ce qui constitue une différence majeure avec les anciens salariés et les indépendants, qui bénéficient de pensions de retraite dont le montant est calculé en fonction de leurs vingt-cinq meilleures années de revenus.

Malgré l’engagement réitéré de la profession, le sujet d’un alignement des règles de calcul des retraites agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années a été délaissé et sa mise en œuvre sans cesse repoussée au fil des réformes des retraites. Dix ans après le dernier rapport sur le sujet, la présente proposition de loi proposée par les députés Les Républicains dans le cadre de leur niche parlementaire entend remédier à une injustice qui n’a que trop duré.

Créé en 1952, le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale, ce qui explique qu’il présente d’importantes différences avec les régimes alignés. D’une part, il est organisé sur la base d’une architecture originale, comportant deux niveaux à savoir une partie forfaitaire, l’assurance vieillesse individuelle (AVI), indépendante du revenu, et une partie proportionnelle, l’assurance vieillesse agricole (AVA), dont le montant dépend des cotisations versées par l’agriculteur tout au long de sa carrière. D’autre part, la retraite des agriculteurs n’est pas calculée par l’application d’un taux à un revenu annuel moyen, contrairement aux retraites des régimes alignés. L’assurance vieillesse agricole fonctionne en effet sur la base d’un régime à points, que les agriculteurs acquièrent en contrepartie des cotisations versées tout au long de leur carrière. Lors du départ à la retraite, le montant de la retraite proportionnelle d’un agriculteur est calculé en multipliant le nombre de points acquis par la valeur de service du point, qui évolue chaque année.

Malgré ces différences, le régime agricole comporte des paramètres directement ancrés sur ceux applicables aux régimes alignés, qu’il s’agisse des conditions d’âge légal de départ ou de durée d’assurance, en passant par l’indexation du montant des retraites sur l’inflation. Ces éléments traduisent la volonté de faire converger partiellement les règles en vigueur dans les régimes alignés avec celles applicables au régime des non-salariés agricoles. Pourtant, force est de constater que les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de repousser la demande pourtant légitime des exploitants agricoles de voir le calcul de leurs retraites fondé sur les seules meilleures années de leur carrière.

Cette situation est regrettable, tant la réforme proposée est susceptible de remédier à certains des problèmes structurels du régime. Premièrement, le calcul sur les vingtcinq meilleures années a pour objectif de limiter l’impact de la forte variabilité des revenus agricoles sur les droits à la retraite. En effet, les revenus agricoles varient fortement d’une année sur l’autre en raison de la fluctuation des prix, des aléas climatiques qui pèsent sur les récoltes et des aléas épizootiques qui pèsent sur les cheptels. À titre d’exemple, les revenus ont chuté de 6 % en 2020. Ils avaient déjà baissé de 2,3 % en 2019 après une forte hausse en 2017 et 2018. Cette volatilité est très marquée dans la culture des vignes et des céréales, deux secteurs touchés par des conditions climatiques particulièrement défavorables ces dernières années. En ne prenant en compte que les meilleures années d’activité, la réforme proposée permet ainsi de mettre un terme à ce qui constitue aujourd’hui une véritable double peine pour les agriculteurs à savoir une baisse des revenus à court terme se traduisant par une retraite plus faible à long terme.

Deuxièmement, le passage aux vingt-cinq meilleures années répond à un objectif d’équité entre assurés sociaux. Il est en effet injuste que l’application d’une règle qui bénéficie à la quasi-totalité des retraités de ce pays soit refusée aux agriculteurs qui cumulent déjà les difficultés tout au long de leur carrière. Ainsi, les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus avec 54 heures par semaine contre 45 heures pour les commerçants et 37 heures en moyenne pour l’ensemble des actifs. Parmi les agriculteurs, les éleveurs portent une charge de travail particulièrement lourde puisqu’ils déclarent travailler 61 heures par semaine, sans parler du temps d’astreinte. En effet, avec 2 800 heures par an, le temps d’astreinte par exploitation d’élevage est presque deux fois supérieur à la durée légale du travail du fait de tâches qui ne peuvent être différées. De plus, neuf agriculteurs sur dix travaillent le week-end et les deux tiers d’entre eux ne partent pas plus de trois jours consécutifs par an en congé. À ces conditions de travail particulièrement contraignantes s’ajoute une situation financière souvent peu enviable par rapport aux autres non-salariés. Selon l’Insee, le revenu mensuel moyen des producteurs agricoles était de 1 640 euros par mois en 2020, contre 3 620 euros pour les autres non-salariés.

Troisièmement, et comme l’ont rappelé les différentes personnes que j’ai auditionnées, l’enjeu du passage au calcul des retraites agricoles sur les vingt-cinq meilleures années n’est pas sans lien avec celui du renforcement de l’attractivité du métier d’agriculteur. En effet, un agriculteur sur deux est censé partir en retraite d’ici 2030, ce qui pose une véritable problématique de renouvellement des générations et d’installation. Malgré toutes les contraintes inhérentes au métier agricole, de plus en plus d’actifs, qu’ils soient salariés ou autres, choisissent courageusement d’entamer une reconversion professionnelle pour devenir agriculteurs. Or à ce jour, ces personnes passent d’un régime d’assurance vieillesse qui leur garantit la seule prise en compte de leurs meilleures années à un régime dont le montant des pensions est calculé sur l’ensemble de la carrière. Dans cette perspective, le passage au calcul des retraites agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années constitue un levier permettant d’encourager les reconversions et de renforcer l’attractivité des professions agricoles.

Enfin, cette réforme s’insère dans une réflexion sur une contributivité accrue du régime permettant d’introduire une plus grande proportionnalité entre les droits à pension et les cotisations. Selon le régime actuel, le barème d’acquisition de points a pour conséquence qu’un agriculteur dont le revenu annuel s’élève à 15 600 euros valide 30 points, soit autant qu’un agriculteur dont le revenu est de 8 400 euros. En revanche, le premier verse 2 670 euros de cotisations tandis que le second ne contribue qu’à hauteur de 1 430 euros. L’existence de ce palier à 30 points atténue sensiblement la contributivité du régime. Les auditions que j’ai menées ont en effet permis de mettre en lumière le fait que de nombreux agriculteurs préféraient recourir à des pratiques de défiscalisation et d’optimisation plutôt que de cotiser à perte. La mise en œuvre d’une plus forte dégressivité dans le barème des points acquis permettrait donc d’accroître les incitations à cotiser, ce qui conduirait les agriculteurs dont le revenu est plus élevé à contribuer davantage à la solidarité du système.

Publié en mars 2012, le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le sujet mettait toutefois en garde contre les effets de bord non maîtrisés que pouvait induire la réforme du passage aux vingt-cinq meilleures années, en particulier pour les petites retraites agricoles. Ce sujet avait été abordé lors de la réforme des retraites de 2010 puis confirmé par les ministres de l’agriculture successifs jusqu’à M. Stéphane Le Foll en 2015. Force est de constater que plus de dix ans après, les conclusions de ce rapport méritent d’être entièrement réévaluées à l’aune des évolutions intervenues tant dans les régimes alignés que dans celui des non-salariés agricoles.

Le rapport que j’ai rédigé présente avec plus de détails les subtilités techniques qui justifient mes propos. Par conséquent, je me contenterai ici de rappeler quelques points essentiels. Premièrement, le rapport de l’Igas de 2012 se fondait sur des hypothèses qui excédaient largement le champ de la réforme du passage aux vingt-cinq meilleures années, en particulier concernant l’architecture du régime. Je souhaite donc affirmer clairement, pour éviter toute ambiguïté, que la présente proposition de loi n’entend pas remettre en question l’architecture duale du régime de retraite ni le principe du régime à points, qui présentent des avantages auxquels la profession est attachée. La prise en compte des vingt-cinq meilleures années devra intervenir dans des conditions qui garantissent un gain maximal pour les agriculteurs.

Deuxièmement, même en considérant que certaines hypothèses du rapport de l’Igas méritent d’être retenues, notamment en matière d’alignement des règles de validation de trimestres en vigueur dans le régime général, ses conclusions me semblent devoir être entièrement réévaluées à l’aune des changements récents de la législation, en particulier des avancées décisives votées dans le cadre des deux « lois Chassaigne », lesquelles ont considérablement renforcé le caractère protecteur des minimas de pensions agricoles.

Parce que les raisons qui justifient le bien-fondé de cette réforme sont nombreuses et que les obstacles à la mise en œuvre nous paraissent levés, nous vous proposons, à travers l’article 1er de cette proposition de loi, d’acter la mise en œuvre d’un passage aux vingtcinq meilleures années pour le calcul de la retraite des non-salariés agricoles. Lors des auditions, les acteurs de la filière ont exprimé un large consensus sur la nécessité de mettre en œuvre cette mesure. Bien que paramétrique en apparence, elle requiert des évolutions juridiques et techniques redoutables, que la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole s’est dite prête à mener. Ne manque aujourd’hui que la volonté politique. C’est cette volonté que votre rapporteur et le groupe Les Républicains entendent affirmer à travers la présente proposition de loi. Nous la devons à nos agriculteurs, qui n’ont que trop attendu.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, il apparaît donc particulièrement nécessaire et impérieux de l’adopter pour pouvoir entamer sa mise en application aussi vote que possible.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux intervention des représentants des groupes.

M. Didier Le Gac (RE). Notre groupe votera contre cette proposition de loi, qui paraît très séduisante comme le sont souvent les propositions de loi s’inscrivant dans le cadre d’une niche parlementaire, mais n’est pas applicable. Il convient de le signaler, en premier lieu aux agriculteurs à qui nous ne souhaitons pas laisser penser qu’après l’adoption de cette proposition de loi, la retraite agricole serait calculée sur les vingt-cinq meilleures années, pour deux raisons.

Premièrement, cette proposition de loi est inconstitutionnelle puisqu’elle renvoie son application à un décret. Or dans la mesure où elle crée de nouveaux droits, l’application d’une telle réforme nécessite une loi en vertu de l’article 34 de la Constitution.

Deuxièmement, cette proposition de loi n’aurait pas d’effet parce qu’elle est inopérante. La Mutualité sociale agricole (MSA), que nous sommes nombreux à bien connaître, notamment nous qui sommes issus de départements ruraux, est dans l’incapacité technique de reconstituer les données des vingt-cinq meilleures années de carrière des agriculteurs, concernant les salaires forfaitaires, les points et le calcul des moyennes triennales.

Par ailleurs, cette proposition de loi n’est pas présentée de manière très sincère. Il est en effet excessif de nous accuser « de refuser d’aborder les souffrances du monde agricole » comme vous le faites dans votre exposé préalable. Surtout, vous indiquez que la revalorisation précédente, votée dans le cadre de la « loi Chassaigne », ne concerne pas les retraités actuels, ce qui est faux. Au 1er janvier 2022 en effet, 338 600 agriculteurs ont pu bénéficier de la revalorisation de la « loi Chassaigne », qui avait justement l’objectif de traiter le « stock » des retraités actuels.

Enfin, votre proposition de loi n’est pas consensuelle puisque tous les syndicats ne la soutiennent pas. En outre, le rapport de l’Igas de 2012 sur le sujet indique clairement que le passage aux vingt-cinq meilleures années, en admettant qu’il soit possible techniquement, profiterait surtout aux seules carrières ascendantes et aux pensions les plus élevées, comme le montrent les simulations. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre.

M. Serge Muller (RN). Nous sommes favorables à cette proposition de loi. Le Rassemblement National a toujours souhaité que les agriculteurs puissent bénéficier d’un niveau de vie décent tout au long de leur carrière, et d’autant plus lors de leur passage à la retraite. Nous avons donc déposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale visant également à calculer la retraite des non-salariés agricoles sur leurs vingt-cinq meilleures années de revenus. Cette réforme est primordiale et nous nous réjouissons de son inscription à l’ordre du jour.

Nous y sommes favorables parce qu’en sus de nourrir les Français et de participer à notre souveraineté alimentaire, les agriculteurs exercent une activité dont ils ne sont pas toujours maîtres. Ils sont en effet soumis aux lois des marchés financiers et des aléas climatiques.

Nous y sommes favorables car nos agriculteurs relèvent d’un régime profondément injuste. En effet, la retraite des indépendants se calcule sur les vingt-cinq meilleures années et celle des fonctionnaires sur leurs six derniers mois, quand celle des agriculteurs est calculée sur la totalité de leur carrière. Calculer leur retraite sur leurs meilleures années de revenus leur permettrait donc de s’affranchir des années difficiles, de gel, de sécheresse, de grêle, mais également de démarrage dans la vie active car il est très rare que de jeunes agriculteurs soient rentables dès les premières années d’activité. Ces difficultés se traduisent dans les chiffres puisque les anciens non-salariés agricoles perçoivent une pension de 1 150 euros bruts mensuels quand la moyenne nationale dépasse 1 500 euros bruts.

À l’heure où nous avons besoin de nouveaux agriculteurs pour assurer le renouvellement des générations dans les dix prochaines années, comment des jeunes pourraientils se lancer dans un métier aussi difficile avec une retraite dépassant à peine le seuil de pauvreté ? Cette réforme est donc essentielle pour assurer la survie de l’agriculture française.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Les récentes attaques gouvernementales contre les régimes de retraite et celles à venir plaident pour la démarche proposée dans cette proposition de loi, à savoir tenter d’harmoniser les pensions de retraite par le haut. À cet égard, il nous semble que le texte fixe un cap politique positif, qui attire notre vote en sa faveur.

Par ailleurs, plusieurs éléments de cette proposition, qui n’ont pas été abordés jusqu’à présent, viennent renforcer la démarche politique que vous nous proposez. Elle souligne notamment une série de contradictions qui enserrent l’activité agricole contemporaine. Depuis cinquante ans, le système de production agricole réduit les revenus des agriculteurs pour limiter le coût des produits alimentaires et ainsi assurer l’élévation du pouvoir d’achat du monde salarié. Entre les années 1960 et 2010, ce troc général a permis à notre société de survivre sur le dos des agriculteurs.

Ce même principe de pouvoir d’achat plaide aujourd’hui pour une revalorisation des montants de retraite comme vous le proposez. Il nous semble par ailleurs que cette proposition apporte une réponse à la problématique des dérèglements climatiques puisque le fait d’organiser le calcul des pensions sur les dernières années de la vie professionnelle étend le risque météorologique auquel les agriculteurs sont exposés à leurs revenus ultérieurs en heurtant leur capacité contributive. Dans la mesure où la production agricole ne peut être constante, il ne peut être exigé des agriculteurs une contribution constante sur l’ensemble de la vie professionnelle. Il s’agit ici d’atténuer les effets des catastrophes climatiques futures qui pourraient réduire les rendements et donc la capacité des agriculteurs concernés à contribuer à leur propre régime.

Enfin, cette proposition de loi reste tributaire de pratiques actuelles, notamment celles des grandes surfaces, dont les méthodes de négociation, à caractère parfois injuste ou inéquitable, conduisent à « plumer » l’ensemble des producteurs du secteur agricole, qui subissent au moment de leur départ en retraite les conséquences des concessions qu’ils ont dû accorder au cours de leur vie professionnelle.

Pour toutes ces raisons, nous approuvons l’objectif général du texte et sommes favorables à un travail sur les quelques éléments juridiques soulevés auparavant. Puisqu’il marque un progrès, nous voterons pour.

Mme Isabelle Valentin (LR). Les retraites agricoles constituent une problématique importante, dont nous discutons déjà depuis de nombreuses années. Je remercie donc mon collègue Julien Dive pour cette proposition de loi de bon sens, tant attendue par le monde agricole. Le calcul des retraites agricoles est basé sur l’intégralité de la carrière, ce qui constitue un non-sens au regard des nombreux aléas auxquels est soumise l’agriculture. À ceux-ci s’ajoutent les années d’aide familiale et la première année d’installation, non prises en compte dans le calcul des retraites.

Offrons aujourd’hui des perspectives favorables aux jeunes agriculteurs qui s’installent. La question du renouvellement des générations en agriculture est primordiale puisque 50 % des actifs agricoles feront valoir leurs droits à la retraite dans les dix prochaines années. À l’heure où la souveraineté alimentaire devient une priorité, comment pallier ce déficit annoncé si le métier n’attire plus et s’il n’est pas récompensé à sa juste valeur ?

Les arguments de la majorité ne nous étonnent pas puisqu’en 2018, le Gouvernement avait bloqué une proposition de loi qui visait à porter la retraite à au moins 85 % du Smic au motif que cette revalorisation serait discutée lors de la prochaine réforme des retraites, qui n’est toujours pas intervenue. Il y a urgence. Arrêtons de nous cacher derrière cette réforme qui n’avance pas. Fort heureusement, les lois dites « Chassaigne » 1 et 2 ont marqué un premier pas pour nos agriculteurs.

En refusant d’aborder les souffrances du monde agricole de manière globale, le Gouvernement renforce, au sein de notre société, les incompréhensions et les fractures à la source de l’agribashing, tout en mettant en jeu la souveraineté alimentaire de notre pays. En revanche, la proposition de loi de Julien Dive constituera un pas supplémentaire vers la reconnaissance du monde agricole et le respect de ceux qui nous nourrissent. Une retraite agricole décente représente une impérieuse nécessité car elle intervient après une longue vie de labeur.

Les problèmes techniques dont le groupe Renaissance fait état ne nous concernent pas. Notre rôle consiste à voter la loi et je suis outrée d’entendre que la MSA ne serait pas capable aujourd’hui de retracer une carrière complète alors qu’elle en possède tous les éléments.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis gêné par cette proposition de loi. Comme mes anciens collègues le savent, l’agriculture et la retraite constituent mes sujets d’intérêt principaux. En outre, je suis favorable au calcul de la retraite des non-salariés agricoles sur les vingt-cinq meilleures années.

En revanche, la façon dont vous procédez, monsieur le rapporteur, me déplaît. Elle ne permet pas de progresser parce que vous n’évoquez pas les conditions de mise en œuvre de cette mesure. Son adoption créera de l’attente, exactement comme la « loi Chassaigne », à la suite de laquelle j’ai rencontré davantage de déçus qui n’en ont pas bénéficié parce qu’ils dépassaient les critères que de personnes me remerciant pour en avoir bénéficié. Dans le cas présent, la mise en œuvre du calcul de la retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années suppose de reconstituer la carrière. Or jusqu’en 1990, les droits à la retraite des agriculteurs étaient calculés sur une base forfaitaire, en fonction de la surface exploitée et du nombre d’animaux. Depuis 1990, les droits reposent sur un barème de points non proportionnel aux revenus. En l’absence de revenus, l’agriculteur perçoit 23 points. Jusqu’à 8 000 euros de revenus, il perçoit de 23 à 30 points. 8 000 à 16 000 euros de revenus donnent droit à 30 points, alors qu’avec 16 000 euros de revenus un agriculteur cotise deux fois plus qu’un agriculteur qui dégage 8 000 euros de revenus. Entre 16 000 euros et le plafond du Smic, le nombre de points s’élève à 113. Au-delà, les cotisations supplémentaires ne donnent droit à rien.

La MSA a conservé l’historique des points mais non celui des revenus, qui n’existe que depuis l’année 2014. Elle est donc incapable de reconstituer la carrière des agriculteurs. Je suis profondément favorable au calcul de la retraite sur les vingt-cinq meilleures années compte tenu du caractère extrêmement variable des revenus des agriculteurs et j’aborderai à nouveau ce sujet dans le cadre de la réforme des retraites. En revanche, nous avons besoin de dispositifs juridiques profonds pour mettre en œuvre cette règle. J’aurais souhaité que votre proposition évoque ces sujets, y compris celui de l’écart de 7 % du taux de cotisation. En l’état, votre proposition de loi est inapplicable. Il est donc préférable de ne pas la voter. J’en partage le fond mais je n’en partage pas la forme.

M. Joël Aviragnet (SOC). La proposition de loi que notre commission examine ce matin vise à mettre fin à une injustice criante. En effet, les non-salariés agricoles possèdent un mode de calcul de la retraite de base profondément injuste. Ces exploitants agricoles, aides familiaux et collaborateurs voient leur retraite calculée sur l’ensemble de leur carrière, alors que celle des fonctionnaires est calculée sur les six derniers mois et celle du régime général, des artisans et des commerçants sur les vingt-cinq meilleures années.

Calquer le mode de calcul des retraites des non-salariés agricoles sur le régime de base constitue donc une mesure de bon sens. Aujourd’hui, leur pension de retraite moyenne s’élève à 1 150 euros bruts, contre 1 500 euros pour la moyenne globale. La « loi Chassaigne » a cependant permis une avancée non négligeable pour les retraites de ceux qui nourrissent et font vivre notre pays. Elle a ainsi garanti un niveau minimum de pensions à 1 035 euros, soit 85 % du Smic net agricole. Je tiens une nouvelle fois à remercier mes collègues communistes pour cette loi et si la proposition que nous examinons ce jour va dans le bon sens, elle est toutefois perfectible.

Tout d’abord, le dispositif législatif prévu à l’article 1er n’est pas impératif mais incantatoire. L’objectif ne doit pas être d’étendre aux non-salariés agricoles le mode de calcul du régime de base, mais de le réaliser. Je m’interroge par ailleurs sur la date retenue pour l’entrée en vigueur de cette modification. Pourquoi avoir choisi 2024 et non 2023 ? Enfin, les non-salariés agricoles souffrent de revenus incroyablement bas par rapport à leur importance pour la Nation. Sans une augmentation conséquente de leurs revenus d’activité, leurs pensions de retraite resteront à un niveau très bas. Il conviendrait donc d’agir à la source, en augmentant les revenus agricoles afin d’augmenter mécaniquement le montant des pensions de retraite des non-salariés agricoles.

Malgré ces pistes d’amélioration, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra cette proposition de loi car nous préférons toujours un petit progrès au statu quo.

M. Paul Christophe (HOR). Comme l’indiquent tous les chiffres, les travailleurs du monde agricole vivent une situation plus précaire que les autres Français pendant leur retraite. Grâce aux avancées de la précédente législature, la loi leur garantit notamment depuis 2021 un niveau minimum de pension, de 1 035 euros, soit 85 % du Smic net agricole. Pour autant, malgré ces progrès récents, le niveau de pension de retraite moyen reste très inférieur à la moyenne nationale. En effet, la retraite des non-salariés agricoles est calculée sur toute la durée de la vie professionnelle, alors que les salariés du régime général et les indépendants voient le calcul de leurs droits s’effectuer sur les vingt-cinq meilleures années de leur carrière. Votre proposition de loi ambitionne donc de corriger cette différence.

Assurer notre souveraineté alimentaire et garantir l’avenir du système agricole doit passer par le regain d’attractivité du métier d’agriculteur, qui souffre d’une baisse récurrente des effectifs ces dernières années. Nous devons donner à nos agriculteurs une valorisation à la hauteur des enjeux auxquels ils consacrent leur vie professionnelle, à savoir l’alimentation de leurs concitoyens. Redonner de l’attractivité passe également par un système de retraite plus juste. Nous partageons ainsi l’initiative d’augmenter les pensions de retraite agricoles et de réformer son mode de calcul.

Cependant, la proposition de loi du groupe Les Républicains n’a pas été soumise à une étude d’impact et est perfectible dans sa rédaction. Nous souhaitons donc que les discussions à venir permettent de sécuriser un dispositif efficace pour consensuellement améliorer la retraite de nos agriculteurs, qui méritent toute notre attention dans le prolongement des travaux engagés par notre collègue André Chassaigne.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). La proposition de loi que nous étudions ici s’inscrit dans l’actualité brûlante de la réforme du système des retraites, à laquelle les écologistes seront particulièrement attentifs. Dans le cas présenté dans cette proposition de loi, nous devons reconnaître que l’idée de faire converger le calcul des retraites des exploitants agricoles vers celui des salariés et des indépendants va dans le bon sens.

Aujourd’hui, les retraités du secteur agricole font partie des plus précaires de notre pays. Les retraités anciens chefs d’exploitation touchent, complémentaire comprise, en moyenne 878 euros par mois pour une carrière complète. Cependant, moins de 30 % des anciens chefs d’exploitation justifient une carrière complète et moins de 50 % bénéficient d’une complémentaire. Le montant moyen des pensions, toutes durées de carrière confondues, est de 759 euros par mois. Les conjoints et conjointes des agriculteurs, également considérés comme des salariés non agricoles, sont pour l’essentiel des femmes. En 2019, elles touchaient en moyenne 601 euros par mois pour une carrière complète et en moyenne 492 euros par mois toutes durées de carrière confondues.

Dans un contexte de grande souffrance du secteur, de perte d’attractivité pour ces métiers si essentiels et de mal-être pour les salariés, il est urgent de mettre en place toutes les mesures possibles pour rendre ces emplois et les retraites qui en découlent plus sécurisantes. Cette proposition de loi, en soumettant l’idée de calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction de leurs seules vingt-cinq meilleures années de revenus, est intéressante et marquerait un premier pas.

Nous soulevons néanmoins un point d’alerte, car aligner les modes de calcul relève d’une opération complexe. Aujourd’hui, une partie de la pension des non-salariés agricoles dépend d’un système à points et d’assiettes forfaitaires, dont les vingt-cinq meilleures années n’équivalent pas systématiquement aux vingt-cinq meilleures années de revenus. Il sera donc important d’être vigilant quant aux éventuels effets de bord des nouvelles modalités de calcul qui seront proposées.

Cette alerte prise en compte, nous soutiendrons cette mesure.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous nous félicitons que notre Assemblée s’intéresse au monde agricole et en particulier aux retraites des agriculteurs. Néanmoins, je souhaite formuler deux remarques et deux questions avant d’exprimer le positionnement du groupe Gauche démocrate et républicaine.

Premièrement, nous regrettons que la modification présentée le soit dans le cadre d’une proposition de loi d’appel, qui énonce des principes sans anticiper les conséquences d’une telle proposition, qui varieront inévitablement entre les agriculteurs. Il aurait été pertinent de les évaluer.

Deuxièmement, il est fortement regrettable de dessaisir le législateur d’un tel sujet. Il nous paraît fondamental que le législateur conserve la maîtrise des sujets de la protection sociale des agriculteurs plutôt que de renvoyer à un décret.

Le calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années paraît séduisant. Néanmoins, ce sont les exploitants dynamiques, en croissance continue, qui bénéficient le plus de la retraite. De nombreuses autres exploitations suivent une trajectoire beaucoup plus linéaire. Par conséquent, maintenir l’assiette de cotisations actuelle conduirait tous les nonsalariés agricoles à cotiser davantage, alors que ceux qui possèdent une exploitation dynamique en bénéficieront le plus. Nous souhaitons donc obtenir une réponse sur cette conséquence de la réforme.

Enfin, nous avons bien compris que la proposition présentée ce jour provient de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et souhaitons vous demander si vous avez consulté les autres syndicats agricoles et quelle est leur position. Certains nous ont alertés quant aux conséquences néfastes de la mesure proposée.

Mme la présidente Fadila Khattabi (RE). Nous en venons aux questions des députés.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Nous sommes tous mobilisés pour améliorer les retraites de nos agriculteurs, comme le prouve la mobilisation autour des propositions de loi Chassaigne. Personne ne peut nous reprocher de ne pas y accorder d’attention, comme le sous-entend l’exposé des motifs de votre proposition de loi.

Comme l’ont relevé certains de nos collègues, votre proposition de loi souffre d’un manque de sincérité puisqu’elle revient à promettre une amélioration de la retraite des nonsalariés agricoles retraités, ce qui est faux pour toutes les raisons évoquées. La proposition de loi n’est pas opérante en l’état et la MSA signale qu’elle ne possède pas les données nécessaires pour l’appliquer. Par conséquent, même si nous partageons votre objectif, la proposition présentée ne permet pas de l’atteindre. Il est également insincère d’affirmer que votre proposition a obtenu l’unanimité des syndicats agricoles ou que les retraités actuels n’ont pas bénéficié d’une revalorisation. En outre, vous n’avez pas vérifié si votre proposition pouvait désavantager une partie de la population visée.

Toutes ces raisons doivent nous amener à nous prononcer clairement contre cette proposition de loi et à travailler, dans le cadre de la future réforme des retraites, qui sera lancée dans les prochaines semaines, pour traiter le sujet comme il mérite de l’être, par respect pour nos agriculteurs.

M. Philippe Vigier (Dem). Nous nous trouvons effectivement face à une proposition de loi d’appel. Lorsque la proposition de loi Chassaigne a été présentée, cela faisait déjà plus de douze ans que j’entendais dire, dans l’hémicycle, qu’il convenait de trouver une solution à la problématique des retraites des non-salariés agricoles. Le mûrissement d’un texte jusqu’au stade de l’opérationnalité prend du temps, surtout quand il est d’origine parlementaire.

Je relève donc dans votre proposition l’invitation lancée à la Nation de se mobiliser pour trouver les voies et moyens d’apporter à nos agriculteurs une retraite décente, en la calculant sur les vingt-cinq meilleures années. Je souscris par ailleurs aux propos de mon collègue Nicolas Turquois, qui connaît très bien le sujet. Pour ma part, je voterai pour le dispositif que vous proposez dans la perspective des débats à venir sur les retraites au printemps prochain. Retenir la proposition de loi d’appel présentée ce jour permettra de s’assurer que le sujet sera traité dans le cadre de la réforme des retraites.

J’ai également auditionné quelques syndicats et j’ai conscience de la nécessité d’approfondir les travaux, notamment sur les aspects techniques de la modification proposée. Néanmoins, il est nécessaire d’adopter des objectifs pour avancer. Nous devons donc affirmer notre intention de traiter le sujet du calcul de la retraite des non-salariés agricoles, comme nous l’avions fait en adoptant la proposition de loi Chassaigne, parce qu’il appartient à l’initiative parlementaire de la mûrir. La mise en œuvre de la modification proposée nécessitera un travail aval très fort. Faisons en sorte qu’elle avance en vue de la réforme des retraites. Je suppose que ceux qui portent le texte présenté ce jour auront à cœur de faire aboutir la réforme des retraites, que je souhaite la plus transpartisane possible, puisqu’elle est attendue par tous.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je salue le travail accompli par Julien Dive en tant que rapporteur et celui accompli précédemment par André Chassaigne, en rappelant à notre commission que ce dernier avait cherché à obtenir les meilleures avancées possibles dans un cadre qui lui était pour partie imposé. S’il avait voulu produire la réforme Chassaigne en toutes lettres, elle aurait peut-être été différente. Enfin, cette avancée a été conquise grâce à la mobilisation d’autres collègues pour le monde agricole.

D’importants travaux doivent encore être menés et la question des retraites agricoles ne peut être isolée de celle du travail et de sa rémunération, comme pour l’ensemble des retraites. En l’occurrence, assurer des retraites agricoles correctes suppose de garantir des prix rémunérateurs aux exploitants agricoles. Nous ne pouvons nous affranchir de cette condition. Il me semble néanmoins positif d’inscrire dans le paysage parlementaire la nécessité de poursuivre les travaux sur le sujet des retraites agricoles.

Cette proposition montre également la nécessité de garantir un véritable droit à la retraite, préoccupation que nous partageons tous. Par conséquent, je suis peiné de voir la droite des Républicains et celle de Renaissance se déchirer sur ce projet, même si je redoute que vous parveniez à trouver un accord mais au détriment des retraités et des futurs retraités au travers de la réforme qui se profile.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LIOT). Même si les deux « lois Chassaigne » ont permis des avancées, de grandes marges de progrès demeurent. Les difficultés que rencontrent les agriculteurs tout au long de leur carrière et au moment de la retraite contribuent à la désaffection pour le métier. Avec ce texte, vous relancez la question de l’alignement du calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles sur le régime général. Cette question est légitime quand nous savons que les agriculteurs sont les derniers à calculer leur retraite sur la totalité de leur carrière alors qu’ils ont été concernés par des mouvements de convergence sur d’autres aspects tels que l’allongement de la durée d’assurance et de référence de 2003.

Le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires est favorable au calcul de la retraite des non-salariés agricoles sur les vingt-cinq meilleures années, notamment afin de les prémunir contre les mauvaises années, surtout dans un contexte de dérèglement climatique et de crise géopolitique. Cette convergence doit être effectuée à condition de réduire la faiblesse des pensions de retraite et de ne pas remettre en cause la solidarité du système, ce qui implique qu’elle s’accompagne d’une garantie protectrice. Nous rappelons les points de vigilance relevés dans le rapport de l’Igas de 2012 à l’égard des potentiels perdants, notamment ceux percevant des faibles pensions. Il conviendrait effectivement d’actualiser ce rapport comme le propose le rapporteur.

Notre groupe soutient cette réflexion, bien que conscient qu’elle aurait sa place au sein d’une réforme plus vaste des retraites, plus particulièrement compte tenu de l’ampleur du chantier. Elle implique en effet de revoir les taux et les assiettes de cotisations pour aller vers une plus grande contributivité du régime et pour résoudre la question des polypensionnés.

Mme Josiane Corneloup (LR). Les agriculteurs restent aujourd’hui encore les parents pauvres de notre système d’assurance vieillesse. Parmi les principaux régimes, celui des non-salariés agricoles est celui qui verse les retraites les plus faibles. Un agriculteur qui avait travaillé toute sa vie et validé l’ensemble de ses droits à la retraite ne touchait fin 2020 qu’une retraite de 880 euros par mois quand un retraité du régime général dans la même situation bénéficiait d’une retraite de 1 810 euros, soit un écart de 930 euros en défaveur des agriculteurs. Le passage au calcul sur les vingt-cinq meilleures années répond donc à des enjeux d’équité et d’attractivité.

La lutte contre la précarité des agriculteurs et la reconnaissance de leur vie de labeur grâce à une retraite décente est indispensable, d’autant plus que nous invoquons sans cesse la nécessaire souveraineté alimentaire de notre pays. Nous avions à deux reprises, en 2021, voté les « lois Chassaigne » 1 et 2 pour la revalorisation des pensions de retraite des agriculteurs à 85 % du Smic et la reconnaissance des aidants familiaux et conjoints collaborateurs. Nous devons aujourd’hui, grâce à cette proposition de loi, aller plus loin en instaurant le calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction de leurs seules vingt-cinq meilleures années de revenus.

J’ai entendu toutes les problématiques évoquées quant à la technicité et la complexité relatives à l’application de cette proposition de loi. Il me semble qu’elles ne sauraient être des raisons valables pour ne pas la voter. Ne manquons pas alors à notre devoir de courage et de volonté politique.

M. François Gernigon (HOR). Nous reconnaissons tous la nécessité d’un effort important à mener pour la retraite de nos agriculteurs. Nous devons mener cette démarche à son terme, en y incluant le sujet du statut du conjoint et en portant un regard global sur le régime de retraite des agriculteurs dans le cadre de la future réforme des retraites. Nous veillerons à ce que le système de retraite des agriculteurs soit revu en profondeur à cette occasion.

M. le rapporteur. Je vous remercie pour vos réactions, commentaires, positions et questions. À l’écoute des prises de position des uns et des autres, je note que les propos les plus virulents ne sont pas tenus par ceux à qui nous attribuons parfois cette caricature et je m’en étonne.

Je souhaite pour commencer répondre aux accusations d’insincérité de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Je travaille depuis six ans sur les enjeux agricoles, comme pourra vous le confirmer votre collègue Nicolas Turquois avec qui j’ai travaillé sur ces sujets. En mars 2017, alors que vous n’étiez pas députée, j’ai voté pour la « loi Chassaigne » et contribué à son adoption. C’est après sa présentation au Sénat que la loi a été bloquée. En avril 2018, je défendais une proposition de loi sur les heures supplémentaires défiscalisées, que vous avez rejetée dans un premier temps pour l’adopter et la mettre en place quelques mois plus tard. Par conséquent, je ne pense pas que vous puissiez légitimement me taxer d’insincérité. Ce point est peut-être hors sujet mais il montre qu’il est possible d’accuser n’importe qui d’insincérité. Je ne suis pas sûr que cette pratique fasse progresser le débat.

Comme indiqué, la proposition de loi que nous vous soumettons permet d’ancrer un enjeu et de fixer un cap pour les retraites des agriculteurs, qui à ce jour ne sont pas calculées sur les vingt-cinq meilleures années mais sur l’ensemble de la carrière. Au travers de cette mesure, l’enjeu consiste à rétablir l’équité, à atténuer les variations des revenus, à renforcer l’attractivité de la profession et à améliorer la contribution. En effet, un revenu compris entre 8 500 euros et 15 600 euros donne droit au même nombre de points malgré une contribution différente. Ce problème véritable n’est pas directement visé par cette réforme mais fait partie des sujets connexes que nous souhaitons aborder à travers elle.

Lors des auditions, nous avons abordé les aspects techniques que vous soulevez et auxquels nous devrons nous attaquer, ce que nous pourrions faire notamment dans le cadre de la réforme des retraites à venir. À ce jour néanmoins, le projet de réforme des retraites n’évoque nullement le système des agriculteurs. Par conséquent, fixer un cap aujourd’hui ne pourra être que de bon augure pour la suite.

Parmi les autres points soulevés, il est faux de dire que la MSA n’est pas en mesure de reconstituer la carrière des agriculteurs. La MSA nous a en effet informés qu’elle possède un historique de huit ans pour les revenus utilisés pour le calcul du nombre de points. En revanche, elle possède l’historique des points sur l’intégralité de la carrière. Comme j’ai tenu à le préciser dans mon rapport et dans mon propos liminaire, il n’est pas envisageable, d’autant plus que cela semble impossible techniquement, de toucher à l’esprit dual du système de retraite des agriculteurs, qui comporte une partie forfaitaire et une partie proportionnelle. Cette structure me paraît pertinente.

L’argument de la non-constitutionnalité de notre proposition de loi est fallacieux puisqu’elle fixe un cap et une date d’entrée en vigueur et que les mesures techniques renvoient au domaine réglementaire. L’application de la règle des vingt-cinq meilleures années relève en effet de l’article R. 35129 du code de la sécurité sociale. La partie concernant les différents paramètres relève également de l’échelon réglementaire et notamment de ses dispositions sur les régimes à points. L’argument de la nonconstitutionnalité est donc totalement inapproprié.

Une entrée en vigueur en 2023 laisserait trop peu de temps à la MSA pour modifier ses systèmes d’information et reprendre les calculs de la retraite. Lors des auditions, la MSA n’a jamais affirmé son opposition à cette mesure, bien au contraire, comme pourraient en témoigner les députés présents. La MSA a clairement approuvé l’alignement du système de retraite des non-salariés agricoles sur la règle des vingt-cinq meilleures années. En revanche, un objectif d’entrée en vigueur en 2023, voire au 1er janvier 2024, lui paraît difficile à respecter. Elle estime plus réaliste de viser une mise en œuvre au 1er janvier 2025 pour les monopensionnés et au 1er janvier 2026 pour les polypensionnés.

Nous avons auditionné les syndicats la semaine dernière et les commissaires de la commission des affaires sociales étaient invités à ces auditions. La Coordination rurale et la FNSEA se sont présentées et ont toutes deux exprimé un avis favorable à la mise en application de cette mesure. La Confédération paysanne n’a pas donné suite à l’invitation.

Plusieurs d’entre vous craignent que la modification proposée favorise les agriculteurs aisés. Cette notion d’agriculteur aisé me paraît très imprécise. Le rapport Amghar, auquel vous faites référence, montrait que 64 % des agriculteurs tiraient avantage du passage au calcul sur les vingt-cinq meilleures années. Selon les données recueillies auprès de la MSA, 30 % des agriculteurs ont un revenu supérieur à 20 000 euros par an, soit 1 800 Smic horaires, soit 1 660 euros par mois et 24 % d’entre eux enregistrent un revenu compris entre 8 800 euros et 20 000 euros. Nous ne pouvons en conclure qu’ils sont tous aisés.

Par ailleurs, si cette réforme s’accompagne, comme je le propose, d’une modification du barème d’acquisition des points, comme le demandent la FNSEA et les agriculteurs qui dégagent un certain niveau de revenus et qui hésitent très justement à contribuer davantage, elle sera susceptible de les y inciter. L’objectif consiste à supprimer le palier qui s’étend des revenus compris entre 8 500 et 15 600 euros et qui amène aujourd’hui les exploitants à recourir à la défiscalisation et à l’optimisation fiscale plutôt qu’à contribuer au système redistributif de leur régime de retraite. La mise en œuvre de la règle des vingt-cinq meilleures années doit donc s’accompagner d’une refonte du calcul des retraites.

M. Yannick Monnet (GDR). La « loi Chassaigne » a été adoptée parce que son auteur s’inscrivait dans une posture d’écoute et de discussion. Les remarques formulées ce jour sont intéressantes et permettraient d’enrichir votre texte. Je vous invite donc à éviter une posture fermée.

Je n’ai pas évoqué la notion d’agriculteur riche ou percevant un niveau élevé de revenus, d’autant plus que les revenus agricoles relèvent d’un mode de calcul très particulier. J’ai évoqué l’idée que la mise en place d’un calcul sur les vingt-cinq meilleures années pouvait favoriser les exploitations qui connaissent un développement dynamique et accroissent leur chiffre d’affaires régulièrement. Par ailleurs, elle nécessiterait d’augmenter les cotisations, à moins de faire appel à la solidarité nationale ou d’élargir l’assiette à d’autres cotisants, que j’ai du mal à identifier. Le risque est que cette hausse des cotisations ne profite qu’aux exploitants portés par une forte croissance, alors que de nombreux agriculteurs suivent une trajectoire linéaire tout au long de leur carrière. Avez-vous étudié cette question ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Je confirme que j’étais présent à l’audition de la MSA. Celle-ci a évoqué le fait que les aménagements techniques à réaliser ne permettraient pas une mise en œuvre de la nouvelle règle avant le 1er janvier 2025 pour les monopensionnés et le 1er janvier 2026 pour les polypensionnés. Par la voix de son président, la MSA a effectivement fait part de son intérêt pour le projet, tout en évoquant un certain nombre de difficultés.

L’historique des revenus est limité à huit ans. Pour les années antérieures à 2014, la MSA ne possède que l’historique des points. Or le palier de 30 points s’applique aux revenus compris entre 8 000 euros soit l’équivalent de 400 Smic horaires, et 16 000 euros, soit l’équivalent de 800 Smic horaires, malgré un effort contributif différent. Comment identifier les vingt-cinq meilleures années dans ce contexte ? En l’absence de l’historique des revenus, une valeur moyenne de revenus sera-t-elle calculée pour l’ensemble des années ayant donné droit à 30 points ? Les vingt-cinq meilleures années seront-elles considérées comme celles ayant donné droit à plus de points ? Dans ce cas, il en résulterait un nouveau régime par points, présentant des caractéristiques particulières, ce qui nécessiterait une loi. Cette mesure ne peut relever du cadre réglementaire. Nous nous trouvons donc face à une réelle problématique.

Je connais votre engagement, monsieur le rapporteur, et je vois la direction vers laquelle nous devons avancer. Néanmoins, j’aurais aimé que votre proposition de loi identifie des pistes de travail pour transformer un système de retraite extrêmement complexe, à trois niveaux, en un régime appliquant la règle des vingt-cinq meilleures années.

M. le rapporteur (LR). Comme nous l’avons clairement écrit dans notre rapport, nous sommes favorables au maintien d’un système dual comportant une part forfaitaire et une part proportionnelle. Ce système nous paraît le plus approprié. Il est accepté par la profession et correspond à ses aspirations, ainsi qu’à celles de la MSA. La révision du régime par points ne nécessite pas une loi puisqu’elle relève du cadre réglementaire. Nous n’avons pas vocation à redéfinir ce cadre et sa modification nécessiterait une autre réforme, qui se serait peut-être justifiée il y a quelques années dans le cadre de l’élargissement du régime par points à l’ensemble des cotisants en France.

J’entends votre question sur les vingt-cinq meilleures années et le fait que l’historique se limite à huit ans sur les revenus et doive être reconstitué sur les autres éléments. Une entrée en vigueur en 2024 me paraissait souhaitable mais je suis à l’écoute des professionnels et la MSA mentionne plutôt la date de 2026 pour des raisons techniques. Je pense par ailleurs que l’entrée en vigueur doit intervenir de manière progressive, comme je l’écris dans le rapport, en partant des quarante-trois années de la carrière pour descendre aux trente-sept meilleures puis jusqu’aux vingt-cinq meilleures en 2030, soit l’horizon d’ici lequel 40 à 50 % des agriculteurs doivent partir à la retraite et d’ici lequel 200 000 retraités devraient disparaître, selon les statistiques du ministère de l’agriculture, tandis que la part des cotisants diminuerait moins.

En 2030, l’historique des revenus atteindra seize ans. À titre personnel, il me paraît judicieux d’appliquer une moyenne puisqu’il sera très complexe de reconstituer les données. S’il s’avère que ce choix n’est pas le plus profitable aux retraités et qu’il est préférable de se fonder sur les données de points telles qu’elles existent aujourd’hui, je soutiendrai cette option. Comme je l’ai écrit, l’important est que la mesure prise soit la plus favorable aux agriculteurs et n’affaiblisse pas leurs revenus.

Nous avons demandé des simulations à la MSA et au ministère mais nous n’en disposons pas encore. Elles nous ont été promises pour la séance plénière.

Article 1er : Fixation d’un objectif de passage du calcul de la retraite de base des nonsalariés agricoles sur la base des vingtcinq meilleures années

La commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Gage de recevabilité

La commission rejette l’article 2.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celleci est rejeté.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je remercie monsieur le rapporteur pour sa présence et pour la qualité de son travail et de ce débat.

 

La séance est levée à seize heures.


Présences en réunion

 

Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Bénédicte Auzanot, M. Joël Aviragnet, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Sébastien Delogu, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Justine Gruet, Mme Claire Guichard, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, M. Matthieu Marchio, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. Freddy Sertin, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet

Excusés. – M. Thibault Bazin, M. Elie Califer, M. Alexis Corbière, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Carles Grelier, Mme Caroline Janvier, M. Jean-Philippe Nilor, M. Adrien Quatennens

Assistaient également à la réunion.  M. Pierre Morel-À-L’Huissier, M. Stéphane Viry