Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Nomination de rapporteurs..............................2

– Communication de MM. Paul Christophe et Arthur Delaporte, rapporteurs de la mission « flash » sur les droits à la retraite des personnes ayant bénéficié de contrats de travaux d’utilité collective (TUC)              3

– Examen de la proposition de loi visant à favoriser et inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % (n° 578) (M. Christophe Bentz, rapporteur)              13

– Examen de la proposition de loi visant à étendre le droit de visite des parlementaires et parlementaires européens élus en France aux établissements sociaux et médico‑sociaux (n° 553) (Mme Laure Lavalette, rapporteure)              31

– Informations relatives à la commission......................45

– Présences en réunion.................................46

 

 

 

 

 


Mercredi
14 décembre 2022

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 31

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

 


  1 

La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission procède d’abord à la nomination de rapporteurs.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous devons d’abord désigner des rapporteurs sur les deux propositions de loi que nous examinerons en commission cet après‑midi.

Pour la proposition de loi, adoptée par le Sénat, créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, suite aux échanges qui ont eu lieu en Conférence des présidents la semaine dernière, je suis saisie des candidatures de Béatrice Descamps et Emmanuel Taché de la Pagerie.

Y a‑t‑il des objections ?

M. Arthur Delaporte (SOC). Je souhaiterais que soit mise au vote de manière distincte la nomination de ces deux rapporteurs : nous acceptons et saluons évidemment la reprise par notre Assemblée de cette proposition de loi sur un sujet nécessaire mais nous souhaitons que ce rapporteur soit prioritairement désigné au sein du groupe dont la sensibilité politique est la même que celle de Mme Létard.

Mme la présidente Fadila Khattabi. C’est une proposition de loi assez courte, de telle sorte que deux rapporteurs pour si peu d’articles seront peut‑être un peu de trop mais bien sûr, je ne refuse pas la mise aux voix de ces nominations.

Y a‑t‑il des objections à procéder à main levée ?

Par votes successifs à main levée, la commission désigne Mme Béatrice Descamps et M. Emmanuel Taché de la Pagerie rapporteurs de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Pour la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à faire évoluer la formation de sage-femme, j’ai été saisie de la candidature de Paul Christophe.

Y a‑t‑il des objections ?

Il en est ainsi décidé.

Nous désignerons cet après‑midi un rapporteur sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, adopté hier au Sénat, qui sera à l’ordre du jour de la séance publique les mardi 23 et mercredi 24 janvier prochain et que nous examinerons en commission le matin du mercredi 18 janvier. Je précise qu’au vu de la très grande diversité des sujets abordés dans ce texte, notre commission déléguera à quatre autres commissions permanentes une part importante des articles. Autrement dit, ainsi que nous l’avons déjà fait, les amendements à ces articles délégués devront être déposés exclusivement dans les commissions délégataires, car nous ne les examinerons pas en commission des affaires sociales.

Enfin, il y a lieu de désigner deux corapporteurs d’application.

Pour la proposition de loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé que j’ai eu l’honneur de rapporter récemment, le bureau de la commission, réuni la semaine dernière, a convenu que Thibault Bazin pourrait exercer cette fonction.

Y a‑t‑il des objections ?

Il en est ainsi décidé.

Pour la loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, dont le rapporteur était Stéphane Travert, j’ai été saisie de la candidature de Paul‑André Colombani.

Y a‑t‑il des objections ?

Il en est ainsi décidé.

M. Thibault Bazin (LR). Notre commission a un agenda de plus en plus chargé pour janvier. Or, nous avons appris que le Gouvernement présenterait la réforme des retraites le 10 janvier. Il me semble nécessaire que le Parlement soit associé à cette présentation et qu’une audition puisse être programmée car l’agenda du mois de janvier est déjà très rempli. Nous devons prendre date afin que nous puissions auditionner le Gouvernement et poser les nombreuses questions légitimes sur ce projet, sans attendre plusieurs semaines. Notre commission des affaires sociales doit se trouver en première ligne pour interroger le Gouvernement juste après la présentation de son projet.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Dans la foulée de ce que vient de dire Thibault Bazin, je souhaiterais, madame la présidente, puisque les annonces ont été repoussées, que tout le calendrier soit impacté par cette décision de report. Sinon cela voudrait dire qu’il y a un resserrement du calendrier et du débat. Je crois donc que c’est un problème et que sur ce sujet‑là, nous avons besoin de prendre le temps d’une véritable discussion, sauf à ce que le Gouvernement renonce définitivement le 10 janvier, ce qui sera une bonne nouvelle après les fêtes...

Mme la présidente Fadila Khattabi. J’ai pris note de vos remarques. Une audition était effectivement prévue et nous ferons au mieux au vu de notre agenda, chargé et parfois bousculé.

La commission entend une communication de MM. Paul Christophe et Arthur Delaporte, rapporteurs de la mission « flash » sur les droits à la retraite des personnes ayant bénéficié de contrats de travaux d’utilité collective (TUC).

M. Paul Christophe, rapporteur. Chers collègues, nous sommes heureux de présenter devant vous les conclusions de la mission « flash » sur les droits à la retraite des bénéficiaires de travaux d’utilité collective (TUC) et dispositifs comparables. Destinés aux jeunes sans emploi, les TUC étaient une forme d’emplois aidés proposés entre 1984 et 1990 par des organismes à but non lucratif et des personnes morales chargées d’une mission d’utilité publique afin de leur permettre de répondre à des « besoins collectifs non satisfaits ».

Chaque TUC était prévu pour une durée de trois mois à un an, à raison d’une durée de travail hebdomadaire correspondant à un mi-temps (20 heures par semaine, à l’époque). La rémunération des personnes effectuant ces TUC – que nous appellerons les « tucistes » –, était prise en charge par l’État, à hauteur de 1 250 francs par mois, et pouvait être complétée par l’organisme d’accueil jusqu’à 500 francs supplémentaires.

Âgés de 16 à 25 ans à l’époque, les tucistes arrivent aujourd’hui en âge de prendre leur retraite. À ce titre, ils constatent qu’ils n’avaient pas validé un nombre de trimestres équivalant à la période durant laquelle ils ont exercé sous statut TUC.

Suite à la mobilisation de représentants des anciens tucistes, notamment par le biais de l’association TUC, les oubliés de la retraite, une pétition a été adressée à la Présidente de l’Assemblée nationale le 27 juin 2022.

C’est dans ce contexte que la commission des affaires sociales a souhaité la mise en place de notre mission. Menés sur un peu plus d’un mois, nos travaux ont permis d’identifier les raisons expliquant cette absence de prise en compte des trimestres travaillés sous statut TUC afin notamment d’évaluer les pistes permettant de résoudre ce problème.

En propos liminaire, je me permettrai de rappeler très brièvement le contexte dans lequel ont été conçus les TUC. La fin des années 1970 et le début des années 1980 ont marqué le début d’une hausse importante du chômage. Face à une croissance économique plus faible et des pics d’inflation, l’idée émergea de subventionner le retour à l’activité des personnes éloignées de l’emploi. L’attention d’alors se portait particulièrement sur les jeunes en mal d’insertion professionnelle, dans un contexte où de nombreuses sorties du système scolaire se faisaient sans qualification.

Dans les conclusions de son rapport sur l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, que lui avait confié Pierre Mauroy en 1981, Bertrand Schwartz écrivait ainsi que 50 % des jeunes chômeurs se retrouvaient sans qualification professionnelle. Dans le prolongement de ces réflexions, l’État a donc mis en place, entre 1984 et 1990, entres autres dispositifs, des emplois aidés sous la forme de travaux d’utilité collective, plus communément appelés « TUC ». Ces emplois, qui relevaient du régime juridique des stages de la formation professionnelle, visaient à mettre le pied à l’étrier des jeunes les plus éloignés du marché de l’emploi en leur proposant une immersion en milieu professionnel.

Au moment de leur création, les TUC étaient pensés comme une extension au secteur non marchand des stages pratiques en entreprise conçus dans le cadre du plan Barre de 1977. Derrière les textes législatifs et règlementaires qui encadraient ce dispositif, il nous est vite apparu indispensable de nous intéresser au profil des tucistes. Nous devons avouer que les éléments statistiques que nous avons pu recueillir, notamment auprès de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), sont assez parcellaires.

Selon les données collectées, près de 1 700 000 stages TUC ont été conclus sur l’ensemble de la durée de vie du dispositif, soit environ 300 000 stages chaque année. J’attire votre attention sur le fait que ce chiffre correspond au nombre d’entrées dans le dispositif et non au nombre de personnes ayant effectué des TUC. En l’absence de suivi de cohorte, il nous a été impossible de quantifier avec précision cette donnée.

Néanmoins, si l’on applique à ce nombre total de contrats la ventilation du nombre de renouvellements constatée à l’appui du questionnaire envoyé par l’association TUC, les oubliés de la retraite à ses membres, il apparaît que plus d’un million de personnes pourrait avoir bénéficié d’au moins un TUC.

Plusieurs enquêtes menées entre 1986 et 1990 par le service des études et de la statistique du ministère du travail sur un échantillon représentatif de personnes révèlent que deux tiers des stagiaires étaient âgés de 19 à 25 ans. Ces jeunes avaient majoritairement déjà fait l’expérience de la précarité, malgré leur âge. Au moment de leur entrée en stage TUC, 87 % étaient au chômage ou peu qualifiés puisque près de 40 % d’entre eux n’avaient pas atteint le niveau CAP. Malgré une qualification plus élevée que leurs homologues masculins, les femmes représentaient toutefois la majorité des stagiaires TUC, ce qui témoignait déjà d’un statut plus précaire que les hommes.

Notons par ailleurs que le dispositif s’est progressivement féminisé puisqu’en 1985, 51 % des tucistes étaient des femmes contre 67 % en 1989.

Compte tenu de leur statut de stagiaire de la formation professionnelle, les personnes ayant effectué des TUC ont été mis dans l’incapacité légale de valider des trimestres de retraite. Les trimestres de retraite sont attribués sans référence à la durée réelle d’activité, mais seulement en fonction du salaire soumis à cotisation. Pour les périodes comprises entre le 1er janvier 1972 et le 31 décembre 2013 – applicables aux bénéficiaires de TUC –, la validation d’un trimestre nécessitait un salaire soumis à cotisation équivalent à 200 fois le Smic horaire. En tant que stagiaires de la formation professionnelle, les cotisations de retraite des personnes effectuant des TUC étaient intégralement prises en charge par l’État sur une base forfaitaire qui ne correspondait pas à leur rémunération réelle. Compte tenu du barème applicable à l’époque, les cotisations versées par l’État étaient insuffisantes pour leur permettre de valider leurs trimestres. En effet, un tuciste aurait dû travailler plus de 92 heures par semaine pendant un an pour pouvoir valider une année complète.

Aujourd’hui, les bénéficiaires de TUC se trouvent donc devant un véritable dilemme : choisir de partir avec une décote ou travailler au-delà de l’âge légal pour valider les trimestres qui leur manquent pour bénéficier du taux plein. Ce choix n’est évidemment pas neutre pour les personnes concernées et il est particulièrement injuste.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. C’est donc à cette injustice que nous avons tâché de répondre, car c’est au législateur de la réparer. L’absence de validation de trimestres liée aux conditions spécifiques de cotisations applicables aux personnes ayant effectué des TUC ou des stages similaires est une injustice à plusieurs égards.

Premièrement, le statut de stagiaire de la formation professionnelle accordé aux tucistes était largement abusif. Force est de constater que l’encadrement proposé par les organismes d’accueil était de faible qualité, voire totalement inexistant.

Selon les enquêtes menées par le service des études et de la statistique du ministère du travail, seul un quart des stagiaires a disposé d’un réel encadrement. Au total, seulement 13 % des stagiaires TUC ont bénéficié d’une formation pendant leur stage, dont 3 % au sein de leur organisme d’accueil.

Ces données rejoignent celles collectées par l’association TUC, les oubliés de la retraite, auditionnée la semaine dernière : seuls 9 % des 490 adhérents ayant répondu au sondage affirment avoir effectué une formation au cours de leur TUC.

Les enquêtes citées confirment que ce dispositif a été largement dévoyé. Des tucistes se sont vu confier des tâches peu gratifiantes et peu formatrices, relevant de l’entretien courant, notamment dans les petites communes. De nombreux employeurs se sont servis des TUC comme main-d’œuvre de substitution, en particulier dans certains établissements d’enseignement ou dans les hôpitaux, notamment pour assurer les fonctions de surveillant ou d’accueil au public, normalement dévolues à des personnes titulaires d’un contrat de travail.

Ces enquêtes sont corroborées par les nombreux témoignages que nous avons pu recueillir lors de nos auditions.

Il apparaît donc que, sous le vernis de la formation professionnelle, les stages TUC ont souvent été l’occasion pour les organismes d’accueil de bénéficier d’une main-d’œuvre à bas coût. En 1984, la rémunération des tucistes représentait l’équivalent de deux tiers du Smic à horaires équivalents. Selon les barèmes de conversion fournis par l’Insee, une telle indemnité serait aujourd’hui équivalente à 350 euros, largement inférieure au revenu de solidarité active.

Deuxièmement, cette situation est d’autant plus contestable que les personnes qui se sont inscrites dans cette démarche d’insertion, auraient pu bénéficier de trimestres de retraite si elles avaient décidé de rester au chômage. En effet, en application de l’article L. 351-3 du code de la sécurité sociale, les périodes de chômage sont assimilées à des périodes d’assurance, prises en compte pour le calcul de la retraite.

De ce fait, les tucistes subissent une véritable double peine. Ainsi, après avoir travaillé pour des indemnités qualifiées par certains de « salaire de misère » lors des auditions, ils pâtissent aujourd’hui d’une absence de prise en compte de ces années de travail pour leurs droits à la retraite. Ce sentiment d’injustice éprouvé est d’autant plus vif qu’il ne leur a été que très rarement précisé qu’ils seraient considérés comme stagiaires de la formation professionnelle au moment de l’embauche. En outre, les enquêtes menées à l’époque et les témoignages que nous avons recueillis ont révélé une très forte pression de la part des pouvoirs publics et de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) pour inciter les jeunes chômeurs à effectuer des TUC ou d’autres stages similaires.

Alors qu’environ 15 % des jeunes tucistes ont effectué au moins deux stages sous statut TUC, un nombre important de jeunes auraient enchaîné sur d’autres types d’emplois aidés. Selon les données collectées par l’association TUC, les oubliés de la retraite, environ un tiers des répondants bénéficiaires d’un TUC indique avoir effectué un autre type de stage : près de 50 % des répondants indiquent avoir effectué plusieurs stages TUC ou similaires ; 10 % affirment même en avoir fait trois ou plus.

Tous ces dispositifs présentent des caractéristiques communes : il s’agissait d’emplois aidés soumis au régime des stages de la formation professionnelle, visant à favoriser l’insertion professionnelle de jeunes pas ou peu qualifiés et dont le volet « formation » ne présentait, au mieux, qu’un caractère accessoire.

L’urgence pour trouver une solution afin de compenser ce sentiment d’injustice est réelle. D’après les données collectées par l’association TUC, les oubliés de la retraite, il apparaît qu’un peu plus de 5 % des tucistes devraient faire valoir leurs droits à la retraite en 2024 puis en 2025 ; 10 % en 2026 puis en 2027 ; 20 % en 2028 ; 10 % en 2029 puis 2030 ; 5 % en 2031, 2032 et 2033. Le pic des départs est donc prévu dans cinq ans, mais les premiers sont imminents, sinon déjà advenus.

M. Paul Christophe, rapporteur. Face à ce constat, il nous est apparu nécessaire d’évaluer les pistes permettant de réparer cette injustice. Deux d’entre elles ont été analysées dans le cadre de cette mission : d’une part, le rachat de trimestres via le dispositif de versement pour la retraite, créé en 2003 ; d’autre part, la prise en compte des périodes de stages TUC sous forme de périodes assimilées à des durées d’assurance sur le modèle de ce qui existe pour le chômage.

Nous avons rapidement écarté la piste du rachat de trimestres, qui nous semblait inadaptée au regard de son coût prohibitif pour les personnes concernées. Par ailleurs, il nous semblait injuste de faire reposer la charge de la réparation d’une situation dont la responsabilité incombe à l’État et au législateur aux personnes qui en sont les victimes.

Nos travaux nous ont donc conduit à privilégier la seconde piste analysée. Deux éléments nous paraissent de nature à justifier cette solution : d’une part, les périodes de chômage sont assimilées à des périodes d’assurance ; d’autre part, depuis la réforme des retraites de 2014, les périodes de stage de la formation professionnelle sont assimilées à des périodes d’assurance. Toutefois, les stages TUC ou assimilés ne sont pas éligibles à cette prise en compte puisqu’elle ne s’applique qu’aux stages effectués à compter du 1er janvier 2015.

Afin de réparer cette situation particulièrement injuste, il est donc nécessaire de modifier la loi. C’est la raison pour laquelle nous prendrons l’initiative de déposer une proposition de loi visant à permettre la prise en compte des périodes travaillées sous statut TUC ou dispositifs comparables comme périodes assimilées. Chaque période de stage doit pouvoir être comptabilisée. C’est une question d’équité et de justice.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Sans entrer dans les détails du dispositif juridique, nous voulions faire deux remarques à ce stade.

La première concerne la quérabilité du dispositif. L’audition de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a permis de mettre en exergue un problème opérationnel d’importance : les caisses d’assurance vieillesse ne disposent pas des informations permettant de distinguer les périodes correspondant aux TUC ou à d’autres dispositifs identiques des périodes de stages classiques. Le bénéfice de la prise en compte de ces périodes ne pourra donc être ouvert qu’aux personnes qui seront en capacité de justifier avoir effectué ces stages. Il nous paraît évident que la charge de la preuve qui incombera aux bénéficiaires de TUC et dispositifs similaires devra être aménagée afin d’optimiser le recours.

La mise en œuvre du dispositif requerra également une campagne de communication de grande ampleur des pouvoirs publics afin de lutter contre le non-recours à ce nouveau droit qui ne sera pas automatique.

La seconde remarque concerne le coût d’une telle mesure : selon les données recueillies auprès de la direction de la sécurité sociale, le coût total du dispositif pourrait atteindre, en fonction du taux de recours des personnes concernées, entre 350 millions et 3,5 milliards d’euros sur trente ans, avec un pic estimé entre 25 et 250 millions d’euros par an en 2030. Le coût pour la collectivité serait étalé sur près de quarante ans avec une extinction du dispositif à horizon 2060.

Ces montants doivent être mis en perspective avec les dépenses annuelles du système de retraite qui s’élevaient en 2021 à 345,1 milliards d’euros. En rythme de croisière, et sous réserve d’un taux de recours de 100 %, qui est un horizon souhaitable, mais peu probable, le coût de la mesure ne représenterait donc que 0,07 % du montant annuel des dépenses de retraite, ce qui nous apparaît largement acceptable au regard de l’importance que ces trimestres revêtent pour les personnes concernées.

En conclusion, je dirai que les représentants des tucistes que nous avons rencontrés ne demandent absolument pas l’aumône. Ils souhaitent simplement que le travail effectué à l’époque soit aujourd’hui reconnu à sa juste valeur et soit pris en compte dans le calcul de leur retraite.

Nous pouvons et nous devons réparer cette injustice. C’est tout le sens des conclusions auxquelles nous sommes parvenues et que nous souhaitions partager avec vous aujourd’hui.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je passe la parole aux orateurs des groupes politiques.

M. Didier Le Gac (RE). Je voudrais tout d’abord saluer le travail de nos deux rapporteurs, qui, en peu de temps, ont pu dresser un état des lieux relativement exhaustif de la situation des jeunes tucistes.

Si l’idée des TUC pouvait sembler louable sur le papier, force est de constater que ce type de contrat aidé comportait des défauts dans sa conception et son application.

Les remarques des deux corapporteurs font écho à ce que m’ont rapporté d’anciens tucistes. Premièrement, le statut de stagiaire donné aux tucistes ne leur a pas permis de bénéficier d’un salaire avec prélèvement de cotisations sociales. Ce statut de stagiaire était souvent totalement ignoré par ces jeunes. Deuxièmement, la qualité de stagiaire aurait dû permettre à ces tucistes de bénéficier d’une formation. Troisièmement, le dispositif a été dévoyé comme très souvent par certains employeurs, par effet d’aubaine : les tucistes ont travaillé comme des salariés, sans en avoir les avantages. Enfin, leurs cotisations étaient calculées sur les assiettes forfaitaires des stagiaires de la formation professionnelle, ce qui les a fortement désavantagés par rapport aux salariés.

En conclusion, s’agissant des pistes de travail évoquées par nos rapporteurs, il me semblerait opportun et juste d’étudier toutes les solutions qui iraient dans le sens d’une prise en compte des périodes de stages TUC sous forme de périodes assimilées à des durées d’assurance, sur le modèle de ce qui existe pour le chômage.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Nous souhaitons féliciter les rapporteurs pour la grande qualité de leur travail. Ce dispositif, lancé en 1984 sous le gouvernement de Laurent Fabius, visait à endiguer rapidement et à moindre coût le chômage. Ces contrats étaient proposés aux personnes sans emploi qui pouvaient ainsi travailler dans des maisons de retraite, des écoles ou en mairie, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Si l’utilité du contrat semblait appropriée aux besoins du marché du travail dans les années 1980, ses conséquences sur la suite de la carrière et les droits à la retraite ont été négatives pour les bénéficiaires des TUC. Nombre d’entre eux atteignent l’âge de la retraite et sont dans l’obligation de partir avec une décote ou de repousser leur départ afin de pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein.

Le nœud du problème est que les cotisations versées par l’État étaient insuffisantes pour valider leur trimestre. Il eût été nécessaire de travailler plus de 92 heures par semaine pour valider une année complète. Cette situation est tout à fait aberrante et injuste.

La mission « flash » a le mérite de proposer de réelles solutions pour corriger l’injustice subie.

La modification de l’article L. 351‑3 du code de la sécurité sociale apparaît comme une première piste opportune pour que ces périodes soient prises enfin en compte pour le calcul des droits à la retraite. La mission rend possible de corriger cette injustice tout en améliorant les pensions de retraite d’un grand nombre de nos concitoyens.

En conséquence, le groupe Rassemblement National apporte son soutien aux conclusions de cette mission « flash ».

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Merci à nos deux collègues pour ce véritable travail d’utilité collective alors que des centaines de milliers de nos compatriotes ont le sentiment d’avoir été arnaqués dans la mesure où ils ont signé un contrat de travail et découvert plus tard qu’il s’agissait d’un stage.

Cette situation a créé une forme de triple peine puisque les publics les plus précaires ont été orientés vers les TUC. Ils ont découvert également l’absence de droit à une retraite alors qu’ils avaient exercé un emploi qui les mettait dans une situation plus fâcheuse que la perception d’une allocation chômage. On se rend compte à quel point l’emploi en TUC était en emploi en toc.

Nous pouvons en tirer une leçon politique qui me paraît importante : la multiplication des contrats de travail atypiques et dérogatoires aux CDI menace toujours le principe de la protection sociale. Dès lors, nous ne pouvons qu’approuver la démarche suggérée, à savoir la prise en compte des périodes de stages TUC sous forme de périodes assimilées à des durées d’assurance qui semble la piste la plus pertinente.

Elle soulève tout de même deux registres de questions. Sur l’automaticité, comment connaît-on le nombre de personnes concernées si nous n’avons pas les contrats ? Les caisses d’assurance vieillesse n’ont pas les informations qui permettent d’identifier les individus en stage. Les organismes d’accueil étant des collectivités, des associations et des établissements publics, qu’est-ce qui s’oppose à un travail d’exploration de leurs archives pour opérer une restitution de leur carrière qui viendra en appui à la demande et au recours des individus ? En effet, il est indiqué dans le rapport que les pistes budgétaires dépendront du recours. Il y aura donc un intérêt comptable et financier à décourager les gens de faire valoir leurs droits, d’où ces deux interrogations pour pouvoir avancer au maximum vers la piste de l’automaticité.

M. Yannick Neuder (LR). Je voudrais à mon tour saluer le travail réalisé par Paul Christophe et Arthur Delaporte. Il convient tout de même de rappeler le contexte post‑1981. Nombre de nos difficultés actuelles émanent de ces périodes : la retraite à 60 ans, les 35 heures, les TUC qui ne doivent pas être une double peine pour les personnes qui avaient fait le choix de sortir du chômage pour essayer de s’insérer dans la vie économique. Les tucistes étaient de bonne volonté et pensaient par ce biais‑là pouvoir accéder à un emploi ou une formation. Malheureusement, ils sont les « oubliés » de la retraite. Je salue le travail intéressant qui permet de modifier la loi et de créer une période assimilée pour ces personnes de bonne volonté.

Le groupe Les Républicains s’associera aux conclusions de cette mission « flash ». Reste une inquiétude, à savoir la nécessité de dépister l’ensemble des personnes qui ont bénéficié de ces dispositifs afin d’être certain qu’ils connaîtront leurs droits pour éviter un maximum de non-recours. Vous avez chiffré un budget situé entre 350 et 3,5 milliards d’euros, qui est vertigineux et prouve que lorsque toute politique n’est pas bien évaluée à long terme, ce sont les générations futures qui en payent les pots cassés.

M. Philippe Vigier (Dem). Je voudrais dire à Paul Christophe et Arthur Delaporte qu’ils ont réalisé un travail très fouillé. Nous voyons là l’intérêt de ces missions « flash » et du travail transpartisan qui permet une exploration en profondeur des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Sur les TUC, je suis en accord avec les propositions qui ont été faites. Vous explorez des pistes pour sortir de cette impasse dans laquelle se retrouvent les nombreux jeunes concernés par ces TUC. La seconde solution sur laquelle vous insistez me semble la plus adaptée. Le rôle du Parlement s’en trouve valorisé. On ne prépare pas des mesures à la va‑vite sans réfléchir. Un jour, nous aurons peut-être les mêmes difficultés, à un certain niveau, avec les emplois jeunes.

Pour conclure, votre proposition nous agrée et encore merci de venir en secours à ceux qui se trouvent démunis au moment où ils préparent leur dossier retraite, un sujet compliqué au quotidien.

M. Joël Aviragnet (SOC). Le sujet évoqué revêt un caractère vital pour les personnes concernées. Force est de constater que le système des TUC a été mal pensé et dévoyé. En étant rattachés à un statut de stagiaires de la formation professionnelle, les tucistes aurait dû bénéficier de davantage de droits. Dans les faits, ils n’avaient ni formation ni encadrement ni droit à la retraite. Les bénéficiaires apparaissent donc comme ayant été une main‑d’œuvre à bas prix pour les organismes y ayant eu recours.

De plus, ces TUC portent en leur sein un vice caché : ces jeunes auraient mieux fait d’être au chômage, ce qui leur aurait ouvert des droits à la retraite.

À la suite de la pétition adressée à l’Assemblée nationale en juin dernier, il nous incombe de réparer cette injustice et l’erreur commise par l’État. Les solutions proposées par les corapporteurs nous semblent justes et même souhaitables au vu du coût modéré pour la collectivité et de leur importance pour les publics concernés. Prendre en compte les trimestres des TUC et des dispositifs comparables comme périodes assimilées à des périodes d’assurance nous paraît être la bonne solution. Nous soutenons donc cette initiative et espérons que l’ensemble de la commission se joigne à nous.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Je voudrais unir ma voix à toutes celles qui se sont exprimées pour féliciter et remercier Paul Christophe et Arthur Delaporte de leur travail très utile, de leur éclairage sur cet angle mort important dans les politiques de l’emploi et l’accompagnement social de nombreux Français entrés dans ce dispositif. Le chiffre donne la mesure de l’importance du sujet que nous avons à traiter ce matin. Pour rappel, il s’agissait de répondre à la question du chômage de masse qui a marqué les années 1980‑1990, mais avec le recul, cette réponse n’était pas complètement adaptée. Les injustices étaient nombreuses : le statut de stagiaire, la rémunération équivalente à deux tiers du Smic de l’époque et les problématiques liées à la retraite.

Le groupe Horizons et apparentés soutien bien évidemment et complètement cette initiative et salue le bénéfice de ces missions « flash » qui permettent de parvenir à des solutions mûries et consensuelles et de faire œuvre utile.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je voudrais commencer par remercier Paul Christophe et Arthur Delaporte pour la qualité de leur rapport et le nombre d’auditions réalisées qui ont permis d’appréhender l’intégralité du problème et des solutions.

Il est important de rappeler que ces TUC ont été un marché de dupe et ce, pour trois raisons principales.

Le dispositif TUC était présenté comme une forme de réinsertion et de passerelle vers l’emploi et ces personnes qui étaient au chômage auraient gagné à rester au chômage si les réformes proposées dans votre rapport ne sont pas appliquées. Cette situation est particulièrement injuste et ce biais d’information réserve de mauvaises surprises au moment de réclamer ses droits à la retraite. Cette première raison devrait suffire déjà à rétablir une forme d’équité.

La deuxième raison est que, souvent, il s’agit de personnes qui pourraient prétendre aux carrières longues, ces emplois étaient réservés à des personnes jeunes et déjà en chômage. La reconnaissance de leur carrière longue est aussi une manière de rendre justice à ces personnes qui ont travaillé tout au long de leur vie.

Enfin, la troisième raison, qui n’est pas minime, est qu’il y a eu un basculement du dispositif vers les femmes qui, au bout de quelques années, ont occupé l’essentiel des emplois. Le statut étant précaire et temporaire, les femmes tombent dans des espèces de « trappes à activité ».

Pour ces trois raisons, il est absolument évident que nous soutiendrons vos propositions. Il est par ailleurs important de recourir à l’automaticité.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je voudrais saluer le travail des deux corapporteurs sur un sujet sur lequel notre assemblée a été saisi. Il est important que nous soyons en interaction avec celles et ceux qui se mobilisent dans la société. Je voudrais dire combien la jeunesse des années 1980 a été maltraitée dans un contexte de montée du chômage de masse. Les réponses apportées ont été mauvaises. Faut-il souligner que cette mesure a été prise d’un trait ? Lorsque notre collègue Yannick Neuder mélange des conquêtes sociales avec des dispositifs critiquables, ce n’est pas très sérieux. Je crois que les ancêtres des Républicains, en 1986, puis en 1993, n’ont absolument rien réparé.

Cela étant dit, la question nous amène à mettre en lumière tout ce qui peut se rapprocher de travailleurs sans droit, de contrats précaires notamment destinés à la jeunesse, mais pas seulement. Nous voyons les conséquences que cela peut avoir aujourd’hui. S’il faut réparer autant que possible, certaines choses ne sont pas réparables, car elles ont déjà été subies au moment où ces contrats existaient. Toujours est-il qu’il s’agit de choix politiques. L’État est responsable de cette situation que nous ne pouvons pas laisser perdurer, avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui sur le droit à la retraite.

Il faut que les mesures soient prises en charge par l’État. J’insiste sur ce point. Il faut une démarche proactive pour aider les personnes à faire valoir leurs droits et les accompagner dans leurs démarches.

Je souhaiterais que la proposition de loi que vous avez déposée puisse être mise à l’ordre du jour à la demande de la commission. Elle pourrait peut-être remplacer le mauvais texte du Gouvernement sur les retraites qui viendrait au mois de janvier.

M. Paul Christophe, rapporteur. Permettez-moi de toutes et tous vous remercier de vos interventions et de vos encouragements à poursuivre ce travail. Je remercie également l’administrateur des services de la commission, qui nous a été d’un précieux secours, et notre collègue Florence Lasserre qui a assisté à toutes nos auditions, ainsi que Sandrine Rousseau, qui nous a accompagnés sur ce travail.

Je voudrais apporter quelques précisions. J’ai parlé des « TUC et dispositifs comparables ». Vous avez compris que si l’on se contentait d’examiner la question sous l’angle des TUC, on créerait là aussi une injustice. On serait même dans le champ de l’inconstitutionnalité puisqu’il nous faudrait embrasser l’ensemble des dispositifs comparables.

Afin d’embrasser l’ensemble du sujet, nous incluons dans notre réflexion, outre les TUC (octobre 1984-1990), les stages pratiques en entreprise qui étaient le plan Barre (1977‑1981), les stages jeunes volontaires (1982‑1985), les programmes d’insertion locale (1987‑1990) et les stages d’initiation à la vie professionnelle (1985‑1992).

Lors des auditions, nous avons pu constater que des personnes ont parfois navigué d’un dispositif à un autre et ont cumulé ces problématiques au fil des ans. La droite comme la gauche ayant toutes deux utilisé ce biais, nous serons solidaires dans la réparation, comme vous l’avez exprimé aujourd’hui au sein de cette belle commission.

Je rappelle que le chiffrage s’exprime sur trente ans. Le taux de recours étant généralement de 40 %, nous serions autour de 1,4 milliard d’euros même si notre volonté est de toucher le plus grand nombre de personnes.

La question des carrières longues est un vrai sujet et nous avons eu des témoignages en ce sens. J’ai une pensée pour une personne qui perd quatre ans, ce qui est énorme, sachant qu’elle cumule des ennuis de santé et un handicap fort. La question du rachat est de l’ordre de 88 000 euros. Vous comprenez que ce n’est pas acceptable. Nous arriverions à des sommes astronomiques, insupportables pour ces gens qui réclament leur dû. C’est bien un mécanisme de réparation que nous vous soumettons.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. À mon tour de remercier Paul Christophe pour cette mission « flash » menée au pas de course dans un esprit de consensus. J’ai apprécié notre travail en commun. Je saluerai également la stagiaire qui a accompagné nos travaux.

Je souhaiterais revenir sur la question de l’estimation du nombre de personnes concernées soulevée par Hadrien Clouet. Les seules données dont nous disposons sont des rapports de la Dares de 1986 et 1990. Nous arrivons à près de 1 700 000 stages TUC. Je précise qu’il ne s’agissait pas véritablement de contrats de travail, mais de Cerfa signés. Certains ont conservé leur bulletin de paie, d’autres non. Le vrai sujet est la quérabilité. En cumulant plusieurs statuts, le nombre de personnes concernées s’élève aisément à 1 500 000, soit 4 à 5 % des retraités potentiels qui se sont inscrits dans ces dispositifs. Ce chiffre n’est pas négligeable et même important.

C’est la raison pour laquelle la communication à l’égard du grand public est essentielle. Vous évoquiez la possibilité d’explorer les archives, mais nous devons être sérieux et réalistes. C’est une mission quasi impossible. Ce serait donner du travail aux agents pour un taux de réussite qui serait très faible. La meilleure manière est une communication gouvernementale très forte pour un public potentiel important que nous ne pouvons pas retrouver à ce stade dans les arcanes des systèmes de retraite. C’est regrettable et nous en avons convenu collectivement avec le directeur de la CNAV, que nous avons auditionné. La balle est maintenant dans le camp de l’État et des médias. À ce stade, les journalistes n’ont pas encore saisi l’intérêt pour le grand public, mais j’espère que toutes et tous relayeront ce sujet dans la presse quotidienne et régionale.

Plus largement, les bénéficiaires devront eux-mêmes agir pour faire valoir leurs droits à la retraite ainsi modifiés. Je salue la proposition de faire inscrire rapidement cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée, car elle est relativement simple et suppose peu de modifications législatives. Surtout, elle doit entrer en vigueur au plus tôt pour que les premières générations puissent en bénéficier le plus rapidement possible au moment du calcul de leurs droits à la retraite. Ensuite, il sera trop tard.

Merci à toutes et tous pour votre attention sur ce sujet qui nous concerne dans nos permanences et qui est d’ordre public.

M. Paul Christophe, rapporteur. Je voudrais également remercier Justine Gruet, présente à nos côtés durant nos travaux.

Il sera difficile de produire les justificatifs nécessaires, car les Cerfa ont parfois disparu. Il nous faudra proposer un dispositif assez souple pour permettre à chacun de justifier de ses états de service et de s’y retrouver.

Mme Justine Gruet (LR). Je remercie également Paul Christophe et Arthur Delaporte pour la qualité du niveau d’information qu’ils ont pu nous apporter. Nous sommes, il est vrai, face à une problématique individuelle, mais le travail collectif doit être salué. Je rejoins les propos tenus par Yannick Neuder concernant l’injustice de mésinformation. Il est important de valider le goût de l’effort et de reconnaître le travail fourni par ces femmes et ces hommes qui ont contribué au fonctionnement de certains établissements. S’ils ou elles étaient restés au chômage, ils ou elles n’auraient pas été confrontés à cette problématique. Je vous remercie pour le travail constructif qui a été réalisé de manière factuelle. Celles et ceux qui auront été informés des démarches entreprises salueront votre réactivité et – je l’espère – celle du Gouvernement.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je remercie à nouveau et je salue la qualité du travail mené par nos corapporteurs, qui permettra de faire en sorte que cette injustice soit réparée. Nous sommes tous d’accord pour avancer sur ce sujet important.

La commission examine ensuite la proposition de loi visant à favoriser et inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % (n° 578) (M. Christophe Bentz, rapporteur).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons à l’examen de deux propositions de loi dont le groupe Rassemblement National a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui sont réservées, le jeudi 12 janvier 2023.

M. Christophe Bentz, rapporteur. Depuis plusieurs mois, le pouvoir d’achat des Français est frappé par une inflation en hausse, qui s’ajoute aux conséquences délétères des politiques menées depuis des décennies. En novembre 2022, les prix à la consommation avaient augmenté de 6,2 % sur un an, et les prévisions sont pessimistes.

Cette proposition de loi vise à agir sur le salaire, grand oublié des politiques des gouvernements successifs, et à apporter une réponse efficace pour contrecarrer l’appauvrissement de nos concitoyens, grâce à une mesure de bon sens, dans une conjoncture économique, malheureusement durable. L’augmentation générale des prix étant supérieure à celle des salaires, nous proposons un dispositif supplémentaire, complémentaire à ceux en vigueur.

Face à cette situation, le Gouvernement nous a soumis, l’été dernier, un texte portant sur le pouvoir d’achat, certes pas inutile – notre groupe l’a d’ailleurs voté –, mais bien en dessous des enjeux et attentes légitimes des Français. La Première ministre et le ministre de l’économie ont d’ailleurs reconnu les limites de l’action gouvernementale en exhortant les entreprises « qui le pouvaient à augmenter les salaires ». Une telle déclaration, en période de crise, est un aveu d’échec du Gouvernement, qui se limite à des mesurettes sur le pouvoir d’achat, se refusant à s’attaquer aux salaires, seul chantier susceptible d’augmenter significativement le pouvoir d’achat de millions de Français.

Il est grand temps de mettre en place un dispositif réellement incitatif, qui valorise le travail et le rémunère à sa juste valeur. Cette proposition de loi vise donc à offrir à nos entreprises un nouveau dispositif qui les incite à augmenter les salaires de 10 %, grâce à l’exonération des cotisations patronales sur cette augmentation, cela pour une durée de trois ans. Cette mesure sociale urgente permettra de soutenir les salariés, sans pénaliser les entreprises et sans coût pour l’État.

La majorité présidentielle a institué la prime de partage de la valeur, qui remplace la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, exonérée de cotisations patronales jusqu’à 6 000 euros, dans certaines conditions. Nous avions voté pour ce dispositif, bien que peu convaincus par son efficacité, parce qu’il vaut mieux une solution imparfaite pour les Français que pas de solution du tout. Il apparaît d’ores et déjà que l’attribution des primes ne sera pas à la hauteur des attentes en matière de hausse de revenus : la prime moyenne versée depuis 2019 s’élève à seulement 550 euros pour environ 5 millions de bénéficiaires, soit un gain de 45 euros par mois pour un tiers des salariés du secteur privé. Si l’on rapporte cette augmentation au salaire moyen des Français, qui s’établit à 2 500 euros, cela représente une augmentation de seulement 1,8 %, contre une inflation de plus de 6 %. Et c’est sans compter avec les effets de substitution entre salaires et primes, qui sont et seront malheureusement bien réels. Une prime n’est pas prise en considération dans le calcul d’une pension de retraite, d’une demande de prêt ou lorsqu’il s’agit de louer un logement. Ce qui compte aujourd’hui, pour vivre dignement de son travail, c’est d’abord le salaire de base et non une rémunération bricolée, qui intègre primes, allocations et avantages en nature.

Point positif, cependant, cette prime ne coûte pas un centime d’argent public, comme le démontre l’étude d’impact du projet de loi sur le pouvoir d’achat, qui indiquait que les sommes versées n’étant pas considérées comme des recettes prévues, elles ne constituent pas une diminution des ressources pour la sécurité sociale. J’anticipe ainsi les reproches qui pourraient nous être faits : notre dispositif répond à cette même logique, puisque ce n’est pas une charge pour l’État, mais seulement un manque à gagner. Il concerne en outre tous les salaires jusqu’à trois fois le Smic et profitera donc à près de 90 % des salariés. C’est la raison pour laquelle nous avions estimé que l’augmentation du Smic, proposée par la gauche, n’était pas la plus adaptée, d’autant que celui-ci est indexé sur l’inflation. Cette mesure ne répondait pas à l’enjeu global, excluait les classes moyennes et pesait lourdement sur les entreprises de taille modeste.

On constate en effet un décrochage du niveau de rémunération de toutes les catégories socioprofessionnelles, en particulier des classes moyennes dont la renégociation des salaires n’a pas permis de suivre le cours de l’inflation. Quant à la négociation collective, elle peine à être à la hauteur des enjeux, avec des hausses de salaires comprises entre 2,5 à 3,5 %, en 2022. C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un nouvel outil, qui s’inspire de l’existant tout en étant adapté à la situation d’urgence que nous connaissons.

Tout d’abord, les allégements de cotisations mis en place ces trente dernières années ont favorisé la création d’emplois, mais pas nécessairement la valorisation des salaires. Notre dispositif, qui a vocation à être temporaire, s’inspire de cette logique en la recentrant sur les difficultés des classes populaires et moyennes, c’est-à-dire sur la stagnation de leurs salaires qui, dans le contexte inflationniste, se traduit par une perte de pouvoir d’achat. En exonérant de cotisations patronales une majoration salariale appliquée à l’ensemble de l’entreprise, notre dispositif vise à diminuer les effets de seuil liés au régime actuel de cotisations et d’exonérations. Aujourd’hui, lorsqu’un employeur souhaite augmenter de 10 % le salaire net d’un salarié au Smic, cette majoration entraîne une hausse de 18 % de ses coûts salariaux. Concrètement, quand le salaire net de l’employé augmente de 130 euros par mois, l’employeur est redevable de 150 euros de cotisations patronales supplémentaires, soit un taux de 91 % de cotisations sociales appliqué à la hausse du salaire brut. Au-delà des effets de seuil liés aux exonérations actuelles, toute majoration salariale est soumise au taux normal de cotisations patronales, qui atteint environ 37 % entre 1,6 et 2,5 Smic et 41 % entre 2,5 et 3,5 Smic. Ce qui peut dissuader les employeurs d’augmenter les salaires dans un contexte économique incertain.

Par ailleurs, aux termes de notre proposition de loi, l’exonération de cotisations serait conditionnée à la signature d’un accord d’entreprise portant sur une majoration de tous les salaires inférieurs à trois fois le Smic. Je le répète, ce sont près de 90 % des salariés du secteur privé qui sont concernés par cette mesure.

Enfin, cette majoration salariale doit être substantielle, alors que l’inflation n’a jamais été aussi élevée depuis quarante ans. Aussi les entreprises devront-elles garantir au moins 10 % de hausse de salaires pour obtenir l’exonération. Si l’ensemble des employeurs du secteur privé s’en saisissaient, cette mesure permettrait de redistribuer 45 milliards d’euros de salaires supplémentaires à plus de 15 millions de salariés. L’exonération permettra de réduire de 16 milliards d’euros le coût supporté par les entreprises, soit un quart du coût de la hausse des salaires, en se fondant sur le niveau actuel des cotisations. En rétablissant ainsi une dynamique des salaires qui compense la perte de pouvoir d’achat subie par l’ensemble des salariés, cette proposition de loi assurera une juste rémunération du travail sur le long terme.

À la suite des auditions menées, des contributions reçues et du travail de préparation, je vous proposerai des amendements pour ajuster et parfaire le dispositif. Compte tenu du calendrier d’examen du texte et des nouvelles exigences de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, je vous proposerai de le limiter à trois années, à compter du premier juillet 2023. S’il se révèle efficace, il sera possible de le faire évoluer dans une nouvelle loi de financement de la sécurité sociale.

Outre des ajustements rédactionnels permettant de préciser que la majoration salariale sera bien calculée à partir des salaires effectivement pratiqués dans les entreprises à l’ouverture des négociations sur l’accord prévu par la proposition de loi, je vous proposerai d’évaluer le dispositif, en demandant au Gouvernement un rapport analysant sa mise en place au regard du régime actuel de cotisations patronales et d’exonérations.

Au-delà de la situation d’urgence dans laquelle nous nous trouvons, il est important de bien intégrer les nouveaux dispositifs à ceux existant déjà. La méthode que nous poursuivons avec cette proposition de loi est celle de l’incitation des entreprises, par des mécanismes éprouvés mais recentrés sur la question essentielle des salaires, la seule à même de répondre à la fois à la nécessité de mieux rémunérer le travail et à la crise du pouvoir d’achat.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Marc Ferracci (RE). Ce texte est bienvenu, car il va nous permettre de débattre de la principale proposition de la candidate du Rassemblement National à la dernière élection présidentielle en matière de pouvoir d’achat et ainsi d’en exposer les nombreuses faiblesses.

Premièrement, et contrairement à ce qui a été dit par M. le rapporteur, cette proposition engendrerait un coût considérable pour les finances publiques, alors que la majorité présidentielle est pleinement mobilisée pour faire en sorte que le travail paie mieux et pour préserver le pouvoir d’achat des salariés.

Deuxièmement, l’exemption proposée présenterait un bénéfice très modeste pour les salariés, car elle entraînerait des effets d’aubaine dans les entreprises ayant déjà prévu d’augmenter les salaires. Ces effets d’aubaine seront d’autant plus importants que les augmentations ultérieures viendront diluer progressivement cette hausse de 10 %.

Troisièmement, cette proposition serait parfaitement antiredistributive, car elle bénéficierait surtout aux salariés les plus qualifiés. Rappelons qu’au niveau du salaire minimal et à proximité, les employeurs ne payent déjà plus de cotisations patronales, du fait des mesures décidées par la majorité présidentielle. En pratique, les exonérations décidées bénéficieraient essentiellement aux salaires supérieurs à 1,6 Smic, voire 2,5 Smic.

À cet égard, je dois dire que l’exposé des motifs de la proposition de loi témoigne d’une certaine déconnexion avec la réalité, en incluant dans les classes moyennes les salariés gagnant jusqu’à trois Smic, soit 5 000 euros. Voilà ce que sont les classes moyennes pour vous !

La majorité est convaincue qu’il est nécessaire d’accroître le pouvoir d’achat de tous les salariés. C’est le sens des mesures qui ont été prises l’été dernier, comme la possibilité de monétiser les RTT. En revanche, privilégier de fait les exonérations sur les salaires les plus élevés est contraire à l’esprit de justice sociale, c’est pourquoi nous y sommes opposés.

Enfin, cette proposition induirait une très forte complexité dans notre système de prélèvements. En pratique, il s’agirait d’appliquer des exonérations à un flux, l’augmentation salariale ponctuelle, alors que le système d’exonération de charges repose sur une assiette constituée de la masse salariale globale. La mise en œuvre de cette disposition impliquerait donc une refonte profonde de notre système, ce qui la rend largement inapplicable.

En résumé, la mesure proposée serait budgétairement coûteuse, économiquement inefficace, moralement inéquitable et opérationnellement fragile. Le groupe Front national en est visiblement conscient, puisqu’il vient de déposer un amendement demandant un rapport sur les limites potentielles du dispositif. On ne saurait mieux exprimer le niveau d’impréparation et d’amateurisme qui entoure cette proposition, faite par Marine Le Pen lors de sa campagne.

Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera contre cette proposition et proposera un amendement de suppression.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Cette proposition de loi est le fruit des consultations et des remontées de terrain de ces derniers mois. Cette voie médiane est on ne peut plus pragmatique. L’aspiration légitime des salariés à voir leur travail mieux rémunéré est ancienne et s’était déjà manifestée lors de la crise des « gilets jaunes ». Elle est aujourd’hui accentuée par la crise inflationniste.

Cette aspiration est partagée par les entreprises, en particulier par les plus petites d’entre elles, qui savent bien que le travail doit être mieux rémunéré, notamment pour garder les talents dans les secteurs en tension. Récompenser le travail à sa juste valeur permet aussi de recréer une cohésion au sein même des entreprises, après tous les efforts consentis pour traverser la crise du covid et permettre à notre pays de tenir.

Enfin, cette proposition de loi vise à remettre au cœur du projet républicain le sens même de la « valeur travail ». Les moyens, parfois ingénieux, auxquels nous avons eu recours ces dernières années pour augmenter légèrement le pouvoir d’achat des travailleurs n’ont jamais porté sur le salaire, c’est-à-dire sur l’élément central de la rémunération. On a ainsi amélioré le régime des heures supplémentaires, on a versé des primes, on a mis en place des aides, mais les salaires ne sont plus augmentés depuis longtemps. Il s’agit pourtant de ce que l’individu reçoit, pour lui-même et sa famille, en contrepartie de son travail. Le salaire est paradoxalement devenu le parent pauvre de notre système social et de notre méritocratie.

Alors que le besoin de revaloriser le salaire se ressent sur le terrain, notre proposition est la meilleure façon de le satisfaire, sans idéologie. Je suis donc déçu par les remarques que j’ai pu entendre à l’instant, mais aussi par ce que j’ai pu lire dans les amendements. Nous faisons face, en effet, à une opposition idéologique qui, d’ailleurs, reprend les critiques formulées notamment par la gauche – heureusement que le ridicule ne tue pas – contre la prime Macron, pour s’opposer au Rassemblement National. Nous avons pris, quant à nous, nos responsabilités, en juillet, en votant le dispositif de primes qui nous était proposé. Certes, il n’était pas parfait mais le plus important, pour nous, c’est d’améliorer le pouvoir d’achat des Français, pas de faire de la politique politicienne.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Ce texte est une des rares occasions de saisir les représentations que l’extrême droite a du marché du travail. Cela permet d’en tirer des conclusions politiques intéressantes. Dans le monde du travail des élus du Rassemblement National, les salariés ne bénéficient d’aucune protection collective en cas d’accident de la vie.

En l’occurrence, cette proposition des Garcimore de la sécurité sociale vise à prendre 1 euro dans la poche de la sécu pour le mettre dans le porte-monnaie. Ainsi, dans votre monde, on diminue la part des cotisations sociales et on met en danger tous les droits qui sont financés par ce biais – chômage, retraite, couverture maladie, protection de la famille. Par une tractation assez sordide, on demande aux salariés de vendre leur assurance chômage et leurs allocations familiales contre un petit chèque.

Et comme toujours avec le Rassemblement National, les salariés les plus aisés seront favorisés. Puisque votre dispositif portera sur les salaires allant jusqu’à trois Smic, les plus riches toucheront 400 euros de plus, contre 130 euros pour les travailleurs au Smic. Une conception de la justice sociale pour le moins étonnante ! Ce sont pourtant les travailleuses et les travailleurs au Smic, qui ont le plus besoin de prestations sociales – allocations logement ou allocations familiales – pour survivre. Avec votre proposition, vous allez tirer davantage encore vers le bas ceux qui tirent déjà la langue. Vous préparez également le chemin pour la réforme des retraites de Mme Borne, puisque vous ne trouvez rien de mieux à faire que de nous proposer d’accentuer le déficit des caisses de retraite. Si vous êtes favorables à la retraite à 65 ans, dites-le directement, sans tortiller.

Bref, si vous vous préoccupiez vraiment des salaires, vous auriez voté la hausse du Smic que nous avons proposée et que vous avez refusée le 11 juillet, le 13 juillet, le 20 juillet, le 22 juillet et le 16 novembre.

Pour conclure, et afin d’aider tout le monde à se positionner, j’ai dressé une courte liste des gagnants et des perdants du dispositif du RN. Un cadre à 4 500 euros par mois serait effectivement gagnant. Seraient perdants en revanche les retraités, les malades dont les médicaments seront déremboursés, les chômeurs, après la fermeture et la délocalisation de leur usine, les bénéficiaires de l’aide au logement, ceux des indemnités invalidité, maternité, accident du travail, congé parental, rentrée scolaire, etc.

Nous demandons le rejet de cette proposition, de chaque mot, de chaque virgule.

Mme Isabelle Valentin (LR). Les entreprises de notre territoire vivent une période particulière et inédite : immense difficulté à recruter, hausse des prix de l’énergie, hausse des prix des matières premières, coût élevé de la main-d’œuvre par rapport aux autres pays européens et fiscalité lourde. La question de la pérennité des entreprises se pose et nous commençons à connaître des baisses d’activité et des fermetures de lignes de production.

Pour avancer et réindustrialiser la France, nos industriels ont besoin d’avoir une visibilité à moyen et à long terme. Cette proposition de loi visant à favoriser et inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % prévoit que celles qui décident d’appliquer cette mesure soient exonérées des charges patronales.

Nous en sommes tous d’accord, l’augmentation des salaires est essentielle. Mais votre proposition de loi ne va pas dans le bon sens et n’est plus adaptée au contexte actuel de crise. La préservation de notre tissu économique et industriel dépend des mesures d’équilibre que nous prenons ici. Il est naturel que nous posions un diagnostic sur la situation et que nous y apportions des réponses adaptées.

Tous les métiers sont en tension et il n’y a pas aujourd’hui un chef d’entreprise qui n’ait un problème de recrutement. Il manque 3 000 professeurs, 7 000 chauffeurs de cars scolaires, 300 000 serveurs. Depuis la pandémie, un certain nombre d’entreprises ont déjà fait de gros efforts sur les rémunérations pour rester attractives et fidéliser leurs salariés. Nous nous en réjouissons. Mais les salaires progressent deux fois moins vite que l’inflation, qui est désormais supérieure de 6 %.

Par ailleurs, l’exonération de charges que vous proposez ne s’applique que sur la majoration salariale, pas sur le salaire dans son intégralité. Cela nécessite donc l’instauration d’une double comptabilité, pour le salaire chargé et pour la majoration non chargée. C’est totalement irréaliste en matière de coût et de temps pour une entreprise, notamment pour les TPE et PME de nos territoires.

Cette proposition de loi va à l’encontre d’une simplification bureaucratique pour les entreprises. Son coût est beaucoup trop élevé, tant pour les finances publiques que pour les entreprises. Le groupe Les Républicains fait le choix de l’abstention sur cette proposition de loi.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur le rapporteur, le groupe Démocrate ne votera pas votre proposition de loi. Marc Ferracci, avec force éléments techniques, vous a expliqué pourquoi : c’est un système extrêmement coûteux pour les finances publiques, qui aura des effets d’aubaine, et qui est malheureusement inapplicable au quotidien. En effet, vous ne pouvez pas décider à la place du chef d’entreprise. C’est lui qui fait sa politique salariale. Ce n’est pas vous qui allez la déterminer, sur un coin de table, à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, vous souhaitez appliquer cette mesure à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, sans discernement, sans même savoir si elles ont ou non la capacité d’absorber un nouveau choc. Choc qui, ajouté à ceux qu’elles supportent déjà – coût de l’énergie, difficultés de recrutement et autres –, serait totalement destructeur. Vous qui êtes attachés à l’accompagnement des petites entreprises, vous allez en fait les fragiliser.

En outre, de telles exonérations affectent la protection sociale. J’ai lu dans votre programme que vous souhaitez remettre la retraite à 60 ans. Comment ferez-vous avec moins de cotisations ? Avec ce texte, vous vous rendez un très mauvais service. Nous en rediscuterons dans le cadre du débat sur les retraites.

Enfin, le Smic étant indexé sur l’inflation, il bénéficie automatiquement d’une augmentation et, de facto, c’est l’échelle mobile complète qui s’en trouve revalorisée. Nous sommes pour le partage de la valeur. Je suis comme vous attaché à la valeur travail, mais le partage passe aussi par la participation, les dividendes, les politiques d’intéressement. Ces outils nous permettront de répondre collectivement à la question du pouvoir d’achat.

M. Jérôme Guedj (SOC). Il est des propositions de loi qui en disent long sur les intentions de ceux qui les présentent. Nous avons ici un texte limpide, transparent, quant à la conception que le Rassemblement National a de notre système de protection sociale, de notre sécurité sociale. En ce sens, je veux remercier le rapporteur et les membres du Rassemblement National. Il est vrai qu’ils avaient déjà été très clairs, en s’opposant à notre proposition de loi visant à augmenter immédiatement le Smic – Hadrien Clouet l’a rappelé.

Avec ce texte, vous sacrifiez ce qui est consubstantiel à notre pacte républicain, c’est-à-dire l’idée d’un salaire et d’un salaire différé. Avec vos exonérations de cotisations patronales, vous asséchez les ressources de la sécurité sociale. Avec la réponse immédiate que vous apportez à la question du pouvoir d’achat, vous amputez le salaire différé, c’est-à-dire la branche accidents du travail et maladies professionnelles, les allocations familiales, l’assurance maladie et l’assurance vieillesse. Aujourd’hui, les exonérations de cotisations sociales s’élèvent déjà à 71 milliards d’euros. Nous sommes plusieurs ici à penser – dont Marc Ferracci – que c’est déjà bien trop et qu’une grande partie des maux qui frappent notre système de sécurité sociale serait réglée si l’on revenait sur une partie de ces exonérations. Nous en discuterons dans le cadre du texte portant sur la réforme – ou plutôt la régression – des retraites.

Cette proposition de loi est évidemment à rejeter en bloc, car elle ne répond pas à l’enjeu de l’augmentation du pouvoir d’achat et du maintien de la sécurité sociale et de la protection sociale.

M. François Gernigon (HOR). Permettre à tous les travailleurs de mieux vivre de leur travail est, bien sûr, un objectif partagé par le groupe Horizons et apparentés et par la majorité présidentielle. Mais les moyens pour l’atteindre divergent. Cette proposition pose un problème de fond et un autre de forme et ne paraît pas opportune. D’une part, elle prive les organismes sociaux d’une rentrée financière, alors que d’autres dispositifs destinés à améliorer le partage de la création de richesses existent déjà. D’autre part, la fixation des dates et pourcentage d’augmentation est discutable et conduit à des effets de seuil.

Sur les bas salaires, le Smic est indexé sur l’inflation et est donc fréquemment relevé. Pour les rémunérations plus élevées, le Gouvernement poursuit de constants efforts pour encourager les augmentations, par la négociation collective. Plusieurs mesures ont été prises en ce sens, notamment la fusion des branches affichant des minima conventionnels inférieurs au Smic, ce qui provoque une forte incitation à la revalorisation des grilles salariales.

Le Gouvernement dispose de nombreux autres leviers pour protéger le pouvoir d’achat. Ceux-ci ont notamment été mis en place au cours des dernières années de crise et ont permis aux plus précaires et aux ménages de bénéficier de protections contre la hausse des prix de l’énergie et contre l’inflation.

Face aux défis du pouvoir d’achat en période de crise, le groupe Horizons et apparentés soutient qu’une meilleure rémunération doit passer par un meilleur partage de la valeur entre les entreprises et les salariés. La mise en place de dispositifs d’intéressement et de participation doit être encouragée, en particulier dans les plus petites entreprises. Développer par exemple les dividendes salariés pourrait être une autre piste pour aller plus loin et tendre vers une plus juste participation et rémunération des salariés.

De même, privilégier des accords de branche, élaborés avec les partenaires sociaux, permet d’établir une équité entre les salariés, alors qu’augmenter les rémunérations dans certaines entreprises seulement crée des injustices entre salariés.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vieille rhétorique, vieille recette ! Depuis 1993, année où le taux de chômage en France atteint 10 %, le bouc émissaire du patronat est le même : le coût du travail.

Tout le monde dans cette salle s’accorde à dire qu’il faut une augmentation des salaires, en particulier pour les personnes les plus pauvres. Et que nous propose le groupe Rassemblement National ? Un mécanisme de défiscalisation. En d’autres termes, vous proposez de faire porter les hausses des salaires non pas sur les entreprises, mais sur l’État. Au fond, la logique de votre texte est exactement la même que celle du Président lorsqu’il fait la prime dite « Macron ». Votre ambition est-elle donc de généraliser un système dans lequel l’État vient se substituer aux entreprises pour les dépenses qui leur incombent ?

Contrairement à ce que vous essayez de nous faire croire, ces mesures ne sont pas logiques. Elles coûtent très cher et ne sont même pas efficaces. Pourquoi ? Parce qu’elles ne ciblent pas les plus petites entreprises, qui pourraient avoir besoin d’un coup de pouce de l’État, tant la compétition avec les plus grandes est difficile. Le dispositif est quasiment le même pour une multinationale et pour un artisan. On peut d’ailleurs se demander si les entreprises qui bénéficient de ces exonérations ne concurrencent pas celles qui ont choisi de verser des salaires plus élevés et qui forment leurs salariés.

Nous, écologistes, sommes pour l’augmentation des salaires, du Smic au premier chef, mais pas dans ces conditions. Dans un contexte non seulement de spirale inflationniste, mais aussi d’accroissement des inégalités, en particulier pour ce qui est du partage de la valeur ajoutée des entreprises, la stagnation du Smic nous semble intenable.

J’ajouterai, enfin, parce que c’est un sujet qui me tient à cœur, que la hausse des salaires et du Smic est une mesure féministe. Les femmes représentent, en effet, 45 % de l’emploi salarié et 60 % d’entre elles perçoivent le Smic. Elles sont les moins bien payées et sont plus nombreuses à exercer des emplois précaires, à temps partiel subi, dans le cadre de contrats courts. Une hausse du Smic permettrait non seulement la réduction des inégalités salariales entre les femmes et les hommes, mais aussi une meilleure reconnaissance des compétences mobilisées dans les métiers qu’elles occupent – métiers du soin, de l’aide à la personne et du commerce de détail –, pour lesquels la rémunération au Smic prédomine.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste votera contre la proposition du Rassemblement National.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il est nécessaire et urgent que les salaires augmentent, mais vous ne nous ferez pas croire que c’est une vraie préoccupation pour le Rassemblement National. Ça ne l’a jamais été. Vous avez encouragé le contournement du salaire cet été, vous avez refusé l’augmentation du Smic. En septembre 2021, Marine Le Pen s’opposait à une augmentation des salaires, en expliquant : « augmenter les salaires, c’est faire peser une charge sur des entreprises qui sont dans de grandes difficultés économiques ». Et quelle en est la cause, selon elle ? L’immigration. Tout vous ramène à vos sinistres obsessions.

La proposition que vous nous faites est une tentative d’imposture, une arnaque. Elle est au mieux inopérante. En réalité, vous fondez cette supposée augmentation sur l’exonération de cotisations sociales. Vous participez en cela à la foire aux exonérations sociales. Ce que vous donneriez d’une main, vous le reprendriez de l’autre, en amputant la sécurité sociale de ressources qui nous permettent de nous assurer face aux risques et de financer nos retraites.

Vous choisissez de ne pas toucher au capital, vous le choyez. Or, précisément, il faut s’attaquer au capital pour faire gagner celles et ceux qui travaillent. Vous dédouanez l’employeur de sa responsabilité et votre numéro d’illusionniste va jusqu’à exonérer, sans prêter attention au chiffre d’affaires réalisé. Bien entendu, un tel mécanisme, par lequel l’État se substitue à l’employeur, biaise le rapport de forces dans l’entreprise, au détriment des salariés. C’est une augmentation de salaire financée par l’impôt et, bien sûr, c’est une charge. Où sont les ressources compensatoires ? À ce titre, il est d’ailleurs intéressant de noter que l’exposé des motifs considère que les dernières augmentations de salaires conquises sont des hausses de salaires arbitraires et unilatérales.

Non seulement cette proposition ne permettra pas une revalorisation significative des salaires, mais elle risque en plus d’entraver les négociations salariales et d’affaiblir les rapports de forces qui se créent dans les entreprises. Elle ne résoudra pas les inégalités, notamment entre les femmes et les hommes.

Nous continuerons donc à défendre nos propositions, par exemple une augmentation du Smic, une grande conférence sur les salaires, une échelle mobile des salaires, une révision des grilles de qualifications et de rémunérations ou encore une limitation des écarts de salaires dans l’entreprise. Mais nous ne soutiendrons pas une proposition, mal ficelée et qui est à côté de la plaque.

M. le rapporteur. Vous ne nous ferez pas croire que l’augmentation des salaires est une vraie préoccupation pour le Rassemblement National, avez-vous dit, monsieur Dharréville. Qu’est-ce que vous en savez ? On ne se connaît pas ! C’est un procès d’intention. Cette proposition de loi vise précisément à augmenter les salaires. C’est factuel et vous n’avez pas à juger de la sincérité de l’intention.

Monsieur Ferracci, oui, ce texte visant à favoriser et inciter les entreprises à augmenter les salaires nets de 10 % en dit long sur le projet de Marine Le Pen et du Rassemblement National.

Monsieur Clouet, vous prétendez que notre proposition de loi vise à favoriser les plus riches. Non, justement, puisqu’on exclut les 10 % les plus riches. S’agissant de la hausse du Smic, j’ai expliqué dans mon intervention pourquoi nous avions, effectivement, voté contre. Mais, en l’occurrence, le Smic serait porté quasiment à 1 500 euros, puisque l’augmentation s’ajouterait à l’indexation sur l’inflation. Vous prenez ensuite l’exemple d’une personne qui gagnerait 4 500 euros et qui serait, « le grand gagnant » de notre dispositif. C’est faux et impossible, puisque celui-ci ne s’appliquerait qu’aux salaires n’excédant pas 3 900 euros.

Madame Valentin, concernant la double comptabilité, j’entends votre argument. Simplement, je rappelle qu’il s’agit d’une mesure temporaire.

Monsieur Vigier, nous ne contraignons personne. Notre mécanisme est proposé aux entreprises, sans la moindre contrainte.

Article 1er : Exonération de cotisations sociales patronales applicable à une majoration salariale d’au moins 10 % jusqu’à trois Smic

Amendements de suppression AS1 de M. Joël Aviragnet, AS3 de M. Hadrien Clouet, AS18 de Mme Marie-Charlotte Garin et AS21 de M. Marc Ferracci.

M. Joël Aviragnet (SOC). Cette proposition de loi est à l’opposé de notre philosophie sur le pouvoir d’achat, puisque nous défendons un travail digne et émancipateur pour toutes et tous, porteur de sens et qui n’abîme pas.

Il ne faut pas octroyer des primes et des chèques ou « favoriser et inciter » les entreprises à augmenter leurs salariés, comme vous le proposez, mais augmenter les salaires, en commençant par le Smic, et organiser une conférence nationale sur les salaires.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Il y a un énorme point commun entre le programme des macronistes et celui du Rassemblement National : aucun des deux ne contient les mots « bénéfices », « dividendes », « profits » ou « inégalités ». Et ces mots ne figurent pas davantage dans cette proposition de loi.

Le journal Les Échos de notre ami Bernard Arnault annonçait il y a quelques semaines que les entreprises françaises du CAC40 avaient versé 44 milliards de dividendes au deuxième trimestre, battant un nouveau record. Voilà où on peut trouver de l’argent, si on veut augmenter les salaires, mais ce n’est pas du tout ce que vous proposez. De même, d’après l’Insee, le taux de marges des entreprises n’a jamais été aussi élevé, mais vous n’en dites rien.

Votre proposition n’a rien de nouveau. Cela fait quarante ans qu’on allège les charges et qu’on multiplie les exonérations ; cela fait quarante ans que la droite et qu’une partie de la gauche le font. Vous vous présentez comme un parti neuf, mais vous ne faites que de l’ancien.

Les entreprises ont reçu 160 milliards d’euros de subventions, de baisses de cotisations et d’allégements. Et on continue d’avoir un chômage de masse et des salaires qui stagnent. Quand allez-vous proposer l’indexation des salaires sur l’inflation ? Quand allez‑vous proposer de relever nettement le salaire minimum ? Le Président de la République s’est plu à rappeler que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Quand ces mots deviendront-ils réalité ? Il n’y a pas l’embryon de cela dans votre proposition de loi, ni dans votre programme.

Nous défendons donc l’amendement AS3.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous voulez que les hausses de salaires soient supportées, non par les entreprises, mais par l’État. En tout état de cause, les cotisations manquantes devront être payées : vous voulez qu’elles le soient par les contribuables, plutôt que par les employeurs. Notre système de sécurité sociale est en effet en déficit de cotisations. Or, pour financer ce déficit, l’État a recours à l’emprunt, qui creuse l’endettement du pays, et que le contribuable français paye via les impôts et les taxes.

Rappelons que cette politique d’allégements, commencée dans les années 1990 et unifiée sous le régime du dispositif « Fillon » en 2005, a déjà été considérablement renforcée ces dernières années par l’intégration aux allégements généraux des baisses de cotisations héritières du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et des mesures du pacte de responsabilité, pour un montant qui dépasse 30 milliards d’euros. Au total, les régimes obligatoires de sécurité sociale ont perdu 62 milliards de recettes. L’article 1er aurait pour effet d’accroître encore cette somme, ce qui serait inacceptable. Enfin, le dispositif proposé est injuste, parce qu’il ne cible pas les petites entreprises, qui auraient pourtant besoin d’un coup de pouce de la part de l’État.

M. Marc Ferracci (RE). La mesure que vous proposez serait totalement inefficace et créerait des effets d’aubaine. Les minima conventionnels étant revalorisés très régulièrement, leur progression absorbera très vite l’augmentation de 10 % censée faire l’objet d’une exemption.

Les revalorisations successives du Smic, qui atteignent 8 % sur un an, ont des répercussions sur toute la grille des salaires, en tout cas jusqu’à deux Smic. Les salaires progressent sans qu’il soit nécessaire d’accorder des exonérations de charges aux entreprises. Enfin, en prévoyant la signature d’une convention d’entreprise, vous favorisez les grandes entreprises, car chacun sait que la représentation syndicale y est beaucoup plus forte que dans les petites.

M. le rapporteur. Je suis évidemment défavorable à ces amendements de suppression.

Monsieur Ruffin, j’entends votre cri du cœur en faveur d’une augmentation des salaires. Vos propos sont souvent d’une grande justesse, mais vous ne pouvez pas dire que les programmes économiques d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen sont identiques : ce n’est pas honnête intellectuellement. Pourquoi demandez-vous la suppression de l’article 1er ? Il ne va peut-être pas assez loin, mais il va dans votre sens, et il vaudrait mieux continuer d’en débattre pour l’améliorer.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Dans leur exposé sommaire, les socialistes ont inscrit ce qu’ils appellent leur « mantra ». Je rappelle qu’un mantra est une formule qui n’a pas forcément de sens, mais que l’on répète pour divertir l’esprit. Cette définition convient parfaitement aux critiques formulées contre cette proposition de loi. Il faut quand même oser dire qu’une augmentation des salaires de 10 % – la plus grosse augmentation depuis 1968 ! – ne va pas améliorer la dignité du travail. Monsieur Ruffin, vous semblez avoir oublié que vous êtes l’allié des partis qui ont fait la moitié des exonérations que vous condamnez. Les exonérations que nous proposons seront accordées sous certaines conditions : c’est ce que vous avez toujours demandé. Nous sommes élus dans le même département : je ne sais pas comment vous allez pouvoir dire aux gens de la Somme qu’une augmentation de 10 %, ce n’est pas grand-chose, surtout après avoir répété qu’il vaut toujours mieux ramener quelque chose que rien du tout. La mauvaise foi vous aveugle, et c’est dommage. Par ailleurs, il est parfaitement grotesque que la majorité reprenne contre nous les critiques que la gauche avait formulées cet été contre la prime Macron.

Dans ce débat, il y a ceux qui veulent sincèrement essayer de faire progresser le pouvoir d’achat et ceux qui s’y opposent pour des raisons politiciennes et idéologiques. Il est dommage que Pierre Dharréville n’ait pas défendu son amendement, qui n’avait pas d’exposé des motifs. Il est contre, parce qu’il est contre : au moins, il y a là une forme de sincérité ! Contrairement aux macronistes, nous ne pensons pas être parfaits : nous attendons du débat parlementaire qu’il améliore notre proposition. Et vous, vous refusez de débattre.

Tout le monde veut augmenter les salaires, mais personne ne propose rien, à part l’augmentation habituelle du Smic, qui est unilatérale et que beaucoup d’entreprises ne peuvent pas absorber. Ce n’est pas en faisant croire que M. Bernard Arnault va payer les salaires des PME et des TPE françaises que vous allez améliorer le pouvoir d’achat des gens. Au repas de Noël, les gens auront au moins la certitude que les seuls qui font de vraies propositions pour augmenter les salaires, ce sont les élus du Rassemblement National.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Je maintiens que le point commun entre le programme de Marine Le Pen et celui d’Emmanuel Macron – qui est aussi un point aveugle –, c’est le refus de voir que, depuis les années 1980, il y a eu un basculement de 10 points de la valeur ajoutée du travail vers le capital. Dans les années 1980, on travaillait une semaine par an pour les actionnaires ; aujourd’hui, c’est quatre semaines. Or le mot « actionnaires » était absent du programme de Marine Le Pen comme de celui d’Emmanuel Macron. Et il l’est également de votre proposition de loi.

Je ne vois pas en quoi prendre 10 points de cotisations retraite aux salariés pour leur donner un peu plus de pouvoir d’achat dans l’immédiat est une bonne chose pour eux. Je comprends que c’est une façon de faire face à l’urgence, mais il est urgent aussi de rétablir un équilibre entre le travail et le capital, et cela reste votre point aveugle. Encore une fois, ce que vous proposez n’a rien de neuf. Vous vous inscrivez dans une tradition vieille de quarante ans, que ma collègue a bien rappelée : allégements Fillon, CICE, pacte de responsabilité. Je suis un peu navré qu’un mouvement qui se dit neuf propose une politique aussi usée et à bout de souffle.

Si je me bagarre pour obtenir l’indexation des salaires sur l’inflation, c’est parce que c’est au moment où on l’a supprimée, dans les années 1980, que la part du travail dans la valeur ajoutée a chuté. Il faut que tous les salaires, et pas seulement le Smic, soient liés à l’inflation. Avec une inflation à 7 ou 8 %, il faut augmenter tous les salaires de 8 %, au moins jusqu’à 2 000 ou 2 500 euros par mois.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Je voterai évidemment ces amendements de suppression. Ce que le Rassemblement National nous présente comme une solution miracle consiste en réalité à financer l’augmentation des salaires grâce à la sécurité sociale. On l’a fait pour les aides à domicile, avec l’avenant 43, mais c’était le résultat d’une négociation avec les partenaires sociaux et il s’agit d’un secteur non lucratif. Demander à la sécurité sociale de financer des hausses de salaire dans des secteurs très lucratifs, à l’aveugle, cela n’a pas de sens. Nous ne vous avons pas attendus non plus pour baisser les cotisations patronales : c’est ce qui a relancé l’emploi et on peut s’en féliciter.

M. Yannick Neuder (LR). Nos échanges ne reflètent pas vraiment les préoccupations de nos concitoyens. Les chefs d’entreprise gèrent leur entreprise comme ils le souhaitent : il faut donc tenir compte de leur volonté, mais aussi de leurs possibilités.

J’ai été sollicité hier par le dirigeant d’une entreprise de BTP. Il doit faire face à la hausse du prix du béton et du ciment – 12 % en 2022 et probablement 22 % en 2023 – et rembourser son prêt garanti par l’État (PGE). Il n’est pas en position d’augmenter les salaires : on pourra l’envisager quand l’activité économique sera revenue. Pour l’heure, les entreprises de ma circonscription, dans l’Isère, se battent pour maintenir l’emploi, rembourser leur PGE et faire face à l’augmentation du prix des matériaux, même si elles ont bien conscience qu’il faut augmenter le pouvoir d’achat de leurs salariés. Votre proposition ne me paraît pas très réaliste. J’en profite pour signaler que beaucoup d’entreprises souhaiteraient disposer d’un délai pour rembourser leur PGE

M. Philippe Vigier (Dem). Nous voterons l’amendement de suppression de Marc Ferracci, parce que l’article 1er ne nous paraît pas opérationnel. S’agissant des PGE, nous avons déjà su faire preuve de souplesse en étalant leur délai de remboursement. Compte tenu de l’augmentation du prix de l’énergie, nous serons sans doute amenés à prendre de nouvelles dispositions en ce sens. Les petites entreprises doivent effectivement faire face à bien des contraintes ; leur en imposer d’autres pourrait être très destructeur.

Ce que vous proposez ne fonctionnera pas. Nous sommes favorables au partage de la valeur, je l’ai dit, mais nous pensons qu’il doit passer par la participation, les dividendes et l’intéressement.

M. François Gernigon (HOR). Les salaires ont déjà tendance à augmenter et il faut éviter la surenchère. Avec la pénurie de personnel, les entreprises qui en ont les moyens proposent déjà, pour débaucher des salariés, des augmentations de salaire assez substantielles. Certaines donnent même une prime à leurs salariés au bout de six mois pour les retenir. Votre proposition accentuerait cette tendance et la concurrence entre les entreprises qui peuvent accorder des augmentations de salaires et celles qui ne le peuvent pas. Les petites entreprises risquent de se retrouver en difficulté.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Mon intervention dans la discussion générale valait défense de mon amendement AS23. Nous ne partageons pas la vision sociale qui découle de cette proposition de loi et nous ne croyons pas que le Rassemblement National défende un projet de progrès social, bien au contraire. Il n’y a rien à amender dans cette proposition en bois : nous demandons sa suppression.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS4, AS5 et AS6 de M. Hadrien Clouet ainsi que les amendements AS25 et AS26 du rapporteur tombent.

Après l’article 1er

Amendement AS15 de M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cette discussion aura au moins permis de clarifier les choses. À Noël, M. Tanguy pourra expliquer qu’il ne veut pas faire payer Bernard Arnault – puisque c’est l’exemple qui a été pris – et que les projets « sociaux » du Rassemblement national ont vocation à accroître les périls qui pèsent sur les caisses d’assurance vieillesse pour accélérer le projet gouvernemental de report de l’âge du départ à la retraite.

Vous avez dit que les 10 % les plus riches sont exclus de cette mesure : encore heureux ! Mais cela signifie qu’elle concerne 90 % de la population. Cela pose un problème de priorité sociale. Un cadre qui gagne 4 000 euros par mois n’a pas besoin de primes, mais de sécurité pour sa retraite et sa protection sociale.

Par ailleurs, le Smic sera revalorisé au 1er janvier 2023. Votre proposition de loi, si elle était votée, s’appliquerait donc bien à des salaires supérieurs à 4 000 euros dès le mois de janvier, et l’on attendrait probablement 4 500 euros au bout de cinq ans.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des politiques menées depuis quarante ans : le gel des cotisations patronales vieillesse en 1979, des cotisations santé en 1984, des cotisations patronales à l’assurance chômage en 1993, des cotisations salariales deux ans plus tard, puis les exonérations Juppé 1, Juppé 2, De Robien, Fillon 1 et Fillon 2. Je pense que l’on peut s’arrêter avant l’exonération Bentz !

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). C’est la première fois, je le répète, qu’une exonération est conditionnée. Cela vous dérange que la moitié de votre alliance électorale ait introduit la plus grosse exonération de cotisations sans aucune condition. Et cette exonération a été transformée par la macronie, qui critique ses propres dispositifs : tout cela n’a aucun sens.

Monsieur Ruffin, si vous croyez qu’il n’y a pas de critique de la finance dans le programme de Marine Le Pen, c’est que vous ne l’avez pas lu. Vous devriez écouter ce que nous disons en commission des finances, au lieu de faire des montages vidéo mensongers en tronquant mes propos. C’est moi qui, le premier, ai proposé une taxe sur les sur-rachats d’actions, une taxe sur les sur-dividendes et une taxe sur les sur-profits, dans le cadre de la mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières. Le Modem a ensuite repris cette idée, mais il faut rendre à César – en l’occurrence, au camp national – ce qui est à César.

Sur France Inter, vous dites régulièrement que le Rassemblement national, a été le premier, dans les années 1980, à analyser les conséquences de la mondialisation et de la transformation d’une économie productive en une économie spéculative. Soyez cohérent et ne dites pas ici le contraire de ce que vous dites à vos amis de Radio France.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur Tanguy, vous n’étiez pas encore là, que je déposais déjà une proposition de loi sur la taxation des transactions financières. J’ai siégé pendant treize ans en commission des finances et je travaillais déjà sur ces questions, il y a six ans, avec Charles de Courson.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Ne croyez pas que je vous méprise : je connais votre intelligence et je suis convaincu que vous parviendrez à modifier artificiellement et superficiellement le contenu de votre programme. Mais, à l’heure qu’il est, le programme de Marine Le Pen ne parle ni des actionnaires ni des dividendes, pas plus que celui d’Emmanuel Macron. Si l’on ne voit pas que le capital se gave devant quarante ans sur le dos des salariés, il n’y a pas grand-chose à aller gratter. Vous n’avez pas intégré cette dimension du capital contre le travail. Je crains que vous ayez l’intelligence de le faire à l’avenir mais, pour l’heure, ce n’est pas le cas.

Je suis sans doute l’un des rares à avoir lu le programme du Front national depuis sa fondation en 1972. Dans les années 1980, vous étiez plus libéraux que Chirac, que Thatcher et que Reagan. Vous adoriez l’Europe, parce qu’elle était libérale et qu’elle était un rempart contre le bolchevisme. Dans les années 1990, vous avez opéré un grand retournement et êtes apparus comme protectionnistes et répondant à une demande de protection des classes populaires. Vous avez eu un temps d’avance sur nous. Nous allons le rattraper.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS12 de M. Hadrien Clouet

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Maintenant que l’on a supprimé ce qu’il y a de plus néfaste dans ce texte, à savoir son contenu, je propose d’y mettre des choses plus utiles et intéressantes. Il pourrait constituer un point d’appui pour le monde du travail et pour les organisations professionnelles : il faut négocier des hausses de salaires effectives, et non des primes Macron bis, plus ou moins élégamment dissimulées.

Je vous suggère de transformer totalement ce texte et d’en faire l’exact inverse de ce pour quoi il a été pensé : il convient d’ouvrir des négociations de branches pour augmenter les salaires. Ces augmentations doivent concerner aussi bien la part nette que la part brute, afin de financer les caisses d’assurance vieillesse et, ainsi, d’empêcher le projet de Mme Borne de repousser l’âge de départ à la retraite.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous débattons d’une proposition de loi du groupe Rassemblement national : il est gênant que vous fassiez systématiquement le lien avec le programme du Président de la République.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous essayez d’introduire des éléments de votre programme dans une proposition de loi du Rassemblement national que vous avez vidée de sa substance, puisque vous avez supprimé son article 1er. Cela n’a aucun sens.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je confirme qu’il s’agit bien de supprimer votre texte et d’en proposer un autre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS11 de M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Si l’on prend en compte le taux mensuel, la France est maintenant l’un des pays d’Europe où l’inflation augmente le plus vite. Les Français ont de plus en plus de difficultés à tenir leurs engagements, à rembourser leurs crédits, à faire leurs courses, à préparer le réveillon et les vacances de Noël – pour ceux qui ont la chance d’en avoir. Nous demandons l’indexation de tous les salaires du secteur privé sur les prix, afin de garantir le pouvoir d’achat des Français. Il faut une augmentation des salaires nets et bruts, afin de subventionner le régime de la sécurité sociale. Même s’il s’agit d’une proposition de loi du Rassemblement national, nous pensons à nos caisses de retraite, mises en péril par le projet de loi gouvernemental qui sera déposé en janvier.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). M. Clouet n’a pas bien lu son propre amendement : il ne demande pas l’indexation sur l’inflation de tous les salaires, mais de ceux allant jusqu’à trois fois le Smic. C’est le seuil que nous avons retenu et sur lequel il crache depuis le début de l’examen du texte. Du reste, retenir ce seuil relève du bon sens, puisque c’est celui qui permet de prendre en compte l’ensemble des classes moyennes, y compris les classes moyennes supérieures. Cela me donne l’occasion de répondre à ceux qui prétendent que l’on est très riche quand on gagne 4 000 euros. C’est déjà ce qu’avait dit M. Hollande et c’est ce qui pousse souvent l’alliance de gauche à s’en prendre aux classes moyennes. Quand on gagne 4 000 euros, on n’est pas riche. On a un revenu qui permet de contribuer à la société d’une manière différente. Dans l’esprit du Conseil national de la Résistance, les classes moyennes supérieures avaient droit à un certain nombre de prestations, notamment familiales, parce qu’il fallait créer de la solidarité entre les classes.

Le problème de la NUPES, c’est qu’elle passe son temps à briser la solidarité entre les classes moyennes et les classes populaires. Or ce que l’on sait depuis les gilets jaunes, c’est que le seul moyen d’avoir des acquis sociaux d’envergure dans notre pays, c’est l’union des classes moyennes et des classes populaires : c’est comme cela que l’on peut battre l’oligarchie, c’est comme cela que l’on peut battre la finance. Vous êtes les idiots utiles du grand capital. (Exclamations parmi les membres du groupe LFI - NUPES).

Mme la présidente Fadila Khattabi. On n’insulte pas ses collègues !

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). C’est une expression historique qui est parfaitement identifiable : je vous renvoie aux livres d’histoire. Vous êtes les « bip » utiles du grand capital, qui passe son temps à diviser les classes populaires et les classes moyennes pour ne pas affronter la démocratie, laquelle veut de la justice sociale et de la justice fiscale – ce qui suppose de réunir les gens.

M. Didier Le Gac (RE). Monsieur Clouet, avec un taux de 7,1 % la France est le pays d’Europe où l’inflation est la plus faible. Elle atteint 7,3 % en Espagne, 7,4 % à Malte, 11,6 % en Allemagne, 12,6 % en Italie et même 21,9 % en Hongrie. Et si l’inflation est aussi faible en France, c’est grâce aux mesures que nous avons prises, notamment cet été, ne vous en déplaise.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). J’aimerais revenir sur les « bip » utiles du grand capital. Premièrement, je pense effectivement que les personnes qui touchent 4 000 euros par mois gagnent bien leur vie et que ce ne sont pas les publics prioritaires des politiques sociales. Deuxièmement, je vous invite à faire la différence entre « augmenter » et « indexer ». Troisièmement, le fait de ne pas indexer les salaires les plus élevés sur l’inflation permet de réduire les inégalités, et c’est une priorité.

S’agissant, enfin, de l’inflation, je déplore que vous fassiez une confusion entre le taux annuel et le taux mensuel, alors que j’avais fait la distinction entre les deux. En novembre 2022, l’inflation a atteint 0,5 % en France, contre -0,9 % en Belgique, 0 % en Allemagne, 0,2 % en Irlande, -0,1 % en Grèce, -0,5 % en Espagne, -0,2 % à Chypre, etc. Ce sont des données d’Eurostat qui ont été publiées le 1er décembre.

M. le rapporteur. Monsieur Clouet, vous dites que cette mesure va s’appliquer à des salaires de 4 000 euros. Pardonnez-moi, mais vous vous trompez. Un salaire correspondant à trois Smic, c’est 3 987 euros : c’est moins de 4 000 euros.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS24 de M. Christophe Bentz.

M. le rapporteur. Afin d’assurer la pleine efficacité de la mesure d’exonération sur la majoration salariale d’au moins 10 %, il est proposé que le Gouvernement évalue ses effets, compte tenu du régime actuel de cotisations patronales, ainsi que ses éventuelles limites, en particulier les effets de seuils, et des pistes pour les prévenir.

M. Marc Ferracci (RE). Votre amendement montre que cette proposition, qui figurait dans le programme de Marine Le Pen, n’a fait l’objet d’aucune préparation, ni d’aucune étude d’impact. Il montre que vous n’avez pas réfléchi à la manière de l’articuler avec l’ensemble de notre système de prélèvements et d’exonérations de charges. Il montre, enfin, que les propositions qui figurent dans le programme de Marine Le Pen ne sont pas destinées à améliorer le quotidien des Français, mais qu’elles sont purement démagogiques et jouent sur les émotions des gens.

M. Philippe Vigier (DEM). Cet amendement est un aveu d’impuissance, puisque vous reconnaissez que votre proposition pourrait avoir un effet de seuils et que vous doutez de la pertinence de votre dispositif. Je n’arrive pas à croire que vous n’ayez pas fait d’étude d’impact. En outre, alors que ce texte est d’initiative parlementaire, vous demandez un rapport au Gouvernement. Vous oubliez la séparation des pouvoirs : corriger ce texte, c’est le travail du législateur.

M. le rapporteur. Il est vrai que je n’ai pas eu le temps de faire une étude d’impact en cinq jours. Demander une telle évaluation est habituel, si ce n’est systématique : je ne vois pas pourquoi on s’en émeut particulièrement aujourd’hui. C’est un simple principe de précaution.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Cet amendement montre ce que serait un gouvernement mariniste, par opposition à la macronie et à ceux qui gouvernent depuis un certain temps. Nous, nous ne sommes pas vaniteux : nous croyons au dialogue et au débat. Nous pensons que toute proposition, d’où qu’elle vienne, peut être améliorée et que toute idée, même la meilleure, a forcément des limites. Personne ne sort, tout armé et casqué, de la cuisse de Jupiter. Le but d’un parlement, c’est de parler, de débattre, pour améliorer les propositions qui sont faites. Nous sommes souvent taxés d’extrémisme, pour des raisons politiciennes, mais vous, vous êtes l’extrême centre : vous êtes convaincus de votre propre perfection.

M. Marc Ferracci (RE). Monsieur Tanguy, vous vous écartez du sujet, parce que cette proposition de loi n’a aucun sens. Tous les arguments venus de la gauche et de la majorité l’ont bien montré. Vous nous faites le coup de l’absence de débat ou de réflexion, voire de l’absence de considération pour le Parlement. Ce qui a inspiré cette proposition de loi, c’est la démagogie ; sa présentation relève de l’amateurisme et votre argumentation, de la prestidigitation. Revenons au fond : les arguments échangés se suffisent à eux-mêmes et montrent que rien ne justifie d’engager des deniers publics – parce qu’un rapport coûte de l’argent public – pour établir des faits que la représentation nationale a parfaitement établis au sein de cette commission.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur le rapporteur, vous avez dit que vous n’aviez pas pu faire une étude d’impact « en cinq jours ». Je n’ose pas imaginer que vous avez écrit un programme présidentiel sans avoir fait en amont un travail de fond : cela m’inquiète beaucoup.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS14 de M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Il a pour objet la remise d’un rapport évaluant le coût de l’ensemble des dispositifs d’exonération de cotisations sociales, estimé à 65 milliards d’euros, et mesurant leurs conséquences.

Par ailleurs, le SMIC sera réévalué au 1er janvier, atteignant 1 353 euros net par mois, soit 4 059 euros pour trois SMIC. Cette proposition de loi dépasserait donc les 4 000 euros le jour même de son entrée en vigueur. De plus, le dispositif proposé est censé expirer dans cinq ans. Or, au rythme des revalorisations des dernières années, le SMIC dépassera 1 550 euros dans cinq ans. Cette mesure s’appliquera donc bien à des salaires supérieurs à 4 500 euros. Je me tiens à votre disposition pour de plus amples démonstrations mathématiques sur ce point.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Il ne vous aura pas échappé que j’ai déposé deux amendements, le premier pour repousser la date d’entrée en vigueur au 1er juillet et le second fixant la durée de ce dispositif à trois ans au lieu de cinq, mais que ceux-ci sont tombés du fait de la suppression de l’article 1er.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Compensation de la perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale

Amendements de suppression AS2 de M. Joël Aviragnet, AS16 de M. Hadrien Clouet et AS22 de M. Marc Ferracci.

M. Joël Aviragnet (SOC). Les raisons sont les mêmes que celles avancées à l’article 1er. Je le répète : « Il n’y a pas de valeur travail sans travail de valeur, c’est notre mantra ! » Je comprends que cela soit difficile à admettre, monsieur Tanguy, mais c’est ainsi !

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). À nos yeux, le travail est rémunéré par un salaire, qui a une composante nette et une composante brute. Cette dernière est d’intérêt collectif et doit être préservée car nos régimes de sécurité sociale en dépendent, notamment la retraite. Nous souhaitons donc que ce texte ne soit pas adopté.

M. Marc Ferracci (RE). Mon amendement vise à supprimer l’article de gage, qui est la contrepartie de ce qui était prévu à l’article 1er, lequel a été supprimé.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ce débat me rappelle François Mitterrand, qui disait que, lorsqu’il voulait piéger ses adversaires politiques, il n’avait qu’à creuser un trou : ses adversaires se chargeaient d’y installer les piques.

M. Marc Ferracci (RE). C’est ubuesque. Si vous prévoyez un gage pour compenser les pertes de recettes causées par l’article 1er, c’est bien que vous estimez que ce dispositif sera coûteux pour les finances publiques. Vous êtes défavorable à la suppression de l’article de gage alors que nous avons supprimé l’article 1er : où est la cohérence ?

M. le rapporteur. J’aurais aimé que nous débattions davantage du fond plutôt que d’entendre des arguments de ce niveau. L’avis est défavorable par principe : nous n’allons pas passer trois heures à justifier ceci ou cela, cela n’a pas d’intérêt.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

La réunion, suspendue à onze heures cinquante, reprend à douze heures

La commission examine la proposition de loi visant à étendre le droit de visite des parlementaires et parlementaires européens élus en France aux établissements sociaux et médicosociaux ( 553) (Mme Laure Lavalette, rapporteure).

Mme Laure Lavalette, rapporteure. Il y a quelques mois, l’Assemblée nationale, dans cette même salle, entendait le témoignage du journaliste Victor Castanet, qui revenait sur les mois d’enquête qu’il avait menés au sein du groupe Orpea, gestionnaire de centaines d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans notre pays. Vous entendiez, médusés, les réponses des dirigeants de ce groupe, minimisant ce qui, très vite et à juste titre, a été qualifié de scandale.

En tant que parlementaires, vous vous êtes immédiatement emparé du sujet, soutenant de nombreuses propositions, dont celle que je défends aujourd’hui. Celle-ci pourrait être mise en œuvre très simplement, très rapidement, ne coûte pas un centime et ne se substitue à personne. Elle n’aura pas non plus besoin d’attendre la prise de décrets pour s’appliquer pleinement. Cette proposition, c’est le droit de visite des parlementaires dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux, sans préavis.

Comme représentants de la nation, nous sommes, vous êtes, souvent les premiers sollicités en cas de signalement de situations dangereuses, tant dans les Ehpad que dans les foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Nous jouons un rôle très particulier d’interface entre des familles désemparées, qui ne savent plus vers qui se tourner, et les autorités locales compétentes pour agir, que nous connaissons bien du fait de notre mandat.

Je tiens évidemment, d’emblée, à vous dire que cette proposition ne vise pas à exonérer ces autorités, notamment les conseils départementaux et les agences régionales de santé (ARS), d’un contrôle effectif de ces établissements, voire d’un contrôle renforcé au vu des révélations de ces dernières années. Il s’agit simplement d’ajouter « un étage à la fusée », une garantie supplémentaire que le respect de la dignité est bien assuré dans ces établissements qui accueillent des personnes vulnérables.

Cette proposition de loi n’a absolument pas pour objet de jeter le discrédit sur les personnels de ces établissements, qui travaillent durement, avec professionnalisme et humanisme, dans l’immense majorité des cas. J’entends les remarques qui ont pu être faites lors des travaux préparatoires que j’ai menés, selon lesquelles mettre en lumière la mauvaise gestion de ces établissements pourrait décourager les jeunes de s’engager dans cette voie professionnelle. Et pourrait ainsi nuire à l’attractivité de ces métiers de première ligne, essentiels au bon fonctionnement de notre société. Je crois, pour ma part, que c’est l’inverse et que c’est précisément en dénonçant les abus et les manquements, parfois très graves, que nous pourrons, en quelque sorte, faire place nette et redorer l’image de ces beaux et indispensables métiers.

Ce sont d’ailleurs très souvent les professionnels eux-mêmes qui ont tiré la sonnette d’alarme quant à leurs horaires intenables, leurs salaires trop bas, les postes vacants ou les recrutements de mauvaise qualité. Ils étaient les premiers à témoigner de ce quotidien professionnel invivable lors du scandale Orpea.

Il y a consensus aujourd’hui pour dire que l’évaluation et le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux sont défaillants, au regard des enjeux de bienveillance et de bientraitance des personnes fragiles qu’ils accueillent.

S’agissant des Ehpad, la loi de 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement a commis une véritable erreur en ne permettant plus aux ARS et aux conseils départementaux de reprendre les dotations non consommées, en tant qu’autorité de contrôle et de tarification. Les éventuels excédents sont désormais laissés à la main des établissements qui, rappelons-le, ont une démarche lucrative. Résultat : des dérives parfaitement prévisibles, motivées par l’appât du gain.

Pour ce qui est du manque de personnel dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance, l’Observatoire national de la protection de l’enfance ne cesse d’alerter quant aux risques psycho-sociaux auxquels les professionnels peuvent être exposés. À la faiblesse des moyens s’ajoutent d’énormes disparités de prise en charge selon les départements. La Haute Autorité de santé (HAS) nous a ainsi alertés sur la difficulté de définir une politique de l’enfance homogène, lorsque celle-ci est décentralisée. Par exemple, la notion d’information préoccupante, qui doit conduire au signalement de la mise en danger d’un mineur auprès du département, n’est pas entendue de la même manière par tous les conseils départementaux. Par conséquent, un mineur pris en charge dans un département ne le serait peut-être pas dans un autre, à quelques kilomètres seulement. Cette disparité empêche aussi de produire une donnée nationale structurée, qui permettrait de rendre compte de la situation de l’ASE.

Qu’il s’agisse des Ehpad ou des foyers d’accueil des enfants en danger, les résidents, comme les professionnels, ne sont pas assez écoutés. Comment ne pas se sentir désarmés lorsqu’on entend certains témoignages, comme celui de l’Association parents et enfants en détresse, qui nous a dit avoir signalé à de nombreuses reprises les dérives parfois extrêmement graves subies par leurs enfants et trouvé porte close ?

Les résidents des Ehpad n’ont pas davantage leur mot à dire quant à l’organisation et au fonctionnement de ce qui, pourtant, sont leurs lieux de vie. Quand un scandale surgit, qu’est-ce qu’on entend ? Tout le monde savait. Orpea ? Tous les professionnels savaient. Alors pourquoi ne parlent-ils pas ? Parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas suffisamment entendus, parce qu’il est trop difficile de briser l’omerta.

C’est précisément pourquoi nous pensons que le regard extérieur des parlementaires, votre regard, peut permettre de briser le silence. Autoriser les parlementaires à constater, de leurs propres yeux, les dysfonctionnements des établissements sociaux et médico-sociaux ne pourra qu’apaiser les préoccupations de nos concitoyens, inquiets pour leurs proches vulnérables pris en charge dans ces établissements.

Pour ce faire, le dispositif que nous proposons est simple et s’inspire à la fois du dispositif prévu à l’article 719 du code de procédure pénale régissant le régime légal de visites de lieux de privation de liberté et de l’article L. 3222-4-1 du code de la santé publique, s’agissant des établissements psychiatriques.

Je précise qu’il ne s’agit en aucun cas de faire l’amalgame entre les établissements visés par cette proposition de loi et les lieux d’enfermement. Néanmoins, les personnes qui y vivent sont dans une situation de dépendance telle qu’elle peut les exposer à la négligence, voire, dans les cas les plus graves, à la maltraitance. Malheureusement, l’opacité qui règne parfois dans ces établissements les rend aussi fermés au public que nombre de lieux de privation de liberté.

Les débats que nous allons avoir aujourd’hui sur l’opportunité pour les députés, les sénateurs et les députés européens de se rendre dans de tels lieux ne sont pas nouveaux. Un rapport sur l’ASE, présenté par M. Ramadier et Mme Perrine Goulet, préconisait, en juillet 2019, « un droit de visite législatif dans les structures de la protection de l’enfance » au regard « des difficultés d’accès à ces lieux ». Cette proposition avait été reprise par amendement lors de la discussion du projet de loi relatif à la protection des enfants, en 2021. Le Gouvernement avait alors donné son accord pour une visite des parlementaires, annoncée dans un délai de prévenance au conseil départemental. Malheureusement, cette disposition n’a pas survécu à la navette parlementaire.

Concernant les Ehpad, une autre proposition de loi transpartisane, déposée en février 2022par Mme Christine Pires Beaune, présentait un dispositif proche de celui que nous proposons aujourd’hui et s’inspirait lui-même du dispositif existant pour les lieux de privation de liberté.

Dans le détail, nous prévoyons que les visites puissent s’effectuer à tout moment et sans préavis. Il nous semble évident que seul un contrôle inopiné permet de véritablement voir comment les choses fonctionnent dans un établissement. Nous voulons que les parlementaires découvrent la situation telle qu’elle est et non tel qu’on voudrait la leur montrer. C’est le dispositif prévu pour la visite des prisons et des établissements psychiatriques. Il est tout à fait logique de le reproduire pour les établissements de santé.

Les directeurs d’établissement ou les conseils départementaux souhaiteraient sans doute un délai de courtoisie, mais il nous semble que le risque de dissimulation de la réalité est trop grand. Sans doute ne repeint-on pas une salle de repas en piteux état en quelques jours – quoique –, mais on a, en revanche, le temps de faire revenir des éducateurs au repos ou de cacher quelques enfants pour améliorer, fictivement, le taux d’encadrement.

Nous souhaitons également que les élus puissent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte de presse, comme cela est possible pour les lieux de privation de liberté, depuis 2015. Nous pensons que c’est un progrès démocratique que la presse puisse rendre compte, en toute transparence, des dysfonctionnements de ces établissements. Nous ne serions d’ailleurs peut-être pas là aujourd’hui pour discuter de ce texte si M. Castanet n’avait pas alerté le grand public sur les agissements d’Orpea. Il nous semble normal d’aider le travail des journalistes en leur rendant l’accès à ces lieux plus faciles.

J’entends les craintes potentielles que vous pourriez nous opposer s’agissant du droit à l’image d’enfants mineurs, susceptibles d’apparaître dans des reportages. Je répondrai que le droit en vigueur est suffisamment solide pour encadrer strictement la diffusion de ces images.

Nous vous présentons, aujourd’hui, une proposition de loi consensuelle, qui répond aux préoccupations de nombre de nos concitoyens. J’espère donc qu’elle recueillera votre aval aussi largement qu’elle le mérite.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Michèle Peyron (RE). Si nous partageons le diagnostic quant à la nécessité de renforcer et de garantir le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux, nous sommes en total désaccord avec l’objectif de cette proposition de loi. En s’inspirant directement du droit de visite parlementaire au sein des lieux de privation de liberté, prévu par le code de procédure pénale, cette proposition de loi fait un parallèle avec ces structures, qui n’a absolument pas lieu d’être. Les établissements sociaux et médico-sociaux ne sont pas des lieux de privation de liberté. Je tiens d’ailleurs à saluer le dévouement de la grande majorité des professionnels, qui prennent soin de ces personnes vulnérables.

Comme l’a rappelé la HAS, associer ces établissements à des lieux de privation de liberté participerait au déficit d’attractivité de ces métiers. Par ailleurs, les déplacements d’élus et de journalistes peuvent d’ores et déjà être organisés dans ces structures, en respectant des règles strictes, garantes de l’intimité et du respect de la vie privée, en particulier des résidents dans les Ehpad et des enfants accueillis dans les établissements de la protection de l’enfance. La priorité de la majorité et du Gouvernement est de garantir le contrôle de ces établissements par des équipes formées et en nombre suffisant.

Dans le secteur du grand âge, notamment à la suite du scandale Orpea, un plan de contrôle des 7 500 Ehpad a été mis en place. À ce jour, 1 400 contrôles ont été effectués, pour quatre saisines du procureur de la République. Je regrette que vous n’ayez pas voté le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, qui prévoit des mesures fortes pour mieux encadrer et surveiller les pratiques des groupes gestionnaires d’Ehpad.

Dans le secteur de la protection de l’enfance, et notamment depuis la « loi Taquet » de février 2022, le champ de contrôle pour les professionnels et les bénévoles a été élargi. Par ailleurs, je regrette également que vous n’ayez pas voté le projet de loi de finances pour 2023, qui prévoit un renforcement des moyens humains et financiers pour ces contrôles, avec la création de trente et un équivalents temps plein (ETP) pour les services déconcentrés sociaux, et d’une vingtaine d’ETP pour les équipes territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe Renaissance s’opposeront à cette proposition de loi.

M. Lionel Tivoli (RN). Le sort des aînés dans les Ehpad et des plus jeunes dans les centres de l’ASE est préoccupant. Les professionnels de tous ces établissements ont un devoir d’assistance aux personnes âgées très dépendantes, physiquement et psychologiquement, et aux plus jeunes, tout aussi fragiles.

L’actualité récente a mis en exergue les dérives de notre système, illustrées notamment, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, par le scandale Orpea. En tant que député des Alpes-Maritimes, j’ai moi‑même été saisi de faits de maltraitance présumée dans des Ehpad de ma circonscription, ce qui m’a amené à rédiger la proposition de loi n° 431. Mais il fallait aller plus loin. C’est ce que vous avez fait avec cette proposition de loi, qui étend à la fois le droit de visite aux parlementaires européens élus en France et aux établissements sociaux et médico-sociaux.

Les personnes âgées souffrent, dans les Ehpad, de mauvaises conditions d’hébergement, de mauvaise prise en charge et de maltraitance. Les enfants, lorsqu’ils ne sont pas relogés dans des hôtels sociaux, sont les cibles de points de deal dans les foyers, tandis que les jeunes filles y sont les proies de délinquants sexuels, voire de proxénètes.

Cela ne peut plus échapper au débat parlementaire, car ces personnes vulnérables requièrent la protection de la République française. Les dérives constatées sont aussi la conséquence d’un mauvais recrutement. Le PLFSS 2023 prévoit le recrutement de 3 000 aides-soignants et infirmiers sur l’année dans les Ehpad, quand les directeurs d’établissement en demandent 20 000.

C’est pourquoi il est important et urgent d’appliquer les mesures de contrôle que vous proposez dans cette proposition de loi.

M. Yannick Neuder (LR). Cette proposition de loi du groupe Rassemblement National entend étendre le droit de visite des parlementaires et parlementaires européens élus en France aux établissements sociaux et médico-sociaux. Elle s’inscrit dans un contexte de scandales sanitaires découverts en Ehpad – comme chez Orpea – et dans les centres de l’ASE. Des scandales qui sont révoltants et dont le législateur doit, naturellement, se saisir. Toutefois, si depuis la loi du 15 juin 2000 les députés peuvent visiter les centres pénitentiaires, c’est parce qu’il s’agit de lieux de privation de liberté, ce que ne sont pas les établissements sociaux et médicaux-sociaux. Cette proposition de loi ne peut donc s’inscrire dans la continuité de cette loi.

Par ailleurs, si les centres pénitentiaires sont régis par l’État et si le législateur peut tout à fait s’y rendre, en vertu de ses missions de contrôle de l’action du Gouvernement, les établissements sociaux et médicaux-sociaux sont quant à eux gérés par les départements. Lors de l’élaboration de cette proposition de loi, avez-vous consulté l’Assemblée des départements de France (ADF) ? Les parlementaires sont peu légitimes, ou en tout cas moins que les élus départementaux, les services de contrôle des départements et les ARS, pour visiter ce genre de structures.

En outre, il est trompeur de penser que le droit de visite des parlementaires viendrait résoudre les manquements aux procédures de contrôle. Enfin, la possibilité de venir avec des journalistes apparaît peu opportune. On a le sentiment d’une proposition de loi un peu sensationnaliste, qui recherche des effets de « com ».

En revanche, je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle pourrait nuire à l’attractivité des métiers dans ces établissements. Ce serait plutôt la conséquence de l’instauration de l’âge pivot de 65 ans pour des aides-soignants qui travaillent en trois‑huit. Il ne faut pas dire tout et son contraire. Il n’est pas très honnête non plus de nous reprocher de ne pas avoir voté le PLFSS 2023, alors qu’il a été adopté grâce à l’article 49, alinéa 3.

Pour le groupe Les Républicains, il existe d’autres moyens de mieux contrôler les établissements. Nous voterons donc contre cette proposition de loi.

Mme Sandrine Josso (Dem). La proposition de loi que nous examinons ce matin fait directement écho à des demandes formulées depuis un certain nombre d’années, par des parlementaires de toutes tendances politiques. D’ailleurs, mon collègue Philippe Vigier avait déposé, au cours de la précédente législature, un amendement dans la même ligne que votre proposition de loi. Vous n’avez donc rien inventé. D’autres parlementaires avaient également, par d’autres véhicules législatifs, travaillé sur cette question. Tout avait été posé et défendu, sans succès.

Ces dernières années, de nombreuses affaires de maltraitance, de manque de moyens et de conditions d’hébergement indignes dans des foyers de l’ASE ou en Ehpad, privés et publics, ont été rapportées, notamment par voie de presse. Or ces scandales suscitent un fort émoi dans l’opinion publique et nécessitent une réponse des administrations de tutelle, mais aussi du législateur. Cela a été entrepris dans le secteur de la dépendance et de la protection de l’enfance, avec un renforcement substantiel des contrôles des diverses autorités compétentes.

Nous considérons que l’effort doit se poursuivre et monter en charge. À cette fin, il est absolument nécessaire que les moyens financiers et humains soient déployés de manière pérenne. Permettre aux parlementaires de visiter ces structures nous semble donc très opportun. Toutefois, cela nécessite un travail beaucoup plus approfondi en matière de sécurisation juridique. En effet, ces établissements accueillent des personnes fragiles, vulnérables, dont le discernement est absent ou pas encore formé. Or cette question, comme celle du consentement doit être centrale dans la construction du dispositif. Par ailleurs, la présence de journalistes ne nous semble pas souhaitable, eu égard à la protection de la vie privée des publics hébergés dans ces établissements.

Notre groupe votera donc pour ce texte, mais nous vous demandons d’être très attentifs à la sécurisation du dispositif, à l’instar de ce qui a été fait pour les visites dans les hôpitaux psychiatriques.

M. Joël Aviragnet (SOC). Les différentes commissions de l’Assemblée examinent ce matin plusieurs propositions de loi dans le cadre de la niche du Front national, pardon, du Rassemblement National – j’utilise toujours l’ancienne dénomination tant les idées et les pratiques, dangereuses pour la République et la paix sociale, restent les mêmes, année après année.

Plus de la moitié des textes inscrits dans cette niche parlementaire relève soit du plagiat en bonne et due forme, soit du copier-coller pur et simple. Nous, députés socialistes, ne pouvons pas accepter la piraterie parlementaire. Quand nous soumettons un texte législatif au débat, il a été travaillé, pensé et écrit pendant plusieurs mois, parfois plusieurs années. Nous auditionnons tous les acteurs concernés, les citoyens, les élus, les experts et les professionnels, ce qui nous évite de dire n’importe quoi. Quand on entend dire qu’il y a des proxénètes dans des établissements pour enfants, on hallucine ! Si un autre parti politique à une bonne idée, nous la soutenons. Ce fut le cas pour la proposition de loi de notre collègue de droite Julien Dive, il y a deux semaines.

Que ce soit en raison de son origine ou à cause des méthodes de voyous employées par les députés du Rassemblement National, nous ne pouvons pas soutenir ce texte. Jamais nous ne discuterons avec l’extrême droite, surtout sur ces bases-là.

Jamais, contrairement à d’autres, nous ne participerons à la banalisation de votre parti et de vos idées nauséabondes, car si la devanture a été rénovée, les fondations restent les mêmes. Nous vous combattrons toujours, coûte que coûte, pour la République, pour la liberté, pour la fraternité et pour la France.

M. François Gernigon (HOR). La proposition de loi du Rassemblement National instaure un droit de visite sans préavis dans les établissements sociaux et médico-sociaux, en particulier dans les Ehpad et les foyers de l’ASE. Le groupe Horizons et apparentés réaffirme son engagement dans la lutte contre les dérives qui ont été décrites dans les médias, notamment avec l’affaire Orpea. Il a d’ailleurs formulé des propositions dans le cadre des débats sur le PLFSS 2023, afin de permettre un meilleur contrôle des Ehpad par la Cour des comptes.

L’objet de cette proposition de loi est déjà en partie satisfait. Les parlementaires ont en effet un droit d’accès à ces établissements sur simple information aux gestionnaires et départements responsables. Un droit de visite ne peut pas leur être refusé et ils peuvent venir à la rencontre des personnels et des résidents.

Quant au parallèle avec les prisons établi par le Rassemblement National, il n’est pas opportun. Les personnes concernées ne sont pas comparables, qu’il s’agisse de la vulnérabilité des résidents ou du rôle des personnels.

De même, la présence de journalistes est en décalage avec le premier objectif visé par ce texte, qui doit rester la protection et le respect de la dignité des personnes, mineures et majeures.

Mme la rapporteure a dit qu’il s’agissait d’ajouter un étage à la fusée. Mais il ne faut pas ajouter du stress pour le personnel et les cadres des établissements, qui verraient alors déambuler dans les couloirs parlementaires et journalistes.

En ce qui concerne les Ehpad, il existe toujours la possibilité d’entrer en relation avec les conseils de la vie sociale, afin d’entendre les résidents, les familles et les salariés des établissements, qui s’y expriment en toute sincérité. C’est ce que je fais dans ma circonscription. L’importance de ces enjeux appelle des réponses de fond, non démagogiques, comme celles apportées par la majorité présidentielle ces dernières années.

En conséquence, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). J’interviens au nom de mon collègue Sébastien Peytavie.

Cette proposition de loi prétend répondre aux défaillances et maltraitances gravissimes qui, répondant à une pure logique de profit, ont encore lieu dans certains établissements sociaux et médico-sociaux. Des enfants placés sont morts alors qu’ils dormaient dans des hôtels miteux, sans aucune supervision d’un adulte. Si de telles horreurs peuvent se produire, c’est parce qu’il y a un déficit grave de contrôle de ces structures et que l’action sociale manque cruellement de moyens. Les rapports se succèdent. Les abus, la maltraitance, les défaillances, nous les connaissons. Les solutions, nous les connaissons aussi. Mais les pouvoirs publics choisissent de regarder ailleurs, sauf quand un coup de projecteur met en lumière des aberrations déjà connues.

S’il convient de les contrôler avec fermeté, ces établissements sont toutefois des domiciles que l’on ne peut enfreindre, et non des lieux de privation de liberté. Même pour dénoncer des défaillances, les élus n’ont pas le droit de s’introduire dans un domicile, tout comme ils ne peuvent le faire pour lutter contre les violences conjugales ou les abus commis contre des enfants en situation de handicap hébergés en institut médico-éducatif. Imagineriez‑vous un élu entrer dans une maternité sous prétexte de venir y constater des violences gynécologiques ?

L’arrêt immédiat de toute violence est une urgence absolue. Nous ne pouvons attendre qu’un livre révèle des maltraitances dans les établissements de l’ASE pour faire de ce scandale d’État le cœur de nos préoccupations. C’est parce que cet enjeu est beaucoup trop grave qu’il ne peut se restreindre à des visites de parlementaires. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités en renforçant les instances de contrôle qualifiées et en donnant des moyens à l’action sociale.

Le groupe Écologiste s’oppose formellement à cette proposition de loi extrêmement intrusive du Rassemblement National et rappelle que la lutte contre les maltraitances institutionnelles ne peut se faire au détriment du respect de la dignité, du consentement et de la protection de la vie privée des personnes accompagnées.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je n’ai jamais été très favorable aux propositions de loi visant à étendre le droit de visite des parlementaires. L’administration a un devoir de contrôle : il faut faire fonctionner les institutions, notamment la justice. Des dérives ont été constatées dans les établissements à but lucratif et doivent faire l’objet de mesures beaucoup plus fortes que celles déjà adoptées. Toutefois, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de les mettre sur un pied d’égalité avec les lieux de privation de liberté. Ces derniers sont en effet coupés de la société de manière très radicale et les parlementaires ont non seulement un droit, mais peut-être aussi un devoir de visite.

Certains parlementaires revendiquent des pouvoirs supplémentaires, comme le droit de siéger dans diverses instances. Nous sommes sceptiques devant cette manière de concevoir notre rôle. Si nous sommes fondés à nous intéresser à tout ce qui se passe dans ces établissements et à exercer nos missions de parlementaires sans limite, je ne me sens pas pour autant bridé par la législation existante.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous passons aux questions des députés.

Mme Isabelle Valentin (LR). Je suis assez surprise par cette proposition de loi. Me rendant régulièrement dans les Ehpad ou dans les centres médico-sociaux de ma circonscription, je peux témoigner que les députés, comme la plupart des élus, y sont toujours les bienvenus. Ces établissements ont besoin de notre appui pour remédier à la faiblesse de leurs moyens, tant pour la création et la rénovation de structures que pour leur fonctionnement.

Un travail conséquent a été mené sous l’ancienne législature et des préconisations ont été faites dans de nombreux rapports, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Nous attendons désormais les projets de loi, tel celui sur l’autonomie et le grand âge.

Nous devons veiller à ne pas stigmatiser les établissements. Ce sont avant tout des lieux de vie et nous devons respecter la vie privée. Nous pouvons douter du bien-fondé de ce texte, qui se présente comme la solution face aux dérives constatées. Il est trompeur de penser que le droit de visite des parlementaires permettrait de résoudre les manquements aux procédures de contrôle. Selon moi, cette proposition de loi est très populiste. Les établissements ont besoin d’un travail de fond avec les élus, et non de sensationnalisme en présence de la presse.

M. Jean-François Rousset (RE). Quand on veut protéger les personnes, on commence par respecter leurs droits fondamentaux, notamment la liberté de protéger leur habitation, en l’occurrence leur chambre dans un Ehpad ou dans un établissement médico‑social. C’est encore plus important quand ces personnes sont en situation de handicap ou fragilisées par le grand âge. La semaine dernière, j’ai fait le tour des instituts médico‑sociaux de ma circonscription et de quelques Ehpad : les familles et les résidents que j’ai rencontrés y étaient tous très attachés. Il existe beaucoup d’autres moyens que l’inquisition pour évaluer la situation.

M. Christophe Bentz (RN). Je sais, madame la présidente, que vous tenez à la sérénité dans le déroulement des travaux de notre commission. Mais lorsque notre collègue socialiste – SFIO, devrais-je dire – affirme que les élus du Rassemblement National utilisent des « méthodes de voyou », il lance une injure grave, parce qu’un voyou est une personne qui commet des actes illégaux. Je demande à notre collègue de retirer ses propos.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je souhaite en effet que nous menions nos travaux dans la sérénité et le respect.

Mme la rapporteure. Madame la députée Peyron, vous faites un parallèle entre les centres médico‑sociaux et la prison. Or le droit de visite des parlementaires n’est pas limité aux prisons puisqu’il a été étendu en 2013 aux hôpitaux psychiatriques. De plus, je maintiens que les résidents des établissements se trouvent dans une situation de vulnérabilité et de dépendance telle qu’ils ne sont pas des pensionnaires comme les autres. Enfin, vous ne manquez pas d’humour quand vous nous reprochez de ne pas avoir voté le PLFSS car celui-ci n’a pu être débattu en raison du 49‑3 !

Monsieur Neuder, la bientraitance est une valeur transpartisane. Ce texte ne vise qu’à améliorer l’accueil de nos enfants et de nos aînés. Leur intérêt supérieur ne devrait pas donner lieu à de la politique politicienne. Quant aux élus départementaux, eux-mêmes se plaignent souvent de ne pas avoir assez d’informations.

Pour répondre au groupe Socialistes, qui nous accuse d’avoir effectué un honteux plagiat, notre dispositif diffère des précédentes propositions en ce qu’il ouvre la possibilité aux parlementaires d’être accompagnés par des journalistes. Toutefois, j’ai entendu vos craintes et je suis prête à amender mon texte. Le but n’est pas d’arriver comme des cow‑boys dans un Ehpad ou dans un service de l’ASE mais d’améliorer la situation, sans verser dans le sensationnel. Je comprends que cela fasse débat, comme ce fut le cas quand un droit de visite a été institué dans les lieux pénitentiaires. Et pourtant, il paraîtrait inconcevable aujourd’hui de revenir sur ce droit. Une de nos collègues de la majorité, Stella Dupont, s’est d’ailleurs rendue sur l’aire d’attente destinée à accueillir les migrants de l’Ocean Viking. Ce qui paraissait absurde il y a vingt ans a tout son sens aujourd’hui.

Je trouve que le groupe Horizons fait un peu l’autruche : c’est un peu facile de dire qu’un droit de visite ne changerait rien. Autant ne rien faire du tout – ce qui ne serait pas une bonne idée !

Nous n’avons jamais prétendu avoir inventé quoi que ce soit. Personne n’a la propriété intellectuelle de cette idée : la proposition de loi de Mme Pires Beaune avait du reste été cosignée par des députés émanant des différents groupes politiques. On ne peut faire plus transpartisan ! Rejeter ce texte aujourd’hui par pur dogmatisme n’est pas à la hauteur des attentes des Français. Quant à la majorité, elle n’a pas l’air d’accord avec ce qu’elle soutenait hier, mais nous commençons à en avoir l’habitude.

Monsieur Dharréville, ce qui m’a frappée pendant les auditions, c’est que l’État a une obligation de résultat. Enlever des enfants à leur famille, même quand celle-ci est toxique, est toujours un arrachement. L’État doit donc leur proposer de meilleures conditions de vie ; or, malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Nous avons tous vu le reportage de Jean‑Charles Doria sur les foyers de l’ASE : on ne peut pas dire que tout se passe très bien. Il y a évidemment des professionnels qui font leur travail avec humanité, en dépit d’horaires terribles et de salaires insuffisants. Il n’empêche qu’on ne peut pas fermer les yeux. Cette obligation de résultat pèse également sur nous, parlementaires : nous devons faire en sorte que ces établissements apportent plus aux enfants et à nos aînés que s’ils restaient dans leur famille.

S’agissant de la présence des journalistes, j’ai bien entendu vos préoccupations. Je suis prête à réfléchir avec vous à une véritable protection de la vie privée et à amender mon texte. Je vous rappelle toutefois que nous devons protéger la dignité des personnes hébergées dans ces établissements : tel est l’objet de cette proposition de loi transpartisane. La bientraitance et l’intérêt supérieur des enfants et des personnes âgées doivent être la priorité.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. À plusieurs reprises, il a été dit que les votes en commission ne comptaient pas. Or le travail que nous faisons en commission est sérieux et constructif, comme nous l’avons démontré pendant l’examen du PLFSS. Les votes en commission sont importants. Or, je le répète, vous n’avez pas voté des mesures du budget de la sécurité sociale qui renforçaient la lutte contre les fraudes commises dans les établissements.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Les votes en commission ont toute leur valeur. Le PLFSS a été adopté en commission, après débat. Je laisse chacun s’exprimer, parfois à plusieurs reprises sur le même sujet. Nos travaux se sont déroulés dans une bonne ambiance, respectueuse des uns et des autres.

M. Yannick Neuder (LR). Nous n’avons jamais dit que la commission ne débattait pas. Mais il faut rester modeste sur ce sujet puisque nous n’avons pas pu discuter de l’ensemble des articles dans l’hémicycle. Même si nous portons la parole de la commission des affaires sociales dans nos groupes, ceux-ci ont besoin d’entendre ces débats en séance.

Madame la rapporteure, nous partageons l’idée qu’il faut un meilleur contrôle. C’est un problème de forme et non pas de fond : voyons d’abord si un amendement visant à supprimer la présence de la presse est déposé, et prenons ensuite l’avis de l’ADF car l’action sociale relève de leur compétence. Les contrôles doivent être effectués par des personnes habilitées et formées – c’est d’ailleurs un problème pour les ARS et les départements lorsqu’ils recrutent. Je ne pense pas que l’on soit plus performant lorsque tout le monde s’occupe de tout. Les parlementaires font déjà beaucoup de choses et les élus départementaux peuvent remplir cette mission. Il y a besoin de revoir ce point avec les départements.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je rappelle que dans le cadre du PLFSS, la commission a voté des mesures visant à renforcer les contrôles à la suite du scandale Orpea. Des contrôleurs ont été recrutés pour mener à bien ces missions de contrôle dans les Ehpad et les établissements médico-sociaux. Nous avons été entendus.

Mme la rapporteure. La disparité entre les départements est un frein : nous devons parvenir à une harmonisation des méthodes d’évaluation. De plus, les conseils départementaux sont à la fois juges et parties : ouvrir ce droit aux parlementaires permettrait d’avoir un œil neuf.

 

Article unique : Régime légal du droit de visite des parlementaires dans les établissements sociaux et médico-sociaux

Amendements de suppression AS2 de M. Joël Aviragnet, AS3 de Mme Michèle Peyron et AS4 de M. Sébastien Peytavie.

M. Joël Aviragnet (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés a déposé, sous la précédente législature, une proposition de loi similaire mais sans le droit à l’accompagnement par des journalistes. Par cet amendement de suppression, nous souhaitons dénoncer les pratiques parlementaires, disons, inacceptables de l’extrême droite. Vous nous renvoyez à la SFIO ; de votre côté, vous renvoyez aux heures les plus sombres de notre histoire !

Mme Michèle Peyron (RE). La possibilité offerte aux parlementaires d’être accompagnés par des journalistes pourrait aboutir à des situations indécentes, dans lesquelles des personnes vulnérables seraient confrontées à une agitation de nature à les perturber sans raison valable. Nous demandons donc la suppression de cet article.

Par ailleurs, concernant la relation des parlementaires avec les départements, je précise que, dans mon département, je travaille avec la majorité Les Républicains : lorsque nous nous déplaçons, nous y allons ensemble. Je vous assure que, dans les établissements, on sait que je suis députée et qu’on ne me cache rien ! Il faut travailler ensemble dans les départements : vous arriverez à beaucoup plus de choses que vous ne le faites actuellement.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous avez mentionné plusieurs fois la question de la dignité. S’introduire dans l’intimité de personnes vulnérables, dont certaines sont venues pour des soins, et qui n’ont pas consenti à des visites de parlementaires, cela n’est pas respectueux de leur dignité et c’est inacceptable. Par l’amendement AS4, ous proposons donc la suppression de cet article.

Mme la rapporteure. Je veux vous dire, cher collègue socialiste, que, pour ma part, j’aurais voté votre proposition de loi. La différence entre nous, c’est que c’est l’intérêt supérieur des enfants et des personnes âgées qui me guide. Vous refusez de voter notre texte alors qu’il est similaire au vôtre, simplement parce que nous avons eu la même idée que vous : c’est le niveau zéro de la politique !

Madame Peyron, je pense déposer un amendement d’ici à la séance visant à supprimer la possibilité d’être accompagné par des journalistes. Beaucoup d’enfants dans ces établissements demandent qu’on les sorte de ces situations compliquées, invivables, et on sait qu’il y a une omerta : il faut arriver à lever le voile.

Par ailleurs, vous nous expliquez que vous travaillez main dans la main avec le conseil départemental LR – merci de nous confirmer que vous respectez la démocratie : c’est la bonne nouvelle de la journée ! Cela me semble bien normal. Quant à la dignité que l’on doit à ces personnes, nous voulons lever le voile sur l’omerta. Si vous avez encore un doute, je vous conseille vraiment de voir le reportage de « Zone interdite », sur M6 : cela met en perspective ce qui nous oblige.

Avis défavorable à ces trois amendements.

Mme Olga Givernet (RE). Je soutiens ces amendements de suppression. Vous avez évoqué des lieux de résidence, bien souvent choisis par les résidents et leurs familles, contrairement aux lieux de privation de liberté. Selon l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme, « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile [...] ». Votre proposition de loi porte une grave atteinte à la vie privée. C’est cela, le Rassemblement National : exposer sans préavis, dans les médias, au travers de journalistes qui se rendraient ainsi complices, la vie de personnes vulnérables. En agissant ainsi, vous affectez le lien de confiance que nous, représentants de l’Assemblée nationale, avons avec les établissements.

M. Jérôme Guedj (SOC). Ce texte est une mauvaise idée, et pas seulement parce que c’est de la piraterie parlementaire. Il n’apporte pas la bonne réponse. Établissant une analogie avec la visite en milieu carcéral et en hôpital psychiatrique, vous considérez que les Ehpad et les établissements médico-sociaux sont des lieux de privation de liberté. Vous parlez d’omerta, je ne pense pas qu’il y en ait une mais vous avez raison sur un point : il faut plus de transparence.

Dans ces établissements, il manque souvent une représentation de personnalités extérieures à l’établissement. Si le maire et le conseiller départemental peuvent siéger dans un Ehpad public, il n’en va pas de même dans une structure privée ou associative. Il conviendrait donc de créer des conseils de la vie sociale ou des conseils de surveillance dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux où les acteurs associatifs du territoire, les élus locaux et les parlementaires pourraient siéger. Nous pouvons améliorer la situation sans en passer par une mesure stigmatisante, dans le seul but de faire un coup.

Enfin, à quoi a servi le droit de visite en prison ? En quoi a-t-il changé la réalité de l’accompagnement en prison ?

Mme Maud Petit (Dem). J’entends parler de piraterie parlementaire parce que le Rassemblement National a repris une proposition de loi déjà déposée par nos collègues socialistes – laissez-moi rire ! Vous n’êtes pas les mieux placés pour donner des leçons : quand j’ai déposé ma proposition de loi contre les violences éducatives ordinaires, une sénatrice socialiste avait repris ma proposition de loi exactement dans les mêmes termes, sans aucune gêne.

Concernant les relations avec les départements, ce n’est pas parce que cela se passe bien chez les uns qu’il en va de même ailleurs. Lorsque le département du Val-de-Marne était dirigé par les communistes et les socialistes, j’avais beaucoup de mal à visiter les établissements de l’ASE ; il m’avait fallu attendre un an avant de pouvoir le faire. Depuis 2020, le département est dirigé par une majorité LR ; or elle aussi fait des pieds et des mains pour m’empêcher de faire mon travail ! Il arrive donc que cela ne marche pas avec les élus locaux, même quand on fait preuve de bonne volonté.

J’estime que l’on devrait pouvoir faire confiance aux parlementaires que nous sommes. Sans doute faut-il revenir sur la possibilité de faire ces visites en compagnie de journalistes parce que cela peut provoquer des crises, mais j’estime qu’un parlementaire doit pouvoir aller partout où se trouvent les plus fragiles d’entre nous, enfants comme personnes âgées. Pour ma part, je voterai ce texte.

M. Victor Catteau (RN). Ce débat donne lieu à beaucoup d’hypocrisie. Notre collègue socialiste souhaite la suppression de l’article unique au prétexte qu’une proposition de loi similaire avait été déposée par les socialistes. La différence entre vous et nous, c’est que nous défendons l’intérêt général : c’est parce qu’elle est d’intérêt général que nous défendons cette proposition de loi. Une fois de plus, vous vous contentez de défendre votre boutique et non l’intérêt général.

Madame Peyron, vous vous opposez à la venue des journalistes, ce qui est votre droit, mais pourquoi ne pas amender le texte pour supprimer la référence aux journalistes ?

Mme Michèle Peyron (RE). Mme la rapporteure a dit que parmi les enfants placés à l’ASE, il y avait des proxénètes. Or ces enfants sont avant tout des victimes ! Si vous connaissiez l’ASE, comme vous le prétendez, vous le sauriez !

Mme la rapporteure. Je n’ai jamais dit cela ! Si vous le pensez réellement, je vous demande de produire l’enregistrement, parce que sinon c’est de la diffamation !

Madame Givernet, je crains que votre dogmatisme ne vous rende sourde : j’ai dit que j’allais faire un pas vers mes collègues parlementaires en revenant sur la disposition autorisant l’accompagnement par des journalistes. J’ai bien compris que vous aviez envie de placer votre pique ; néanmoins, j’avais déjà répondu à votre objection.

Monsieur Guedj, je me suis également appuyée sur la mission d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur l’aide sociale à l’enfance de juillet 2019 dont le rapport constate une « absence de culture du contrôle ». Nos collègues Alain Ramadier et Perrine Goulet y écrivent que les travaux de la mission ont « révélé des difficultés d’accès aux lieux d’accueil », ajoutant qu’il « semblerait assez logique que les parlementaires disposent, à l’instar de ce que prévoit l’article 719 du code de procédure pénale sur le droit de visite dans les lieux de privatifs de liberté, d’un droit de visite législatif dans les structures de la protection de l’enfance. Ce droit serait ainsi plus facilement mis en œuvre qu’aujourd’hui, où il est conditionné à l’exercice d’un pouvoir de contrôle sur place dans le cadre d’une commission d’enquête, notamment. » C’est exactement ce que dit également Mme Petit : actuellement, il n’est pas simple pour nous de nous rendre dans ces structures.

Suivant ces préconisations, plusieurs amendements au projet de loi relatif à la protection des enfants ont été déposés. Défendus par la majorité et par une partie de l’opposition, ils autorisaient les députés et les sénateurs, ainsi que les représentants du Parlement européen élus en France, à visiter ces centres sociaux. Cependant, ces amendements n’ont pas survécu à la navette parlementaire. Ce que nous proposons n’est donc pas nouveau et nous ne pouvons pas faire comme s’il était facile d’entrer dans ces centres sociaux et médico-sociaux.

J’émets donc un avis défavorable aux trois amendements de suppression.

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’article unique est supprimé.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

 

 

La séance est levée à treize heures cinq.

 


Informations relatives à la commission

 

La commission a désigné :

 Mme Béatrice Descamps et M. Emmanuel Taché de la Pagerie rapporteurs de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales (n° 372 rectifié) ;

 M. Paul Christophe rapporteur de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à faire évoluer la formation de sage-femme (n° 370) ;

 M. Thibault Bazin corapporteur d’application de la proposition de loi visant à améliorer l’encadrement des centres de santé ;

 M. PaulAndré Colombani corapporteur d’application de la loi n° 2022-1449 du 22 novembre 2022 visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste.

 


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Présences en réunion

 

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, Mme Bénédicte Auzanot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, Mme Béatrice Descamps, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Olga Givernet, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Servane Hugues, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, M. Philippe Juvin, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, M. Sylvain Maillard, M. Matthieu Marchio, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, Mme Isabelle Valentin, M. Frédéric Valletoux, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry, Mme Caroline Yadan

Excusés.  Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Philippe Nilor, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion.  M. Jean-Philippe Tanguy, M. Lionel Tivoli