Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760)              2

– Présences en réunion.................................35

 

 

 

 

 


Lundi
26 janvier 2023

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 41

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

 


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La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission entend M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, le Conseil des ministres a adopté ce matin un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Comme il est d’usage, le texte nous est immédiatement présenté par M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation. Cette présentation sera suivie d’un échange, qui constituera la discussion générale du texte en commission. Nous prendrons tout le temps nécessaire pour cela. Lundi prochain, nous commencerons directement l’examen des articles et des amendements.

Dans ces conditions, conformément à ce qu’a décidé le bureau de notre commission au début de la législature, il m’a semblé indispensable d’augmenter significativement le temps d’intervention des orateurs des groupes, qui sera de cinq minutes chacun. Les autres députés pourront poser des questions pour une durée de deux minutes. Je ne doute pas que cela assurera des débats riches et marqués, comme toujours dans notre commission, par un juste équilibre entre libre expression des opinions et respect des convictions de chacun.

Nous examinerons le texte en commission lundi, mardi et mercredi prochains. Ce calendrier ménage un temps satisfaisant pour la rédaction des amendements, dont le délai de dépôt expire jeudi à 17 heures, et pour leur traitement par les services. Nous consacrerons trois journées à l’examen des articles à compter de lundi matin. Nous conclurons nos travaux mercredi 1er février afin de laisser le temps nécessaire à la préparation des amendements pour la séance publique, dont le délai de dépôt expire jeudi 2 février à 17 heures. La discussion dans l’hémicycle s’étendra du lundi 6 au vendredi 17 février.

Cette réforme des retraites ne vient pas de nulle part. Sans remonter à nos travaux de 2020, je rappelle que le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 fait l’objet, depuis le mois de septembre, d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales ainsi que d’échanges avec les représentants des groupes politiques des deux assemblées. Chacun a pu exprimer directement ses positions à la Première ministre et aux ministres, qui en ont tenu compte avant même le début des travaux parlementaires. Ceux-ci seront certainement l’occasion d’évolutions, d’amendements et d’améliorations.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. J’ai plaisir à vous retrouver pour la première étape de la discussion parlementaire de la réforme des retraites, à l’issue de plusieurs mois de concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques, précédés de plusieurs années de débat public, parfois enflammé.

Avec cette réforme, nous avons un objectif : garantir la promesse républicaine de préservation d’un système de retraite par répartition pérenne et solidaire. Nous sommes convaincus, et vous êtes sans doute nombreux à l’être aussi, que la retraite demeure une part majeure du patrimoine de ceux qui n’en ont pas, une forme de legs collectif participant de notre pacte social. Ce legs nous a été transmis ; par cette réforme, nous nous donnons les moyens de le transmettre à notre tour aux générations futures et de rendre cet héritage encore plus juste.

Avant d’en venir aux caractéristiques de la réforme, je veux dire un mot de la méthode. Elle est fondée sur la concertation : c’est un principe que j’ai suivi chaque fois que j’ai eu l’honneur de mener une réforme depuis 2017, animé d’une volonté d’écoute et de recherche de l’équilibre, sans méconnaître les désaccords, qui sont autant d’évidences pour assurer l’efficacité et la vertu du débat. Au fond, tout est affaire de méthode. Nous pouvons prendre acte de certaines différences et de certaines convergences, voire de consensus sur certains sujets, sans qu’il en résulte une adhésion globale à un texte donné, un soutien ni un refus.

Voici quatre ans, depuis l’examen du dernier projet de réforme, que le système de retraite est au cœur du débat. Nous avons organisé, depuis le mois d’octobre, plusieurs dizaines de réunions avec les partenaires sociaux et les forces politiques, pour passer en revue les sujets. Aujourd’hui encore, malgré les oppositions affirmées des organisations syndicales, nous maintenons un contact pour essayer d’avancer. À ce titre, je tiens à remercier les organisations syndicales, les organisations d’employeurs ainsi que les groupes parlementaires, qui ont pris part à la tradition du dialogue social et républicain. Tous ont contribué à cet échange parfois épineux, ce qui a été constructif et utile. Cette méthode de dialogue et de concertation se traduit directement dans le texte qui vous est présenté.

Ainsi certaines propositions sont-elles directement issues de travaux parlementaires.

Je pense à l’extension, adoptée lors du précédent quinquennat, de la revalorisation des pensions de retraite agricoles, à hauteur de 85 % du Smic, aux exploitants non-salariés dont la carrière est incomplète en raison d’une déclaration d’incapacité ou d’inaptitude. Je pense à l’attribution de nouveaux droits aux aidants, particulièrement chère à votre commission depuis cinq ans ; le présent texte permettra de donner suite à vos attentes, en leur offrant la possibilité de valider des trimestres de retraite.

Je pense aussi à la réparation d’erreurs du passé, souvent rassemblées sous l’appellation « contrats TUC ». Les contrats de travaux d’utilité collective (TUC) ont fait l’objet d’une mission flash menée par les députés Paul Christophe et Arthur Delaporte. Nous allons corriger l’injustice dont sont victimes certains de leurs signataires, qui fait que ces périodes d’activité ne sont pas prises en compte dans le calcul de leurs droits à la retraite. Je pense enfin à l’extension de la revalorisation du minimum contributif (MiCo) aux retraités actuels. Nous avons intégré dans le texte cette demande forte des groupes de la majorité et du groupe Les Républicains, à l’occasion de son examen par le Conseil d’État.

J’en viens aux principales caractéristiques du texte. Il vise plusieurs objectifs.

Premièrement, la réforme vise à permettre au système de retraite de revenir à l’équilibre. Je ne détaillerai pas les déficits que le président du Conseil d’orientation des retraites (COR) n’a pas manqué de vous rappeler lorsque vous l’avez auditionné. Une chose est certaine : quelles que soient les hypothèses, quelles que soient les conventions comptables, existantes ou inexistantes, quels que soient les scénarios retenus, notre système de retraite est déficitaire pour les vingt-cinq prochaines années au moins. C’est écrit en toutes lettres en page 11 du rapport du COR publié en septembre 2022.

D’après l’hypothèse centrale de ce même rapport, sur laquelle ont été fondées toutes les réformes et toutes les études, le déficit est d’ores et déjà prévu à 1,8 milliard d’euros en 2023, puis il se creusera rapidement pour atteindre 12,4 milliards d’euros en 2027, 13,5 milliards d’euros en 2030 et 25 milliards d’euros en 2040. Dire le contraire, s’enfermer dans le déni, c’est sacrifier le système de retraite par répartition, qui protège les plus fragiles et garantit la solidarité entre les générations. Dire le contraire en ne tenant compte que du poids des dépenses par rapport au produit intérieur brut et en ignorant l’évolution des recettes, donc la dégradation du solde, c’est prendre le risque de condamner notre système de retraite par répartition, transmettre aux prochaines générations le poids d’une dette dont nous avons la responsabilité, faire peu de cas du devoir qui est le nôtre de faire durer et vivre notre système de retraite.

Face à cette situation de déficit structurel, les options ne sont pas innombrables. Nous pouvons soit créer de nouveaux impôts, soit baisser les pensions et le pouvoir d’achat, soit travailler un peu plus longtemps – ce pour quoi nous avons opté. Chaque option peut être débattue. Mais le Président de la République et sa majorité ont toujours été clairs. Créer de nouveaux impôts, c’est revenir sur cinq années de baisse des prélèvements obligatoires qui ont redonné du souffle à notre compétitivité, donc à notre économie, au marché du travail et au pouvoir d’achat des Français. Baisser les pensions, c’est réduire le pouvoir d’achat des retraités, dont certains ont un niveau de vie précaire. Nous voulons faire le contraire en finançant, par la réforme, des revalorisations de pensions. Par ailleurs, laisser le déficit augmenter de plusieurs dizaines de milliards d’euros en une dizaine d’années n’est pas envisageable dans un pays endetté à hauteur de 110 % de son produit intérieur brut, de surcroît en pleine remontée des taux obligataires.

Aussi souhaitons-nous, pour assurer l’avenir du système par répartition, que ceux qui le peuvent travaillent plus longtemps. L’âge légal de départ sera progressivement relevé, de trois mois par an à compter du 1er septembre prochain, ce qui le portera à 63 ans et trois mois à la fin du quinquennat et à 64 ans en 2030.

Nous l’assumons et le revendiquons : c’est en travaillant un peu plus longtemps, à l’échelle d’une vie, que nous garantirons notre système par répartition en tenant compte de l’allongement de l’espérance de vie. Ce choix a été fait auparavant par tous nos partenaires européens et par tous les gouvernements français, quelle que soit leur couleur politique, sans qu’aucun ne revienne jamais sur les réformes de ses prédécesseurs.

Par ailleurs, ce choix symbolise l’utilité de la concertation. Comptant initialement reculer l’âge de départ en retraite à 65 ans, nous avons été convaincus de la possibilité de le reculer de deux ans seulement en accélérant la mise en œuvre de la loi dite Touraine : nous conservons le minimum de quarante-trois ans de cotisation qu’elle prévoit, mais nous en accélérons la mise en œuvre, à raison d’un trimestre par an, pour atteindre cette durée de cotisation à la fin de ce quinquennat.

Quant à l’âge d’annulation de la décote, il demeure fixé à 67 ans, quelle que soit la durée de cotisation. Chacun pourra donc bénéficier d’une retraite à taux plein trois ans après avoir atteint l’âge légal de départ, au lieu de cinq aujourd’hui. Cette diminution de la période d’application et de mise en œuvre de la décote s’appliquera à tous les modes de départ. Dans la fonction publique, l’âge de suppression de la décote sera fixé à trois ans après l’âge de départ anticipé prévu pour les catégories actives et super-actives.

Cet effort sera demandé à tous : salariés du privé, indépendants, fonctionnaires, bénéficiaires de régimes spéciaux. Il permettra de financer des mesures de justice et de progrès, de dégager des marges de manœuvre pour le retour à l’équilibre en 2030, de financer de nouveaux droits. J’ai eu l’occasion de le dire : pas un euro de cotisation vieillesse ne financera autre chose que les retraites. Des 18 milliards d’euros ainsi dégagés, les deux tiers permettront le retour à l’équilibre et un tiers financera de nouvelles mesures.

Deuxièmement, cette réforme est juste. Il s’agit de travailler plus longtemps, mais pas pour tout le monde et pas de la même manière.

Tout d’abord, nous améliorons le dispositif des carrières longues en le rendant plus juste et plus lisible. Si l’âge légal de départ en retraite sera de 64 ans en 2030, il restera à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt, avant 16 ans, et les conditions à réunir pour en bénéficier seront réduites. Ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans pourront partir en retraite à 60 ans. Il s’agit d’un nouveau palier : auparavant, ils étaient traités exactement de la même manière que ceux ayant commencé à travailler entre 18 et 20 ans ; ils pourront, quant à eux, partir en retraite à 62 ans, soit deux ans avant l’âge légal.

Ce dispositif permettra de mieux tenir compte de la situation des femmes en incluant les périodes de congé parental dans celles retenues pour bénéficier d’un départ anticipé au titre des carrières longues et satisfaire aux conditions d’éligibilité en matière de durée de cotisation. Il ne s’agit pas de mesures anecdotiques ou marginales, mais d’améliorations substantielles du système de retraite, souvent annoncées et rarement concrétisées.

Plusieurs paramètres relatifs aux carrières longues ne figurent pas dans le texte présenté ce jour, pour une seule raison : ils relèvent du champ réglementaire. Toutefois, leur coût figure dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, au tableau d’équilibre, à hauteur d’environ 600 millions d’euros.

Ensuite, nous ferons en sorte que notre système de retraite prenne mieux en considération les travailleurs les plus fragiles ainsi que les victimes d’accidents et de maladies professionnelles. Les personnes invalides en situation d’inaptitude ou d’incapacité permanente bénéficieront toujours d’une retraite à taux plein dès 62 ans. Cela n’a rien de marginal : 100 000 personnes sont concernées chaque année. Les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles pourront également partir plus tôt, de manière automatique en cas de taux d’incapacité supérieur à 20 %.

Par ailleurs, nous maintenons le départ en retraite à 55 ans pour les travailleurs en situation de handicap et à 50 ans pour ceux exposés à l’amiante.

Nous demandons à ceux qui le peuvent de travailler plus, non seulement parce que nous visons le plein emploi, mais aussi parce que nous pensons que le travail est le ferment du lien social et parce que nous voulons financer une retraite précoce et améliorée pour ceux qui ne peuvent pas continuer. Si l’on rapporte les dispositions que je vous présente aux prévisions d’âge de départ effectif, lequel est assez largement supérieur à 62 ans et tend à progresser, le décalage est plus proche de six mois que de deux ans.

Par ailleurs, les mécanismes que nous mettons en place réduiront le décalage de l’âge de départ du cinquième des retraités aux pensions les plus basses. Par construction, les bénéficiaires des départs anticipés au titre des carrières longues, de l’incapacité ou de l’inaptitude sont souvent les moins bien rémunérés. Pour eux, le décalage effectif sera de l’ordre du trimestre, et non de deux.

Cette réforme ne serait pas juste si elle ne s’intéressait pas au travail des séniors. Toutes les mesures ne peuvent pas être concentrées dans un seul texte. Nous aurons l’occasion, au printemps, de présenter un projet de loi relatif au travail et à l’emploi, qui sera complémentaire. Accompagner l’emploi des séniors est une condition de la réussite de la réforme et de notre stratégie pour le plein emploi. Nous voulons faciliter les transitions entre l’activité et la retraite en généralisant l’accès à la retraite progressive, qui sera ouverte à la fonction publique, et en facilitant le cumul emploi-retraite tout en veillant à son caractère contributif, pour que les personnes concernées bénéficient d’une revalorisation de leur pension de retraite, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Dans le même temps, nous continuons à travailler – là réside l’utilité du texte que je viens d’évoquer – sur le compte épargne temps universel ainsi que sur la formation et l’accès à la formation des séniors. La formation continue des salariés de plus de 50 ans est à peu près moitié moindre que celui des plus jeunes.

Par ailleurs, les entreprises ont un rôle à jouer dans l’emploi des séniors et dans le changement de regard nécessaire. Nous nous donnerons les moyens de mesurer leur implication. Le texte crée un index des séniors pour que les entreprises prennent leur part dans le maintien dans l’emploi des salariés les plus âgés. Les entreprises qui refuseront de se conformer à l’obligation de publicité de cet index s’exposeront à une sanction financière.

Les indicateurs et les critères de cet index feront l’objet d’un décret soumis à concertation avec les partenaires sociaux. Une fois construit en tenant compte des caractéristiques des branches, nous pourrons mesurer l’évolution de la situation dans chaque entreprise de plus de 300 salariés ; nous aurons connaissance des progrès et de la dégradation de l’emploi des séniors en son sein. Une négociation obligatoire sur la gestion des emplois et des parcours professionnels des séniors, fondée sur cet index, est prévue. Les dispositions sur la sanction financière pour refus de publicité de l’index et sur l’obligation de négociation, qui visent à améliorer l’implication des entreprises sur l’emploi des séniors et leur positionnement sur l’index, répondent à des demandes exprimées durant la concertation.

Troisièmement, cette réforme permet plusieurs progrès.

Nous entendons d’abord améliorer la prise en compte de la pénibilité, notamment de l’usure liée aux conditions d’exercice de certains métiers. Pour ce faire, nous renforçons le compte professionnel de la prévention (C2P) en rendant plus facile d’y accéder et d’acquérir des droits. Par exemple, nous ramenons de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an permettant d’obtenir des points. Nous améliorons la protection des travailleurs polyexposés.

Par ailleurs, nous déplafonnons le C2P pour permettre aux salariés d’acquérir autant de points que possible compte tenu de leurs conditions de travail. Nous créons une quatrième façon d’utiliser les points obtenus : un congé de reconversion qui permettra d’arrêter de travailler pour se former tout en étant rémunéré en vue d’une seconde carrière moins pénible.

Notre deuxième réponse en matière de prise en compte de la pénibilité et de prévention de l’usure consiste à s’intéresser aux critères ergonomiques, dont nous savons que la mesure individuelle est difficile. Je pense au port de charges lourdes, aux postures pénibles ou aux vibrations mécaniques. Cette difficulté de mesure nous avait amenés, il y a quelques années, à exclure ces critères du C2P. Nous voulons y remédier.

Dans la continuité de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, dont votre commission a été à l’initiative, et après la conclusion d’un accord entre organisations syndicales et patronales, nous renforçons le suivi médical des travailleurs exposés à des facteurs de pénibilité. Nous prévoyons une première visite médicale obligatoire à 45 ans, un suivi médical renforcé par la suite et une seconde visite médicale obligatoire à 61 ans. Il est juste qu’un salarié, s’il est victime d’usure professionnelle qui justifie un départ anticipé, par exemple de troubles musculo-squelettiques, puisse profiter de sa retraite suffisamment tôt. S’il consulte un médecin du travail à 63 ans pour apprendre qu’il aurait pu partir deux ans auparavant, il est trop tard… Le suivi médical est la meilleure des préventions.

Par ailleurs, nous demanderons aux branches professionnelles des accords de prévention de la pénibilité et de l’usure, applicables aux métiers particulièrement exposés au risque de pénibilité. Le fonds d’investissement de la prévention de l’usure professionnelle sera doté de 1 milliard d’euros à l’échelle du quinquennat, soit une somme considérable à l’aune des efforts consentis par la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP). Il financera les accords de prévention précités, qui seront applicables aux métiers identifiés par la sécurité sociale en fonction de notre outil statistique, s’agissant notamment de l’accidentologie et de la prévalence des maladies professionnelles.

Le deuxième progrès majeur que permet ce texte est la revalorisation des futures petites pensions, qui atteindront 85 % du Smic pour une carrière complète. Ce droit à une retraite minimale garantit à tous qu’une vie de travail est l’assurance d’une retraite digne. Nous revaloriserons le minimum de pension de 100 euros par mois à partir du 1er septembre pour atteindre une pension totale de près de 1 200 euros par mois à la fin de cette année pour une carrière complète au Smic.

Par ailleurs, l’indexation du minimum de pension sur le Smic transformera en acte un principe vieux de vingt ans. J’entends souvent dire que le principe d’une pension à 85 % du Smic avait été prévu lors de la réforme de 2003. Mais il n’y a jamais eu de mécanisme de mise en œuvre et de suivi. L’indexation du MiCo sur le Smic permettra aux bénéficiaires de cette garantie de pension de percevoir 85 % du Smic à son montant du mois de la liquidation.

Cette mesure de garantie, compte tenu du prorata appliqué selon l’état des carrières, bénéficiera à 200 000 nouveaux retraités par an, soit un départ en retraite sur quatre. La revalorisation pourra atteindre 100 euros. Trois bénéficiaires sur cinq sont des femmes qui, aujourd’hui encore, sont les premières victimes des carrières hachées ainsi que des inégalités salariales à poste identique – le chemin vers l’égalité professionnelle est encore long. Les salariés des deux premiers déciles, dont les niveaux de revenu et donc les pensions sont les plus bas, seront les principaux bénéficiaires de cette revalorisation, qui s’appliquera aussi aux retraités actuels. Ainsi, les pensions de 1,8 million de retraités, sur les 17 millions connus, seront revues à la hausse.

Enfin, cette réforme est une réforme d’équité qui exige d’améliorer la solidarité entre générations et de tenir la promesse, inhérente à notre système, d’égalité des conditions d’accès à la retraite. À cet égard, nous considérons que la plupart des régimes spéciaux sont archaïques. Au fur et à mesure que la réalité des métiers a évolué, ils sont devenus progressivement injustes. Nous fermerons les régimes spéciaux de la régie autonome des transports parisiens (RATP), des industries électriques et gazières, des clercs et employés de notaires, de la Banque de France et du Conseil économique, social et environnemental. Nous le ferons sans revenir sur le pacte social : seuls les nouveaux embauchés, à compter du 1er septembre 2023, sont concernés.

L’équité consiste à demander le même effort à tous, quel que soit leur statut. Les assurés de la fonction publique et les bénéficiaires des régimes spéciaux seront concernés par l’allongement de la durée d’activité. S’agissant des seconds, un calendrier sera défini en concertation avec les entreprises et les branches. Nous prévoyons, comme la réforme de 2010, des périodes de convergence.

L’équité consiste aussi à permettre aux indépendants de jouir des mêmes droits que les salariés pour un même montant de prélèvement. Nous engageons, en même temps que l’examen du présent texte, dans la perspective de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, la réforme de l’assiette sociale des indépendants, en veillant à ce que ceux qui réalisent une carrière complète bénéficient de la garantie de retraite minimale.

Dans un tout autre registre, nous mettons à profit cette réforme – c’est le fruit de la concertation – pour solder quelques irritants. Nous vous proposons de mettre un terme au processus d’unification du recouvrement entre l’Urssaf, l’Agirc-Arrco et la Caisse des dépôts, conformément à une demande des partenaires sociaux et de plusieurs groupes politiques.

En conclusion, je tiens à rappeler deux choses. D’abord, la Première ministre et moi sommes convaincus que les mesures que nous prenons permettent de préserver dans le temps le système de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Ensuite, dans toutes les discussions menées avec les organisations syndicales et patronales ainsi qu’avec les forces politiques, comme au cours des longues séances de travail de nos services respectifs, la situation des plus fragiles a été notre préoccupation. Les mesures d’accompagnement prises pour que cette réforme s’applique dans les meilleures conditions sont au bénéfice de ceux qui souffrent de la longueur de leur carrière, du caractère exigeant de leurs conditions de travail ou de leur exposition à des carrières hachées, que ce soit dû aux inégalités salariales ou professionnelles qui subsistent, particulièrement entre femmes et hommes, ou à des difficultés de la vie – je pense notamment aux aidants, que nous pourrons mieux accompagner.

Fort de ces convictions, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Après un débat national dans le cadre des élections présidentielle et législatives de 2022, et plusieurs mois de concertation avec les organisations syndicales et patronales sur tous les paramètres de notre système de retraite, nous ouvrons, par la présente audition, la première étape de la réforme au Parlement. Les négociations ne s’arrêtent pas à l’orée du processus législatif : elles se poursuivront, comme le Gouvernement s’y est engagé, au sein des branches et dans le cadre de l’élaboration des décrets, que nous souhaitons au plus près des réalités de chaque travailleur.

Ce texte procède d’un profond changement de philosophie dans notre façon d’appréhender la carrière professionnelle et la vie des retraités. La bonne santé tout au long de la vie professionnelle a inspiré des propositions pour préserver notre système de retraite par répartition. De nombreux débats ont eu lieu hors de notre enceinte ; je ne doute pas qu’ils se poursuivront.

En tant que rapporteure générale de la commission des affaires sociales, je souhaite que l’examen du texte à l’Assemblée nationale soit aussi approfondi et éloigné des propos d’estrade que possible. Notre débat sera passionné, certainement, mais il me semble indispensable à nos concitoyens. Il doit reposer sur le regard porté sur notre système par répartition, auquel nous sommes attachés sur tous les bancs. D’après les données fournies par le Conseil d’orientation des retraites, huit Français sur dix se disent préoccupés par l’avenir de ce système, et une majorité d’entre eux anticipe une baisse du niveau de vie à la retraite. Monsieur le ministre, quels sont les aspects de la réforme de nature à rassurer les Français sur la préservation du mécanisme par répartition et sur le montant des pensions qu’ils peuvent espérer après avoir travaillé toute une vie ?

Par ailleurs, le projet de loi combine les deux principes fondamentaux de notre sécurité sociale : le financement par le travail et la redistribution aux plus fragiles.

S’agissant du premier, il faut être clair : la réforme vise à éviter l’accumulation de déficits massifs dans les prochaines années, inévitable si nous ne faisons rien. L’augmentation de la durée des carrières, notamment de l’emploi des séniors, a un effet vertueux sur les finances publiques, contrairement aux deux autres possibilités de réduction du déficit que sont l’augmentation des prélèvements obligatoires et la baisse des pensions. Avez-vous pu estimer les effets de la réforme sur la croissance potentielle et les ressources supplémentaires qu’elle apportera à notre protection sociale ?

L’emploi des séniors constitue un axe majeur de la réforme. En la matière, notre pays présente un retard sur ses partenaires européens. L’index des séniors et la négociation dans les entreprises constituent des éléments cruciaux, comme le rétablissement de la possibilité, pour les personnes cumulant emploi et retraite, d’améliorer leurs droits. Disposez-vous d’une estimation de la majoration moyenne des pensions dont les assurés concernés pourraient bénéficier ? À combien de nos concitoyens cette mesure pourrait-elle profiter à terme ?

S’agissant du second principe, celui de la redistribution, la réforme permet, pour la première fois, aux 40 % de nos concitoyens dont la situation est la plus fragile de partir à la retraite de manière anticipée. Pouvez-vous préciser qui ils sont ?

La protection de nos concitoyens les plus fragiles suppose un renforcement de la prise en compte de la pénibilité. Outre la simplification du dispositif de départ en retraite anticipée pour les personnes usées par le travail et l’amélioration des droits des personnes bénéficiant d’un C2P, le projet de loi prévoit la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, consacré au financement d’actions de sensibilisation, de prévention, de formation et de reconversion, au bénéfice des salariés exposés aux facteurs de pénibilité ergonomique. Ce fonds sera doté d’un milliard d’euros pour la durée de la législature. Pouvez-vous préciser les modalités de financement de cet effort sans précédent ?

M. Sylvain Maillard (RE). Je m’associe aux propos de la rapporteure générale et je salue, au nom du groupe Renaissance, le travail effectué par les commissions de l’Assemblée nationale. Les auditions menées ont été indispensables pour anticiper et comprendre les enjeux de la réforme des retraites. Entendu jeudi dernier, le président du COR est revenu sur les scénarios développés par le rapport de septembre 2022, qui démontre que la situation financière du système de retraite devrait se dégrader, en dépit de dépenses sous contrôle. Il a rappelé que, dans trois hypothèses sur quatre, le déficit pourrait perdurer jusqu’en 2070. Non, chers collègues du Rassemblement national, la majorité et le Gouvernement ne font pas leurs courses avec le rapport du COR, comme vous l’avez affirmé lors de cette audition !

Pour garantir dans le temps le financement des pensions, soit il faut augmenter les impôts et taxes, ce à quoi nous nous refusons d’autant plus que les Français expriment largement leur ras-le-bol fiscal, soit il faut baisser les pensions, ce à quoi nous nous refusons également – nous voulons augmenter le niveau des petites retraites – soit il faut travailler collectivement un peu plus, ce qui est notre choix assumé. Il s’agit d’une réforme d’effort, mais aussi de protection de nos retraites. En responsabilité, nous agissons pour garantir une retraite décente aux personnes modestes, favoriser l’employabilité des séniors, faciliter les reconversions et les départs anticipés, corriger les effets des carrières hachées, principalement des femmes et des aidants, et garantir aux actifs et à nos enfants une pension.

À l’Assemblée nationale, le groupe Renaissance est force de proposition. Dès le mois de novembre, nous avons multiplié les auditions, notamment des syndicats de salariés et des organisations patronales. Nous avons tenu à défendre des mesures de progrès et de justice sociale, telles que la revalorisation des petites retraites à 85 % du Smic pour ceux qui ont travaillé tout au long de leur vie et la création, demandée par la Confédération française démocratique du travail (CFDT), d’un index de l’emploi des séniors dans les entreprises de plus de 300 salariés, assortie de l’obligation d’ouvrir une négociation en cas de mauvais résultats. Nos propositions ont été prises en compte dans le texte.

Nous avons également souhaité que les aidants familiaux jouent un rôle social majeur. Merci, monsieur le ministre, d’avoir annoncé ce matin la création d’une assurance vieillesse améliorant leurs droits. Merci également d’avoir intégré, à la demande de notre groupe, davantage de mesures de justice sociale en matière de gestion progressive et de fin de carrière. La prise en compte de la pénibilité, notamment en favorisant les reconversions professionnelles et les départs anticipés, est essentielle pour garantir l’équité de notre système. À l’heure actuelle, les salariés effectuant des tâches pénibles ne sont pas forcément ceux qui bénéficient d’un régime spécial garantissant un départ en retraite avant l’âge légal.

Si nous ne prenons pas des mesures, le déficit cumulé du système de retraite pourrait atteindre 500 milliards d’euros en 2047. Cinq cents milliards d’euros pour les Français ! Au demeurant, la comparaison avec nos voisins européens s’agissant de l’âge de départ en retraite démontre que votre réforme est un bon compromis. En Allemagne, l’âge légal est de 65 ans et huit mois ; il sera de 67 ans en 2031. Aux Pays-Bas, il est de 66 ans et sept mois. En Espagne, il est de 65 ans. Au Danemark, patrie de la social-démocratie, il est de 67 ans. Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.

Monsieur le ministre, vous avez fait plusieurs annonces ce matin à l’issue du Conseil des ministres. Après des négociations renforcées, quelles conséquences envisagez-vous pour les entreprises ayant de mauvais résultats à l’index sur l’emploi des séniors ? S’agissant de la pénibilité du travail, quels sont les nouveaux critères que le Gouvernement envisage de prendre en compte ? S’agissant de l’idée de rendre plus souple le rachat de trimestres de cotisation, à laquelle nous sommes attachés, quelle est votre position sur les mesures défendues par le groupe Renaissance ?

M. Thomas Ménagé (RN). « Cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste car elle fera porter l’effort par des générations déjà touchées par la précarité et un chômage historique. » Cela vous surprendra peut-être, monsieur le ministre, mais nous sommes d’accord – car vous êtes l’auteur de ces propos, dans le cadre du combat résolu que vous avez mené contre la réforme Woerth en 2010. Pourtant, treize ans après, vous devenez l’artisan d’une réforme encore plus injuste, qui sera à l’origine de souffrances pour nos concitoyens, particulièrement ceux qui travaillent dur et commencent tôt.

Dans la lignée de la période précédente, les années Macron ont été celles de l’abandon des Français. Le Mozart de la finance promettait une symphonie de réussite économique ; il se révèle le chef d’orchestre du déclin. Ubérisation de notre économie qui se traduit par des gains de productivité nuls, politique familiale et nataliste inexistante, absence de vision en matière d’industrialisation et de souveraineté... La pire balance commerciale de notre histoire, c’est vous. La pénurie de médicaments, c’est vous aussi. La mort de notre industrie nucléaire, la fermeture de Fessenheim, c’est vous. La soumission au marché européen de l’électricité, c’est encore vous. En somme, comme dirait une de vos ralliées, vous avez « cramé la caisse » et vous demandez aujourd’hui aux Français de payer avec cette réforme qui ne vise finalement qu’à générer des recettes supplémentaires pour combler les 600 milliards de dettes du Président de la République.

Alors que le président du Conseil d’orientation des retraites a admis ici, la semaine dernière, que les dépenses de retraite sont relativement maîtrisées, vous jouez sur les peurs pour tenter de justifier une telle réforme. Mais, comme d’habitude, vos comptes ne sont pas bons. Demander aux Français de travailler plus longtemps, c’est provoquer mécaniquement des transferts de charges du système de retraite vers l’assurance ou l’assistance – chômage, maladie, invalidité ou encore revenu de solidarité active (RSA). Vous les passez sous silence dans vos présentations. S’agit-il d’un mensonge ou d’un oubli ? Ce sont pourtant des données documentées. Le rapport de la Cour des comptes de 2021 chiffre les dépenses sociales supplémentaires engendrées par la réforme Woerth à 3 milliards d’euros. S’agissant de votre réforme, le COR lui-même, page 132 de son rapport, les estime à 4 milliards d’euros, tandis que d’autres économistes, comme Henri Sterdyniak, prévoient une explosion à 11 milliards d’euros. Votre projet va créer beaucoup de souffrance pour un gain marginal. Pouvez-vous nous présenter un bilan macroéconomique sincère de la réforme ?

Mais au-delà des considérations budgétaires, votre réforme est surtout celle de l’injustice sociale. Injustice d’abord envers les séniors, qui ont, en France, l’un des plus faibles taux d’activité de l’Union européenne. Beaucoup n’arriveront pas à travailler jusqu’à 64 ans et n’auront pas de carrière pleine, ni de pension à 1 200 euros contrairement à ce que vous laissez croire. La création d’un index montre votre méconnaissance des enjeux : il ne réglera rien.

Injustice ensuite entre les plus riches et les plus pauvres. Votre réforme sacrifie certains, comme l’a reconnu un député de votre majorité : elle frappera majoritairement les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui devront rester en activité plus longtemps. Vous répétez à qui veut l’entendre que l’espérance de vie augmente. Mais l’Insee relève une différence d’espérance de vie de treize ans entre les plus aisés et les plus modestes qui devront travailler plus longtemps.

Les retraités ne peuvent être réduits aux lignes d’un tableur Excel. L’âge de la retraite relève d’un choix de société. Les retraités contribuent à la vie nationale par leurs activités. Dans nos communes, en particulier rurales, ils participent à la vie associative et municipale – 55 % des maires ont plus de 60 ans. Combien de crèches et d’assistantes maternelles supplémentaires faudra-t-il si nos retraités gardent deux ans de moins, dans le meilleur des cas, leurs petits-enfants ? Combien de cantines supplémentaires si nos retraités ne les accueillent plus pour le déjeuner ?

S’il fallait une réforme, elle ne saurait être élaborée en moins de deux mois alors qu’un pays comme la Suède a mis près de dix ans – et regrette aujourd’hui ses choix. Le pays du Front populaire mérite mieux que cette réforme décidée unilatéralement et inscrite dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale avec, en ligne de mire, les articles 47-1 et 49, alinéa 3, de la Constitution. La question du référendum, balayée d’un revers de main, doit être examinée. Vous faites preuve de beaucoup de mépris et d’arrogance pour imposer une réforme qui agace jusque dans vos rangs. Vous n’avez rien retenu du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Face à vous, face aux Républicains qui se sont pour partie vendus, face à la gauche qui a voté l’acte premier de cette réforme en adoptant la loi Touraine, les Français peuvent compter sur les élus du Rassemblement national pour combattre ce projet de casse sociale.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Vous avez déjà perdu dans les têtes. En effet, 80 % du pays, au minimum, est opposé à votre réforme – un petit peu comme vous, monsieur le ministre, avant que vous n’ayez retourné votre veste.

Aujourd’hui, vous êtes minoritaire car tout le monde a compris qu’à 64 ans, il est dangereux de poncer du métal à bout de bras ou de porter des cartons en entrepôt.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris qu’une infirmière ou un chauffeur de bus qui continuent à travailler à 65 ans se mettent en danger, ainsi que les usagers.

Vous êtes minoritaire, car tout le monde a compris que vous allez transformer des retraités en chômeurs ou en allocataires – ils seraient 230 000 d’après les estimations de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, autrement dit de vos propres services ministériels, qui ont simulé les effets de la réforme.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que vous allez taper dans la caisse. Votre nouvelle lubie consiste à prélever les fonds dédiés aux accidents du travail alors que ceux-ci vont se multiplier du fait de votre réforme.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que vous avez volontairement dilapidé l’argent des cotisations par les primes et les exonérations multipliées depuis cinq ans.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que les comptes de la sécurité sociale, et de la branche retraite en particulier, ne sont pas menacés.

Vous êtes minoritaire car tout le monde peut prendre connaissance du rapport du COR et constater que la situation catastrophique que vous dépeignez ne correspond pas à la réalité.

Vous êtes minoritaire car tout le monde a compris que, dans un pays immensément riche, il n’est pas normal d’en être réduit à survivre sous le seuil de pauvreté après une vie de travail.

Vous êtes minoritaire car plus personne ne vous croit. L’exemple des 1 200 euros est flagrant : vous annoncez une retraite minimum à 1 200 euros, puis à 1 200 euros bruts, puis plus pour tout le monde… À ce rythme, ce sera le RSA au mois de décembre !

Et c’est parce que vous êtes minoritaires que la mobilisation est immense : 2 millions de personnes se sont rassemblées jeudi à l’appel des syndicats, et 150 000 samedi à l’appel des organisations de jeunesse, qui défendent toutes la retraite avant l’arthrite. Une question revient souvent dans les manifestations et les réunions publiques : pourquoi font-ils cela ? Eh bien, tout simplement parce que vous n’aimez pas le travail des retraités. Vous n’aimez pas le travail lorsqu’il est libre. Vous préférez des séniors au chômage ou au RSA plutôt que des retraités qui s’engagent auprès des associations, de voisins ou de proches. Car, oui, c’est cela, un retraité aujourd’hui : quelqu’un qui pratique des activités de manière libre et qui exerce un peu de droit au bonheur, au quotidien, pour ses proches.

Il n’est pas une cérémonie de nouvelle année dans ma circonscription sans que l’on vienne nous voir, inquiet, pour rappeler que les anciens font tourner nos communes. À Beauzelle, Isabelle, ambassadrice culturelle de la ville, anime les cours de théâtre depuis 1989 grâce à son droit à la retraite. Jean-Pierre, membre du Souvenir français, à Toulouse, organise des interventions en milieu scolaire ou des cérémonies mémorielles. Les bénévoles du Téléthon, dans de nombreux départements, ne récolteraient rien sans les retraités qui s’engagent. Les pratiquants sportifs, les joueurs de pétanque seraient saignés si le retraité ne pouvait pas gérer la caisse de l’association sportive. Je pense aux retraités d’EDF qui viennent donner un coup de main en cas de problème électrique à la maison. La moitié des associations de ce pays sont présidées par des retraités. Repousser l’âge de départ, c’est combattre tout ce que font les retraités, ces personnes qui tiennent des cafés et des bibliothèques, donnent des concerts et des cours de bricolage, font du soutien scolaire, entretiennent des espaces verts, apportent une aide alimentaire, accompagnent les jeunes pour le permis…

Mais tout cela ne vous intéresse pas beaucoup : si cela a de la valeur, cela ne procure pas de profits privés. Monsieur le ministre, pour reprendre les propos que vous auriez pu tenir vous-même avant votre nomination, la retraite à 60 ans, on s’est battu pour la gagner et on se battra pour la garder !

M. Thibault Bazin (LR). Nous avons reçu à midi quarante votre projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, qui se décline en 84 pages. Un tel texte est toujours l’occasion d’examiner les moyens alloués à notre système de protection sociale. Or, ce dernier est en danger ; sa pérennité est menacée à plusieurs titres.

Notre système de santé est en tension. L’assurance maladie peine, dans le cadre des négociations conventionnelles, à valoriser le travail de nos soignants. La natalité a atteint son niveau le plus bas depuis la fin de la seconde guerre mondiale après plusieurs coups de rabot financier pratiqués au cours des dix dernières années. Ce déclin démographique est alarmant. Les déficits budgétaires s’accumulent et les prévisions sont inquiétantes pour les retraites, avec un déficit qui devrait atteindre 14 milliards d’euros en 2030. La nouvelle génération perd confiance en l’avenir de notre système et peut-être même en la nation. Les jeunes doutent de la transmission, ce qui constitue un défi majeur. L’inflation menace le pouvoir d’achat, préoccupation principale de nos concitoyens. Et nos compatriotes attendent davantage de justice sociale – que le travail soit plus valorisé que les allocations sociales, que les fraudes soient combattues.

Vous proposez de rectifier le budget de la sécurité sociale pour 2023 en le résumant à la seule branche vieillesse, ce qui est regrettable. Bien sûr, la population vieillit et le rapport entre le nombre de retraités et de cotisants évolue défavorablement. Il nous faut préserver le pouvoir d’achat des actifs et des retraités. C’est pourquoi il faut adopter les mesures les plus justes possibles pour éviter la baisse du niveau de vie des retraités d’aujourd’hui comme de demain sans altérer celui des actifs. Il faut veiller à ce que les cotisations n’augmentent pas et à ce que les pensions ne diminuent pas.

Mais notre système de répartition dépend avant tout du renouvellement des générations. Or rien, ou presque, hormis la prise en compte des congés parentaux pour les carrières longues, n’est prévu pour une politique familiale ambitieuse. L’équilibre durable passe pourtant par un réinvestissement dans la branche famille. Dans quelle mesure êtes-vous prêt à rétablir un véritable soutien aux familles des classes moyennes qui travaillent ? Vous semblez renvoyer à plus tard la mise en œuvre de l’universalité des droits familiaux et conjugaux alors qu’on ne dénombre pas moins de onze systèmes différents en matière de pensions de réversion et que les fonctionnaires n’ont pas les mêmes droits familiaux que les salariés du privé. Pour que la réforme soit équilibrée, il faut les mesures nécessaires sans attendre. Ces reports n’augurent rien de bon alors que cela fait des années que vous repoussez la présentation d’une loi sur le grand âge. L’attribution, à l’article 12, de nouveaux droits aux aidants constitue toutefois un pas dans la bonne direction.

Il faut veiller à l’acceptabilité sociale de la réforme. Or, votre projet affecte ceux qui devaient partir dès le 1er septembre prochain. Il serait judicieux que la réforme ne s’applique qu’à compter du 1er janvier 2024, ce qui offrirait de la lisibilité. Les systèmes d’information doivent être prêts afin de garantir la fiabilité du calcul des pensions, alors que l’on relève déjà un nombre important d’erreurs dans la liquidation, souvent au détriment de l’assuré. Il faut également être justes envers ceux qui ont commencé à travailler jeunes et leur permettre de partir tôt s’ils le souhaitent. Or, avec votre réforme, ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans après 1971 et ont exercé leur activité sans interruption vont devoir cotiser quarante-quatre années, contre quarante-trois pour ceux qui ont commencé à 21 ans. Nous défendrons des amendements pour corriger cette injustice.

Nous vous avons demandé de relever les petites pensions perçues par les retraités qui ont travaillé toute leur vie et qui ont une carrière complète. En réponse, vous avez annoncé, à l’article 10, une revalorisation à hauteur de 85 % du Smic net. Toutefois, vous précisez, page 43, que, pour en bénéficier, il faudrait avoir cotisé à un revenu équivalent au Smic. Or, bon nombre de ces retraités n’ont pas toujours eu de tels revenus alors qu’ils n’ont souvent pas compté leurs heures – je pense notamment aux indépendants. Le compte n’y est donc pas. Il faut corriger cela sous peine de décevoir un grand nombre de gens.

Il faut valoriser le travail d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en recherchant l’équilibre budgétaire et en veillant à ce que les efforts soient justes et pour tous. Nous souhaitons un renforcement de la lutte contre les fraudes, en particulier concernant les pensions versées à l’étranger : le texte ne comporte rien à ce sujet. Il faudra aussi s’assurer que les cotisations versées pour les retraités leur soient bien destinées. C’est pourquoi nous avons exigé l’annulation du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco, que la majorité avait refusée à l’automne dernier. C’est à l’article 3 que s’opère cette marche arrière. Nous nous félicitons également de la prise en compte des travaux d’utilité collective à l’article 11.

Nous croyons en la liberté, celle de pouvoir continuer à travailler et d’organiser sa fin de carrière de manière plus souple. Les mesures que vous prévoyez nous paraissent insuffisantes. Nous présenterons des amendements pour améliorer la retraite progressive et le cumul emploi retraite.

Je forme le vœu que nos travaux permettent de corriger et de compléter le texte afin d’assurer l’avenir de notre système de protection sociale, de le rendre plus juste, par la valorisation du travail, de garantir son équilibre et, surtout, de restaurer la confiance des nouvelles générations à son égard. Il y va de la cohésion nationale et intergénérationnelle.

M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur le ministre, nous partageons avec vous la conviction qu’il faut conforter le socle républicain, dont les retraites sont une composante. Qui peut dire que nous n’allons pas être confrontés à un risque démographique – hormis, peut-être, ceux qui nous expliquent, avec un brin d’arrogance, que le système de retraite ne souffre d’aucune fragilité ? Qui peut dire, ici, qu’il n’a jamais renié ses engagements alors que la loi Touraine a mis à sac la retraite à 60 ans ?

Nous sommes donc convaincus et nous vous remercions du temps que vous nous avez laissé pour travailler. Les Français attendent de nous un débat de fond, projet contre projet, empreint de sérénité en dépit de convictions différentes. Les jeunes se demandent s’ils auront une retraite. Il faut rétablir la confiance et faire preuve de pédagogie. On ne peut pas dire que tout va bien et qu’il ne faut rien faire : tout le monde sait que, si l’on n’agit pas, il y aura une érosion des petites retraites. D’ailleurs, j’observe que l’évocation de ces petites retraites fait couler des larmes de crocodile aujourd’hui à ceux qui n’ont jamais trouvé à redire à ce que certains perçoivent, dans le système actuel, 850 ou 900 euros de pension…

Notre groupe souhaite que quelques points soient précisés et fera des propositions pour enrichir le texte.

Une étude du Cercle des économistes montre que, si 100 000 séniors de plus travaillaient chaque année, l’État percevrait 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires, notamment en faveur des retraites. Quels sont votre feuille de route et votre objectif à cinq ans en matière d’emploi des séniors ? Allez-vous appliquer aux entreprises des pénalités financières ? Que ferez-vous pour les plus petites d’entre elles qui, dans la rédaction actuelle, ne seront pas tenues de publier un index ?

L’attribution de nouveaux droits aux aidants constitue une avancée mais qu’en est-il de ceux qui, confrontés à la maladie au cours de leur vie professionnelle, ou subissant des ruptures d’activité, voient leur carrière perturbée ? Pourra-t-on faire en sorte que les personnes concernées n’aient pas à attendre 67 ans pour percevoir la retraite à taux plein ?

Concernant la pénibilité, je salue l’amélioration du compte personnel de prévention. Le déplafonnement de points permettra-t-il – à l’issue, peut-être, d’un dialogue avec les partenaires sociaux – de faire bénéficier les salariés de trimestres complémentaires ?

Je reviens sur l’augmentation sans précédent des petites retraites, à hauteur de 85 % du Smic, sur lequel elles seront indexées. Pouvez-vous indiquer la part que représentent les retraités à taux plein parmi les bénéficiaires ? Quelle proportionnalité allez-vous introduire ?

Quels nouveaux dispositifs allez-vous instituer en matière de cumul emploi-retraite, lequel relève, à nos yeux, du temps choisi ? Il faut laisser ceux qui le souhaitent travailler plus longtemps et lever les freins qui existent.

Enfin, les actifs pourront-ils racheter des trimestres dans des conditions plus sécurisées qu’elles ne le sont actuellement ?

M. Arthur Delaporte (SOC). « La concertation que vous avez promise apparaît pour ce qu’elle est : un simulacre destiné à faire croire que vous avez d’autres priorités que celles que vous souffle le Medef et un mépris pour les propositions faites par les autres partenaires sociaux, que vous recevez finalement sans les écouter ni les entendre. Par ailleurs, cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste. » Ces mots, vous les connaissez, monsieur le ministre. Ils sont ceux d’un homme de gauche, d’un élu qui ne négociait pas avec la droite dure, d’un socialiste qui s’identifiait aux principes et aux valeurs de la justice sociale.

« Injuste » aviez-vous dit il y a treize ans : comment ne pas faire le parallèle avec la situation actuelle ? Votre réforme est injuste pour les carrières longues, pour les femmes, pour les séniors, pour les métiers pénibles, pour les carrières hachées, pour les jeunes, pour les plus précaires, pour les accidentés de la vie, pour tous ceux, surtout des femmes encore, qui sont les moins diplômés, qui ont les plus bas salaires, qui devront travailler plus longtemps pour vous permettre d’appliquer votre politique libérale. Votre projet est injuste pour ces Français, ces essentiels, ceux que nous applaudissions tous il y a peu, dont les corps sont abîmés et que vous allez user davantage. Il est injuste pour le secteur de la dépendance que vous allez saturer un peu plus, et pour les caisses d’allocations familiales que vous allez inonder de nouveaux dossiers de RSA après avoir réduit les droits à l’assurance chômage.

« Quand aujourd’hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, quand on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. » Si vous n’écoutez pas l’homme que vous étiez il y a treize ans, monsieur le ministre, écoutez au moins le Président de la République qui, il y a trois ans, prononçait ces mots, et renoncez à votre réforme ! Vous n’avez de cesse de répéter que votre projet rétablit un maximum d’égalité alors qu’en réalité il est destructeur et vide de tout élément de justice. J’observe, en passant, qu’aucun orateur du groupe Horizons – l’une des composantes de votre majorité – ne s’exprimera cet après-midi pour soutenir le texte.

Nous démontrerons ce déni de justice. Vous affirmez avoir constamment à l’esprit le sort des plus fragiles mais vos mots creux n’occulteront pas la réalité que subissent les Français dans leur chair. La tentative d’hypnose à laquelle nous avons assisté tout à l’heure n’a pas fonctionné.

Je regrette l’instrumentalisation de certains sujets comme celui des TUC. Le report de l’âge de départ à la retraite pèsera sur la génération des TUC. Ces jeunes travailleurs des année 1980, aujourd’hui aux portes de la retraite, vont certes se voir reconnaître quelques trimestres qui leur sont dus, mais ils devront, en contrepartie, les passer à travailler. J’aurais aimé une réforme spécifique aux TUC ; cela n’aurait été que justice.

Votre réforme est l’aboutissement d’un projet d’affaiblissement de la protection sociale au profit d’une dérégulation sans limite et d’une négation du réel. Vous niez que repousser l’âge de départ en retraite pour les métiers difficiles, c’est alourdir la dette de la dépendance et faire payer aux Français vos réformes inutiles. Vous niez la réalité budgétaire. Vous évoquez le COR à longueur de discours ; pourtant, son président affirmait, jeudi dernier, que les dépenses de retraite ne dérapent pas, qu’elles sont relativement maîtrisées dans la plupart des hypothèses et devraient plutôt diminuer à terme. Mais vous préférez, dans votre négation, faire payer aux salariés votre politique injuste.

Comme vous le disiez en 2010, votre réforme « écarte d’emblée la recherche d’autres recettes, notamment la mise à contribution de l’ensemble des revenus et en particulier de ceux issus du capital. Entre les niches fiscales et le bouclier du même nom, beaucoup pourrait être fait pour que l’effort ne porte pas une fois de plus sur les seuls salariés. » De fait, votre réforme porte uniquement sur les salariés.

Je terminerai avec une de ces vies que vous allez briser. Nadine, née en avril 1963, a cotisé pendant 168 trimestres. Elle est assistante de direction et souhaite quitter la région parisienne, notamment pour s’occuper de sa mère handicapée. Elle devait partir en retraite le 1er octobre prochain mais, en raison de votre réforme, elle devra travailler deux ans de plus. Elles sont des millions dans son cas. Des millions de Français sont dans la rue. Ils nous regardent ; ils vous regardent. Soyez responsable, raisonnable : renoncez à ce projet.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Cette réforme n’a pas de sens. Pas de sens économique : le système de retraite est globalement résilient à l’absorption des baby-boomers, a dit l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il n’y a pas d’envolée des dépenses, dit le COR, tout au plus un ajustement à réaliser sur les recettes du système de retraite, ce qui n’a rien de surprenant après les années que nous venons de passer, où les aides aux entreprises – 157 milliards hors covid‑19 – ont représenté un tiers du budget de l’État.

La réforme n’a pas non plus de sens social : deux ans de plus pour tout le monde, punition collective ! Que vous ayez travaillé longtemps, de manière pénible ou hachée, ou au contraire que vous fassiez partie des mieux lotis du système de l’emploi, pas de détail ! On voit bien vos éléments de langage comme votre cynisme : vous ne parlez plus de pénibilité mais d’usure professionnelle ; le problème, ce ne sont pas les métiers ni les conditions d’emploi, mais les corps... Vous allez nous rebattre les oreilles avec la retraite minimale à 1 200 euros, présentée comme l’avancée sociale de cette réforme. Sauf qu’il s’agit, comme l’a précisé Olivier Véran, de 1 200 euros bruts et que finalement, cette mesure ne concernera que quarante-huit personnes ! Quarante-huit !

La réforme n’a pas plus de sens écologique. Produisez ! Tel est le seul objet de ce projet – et si produire nous envoie dans le mur climatique, pas de problème ! Dans Effondrement, Jared Diamond se demande quelles étaient les pensées de celui qui a coupé le dernier arbre de l’île de Pâques. Et vous, monsieur Dussopt, quelles sont vos pensées au moment de défendre cette réforme ? D’où vient votre empressement à servir un système mortifère de croissance et de productivisme à l’heure où nos conditions de vie sont en danger ? Vous nous avez vendu les cols roulés ; c’est maintenant qu’il faut être écologiste !

La retraite est une récompense, un dû légitime et juste pour ceux qui ont cotisé. C’est un droit, un revenu différé, quelque chose mis sagement de côté pour pouvoir un jour en jouir. C’est de cela qu’il s’agit : empêcher les gens de jouir, de profiter de ce qui leur appartient – un droit au repos, à la sérénité, à la paresse, durement acquis. Pourquoi donc faites-vous cette réforme non nécessaire ? Si vous avez besoin de marges budgétaires supplémentaires, pourquoi vous obstinez-vous à réduire les dépenses sur le dos des travailleurs et des retraités, plutôt que d’aller chercher des recettes supplémentaires ?

Par ailleurs, quand un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale visant à augmenter corrélativement le budget de la sécurité sociale sera-t-il présenté ? Rappelons que lorsqu’on augmente d’un an l’âge de la retraite, les dépenses de santé augmentent à hauteur d’un tiers des économies réalisées sur le système de retraite. Un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est donc nécessaire pour payer les invalidités, les maladies professionnelles et autres.

Prévoyez-vous une augmentation corrélative de la durée d’indemnisation de l’assurance chômage pour les personnes proches de la retraite, sans emploi, qui voient leur temps de précarité augmenter de deux ans ?

Quelles seront les conséquences écologiques de la réforme ? Comment pouvez-vous nous dire que le productivisme n’aura aucun effet sur nos émissions de carbone, le climat et l’environnement ?

À combien estimez-vous l’écart de niveau de vie des retraités avant et après la réforme ?

Allez-vous établir de nouveaux critères de pénibilité ? les femmes de ménage, exposées aux produits chimiques et cancérigènes, ou les ouvriers soumis à des vibrations, par exemple de marteaux-piqueurs, ne bénéficient pas des dispositions existant en la matière !

Enfin, pouvez-vous nous dire concrètement en quoi la situation des femmes et des personnes ayant eu une carrière hachée sera améliorée par votre réforme ? Car oui, les premières victimes de votre projet seront les personnes discriminées sur le marché du travail.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Monsieur le ministre, je ne comprends pas ce que vous faites là. Voilà des mois que vous préparez le terrain, que vous polissez vos éléments de langage. Mais, jeudi dernier, vous avez rempli les rues de toutes les villes du pays de manifestants. L’ensemble des organisations syndicales est contre vous. Votre projet recueille 15 à 30 % d’opinions favorables. Vous n’avez pas de majorité dans le pays. Vous avez échoué. À présent, vous essayez piteusement de décourager les gens en leur disant que vous êtes déterminé – à quoi, pourquoi ? À sauver le système de retraite par un projet de justice sociale, répétez-vous. Vous n’assumez même pas. Il n’y aura pourtant que des perdants dans votre réforme. Le COR lui-même ne parle pas de danger. Vous qui avez passé votre temps, depuis votre élection, à rogner les financements de la sécurité sociale, ne venez pas faire la leçon ! Il y a bien des pistes de financement pour répondre aux besoins de notre système de retraite et de sécurité sociale.

Personne ne vous prendra pour des sauveurs ou des partisans de la justice sociale : ce n’est pas crédible. Vous êtes des innocents aux mains pleines. Votre projet consiste à nous voler nos meilleures années de retraite et à raboter les pensions des récalcitrants. Salariés et retraités coûtent trop cher à vos yeux et à ceux de Bruxelles, qui vous encourage. Votre projet consiste à dégrader le droit à la retraite, à le faire payer plus cher, à dépenser moins pour lui. Depuis leur apparition, les retraites sont perçues trop coûteuses par certaines personnes.

Dans votre système, tout le monde passerait à la caisse mais certains, compte tenu de leur parcours professionnel, paieraient deux fois plus cher – toujours les mêmes. Le seul crédit que je peux vous accorder, c’est d’être habile dans la fiction. Fiction de la concertation d’abord, comme les organisations syndicales l’ont montré. Fiction du débat parlementaire, encadré et cadenassé par la procédure budgétaire. Fiction autour du travail des séniors, une réalité que vous refusez de regarder en face. Vous promettez un index mais les mesures prises sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron vous disqualifient pour parler de pénibilité. Vous n’êtes pas davantage fondé à discuter du niveau des pensions.

Cette réforme entraînerait des dégâts considérables pour l’ensemble de la société, y compris les plus jeunes. Piocher dans la caisse des accidents du travail et maladies professionnelles est une indignité. Pour quelques petites avancées, vous nous imposez un recul considérable qui affectera chacun de nous. Rien ne saurait rendre acceptable ce projet, en dépit de tout ce que vous rajouterez pour faire passer la pilule.

Nous voulons le droit à une « nouvelle étape de la vie » comme disait Ambroise Croizat. Nous souhaitons préserver ce droit essentiel, qui est un grand geste de civilisation. Être libéré du travail prescrit, avoir, au bout de sa vie professionnelle, un espace de liberté constitue un droit précieux pour chacun comme pour l’ensemble de la société. Ce projet de société entre en contradiction avec la vision de l’humain productif et compétitif. Nous lui préférons celle de l’humain épanoui dans son travail et dans sa vie. La question que vous devriez vous poser est comment préserver ce droit !

Le pays ne veut pas de cette réforme brutale, injuste, injustifiée. Lorsqu’on touche au droit à la retraite, il n’est pas question d’émotivité ni de sensiblerie mais de réalités sociales : cela affecte nos vies. Votre entêtement finit par vous rendre illégitime. Ne racontez pas de sornettes en brandissant le programme présidentiel : l’esprit de responsabilité, le respect de la volonté populaire, voilà ce qui devrait vous guider, à la place où vous êtes. Notre République fragilisée ne peut se permettre le passage en force et le pourrissement – et évitez de nous expliquer paternellement que c’est pour notre bien ! Vous n’avez pas de majorité populaire. Il va falloir vous mettre dans la tête que ça ne passe pas. Il va falloir que l’hypothèse d’un abandon du projet fasse son chemin. Vous êtes en fâcheuse posture. Je ne comprends pas ce que vous faites encore là, monsieur le ministre : il faut rentrer, maintenant, avec votre réforme sous le bras. Retirez votre projet !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Le ministre a répondu à notre invitation, monsieur le député. S’il l’avait déclinée, vous auriez dit qu’il manquait de courage. Je vous prie de faire preuve d’un peu de respect à l’égard des invités que nous recevons.

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le ministre, votre projet n’a pas de légitimité démocratique. Contrairement à ce que dit le Président de la République, les Français ne l’ont pas élu pour réformer les retraites en portant de 62 à 65 ans l’âge légal de départ. De fait, la moitié des électeurs qui ont voté pour lui au deuxième tour – et moi le premier – n’approuvaient pas cette mesure de son programme. D’ailleurs, un mois plus tard, la majorité sortante a obtenu 25 % des voix au premier tour des élections législatives et une minorité de sièges dans notre assemblée. Les sondages confirment ce rejet : 76 % des actifs sont contre, dont 79 % des ouvriers et des employés ; 46 % des retraités, qui ne sont pourtant pas concernés, y sont même opposés.

Vous présentez votre réforme juste socialement et permettant de redresser les comptes. Or, elle n’est pas juste et il y avait d’autres manières d’assurer l’équilibre des comptes des quarante-deux régimes de retraite existants.

La réforme est injuste parce que ceux qui vont la subir ont commencé à travailler tôt, et exercent parfois des métiers pénibles. Notre groupe est hostile au recul de l’âge légal du régime général, qui va s’abattre comme un couperet. Dans une tribune publiée en 2021, nous posions une question simple : à la fin de l’open bar budgétaire, qui paie l’addition ? Vous apportez, avec ce texte, une réponse : ce sont les Français qui commencent à travailler tôt. Pourquoi n’agissez-vous pas en majorant la surcote, qui est une véritable incitation à rester au travail ? Concentrer le débat sur l’âge de 64 ans est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Les mobilisations massives de jeudi le prouvent. Quant aux mesures concernant la pénibilité, malgré quelques progrès, elles sont également insuffisantes et difficiles à mettre en œuvre, parce que vous ne vous appuyez pas assez sur des négociations par branches entre les partenaires sociaux.

Votre réforme est injuste parce qu’elle comporte peu de mesures à destination des familles et des femmes – à l’exception de la prise en compte des congés parentaux d’éducation – alors que leurs pensions de droit direct sont inférieures de 40 % à celle des hommes. Nous proposons, quant à nous, de généraliser à 57 ans l’âge légal pour bénéficier de la pension de réversion et de remonter les plafonds de cumul. Nous proposons aussi d’uniformiser et d’améliorer les règles de majoration de pension et de durée d’assurance pour enfants. Il faut régler le problème des conjoints divorcés. Vous avez du reste demandé au COR une étude sur les droits familiaux, que vous jugez vous-même être, dans une interview publiée dimanche dernier par le Journal du dimanche, « de véritables nids à inégalités, tant ils sont divers selon les régimes ». Êtes-vous donc ouvert à des amendements en ce sens ?

Votre réforme est d’autant plus injuste que vous ne traitez pas vraiment de ce sujet essentiel pour l’avenir du système qu’est l’emploi des séniors. Nous avons besoin d’un vrai plan visant à augmenter les taux d’activité de ces derniers. La création d’un index des séniors ne résoudra pas le problème : il faut un plus gros effort de la part des entreprises, notamment en termes de formation et de reclassement. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas réfléchir à une dégressivité des cotisations sociales au-delà de 55 ans ? Il faut aussi prévoir des aménagements de fin de carrière pour rendre celle-ci plus attractive. Vous faites un pas en faveur du cumul emploi-retraite et de la retraite progressive. Il faudrait aller plus loin pour que la liberté des assurés soit la règle.

Enfin, votre réforme est injuste parce que vous mettez en extinctions cinq régimes spéciaux, non les autres. Durant le précédent mandat, vous avez échoué à faire une réforme systémique en voulant créer un quarante-troisième régime de retraite. Aujourd’hui, vous faites une réforme essentiellement paramétrique et très subsidiairement systémique, sans aucune cohérence. Pourquoi, par exemple, écartez-vous les régimes spéciaux de l’Assemblée nationale et du Sénat alors que vous mettez en extinction celui des membres du Conseil économique, social et environnemental ? Pourquoi maintenez-vous les régimes spéciaux de l’Opéra de Paris, de la Comédie‑Française et de l’Établissement national des invalides de la marine (Énim) ?

Notre groupe défend une réforme des retraites qui soit de justice et de liberté. Or, sur les 17 milliards d’euros d’économies brutes attendues – compte non tenu des surcoûts du régime d’assurance chômage et du RSA, que certains estiment à un tiers de ce montant – seul un tiers servira à financer des dispositifs de solidarité. Il ne s’agit donc pas d’une loi de justice sociale.

Nous attendons par ailleurs que vous précisiez ce que vous proposez en matière de carrières longues et de retraite minimale. Quelles seront les conditions exactes d’accès et combien d’assurés seront réellement concernés par ces mesures attendues ? Votre texte renvoie de nombreux éléments à des décrets.

En l’état, votre projet de réforme des retraites n’est pas vraiment une réforme. Tout est d’ailleurs prévu dès la présentation du programme de stabilité, où vous écrivez noir sur blanc que « la maîtrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment ». Il faut s’attaquer aux déficits, mais affirmer qu’ils mettent en péril notre système de répartition est inexact et exagéré. Nous avons le temps de trouver d’autres solutions qui ne pénalisent pas les salariés modestes et les classes moyennes. Notre groupe est prêt à soutenir une réforme des retraites de liberté et de justice sociale, mais ce n’est pas ce que vous nous proposez.

M. le ministre. La réforme que nous proposons permettra de dégager des marges de manœuvre qui s’élèveront, pour le seul système de retraites, à 18 milliards d’euros. Avec le recul de l’âge de départ et les mesures d’accompagnement que nous proposons, elle doit également avoir un impact sur l’emploi. Nous estimons ainsi qu’elle permettra de maintenir dans l’emploi d’environ 300 000 personnes en 2030, 350 000 ensuite, et de faire monter de 6 points le taux d’emploi des séniors, ce qui aura un effet bénéfique sur la croissance. En supposant un lien direct à moyen terme entre l’emploi supplémentaire et le produit intérieur brut, le surcroît de croissance sera de l’ordre de 1 point de produit intérieur brut, ce qui sera bénéfique pour les finances publiques et permettra de garantir que pas un seul euro de cotisations vieillesse ne finance autre chose que les retraites. En revanche, une augmentation du produit intérieur brut entraînera une augmentation de la richesse produite et d’autres contributions fiscales ou sociales.

Madame la rapporteure générale, la réforme permettra, par ses seuls effets et indépendamment de toute autre considération, d’augmenter la pension à la liquidation de 1 à 2 %. Mais ces gains seront concentrés au profit des 30 % de pensions les plus petites, globalement inférieures à 1 000 euros, qui augmenteront plutôt de 5 %, indépendamment du mécanisme de la retraite garantie, et des femmes, pour qui ils seront globalement deux fois plus importants que pour les hommes en raison de mécanismes sur lesquels je reviendrai. Cela s’explique à la fois par l’augmentation de la durée d’activité, par la hausse des minima de pension, par les droits générés, notamment durant les périodes de cumul emploi-retraite, et par l’intégration, pour l’éligibilité au minimum de pension, de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF).

Pour ce qui est des effets redistributifs, le fait que 40 % de nos concitoyens qui se trouvent dans les situations les plus fragiles partent à la retraite de manière anticipée recouvre des situations variables selon les générations. Pour les personnes nées en 1961 et 1962, ces départs anticipés tiennent pour 15 points à des situations d’invalidité ou d’incapacité sur avis médical, pour 20 à 22 points à des carrières longues et pour 5 points à d’autres dispositifs, qui peuvent être liés à la mobilisation des points de C2P, à des incapacités permanentes dans la fonction publique, à des retraites progressives, à l’exposition à l’amiante, à des handicaps ou aux mesures visant les catégories actives. Chaque année, 40 % des assurés partent à retraite sans avoir atteint l’âge légal. À l’opposé du spectre, 15 % partent non pas à 62 ans, ni à 63, qui est l’âge de départ effectif moyen, mais à 67 ans. Il peut s’agir, même si c’est minoritaire, d’hommes et de femmes qui exercent des métiers passionnants relevant de l’enseignement, de l’encadrement supérieur de la fonction publique, ou encore de la médecine, mais ce sont pour l’essentiel des personnes désireuses de diminuer l’impact de la décote subie entre 62 et 67 ans – souvent des femmes qui ont connu des interruptions de carrière et qui exercent des métiers difficiles comme ceux de l’aide à domicile, de la garde d’enfants, du soin et du médico-social.

Enfin, le milliard d’euros qui sera mobilisé, sur l’ensemble de la législature, pour le financement du fonds de prévention de l’usure professionnelle et de la pénibilité sera géré par la branche AT-MP, qui le financera à hauteur de 200 millions d’euros par an en régime de croisière. Il s’agit d’un véritable changement d’échelle, à comparer aux 40 millions d’euros par an que la branche y consacre actuellement. Nous souhaitons que ces financements accompagnent la mise en œuvre de plans de prévention, métier par métier et branche par branche, afin de réduire le nombre de départs pour incapacité ou inaptitude, actuellement au nombre de 100 000. En effet, le départ anticipé de deux, trois ou quatre ans d’un salarié abîmé par son travail n’est pas une réponse à la pénibilité. Je préfère mille fois qu’un salarié parte à l’âge légal, en bonne santé et en forme, pour profiter de sa retraite plutôt que deux ou trois ans plus tôt parce qu’il a le dos brisé.

Je précise à cette occasion que la branche AT-MP devrait connaître un excédent de 3,3 milliards d’euros en 2026, en tenant compte du virement classiquement adopté par le Parlement à l’occasion des lois de financement de la sécurité sociale pour compenser les sous-déclarations auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Bref ce seront 3,3 milliards d’euros d’excédent net. Avec la hausse du taux de cotisation à la Caisse nationale d’assurance vieillesse et la baisse de celui de la cotisation AT-MP que nous proposons pour assurer le financement du système de retraite, cet excédent sera encore supérieur à 2 milliards d’euros, ce qui permet de consacrer 200 millions d’euros par an, et peut-être même un peu plus, à la prévention de la pénibilité. Il n’y a donc pas de risque à mobiliser ce financement. J’ajoute que cet excédent de 3,3 milliards d’euros représente 20 % du total des recettes de la branche AT-MP, ce qui justifie aussi que nous puissions mobiliser une plus grande part de ces moyens pour la prévention de l’usure et de la pénibilité.

J’en viens aux points soulevés par les autres orateurs.

Nous voulons mieux protéger ceux qui commencent à travailler tôt. J’entends l’argument selon lequel certains assurés devraient travailler quarante-quatre années pour une retraite à taux plein. Comme nous l’avons dit, nous n’allons pas plus loin que la réforme Touraine de 2014, qui impose un minimum de quarante-trois années de cotisation pour le taux plein. Mais le fait est que, sur un peu moins de 800 000 assurés qui partent à la retraite, 180 000 ont cotisé plus que le nombre de trimestres requis. On parle beaucoup des personnes qui ont commencé à travailler à 20 ans. Mais qu’aurait-on dû dire alors, au cours des dix dernières années, de ceux qui ont commencé un peu après 19 ans, qui ne bénéficient pas du système de carrière longue et qui travaillent donc quarante-trois ans pour atteindre l’âge légal de 62 ans alors que le système n’impose que quarante-deux annuités ? Les réformes successives ont corrigé cette situation. Et qu’aurions-nous dû dire de ceux qui, avant 2010 et l’instauration du système des carrières longues, commençaient à 14 ou 15 ans et devaient travailler jusqu’à l’âge de 60 ans, en cotisant quarante-cinq ou quarante-six années ? Je ne m’en félicite pas ; je constate que notre système comporte des paramètres – d’âge, de date de naissance, de durée de cotisation – qui génèrent toujours des effets de bord que nous visons à réduire.

En améliorant l’accès au départ anticipé à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et en créant une borne pour ceux qui ont commencé entre 16 et 18 ans, nous nous employons, même si certains peuvent trouver cela insatisfaisant et imparfaitement réussi, à réduire le plus possible l’écart de durée de cotisation selon qu’on a commencé plus tôt ou plus tard et, globalement, l’écart de durée de cotisation entre les différents assurés, qui n’aura jamais été aussi faible. Et c’est tant mieux ! Quant à savoir si c’est perfectible, je ne suis pas certain que la perfection soit de ce monde. Du moins faut-il souligner ce progrès !

Monsieur Maillard, vous avez évoqué la pénibilité comme d’autres après vous. Nous avons fait le choix d’améliorer le C2P en abaissant les seuils, en prenant en charge la polyexposition et en créant une nouvelle utilisation de ce dispositif. Ces mesures vont dans le bon sens et sont, du reste, plutôt saluées par nos interlocuteurs, même s’ils ne souscrivent pas au relèvement de l’âge de départ.

Quatre critères ont été exclus du C2P – qui succède depuis 2017 au C3P, ou compte personnel de prévention de la pénibilité. Le premier, que Mme Rousseau vient d’évoquer, est l’exposition à un risque chimique. Aucun des partenaires sociaux ne nous a demandé sa réintégration dans le C2P. Nous partageons l’idée que, pour ceux qui y ont déjà été exposés, les risques chimiques peuvent conduire à une forme de prévalence des maladies professionnelles, qu’il faut mieux suivre, mieux prévenir et malheureusement réparer s’il y a lieu. En revanche, pour ceux qui travaillent aujourd’hui ou travailleront demain, le risque d’exposition aux agents chimiques ne relève pas d’une pénibilité à accepter, mais d’une interdiction : cette exposition ne doit pas être. En cela, notre approche diffère de la vôtre.

Les trois autres critères que sont les vibrations, le port de charges lourdes et les postures pénibles sont ergonomiques. Si nous ne les réintégrons pas dans le C2P, c’est néanmoins autour de ces critères que seront déterminés par la branche AT-MP les métiers les plus exposés à la pénibilité, sur la base de l’accidentologie et de la prévalence des maladies professionnelles, ainsi que sur la base d’une enquête Sumer – Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels – qui examine la qualité des conditions de travail. Ces métiers font obligatoirement l’objet de discussions des branches et d’accords de prévention – accords, qui, comme je viens de l’indiquer, seront financés. C’est pour ces métiers que nous créons un suivi médical renforcé afin de garantir l’effectivité des départs anticipés après avis médical. C’est d’ailleurs un point de divergence avec certaines organisations syndicales qui souhaiteraient faire de ce départ un droit automatique alors que nous voulons tenir compte de l’effectivité de l’exposition. Ce n’est pas la même chose d’être menuisier sur un chantier en extérieur ou dans un atelier où l’on actionne une machine à commande numérique. Or, d’un point de vue administratif, ces deux situations relèvent d’un même code dans la nomenclature métiers. Il faut prendre en compte des conditions de travail effectives.

Nier le risque des effets de bord pour d’autres branches de la sécurité sociale, évoqués par les orateurs des groupes Rassemblement National et La France insoumise, ainsi que par Mme Rousseau et M. Dharréville, serait l’expression d’une forme d’illusion, en tout cas d’un idéal difficile à atteindre. Nous avons pris des mesures minimisant ce risque. Il y a le maintien de la possibilité d’un départ anticipé à 55 ans pour les travailleurs handicapés et à 62 ans pour les victimes d’une incapacité ou d’une inaptitude. Il y a le fait de rendre automatique, sans avis médical, le droit au départ anticipé pour les personnes qui ont un taux d’incapacité supérieur à 20 % à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. Ce sont des garanties du maintien comptable dans l’enveloppe des retraites de la charge des pensions de ceux qui, si nous n’avions pas pris ces mesures, basculeraient vers d’autres branches la sécurité sociale et d’autres régimes de protection. Nous ne partageons donc pas vos inquiétudes.

Pour ce qui est de l’attention à porter aux plus fragiles, ce sont les retraités des trois premiers déciles qui bénéficieront des plus fortes hausses de pension.

M. Thomas Ménagé a dit que les retraités n’étaient pas des lignes d’un tableau Excel de Bercy. Ça tombe bien : j’ai quitté Bercy. Mais les retraités ne doivent pas être non plus être l’enjeu de slogans trompeurs ou de tracts mensongers. Nous travaillons pour les plus fragiles, pour que les mesures paramétriques soient les plus adaptées et adaptables possibles à leur situation effective. C’est un point d’attention majeur. Nous aurons l’occasion, durant le débat, d’examiner un par un les éléments que la Première ministre et moi avons pris en considération pour protéger les plus fragiles.

Il a beaucoup été question de la garantie d’une retraite minimum correspondant à 85 % du Smic net – soit, selon nos prévisions, près de 1 200 euros à la fin de l’année 2023. Ce montant sera soumis à un seul prélèvement, la contribution sociale généralisée (CSG). Le système de la CSG étant familialisé, le taux appliqué à ces pensions minimales garanties ne dépendra pas du niveau de pension de l’assuré, mais des revenus de son foyer fiscal. Il variera de 0 % à 3,8 %, un taux majoré étant également possible. Toutefois, sauf extraordinaire, les bénéficiaires de cette pension minimum garantie appartiennent rarement à des foyers fiscaux dont le revenu relève d’un taux majoré.

Monsieur Bazin, s’agissant des droits familiaux également évoqués par M. de Courson, vous relevez qu’il existe onze systèmes de pension différents – je pensais même qu’il y en avait treize. Il y a un manque d’harmonisation, par exemple en matière de majoration de la durée de cotisation : avoir un enfant se traduit par l’équivalent de huit trimestres dans le secteur privé et quatre trimestres dans le secteur public, différence qui s’explique par l’histoire plus que par la réalité, les agents du public ayant été considérés comme jouissant d’une perspective de carrière plus stable que les salariés du privé. Nous avons demandé au Conseil d’orientation des retraites de travailler sur cette question ; nous avons la conviction que les parlementaires s’en saisiront, comme ils l’ont fait à de nombreuses reprises. Nous avançons quelques propositions sur l’intégration de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, pour l’éligibilité tant au minimum de pension, notamment au MiCo majoré, qu’à un départ anticipé pour carrière longue. Il faut avancer sur ce sujet, mais il est si complexe qu’il faut du temps. Nous devons pouvoir nous appuyer sur les travaux évoqués. Nous croiserons cette mesure avec celle qui concerne les aidants.

Pour ce qui est de la date d’entrée en vigueur du dispositif, une modification serait envisageable si la date du 1er septembre ne concernait que le premier palier, avec un relèvement de trois mois de l’âge d’ouverture des droits. Mais la réforme est un tout : au 1er septembre interviendront aussi la majoration de 100 euros pour les retraités qui prendront leur retraite avec une carrière complète au niveau du Smic, la prise en compte des TUC, les dispositions sur le cumul emploi-retraite créateur de droits, et le début de la revalorisation de la situation des retraités actuels. Toutes ces mesures positives prendront effet au 1er septembre, justifiant notre attachement à cette unité de date.

La fiabilité des simulateurs, en termes tant conjoncturels, pour répondre aux questions que se posent les assurés en période de réforme, que structurels, pour que les assurés aient, dans la durée, des réponses rapides et fiables, est au cœur des discussions, dans le cadre de la convention d’objectifs et de moyens, avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Différents simulateurs seront rapidement proposés.

S’agissant des revenus équivalant au Smic, les indépendants peuvent effectivement, en raison de l’assiette de leurs cotisations et de la nature plus volatile de leurs revenus, être pénalisés dans l’accès à la garantie de retraite. Une première réponse consiste à ouvrir, en vue d’une application en 2024 dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, la réforme de l’assiette de cotisation des indépendants. Il faut qu’il y ait désormais, à niveau de cotisation égal, un droit égal. Par ailleurs, nous travaillons, avec le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants et notamment avec la Confédération des petites et moyennes entreprises, qui est l’organisation d’employeurs la plus représentée en son sein, pour garantir de manière active l’accès à la retraite minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète, y compris en mobilisant les réserves de cette caisse. Une telle mesure n’est pas d’ordre législatif et ne relève pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale : il s’agit plutôt d’autoriser le Conseil à engager des dépenses inhabituelles, comme nous l’avions fait durant la crise du covid-19, pour qu’il propose des aides sociales supplémentaires ou qu’il pallie les difficultés d’accès de certains indépendants aux aides que nous avons instaurées.

Vous avez évoqué la question de l’Agirc-Arrco ; je n’y reviendrai pas.

Monsieur Vigier, je ne reviendrai pas non plus sur l’emploi des séniors. Pour ce qui est de la pénibilité, nous allons déplafonner la possibilité d’obtenir des points au titre du C2P, qui permet d’obtenir des trimestres de départ anticipé : le déplafonnement permettra d’en obtenir davantage, à due proportion de cette acquisition.

Nous allons faire en sorte que le cumul emploi-retraite soit contributif et nous devrons, dans le cadre d’un futur projet de loi, articuler ce dispositif avec le compte épargne-temps universel.

Pour ce qui est du minimum contributif, nous savons que 200 000 retraités par an, soit un quart des 800 000 départs, bénéficieront d’une revalorisation de leur pension grâce à cette garantie. Cette revalorisation sera de l’ordre de 100 euros pour une carrière complète au niveau du Smic, et proratisée pour une carrière incomplète. Nous procéderons, pour les nouveaux retraités, à une augmentation de 25 euros du minimum contributif de base et de 75 euros du minimum contributif majoré pour obtenir le schéma le plus protecteur possible.

Monsieur Delaporte, vous avez articulé votre propos autour de trois mots : injustice, vide et défaite. La vraie injustice, c’est lorsque le responsable de votre parti défend la retraite à 60 ans avec quarante-trois années de cotisations – une machine à décote et à petites pensions. Le vrai vide, c’est votre proposition. Plus fondamentalement, la vraie défaite, c’est de dire son attachement à un système de gestion paritaire et par répartition tout en proposant de mettre ce système sous perfusion des revenus du capital – c’est l’abandon même des fondamentaux du système de retraite par répartition. Quant aux effets de bord et aux écarts de revenus, j’ai déjà répondu sur ces points.

Madame Rousseau, le rapport du COR s’appuie sur différentes hypothèses macro-économiques. Nous avons retenu l’hypothèse centrale – celle qui est toujours retenue. Plus précisément, le rapport s’appuie sur quatre hypothèses de croissance et deux conventions comptables, qu’on peut qualifier d’hypothèses comptables, supposant l’une l’équilibre par régime et l’autre l’équilibre à effort d’État constant – lequel n’existe pas. De fait, cette dernière convention, qui n’a jamais été mise en œuvre, consiste à imaginer que la part des recettes versées par l’État au système de retraites par la surcotisation de l’employeur État et par le subventionnement des régimes spéciaux représente quelques points de produit intérieur brut et resterait constante quel que soit le nombre d’agents publics et de pensionnés de l’État.

Nous travaillons, pour notre part, dans le cadre de ce qui existe : l’équilibre par régime, où les déficits sont chroniques. L’hypothèse centrale, fondée sur des hypothèses macro-économiques que tout le monde a toujours validées, aboutit à une dégradation du déficit. Je le répète : ne considérer que le poids des dépenses de retraites dans le produit intérieur brut – au-delà même du fait que la France et l’Italie sont les pays européens où ce poids est le plus lourd, avec une moyenne de 14 % contre 11 % pour les autres – sans tenir compte des recettes, et donc de la dégradation du solde, n’est pas responsable.

Pour ce qui est du minimum de pension et des critères de pénibilité, je crois avoir répondu, comme j’ai répondu à M. Dharréville à propos de la mobilisation des fonds de la branche AT-MP.

Monsieur de Courson, je suis ouvert à ce que nous discutions de la surcote et de sa mise en œuvre.

Pour ce qui est de la légitimité démocratique, je rappelle que, durant leurs campagnes électorales, le Président de la République et les députés de la majorité ont annoncé une réforme comportant un relèvement à 65 ans de l’âge de départ à la retraite. Certains électeurs ont pu voter pour eux, ou contre eux, à cause de cela ; certains ont voté pour le Président de la Réplique malgré cette réforme et sans la soutenir. Toujours est-il que le Président de la République a été élu et que personne n’est surpris que nous menions cette réforme annoncée. Cette transparence est aussi une forme de légitimité.

Pour ce qui est des droits familiaux, je ne reviendrai pas sur ma réponse à M. Bazin. Vous avez évoqué un écart moyen de 40 % entre les pensions des femmes et des hommes. Pour la génération de 1961, qui prend sa retraite cette année, cet écart sera de l’ordre de 30 % ; pour la génération de 1971, sous l’effet conjugué des évolutions sociologiques et des mesures prises, il devrait être de 20 %. Cela reste considérable mais l’évolution est notable. Le taux d’emploi des femmes et la part de leur vie consacrée à l’activité tendent à augmenter du fait de l’égalité professionnelle, ce qui est une bonne nouvelle en termes de répartition, d’émancipation et de capacité de notre société à agir. J’ajoute que, bien que la tentation soit souvent grande de faire du système des retraites une machine à réparer, compenser ou niveler les inégalités accumulées au long de la vie, et si bon soit-il de pouvoir le faire, cette vision me paraît un peu illusoire, ou du moins ambitieuse.

Enfin, nous maintenons les régimes propres à l’Opéra de Paris et à la Comédie française en raison de la difficulté de pratiquer ces métiers, par exemple la danse, au-delà d’un certain âge. Nous maintenons le régime de l’Énim parce que la profession de marin-pêcheur est l’une des plus difficiles et, malheureusement, des plus exposées au risque de décès en activité. Quant au régime des fonctions publiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, la décision relève de leur bureau.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des députés.

M. Didier Le Gac (RE). Le ministre a déjà répondu à une de mes interrogations en disant clairement que le dispositif de retraite « amiante » était maintenu dans ce projet de loi. En tant que président du groupe d’étude sur l’amiante de l’Assemblée nationale, je m’en félicite. La reconduction jusqu’en 2027 de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante était déjà une bonne nouvelle. Le fait que les personnes atteintes de maladies liées à l’amiante ne soient pas touchées par la réforme des retraites en est une autre.

Par ailleurs, en tant qu’élu d’une circonscription maritime, dans le Finistère, je suis attaché au régime de l’Énim. Je remercie le ministre d’avoir exclu de la réforme ce régime propre aux marins, qui exercent le métier le plus dangereux au monde.

M. Victor Catteau (RN). Monsieur le ministre, le 5 mai 2010, un député socialiste interpellait par ces mots le ministre du travail de l’époque au sujet de la réforme repoussant l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans : « Cette volonté de reculer l’âge de la retraite est doublement injuste. D’une part, elle écarte d’emblée la recherche d’autres recettes [...]. D’autre part, elle fera porter l’effort sur les générations nées après 1970, aujourd’hui plus préoccupées par leur situation actuelle, par leur entrée sur le marché du travail que par la question de leur retraite. » Ce député, monsieur le ministre, c’est vous ! Ou plutôt, c’est ce que vous étiez car, aujourd’hui, vous annoncez avec le plus grand calme reculer l’âge légal de départ à 64 ans. Mais où est passé votre bon sens ? Où est passée votre humanité ? Depuis quand êtes-vous aussi déconnecté de la réalité ? Comment pouvez-vous croire qu’à 64 ans, après une longue carrière de dur labeur, on n’est pas usé par la vie ? Un quart des Français les plus pauvres décèdent avant même l’âge de 62 ans ! Et nos aînés ne seront pas les seuls affectés. Si vous avez soudainement changé d’idée, alléché par l’odeur de la soupe, votre description reste juste : reculer l’âge départ à la retraite, c’est faire porter l’effort sur les jeunes générations.

Plus que doublement injuste, cette réforme est surtout injustifiée. Le COR, par la voix de son président auditionné jeudi dernier, l’affirme : les dépenses des retraites ne dérapent pas et sont relativement maîtrisées. Contrairement à ce que vous tentez tant bien que mal de faire croire aux Français, notre système actuel de retraites n’est pas en danger. Monsieur le ministre du travail, du plein emploi, de l’insertion et de la casse sociale, quand entendrez-vous enfin le message des Français et quand cesserez-vous de les escroquer ?

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Le 10 janvier dernier, Mme Borne a déclaré : « Nous demanderons aux employeurs une contribution supplémentaire pour le financement de la retraite. Mais nous refusons qu’elle augmente le coût du travail. C’est pourquoi nous baisserons, symétriquement, la cotisation des employeurs au régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui est très excédentaire. »

Alors que la France est championne d’Europe des accidents du travail, et même des accidents mortels du travail, la Première ministre va chercher dans la branche AT-MP l’argent de sa réforme. Quelle honte ! Vous voulez faire travailler les gens au moins deux ans de plus pour prétendument sauver un système des retraites qui n’est pas en danger. Pire : pour financer cette attaque, vous vous servez dans la caisse des travailleurs essentiels et des victimes de la pénibilité et des accidents du travail, dont le nombre est sous-évalué.

Pour vous, il est plus facile d’obliger des millions de gens à travailler plus, en prenant deux ans de leur vie, que de taxer les employeurs ou de trouver d’autres ressources pour mettre en place une réforme des retraites vraiment juste. La déclaration de Mme Borne dit beaucoup du mépris profond que vous avez pour les travailleurs et les pauvres. Pourtant, sans leur travail, le pays ne tournerait pas.

M. Joël Aviragnet (SOC). Jeudi dernier, à l’appel des syndicats unis, plus d’un million de citoyens ont manifesté pour défendre leur retraite. Certains, notamment des travailleurs aux carrières longues ou souffrant de la pénibilité du travail, le faisaient pour conserver le droit de partir à la retraite en bonne santé. La réforme que vous proposez est un recul social comme nous en avons peu connu ces dernières décennies. Alors que l’argent magique coulait à flots pendant la pandémie, nous nous demandions tous qui allait payer le « quoi qu’il en coûte ». Désormais, il n’y a plus de place au doute. Plutôt que de mettre à contribution les super-riches ou les multinationales, vous demandez aux Français de travailler deux ans de plus. L’étude d’impact montre que les inégalités existent à tous les niveaux. Une femme née dans les années 1980 devra travailler huit mois de plus à cause de votre réforme. Pour un homme de la même génération, ce seront quatre mois supplémentaires. Vous renforcez non seulement les inégalités sociales, mais aussi une inégalité de sexe déjà criante.

Le vernis social que vous essayez d’appliquer sur votre réforme n’y changera rien. Il est destiné à faire passer la pilule. Mais il ne témoigne pas d’une vraie volonté d’améliorer notre système de retraite. Comme neuf actifs sur dix, comme la majorité des Français, je suis farouchement opposé à cette réforme des retraites. Ce gouvernement est toujours plus créatif pour vider les poches des classes moyennes que pour rétablir un peu de justice sociale. Pourquoi s’obstiner à reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans alors que les Français y sont opposés ? Pourquoi ne pas envisager d’autres solutions, comme une augmentation des cotisations sociales ou une imposition des plus favorisés ?

Mme Fanta Berete (RE). S’agissant de l’index des séniors, la présentation du ministre m’a rassurée. Un autre objectif du Gouvernement est de protéger les femmes qui ont des carrières hachées ou qui touchent de faibles pensions. Elles sont les premières bénéficiaires des mesures comme le maintien de l’âge de la décote à 67 ans, le relèvement des petites pensions, la prise en compte des congés parentaux ou des trimestres en tant qu’aidant… Tout cela est essentiel.

Mais l’écart entre les pensions des femmes et des hommes était de 40,5 % en 2019. En ce jour symbolique de remise du rapport 2023 sur l’état du sexisme en France par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, avez-vous envisagé d’autres pistes pour combler cet écart ? Seriez-vous prêt à envisager des mesures susceptibles de réduire cette injustice sociale dès le moment où elle naît, c’est-à-dire lors du premier recrutement ? Je ne souhaite pas que ma fille, étudiante de 19 ans, subisse ce que nos aînées ont subi ou ce que certaines d’entre nous vont subir.

M. Thierry Frappé (RN). Nous sommes nombreux dans cette commission à nous interroger sur l’utilité de cette réforme et à dénoncer son caractère socialement injuste. Vous proposez un recul de deux ans de l’âge légal du départ à la retraite, porté à 64 ans. La durée de cotisation augmentera de deux ans alors que le pouvoir d’achat des retraités stagne depuis 2012. La situation de nos compatriotes qui exercent des métiers difficiles et celle des séniors ne sont pas bien prises en considération.

Ne pensez-vous pas que cette réforme va augmenter la précarité de l’emploi et le nombre d’arrêts maladie chez les séniors ? La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a publié un rapport qui indique que le taux d’emploi des séniors est de 56 %, soit 75,1 % chez les 55-59 ans, ce qui est un bon chiffre, mais seulement 35,5 % chez les 60-64 ans. La précarité est considérablement plus importante dans cette tranche d’âge. Pire encore : les données montrent que le taux de chômage augmente avec l’âge. Comment permettre aux séniors de continuer à travailler jusqu’à 64 ans sans difficulté ?

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Monsieur le ministre, vous refusez de débattre avec Philippe Martinez, avec Laurent Berger, avec l’économiste Thomas Porcher et avec moi... Je suis donc heureux de vous voir ici enfin !

Jeudi dernier, je me trouvais avec deux millions de ces « amis imaginaires » que vous me prêtez par voie de presse. J’ai vu une aide-soignante de l’hôpital d’Amiens, qui souffre de polyarthrite ; son mari travaille de nuit chez Valeo depuis 39 ans. J’ai vu un jardinier dans les cimetières militaires, qui travaille dans le froid et l’humidité. J’ai vu un maçon carreleur de 50 ans qui a déjà mal au dos. Tous vont en prendre pour deux ans de plus. Pour eux, cette réforme n’est pas un truc technocratique ou budgétaire : ils vont la subir dans leur chair et dans leur tête.

Vous allez faire plein de broderies autour du compte pénibilité, de l’index séniors… Du baratin et du bidouillage ! Mais quand vous dites que le report de l’âge de la retraite à 64 ans est nécessaire au retour à l’équilibre du système, de quel système parlez-vous ? Le jour même de la présentation de la réforme, on annonce des dividendes records pour le CAC40. Mais rien n’est prévu dans votre projet de loi pour aller chercher des recettes du côté de vos amis milliardaires – eux ne sont pas imaginaires ! Oui, ceux qu’Emmanuel Macron recevait à l’Élysée vendredi dernier en leur assurant que rien ne serait fait au sujet des superprofits... Voilà pour l’équilibre et la justice !

Mais il y a pire du côté démocratique. Sept Français sur dix, huit salariés sur dix vous disent non, les deux tiers des Français voudraient aller chercher les ressources dans les grandes fortunes et les grandes firmes. Mais vous ne cherchez pas à convaincre : seulement à vaincre – par la lassitude, la résignation et le dégoût. Mesurez-vous le mal que vous faites à la République ?

Mme Christine Le Nabour (RE). J’ai été interpellée par un agriculteur de ma circonscription, à la retraite depuis plusieurs années. Il a commencé à travailler à 17 ans. Il a aussi été adjoint au maire de sa commune pendant dix-neuf ans. Il ne bénéficie pas d’une pension équivalente à 85 % du Smic alors que cette mesure a été votée en 2020 en faveur des chefs d’exploitation agricole ayant une carrière complète. En effet, les anciens élus voient leur retraite au titre de l’Ircantec, régime obligatoire des élus, prise en compte dans le calcul du plafond de pensions.

Cette injustice a été partiellement réparée par la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui a permis de ne plus tenir compte des droits en cours de constitution au titre de l’Ircantec. Toutefois cette disposition ne règle pas la situation des agriculteurs qui ont pris leur retraite avant 2020 et 2022. Ils ont cumulé pendant plusieurs années activité professionnelle et engagement pour la collectivité. Leur investissement au service des citoyens les pénalise aujourd’hui. Que faire pour eux ?

Mme Monique Iborra (RE). Un point soulève questions et polémiques : le report de l’âge légal serait plus défavorable aux femmes qu’aux hommes. Pouvez-vous apporter des précisions sur ce point ?

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Vous faites le pari d’améliorer l’emploi des séniors grâce au seul outil de l’index séniors. Mais l’index de l’égalité professionnelle hommes-femmes a brillé par son inefficacité. L’index séniors est une régression supplémentaire car il semble suffire à l’entreprise de le publier pour échapper aux sanctions, qu’importent les résultats. En outre, aucun barème n’est prévu à ce stade et la définition des indicateurs est floue. Vous n’avez pas repris l’intégralité du modèle de l’index de l’égalité professionnelle, qui a au moins le mérite de prévoir un score minimum à atteindre. Confirmez-vous que la sanction ne s’appliquerait qu’en cas de non-publication, ou bien est-il prévu de sanctionner les entreprises qui présentent des résultats insuffisants ?

Même de votre point de vue comptable, l’égalité salariale ajouterait à elle seule 12 % de cotisations par an ! Comment comptez-vous en pratique intégrer l’impact délétère de votre réforme sur la vie des Françaises ? Enfin, envisagez-vous d’augmenter la pénalité, actuellement fixée à 1 % de la masse salariale, pour la rendre réellement dissuasive et adaptée à la taille des entreprises ?

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). La retraite s’inscrit dans le prolongement de la vie professionnelle, laquelle dépend du parcours de chacun. Elle mêle phases d’apprentissage, de formation et d’activité, dans les secteurs public et privé. Les pensions reflètent la diversité de ces parcours individuels. Or, toute réforme du système doit être envisagée de manière globale. En ce qui concerne l’aspect financier, le président du COR a souligné que l’évolution des dépenses de pensions reste constante mais que nous devons affronter une diminution des recettes – liée à la démographie, aux modalités des parcours de fin de carrière et aux évolutions conjoncturelles des taux d’emploi et de chômage.

Cette réforme paramétrique et financière, présentée sous la forme d’une loi de financement de la sécurité sociale rectificative, se comprend. Cependant, est-il possible d’envisager l’hypothèse d’un départ à 63 ans pour les femmes qui ont eu des bas revenus et des carrières hachées – ce qui existe dans d’autres pays européens ? Qu’en est-il d’une éventuelle modulation du taux de la CSG, qui augmenterait pour les pensions les plus élevées – même si je sais qu’il n’est pas prévu d’augmenter les impôts ? Quelles sont les modalités de rachat de trimestres pour les jeunes ? Enfin, il faut réviser les droits familiaux afin d’arriver à une équité entre public et privé s’agissant des trimestres validés par enfant, d’une part, et des pensions de réversion, d’autre part – comme c’était envisagé dans le précédent projet de réforme des retraites.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le hasard fait que c’est mon anniversaire. Vous m’offrez en cadeau un trimestre de cotisation et deux années de travail supplémentaires. Personnellement, j’ai envie de travailler le plus longtemps possible parce que j’ai la chance d’exercer des activités dans lesquelles je peux m’épanouir. Mais j’appartiens à la génération de 1972, la plus nombreuse depuis 1945, avec 877 000 naissances. Elle comprend des gens qui seront eux aussi contents de travailler davantage, mais également 42 % d’employés et d’ouvriers dont beaucoup ne trouveront aucune source d’émancipation dans ce trimestre et ces deux années supplémentaires, mais plutôt des risques d’épuisement aggravés.

Il faut que vous mesuriez les conséquences de votre réforme. Elle est essentiellement motivée par l’équilibre des finances publiques. L’avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) joint au projet de loi indique que « compte tenu du caractère incomplet des informations qui lui ont été transmises par le Gouvernement, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques ». Comment pouvez-vous dire que cette réforme permettra de rééquilibrer les finances publiques alors que le HCFP s’estime incapable d’en apprécier les conséquences ?

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Nous divergeons sur un point de fond. Vous considérez que le problème des retraites est lié aux dépenses. Vous expliquez que votre réforme rendra le système plus juste en dépensant moins – ce qui reste une énigme pour moi. Nous pensons qu’il faut chercher de nouvelles recettes pour une retraite plus juste.

J’aimerais connaître la nature des documents que nous avons reçus en début d’après-midi. J’ai été surpris par l’apparence du premier d’entre eux, qui ressemble davantage à un tract – certes de 112 pages – qu’aux documents habituels. Quand disposerons-nous d’une étude d’impact ?

Lorsque vous dites que personne n’est surpris par cette réforme, je crois comprendre que vous reconnaissez à demi-mot qu’il n’est pas honnête de considérer l’élection présidentielle et les élections législatives comme un référendum pour les retraites. En effet, le deuxième tour de l’élection présidentielle et d’un certain nombre d’élections législatives ne se sont s’est pas joués sur ce sujet – en tout cas ceux qui le prétendent ne font pas preuve d’honnêteté. Mais pourquoi n’organisez-vous pas un référendum sur une question aussi importante ?

Enfin, selon un article de presse paru aujourd’hui, il y aurait des problèmes techniques pour identifier les bénéficiaires de la pension minimum de 1 200 euros. Pourriez-vous en dire plus ?

M. le ministre. Je voudrais tout d’abord revenir sur la question des rachats de trimestres, posée par plusieurs intervenants, dont Sylvain Maillard.

Le premier chantier concerne l’amélioration de l’information, qu’il est difficile d’avoir au bon moment. Par exemple, le rachat de trimestres de stage effectués pendant des études n’est possible que pendant les deux ans qui suivent le stage. Personne ne le sait. Pourtant, les conditions de rachat sont très avantageuses – de l’ordre de quelques centaines d’euros par trimestre. Nous sommes favorables à un travail d’amélioration de l’information avec le groupement d’intérêt public concerné, mais aussi à des avancées sur les modalités de rachat de ces trimestres. Les délais pourraient être étendus aux cinq ans qui suivent le stage ou courir jusqu’à l’âge de 30 ans. De la même manière, les paramètres du rachat de trimestres d’études pourraient être adaptés afin de s’assurer que ceux qui le souhaitent puissent le faire à un moment où cela reste relativement avantageux – plus le temps passe, plus c’est coûteux. Je souhaite que nos débats permettent d’avancer sur ces sujets.

M. Catteau a dit que 25 % des personnes qui appartiennent aux classes populaires décèdent avant 62 ans. C’est une fausse information qui tourne en boucle – elle a même été reprise par la maire de Paris sur un réseau social. Cette question est sans rapport avec le travail et la retraite. Le taux mortalité de 25 % avant 60 ans concerne les 5 % de la population les plus modestes, dont les revenus mensuels ont été inférieurs à 540 euros au cours de leur vie. C’est le signe d’une très grande précarité, pas d’une mortalité liée au travail. C’est tout aussi inadmissible mais le lien fait par certains avec la situation des classes populaires ne tient pas. Concentrons-nous sur la lutte contre la grande précarité, mais ne faisons pas de la mortalité des 5 % des Français les plus modestes un argument dans le débat sur les retraites !

J’ai répondu à Mme Keke, ainsi qu’à M. Aviragnet, au sujet du financement de la branche AT-MP.

Mme Berete a évoqué la question de l’égalité professionnelle. C’est un sujet sur lequel nous devons avancer, indépendamment de la réforme des retraites. L’index d’égalité professionnelle est plus efficace qu’on le dit. Année après année, la note moyenne des entreprises assujetties progresse, ce qui signifie qu’elles font des efforts pour réduire les inégalités entre femmes et hommes. C’est cette réduction des inégalités qui permettra de limiter celles des pensions, qui tiennent principalement aux différences de revenu pendant la vie et au fait que les femmes restent plus exposées aux carrières hachées. Un chantier structurel permettra de progresser vers l’égalité professionnelle. Nous prenons des mesures qui y contribuent.

Je ne suis pas d’accord avec M. Frappé, qui considère que cet index d’égalité ne sert à rien. En revanche, c’est vrai, le seul index des séniors serait insuffisant pour améliorer l’emploi de cette catégorie de la population. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu d’autres dispositions concernant le cumul emploi-retraite, l’accès à la retraite progressive et son ouverture aux assurés de la fonction publique. Je pense aussi à des mesures hors de ce texte, en ce qui concerne la formation et l’articulation des règles qui encadrent l’indemnisation au titre de l’assurance chômage et l’accès à une retraite à taux plein.

M. Ruffin a évoqué un certain nombre de cas-types. Le report du départ à la retraite varie en fonction de l’âge des personnes et peut être inférieur à deux ans. Les quatre exemples donnés concernent des métiers qui ont vocation à ouvrir le bénéfice des dispositifs relatifs aux carrières longues ou à la pénibilité.

Ceci m’amène à la situation des aides-soignants et des infirmiers. J’ai dit tout à l’heure notre intention de créer un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, à hauteur de 1 milliard d’euros pour le régime général. Mon collègue Stanislas Guerini et moi avons annoncé ce matin un fonds de prévention pour la fonction publique hospitalière. Des discussions ont été ouvertes entre le Gouvernement et les employeurs territoriaux pour créer un fond analogue pour la fonction publique territoriale, dans le respect du principe de libre administration. Quand on parle d’infirmiers et d’aides-soignants, cela recouvre trois catégories de personnels dans la fonction publique hospitalière. Pour ce qui est des infirmiers, ils ont pu choisir en 2010 entre rester en catégorie B et continuer à bénéficier du statut de catégorie active avec un départ à la retraite anticipé de cinq ans, ou devenir catégorie A et perdre le bénéfice de ce départ anticipé. Tous les infirmiers recrutés après 2010 appartiennent à la catégorie A. Quant aux aides-soignants, ils bénéficient du départ anticipé de cinq ans. Dans le secteur privé, les aides-soignants et les infirmiers sont éligibles au compte professionnel de prévention. Nous prévoyons d’abaisser le seuil de définition du travail pénible de 120 à 100 nuits par an, ce qui leur octroiera davantage de points de C2P. Ces personnels seront aussi concernés par les mesures relatives aux postures pénibles et au port de charges – car les hôpitaux et les Ehpad ne sont pas tous équipés de lève-personnes sur rail. Enfin, dans la fonction publique territoriale, on trouve des infirmiers qui ont toujours été de catégorie A, puisqu’il n’y a pas de catégorie active, et des aides-soignants qui ne sont pas considérés comme catégorie active car ils relèvent de cette fonction publique. Tout cela justifie un fonds de prévention spécifique pour les métiers du soin. D’une part, il s’agit de métiers pénibles. D’autre part, la disparité des situations en fonction des cadres d’emploi et des statuts est tellement énorme qu’il faut mettre un terme à ces injustices.

Je sais que vous ne serez pas d’accord avec l’ensemble de la réforme, monsieur Ruffin. Nous pourrons en débattre dans l’enceinte parlementaire, que je préfère aux autres. Mais je suis certain que nous trouverons des points de convergence pour aider les personnels soignants.

Madame Le Nabour, vous avez évoqué la question des élus locaux qui ont cumulé leur mandat avec une profession d’agriculteur indépendant. Comme vous l’avez relevé, nous avons traité le flux. Pour ce qui est du stock, les mêmes règles doivent s’appliquer grâce à une lettre ministérielle du 25 mars 2022. J’en vérifierai la bonne application.

Mme Iborra a posé la question des femmes. Leur âge moyen effectif de départ à la retraite est actuellement plus bas que celui des hommes, du fait du bénéfice des majorations de durée d’affiliation – notamment les huit trimestres accordés au titre de la maternité et de l’éducation des enfants. Relever légèrement l’âge légal de départ diminue l’effet de cette majoration. Les études dont nous disposons montrent qu’à l’horizon 2030, l’âge effectif de départ à la retraite des femmes se sera rapproché de celui des hommes, en restant toutefois inférieur de deux mois.

Nous proposons d’autres dispositions pour atténuer cet effet. Il sera tenu compte de trimestres cotisés au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer pour reconstituer une carrière complète et bénéficier du minimum de pension. Cette assurance est accessible aux parents qui arrêtent de travailler ou qui travaillent à temps partiel, dès lors qu’ils bénéficient d’une prestation ou d’un minimum social relatif à la garde d’enfant. C’est une façon de protéger les femmes. Des trimestres acquis au titre de l’AVPF seront également pris en compte pour la retraite anticipée pour carrière longue ; c’est aussi une amélioration. Certaines femmes ont commencé à travailler avant 18 ans et demandent un départ anticipé lorsqu’elles arrivent à 60 ans, considérant qu’elles ont acquis les quarante-deux annuités nécessaires. Mais les trimestres cotisés au titre de l’AVPF ne sont pas pris en compte dans ce cadre-là. Parce qu’elles se sont arrêtées de travailler pour une raison évidente – s’occuper d’un nouveau-né – elles perdent le bénéfice du départ anticipé. Enfin, un certain nombre de mesures proposées ont des effets redistributifs plus favorables aux femmes qu’aux hommes, notamment en ce qui concerne le niveau de pension. Comme je l’ai dit précédemment à M. de Courson, l’écart moyen des pensions de retraite entre femmes et hommes tend à baisser. C’est tant mieux et tout ce qui accélère cette évolution, notamment grâce aux progrès de l’égalité professionnelle, est une bonne chose.

S’agissant des questions de M. Peytavie, je ne reviens pas sur les mesures en faveur de l’emploi des séniors. Je confirme que l’obligation de publicité de l’index séniors concernera les entreprises de plus de 300 salariés. Si elle n’est pas respectée, elle sera sanctionnée par une majoration des cotisations de l’entreprise pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. Les échanges avec ceux des partenaires sociaux qui ont trouvé le principe de l’index intéressant ont permis de constater que l’on considérait – aussi bien du côté des organisations d’employeurs que syndicales – que l’obligation de négociation sur l’emploi des séniors paraissait être un levier d’action suffisant. Le temps montrera-t-il que tel est bien le cas ? Attendons avant d’envisager des mesures coercitives. Quoi qu’il en soit, cela ne marchera que si nous adoptons les mesures en faveur de l’emploi des séniors déjà évoquées. Je répète que les résultats en matière d’égalité professionnelle sont plutôt encourageants.

J’ai répondu à l’instant aux questions de Mme Dubré-Chirat sur le rachat de trimestres et la révision des droits familiaux. Certains proposent parfois d’augmenter le taux de CSG pour les retraités ou de mettre à contribution les retraités actuels. Ce n’est pas la volonté du Gouvernement dans cette période où il s’attache à protéger le pouvoir d’achat.

La question de M. Guedj sur la génération de 1972 dépasse le sujet des retraites et renvoie au rapport au travail. Le Gouvernement a organisé les assises du travail auxquelles ont participé bon nombre de partenaires sociaux, d’intellectuels et de personnalités qualifiées. Je souhaite que nous puissions repenser le rapport au travail et je distingue volontiers, dans mes propos comme dans ma manière de travailler, la question de l’emploi de celle du travail. Je connais nombre de gens attachés à leur emploi – qui garantit un moyen de subsistance – mais qui n’aiment pas leur travail. Cette différence est peut-être l’une des explications des inquiétudes que suscite la perspective de travailler un peu plus longtemps.

Les documents transmis à l’issue du Conseil des ministres montrent que le projet est bien documenté, notamment en ce qui concerne les trajectoires financières et le retour à l’équilibre à l’horizon de 2030. Je sais qu’ils ont été communiqués au HCFP après le Conseil des ministres et nous pourrons y revenir quand tout le monde en aura pris connaissance.

J’en termine par les questions de M. Monnet. D’abord, nous n’allons pas dépenser moins, mais plutôt dépenser plus. Nous financerons des mesures nouvelles parce que nous aurons des recettes supplémentaires. C’est pourquoi nous portons un tel intérêt au solde.

L’application du minimum de pension aux futurs retraités ne pose aucune difficulté. C’est une affaire de systèmes d’information, pour intégrer une augmentation de 100 euros du minimum contributif – 75 en majoré, 25 en base. En revanche, il peut y avoir des difficultés techniques pour les dossiers des retraités actuels. Dans certaines caisses, les dossiers déposés avant 2010 n’ont pas été numérisés. Il s’agit aussi de régimes très particuliers qui, jusqu’à une date récente, pouvaient parfois s’appuyer sur d’autres éléments que le revenu comme base de cotisation. Nous avons eu ce débat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur les retraites agricoles, dont le rapporteur était M. Julien Dive. Afin de résoudre ces difficultés techniques, nous travaillons avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour que les versements puissent intervenir dès 2023 – quitte à régulariser de manière rétroactive.

Quant aux documents que nous vous avons transmis, nous présentons un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale parce que les mesures proposées ont, pour l’immense majorité d’entre elles, un effet dès 2023 – soit sur les recettes, soit sur les dépenses de la sécurité sociale. Comme pour tous les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, la procédure ne prévoit pas d’étude d’impact. Nous avons cependant rédigé un rapport sur les effets des mesures proposées. C’est ce document de 114 pages que vous avez reçu. Vous y trouverez une mine d’informations objectives et documentées. L’avis du HCFP vous sera aussi transmis par le secrétariat général du Gouvernement, ainsi que des fiches explicatives sur chaque article et chaque mesure. Cela permettra la discussion la plus éclairée possible. Même s’il ne s’agit pas d’une étude d’impact au sens strict, le rapport a été réalisé avec la même méthode. Il fournit le maximum de données chiffrées et il nourrira les débats.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour la clarté et la précision des échanges. La commission des affaires sociales examinera les articles du projet de loi à compter de lundi matin.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.

 


Présences en réunion

Présents.  Mme Farida Amrani, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, M. Victor Catteau, M. Hadrien Clouet, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Claire Guichard, Mme Monique Iborra, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. Matthieu Marchio, M. Yannick Monnet, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. François Ruffin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Philippe Vigier

 

Excusés.  M. Elie Califer, M. Paul Christophe, Mme Josiane Corneloup, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Caroline Fiat, Mme Caroline Janvier, Mme Joëlle Mélin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Olivier Serva, Mme Isabelle Valentin

 

Assistaient également à la réunion.  M. Charles de Courson, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Ménagé, M. Benoit Mournet, M. Vincent Seitlinger, M. Éric Woerth