Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale)              2

– Présences en réunion.................................46

 

 

 

 

 


Lundi
30 janvier 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 43

session de 2022-2023

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
présidente

 

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission procède à l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 760) (Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, nous entamons l’examen des articles du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. Lundi dernier, jour de la présentation du texte en conseil des ministres, nous avons auditionné M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion pendant deux heures trente, une réunion valant discussion générale.

Nos travaux sont soumis aux délais que l’article 47-1 de la Constitution assigne au Parlement pour l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Les vingt jours dont dispose l’Assemblée nationale en première lecture sont décomptés depuis avant‑hier, date à laquelle la Première ministre Élisabeth Borne a formellement indiqué à la Présidente Yaël Braun‑Pivet que l’ensemble des annexes au projet de loi avait été déposé.

Certains auraient voulu que la commission commence ses travaux beaucoup plus tôt, ce qui aurait considérablement raccourci le délai laissé à chacun pour déposer des amendements. En accord avec la Présidente de l’Assemblée nationale, j’ai écarté cette option. Par ailleurs, à compter de lundi prochain, deux semaines entières seront consacrées à l’examen du texte en séance publique et, s’agissant d’un PLFSS, la discussion portera sur le texte initial du Gouvernement. Il n’était donc pas nécessaire de précipiter les choses en commission. Vous avez ainsi disposé de plus de trois jours pour préparer vos propositions et, au vu du nombre d’amendements déposés, il sera difficile de prétendre que le temps a manqué. En tenant compte de la durée de traitement de ce volume considérable d’amendements, comprenant notamment la consultation du président de la commission des finances sur leur recevabilité, nous ne pouvions commencer que ce matin.

La date limite de dépôt d’amendement en séance publique ayant été fixée au jeudi 2 février à dix-sept heures, la commission travaillera jusqu’à la veille au soir. Elle disposera donc de vingt-huit heures de réunion. Je souligne que c’est davantage que les vingt-deux heures quinze consacrées à l’examen et à l’adoption, en première lecture, des cinquante-trois articles du PLFSS 2023. Il appartiendra aux groupes politiques de décider de la meilleure manière d’employer ce temps considérable de vingt-huit heures.

Nos règles de fonctionnement demeurent constantes : je donnerai la parole pour deux minutes à l’auteur de l’amendement, puis la rapporteure générale donnera son avis et enfin pourront s’exprimer un orateur favorable à l’amendement et un orateur d’avis opposé. Naturellement, pour les sujets les plus importants, je ferai preuve d’une grande bienveillance pour que chaque groupe qui le souhaite puisse s’exprimer.

En réponse au courrier que m’ont adressé certains d’entre vous sur la possibilité d’une priorité d’examen de l’article 7, les dispositions organiques relatives aux PLFSS imposent que la première partie soit examinée avant toute disposition de la seconde. Or, l’article 7 se situe en début de seconde partie. Par conséquent, il n’est pas possible d’accéder à cette demande de priorité.

L’avenir des retraites préoccupe nos compatriotes, qui écouteront et regarderont attentivement nos travaux. Dès lors, je veillerai particulièrement à la bonne tenue de nos débats. Chacun pourra s’exprimer, dans le respect des opinions et, plus encore, des personnes. Je sais que les sujets abordés intéressent bien au-delà de la commission des affaires sociales et que, par conséquent, des députés qui n’en sont pas membres viendront prendre part à la discussion. Ils sont évidemment les bienvenus ; ils pourront prendre la parole et défendre leurs amendements. Je rappelle simplement que seuls les membres de la commission des affaires sociales disposeront du droit de vote.

Enfin, il m’appartient de vous informer de la méthode suivant laquelle j’ai apprécié la recevabilité des 7 267 amendements déposés. Tout d’abord, 244 amendements ont été retirés par leurs auteurs et 154 autres ont été déposés en doublon par les mêmes signataires. De plus, ont été déclarés irrecevables les amendements relatifs au régime de retraite des parlementaires car il est régi par des dispositions organiques qu’une loi ordinaire ne peut modifier. De même, en application de l’article 20 de la Constitution, les quelques amendements faisant injonction au pouvoir exécutif ne seront pas mis en discussion.

J’en viens à l’application de l’article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Vu le nombre d’amendements dont nous sommes saisis, je n’ai pas sollicité le président de la commission des finances à propos d’un certain nombre d’initiatives manifestement irrecevables. Je l’ai cependant consulté dès qu’un doute se présentait et j’ai fait miens l’intégralité de ses avis. En toute rigueur, il m’aurait fallu déclarer irrecevables de très nombreux autres amendements si j’avais suivi à la lettre la pratique consignée dans les rapports des présidents successifs de la commission des finances. C’est en particulier le cas des amendements à l’article 1er qui visent à supprimer l’affiliation à certains régimes spéciaux : ils auraient pour conséquence d’affilier les salariés concernés au régime général, ce qui créerait une charge pour celui-ci. Quant à ceux qui visent à repousser la fin de l’affiliation à un régime spécial, ils ne créent certes aucune nouvelle charge puisqu’ils maintiennent inchangé le droit en vigueur, mais ils n’ont pas d’effet sur l’exercice 2023 : or, le PLFRSS peut exclusivement contenir des dispositions affectant les recettes et les dépenses de l’année 2023.

Une situation comparable s’est présentée pour des amendements qui, à l’article 7, proposent un âge légal de départ compris entre 62 et 64 ans pour tous les salariés ou pour certaines catégories d’entre eux. En effet, l’article 7 abaisse l’âge d’annulation de la décote à trois ans après l’âge légal contre cinq ans dans le droit existant. La pratique est dépourvue d’ambiguïté pour considérer de tels amendements irrecevables. Cela étant, qu’il s’agisse de l’article 1er ou de l’article 7, il m’a semblé nécessaire de faire prévaloir l’initiative parlementaire, les amendements en question portant sur le cœur même du texte.

En conséquence, alors que le taux d’irrecevabilité s’est généralement établi aux alentours de 50 % pour les précédents PLFSS, il est pour ce texte inférieur à 20 %.

Il était important de vous communiquer ces informations.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je remercie la présidente de la commission pour ses explications. Il était effectivement important de savoir sur quelles bases vous avez pris vos décisions. Je voudrais simplement appeler votre attention sur trois points.

Premièrement, certains amendements ont été jugés irrecevables parce qu’ils repoussaient l’entrée en vigueur de mesures présentes dans le projet de loi. Cela nous éclaire sur les conséquences du choix de ce véhicule budgétaire, qui contraint notre discussion. Ce n’est pas le moindre des problèmes s’agissant d’une réforme des retraites.

Deuxièmement, donner la parole à un orateur pour l’amendement en discussion et un orateur contre entraîne un débat mécanique, qui ne permet pas d’échanger des arguments. Or, sur un sujet aussi important, nous avons besoin non seulement de défendre nos amendements mais aussi d’approfondir la discussion. Ce n’est pas la bonne manière de fonctionner.

Enfin, vous avez indiqué que deux semaines entières seraient consacrées à l’examen du texte en séance publique. En réalité, les débats seront interrompus par la journée réservée à l’ordre du jour arrêté à l’initiative du groupe Socialistes et apparentés, et trois demi-journées par semaine ne seront pas utilisées. Cela fera donc, au mieux, six ou sept jours.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous n’allons pas entamer une seconde discussion générale. Le choix du véhicule législatif a été fait par le Gouvernement. Rien ne sert d’y revenir désormais en commission. Il est important de débuter l’examen du texte.

Avant l’article liminaire

Amendement AS758 de Mme Justine Gruet.

M. Stéphane Viry (LR). Il eût été opportun de nous interroger sur la place de la valeur travail dans notre pays. Notre régime de retraite par répartition en dépend pour son financement. Or, le périmètre du projet de loi est étriqué : au lieu que de débattre de dispositions techniques, il aurait été préférable de poser la question de l’assiette du financement de la protection sociale, notamment de la branche retraite.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel car l’article liminaire présente les données macroéconomiques sur lesquelles se fonde le PLFRSS. L’objectif de la réforme est le maintien de l’équilibre de notre système de retraite. Depuis six ans, nous agissons en faveur du travail – formation tout au long de la vie, augmentation du nombre d’apprentis, réforme de l’assurance chômage, baisse du chômage. Nous allons poursuivre avec ce texte, qui prévoit des mesures de transition entre le travail et la retraite – cumul emploi-retraite, retraite progressive, prise en compte de l’usure professionnelle.

Je suggère le retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous avez déclaré irrecevables les amendements sans effet sur les finances publiques en 2023. Pourtant, l’essentiel des dispositions du projet de loi s’appliqueront au-delà de cet exercice. Il y a une disproportion manifeste entre ce que peut faire le Gouvernement et ce qu’il nous est loisible de proposer.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je n’ai fait que suivre l’avis du président de la commission des finances.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le travail doit être respecté : il ne se fait pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelles conditions. Notre rôle est de lui rendre sa dignité, ce qui passe par une retraite digne. Cette réforme va malheureusement à l’encontre de ce principe, raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous aurions préféré que cet amendement parle de la juste place du travail dans notre pays. Renvoyer à la valeur travail, c’est suggérer une forme d’ingratitude chez les personnes souhaitant un droit au temps libre et au repos après le travail. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’ingratitude mais d’une demande légitime. Commencer l’examen du texte ainsi en dit long sur votre vision de la société.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Plus on célèbre la valeur travail dans les mots, plus on l’écrase dans les faits. En quarante ans, la part du travail dans la valeur ajoutée n’a cessé de décroître : elle a baissé de dix points. Le temps partiel a plus que doublé, souvent de manière contrainte ; la part des contrats à durée déterminée et des intérimaires a triplé.

Certes, les Français s’émancipent par le travail mais dans quelles conditions ? Le développement de la robotique, de l’informatique et du numérique n’a pas allégé leur tâche. Les salariés sont aujourd’hui 34 % à subir une triple contrainte physique – porter des charges lourdes, se baisser régulièrement... Ils étaient 12 % en 1984. On ne peut comprendre le puissant combat qui s’engage en faveur de la retraite sans percevoir cette réalité. Avant de vouloir travailler plus longtemps, il faudrait se demander comment travailler mieux. Cette question n’est jamais posée par la majorité macroniste qui, au contraire, fait peser de plus en plus de charges sur les salariés, sans la moindre rétribution. C’est regrettable car le meilleur moyen de financer les retraites, c’est simplement de payer correctement les salariés.

M. Éric Alauzet (RE). La question est fondamentale car elle concerne l’évolution de notre société. Historiquement, le travail n’est pas une valeur de droite. Elle a été largement défendue par la gauche et elle l’est encore. Je ne trouve pas inutile d’aborder ce sujet en ouverture de nos débats, même s’il n’est pas forcément nécessaire de voter cet amendement.

M. Thibault Bazin (LR). Notre système de retraite par répartition est menacé non seulement par le déficit et la dette, mais surtout par une crise de confiance de la nouvelle génération, qui doute de la transmission de ce patrimoine qu’est la sécurité sociale.

Sans travail, il n’y a pas de protection sociale. Si l’on veut recréer la confiance, il faut rétablir la justice sociale afin que ceux qui travaillent toute leur vie ne touchent pas de toutes petites retraites, comparables aux pensions servies à ceux qui n’ont jamais travaillé. Il faut également lutter contre les fraudes afin d’éviter que certains ne perçoivent indûment des pensions à l’étranger. Nous devons asseoir notre protection sociale sur le travail et sur une natalité qui assure le renouvellement des générations.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Parler de valeur travail introduit une dimension morale qui me semble hors de propos : le sujet n’est pas là. Le travail devrait contribuer à l’émancipation, à l’épanouissement, à la création de droits collectifs. Or, la majorité, après avoir abîmé le monde du travail et la protection des travailleurs sous la précédente législature avec les ordonnances portées par Muriel Pénicaud, présente aujourd’hui un projet de loi qui dégradera le droit à la retraite. Si l’on veut soigner le monde du travail, il faut arrêter la casse sociale.

M. Philippe Vigier (Dem). J’ai peur que, dans ce débat fondamental, on parle de valeur travail seulement dans l’article liminaire. Ce n’est pas lui réserver la place qu’elle mérite. J’ai cru comprendre que le ministre du travail allait ouvrir six ou sept chantiers liés à l’organisation du travail et au plein emploi. Nous pourrons alors, projet contre projet, parler du temps libre, du droit à la paresse, de ceux qui veulent s’épanouir dans le travail, des parcours professionnels. Chacun trouvera matière à intervenir.

M. François Gernigon (HOR). J’aurais aimé que l’on ait une vision claire de la question du travail des seniors avant la réforme des retraites. J’espère que le futur projet de loi sur le travail permettra de valoriser le rôle des seniors dans la transmission des savoirs car ce serait de nature à inspirer confiance dans les mesures d’allongement de durée de cotisation et de report de l’âge légal.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, vous avez dit que le projet de loi n’avait pas d’incidence sur les finances publiques en 2023. Il y en aura bien un, évalué à 400 millions d’euros.

Monsieur Ruffin, vous avez dit que la part du travail dans la valeur ajoutée avait diminué de dix points. C’est faux. La productivité, certes, a baissé, mais le Conseil d’orientation des retraites (COR) estime la part des salaires dans la valeur ajoutée stable à 60 % depuis trente ans.

La commission rejette l’amendement.

Article liminaire

Amendements de suppression AS729 de M. Jérôme Guedj, AS2794 de M. Sébastien Peytavie, AS2861 de Mme Sandrine Rousseau, AS4773 de Mme Mathilde Panot, AS4774 de M. François Ruffin, AS5061 de Mme Marie-Charlotte Garin, AS6941 de M. Pierre Dharréville et AS7070 de Mme Joëlle Mélin.

M. Jérôme Guedj (SOC). L’objet de cet amendement de suppression est de dire notre opposition à la réforme des retraites mais également au choix d’un PLFRSS pour la faire adopter. Vos explications, madame la présidente, étaient un vibrant plaidoyer contre cette monstruosité juridique : vous soulevez l’irrecevabilité d’amendements au motif qu’ils n’ont pas d’effet en 2023 alors que le Gouvernement réforme notre système de retraite pour les cinquante ou soixante prochaines années. Nous aurions aimé que cela ne se passe pas dans la résignation.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). L’article liminaire publie les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, en cohérence avec les prévisions du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. L’augmentation du produit intérieur brut provoquera mécaniquement une augmentation en volume des dépenses de santé, qui ne correspondra toutefois pas à des investissements supplémentaires. Le groupe Écologiste étant favorable à une dynamique d’investissement dans le système de protection sociale et opposé à une logique d’austérité, le présent amendement vise à supprimer cet article.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le partage entre travail et non-travail est un projet de société, un choix de vie. Il n’est pas honteux de profiter d’un temps libre et libéré : c’est le progrès social. Entamer les débats sur ce projet de loi par la question financière dit bien à quel point on met en danger la vie et la santé des gens uniquement pour des considérations de finances publiques. Nous souhaitons la suppression de cet article.

Mme Mathilde Panot (LFI - NUPES). Après deux semaines de pédagogie de la part du Gouvernement, le nombre de Français opposés à cette réforme a augmenté de treize points. Plus vous parlez, plus les Français comprennent que les femmes seront pénalisées – c’est le ministre Franck Riester qui l’affirme – et que vous êtes déconnectés, comme le démontrent vos déclarations sur les exosquelettes et les genouillères qui supprimeraient la pénibilité, ou encore sur les accompagnantes d’élèves en situation de handicap, payées 760 euros par mois en moyenne, qui choisiraient ce métier pour ne pas travailler le mercredi et pendant les vacances scolaires. Vous avez atteint le summum du mépris !

Par ailleurs, les Français ne croient pas à la nécessité économique de cette réforme. Selon le président du COR, les dépenses de retraite ne dérapent pas ; elles sont relativement maîtrisées et, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme. Les 12 milliards d’euros de déficit avancés par le Gouvernement pour justifier sa réforme ne représentent rien par rapport aux 346 milliards d’euros des retraites. S’il y a un trou, c’est parce que vous l’avez créé ! J’ai d’ailleurs demandé plusieurs fois combien avaient coûté les primes Macron aux caisses d’assurance vieillesse.

Enfin, j’aimerais savoir, madame la rapporteure générale, si ce que dit le collectif Nos services publics est vrai : selon lui, le Gouvernement table sur un gel des effectifs et une baisse réelle des rémunérations de 11 % d’ici 2027. Si c’est vrai, cela signifierait une casse sans précédent de nos services publics.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Selon la Banque de France, la part de la valeur ajoutée revenant aux salariés a baissé significativement lors des vingt dernières années, de 59 % à 54 %, pendant que celle des actionnaires a triplé, de 5 % à 15 %. Or, votre projet ne contient aucune mesure destinée à modifier ce partage. Vous êtes au service des fonds de pension anglo-saxons plutôt que des salariés français, comme le démontre votre décision de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Elle coûtera 8 milliards d’euros à l’État. Mais ça ne vous pose aucun problème !

Sous des apparences techniques et budgétaires, cette réforme est purement politicienne. Vous en faites un enjeu de pouvoir en cherchant à imposer une réforme rejetée par tous les syndicats de France, par sept Français sur dix, par huit salariés sur dix et même par des patrons. Vous vous radicalisez et votre extrémisme brutalise un corps social qui ne veut pas de cette régression. La France a besoin de douceur et de tendresse après la pandémie, la guerre en Ukraine et la reprise de l’inflation.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). L’article liminaire illustre la politique d’austérité à laquelle vous aspirez. Vous cherchez à faire peur aux Français alors que le COR affirme que le système de retraite n’est pas en faillite. Puis vous parlez de justice sociale alors que cette réforme affectera durablement les femmes. Cela nous montre que vous êtes incapables de penser une politique publique en pensant d’abord aux plus vulnérables. Ces arguments d’austérité ne peuvent justifier un passage en force, surtout quand la majorité des Français s’oppose à cette réforme.

Il est temps de réévaluer la place du travail dans notre société et d’engager une réforme d’ampleur qui soit juste, pour la jeunesse comme pour les retraités, et qui tienne compte des conditions de travail de plus en plus difficiles du fait du changement climatique. Or, votre réforme ignore tous ces points.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le début de l’examen du projet de loi en commission ne signifie pas que nous avons renoncé à obtenir son retrait. Vous aviez tout loisir d’introduire ce que vous vouliez dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui, voilà quelques semaines seulement, a été adoptée à grands coups d’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous nous étonnons que vous présentiez un tel texte, que nous jugeons irrecevable.

L’article liminaire exprime votre logique de limitation de l’augmentation des dépenses publiques à 0,6 %, conformément aux engagements du Gouvernement auprès de Bruxelles au titre du pacte de stabilité et de croissance, mais qui n’ont pas été adoptés par le Parlement puisque la loi de programmation des finances publiques a été rejetée. Cela posera, au bout du compte, un problème de constitutionnalité. La question de la recevabilité se pose donc davantage pour le projet de loi que pour nos amendements.

Nous étions, du reste, opposés au PLFSS, qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Il contribue à affaiblir la réponse aux besoins sociaux et la sécurité sociale. Des dégâts sont à prévoir dans le domaine sanitaire et, avec la réforme que vous nous proposez, pour le droit à la retraite.

Mme Laure Lavalette (RN). Je regrette que notre requête d’examen prioritaire de l’article 7 n’ait pu être retenue : entre le cadre contraint auquel nous soumet le Gouvernement et l’embolisation législative recherchée par La France insoumise, je crains que les Français ne soient les grands oubliés de ces débats.

L’amendement AS7070 vise à supprimer l’article liminaire, qui donne des gages aux marchés financiers, car cette dérive est préjudiciable aux assurés sociaux. Nous refusons que figurent en tête de ce texte des indices financiers qui décident de la répartition de l’effort de solidarité. L’article liminaire expose les perspectives de recettes et de dépenses des administrations de sécurité sociale, qui reposent sur des prévisions économiques. Il suit les dispositions de l’article 1er de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Cette mention est destinée à rassurer les établissements bancaires qui financent notre dette depuis 1996 et d’éventuels investisseurs privés intéressés par les services et les actifs de la sécurité sociale. Sa présence reflète la dérive des comptes de l’État, et singulièrement de ses comptes sociaux, vers une financiarisation inquiétante. Ce choix se fait aux dépens du principe de solidarité, qui fonde la sécurité sociale depuis 1945. Ce sont les impératifs de la gestion financière qui président au fonctionnement de nos Ehpad – dont votre lâcheté nous a empêchés d’aller vérifier les dysfonctionnements qu’a montrés le scandale Orpea. Ce sont ces mêmes impératifs qui présideront demain à la gestion de la téléconsultation. Il en ira de même dans bien des domaines médicaux et sociaux. C’est pourquoi nous voulons supprimer cet article.

Quant à la productivité, elle est la grande absence de cette réforme : il aurait suffi de créer des emplois à haute productivité pour que la question ne se pose plus et que les recettes augmentent significativement.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur Guedj, si le Gouvernement avait pris certaines dispositions dans la LFSS 2023, elles auraient été considérées comme brutales. Il a donc fait le choix de passer par un PLFRSS, ce qui permet au Parlement de débattre pendant cinquante jours. Ce n’est donc pas un passage en force.

Mme la rapporteure générale. Avis défavorable.

L’article liminaire, qui est une obligation organique, indique les prévisions macroéconomiques dans le cadre desquelles s’inscrit le texte. Il éclaire nos débats. Il est quasiment identique à celui de la LFSS 2023 et il doit continuer à nous alerter quant au déficit de l’ensemble de nos finances publiques, stabilisé à 5 % du produit intérieur brut. En fait, cet article fait apparaître pour l’année 2023 un seul changement, d’un montant de 400 millions d’euros : les mesures d’augmentation du minimum contributif, celles en faveur de la prévention et de l’usure professionnelle, ainsi que le début des retraites progressives.

Monsieur Guedj, vous avez parlé de monstruosité juridique, mais il a déjà été recouru à cette procédure pour le pacte de responsabilité en 2014. Vous siégiez alors dans la majorité.

Madame Panot, le COR dit bien qu’il n’y a pas de dérapage incontrôlé. Mais il dit aussi qu’à l’horizon de vingt-cinq ans, dans l’hypothèse d’une croissance de la productivité de 1 % – elle était de 0,7 % ces dix dernières années –, dans une situation de plein emploi et avec un taux de chômage de 4,5 %, le déficit serait de 11 milliards d’euros en 2026, de 13,5 milliards d’euros en 2030 et de 17 milliards d’euros en 2032. Le COR prend en compte les évolutions récentes de la démographie et de la croissance économique, qui déterminent à moyen et long terme la situation financière du système de retraites. Pour ce qui est de la démographie, les perspectives de natalité ont été révisées à la baisse par l’Insee, dans un contexte d’après-covid-19.

Par ailleurs, les hypothèses relatives à l’évolution de la fonction publique sont les mêmes que celles débattues dans le projet de loi de programmation des finances publiques en termes de stabilité globale des effectifs. Je rappelle que nous avons su dégager des priorités à cet égard, avec le financement de 15 000 soignants supplémentaires dans le cadre du Ségur.

Mme Raquel Garrido (LFI - NUPES). L’article 47-1 de la Constitution impose au Parlement un temps contraint pour discuter de textes budgétaires en vertu du principe de continuité financière de l’État. Pour effectuer une dépense au 1er janvier, il faut en effet l’avoir votée avant le 31 décembre ; pour mettre en œuvre une mesure budgétaire durant l’exercice en cours, il faut en rectifier le montant lorsque cela n’est pas prévu à l’avance. Or, cette réforme, qui remet en cause des équilibres à terme, voire à très long terme, ne relève pas de cela. Vous avez reconnu vous-même, madame la rapporteure générale, que les mesures réellement rectificatives ne portent que sur 400 millions d’euros sur un total de 18 milliards.

Plutôt que de parler de monstruosité juridique, je dirais que le texte est inconstitutionnel. Il s’agit d’une fraude et, comme le dit la locution latine, fraus omnia corrumpit – la fraude corrompt tout : en empruntant cette voie abusive, vous fragilisez juridiquement et démocratiquement ce texte. Tout au long de la discussion budgétaire, les Français vous ont vu recourir dix fois au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, que vous dégainez comme un revolver. Vous continuez, avec l’article 47‑1, le braquage et l’escroquerie. Nous, députés, devrions être au premier rang pour faire respecter la Constitution, que j’ai coutume de critiquer mais, dans le cas présent, je voudrais qu’elle s’applique. C’est l’intérêt des Français.

M. Stéphane Viry (LR). L’article liminaire relève certes d’une obligation organique, et vous ne pouviez pas faire autrement. Mais il est maladroit d’ouvrir ce projet de loi par des données comptables et financières. Il eût été possible de rappeler la force et l’esprit du système de retraites par répartition, qui est avant toute une question sociale, une question d’humanisme qui concerne des hommes et des femmes. Cet article saugrenu est une erreur de style, peut-être même un message exprimant un oubli de la finalité de ce projet de loi, qui devrait être de trouver les meilleures solutions pour un système plus juste et plus efficace. La force du régime par répartition aurait mérité quelques lignes pour affirmer l’utilité de notre cohésion sociale. La qualité d’une réforme, c’est aussi son acceptation sociale.

M. Nicolas Turquois (Dem). Il est dommage de commencer ce débat par des excès. Revenons à la raison ! Membre depuis trois ans de la commission des affaires sociales, j’ai coutume de regarder ce qui se fait ailleurs. La comparaison avec des pays proches, y compris scandinaves, montre qu’aucun système de protection sociale n’est aussi généreux que le nôtre. Aucun système de retraites par répartition n’est à ce niveau alors que nous travaillons moins que nos voisins, dans la semaine comme sur la durée d’une carrière.

Par ailleurs, je regrette la présentation que fait le COR des éléments de son rapport. Celui‑ci indique certes que la part des dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut est similaire, mais il n’évoque pas les recettes, qui sont, dans un système par répartition, le fruit des cotisations du travail. Or, en tenant compte des recettes, le déficit va croissant, à moins de l’équilibrer massivement par de l’argent public comme c’est déjà le cas à hauteur de 30 milliards d’euros. Si nous ne prenons pas de mesures appropriées, nous remettrons en cause la notion même de répartition. Nous devons faire cet effort pour préserver un système exceptionnel, unique.

M. Charles de Courson (LIOT). N’assistons-nous pas à un véritable détournement du concept même de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) ? Il n’était pas du tout dans l’esprit de la loi organique, dont j’ai d’ailleurs été rapporteur, de procéder à une réforme des retraites par cet instrument, de surcroît trois semaines à peine après l’entrée en vigueur de la loi de financement précédente.

Au reste, et ce sera l’objet d’un amendement que je présenterai dans quelques instants, le tableau de l’article liminaire se réfère à un projet de loi de programmation des finances publiques repoussé par l’Assemblée nationale. Comment faire une comparaison avec quelque chose qui n’existe pas ? Le recours à une LFRSS ne se justifie que par le souhait d’utiliser des expédients de procédure. Nous sommes tenus à respecter un délai de vingt jours. Notre commission doit examiner en trois jours plus de 6 000 amendements, ce qui est impossible. On sait bien ce qui se passera, en commission comme en séance publique ! Il s’agit d’un détournement de procédure.

Madame la rapporteure générale, pouvez-vous justifier, au regard de la loi organique, le recours à une LFRSS pour cette réforme ? Il n’y a que deux cas de recours à de telles lois, et jamais début janvier – puisque le texte a été transmis au Conseil d’État voilà quinze jours.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les propos de Charles de Courson montrent la voie de la sagesse, que la majorité n’a pas su trouver. Quand j’entends que nous devrions être satisfaits d’examiner un PLFRSS en janvier plutôt qu’un amendement au PLFSS en novembre, je crois rêver ! C’est justifier, non pas un braquage, mais une arnaque : je travaille, avec un député de la majorité, sur les arnaques des influenceurs, mais il s’agit ici d’une arnaque du Gouvernement sur la vie des Français.

Vous avez dit, madame la rapporteure générale, qu’il n’y avait pas de véritable impact budgétaire. Mais il s’agit bien de 400 millions d’euros de dépenses supplémentaires.

Nous voterons la suppression de l’article liminaire car nous nous situons à l’opposé de votre philosophie de braquage de la procédure législative et de votre mépris des règles minimales du débat parlementaire. Je ne crois pas que le Parlement soit respecté et je ne vois pas comment vous pouvez le justifier. Les Français ne peuvent pas comprendre les mots que vous employez alors que nous avons trois jours pour parler de leur vie.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Cinquante jours !

M. Arthur Delaporte (SOC). Cessez de dire cinquante jours ! Il y en aura, en fait, une trentaine, et en réalité bien peu de temps même en travaillant de neuf heures du matin à minuit. C’est un braquage !

M. Sylvain Maillard (RE). Monsieur Rufin, je n’accepte pas les propos tenus. Notre réforme vise à garantir un équilibre financier pour nos retraites. Les cotisations paient les pensions ; préférez-vous le déficit ou l’emprunt ? 60 % des emprunts destinés à couvrir les déficits français sont payés par des acteurs étrangers, fonds ou banques. Voulez-vous continuer ainsi et que toutes nos retraites soient financées par des étrangers ?

M. Nicolas Sansu (GDR - NUPES). Nous ne pouvons examiner, dans le cadre de ce PLFRSS, que les recettes correspondant à 2023. Alors que, dans le pays, neuf organisations syndicales s’opposent à ce texte, que des millions de Français sont sortis dans les rues, que des grèves ont lieu partout et qu’il y aura peut-être demain encore plus de monde dans les manifestations, vous vous permettez de recourir à un véhicule législatif incongru. La question aurait mérité un grand débat national, c’est-à-dire une loi organique qu’il aurait fallu prendre le temps de préparer. Le procédé choisi par le Gouvernement n’est pas acceptable !

De plus, l’article liminaire, qui limite la croissance de la dépense publique à 0,6 %, réintroduit le projet de loi d’orientation des finances publiques au moyen d’un véhicule qui permettra d’échapper au vote au moyen de l’article 47‑1 ou du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.

Enfin, nos collègues Turquois et Maillard nous expliquent qu’on ne peut pas faire autrement et qu’aucun système n’est meilleur que le nôtre. De fait, aucun système ne donne 259 milliards d’euros aux entreprises ; aucun système ne les exonère de cotisations sociales pour 78 milliards d’euros ! D’autres sources de financement sont possibles pour assurer à tout le monde une retraite juste et digne.

M. Paul Christophe (HOR). Siégeant au COR, j’apporterai une précision sur les éléments de déficit, sous le contrôle de Marc Ferracci qui y siège également. En ne changeant aucun des paramètres évoqués tout à l’heure par la rapporteure générale, soit 1,6 % de croissance et 4,5 % de chômage, nous retrouverions l’équilibre en 2070 après avoir accumulé 1 000 milliards d’euros de déficit sur l’ensemble de la période. Certains nous disent que tout va bien. Je ne pense pas que ce soit le cas.

Je ne me livrerai pas au concours de bons mots en parlant de braquage, car nous avons des experts dans la salle et nous avons bien compris, cher collègue Delaporte, qu’il fallait que les médias s’emparent de vos propos. Je vous les laisse. Nous avons travaillé sereinement sur des éléments qui figurent dans ce texte. J’espère que nous parviendrons à réparer les injustices qui touchent aujourd’hui les travaux d’utilité collective (TUC), les stages d’initiation à la vie professionnelle (SIVP) et autres contrats similaires.

Peut-être, enfin, avons-nous trop peu de temps pour débattre. Mais j’observe qu’il faudra cent trente-neuf amendements d’un même groupe pour savoir quel nombre de salariés retenir pour un dispositif donné, entre 11 et 149. Il est dommage, chers collègues, que vous n’ayez pu vous mettre d’accord en réunion interne : cela nous aurait fait gagner du temps ! De même, il faudra vingt-trois amendements pour savoir si la réforme s’appliquera à la RATP en 2050 ou en 2028 : là encore, il aurait fallu nous éclairer avec une position commune fondée sur débats internes.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Sylvain Maillard a dit qu’il fallait équilibrer le budget. C’est bien l’objectif cette majorité. Or, Bruno Le Maire n’a-t-il pas annoncé un projet de loi visant à cibler les aides aux entreprises ? Sur les 160 milliards d’euros donnés chaque année aux entreprises sans contrepartie, nous en trouverons bien 10 à 20 pour sauver les retraites, c’est-à-dire la protection sociale pour tous. Je propose que vous retiriez ce projet de loi, après quoi nous nous mettrons tous au travail sur les aides aux entreprises. Je suis certaine que nous trouverons des solutions pour financer tout cela.

Mme la rapporteure générale. Je ne comprends pas pourquoi parler de braquage, d’arnaque ou d’incongruité à propos de ce texte. Pourquoi ne pourrait-on pas traiter des retraites dans la loi qui porte sur le budget de l’assurance vieillesse ? Ces dernières années, nous avons fait adopter dans ce cadre des avancées majeures pour nos concitoyens comme la lutte contre les impayés de pensions alimentaires, les 20 milliards d’euros du Ségur, le doublement du congé de paternité ou la gratuité de la contraception – j’en oublie. Vos remarques ne sont pas cohérentes.

 

La commission rejette les amendements de suppression.

 

Amendement AS5542 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson (LIOT). Il est étrange que le tableau de l’article liminaire compare les évaluations révisées de 2023 – du reste, pratiquement les mêmes que celles de la LFSS adoptée en fin d’année – au projet de loi de programmation des finances publiques que nous avons rejeté, et qui n’existe donc plus. Comment comparer quelque chose qui n’existe pas à un ajustement de 400 millions d’euros – qui du reste ne représente presque rien au regard de 700 milliards de dépenses des organismes de protection sociale ?

L’amendement tend donc à la suppression de la deuxième colonne du tableau. Ce serait cohérent avec les votes exprimés par l’Assemblée nationale en première lecture – puisque le Gouvernement n’a pas voulu aller au-delà.

Mme la rapporteure générale. Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à adopter la loi de programmation des finances publiques, qui donnait une importante boussole pluriannuelle. La crainte que vous exprimez sur le plan juridique a été levée par la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2023. Le fait que le projet de loi de programmation n’ait pas été adopté n’emportait aucune méconnaissance de l’article 1er H de la loi organique du 1er août 2001, ni du principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Je propose donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Je ne comprends pas. L’article liminaire, prévu par la loi organique, est certes obligatoire dans une LFSS. Mais vous vous référez à un texte – le projet de loi de programmation des finances publiques – qui n’a pas été voté et auquel l’Assemblée nationale s’est même opposée. La colonne correspondante doit être supprimée et je soutiendrai donc l’amendement.

Pour ce qui est du véhicule législatif, PLFRSS permet de toucher à la branche vieillesse, mais aussi aux autres branches sur lesquelles nous faisons ici l’impasse. Nous ne les avons pas même examinées en séance publique l’automne dernier puisque nous n’avons pas vu le moindre amendement au moindre article de la troisième partie, consacrée aux recettes. L’irrecevabilité de certains amendements est compréhensible dès lors que seul le Gouvernement peut créer des charges. Toutefois, on ne peut envisager la branche vieillesse sans réforme des branches famille ou accidents du travail et maladies professionnelles. Du reste, les fonds de ces branches ont été ponctionnés.

Pour la branche maladie, les négociations avec les professionnels de santé – médecins, kinésithérapeutes et sages-femmes – sont au point mort. Nous avons besoin de modifier les lignes ; or, ce tableau présente un scénario identique alors que la situation a changé depuis quelques mois, du fait notamment d’une inflation plus rude que nous ne l’imaginions. Il faut donc revisiter la LFSS 2023 pour l’ensemble des branches.

M. Antoine Léaument (LFI - NUPES). L’amendement en discussion a l’avantage de rappeler à la majorité l’existence du Parlement, qui a en effet repoussé le projet de loi de programmation auquel le PLFRSS fait référence. Retirer cette référence respecterait le vote souverain de l’Assemblée nationale. Cet amendement démontre que, dans à peu près tous les domaines, vous piétinez le Parlement et la démocratie, comme vous le faites en recourant à un PLFRSS, comme vous le faites en prévoyant de recourir à l’article 47‑1 de la Constitution, comme vous l’avez fait dix fois en recourant au troisième alinéa de l’article 49 l’hiver dernier. Vous avez dit la vérité devant la Commission européenne en déclarant que vous souhaitiez, avec ce projet de loi, continuer vos cadeaux aux entreprises, notamment avec la suppression de la CVAE, qui coûte 8 milliards d’euros par an. Et vous voulez maintenant nous faire faire des économies !

Je rappelle qu’aux termes de l’article VI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, la loi est l’expression de la volonté générale. La volonté générale, c’est l’opposition à ce projet de loi, exprimée par 72 % des Français et 90 % des actifs, avec deux millions de personnes dans la rue le 19 janvier – et j’espère qu’il y en aura encore plus le 31 janvier. Si vous voulez faire de la loi l’expression de la volonté générale, il faut retirer ce projet.

Enfin, vous nous avez dit qu’il nous restait 5 683 amendements à traiter, soit 218 par heure ou 3,5 par minute, ou un amendement toutes les 16 secondes. Là aussi, vous piétinez le Parlement en refusant de nous laisser débattre sereinement.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je me répète : cette méthode traduit un manque de respect du Parlement que, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous ne devrions pas accepter. Cela empêche la discussion nécessaire sur cette réforme. Le PLFRSS est, en principe, destiné à opérer des ajustements, ce qui n’est évidemment pas le cas avec ce qui nous est proposé. Il y a là un détournement de procédure.

Il est saugrenu de se référer à une loi qui n’a pas été adoptée. Vous dites que ce n’est pas grave. Mais nous ne pouvons pas fonctionner ainsi. Cet amendement n’est pas autre chose qu’un amendement de coordination. Je ne vois donc pas ce qui s’opposerait à son adoption.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Je salue le talent et l’expérience de notre collègue de Courson. L’amendement fait bel et bien référence à une loi qui n’a pas été votée par le Parlement. Le maintien de la colonne laisserait penser qu’il y a eu accord à son propos, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le groupe Écologiste soutiendra cet amendement.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous demandez de faire figurer dans la loi une référence à un projet de loi. Et pourquoi pas à une proposition de loi ? On ne peut renvoyer à un texte qui n’a pas été adopté. La loi de programmation des finances publiques a été rejetée pour des motifs différents à droite et à gauche de l’hémicycle. La droite trouvait que le texte n’était pas assez dur pour les économies à réaliser. La gauche jugeait que la trajectoire pour 2023‑2027 intégrait les hypothèses que nous contestons aujourd’hui à propos des retraites, notamment le gel du point d’indice et la maîtrise des dépenses liées aux fonctionnaires, qui, comme le dit bien le COR, alimentent le déficit contre lequel vous prétendez lutter en repoussant l’âge légal de départ. Le serpent se mord la queue. Nous soutiendrons l’amendement.

M. Jean-Carles Grelier (RE). En entendant invoquer l’article VI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, je me suis demandé qui, finalement, manquait de respect au Parlement. La volonté générale s’exprimerait-elle à coup de sondages ou de manifestants ? Dans la Ve République, la loi, expression de la volonté générale, est votée par le Parlement. Ceux qui respectent la loi, ce sont ceux qui sont dans cette salle et qui vont voter cette réforme. Je vous renvoie donc, cher collègue, à vos études de droit de constitutionnel.

Mme la rapporteure générale. Rassurez-vous, chers collègues : la loi de finances pour 2023 a été adoptée avec le même tableau que celui du projet de loi de programmation – lequel n’a certes pas été voté à l’Assemblée nationale, mais l’a été au Sénat.

 

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AS6942 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La survenue du covid‑19 a révélé à quel point l’hôpital était malade. À présent, les Français souffrent de l’inflation tandis que la crise de l’énergie bouscule l’économie réelle. Qu’ont fait les Français pour que vous leur tapiez à nouveau sur la figure avec ce mauvais projet de loi ? Ce gouvernement de banquiers mène à présent une politique d’apothicaires, de comptables. Vous avez choisi de faire payer les pauvres parce qu’ils sont plus nombreux. Vous avez décidé de câliner la finance et de vous en prendre à la France des usines, à la France qui travaille et qui a fait tourner le pays pendant la crise. Par cet amendement, nous vous proposons d’assumer votre allégeance à Bruxelles et d’inscrire l’austérité parmi les principaux objectifs de votre loi.

Mme la rapporteure générale. Vous entendez détourner l’objet de l’article liminaire. Je rappelle que les mesures d’accompagnement contenues dans le texte favorisent les 30 % de la population les plus pauvres. Par ailleurs, on peut saluer le fait que l’emploi industriel augmente à nouveau dans notre pays.

Défavorable.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Nous souhaitons vous aider à préciser les objectifs que vous n’affichez pas dans le texte, pas plus que vous ne communiquez un certain nombre de chiffres.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Il est important de préciser les objectifs. En 1993, le Premier ministre Balladur a dit, en arrivant : les caisses sont vides, il faut faire passer l’âge de la retraite de 60 à 65 ans. En 2003, le ministre Fillon a affirmé à son tour qu’il n’y avait plus d’argent et qu’il fallait tout revoir. Le ministre Woerth nous a dit ensuite qu’il fallait encore décaler l’âge de départ, et la ministre Touraine nous a tenu le même discours en 2014. Du haut de mes 22 ans, je me demande à quel âge je pourrai partir à la retraite. Connaîtra-t-on un nouveau décalage après cette réforme, comme on en subit tous les cinq ou dix ans ?

Mme la rapporteure générale. La réforme a pour objet de revenir à l’équilibre d’ici à 2030 et, par là même, d’éviter une hausse de l’endettement.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle adopte l’article liminaire modifié.

 

La réunion est suspendue de onze heures cinq à onze heures vingt.

 

PREMIÈRE PARTIE : DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET À L’ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2023

Avant l’article 1er

Amendement AS1949 de M. Pierre Dharréville.

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Par l’amendement AS1949, nous proposons de supprimer la division et l’intitulé de la première partie du projet, puisque le recul de l’âge de départ à la retraite n’a nullement pour objet d’équilibrer les comptes de la sécurité sociale et des retraites. En réalité, vous entendez satisfaire la Commission européenne. Vous ne souhaitez pas sauver le système de retraite par répartition, que vous avez voulu détruire en 2019. Le système que vous voulez sauver est celui du tout-profit, qui dévalorise toujours plus la valeur du travail, c’est-à-dire la richesse produite par les travailleurs. En outre, les modalités que vous proposez ne sont pas de nature à renforcer l’égalité entre hommes et femmes. Vous voulez continuer de réduire les impôts sur les grandes entreprises privées et de leur accorder des milliards d’euros d’aides publiques. Tandis qu’un ministre explique que les Français devront faire des efforts, un autre dit que les mesures proposées sont guidées par la justice sociale. Personne n’est dupe parmi la population. Nous serons nombreux demain, dans la rue, pour vous faire renoncer.

Mme la rapporteure générale. Nous demandons à chacun des efforts du fait du recul de l’âge légal de départ à la retraite, mais en même temps nous renforçons la justice sociale. Il n’y a pas de raison de supprimer le titre de cette partie puisque nous nous dirigeons vers un rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Il est dommage que nous concentrions nos propos sur le véhicule législatif plutôt que sur le fond. Le texte vise à équilibrer les comptes de la sécurité sociale, que nous souhaitons préserver. Le projet de loi est fondé sur deux principes : le travail du plus grand nombre et la répartition des cotisations employeurs et employés. Le système actuel étant déficitaire de 30 milliards d’euros chaque année, on a commencé à sortir de la répartition ; si on ne fait rien, on en sortira complètement. Le COR indique que le déficit cumulé atteindra 500 milliards d’euros en 2050. Nous partageons une même volonté : préserver le trésor qu’est la sécurité sociale et la répartition. Ne rien faire serait remettre en cause la sécurité sociale, la retraite des générations à venir et, comme l’a indiqué le premier président de la Cour des comptes, le niveau des pensions.

Mme Prisca Thevenot (RE). Les entreprises participent déjà au financement des retraites. Elles s’acquittent du forfait social, à hauteur de 6 milliards d’euros, qui s’applique notamment aux rentes des retraites chapeaux, aux jetons d’administrateur et aux contributions sur la prévoyance complémentaire. Elles versent une contribution d’un montant total de 800 millions d’euros sur l’attribution d’actions gratuites. Elles s’acquittent, pour 5 milliards d’euros, de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Elles sont assujetties à la taxe sur les salaires. Vous dites qu’il faut continuer à imposer toujours plus, mais je vous rappelle que 99 % de nos entreprises sont de très petites entreprises ou des petites et moyennes entreprises, qui ont du mal à boucler leurs fins de mois et à embaucher. Si l’on accroît l’imposition, il ne s’agira plus, à l’avenir, d’augmenter les salaires, mais de trouver des salaires.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Ce que vous présentez comme des mesures de justice sont, tout au plus, des dispositions visant à atténuer les effets de votre réforme. Elles paraissent très insuffisantes au regard des conséquences de la loi. La Première ministre a affirmé que la réforme ne pénaliserait pas les plus modestes, car c’est à eux que l’on demandera « le moins de travailler plus longtemps ». Il n’en reste pas moins qu’ils travailleront plus ! Ce n’est pas un projet de loi social car sa seule finalité est d’équilibrer des comptes que vous grevez par votre politique injuste. Vous avantagez outrageusement les multinationales qui, elles, pourraient contribuer davantage. Les petites entreprises paient, proportionnellement, beaucoup plus. Vous n’avez pas commencé à corriger les injustices fiscales entre les entreprises. Retirez ce projet de loi et travaillons sur la participation des entreprises au financement de notre pacte social : nous y gagnerons la justice fiscale entre les sociétés et les moyens de protéger notre système social.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous dites vouloir équilibrer les comptes de la sécurité sociale mais, pour ce faire, vous allez déséquilibrer la vie des Français. Depuis cinq ans, vous n’avez cessé de procurer des économies aux entreprises. Ainsi le taux global des cotisations sociales dues par les employeurs est-il passé de 15 à 7 % entre 2017 et 2022. À présent, vous voulez faire assumer le coût de ces cadeaux aux travailleurs qui ont eu des carrières pénibles ou hachées. Nous souhaitons rééquilibrer la réforme en supprimant cet article.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Vous dites que chacun devra accomplir des efforts. Mais tel n’est pas le cas des rentiers qui ont perçu 80 milliards d’euros de dividendes en 2022. Vous affirmez que votre réforme a pour objet d’éviter des déficits à venir. Si on ne fait rien, il y aura certainement un déficit, mais je vous rappelle que vous avez rejeté toutes nos propositions d’augmentation salariale qui auraient permis de faire entrer de l’argent dans les caisses. En réalité, vous vous moquez éperdument des comptes de la sécurité sociale. Votre majorité a rejeté un amendement qui annulait le déficit de la sécurité sociale par le transfert de la dette du covid‑19 vers le budget de l’État. La grande différence entre nous est que vous plaidez pour une baisse des dépenses publiques alors que nous souhaitons une augmentation des recettes publiques.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). En 2019, vous souhaitiez imposer un système de retraite à points qui s’apparentait à une usine à gaz. Nous avons réussi à faire en sorte que la loi ne soit pas adoptée grâce à la mobilisation et à la bataille d’amendements. Quatre ans après, vous souhaitez encore abîmer notre système par répartition et réduire les droits. Vous ne voulez pas sauver le régime par répartition, comme vous le prétendez, mais l’utiliser pour satisfaire une obsession : réduire la dépense publique. C’est écrit noir sur blanc dans le budget 2023 et le programme de stabilité envoyé à la Commission européenne. Comme vous ne voulez pas maintenir la CVAE, qui rapporte 8 milliards d’euros, et que vous refusez de revenir sur les mesures en faveur des plus riches, comme l’impôt de solidarité sur la fortune, le prélèvement forfaitaire unique ou les milliards d’euros sans contrepartie aux entreprises, vous devez taper sur le régime de retraite pour compenser ces largesses : tel est le cœur de la réforme. Ce qui est en jeu, c’est le corps des plus modestes, à qui votre choix indigne et indécent va coûter cher. Vous allez leur voler leurs meilleures années de retraite.

Mme Laure Lavalette (RN). On ne peut se contenter de regarder le rapport entre dépenses et recettes : il faut se pencher sur les trois leviers fondamentaux que sont la natalité, le plein-emploi et la productivité. Aucune politique nataliste d’envergure n’est menée. Les emplois qui progressent sous l’ère Macron ont une très faible valeur ajoutée. Il n’y a pas de politique ambitieuse de réindustrialisation : depuis 2017, seuls 45 000 emplois ont été créés dans l’industrie manufacturière. S’agissant de la productivité, vous semblez vous satisfaire du chiffre de 1 %, mais je vous rappelle que le taux moyen est de 5,7 % dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Votre projet consiste à faire payer aux Français vos mauvais choix politiques, qui ont appauvri la France.

M. Philippe Juvin (LR). On lit dans le rapport du COR : « Après avoir enregistré des excédents en 2021 et 2022, le système de retraite serait déficitaire en moyenne sur les vingt-cinq prochaines années. » Un agent de catégorie C de la fonction publique territoriale né après 1980 percevrait, dans le système actuel, une pension de retraite qui le placerait sous le seuil de pauvreté. Il faut baisser la dépense publique parce que l’argent public n’existe pas en tant que tel : il provient de la poche des Français. Sans réforme, les jeunes n’auront pas de retraite.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Delaporte, les cotisations brutes destinées à la sécurité sociale sont passées de 257 à 292 milliards d’euros entre 2019 et 2023.

Madame Taillé-Polian, le texte comporte un certain nombre de mesures de justice sociale. Toutefois, la principale mesure, en ce domaine, n’est-elle pas le fait de conserver un système de retraite par répartition ?

Madame Lavalette, les emplois créés grâce aux exonérations concernent les salariés les plus modestes, ce qui constitue, à mon sens, une valeur ajoutée.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 1er : Fermeture des principaux régimes spéciaux de retraite

 

Amendements de suppression AS935 de M. Jérôme Guedj, AS1344 de M. Elie Califer, AS1345 de M. Arthur Delaporte, AS2810 de M. Sébastien Peytavie, AS2892 de Mme Sandrine Rousseau, AS3789 de M. Pierre Dharréville, AS4775 de Mme Rachel Keke, AS4776 de M. Hadrien Clouet, AS4777 de Mme Mathilde Panot et AS4979 de Mme MarieCharlotte Garin.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous êtes obsédés par la suppression des régimes spéciaux. Ils avaient été, pour un certain nombre d’entre eux, maintenus par les réformes précédentes compte tenu de la spécificité des missions en cause. Nous proposons de supprimer cet article qui prévoit l’extinction des principaux régimes spéciaux de retraite, notamment ceux des industries électriques et gazières, de la Banque de France et de la RATP.

M. Elie Califer (SOC). Nous souhaitons le maintien du modèle social actuel. Le monde du travail a besoin de sérénité après trois années de covid‑19, qui plus est dans un contexte d’inflation. Les syndicats sont opposés à la suppression des régimes spéciaux. Six Français sur dix expriment leur mécontentement. L’amendement vise à supprimer cet article.

M. Arthur Delaporte (SOC). Vous allez plus loin et vous proposez des mesures plus dures que ne l’avait fait Nicolas Sarkozy en son temps. Les régimes spéciaux accordent des compensations à des travailleurs exerçant des métiers pénibles, qui exigent des astreintes fréquentes et entraînent une usure physique. Nous nous opposons à leur suppression injuste. Il faudrait que vous nous expliquiez pour quelles raisons ces métiers ne nécessitent pas de mesures spécifiques d’aménagement des carrières.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Notre groupe souhaite supprimer cet article qui ferme des régimes spéciaux – nul ne sait pourquoi ceux-là plutôt que d’autres. Ces régimes sont fondés sur la reconnaissance de la pénibilité du travail. Or, le texte n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Plutôt que de réformer les retraites par le haut, en remettant le travail à sa juste place, on nivelle par le bas. La boussole du groupe Écologiste est le droit à la vie digne, à un travail digne et à pouvoir se reposer dignement, c’est-à-dire pas abîmé.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nos débats sont marqués par un renversement sémantique. On transforme des dispositions qui protègent les précaires et les personnes exerçant les métiers les plus pénibles en une forme de privilège que nous devrions abolir. Vous parlez d’usure professionnelle au lieu de pénibilité, ce qui renvoie à la responsabilité du travailleur plutôt qu’à celle de l’employeur et à la dureté des métiers. Nous devrions au contraire augmenter le nombre de régimes spéciaux. Il faudrait en créer, par exemple, pour les aides à domicile, les aides-soignantes, les personnels d’entretien, qui exercent des métiers dont la pénibilité est mal reconnue car ils ont livré moins de combats sociaux que l’industrie. Vous êtes à contre-courant de la réalité du travail. Nous nous honorerions à supprimer cet article.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je défends l’amendement AS3789. En bons libéraux que vous êtes, vous faites une fixation sur les régimes spéciaux, en épargnant toutefois ceux des bourgeois et en déclarant la guerre aux cheminots, aux électriciens gaziers, aux agents de la RATP. Comme si les privilèges étaient de ce côté-là ! Plusieurs réformes ont déjà accompli leur mauvaise œuvre : la loi Fillon de 2003, les décrets du 30 juin 2008 relatifs aux régimes spéciaux, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, le décret de 2012. Chacun sait que ces salariés subissent des sujétions de service, des horaires atypiques, une pénibilité particulière. Cela devrait conduire, à rebours de votre texte, à la prise en compte de l’usure des corps dans le régime général. Par ce projet de loi, vous entendez niveler par le bas. Avec les millions de Français dans la rue demain, nous serons toujours du côté de la France qui travaille, de ceux qui ont fait tourner le pays pendant l’épidémie, de ceux dont on a besoin au quotidien pour maintenir les liens, créer des solidarités, réaffirmer la présence du service public partout et pour tous.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). En supprimant les régimes spéciaux, vous voulez opposer les Français, comme toujours. En cherchant à qualifier certains salariés et métiers de privilégiés, peut-être essayez-vous de protéger les vrais privilégiés ? Derrière la suppression des régimes spéciaux, il y a une attaque contre tous les travailleurs. Les Français disent non à votre réforme ! Nous vous le dirons aussi, demain, dans la rue.

M. Jérôme Legavre (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4776. Les Français ont compris le contenu de votre réforme. Ils la rejettent à une très large majorité. Vous prévoyez que les salariés des régimes spéciaux conserveront leurs régimes d’assurance maladie et d’accidents du travail, ce qui montre que vous ne poursuivez qu’un objectif : réduire le montant des pensions de retraite. Les régimes spéciaux sont des régimes pionniers. Avant 1945 coexistaient les régimes des mineurs, des cheminots, des agents de la RATP... En 1946 est créé le régime d’EDF. Ce sont ces régimes qui ont établi les prestations définies, le salaire de remplacement, les catégories actives, et qui ont donné naissance à tous les droits en matière de retraite. S’ils ont été maintenus en 1946, c’était dans l’objectif que le régime général garantisse à son tour les droits acquis dans le cadre de ces régimes pionniers. Il faut les maintenir et les défendre. Nul doute que les salariés concernés le feront demain en se mettant massivement en grève. Nous les soutenons totalement.

Mme Nathalie Oziol (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4777. Les régimes spéciaux ne sont pas des privilèges – Ambroise Croizat parlait d’ailleurs de conquis sociaux. Ils prévoient la possibilité d’anticiper les départs en retraite et ils prennent mieux en compte la pénibilité car, dans ces secteurs, les travailleurs ont une espérance de vie souvent inférieure à la moyenne des salariés. La justice sociale et l’équité commanderaient d’appliquer ces compensations à l’ensemble des travailleurs qui accomplissent des travaux pénibles, donc à les étendre aux branches et aux régimes qui n’en disposent pas.

En 2019, le Gouvernement avait qualifié les régimes spéciaux de privilèges pour diviser les Français et faire passer la retraite à points. C’est un comble de vous entendre aujourd’hui vanter le régime par répartition alors que vous vouliez l’abattre il y a à peine quatre ans. Mais il est vrai que plus personne ne vous écoute. Vous entendez mettre fin aux régimes spéciaux sous prétexte de renforcer la justice sociale entre les futurs retraités. Chez vous, la justice sociale est une façon de ne pas dire que tout le monde devra partir deux ans plus tard. Nous soutiendrons tous ceux qui manifesteront demain.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous proposez de supprimer certains régimes spéciaux. On ne sait pas trop pourquoi. La ficelle est grosse. Avec la clause du grand-père, les salariés déjà affiliés à un régime spécial pourront en conserver le bénéfice. Vous espérez peut-être limiter ainsi la participation à la manifestation de demain. Mais cela ne marchera pas : la manifestation du 19 janvier a montré combien la solidarité était forte.

Les régimes spéciaux ont été créés en raison de contraintes particulières, comme le travail de nuit et les astreintes. Ces régimes sont nécessaires pour rendre attractifs des secteurs où il est difficile d’embaucher de nouveaux salariés. C’est par exemple le cas des transports. À Lyon, on a du mal à recruter des chauffeurs de bus alors que la crise écologique rend nécessaire le renforcement de l’offre de transports en commun.

Les régimes spéciaux ont leur utilité. S’il faut aligner les régimes, il convient de le faire par le haut, dans le cadre d’une concertation avec l’ensemble des salariés concernés.

Mme la rapporteure générale. Trois raisons justifient la suppression des régimes spéciaux. C’est d’abord une question de justice. Ces régimes tirent leur raison d’être soit de conditions historiques, soit de conditions de pénibilité. Pour certains d’entre eux, ces dernières ne sont plus réunies alors que des travailleurs qui exercent d’autres métiers pénibles sont affiliés au régime général.

Il s’agit ensuite d’une question de simplification et de lisibilité. Ces régimes spéciaux contribuent à la complexité du paysage des retraites, avec 58 % de polypensionnés parmi les personnes qui y sont affiliées.

Enfin, c’est une mesure d’équité entre les régimes. Celui de la RATP n’est financé qu’à hauteur de 40 % par les cotisations. Une dotation de l’État finance les 60 % qui restent.

Je rappelle que la fameuse clause du grand-père maintient l’affiliation à l’assurance vieillesse de ces régimes pour les personnes déjà affiliées.

Avis défavorable.

M. Philippe Juvin (LR). L’une des justifications avancées par la rapporteure générale réside dans le fait qu’un certain nombre de régimes spéciaux sont déficitaires. Mais pourquoi supprimer le régime spécial de la Banque de France ? Ce régime par capitalisation est en excédent, ce qui permet des versements au budget de l’État. Pour une fois que quelque chose fonctionne, on décide de le supprimer. C’est incompréhensible. À moins qu’il s’agisse simplement pour l’État de chaparder de l’argent là où il y en a ?

M. Charles de Courson (LIOT). Le programme du Conseil national de la Résistance de 1944 prévoyait d’unifier les régimes spéciaux. On y a renoncé en 1947 à la suite de débats passionnants.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Les communistes l’ont emporté !

M. Charles de Courson (LIOT). C’est plus compliqué que cela. Ces régimes ont été maintenus grâce au Mouvement républicain populaire et à la droite.

Pourquoi mettez-vous en extinction cinq régimes sur les quatorze qui existent ? Pourquoi mettez-vous en extinction celui des membres du Conseil économique, social et environnemental, mais pas ceux des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat ? L’argument selon lequel cela ne relèverait pas de la loi ne tient pas. Ces deux régimes ont été créés respectivement par des résolutions de la Chambre des députés en 1902 et du Sénat en 1904. Nous pouvons parfaitement légiférer sur ce sujet.

Qu’en est-il du financement des régimes en extinction ? L’exposé des motifs renvoie cette question à plus tard. Il indique : « Cette mesure nécessitera à terme de revoir le circuit financier de financement de ces régimes. Des travaux seront conduits en ce sens en 2023 dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. » Pourriez‑vous nous éclairer sur ce point ?

Pour ma part, j’ai toujours défendu la mise en extinction de tous les régimes spéciaux.

Mme Laure Lavalette (RN). Cet article propose de fermer plusieurs régimes spéciaux. Nous avons peu de marges de manœuvre, si ce n’est les préserver. Ces régimes occupent une place considérable dans le débat public. Mais ils ne représentent que 2 % des dépenses de retraites. Ils sont loin de constituer le cœur du sujet. Nous nous accorderons peut‑être pour dire que nombre de régimes spéciaux sont obsolètes et qu’il convient de les fermer. Mettre fin au régime spécial de la Banque de France n’est pas dénué de sens. Il en va de même pour le Conseil économique, social et environnemental – ce comité Théodule qui sert davantage à placer des copains du pouvoir en place qu’à œuvrer aux intérêts du pays.

J’attire cependant l’attention de la commission sur les discours culpabilisants et parfois outranciers sur les régimes spéciaux. Nos objectifs de justice sociale ne passent pas par l’abaissement de tous les avantages. On entend trop souvent une musique injuste destinée à pointer du doigt certains Français et certaines professions. Il faut maintenir des éléments d’attractivité si l’on veut continuer à recruter pour certaines missions. Nous assumons que des métiers d’utilité publique, dont l’exercice est difficile, bénéficient d’avantages de retraite. Personne ne ferait monter ses enfants dans un bus conduit par un chauffeur de 66 ans. Je note que la disparition du régime spécial des marins et des marins-pêcheurs – envisagée par le Gouvernement en 2020 – n’est plus d’actualité ; nous nous en réjouissons. C’est peut-être le signe d’un retour à la raison et de bon augure pour d’autres régimes, dont le maintien serait également pertinent.

Dans le contexte social actuel, nous avons choisi de défendre les régimes spéciaux de la RATP, des clercs et employés de notaire ainsi que des industries électriques et gazières.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Je suis choquée par les propos qui viennent être tenus sur le Conseil économique, social et environnemental.

Certains collègues nous reprochent de reprendre les arguments de syndicats. Avant d’être députés, nous sommes des citoyens – parfois des citoyens syndiqués. Nous sommes en droit de parler de la mobilisation prévue le 31 janvier, que cela plaise ou non.

S’intéresser aux régimes spéciaux implique de se pencher sur la pénibilité du travail. C’est difficile pour vous car le Président de la République ne veut pas en entendre parler – vous avez d’ailleurs supprimé quatre critères permettant d’évaluer la pénibilité d’un travail. Le travail peut être pénible ; c’est pour cela qu’existent des régimes spéciaux. Allez donc conduire un métro ou faire le travail d’un agent d’EDF, et vous nous direz au bout de quinze jours si un régime spécial est justifié. En réalité, parfois le corps ne suit plus. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de ces amendements.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). L’article 1er de ce PLFRSS n’a aucun effet sur l’équilibre financier puisque sa mise en œuvre est reportée. Pourquoi figure-t-il donc au début de ce texte alors qu’il n’est pas au cœur de votre préoccupation financière ? Peut-être parce que vous essayez de monter les salariés les uns contre les autres. Pour vous, la justice sociale c’est prendre aux modestes pour ne rien donner aux encore plus modestes.

On peut supprimer cet article parce que votre tentative d’opposer les gens n’a pas marché. Le 31 janvier, ceux qui sont affiliés à des régimes spéciaux et ceux qui le sont au régime général seront côte à côte dans la rue pour manifester.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (RE). Je condamne les propos scandaleux de Laure Lavalette sur le Conseil économique, social et environnemental. Ils manifestent un irrespect total pour les institutions républicaines, en particulier pour une assemblée consultative qui représente la société civile et qui joue un rôle démocratique fondamental.

Les régimes spéciaux ne se justifient plus totalement. Les chauffeurs de bus parisiens peuvent partir à la retraite à 56 ans alors que ceux qui travaillent ailleurs le font à 62 ans. Comment justifier des différences aussi importantes ? Comment justifier également le maintien d’un régime spécial de la Banque de France, où le travail n’est pas d’une pénibilité particulière ?

Comme l’a indiqué la rapporteure générale, il faut un effort de lisibilité. C’est aussi vrai pour les finances publiques car ces régimes sont pour la plupart coûteux. Il est justifié de les réintégrer dans le régime général pour lequel le projet de loi prévoit des dispositions destinées à mieux prendre en compte la pénibilité.

Nous ne supprimons pas tous les régimes spéciaux, puisque celui des marins et des marins-pêcheurs est maintenu – la pénibilité de leur métier étant prouvée.

Si nous demandons un effort, il faut aussi rappeler que notre majorité a supprimé le régime spécial de retraite des députés dès 2017. Nous nous appliquons les mêmes règles que celles que nous proposons aux Français.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Il faut en finir avec un certain nombre de fantasmes entretenus depuis des années sur les régimes spéciaux. Ce sont des régimes pionniers, qui ont inventé un certain nombre de droits qui devraient aussi bénéficier aux salariés affiliés au régime général.

Les régimes spéciaux représentent 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Ils ne sont pas responsables des difficultés financières qui pourraient voir le jour dans le régime général. Et ce d’autant moins que deux des régimes spéciaux dont vous proposez la suppression contribuent par solidarité au régime général – celui de la Banque de France et celui des industries électriques et gazières. Il s’agit d’une mesure essentiellement symbolique, qui n’aura pas d’effet en 2023. Cet article est donc un cavalier social.

Cette mesure va entraîner une dégradation brutale des droits des nouveaux entrants. Alors que vous vantez le dialogue social au sein des branches, vous vous asseyez sur les discussions qui ont permis d’acquérir des droits et vous supprimez d’un trait de plume des régimes dont l’une des principales vertus est de prendre en compte la pénibilité du travail. Nous sommes opposés à cette démarche qui vise en permanence à tout tirer vers le bas et qui nous entraîne dans une spirale sociale à la baisse. Nous devrions au contraire essayer d’améliorer la situation de ceux dont les droits ne sont pas suffisants.

M. Nicolas Turquois (Dem). La notion de régime spécial s’oppose profondément à celle de répartition, c’est-à-dire où les actifs paient pour les pensionnés. Les métiers et la démographie évoluent. Certains régimes spéciaux sont certes en excédent, mais d’autres sont déficitaires et ils sont équilibrés par la puissance publique. Soumettre l’ensemble des salariés aux mêmes règles relève du bon sens. Il faut étendre les règles de pénibilité à tous ceux pour lesquels elles méritent de s’appliquer.

Force est de constater que la multiplicité des régimes pose des problèmes à ceux qui changent de métier – que ce soit de manière choisie ou subie – car les règles sont absconses et incohérentes. Nous avons compris que ceux qui sont affiliés aux régimes spéciaux ne souhaitent pas en perdre le bénéfice. Mettons donc en extinction ces régimes spéciaux en n’y admettant pas de nouveaux entrants. C’est la manière la plus souple et la plus légitime de mettre fin à l’iniquité du système.

Mme la rapporteure générale. Madame Lavalette, les régimes spéciaux représentent 2 % des retraités, mais 6 milliards d’euros de dépenses pour l’État. Il est important de prendre ce point en considération. Il est difficile d’expliquer pourquoi un chauffeur de bus qui travaille à Paris peut partir plus tôt qu’un autre en milieu rural.

Monsieur de Courson, les régimes de retraite des parlementaires relèvent d’une loi organique. C’est la raison pour laquelle les amendements sur ce sujet sont irrecevables.

Madame Taillé-Polian, l’article 1er fait bien partie du domaine d’une LFRSS puisque les nouveaux salariés ne pourront plus bénéficier de ces régimes spéciaux à partir du 1er septembre.

Monsieur Dharréville, des discussions sur les modalités d’application du report à 64 ans de l’âge de la retraite sont en cours au sein des entreprises concernées par la suppression de régimes spéciaux.

La commission rejette les amendements.

 

Amendements identiques AS881 de M. Jérôme Guedj, AS3788 de M. Yannick Monnet, AS4780 de M. Hadrien Clouet, AS4782 de M. François Ruffin, AS4783 de Mme Rachel Keke, AS6558 de Mme Laure Lavalette et AS6926 de Mme Sabrina Sebaihi.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous allons désormais évoquer la situation spécifique de certains régimes spéciaux. En l’occurrence, cet amendement porte sur celui de la RATP.

Ces régimes spéciaux sont liés à la pénibilité du travail et ils prévoient des départs anticipés pour en tenir compte. Madame la rapporteure générale, pourriez-vous m’expliquer pourquoi les conducteurs et les personnels roulants de la RATP ne sont pas concernés par la pénibilité du travail ? Vous allez les faire entrer dans le droit commun avec votre logique de report de l’âge légal de départ à la retraite et de prise en compte notoirement insuffisante de la pénibilité. Je ne vois pas comment l’application du compte professionnel de prévention (C2P) sera un progrès pour eux.

S’il faut aligner les régimes, prenons pour exemple ceux qui tiennent vraiment compte de la pénibilité et ne nivelons pas par le bas comme vous le faites !

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Je défends l’amendement AS3788. Vous utilisez le mot d’iniquité pour masquer les attaques répétées de ce gouvernement et des précédents contre le régime général. Cette recherche permanente du moins-disant social et du nivellement a créé un écart entre les régimes spéciaux et le régime général. Tel est le résultat de vos politiques de casse sociale, qui ont conduit à revenir sur des acquis sociaux qui existaient dans le régime général.

Nous proposons le mieux-disant social, c’est-à-dire de compenser la pénibilité mais de ne pas se contenter de cela. Il faut travailler sur la pénibilité car on ne peut pas accepter que des millions de personnes travaillent dans des conditions inacceptables. C’est la raison pour laquelle il faut enrichir les critères – notamment en s’intéressant aux questions psychologiques dont le stress. Ne faisons pas comme le gouvernement précédent qui a supprimé quatre de ces critères. Vous avez aussi supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Vous vous fichez de la question de la santé au travail, et vous ne voulez surtout pas l’aborder.

Avez-vous écouté les agents de la RATP pour savoir ce que c’est d’avoir, pendant trente ans, des horaires décalés et d’assurer des services mixtes où vous travaillez lors des heures de pointe du matin et du soir ? Alors que les transports font face à un problème de recrutement, sont source de stress et d’agressivité et doivent relever le défi climatique, attaquer le statut des personnels parisiens est irresponsable.

Mme Danielle Simonnet (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4780. La volonté de supprimer les régimes spéciaux, et notamment celui de la RATP, constitue d’abord une stratégie de diversion pour masquer le cœur de votre réforme, qui consiste à voler deux ans de vie et de bonheur après le labeur. Mais c’est aussi une stratégie de division. Vous prenez prétexte de la situation du chauffeur de bus en zone rurale pour supprimer le régime spécial du chauffeur parisien. Votre conception de l’égalité est cynique : il s’agit toujours de niveler par le bas. Pourquoi ne pas proposer le bénéfice de ce régime spécial à l’ensemble des chauffeurs de bus ? Vous méprisez complètement la pénibilité et vous allez ajouter une pénibilité administrative à celle du travail.

Venez-donc demain rencontrer Nathalie au piquet de grève du dépôt de bus de Lagny, dans le 20e arrondissement. Elle fait grève alors qu’elle partira à la retraite dans quelques mois, précisément parce qu’elle a subi les horaires décalés et qu’elle est épuisée par une vie entière de travail où l’on commence à quatre heures et demie du matin, l’on enchaîne parfois le soir avec des services mixtes et l’on travaille aussi en fin de semaine.

Il faudrait, non pas supprimer des régimes spéciaux, mais en créer de nouveaux, par exemple pour prendre en compte la pénibilité du travail des caissières. J’ai rencontré certaines d’entre elles qui feront grève contre la réforme des retraites parce que les actes répétitifs qui créent des troubles musculo-squelettiques et des souffrances psychologiques ne sont pas reconnus pénibles.

M. Christophe Bex (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS4782. Les régimes pionniers sont le fruit de notre histoire sociale. Comme c’est votre habitude depuis des années, vous cherchez à la saborder comme l’ont fait vos prédécesseurs, qui ont entonné le même refrain sur le coût supposé des régimes spéciaux et sur ses conséquences pour l’équilibre financier du système. En réalité, ces régimes ne représentent que 3,5 % de l’ensemble des cotisants en France.

Avec cette contre-réforme, vous souhaitez supprimer le régime des agents de la RATP – comme tant d’autres. Vous répétez que ce régime n’apparaît plus justifié au regard des principes d’équité et d’universalité. Mais en quoi est-il juste et équitable de faire travailler plus longtemps des salariés dont l’espérance de vie est inférieure à la moyenne de celle des Français ? Qu’y a-t-il de juste et d’équitable à faire travailler plus longtemps ceux dont les conditions de travail sont les plus difficiles ? Pourquoi niveler vers le bas les modalités de calcul des pensions de retraite ? Afin de les diminuer ? Est-il juste de supprimer les dispositifs qui permettent un départ anticipé, instaurés initialement pour compenser la pénibilité ? La notion d’équité vous est visiblement étrangère. Une réforme équitable des retraites nécessiterait d’appliquer ces mesures compensatrices à l’ensemble des branches et des régimes au sein desquels les salariés souffrent de conditions de travail dégradées.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Nous souhaitons maintenir le régime spécial de la RATP. C’est un acteur vital dans toute la région d’Île-de-France, dont elle assure les transports en commun sans interruption, vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l’année. Savez-vous combien d’employés sont mobilisés chaque jour pour transporter les travailleurs ? Combien sont mobilisés pour que nous puissions nous rendre à l’Assemblée nationale ? Des centaines !

Combien de ceux d’entre vous qui veulent supprimer ce régime spécial se sont-ils intéressés à la pénibilité liée au travail de nuit, notamment pour assurer la maintenance du réseau ? Nous pouvons empêcher la suppression de ce régime. Beaucoup de régimes spéciaux ne sont pas touchés par la réforme. Faisons de même pour celui-ci !

M. Victor Catteau (RN). L’amendement AS6558 vise à supprimer les dispositions proposant une clause du grand-père en vue de la fermeture du régime spécial de la RATP. Près de 70 000 salariés concernés et onze millions d’habitants de la région parisienne connaissent une situation inédite, le mauvais fonctionnement des transports rendant la vie infernale à ceux qui y travaillent et aux usagers. À l’heure des grands discours sur les métiers en tension, il faut souligner que ces problèmes résultent notamment de difficultés de recrutement. Comme l’hôtellerie et la restauration, le transport de personnes connaît un besoin sans précédent de nouvelles recrues au profil particulièrement varié, allant du non diplômé au bac + 5.

Dans ce contexte, abaisser les droits et avantages sociaux des salariés est une erreur, non seulement pour cette entreprise, mais aussi et surtout pour les usagers qui auront à subir des désagréments et pour l’activité économique de la première région française. C’est pourquoi nous demandons le maintien de ce régime. Nous appelons nos collègues du groupe Les Républicains, proches de la majorité régionale, à faire de même.

Mme Sophie Taillé-Polian (Ecolo - NUPES). Je défends l’amendement AS6926. Tous ceux qui prennent les transports en commun dans la métropole du Grand Paris savent à quel point la situation est dégradée. Il y a un problème de recrutement, notamment de conducteurs de bus. Il est complètement irresponsable de s’en prendre au statut social des salariés dans ce contexte. Cela rendra les embauches encore plus difficiles et le niveau du service rendu aux usagers en sera affecté.

L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles a publié une étude intitulée : « Le risque de troubles musculo-squelettiques [TMS] chez les chauffeurs de bus : une réalité. » On y lit : « Cette monographie étudie le risque de TMS chez les chauffeurs de bus. Elle concerne principalement les chauffeurs de bus intra-urbains. [...] Les TMS du rachis chez les chauffeurs de bus résultent d’une combinaison de facteurs de risque biomécaniques chroniques [...] et aigus [...] auxquels s’ajoutent des facteurs psychosociaux et la conception de leurs postes de conduite. » Il y a bien pénibilité et le régime spécial doit être maintenu.

Mme la rapporteure générale. Mettre en extinction des régimes spéciaux ne veut pas dire que nous ne nous préoccupons pas de la pénibilité. Ce que vous dites sur les troubles musculo-squelettiques de chauffeurs de bus intra-urbains est vrai à Paris comme dans d’autres villes. La pénibilité doit également y être reconnue. C’est la raison pour laquelle ce texte propose des mesures pour sa prise en compte, par exemple en augmentant le nombre de points au titre du C2P pour les chauffeurs de bus et ceux qui travaillent la nuit. J’espère que nous aurons l’occasion d’en débattre à l’article 9. Mais il ne faut pas confondre le sujet des régimes spéciaux et celui de la pénibilité.

En outre, la rédaction de ces amendements fait que vous affiliez au régime général tous ceux qui bénéficient des régimes spéciaux. Je me doute bien que c’est involontaire mais il serait de votre propre intérêt de les retirer.

Dans tous les cas, avis défavorable.

M. Philippe Vigier (Dem). L’histoire des régimes spéciaux remonte à l’Ancien Régime. J’entends la supplique de ceux qui nous disent qu’il faut absolument préserver celui de la RATP. Tout d’abord, grâce à la clause du grand-père, l’extinction de ce régime n’est pas imposée brutalement. La brutalité consisterait à supprimer du jour au lendemain. La clause du grand-père permet d’honorer les termes du contrat signé initialement. Les intéressés bénéficieront jusqu’à la fin de leur carrière des avantages prévus.

Ensuite, je ne nie pas la difficulté des conditions de travail des chauffeurs de bus de Paris. Mais on retrouve celles-ci dans d’autres agglomérations, comme à Vierzon par exemple. Est-il normal que les chauffeurs de bus y travaillent jusqu’à 62 ans ou 64 ans ? Je n’ai pas vu les municipalités de gauche prendre des initiatives fortes pour que leurs conducteurs de bus ou de métro partent à la retraite à 56 ans, comme à Paris. C’est bien de s’ériger en donneurs de leçons mais il faut accorder ses actes avec ce que l’on propose.

Enfin, nous nous retrouverons peut-être sur le sujet de la pénibilité. La liste des critères de pénibilité n’épuise pas cette question. Retirer certains d’entre eux n’a peut-être pas été la meilleure des décisions. Reconnaître vraiment la pénibilité suppose de laisser ceux qui y ont été exposés partir à la retraite plus tôt et de déterminer les conditions de ce départ anticipé. J’imagine que les auteurs de ces amendements voteront en faveur des amendements que nous avons déposés un peu plus loin pour parler d’évolution professionnelle, notamment grâce à des bilans de carrière dès l’âge de 45 ans.

M. Charles de Courson (LIOT). Ces amendements soulèvent le problème de l’égalité des Français face à la retraite. La réforme du statut de la SNCF s’est accompagnée de l’extinction de son régime de retraite. En région parisienne, des personnes qui accomplissent les mêmes tâches sont donc traitées différemment selon qu’elles appartiennent à la RATP ou au réseau banlieue de la SNCF. La fermeture du régime spécial de retraite prévue à l’article 1er me semble cohérente. En outre, pourquoi traiter différemment les agents selon qu’ils travaillent à Paris ou en province ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Parler des retraites futures, c’est parler du travail aujourd’hui, notamment des conditions de travail. La France détient le record d’Europe des accidents mortels au travail faute d’avoir su correctement appréhender ce problème. Nous pensons toujours que les accidents du travail surviennent exclusivement dans les grandes usines. Or, ils se produisent aussi dans les services et ils touchent des caristes, des chauffeurs, des aides-soignantes, des caissières. Il y a encore beaucoup à faire.

S’agissant des conducteurs de la RATP, je rappelle que la clause du grand-père s’appliquera pour une transition souple. De plus, ce texte comporte de véritables avancées dans la prise en compte de la pénibilité. Jusqu’ici, la collectivité nationale investissait 40 millions d’euros chaque année dans la prévention et la santé au travail ; ce sera désormais 200 millions d’euros. Par ailleurs, dans les métiers présumés pénibles, dont ceux que nous évoquons, une visite médicale sera proposée aux salariés âgés de 45 ans, à quoi devrait s’ajouter un rendez-vous professionnel plus large pour évaluer les compétences et les orientations possibles. Enfin, le C2P évolue, en particulier à travers la multi-exposition, ce qui permet de corriger certaines inégalités.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet article est représentatif de la philosophie de votre réforme. Vous préférez que ceux qui disposent de quelques droits supplémentaires en aient moins pour, à la rigueur, octroyer à une poignée d’autres quelques avantages tout en repoussant l’âge de départ légal à la retraite. Or, selon nous, le problème consiste à prendre en compte la spécificité d’un métier. Savez-vous qu’un agent de la RATP sur cinq finit par recevoir un avis d’inaptitude du médecin du travail ? Si vous avez pris le métro, ce matin, vous avez vu les quais bondés. Rendez-vous compte du stress d’un agent, de la crainte de voir chuter un passager ! Levé à trois ou quatre heures du matin pour prendre son service, il est soumis à des sujétions particulières. De surcroît, les recrutements étant de plus en plus difficiles, irez-vous dire aux candidats qu’ils n’auront plus de droits spécifiques ?

Contre les calembredaines qui circulent, je rappelle que seule la moitié des agents de la RATP bénéficie d’un régime spécial et que la décote en vigueur ampute leur niveau de retraite. Cessez donc de les considérer comme des privilégiés ! Enfin, j’appellerais plutôt la clause du grand-père la « clause du bébé » car ce sont eux qui, lorsqu’ils auront grandi, ne pourront pas devenir agents de la RATP.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous évoquons le régime spécial dont bénéficient des salariés qui exercent des métiers qui, chacun le reconnaît, sont difficiles. Un tel régime devrait être étendu à tous ceux qui les exercent, quelle que soit l’entreprise. Les troubles musculo-squelettiques sont reconnus ; il devrait en être de même de l’exposition aux pollutions. Nous pourrions également nous pencher sur la situation des taxis et des véhicules de transport avec chauffeur dont certains sont des micro-entrepreneurs éloignés de toute protection sociale.

Votre réflexion est purement idéologique : vous voyez des privilèges là où la vie et la santé sont en jeu.

M. Thomas Portes (LFI - NUPES). « Justice et équité » : depuis que le Gouvernement a dévoilé sa feuille de route sur la réforme des retraites, vous n’avez que ces mots à la bouche. On mesure l’écart entre les paroles et les actes. Où est la justice lorsque vous supprimez le régime spécial de la RATP et que vous préservez celui d’autres catégories ? En fait, vous vous payez des régimes spéciaux comme vous vous êtes payé celui de la SNCF. Pourquoi un tel acharnement, sinon parce qu’ils représentent tout ce que vous détestez : le service public, l’intérêt général et la solidarité.

Où est la justice au nom de laquelle vous attaquez un régime permettant à des agents de partir plus tôt à la retraite compte tenu de la pénibilité de leur métier, dont vous ne dites d’ailleurs rien, préférant multiplier les courbes et les tableurs Excel ? Le seul qui, chez vous, ait parlé de la vie des gens, c’est Gérald Darmanin pour insulter les salariés qui se mobilisent. Travailler en horaires décalés, de jour comme de nuit, les dimanches et les jours fériés, le stress de la circulation, la gestion des usagers, tout cela mérite largement un système de retraite compensateur !

Cette réforme est injuste. Un salarié sur cinq de la RATP finit inapte. Beaucoup souffrent de pathologies liées à leur profession. Là encore, silence de la majorité dont nous comprenons la gêne : comment parler de pénibilité alors que vous avez vidé le compte pénibilité de son contenu ? Rien ne justifie la suppression de ce régime spécial, sinon votre mépris de classe.

Mme Elsa Faucillon (GDR - NUPES). Notre collègue Vigier vient de nous dire en substance que, si le voisin n’a pas de pain, vous n’en aurez pas non plus. Il est à deux doigts de suggérer de manger de la brioche... Avec cette logique, vers quelle société se dirige-t-on ?

Ce projet est un glissement supplémentaire vers la négation des droits. Vous ne voulez surtout pas qu’il soit question de pénibilité parce qu’elle implique des compensations, donc la solidarité. Tout le monde sait que le C2P ne fonctionne pas et qu’il ne compensera rien. Ces agents ne pourront pas partir en retraite anticipée puisque vous avez supprimé cette possibilité. Vous les faites passer pour des privilégiés et même pour des profiteurs alors qu’ils sur-cotisent. Ce sont les droits acquis par ces sur-cotisations que vous voulez supprimer !

Aux profiteurs de crise, en revanche, vous adressez de gentils discours pour expliquer qu’ils doivent donner un peu plus ! Nous avons proposé la taxation des superprofits et nous continuerons de le faire.

Mme Laure Lavalette (RN). Selon la rapporteure générale, la pénibilité, dans les grandes villes, serait la même qu’à Paris. Beaucoup d’entre elles n’ont pas de métro et, donc, de salariés travaillant en milieu souterrain.

La ligne 13 du métro parisien, monsieur Vigier, ne va pas jusqu’à Vierzon. Prenons‑là ensemble et vous verrez ce qu’il en est ! Si, pour les usagers, elle est la « ligne de l’enfer », elle l’est aussi pour les salariés. À Vierzon, il n’y a pas non plus de ligne 1, comme à Toulon, où les jeunes des cités s’accrochent aux bus. Imaginez le stress des conducteurs !

Nous ne faisons pas confiance à cette majorité qui, en 2017, a supprimé quatre des dix critères du compte de pénibilité. Nous maintenons les amendements visant à contraindre le Gouvernement à maintenir ce régime spécial, au moins à moyen terme.

La commission rejette les amendements.

 

Amendements AS802, AS801, AS800, AS799, AS798, AS797, AS796, AS795, AS794, AS793, AS792, AS791, AS790, AS896, AS895, AS894, AS893, AS892, AS891, AS890, AS889, AS888, AS887 de M. Jérôme Guedj et AS4696 de M. Thibault Bazin (discussion commune).

M. Jérôme Guedj (SOC). Je vais présenter en bloc l’ensemble de mes amendements. Vous voulez la fin des régimes spéciaux au 1er septembre 2023. Nous proposons un étalement pour absorber les difficultés qui se poseront.

Vos arguments sont filandreux s’agissant, notamment, de la pénibilité. Vous ne la contestez pas pour les conducteurs de bus, de tram ou de métro de la RATP. Mais vous vous réjouissez qu’ils intègrent le droit commun du C2P, dont nous ignorons de surcroît comment il la compensera.

Vous avez eu la délicatesse de nous transmettre, non une étude d’impact, mais un rapport d’analyse des conséquences de la réforme. En le lisant, on comprend en partie vos arrière-pensées : « Le financement des régimes spéciaux de retraite implique par ailleurs un effort de la solidarité nationale au bénéfice de certains secteurs ou de certaines entreprises », effort qui doit être interrogé dans le contexte de rationalisation de la dépense publique et « d’ouverture à la concurrence ». Comme bien des élus franciliens, je vous alerte depuis longtemps sur les difficultés que celle-ci entraînera à Paris – elle sera effective en 2025 pour les bus, en 2029 pour les trams et en 2039 pour le RER. Tout le monde sait que l’application bête et méchante de l’ouverture à la concurrence, résultant d’une réglementation européenne également bête et méchante, n’est pas adaptée à la situation des transports en Île-de-France.

Les difficultés de recrutement sont immenses. Nous manquons de plus de sept cents chauffeurs de bus. Vous prétendez vouloir améliorer l’offre de transports et, en même temps, vous imposez aux opérateurs une réduction de leurs moyens, ce qui explique que la « révolution des transports » de Valérie Pécresse ait largement échoué. Vous vous apprêtez à fragiliser un réseau qui est déjà à l’os.

De plus, les difficultés que rencontre ce secteur, en Île-de-France, rejaillissent sur tous les autres salariés. Les habitants de l’Essonne passent en moyenne une heure quarante‑trois par jour dans les transports, parfois bien plus pour ceux qui se rendent à Paris depuis Brétigny ou à Roissy depuis Évry. La sanctuarisation de l’attractivité de ces métiers assurerait la qualité du service public mais, aussi, la qualité de vie de millions de travailleurs. Vous allez péniblement leur octroyer le C2P alors que celui-ci ne prend pas en compte la pénibilité liée aux transports !

Même Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports, s’interroge sur la pertinence de l’ouverture à la concurrence. Certes, il s’inquiète de la situation à l’approche des Jeux olympiques. Au-delà de la conjoncture, l’ouverture à la concurrence n’en demeure pas moins une bêtise absolue.

M. Thibault Bazin (LR). Je m’interroge quant à la date d’application de la réforme alors que nous sommes confrontés à un enjeu d’acceptabilité sociale. Il ne me paraît pas judicieux que des personnes qui doivent partir cette année à la retraite soient concernées. Les salariés ont besoin de visibilité – une retraite, cela se prépare ! – et de fiabilité. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), lors de son audition, a expliqué qu’à partir du 1er mars, il ne répondrait plus aux demandes, en attendant une stabilisation du droit.

Enfin, dernier enjeu, celui de la viabilité financière : une application de la mesure au 1er septembre génèrera un déficit supplémentaire des comptes de la sécurité sociale de 400 millions d’euros. Un report au 1er janvier 2024 semble de meilleure politique.

Mme la rapporteure générale. Monsieur Guedj, un report de l’entrée en vigueur de la disposition rendrait incertaine la date d’application, ce qui perturberait les modalités de recrutement de la RATP.

Monsieur Bazin, j’ai auditionné l’ensemble des représentants des caisses des régimes spéciaux. Certains, en particulier les représentants de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, m’ont fait part d’un nécessaire accompagnement du pouvoir réglementaire pour préparer les fermetures. Mais aucun n’a fait état de la nécessité d’un décalage d’application.

M. Philippe Vigier (Dem). M. Guedj souhaite décaler l’application de cette réforme, en particulier dans le domaine des transports, à 2050.

À Chartres, 30 000 personnes prennent le train chaque jour pour se rendre à Paris. Dans mon département, le temps passé dans les transports s’élève plutôt, en moyenne, à trois heures par jour. Je suis conscient de ces difficultés mais ce n’est pas une réforme des retraites qui changera la donne. Je rappelle, de plus, que la directive européenne ouvrant la concurrence dans le domaine des transports a été validée par le Premier ministre Lionel Jospin.

Les problèmes de recrutement, quant à eux, s’expliquent aussi par les rémunérations offertes – ce n’est pas une loi sur les retraites qui permettra de les résoudre – et des carrières hachées. J’ajoute que les autres régies de transport ne comprendraient pas que l’on maintienne le système parisien actuel. Enfin, je rappelle que 1,5 milliard d’euros du budget de l’État sont affectés chaque année à la RATP pour équilibrer ses comptes.

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). La Première ministre, selon vous, souhaiterait tenir compte de la pénibilité. Mais ce n’est pas du tout ce que vous faites, au contraire : les régimes spéciaux de retraite s’expliquent précisément parce que les métiers en question sont pénibles. Les conducteurs de la RATP commencent à travailler tôt le matin et sont exposés à des difficultés particulières qui expliquent des taux d’inadaptabilité élevés. La seule solution que vous proposez en matière de pénibilité consiste à supprimer les maigres conquêtes sociales dont ces salariés bénéficient !

La clause du grand-père, en fait, est une « clause de grande perte ». Vous pariez sur l’égoïsme des salariés. Détrompez-vous, ils sont solidaires et ils n’acceptent pas que les conditions de travail de leurs enfants se dégradent !

Nous sommes en effet confrontés à un problème de recrutement, les salaires n’étant pas très élevés. C’est précisément pourquoi les salariés sont aussi attentifs à leur statut. J’ai entendu parler de « gauchisme paresse et bobo ». Vous, à l’égard du patronat, vous êtes « la droite caresse et cadeaux » !

M. Arthur Delaporte (SOC). La majorité use d’arguments abstraits pour justifier sa réforme. Nous parlons de pénibilité et vous répondez compte de pénibilité. Or, moins de 2 millions de salariés en disposent et seuls 9 600 personnes l’ont utilisé ces dernières années pour partir à la retraite de manière anticipée, soit 0,53 %.

Vous convenez vous-mêmes que la pénibilité, à la RATP, est réelle. Les conducteurs de bus à Vierzon, à Châteauroux ou à Bourges – quoique la situation ne soit pas tout à fait comparable avec celle des agents de région parisienne – doivent justement, eux aussi, bénéficier de droits supplémentaires ! « Clause de grande perte » ou « clause du bébé » : vous ne parvenez pas à prendre en compte efficacement la pénibilité.

La rapporteure générale a fait valoir que le report que nous proposons entraînerait des incertitudes. Or, il n’en est rien. L’adoption de l’un de ces amendements différerait l’entrée en vigueur en fixant une date précise.

M. Pierre Cazeneuve. Les salariés de la RATP, en effet, sur-cotisent. Mais c’est à partir d’une assiette plus réduite que dans le régime général et, in fine, l’effort contributif est le même. Le déficit, en revanche, demeure bien de 1,5 milliard d’euros. La philosophie des amendements de Jérôme Guedj revient à remettre à demain ce qu’il est possible de faire aujourd’hui et à laisser à ma génération le soin de faire des efforts. Or, c’est aujourd’hui que nous devons nous préoccuper des déficits !

Mon grand-père disait : « Quand on se fait pipi dessus, on n’a jamais chaud longtemps ». Arrêtons de nous faire pipi dessus et commençons à agir !

M. Thibault Bazin (LR). La rapporteure générale n’a pas répondu à la question de l’acceptabilité sociale. Certains, parmi ceux qui doivent partir dans les prochains mois à la retraite, ont un projet de vie. Une retraite se prépare. L’application de la loi à partir du 1er septembre est problématique. De plus, nous devons rétablir la confiance, en particulier celle des jeunes gens, qui ne croient plus aux retraites, ce qui passe par la fiabilité et la visibilité de notre système.

Les représentants des caisses, en effet, n’ont pas demandé un décalage de la réforme mais davantage de temps pour l’appliquer.

J’ajoute que seule la branche retraite des régimes spéciaux est supprimée et qu’il conviendra d’alimenter des droits dans les autres branches, ce qui n’est pas anodin. L’expérience nous a montré que les systèmes d’information ont parfois contrarié certaines réformes. Selon la Cnav, une année ne sera pas de trop s’agissant du traitement de la deuxième liquidation. Le système d’information, en effet, ne sera pas prêt pour les personnes qui seraient en cumul emploi-retraite et qui arrêteraient de travailler entre novembre 2023 et février 2024, même si une rétroactivité s’appliquera. Une adaptation du calendrier serait de bonne politique.

Mme Laure Lavalette (RN). Nous sommes opposés à la concertation dont font état de nombreux amendements de Jérôme Guedj. Mais nous sommes favorables à la négociation. Il est trop facile, pour le Gouvernement, de s’asseoir sur ceux qui travaillent et de décider à la place des salariés et des employeurs. Le propre de la concertation, c’est d’entendre son interlocuteur sans l’écouter.

Le compte pénibilité est inefficace et peu utilisé puisque seules 11 000 utilisations de points du C2P ont servi à des départs anticipés à la retraite, comme l’a dit le ministre du travail au sénateur Sueur le 14 juillet 2022. Une telle usine à gaz ne peut pas être à la hauteur des enjeux. Pour des solutions concrètes, je vous renvoie au projet de Marine Le Pen : les métiers pénibles sont ceux que l’on commence à exercer tôt.

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Avant d’être fusillé par les Allemands, Pierre Semard défendait l’idée d’un régime spécial pour les cheminots car, disait-il, ils ne font pas un métier comme les autres. Après le sang et les larmes de la déportation de Buchenwald, Marcel Paul a élaboré le statut des électriciens-gaziers en considérant que, eu égard à la souveraineté énergétique de la France, ils ne font pas un métier comme les autres.

La loi prévoit l’autonomie financière et l’équilibre des régimes spéciaux. Celui des électriciens-gaziers, en 2022, dégageait un excédent de 120 millions d’euros en financement du régime général, à quoi s’ajoute la cotisation de taxe spéciale qui alimente le budget général de l’État.

Ces métiers sont confrontés à des problèmes d’attractivité. Vous n’y répondrez pas en abattant leurs régimes spéciaux. Enfin, en quoi le flingage du statut de la RATP améliorera-t-il le sort de Jérôme qui, chez moi, est chauffeur de bus ?

Vous voulez niveler par le bas pour, en haut, préserver les profits.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Les régimes spéciaux sont financés par des sur-cotisations. Si les salariés nouvellement recrutés n’en bénéficient plus, vous vous priverez d’une partie des recettes. De plus, la réforme n’aura aucun effet jusqu’à 2030 en raison de la clause du grand-père alors que vous vous prévalez de graves difficultés d’ici 2030 pour justifier votre texte.

Enfin, votre étude d’impact précise que la réforme est sans objet pour les personnes en situation de handicap et sans effet sur l’environnement. Mais la suppression du régime spécial de la RATP aura un double effet, et sur la hausse des incapacités et sur l’écologie puisque vous créez une pénurie de main d’œuvre dans des métiers essentiels. Gardons ce régime spécial !

Mme la rapporteure générale. L’État assure plus de la moitié du financement de ce régime malgré les sur-cotisations, l’assiette étant plus réduite.

Le compte pénibilité de Jérôme, monsieur Jumel, sera simplifié s’il commence à travailler après le 1er septembre à la RATP...

M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Il travaille chez moi à Dieppe, vous dis-je !

Mme la rapporteure générale. Cent nuits, au lieu de cent vingt auparavant, permettront d’accumuler des points. À Dieppe ou à Paris, Jérôme pourra toujours partir en retraite plus tôt parce qu’il exerce un métier pénible. Il pourra aussi financer des congés de reconversion.

S’agissant des amendements de Jérôme Guedj, les incertitudes demeurent puisque l’amendement AS802, par exemple, fait mention d’une date déterminée par décret pris en Conseil d’État après concertation des organisations syndicales et patronales qui ne peut être ultérieure au 1er janvier 2050.

La commission rejette successivement les amendements.

La séance est levée treize heures dix.


Présences en réunion

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, Mme Bénédicte Auzanot, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, M. Elie Califer, M. Victor Catteau, M. Pierre Cazeneuve, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, M. Charles de Courson, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, M. Arthur Delaporte, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Anne Genetet, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Claire Guichard, Mme Mathilde Hignet, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Sandrine Josso, M. Philippe Juvin, Mme Rachel Keke, Mme Fadila Khattabi, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, M. Antoine Léaument, M. Jérôme Legavre, Mme Katiana Levavasseur, M. Sylvain Maillard, M. Matthieu Marchio, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Benoit Mournet, M. Serge Muller, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Mathilde Panot, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean‑François Rousset, M. François Ruffin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry, M. Christopher Weissberg, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Isabelle Valentin

Assistaient également à la réunion. – Mme Ségolène Amiot, Mme Clémentine Autain, M. Christophe Bex, M. Louis Boyard, M. Alexis Corbière, Mme Elsa Faucillon, Mme Caroline Fiat, Mme Raquel Garrido, M. Sébastien Jumel, M. Bastien Lachaud, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, Mme Nathalie Oziol, M. Thomas Portes, M. Aurélien Saintoul, M. Nicolas Sansu, Mme Danielle Simonnet, Mme Sophie Taillé-Polian