Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, sur le projet de loi de finances 2023.

 

 


Mercredi
5 octobre 2022

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 04

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à seize heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le ministre, votre audition sur le budget de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2023 est exceptionnelle à plusieurs titres.

 

De par son contexte, d’abord, puisque la guerre est de retour en Europe et que la conflictualité demeure importante dans d’autres zones du monde, comme au Burkina Faso.

 

De par son format, ensuite, puisque l’ensemble des chefs d’état-major et des responsables de programme vous accompagnent, symbole d’un engagement fort de l’État dans le contexte stratégique inédit qui résulte de l’agression de l’Ukraine par la Russie. Cela témoigne également de l’attention que vous portez à la bonne information du Parlement. Cette audition, publique, sera complétée par les auditions à huis clos de vos grands subordonnés, qui nous permettront d’analyser de manière plus détaillée le budget et la réalité des opérations. Nous commencerons ce travail dès l’issue de cette audition, avec le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées (CEMA).

 

Le caractère exceptionnel de cette audition tient aussi au montant du budget qui nous est présenté. Conformément aux annonces faites devant notre commission dès le mois de juillet, les crédits de la mission Défense augmenteront de près de 3 milliards d’euros, ce qui portera notre effort de défense à près de 44 milliards d’euros. La trajectoire prévue par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 sera ainsi scrupuleusement respectée. J’ai en mémoire les discussions que nous avions en 2018, au cours desquelles beaucoup disaient que ces engagements ne seraient pas tenus. Or ils le sont, année après année, malgré des marches de 3 milliards d’euros.

 

Monsieur le ministre, vous aurez sans doute à cœur de détailler les différentes mesures contenues dans ce projet de loi, c’est pourquoi je vous laisse la parole sans plus tarder.

 

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. J’ai exposé devant vous, quelques semaines après ma nomination, les différentes politiques publiques que j’entends mener à la tête du ministère des armées. Ce nouveau rendez-vous donne un caractère plus opérationnel à ces éléments, en les replaçant dans le contexte du projet de loi de finances.

 

Avant d’évoquer les chiffres, je voudrais saluer l’engagement des forces armées pour assurer, au quotidien, la sécurité de notre pays et avoir une pensée particulière pour les soldats tués ou blessés et pour leurs familles. Je souhaiterais également rendre hommage aux grands dirigeants du ministère, qu’ils soient civils ou militaires – la plupart sont présents aujourd’hui –, sans leur travail, il ne serait pas possible de vous présenter cette maquette budgétaire.

 

Nous avons une grande armée, qui est au service d’une démocratie. Pour cette raison, nous devons vous rendre compte. La présence des grands subordonnés, comme les désigne la terminologie du ministère des armées, vise à revenir à l’esprit de la Constitution. La Première ministre et moi-même sommes ordonnateurs principaux des dépenses et, à ce titre, engageons la responsabilité politique du Gouvernement. Toutefois, dans le cadre des responsabilités que le Président de la République, en tant que chef des armées, leur a confiées, certains ordonnateurs délégués peuvent également engager des sommes importantes.

La présence de ces ordonnateurs délégués m’a semblé importante, car je ressens, depuis pratiquement cinq mois que je suis ministre des armées, un grand besoin de transparence. Les crédits augmentent. Pour permettre l’acceptabilité sociale de cette décision, nous devons expliquer les raisons qui nous poussent à consentir un effort financier budgétaire aussi important pour la défense de notre pays et, pour reprendre la jolie expression calédonienne, rendre compte devant vous « avec humilité et respect ».

 

Il existe parfois une forme de fétichisme vis-à-vis des lois de programmation. Néanmoins, ce sont les lois de finances, avec les autorisations d’engagement (AE) et les crédits de paiement (CP), qui permettent aux armées de fonctionner au quotidien. Par le passé, certaines lois de programmation prévoyaient des chiffres qui ne se retrouvaient pas dans les lois de finances. Désormais, nous tenons parole, ce qui donne de la visibilité en matière de recettes.

 

La maquette budgétaire que nous proposons pour 2023 prévoit 43,9 milliards de CP. Nous étions en 2017 à 32,3 milliards, soit une augmentation de 36 %. S’agissant des AE, la proposition faite au Parlement sera de 52,8 milliards. Les engagements pris sont donc tenus, ce qui constitue une rupture avec le passé et représente un gage de confiance pour la construction de la prochaine LPM. Le Président de la République et le Gouvernement ont tenu parole. Je remercie l’ensemble des députés, quelle que soit leur sensibilité politique, d’en avoir pris acte.

 

La particularité de ce budget est qu’il prévoit, pour la première fois, une première marche de 3 milliards d’euros, soit une augmentation de 7,4 % par rapport à 2022.

 

Les questions sont fréquentes sur les réserves de précaution imposées par Bercy à certains ministères. Nous avons démontré, notamment avec les décrets d’avance et les projets de loi de finances rectificatives, que celles-ci ne remettaient pas en cause la parole donnée devant le Parlement.

 

Vous avez également des questions légitimes sur l’inflation, qui pourrait atténuer l’effet des 3 milliards supplémentaires. M. Christophe Mauriet, nouveau secrétaire général pour l’administration (SGA), ancien directeur des affaires financières du ministère, reviendra sur le sujet et détaillera les solutions que nous proposons pour amortir le choc de l’inflation.

 

Même si l’exercice est tentant, les comparaisons avec les autres pays en se fondant sur des pourcentages de PIB ou le nombre de milliards engagés sont souvent hasardeuses. Une armée ne ressemble pas à une autre, pour des raisons qui tiennent à la géographie et à l’histoire. Le fait de disposer de la dissuasion nucléaire et de devoir protéger des outre-mer influe forcément sur le modèle d’armée. Nous respectons néanmoins le standard de l’Otan et, en tant que puissance fondatrice de l’Alliance atlantique, consacrons 2 % de notre PIB aux dépenses militaires.

 

Nous faisons preuve de continuité et de prévisibilité dans les recettes comme dans les dépenses. Depuis 2017, l’accent est mis sur la modernisation des équipements majeurs, qui mobilise l’essentiel des augmentations de crédits. Les exemples ne manquent pas et les chefs d’état-major pourront les évoquer ici.

 

Les CP pour de nouveaux équipements majeurs s’élèvent à 8,5 milliards, soit une progression de 5,6 % par rapport à 2022. Il s’agit de livraisons, et non de commandes : 8 660 fusils d’assaut HK, un lot de missiles Exocet, un sous-marin nucléaire d’attaque de classe Barracuda, un satellite Syracuse IV, treize Mirage rénovés, treize Rafale neufs, dix-huit chars Leclerc rénovés.

 

Nous avons prévu 14,2 milliards d’AE, qui permettront de financer 420 véhicules blindés légers Serval, des capacités d’exploration des fonds marins, des stations navales de communication ou quarante-deux nouveaux Rafale. Je réponds ainsi à la question qui m’a été posée il y a quelques jours dans le cadre d’une autre commission sur les cessions éventuelles de Rafale dans le cadre de contrats d’exportation.

 

Ces investissements capacitaires n’auraient pas été possibles sans l’augmentation des crédits. Ils montrent que les marches produisent des effets très directs.

 

La dissuasion nucléaire constitue un autre bloc de dépenses important, puisqu’il mobilise 5,6 milliards de CP pour 2023, avec une augmentation de 318 millions.

 

Si nous nous inscrivons dans la continuité des efforts engagés précédemment, ce PLF traduit tout de même des inflexions ou des adaptations. Certaines étaient prévues dans la trajectoire mais d’autres sont la conséquence de la guerre en Ukraine. Pour 2023, les programmes d’armement que je viens d’évoquer représenteront globalement 15 % des ressources supplémentaires, sans la dissuasion nucléaire – 25 % en l’intégrant.

 

Les ressources humaines sont l’un des volets sur lesquels nous souhaitons mettre l’accent. Dans la maquette budgétaire, la masse salariale absorbe pratiquement 22 % des ressources supplémentaires, contre 6 % entre 2019 et 2021 et 8 % entre 2019 et 2022. Nous proposons la création de 1 500 postes au sein des armées, c’est-à-dire autant que les trois dernières années, au cours desquelles la progression annuelle était de 500 postes. Ils concerneront principalement des domaines prioritaires, comme le renseignement, la cybersécurité ou les unités opérationnelles.

 

La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) entre dans sa dernière phase, avec un rendez-vous le 1er octobre 2023. Cette troisième marche s’accompagnera d’un effort de 101 millions, représentant 417 millions en année pleine. J’ai eu l’occasion de répondre à vos questions sur le sujet en juillet. Notre proposition intègre l’augmentation du point d’indice de la fonction publique, pour 357 millions, et la poursuite du plan « famille », imaginé et mis en œuvre par Florence Parly, pour 520 millions.

 

Je tiens à rendre publiquement hommage au général Thierry Burkhard et aux différents chefs d’état-major pour la qualité du premier retour d’expérience (Retex) sur les munitions.

 

Certaines mesures étaient prévues mais d’autres vont être accélérées compte tenu de la situation sur le flanc oriental. Pour assurer le maintien en condition opérationnelle (MCO), et notamment améliorer la disponibilité du matériel, nous proposons une enveloppe exceptionnelle de 5 milliards pour la seule année 2023. Pratiquement 57 % de cette somme seront orientés vers les moyens aéronautiques des trois armées.

 

Les munitions constituent l’un de nos principaux points d’attention. Nous n’avons jamais diffusé publiquement ce chiffre mais nous vous proposons d’y consacrer, en 2023, une somme exceptionnelle de 2 milliards, soit une progression de 500 millions par rapport à 2022. Nous tenons le détail des mesures prévues à votre disposition. À titre d’exemple, nous allons nous doter de 200 missiles moyenne portée antichar, de missiles pour le système Samp/T – déployés notamment en Roumanie –, de missiles de défense air-air Mica ou de bombes air-sol. Nous avons aussi programmé l’achat de 10 000 munitions de 155 millimètres pour les canons Caesar. Le CEMA pourra revenir sur ces choix, qu’il a proposés et pour lesquels, le Président de la République, la Première ministre et moi-même lui avons accordé toute notre confiance.

 

Les équipements individuels feront l’objet d’un effort majeur, avec une enveloppe de 1,7 milliard, destinée à l’achat de 70 000 treillis, 12 000 gilets pare-balles ou 20 500 panoplies nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Les parlementaires coutumiers des visites au sein des unités militaires savent que ces livraisons sont très attendues.

 

Nous allons, avec le SGA, porter une grande attention aux infrastructures. Les projets se déroulent comme prévu pour les infrastructures purement militaires, comme les infrastructures d’accueil pour les Barracuda à Toulon, les MRTT à Istres ou les Rafale à Landivisiau. S’agissant des régiments de l’armée de terre, je pourrais citer les plots d’accueil pour le programme Scorpion. Nous devons, en revanche, avancer plus rapidement en ce qui concerne les infrastructures civiles situées dans les emprises militaires, notamment les bâtiments et les hébergements. Nous avons prévu 2 milliards en CP et 2,7 milliards en AE. J’ai donné mandat au SGA pour engager un choc de simplification, afin de faciliter la réalisation des opérations. À l’Assemblée nationale, nous parlons de milliards d’euros mais le décalage est parfois très grand avec les situations vécues dans les unités.

 

Pour nous tous, l’année 2023 sera une année charnière, au cours de laquelle nous devrons préparer le tuilage avec la prochaine LPM.

 

En quelques années, voire quelques mois, nous avons avancé de manière spectaculaire dans le domaine spatial. Le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace (CEMAAE) pourra y revenir : nous avons prévu 702 millions de CP pour 2023, avec des achats très précis, dont dix hubs de théâtre pour les Syracuse 4 ou trente-sept stations tactiques satellitaires. Nous attendons également la livraison du satellite Syracuse 4.

 

La situation a aussi évolué rapidement en ce qui concerne le cyber, qui mobilise la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) mais également le CEMA, qui a enclenché une accélération significative avec le commandement de la cyberdéfense (Comcyber). Dans ce domaine, nous vous proposons 288 millions de CP.

 

Nous allons vivre une année de transition, sur laquelle nous devrons prendre appui pour définir une trajectoire nouvelle, en particulier sur les deux derniers sujets que je viens d’évoquer. L’actualité nous montre que l’hybridité, et donc la question du cyber, ne cesse de s’inviter dans notre modèle de défense.

 

Celles et ceux qui étaient déjà parlementaires sous la XVe législature ont voté une LPM et une loi de finances pour 2023 qui ne pouvaient intégrer l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La construction budgétaire nous permet de disposer d’un socle robuste, qui comprend les mécanismes de la LPM et sur lequel l’activité opérationnelle peut venir s’appuyer.

 

Les opérations font l’objet de provisions, à hauteur de plus de 1 milliard dans le budget qui vous est présenté, et peuvent bénéficier de la solidarité interministérielle, même si celle-ci n’est pas obligatoire et demeure une exception. Nous avons déjà démontré que le budget ne détermine pas les manœuvres sur le terrain. Nous sommes fiers de notre armée et nous faisons en sorte qu’elle puisse fonctionner.

 

La question de la présence militaire française en Afrique se pose, avec la fin de l’opération Barkhane et la réarticulation vers le Niger. Nous pourrons y revenir. Certaines missions dans le cadre de l’Otan n’étaient pas prévues initialement, dans les pays baltes et surtout en Roumanie où nous intervenons avec le statut de nation-cadre. Nous parlons peu des missions onusiennes mais la France a encore un rôle majeur à jouer dans ce domaine. Le CEMA était d’ailleurs en visite ce week-end auprès des forces intérimaires des Nations unies au Liban (Finul).

 

J’ai déjà eu l’occasion de définir le terme d’économie de guerre, qui peut parfois susciter des interrogations. Dès lors que notre armée est devenue technologique, la base industrielle et technique de défense (BITD) doit entrer dans notre modèle d’armée. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai pu vous dire lors d’une audition sur les exportations d’armes. L’héritage français est gaullien ; il repose sur une autonomie stratégique. Comme je l’ai rappelé hier lors de la séance des questions au Gouvernement, ce point n’est pas négociable. J’espère que nous parviendrons à un consensus à ce sujet. Ensuite, des questions peuvent se poser quant aux coopérations industrielles – dont nous devons tous espérer, quelles que soient nos convictions à propos de l’Union européenne, qu’elles fonctionnent.

 

Nous devons nous inspirer de ce que nos anciens avaient mis en place dès la fin de la IVe République. Pour être « allié mais non aligné » avec Washington, selon l’expression gaullienne consacrée, nous devons disposer d’un modèle industriel performant, qui repose sur les commandes de l’État. Cependant, dans un schéma de haute à moyenne intensité, cela ne peut être le seul critère.

 

Le nouveau délégué général à l’armement, Emmanuel Chiva, a lancé des travaux avec l’ensemble des équipes de la DGA, en lien avec les trois chefs d’état-major et le ministère, pour définir une nouvelle approche des stocks, de la gestion des sous-traitants et de la relocalisation de certaines activités. Cette dernière exigence n’est pas liée au conflit en Ukraine mais est apparue avec le covid. Acheter des pièces à l’autre bout du monde nous place, par définition, en situation de fragilité stratégique. Je souhaite que nous nous inspirions, pour le conventionnel, du modèle de la dissuasion nucléaire, afin de garantir une BITD puissante.

 

Pour terminer, je souhaite revenir sur les forces morales. Nous ne pouvons pas parler de chiffres sans avoir en tête ceux qui servent sous les drapeaux, qui sont réservistes ou qui deviendront soldats demain. La haute intensité suppose de préparer la nation au fait que la paix peut malheureusement être menacée – les Ukrainiens ont construit ainsi un modèle qui fascine l’occident.

 

La question de la mémoire et des anciens combattants est également essentielle, car nous devons être fiers de nos racines pour nous projeter dans l’avenir. La secrétaire d’État Patricia Mirallès vous a présenté hier un budget qui me semble à la fois ambitieux et respectueux de nos anciens combattants.

 

S’agissant du service national universel (SNU), la doctrine reste à définir. La secrétaire d’État Sarah El Haïry évoquera certainement le sujet devant vous.

 

Les états-majors ont commencé à travailler sur la question des réserves. Étant réserviste moi-même, j’ai également quelques idées. Nous devons adopter un regard nouveau à ce sujet.

 

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées. Le contexte stratégique reste marqué par l’incertitude et l’instabilité, avec le retour de la guerre en Europe.

 

Grâce à leur courage et au soutien occidental, les forces ukrainiennes s’opposent avec succès à l’attaque russe. Il reste néanmoins des incertitudes quant à la réaction de la Russie. Cette dernière s’inscrit en effet dans une stratégie de long terme qui impose d’être vigilant. De nombreux enseignements de ce conflit ont déjà été intégrés dans le PLF pour 2023 et dans la préparation de la LPM.

 

L’instabilité demeure en Afrique où le dispositif français au Sahel a été réarticulé. Le retrait du Mali, décidé par le Président de la République, s’est déroulé en ordre et en sécurité, dans le respect des délais prévus. Ce tour de force a pu être réalisé grâce aux efforts des logisticiens, notamment.

 

La relance de l’action au Niger et dans le golfe de Guinée est en cours mais la situation reste instable, avec un coup d’État au Burkina Faso ce week-end.

 

Nous assistons à une accélération que nous devons continuer de maîtriser. Pour rester crédibles, nous devons être en mesure d’engager une réponse rapide. Le PLF 2023 va dans ce sens, avec un budget en hausse de 3 milliards. Cette première marche, qui était prévue dans la LPM, marque l’effort consenti par la nation, malgré une conjoncture économique défavorable. Il est indispensable que nous montrions notre sens des responsabilités et du bon usage de ces fonds. Nous devrons utiliser ces moyens pour préserver la cohérence. Cela se traduit par exemple par l’équilibre entre les programmes 178 Préparation et emploi des forces et 146 Équipement des forces.

 

Au-delà, il faut également protéger, dans la durée, la spécificité de la condition militaire. Les hommes et les femmes qui ont décidé de s’engager pour servir la France ou qui s’engageront demain constituent notre ressource la plus précieuse. Nous devons nous donner les moyens de la préserver – ce PLF en est l’illustration.

 

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Le PLF pour 2023 s’inscrit dans un contexte particulier, qui se décline de façon très concrète pour la DGA. Nous devons répondre à la fois aux défis de l’économie de guerre, préparer la nouvelle LPM et contribuer au soutien à l’Ukraine. La DGA doit se transformer, tout en continuant à conduire ses activités.

Nous bénéficions encore de la LPM 2019-2025, voulue par le Président de la République et qui fait l’objet d’une exécution à l’euro près. Les 3 milliards supplémentaires seront consacrés notamment à la poursuite de nos engagements en matière d’équipements de pointe. Des avancées interviendront sur des programmes emblématiques : Rafale, Scorpion, porte-avions de nouvelle génération, MRTT, Syracuse ou frégates multimissions (FREMM). Une attention particulière est également portée au renouvellement des composantes de la dissuasion, au cyber et au spatial.

 

Le contexte international nous invite à nous préparer à ne pas subir, en cas de crise. Les travaux que nous menons avec les industriels autour de l’économie dite de guerre s’inscrivent dans cette perspective. La BITD repose certes sur une douzaine d’acteurs de premier rang mais également sur 4 000 PME qu’il convient de préserver. Plusieurs problématiques sont à prendre en compte, particulièrement la conduite des opérations d’armement, la chaîne de sous-traitance et les stocks – avec l’enjeu des relocalisations –, les ressources humaines, la simplification des normes et des réglementations, et les vulnérabilités liées aux domaines du cyber et du sabotage.

 

Nous partageons, avec les armées, une communauté de destin. Pour les nouveaux programmes, d’autres moyens d’agir sont à imaginer, en revisitant le triptyque classique « coût-délai-performance ». Pour les programmes en cours, nous devons renforcer l’approche incrémentale, optimiser les retombées de nos exportations et mieux capter les innovations de rupture inspirées par les PME et le personnel des forces.

 

Les tensions actuelles ne doivent pas nous conduire à sacrifier la préparation de l’avenir. Il s’agit de l’une des raisons d’être de cette maison particulière qu’est la DGA. L’innovation reste pour nous une priorité, avec un budget qui a atteint le milliard d’euros en 2022. Notre feuille de route oriente nos efforts vers tous les grands enjeux technologiques qui nous permettront de ne pas être déclassés dans le futur, tel que le spatial, la lutte antidrones, l’intelligence artificielle ou encore les techniques quantiques. Nous devons également accompagner le passage à l’échelle, pour que ces innovations irriguent au plus près des besoins des utilisateurs finaux.

 

Dans les organisations, l’innovation émerge souvent dans la contrainte. L’évolution actuelle du contexte géostratégique nous place devant de grands défis et doit être l’occasion pour la DGA de se transformer, pour être toujours plus performante dans ses missions d’équipement de nos forces, de préparation de l’avenir, de développement à l’international et de soutien à la BITD.

 

Pour y parvenir, la DGA compte sur ses ressources humaines. Elle doit conserver son haut niveau de technicité. Les besoins croissants dans des domaines comme le numérique, les techniques quantiques et la robotique nécessiteront d’attirer les talents, notamment issus des jeunes générations, et de les fidéliser.

 

Je ne suis pas en poste depuis longtemps mais je sais que la DGA, avec sa double culture civile et militaire, est une maison d’exception, où le sens de la mission et de l’État sont des évidences. Nous devons désormais l’ouvrir au plus grand nombre.

 

M. Christophe Mauriet, secrétaire général pour l’administration. Le PLF pour 2023 marque la mise en œuvre de la première marche de 3 milliards prévue par la LPM. Cette dernière avait été accueillie avec un certain scepticisme mais les engagements ont été tenus.

 

S’agissant des ressources humaines, la masse salariale, qui s’élève à 12,9 milliards hors pensions hors OPEX/MISSINT, est en croissance de 5 % par rapport à 2022. Cette évolution traduit le dynamisme des créations d’emplois, qui, en 2023, progresseront à un rythme trois fois supérieur à celui de la première partie de la trajectoire. Nous allons passer de 450 créations par an à 1 500. Une série de mesures visent en outre à renforcer l’attractivité du ministère et à favoriser la fidélisation de ses personnels, avec la mise en œuvre de la troisième marche de la NPRM. Le PLF pour 2023 traduit également la volonté du Gouvernement de défendre le pouvoir d’achat des agents publics, avec plus de 410 millions de crédits liés à l’augmentation de la valeur du point d’indice et du Smic.

 

Concernant le soutien aux forces morales, les efforts sont poursuivis pour améliorer le quotidien du soldat et de sa famille, notamment avec le plan « famille » et le programme « hébergement ».

 

L’accent est mis également sur la transformation numérique et les chantiers immobiliers, que ceux-ci concernent les forces ou les infrastructures de vie et de travail des ressortissants du ministère des Armées. Un budget de 2,1 milliards de CP est consacré à la politique d’infrastructures du ministère. Des moyens supplémentaires sont par ailleurs dégagés pour aider le ministère à se préparer aux changements climatiques. Deux contrats de performance énergétique seront ainsi lancés en 2023.

 

Enfin, nous travaillons sur l’esprit de défense et la résilience de la nation, questions qui dépassent le cadre strict du ministère des armées. La secrétaire d’État Patricia Mirallès a présenté hier à votre commission le budget de la mission Anciens combattants, avec 1,8 milliard consacré notamment à l’administration de la dette viagère (1,4 Md€) et à des mesures nouvelles, notamment l’ouverture de droits à l’ensemble des victimes d’actes de terrorisme perpétrés avant 1982, la pérennisation des trois maisons et la création d’une quatrième maison Athos dans le cadre du dispositif de soutien aux blessés psychologiques des armées, l’accroissement de l’effort de solidarité en faveur des rapatriés. Dans le PLF pour 2023, les moyens consacrés au droit à réparation, créé par la loi du 23 février 2022, s’élèvent à 60 millions.

 

Je vous ai ainsi présenté les principaux faits saillants des programmes 212 Soutien de la politique de la défense et 169 Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant mémoire et lien avec la nation, dont la responsabilité est confiée au SGA.

 

Général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je me place sous le regard des 27 000 soldats de l’armée de Terre qui sont aujourd’hui en posture opérationnelle, puisqu’ils sont la raison d’être de ce que nous faisons.

 

Pour l’armée de Terre, la hausse des ressources poursuit la dynamique positive engagée depuis 2017 par la LPM. Nous restons dans la continuité d’une année 2022 que j’avais qualifiée de pivot devant votre commission, il y a tout juste un an.

 

En 2023, l’armée de terre poursuivra sa modernisation. Le jalon significatif de 25 % des livraisons prévues dans le cadre du programme SCORPION sera atteint. Nous disposerons ainsi de 500 véhicules supplémentaires, du GRIFFON au char LECLERC rénové. Les équipements « à hauteur d’homme » continueront par ailleurs à être livrés dans les régiments, comme les gilets balistiques ou les sacs de combat de nouvelle génération. Dix-huit canons CAESAR ont été commandés cet été, pour assurer le recomplètement après les cessions à l’Ukraine. Nous recevrons aussi les dix premières stations tactiques déployables du programme SYRACUSE IV. Enfin, la commande de 420 SERVAL est programmée.

 

L’effort budgétaire consenti représente également 210 millions de crédits supplémentaires pour le budget opérationnel de programme - Terre (BOP-Terre), qui atteindra 1,9 milliard. Ce soutien significatif permettra à l’armée de terre, malgré l’inflation, d’augmenter son activité et ses stocks et ainsi d’accroître sa crédibilité, sa réactivité et son endurance, qualités plus indispensables encore depuis le 24 février.

 

S’agissant des ressources humaines, l’armée de Terre atteint ses objectifs de recrutement, malgré un marché du travail de plus en plus concurrentiel. L’accent doit donc être mis sur le maintien de l’attractivité et la fidélisation de nos soldats, qui constituent notre bien le plus précieux.

 

Pour ce qui est des infrastructures, l’augmentation des crédits permettra d’améliorer le quotidien des unités, en particulier du 1er régiment d’artillerie de Bourogne (territoire de Belfort), de la 13e demi-brigade de Légion étrangère basée à La Cavalerie ou du 5e régiment de dragons de Mailly-le-Camp. Les travaux en cours pourront être achevés.

 

En ce qui concerne l’activité, l’armée de terre a pour objectif d’atteindre 70 % des normes d’entraînement de référence l’année prochaine. L’effort consenti pour le MCO est en augmentation de six points par rapport au projet annuel de performances (PAP) du PLF pour 2022, ce qui est conforme à nos ambitions. Nous pourrons ainsi franchir une étape supplémentaire, en disposant dès 2023 d’une brigade interarmes SCORPION projetable. L’exercice Orion, qui nous donnera l’occasion de mener un entraînement interarmées, interministériel et international, constitue également un changement d’échelle.

 

L’exécution de la LPM conforte la dynamique de modernisation de l’armée de terre en vue de produire des effets en matière de prévention et d’influence au loin, de solidarité stratégique en Europe, de résilience, de souveraineté nationale et de promotion de l’esprit de défense sur le territoire national, en métropole comme dans les outre-mer.

 

En conclusion, je rappellerai que le jalon de 25 % de la cible SCORPION sera atteint en 2023. Ce chiffre symbolise la modernisation, qui devient une réalité dans nos régiments, mais il montre aussi le chemin qu’il reste à parcourir.

 

Amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine. Notre enjeu est d’adapter la marine à un contexte d’instabilité et d’incertitude. La marine est une marine d’emploi, ce qui signifie que l’ensemble de ses moyens sont affectés à des missions, le plus souvent permanentes, fixées par le chef des armées. La première de ces missions est la dissuasion, qui structure en profondeur le format et l’activité de la marine.

 

La marine doit être capable d’intervenir des côtes de la métropole jusqu’au bout du monde, en remplissant trois missions. Il lui revient tout d’abord de défendre nos concitoyens, qu’ils soient en métropole ou dans les outre-mer, et de les protéger des menaces et des risques qui viennent de la mer. Une partie significative de notre richesse nationale se trouve en mer, avec le transit des flux commerciaux, de l’énergie et des données, ou en provient, avec les ressources halieutiques de nos zones économiques exclusives. Elle doit également être protégée. Enfin, nous devons entretenir les nombreux partenariats stratégiques et alliances qui rentrent dans le cadre de l’ambition politique – une France puissance d’équilibre –, telle qu’elle a été présentée par le Président de la République lors de son allocution aux ambassadeurs.

 

Le cadre de notre action évolue rapidement, à la fois par le délitement du droit, contesté ou contourné, la prolifération des opérations grises, comme récemment en mer Baltique, et d’une manière générale au travers d’un réarmement naval considérable sur toutes les mers du monde.

 

Notre mission est de trouver des solutions pour rester en pointe. Nous travaillons sur les trois axes que sont le capacitaire, la préparation opérationnelle et le personnel.

 

Une flotte se construit dans le temps long, puisqu’il faut en moyenne quinze ans pour délivrer une capacité à la marine. Le programme de Fremm a été lancé en 2005 et livrera son huitième navire en 2023. Le Suffren a été notifié en 2006 et le premier sous-marin de la série a été admis au service actif en juin dernier. La première pièce de la chaufferie du premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) 3G sera coulée cet automne, pour une mise en service en 2035 et une utilisation jusqu’en 2080.

 

Grâce à la constance des budgets, la LPM 2019-2025 a lancé une dynamique. Le PLF que vous allez étudier se trouve au début d’une décennie cruciale pour le renouvellement de la marine, afin de lui permettre de poursuivre les missions qui lui sont confiées. Elle enclenchera également la préparation des capacités de la décennie suivante. Le segment des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) sera totalement renouvelé d’ici la fin de la décennie, avec la classe Suffren. La chaufferie du deuxième exemplaire, le Duguay-Trouin, a divergé la semaine dernière à Cherbourg. Des programmes concernent également les patrouilleurs outre-mer et de métropole, les ravitailleurs de forces ou la guerre des mines.

 

Les efforts se concrétiseront en 2023 par des livraisons importantes, dont le deuxième SNA, le premier ravitailleur de forces de la série ou un patrouilleur outre-mer, qui rejoindra la Nouvelle-Calédonie dès le début de l’année prochaine. Ainsi que nous l’a demandé le CEMA, nous mettrons également l’accent sur la livraison de munitions complexes, comme les missiles Aster 30 et Aster 15, les missiles Exocet, les missiles Meteor et Mica.

 

Des commandes structurantes seront lancées cette année, concernant les patrouilleurs hauturiers, la guerre des mines, le complément d’aéronaval, notamment avec les Exocet Block3, et les capacités de grands fonds.

 

Parallèlement, nous travaillons à moderniser les capacités existantes, avec des briques d’innovation que nous étudions avec la DGA et l’Agence de l’innovation de défense (AID). Ces travaux concernent les drones aériens, sous-marins et prochainement de surface, le numérique, au service des simulations et du renseignement, les armes à énergie dirigée ou le soutien spatial aux opérations aéronavales.

 

Pour remplir nos missions, nous devons cependant changer notre façon d’opérer. Nous avons décidé d’intensifier et de transformer la préparation opérationnelle, pour la rendre plus exigeante et réaliste. Nos états-majors et commandants seront formés à l’imprévu, à la difficulté et à l’adversité. L’an dernier, l’exercice Polaris a donné une impulsion fondatrice. L’effort sera renouvelé cette année avec l’exercice interarmées Hemex-Orion.

 

Nous avons également décidé de travailler l’état d’esprit et la force morale de nos marins, car le succès opérationnel n’est pas qu’une affaire de moyens. Nous avons engagé de nombreuses actions en ce sens cette année.

 

Général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace. Ce PLF 2023 s’inscrit dans la continuité de la gestion 2022, et est en cohérence avec l’annuité 2023 de la LPM en cours.

 

S’agissant des ressources humaines, l’armée de l’air et de l’espace attendait une inversion de la tendance, après une longue période de compression de ses effectifs, notamment au cours de la précédente LPM. Concrètement, elle va bénéficier de la création de 349 postes dans des domaines en tension, notamment l’espace, qui connaît une forte montée en puissance, le transit aérien ou la lutte antidrones.

 

La fidélisation reste un enjeu majeur pour l’armée de l’air et de l’espace, dans un contexte où certaines de ses ressources rares sont particulièrement prisées par les entreprises. Les mesures du plan « famille », associées aux évolutions de rémunération, participent à l’atteinte de nos objectifs ambitieux dans ce domaine.

 

L’activité aérienne sera stable, ou en légère augmentation, en ce qui concerne le transport et les hélicoptères. En revanche, elle sera en baisse pour l’aviation de chasse, avec une réduction d’activité à environ 150 heures par équipage. Même si nous avons essayé d’en limiter les effets, cette évolution est la conséquence de la cession de vingt-quatre appareils à la Grèce et à la Croatie. La situation perdurera tant que le recomplètement ne sera pas totalement régularisé. Le PLF nous donne cependant des raisons d’espérer un retour à la normale, avec la commande de quarante-deux Rafale et la reprise des livraisons, avec l’arrivée prévue de treize Rafale dès 2023.

 

Je terminerai par vous parler de la montée en puissance du domaine spatial, enjeu majeur pour notre outil de défense. Le ministre a évoqué la livraison du satellite Syracuse 4B et des stations sol associées. Pour ma part, je tiens à souligner les efforts consentis et à venir sur les montants dédiés à l’achat de services spatiaux destinés à compléter nos moyens souverains. Nous disposerons d’une ligne budgétaire dotée de 51 millions d’euros en 2023, ce qui représente un doublement des crédits par rapport à l’année précédente.

 

Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie. La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a été créée en 2015, dans la continuité de l’ancienne direction des affaires stratégiques, pour répondre à deux missions principales.

 

Il s’agit tout d’abord de piloter l’action internationale du ministère des armées, ce qui emporte la gestion de l’un des plus grands réseaux diplomatiques de défense au monde, avec quatre-vingt-dix missions de défense et six représentations militaires de défense, soit plus de 320 agents affectés auprès de 170 pays et organisations internationales. Ils constituent une ressource irremplaçable.

 

La DGRIS contribue par ailleurs à l’élaboration de la stratégie de défense, ce qui inclut la recherche stratégique et prospective, le pilotage ministériel de la maîtrise des armements, la lutte contre la prolifération et le contrôle des transferts sensibles. L’enjeu est d’identifier les problèmes le plus tôt possible pour pouvoir éclairer les besoins de nos armées.

 

La DGRIS doit vous rendre compte des ambitions du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense. Dans le PLF pour 2023, la ressource de ce programme s’élève à 1,989 milliard en AE et à 1,906 milliard en CP. Ces derniers augmentent de 7 % par rapport à la loi de finances de 2022, ce qui est conforme à la trajectoire fixée par la LPM 2019-2025.

 

L’augmentation des crédits du programme 144 est portée par les besoins du renseignement et de l’innovation. Elle doit permettre de répondre aux nombreuses ruptures stratégiques que nous observons partout dans le monde, dans tous les domaines et à tous les niveaux.

 

Ces crédits sont nécessaires pour poursuivre la remontée en puissance capacitaire des services de renseignement, en se focalisant sur l’infrastructure et les systèmes d’information et de communication. En matière d’innovation, nous devons également conserver un niveau d’ambition élevé, dans la perspective de disposer d’une BITD autonome. Il est essentiel de disposer d’une expertise de haut niveau sur l’évolution de l’environnement stratégique, en mobilisant largement les ressources et en s’appuyant sur un écosystème de défense rayonnant.

 

Il revient à la DGRIS de conduire la diplomatie de défense, c’est-à-dire de mettre en œuvre une stratégie d’influence internationale convaincante et de contribuer à sa compréhension par l’ensemble du public, qu’il soit national, européen ou international.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

 

Mme Anne Genetet (RE). Le groupe majoritaire se félicite de cette sixième année consécutive d’augmentation des crédits, qui était nécessaire et attendue. Les effectifs d’une brigade d’infanterie de montagne à Grenoble, que j’ai visitée, ont confirmé la réception de matériels et d’équipements dont ils avaient largement besoin.

 

Le maintien de la trajectoire budgétaire s’inscrit dans un contexte difficile et représente un choix engageant pour la nation. Personnellement, je me félicite que nous puissions la préserver et respecter ainsi l’objectif de 2 % de la richesse nationale dédiée au budget de défense. Les engagements de la dernière LPM seront tenus, ce qui souligne l’ambition que nous avons pour nos armées. Ils permettront de protéger notre démocratie, nos concitoyens et nos intérêts sur le territoire national, y compris ultramarin, et au-dehors de nos frontières.

Les efforts consentis permettront également de renforcer l’attractivité de nos armées. Le programme mené envers la jeunesse est très impressionnant, puisqu’il permet de toucher 40 000 jeunes par an. J’espère qu’il pourra se déployer encore plus largement, en s’adressant aussi à notre jeunesse française à l’étranger.

 

Nous devons convaincre les opinions publiques de la nécessité d’engager la transformation du modèle de production de notre industrie de défense et sa montée en puissance vers ce que le Président de la République a appelé une économie de guerre.

 

N’étant pas spécialiste, je ne reviendrai pas sur les acquisitions de matériels mais je tiens à vous remercier pour la vigilance et la transparence dont les armées souhaitent faire preuve dans l’usage de ce budget. Nos concitoyens y seront particulièrement sensibles.

 

La semaine dernière, j’ai eu l’honneur de rencontrer le président Zelensky. Ses demandes concernent des équipements, des formations de déminage et un matériel de défense antiaérienne, avec un intérêt tout particulier pour le système Samp/T. Nous devons continuer à apporter notre soutien militaire à l’Ukraine. Nous ne pouvons pas nous coucher devant un pays qui bafoue la Charte des Nations unies. Monsieur le ministre, dans quelle mesure et de quelle manière ce budget intègre-t-il l’appui à nos alliés ?

 

M. Laurent Jacobelli (RN). Je ne partage pas votre enthousiasme sur cette hausse de 3 milliards. Elle servira à peine à combler le retard accumulé ces dernières années, dont vous n’êtes pas responsables mais qui est une réalité. L’inflation devrait en outre absorber pratiquement la moitié de l’augmentation.

 

Nous continuons également à assister à ces traditionnels tours de passe-passe, avec les reports de charges d’une année sur l’autre, qui créent une forme d’opacité dans la lecture du budget.

 

Nous avons besoin d’une bonne gestion et d’un budget en hausse significative, car il est temps de réinvestir massivement pour retrouver une souveraineté pleine et entière en matière de défense et d’industrie de défense. L’idéologie européiste a déjà conduit au déclin notre agriculture, notre sidérurgie, nos industries de santé et notre politique énergétique, nous rendant toujours plus vulnérables aux crises et plus dépendants. Ce mal ne doit pas s’étendre à la défense de notre patrie.

 

La préservation de notre indépendance et de notre souveraineté exige, Monsieur le ministre, un budget plus ambitieux. Pourquoi s’entêter, dans une forme de mariage forcé, à vouloir coproduire des systèmes avec l’Allemagne ? Ce pays ne partage pas notre stratégie industrielle et militaire et il préférera toujours le bouclier américain à la solidarité avec son voisin français !

 

La nécessaire recherche d’alliances stratégiques et d’accords de défense mutuelle ne doit pas déboucher sur une sujétion à une puissance étrangère ou un groupe de nations. Il faut opérer d’urgence un visage à 180 degrés. La France doit de nouveau gérer son industrie de défense et sa défense de manière indépendante, loin des considérations européennes obligées. En s’appuyant sur des partenaires fiables partageant les mêmes intérêts et besoins opérationnels, les industriels ont lancé de nombreux programmes d’exportation. Relancer les filières abandonnées sur notre territoire, en particulier les fusils et les armes de poing, doit également être une priorité. En cas de conflit de haute intensité, nous ne pourrons pas nous permettre de dépendre d’importations pour nos matériels ou leurs composants.

 

Monsieur le ministre, je vous ai interrogé par le biais d’une question écrite mais je profite de votre présence pour revenir sur la place que vous souhaitez réserver aux industriels français dans les appels d’offres. Les erreurs commises par le passé, notamment avec le remplacement du Famas, ne doivent pas être reproduites.

 

Vous avez qualifié votre politique de gaullienne et insisté sur la nécessité de défendre la souveraineté. Ces mots résonnent pour les députés de mon groupe. Je suppose que vous faisiez référence à la souveraineté française, car la souveraineté européenne ne veut rien dire. La souveraineté n’existe que pour les nations. Si vous avez réellement cette ambition, vous devez vous en donner les moyens. Le groupe Rassemblement national estime, comme l’avait déclaré Marine Le Pen lors de sa candidature à la Présidence de la République, qu’un budget de 55 milliards par an est nécessaire pour notre défense et nos armées.

 

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je regrette ce format d’audition. Les chefs d’état-major et les directeurs d’administration n’ont pas à ratifier la parole politique du ministre ou du Gouvernement mais à la mettre en œuvre et à éclairer la représentation nationale lors de leurs auditions respectives. Compte tenu de toutes les interventions qui se sont succédé, nous ne disposons plus que d’une heure pour les questions.

 

La marche de 3 milliards d’euros n’est pas respectée à plusieurs titres.

 

Tout d’abord, vous l’amputez de 357 millions pour financer la revalorisation de l’indice de la fonction publique, alors que cette somme aurait dû s’y ajouter. Vous ne déduisez pas non plus les efforts liés à la guerre en Ukraine. Combien la mission Aigle en Roumanie a-t-elle coûté en 2022 et combien coûtera-t-elle en 2023 ? Sur quel poste budgétaire est-elle financée ? Beaucoup de dépenses non prévues dans la LPM viennent grever les 3 milliards annoncés, comme l’augmentation de 500 millions de commandes de munitions.

 

L’inflation n’est pas non plus prise en compte, alors qu’elle est estimée à au moins 4 %. Combien de reports de charges sont déjà intervenus entre 2022 et 2023 à cause de l’inflation ?

 

S’agissant du compte de commerce du service de l’énergie opérationnelle, la construction de la loi de finances de l’année en cours s’est fondée sur l’hypothèse d’un cours du baril à 54 euros, avec une parité d’un pour un avec le dollar. Or le cours moyen du Brent entre janvier et août 2022 s’est élevé à 96,77 euros, soit une augmentation de plus de 77 % par rapport à la valeur de référence. Les coûts de raffinerie et de transport ont par ailleurs augmenté et la parité entre l’euro et le dollar a chuté. Dès janvier 2022, avant le conflit en Ukraine, le cours du baril était déjà à 75,58 euros. Il a atteint 82,83 euros en février. Les provisions des armées ont été entièrement consommées au bout des deux tiers de l’année. Ce poste de dépenses est actuellement déficitaire d’environ 300 millions. Le même phénomène devrait se reproduire en 2023, puisque l’hypothèse retenue est de 63,30 euros le baril.

 

Monsieur le ministre, comment expliquez-vous ce manque d’anticipation, voire ce manque de sincérité budgétaire ? Régulariserez-vous la situation par une loi de finances rectificative en décembre ou par un dégel de la réserve de précaution ? Envisagez-vous d’activer l’article 5 de la LPM qui permet à la mission Défense de bénéficier de mesures financières de gestion, voire de crédits supplémentaires ? Pourquoi ne pas procéder dès à présent à un réajustement pour 2023, en partant d’une hypothèse crédible ? J’ai évoqué cet exemple mais il n’est malheureusement pas isolé.

 

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Dans le contexte de nos finances publiques, il serait de mauvais aloi de considérer que 3 milliards supplémentaires ne constituent pas un effort significatif.

 

Tous partis confondus, nous avons commis l’erreur de vouloir encaisser les dividendes de la paix, alors que les menaces continuaient de croître. Les événements d’Ukraine ont prouvé que les espaces de conflictualité étaient de plus en plus nombreux.

 

Nous devons renforcer notre mobilisation, alors que nous sommes confrontés à une inflation importante, qui touche l’ensemble de notre économie mais plus spécifiquement l’énergie ou certains équipements militaires, du fait des tensions sur les approvisionnements. Monsieur le ministre, quelles mesures d’adaptation prévoyez-vous dans la LPM pour faire face à un éventuel dérapage au-delà des prévisions ?

 

Contrairement à d’autres, je ne suis pas hostile aux coopérations comme le système de combat aérien du futur (Scaf). Quelques conditions doivent cependant être respectées. S’agissant de l’avion de combat (NGF, New Generation Fighter), la maîtrise d’œuvre doit être française. Nous ne devons pas perdre d’actifs stratégiques et la DGA doit largement assurer le pilotage de la maîtrise d’ouvrage. Il est également essentiel que nous conservions notre liberté de manœuvre à l’exportation, de manière pérenne. Christine Lambrecht, la ministre fédérale de la défense, a semblé faire preuve d’ouverture à ce sujet, sans toutefois renoncer aux transferts européens. Or dans un tel programme d’armement, nous avons besoin de garanties à long terme.

 

Mme Delphine Lingemann (Dem). Les engagements initiaux de la LPM ont été respectés. Le groupe Démocrate soutient pleinement votre volonté de continuer à accroître les moyens alloués à la défense nationale pour faire face aux menaces.

 

Le renforcement de l’interopérabilité entre nos forces armées et les forces armées alliées, principalement de l’Otan et de l’Union européenne, suppose d’accompagner les militaires français pour leur permettre de communiquer en anglais avec leurs homologues. Des procédures doivent être mises en place sur les différents théâtres d’opérations. Les systèmes de communication et d’information utilisés au sein d’une coalition doivent également être en mesure de dialoguer. À ce titre, il est important que la France soit présente dans les instances internationales, pour s’assurer que les normes retenues ne pénalisent pas la BITD française et européenne au bénéfice de celle, très puissante, des États-Unis.

 

Pouvez-vous nous assurer que les investissements nécessaires à la consolidation de la convergence des systèmes de transmission, au sein de chaque armée mais également entre les armées et surtout avec nos alliés, et à la sauvegarde de nos compétences en la matière sont bien intégrés dans le PLF ?

 

Le 20 juillet, devant notre commission, le Général Schill a appelé à une prise de position franco-allemande forte pour atteindre l’objectif d’interopérabilité entre les armées au sein de l’Otan et en Europe. L’institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis pourrait jouer un rôle dans ce domaine. Quelles sont vos intentions, dans le cadre du PLF pour 2023 et de la prochaine LPM, en ce qui concerne le rapprochement franco-allemand en matière de recherche et d’innovation, en particulier dans les sujets touchant au numérique ?

 

Mme Isabelle Santiago (SOC). La donne géopolitique a profondément évolué depuis un an. Cette situation préoccupe tous les membres de la commission de la défense, dont certains se sont rendus en Ukraine. Pour ma part, je suis allée en Roumanie. Nous constatons que les zones de conflictualité sont très nombreuses, notamment dans le Caucase, avec des relations très complexes entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie. Des tensions existent également en mer, dans l’Indo-Pacifique ou en Méditerranée.

 

L’an passé, nous étions inquiets, car la marche de 3 milliards d’euros nous semblait haute. Nous nous félicitons donc que cette somme ait été ajoutée au budget. Toutefois, compte tenu de l’inflation, cette marche ne nous paraît plus si haute. Nous souhaiterions avoir des précisions à ce sujet, d’autant plus que nous ne disposons pas encore des bleus budgétaires. Nous les attendons avec impatience.

 

Avec mon collègue Jean-Marie Fiévet, j’ai remis à la ministre un rapport sur « Les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées ». Celui-ci comportait des préconisations, notamment sur la dimension énergétique. Nous souhaiterions qu’elles se retrouvent dans les lignes budgétaires, avec la création d’une ligne sur l’environnement qui n’était pas jusqu’à présent dans le budget des armées.

 

J’ai fait aussi des préconisations sur le plan « famille » et je souhaiterais qu’elles soient prises en compte.

 

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Les télécommunications satellitaires constituent un élément clef de l’autonomie de décision et d’action de nos forces armées. Un nouveau satellite Syracuse 4 sera livré en 2023. Un premier exemplaire l’avait été l’an dernier et un troisième devrait l’être d’ici 2030. Pouvez-vous préciser comment se déroule le programme et à quelle échéance la dernière commande pourrait intervenir ?

 

La guerre en Ukraine a mis en évidence la constellation de satellites de l’opérateur privé Starlink. Au cours de l’été, l’opérateur français Eutelsat, qui dispose de satellites géostationnaires, a annoncé son intention d’acquérir l’opérateur britannique OneWeb, dont les satellites sont en orbite basse, et de participer au projet de constellation européenne porté par Thierry Breton. L’Europe aurait ainsi l’occasion de se doter de la première constellation multiorbites. Toutefois, le fait que l’État britannique soit actionnaire de OneWeb pose question quant au caractère souverain de cette infrastructure. Quelle est la position de l’État français vis-à-vis de ce projet ? Son intégration dans le cadre des accords de Lancaster House serait-elle souhaitable ?

 

L’ordonnance du 23 février 2022 doit permettre de mieux protéger nos intérêts dans la conduite d’opérations spatiales et dans l’exploitation des données. Le projet de ratification a été déposé au Sénat mais n’a pas été examiné par nos assemblées. Le cadre proposé doit-il évoluer ? Dans la configuration que je viens d’évoquer, ce texte nous permettrait-il de conclure des conventions avec des entreprises privées ou de réquisitionner de tels moyens ?

 

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Je commencerai par une remarque à l’attention du groupe Front national. Revendiquer une politique gaullienne est osé de la part de ceux qui ont cofondé leur parti avec des Waffen-SS, qui ont combattu de Gaulle, qui refusent encore aujourd’hui de condamner les attentats terroristes de l’organisation de l’armée secrète (OAS) et qui sont, depuis des années, complices de la propagande russe. Ce sont des patriotes en carton.

 

(Vives protestations. Les députés du groupe RN quittent la salle.)

 

Je pourrais vous interroger sur les enseignements à tirer de la guerre en Ukraine ou sur le SNU, dont nous ne percevons pas vraiment l’utilité pour la jeunesse ou pour l’armée. Néanmoins, ma question portera sur le climat et sur ses conséquences du point de vue de la sécurité nationale.

 

Quand les événements dramatiques se multiplient, l’armée se mobilise, comme cet été avec l’opération Héphaïstos pour lutter contre les feux de forêt, qui touchent désormais l’ensemble du territoire. Les pompiers manquent malheureusement de moyens et ne trouvent pas de réponse auprès du ministère de l’intérieur.

 

À chaque fois que se produisent des catastrophes naturelles, l’armée se retrouve en première ligne. Son intervention est souhaitable sur le moment mais a-t-elle vocation à ravitailler des villages en eau potable en cas de sécheresse ? Devons-nous nous satisfaire d’une telle situation ? Ne s’agit-il pas d’un signal d’alarme, qui devrait nous conduire à inverser la tendance et à mettre fin à la baisse des moyens alloués à ces opérateurs d’adaptation que sont l’office national des forêts, l’agence de la biodiversité, le conservatoire du littoral, l’institut géographique national ou le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement ?

 

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Ce budget marque une rupture. Les députés communistes, très attachés à la souveraineté de la France et à son autonomie en matière stratégique, s’en félicitent, même s’ils auraient aussi apprécié un budget de rupture pour l’école, la santé et la culture.

 

Avec une augmentation de 3 milliards, nous ne dirons pas que ce budget est insuffisant. L’effort consenti par la Nation est très lourd, surtout à un moment où les Français souffrent de l’inflation et de la baisse de leur pouvoir d’achat.

 

La guerre en Ukraine, qualifiée d’hybride en raison de l’utilisation de moyens militaires et non-militaires, nous rappelle que la guerre est une affaire de soldats au moins autant que de technologies. Je tiens donc à saluer l’enveloppe de 1,7 milliard prévue pour l’achat de petits équipements, en particulier les tenues contre les risques NRBC.

 

Dans le domaine des munitions, 2 milliards sont prévus pour le renouvellement des stocks, ce qui est positif. Toutefois, depuis 1999 et l’abandon par Giat Industries de la production de munitions de petits calibres, la France ne dispose plus de capacités de fabrication souveraines pour ce type d’équipement. Les armées françaises s’approvisionnent auprès de fournisseurs étrangers, dont certains ont fourni des munitions défaillantes ou inadaptées aux armes auxquelles elles étaient destinées.

Comme mon collègue André Chassaigne l’avait souligné dans un rapport réalisé avec le député Jean-Pierre Cubertafon, nos PME de défense pourraient être davantage sollicitées pour l’approvisionnement de nos armées en petits équipements. Une usine située dans le Finistère, à Pont-de-Buis, et détenue par le groupe Nobel Sport, spécialisé dans les poudres pour la chasse et le tir sportif, envisage de pénétrer le marché militaire. Le moment n’est-il pas venu de l’aider et de récréer une filière française de production de munitions de petits calibres ?

 

Enfin, le budget prévoit 2,7 milliards pour des commandes d’infrastructures destinées à l’entretien des bâtiments militaires. Or nous remarquons le recours de plus en plus fréquent à des entreprises privées pour réaliser ces opérations, ce qui pose des questions de sécurité et de souveraineté.

 

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’inflation a été évoquée dans de nombreuses interventions, ce qui est parfaitement légitime. Elle a toujours existé mais prend des proportions nouvelles.

 

Les lois de programmation s’inscrivent dans un cadre pluriannuel et peuvent subir des variations. Nous en subissons certaines et nous en assumons d’autres. Les choix ne sont pas figés. Les achats restent guidés par les besoins, qui peuvent évoluer au fil du temps. Si nous ne procédions pas aux ajustements nécessaires, vous seriez fondés à nous le reprocher.

 

En ce qui concerne l’inflation, disposer d’un budget aussi important nous donne des marges de manœuvre. Nous assumons les reports de charges. Nous estimons les effets de l’inflation à 1 milliard sur l’ensemble du budget et, comme le SGA en a fait la démonstration, nous allons la traiter par une augmentation de 1 milliard des reports de charges. Si le décalage devait être plus important par rapport aux prévisions, ainsi que l’a envisagé le vice-président Thiériot, nous devrions intervenir en gestion. Le sujet n’est pas tabou. Je conteste l’interprétation du député Jacobelli sur le manque de transparence.

 

Jusqu’à présent, le ministère a été précautionneux dans les reports de charges, avec une diminution constante sur la période précédente. Je rends d’ailleurs hommage à Florence Parly à ce sujet. Nous pouvons profiter des efforts qui ont été faits au cours des dernières années et activer ce levier.

 

Il existe des dispositifs particuliers dans la LPM pour tenir compte des variations du cours du Brent ou du volume global de carburant consommé, puisque ce dernier dépend logiquement des opérations. En effectuant une manœuvre entre le Mali et le Niger par exemple, la consommation est plus importante que si nos forces restent statiques. Nous avons donc la capacité, grâce à l’article 5, d’ouvrir des crédits nouveaux en loi de finances rectificative. En 2021, 50 millions d’euros ont, par exemple, été ouverts en gestion. Les questions de carburant n’ont jamais empêché le ministère des armées de fonctionner.

 

Je comprends votre inquiétude au sujet de l’inflation. Il est très difficile de savoir comment elle évoluera au cours des prochains mois. Par conséquent, je comprendrais tout à fait que, dans le contrôle effectué par le Parlement vis-à-vis du Gouvernement, ce suivi fasse l’objet d’une analyse particulièrement attentive.

 

Je souligne cependant que lorsque l’inflation est négative, ce qui s’est déjà produit, personne ne se pose de question… L’inflation concerne, en outre, toutes les collectivités locales et tous les ministères. S’il existe une spécificité militaire, elle est plutôt positive, car nous pouvons disposer de davantage de souplesse. La Première ministre et le Président de la République m’ont autorisé à vous présenter une maquette budgétaire intégrant des reports de charges plus importants que pour d’autres ministères.

 

Je remercie la députée Genetet d’avoir abordé la question de l’Ukraine. Comme je l’ai indiqué à la tribune de l’Assemblée lundi, nous devons nous méfier des classements de pays selon l’aide qu’ils accordent. Ces classements, qui circulent sur internet ou dans la presse, se fondent uniquement sur ce qui est annoncé. Or, à la demande des Ukrainiens, nous restons discrets sur une partie de l’aide que nous leur apportons. Par ailleurs, les critères permettant de calculer les sommes globales peuvent varier, notamment en ce qui concerne les coûts d’acheminement des munitions et du matériel ou les coûts de formation. Pour notre part, nous ne les intégrons pas. La facilité européenne pour la paix, dont la France est l’un des principaux contributeurs à hauteur de 450 millions d’euros, n’est pas non plus prise en compte. Enfin, les classements sont établis à partir de ce qui est promis et non de ce qui est réellement livré. De ce point de vue, nous pouvons nous honorer d’avoir respecté tous nos engagements.

 

L’aide à Ukraine s’est articulée en trois grandes étapes. Dès l’invasion par la Russie au mois de février, nous avons livré beaucoup d’armements individuels et d’équipements de protection. Puis, nous avons expédié des véhicules de l’avant blindés (VAB) et les fameux canons Caesar, ainsi que quelques autres pièces d’artillerie. Nous essayons de répondre de manière précise aux demandes. Nous restons discrets sur ces échanges mais je m’entretiens environ tous les dix jours avec le ministre de la défense ukrainien et les chefs d’état-major sont en relation régulière avec leurs homologues. Actuellement, les besoins portent sur les fluides, les munitions et la formation. Cette dernière n’est pas très spectaculaire mais essentielle, ce qui justifie l’initiative européenne menée par le représentant Borell.

 

Nous allons prochainement engager une nouvelle étape de notre dispositif d’aide à l’Ukraine. Le Président de la République l’évoquera dans les prochains jours.

 

Même s’il n’est jamais simple de répondre à un absent, je voudrais revenir sur les propos du député Jacobelli. Parler de manque d’enthousiasme ou d’ambition est une appréciation subjective. En revanche, prétendre qu’une augmentation du budget ne permet pas de combler un retard, ce n’est pas cohérent ! Au regard de toutes les LPM depuis 1971, nous disposons d’un budget historiquement haut. Cet élément est factuel. Il suffit de visiter un régiment ou une base aérienne pour constater les efforts engagés.

 

Il est peut-être nécessaire d’aller plus vite et de s’adapter encore mieux aux besoins sécuritaires mais nous y reviendrons dans la prochaine LPM. Quand Mme Le Pen prendra des engagements à hauteur de 55 milliards par an, nous verrons comment ils se comparent à la nouvelle trajectoire et qui sera là pour les voter. Il y a un moment où il faut bien distinguer ceux qui sont passés des paroles aux actes et ceux qui ont voulu aveuglément profiter des fameux dividendes de la paix. Nous pouvons toujours diverger sur la manière d’utiliser le budget mais il faut bien que nous reconnaissions collectivement cet effort en faveur de nos armées. Comme l’a souligné le député Roussel, c’est la nation et tous les contribuables qui l’ont consenti, pas le Gouvernement et les parlementaires.

 

S’agissant des programmes européens, je comprends la prudence demandée par le député Thiériot sur le SCAF. En revanche, j’ai l’impression que le groupe du Rassemblement national cherche à s’opposer à tous les projets franco-allemands, par principe. Or nous avons toujours eu des coopérations industrielles européennes, notamment avec le programme Ariane. S’en priver n’a pas de sens, surtout si elles nous permettent de gagner en compétitivité ou en rapidité. Elles doivent, en revanche, s’inscrire dans une logique gagnant-gagnant, avec des lignes rouges à ne pas franchir. En ce qui nous concerne, elles portent sur l’exportation et sur la dissuasion nucléaire. Nous devons également être chefs de file dans les domaines où notre savoir-faire est reconnu, comme l’aviation. Le génie français en la matière se traduit en particulier dans les carnets de commandes du Rafale.

 

Un dialogue de vérité est indispensable avec les Allemands sur le SCAF. Même dans une coopération européenne et fraternelle, nous avons le droit d’être gaulliens et donc de défendre notre souveraineté et nos intérêts stratégiques.

 

S’agissant des transmissions, sujet évoqué par la députée Lingemann, les efforts seront poursuivis en 2023. La question de l’interopérabilité est également essentielle. Mener des projets avec nos amis et voisins allemands contribue à la renforcer, tout comme la coopération au sein de l’Otan. Beaucoup de militaires français, notamment dans l’aviation, y sont présents à haut niveau et travaillent sur les sujets de prospective.

 

J’ai déjà répondu à la députée Santiago au sujet de l’inflation. S’agissant des bleus budgétaires, ils sont disponibles en ligne depuis seulement ce matin. Il est donc normal que vous ne les ayez pas encore en votre possession. Avec le président Gassilloud, nous considérons que l’audition de cet après-midi est un point de départ. Nous continuerons à travailler avec vous jusque dans l’hémicycle, voire lors de la navette.

 

Les sujets de transition écologique et surtout énergétique ont également été évoqués par le député Bayou. Le ministère des armées est l’un des principaux propriétaires de foncier bâti et de foncier non bâti de la République. Beaucoup d’efforts ont déjà été consentis par les armées, puisque les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 30 %. Pratiquement 20 % d’économies d’énergie ont été réalisées sur le parc immobilier ces dernières années. Nous devons toutefois faire encore mieux. L’objectif que j’annoncerai prochainement est une réduction supplémentaire de 10 %, ces deux prochaines années, pour les armées et l’ensemble des services du ministère. Le bâtimentaire constitue le premier levier, en baissant les températures ou en éteignant les éclairages qui ne sont pas nécessaires. Il est évident que nos soldats engagés en opérations extérieures (Opex) ont d’autres préoccupations que la transition énergétique. Même si certains articles préfèrent entretenir le flou, les efforts attendus concernent l’Hexagone et, pour la climatisation, l’outre-mer.

 

Plus de 500 millions d’euros sont consacrés au plan « famille ». Vous serez très rapidement associés au groupe de travail pour la préparation du plan « famille » II, que je souhaite voir aboutir en même temps que la présentation de la future LPM. Nous devons progresser dans la coopération avec les collectivités territoriales, avec les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les conseils départementaux. Nous fonctionnons encore trop en silo. Nous devons notamment accélérer sur la question des crèches.

 

En ce qui concerne les programmes satellitaires, évoqués par le député Larsonneur, la question du calendrier des tirs, avec la fin des tirs d’Ariane 5 et le début des tirs d’Ariane 6, se pose. Je confirme qu’un tir est a priori prévu au premier semestre 2023 pour le lancement du satellite Syracuse 4B. Nous suivons avec attention le projet entre Eutelsat et OneWeb mais les armées ne sont pas le principal client de ces entreprises. Il pourrait être intéressant, Monsieur le président, d’organiser une audition spécifique sur le spatial, en invitant les ministres qui se partagent la tutelle du centre national d’études spatiales (CNES) et des différents programmes.

 

Le député Bayou a soulevé une question philosophique intéressante, qui est de savoir si nous pouvons nous satisfaire de la situation actuelle. Je me suis récemment exprimé dans la presse, car je suis surpris que certains élus veuillent recourir à l’armée pour conduire des bus en cas de grève par exemple. L’armée a une mission essentielle, qu’il ne faut pas perdre de vue. Elle a également un héritage, avec des valeurs qui renvoient à l’idée que le sacrifice suprême peut être fait pour son pays. S’agissant du climat, elle a l’habitude d’intervenir dans les crises. Elle le fait systématiquement en outre-mer, pour la prise en charge des catastrophes naturelles comme les ouragans ou du covid. Les moyens aériens, maritimes ou terrestres peuvent être mobilisés. Le régiment du service militaire adapté (RSMA) est parfois mis à contribution. Nous devons toutefois nous interroger sur la ligne de partage avec le ministère de l’intérieur.

 

L’armée peut apporter un soutien, y compris avec l’adaptation de certains moyens capacitaires. Pour l’A400M par exemple, Airbus envisage de proposer une option destinée au ministère de l’intérieur. Cet avion de transport militaire de grand gabarit pourrait effectuer des largages d’eau. Il n’interviendrait pas dans les mêmes conditions que les Canadair, car le rechargement s’effectuerait au sol et non sur mer ou sur lac.

 

Pour chaque programme d’armement, nous devons avoir le réflexe d’étudier les adaptations possibles pour la sécurité civile et la résilience climatique. Les forces armées peuvent également intervenir avec leurs moyens propres, comme en Gironde, où l’action du génie a été déterminante pour creuser ces grandes tranchées qui servent de barrières antifeux. Ce concours ponctuel est normal et correspond au secours que l’armée a vocation à apporter à la nation.

 

Nous pouvons malheureusement être confrontés à plusieurs problèmes simultanément, par exemple un évènement climatique grave survenant pendant une pandémie mettant en tension le service de santé des armées, alors que les forces doivent parallèlement assurer un statut de nation-cadre ou mener une opération d’évacuation de ressortissants (Resevac). Nous devons réfléchir à un système qui prenne en compte de telles situations. Cet exercice sera engagé dans le cadre de la prochaine programmation militaire.

 

Je voudrais revenir sur les propos du député Lachaud, qui m’a interpellé sur la forme de cette audition et qui, je le constate à l’instant, s’exprime également sur Twitter. La responsabilité politique m’incombe. Toutefois, les ordonnateurs délégués engagent parfois de telles sommes qu’il me semble important, dans un souci de transparence et de respect vis-à-vis du Parlement, de leur demander de participer à cette audition. Je constate qu’aucun format, de toute façon, ne paraît convenir aux députés de La France insoumise, qui se plaignent alternativement que les débats soient à huis clos ou qu’ils ne le soient pas, que je sois seul ou que je sois accompagné.

 

Vous êtes attachés à la transparence lorsque vous me demandez d’aller visiter des unités. Je pense qu’il en est de même dans cette enceinte. Pour ce qui est du fond, nous avons de nombreux sujets sur lesquels échanger démocratiquement. Je souhaiterais entendre La France insoumise sur les grands agrégats budgétaires mais également sur la dissuasion nucléaire ou l’appartenance à l’Otan, puisque j’ai cru comprendre que celles-ci étaient remises en cause pendant la campagne présidentielle. Ces débats seraient certainement plus utiles que de dire sur Twitter que je ne connais pas mes dossiers.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux questions des autres députés.

 

Mme Josy Poueyto. Comment répondre à un besoin de masse dans le contexte du retour à la haute intensité ? Je regrette de ne pas disposer d’une revue stratégique actualisée qui aurait pu aborder cet enjeu. Je retiens néanmoins que l’une des pistes envisagées consisterait à doubler la réserve opérationnelle, ce qui suppose d’avoir préalablement identifié nos besoins en compétences et la nature exacte des missions à accomplir.

 

Monsieur le ministre, quel levier comptez-vous activer pour développer sensiblement le recrutement et la fidélisation des réservistes ? Où en est le projet de réserve industrielle, qui permettrait de réquisitionner ou de prioriser des livraisons en cas de besoin ?

 

Mme Anna Pic. Le système indemnitaire des armées a été repensé au cours des dernières années, avec la mise en place de la NPRM. La présentation du budget pour 2023 fait d’ailleurs état de la dernière phase de déploiement, avec quatre nouvelles indemnités et primes venant s’ajouter à celles préexistantes pour atteindre un total de huit, réparties en trois volets.

 

Cet effort de simplification, qui permet de rendre la rémunération plus lisible, est à saluer. Néanmoins, je regrette qu’on ait privilégié, une fois encore, les primes par rapport à la rémunération indiciaire. Ainsi que nous l’avons longuement évoqué ici la semaine dernière, les militaires ont un sentiment de déclassement, qu’il est impératif d’endiguer rapidement pour répondre aux défis d’attractivité et de fidélisation auxquels les armées sont confrontées.

 

Si une revalorisation du point indiciaire de 3,5 % a été octroyée le 1er juillet, elle reste insuffisante compte tenu de l’inflation attendue l’an prochain et ne réglera pas le problème structurel d’une solde qui paraît faible pour attirer les nouveaux talents. La création de 1 500 postes nets a été annoncée, particulièrement dans les domaines stratégiques tels que le renseignement ou la cyberdéfense. Or la concurrence y est particulièrement intense avec le secteur privé, qui propose des salaires très attractifs, de nombreux avantages et des perspectives d’évolution professionnelle.

 

Monsieur le ministre, une réflexion sur la proportion du traitement indiciaire dans la rémunération globale des militaires est-elle prévue dans les prochaines années ?

 

M. Aurélien Saintoul. Le format de cette audition n’est pas plus ou moins respectueux que celui qui était privilégié auparavant. Même si elle se présentait sans ses grands subordonnés à ses côtés, Madame Parly était également respectueuse du Parlement. En revanche, je ne crois pas qu’il soit particulièrement respectueux de présenter les bleus budgétaires le matin de votre audition.

 

Il me semble que la question de mon collègue sur la mission Aigle n’a pas reçu de réponse. Je me permets donc de la renouveler.

 

Comment réagissez-vous face aux propos du chancelier Scholz qui estime que l’Allemagne doit devenir la première armée d’Europe ?

 

J’ai compris que la question du dérèglement climatique devrait être traitée dans le cadre des débats sur la LPM. Je regrette que mes collègues écologistes ne siègent pas au bureau, car ils m’auraient peut-être apporté leur soutien quand j’ai demandé la création d’une mission d’information dans cette perspective.

 

Que deviendront les personnels civils de recrutement local (PCRL) de l’opération Barkhane ? Je ne voudrais pas qu’ils deviennent les « interprètes afghans » de ce conflit.

 

Quel est le positionnement de la France vis-à-vis du Tchad ? L’objectif est-il de redéployer un dispositif Épervier dans la zone, ce qui ne serait pas très nouveau ?

 

Enfin, puisque vous avez indiqué que nous devions conserver une certaine indépendance industrielle, que pensez-vous du rachat d’Exxelia par un groupe américain ?

 

Mme Brigitte Liso. Le service militaire volontaire (SMV) permet à des jeunes de 18 à 25 ans très éloignés de l’emploi d’accéder à un parcours de huit à douze mois en caserne, encadré par l’institution militaire. Il leur offre la possibilité de s’émanciper, grâce à une remise à niveau scolaire ou à l’acquisition du permis de conduire. Ils peuvent s’engager dans des formations débouchant sur une grande diversité de métiers, y compris militaires. Des valeurs aussi importantes que la rigueur, la ponctualité, le respect de la vie en collectivité et le sens de la citoyenneté leur sont transmises.

 

Créé en 2015, le SMV compte désormais sept centres, qui devraient accueillir près de 1 500 volontaires en 2022. Le centre le plus récent a ouvert à Marseille en début d’année. Ses résultats sont très satisfaisants, puisque 82 % des jeunes qui en sont sortis sont réinsérés dans l’emploi. Malheureusement, certaines régions, dont les Hauts-de-France, n’ont pas encore ce type d’infrastructure. Quelle est, Monsieur le ministre, votre ambition pour ce dispositif ?

 

M. Yannick Favennec-Bécot. L’influence russe ne cesse de croître dans plusieurs pays d’Afrique francophone, particulièrement au Mali et en Centrafrique. Quelques jours après le coup d’État au Burkina Faso, des manifestants hostiles à la France ont brandi des drapeaux russes en criant des slogans en faveur de Moscou.

 

Nous constatons une contagion de la forte hostilité envers les Français qui avait démarré au Mali. Celle-ci est notamment due à la guerre de l’information menée par des acteurs étrangers. En octobre 2021, Florence Parly avait présenté la nouvelle doctrine militaire de lutte informatique d’influence, dont l’objectif était de détecter, caractériser et contrer des attaques ou d’appuyer la communication stratégique associée à des opérations militaires. Un an après, quels sont les moyens mis en œuvre pour, selon les mots employés par le Général Burkhard en juillet dernier devant notre commission, « gagner la guerre avant la guerre » ? Le budget prévoit la création de 1 500 postes nets en 2023. Ils devraient notamment concerner la cyberdéfense, mais qu’en est-il du volet spécifique de la guerre de l’information ?

 

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je laisserai le chef d’état-major des armées s’exprimer sur le besoin de masse, qui a alimenté beaucoup de débats ces dernières semaines, en interne comme en externe. Les réflexions doivent intégrer des éléments de comparaison avec nos alliés, au sein de l’Otan et de l’Union européenne.

 

S’agissant de la réserve, le PLF s’inscrit dans la continuité des efforts engagés précédemment. Nous devons poursuivre la montée en puissance, avec pour objectif d’aller au-delà du doublement des effectifs. Pour revenir à la question du député Bayou sur la résilience climatique, nous pourrions commencer par affiner les missions confiées aux réservistes. J’appartiens à la réserve de la gendarmerie, qui l’a déjà fait. Des travaux sont en cours à ce sujet au sein de l’armée de terre, qui dispose du principal contingent.

 

Je vous proposerai un groupe de travail sur la réserve dans le cadre de l’élaboration de la prochaine LPM. En ce qui concerne les effectifs, nous devons définir les besoins et nous interroger sur la séparation entre la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) et la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2). Au total, elles représentent 100 000 personnes. Ce chiffre peut paraître élevé mais il mérite une analyse plus approfondie, notamment pour prendre en compte des critères comme l’employabilité ou le niveau de volontariat. La question de la limite d’âge ou des conditions d’admission physique pourrait être revue pour permettre de continuer à mobiliser certaines compétences. Quelques échanges ont également eu lieu avec les partenaires sociaux concernant les relations avec les employeurs, y compris les employeurs publics qui doivent donner l’exemple dans ce domaine.

 

L’enjeu est de définir une cible quantitative, qui prenne en compte les besoins. Nous devrons également tenir compte des déserts militaires, puisque certains départements ne disposent plus de bases ou de régiments. En matière de réserve, la réflexion doit être assez profonde. Elle est historique, car il y a longtemps que le sujet n’avait pas été au centre de l’attention. Il me semble pourtant clef, y compris dans un contexte de haute et moyenne intensité.

 

Pour répondre à la députée Pic, la NPRM vise à traiter la question indemnitaire mais n’aborde pas les sujets indiciaires. Or ces deux volets sont importants, car la structuration de la solde des militaires est plus complexe que celle des traitements de la fonction publique civile.

 

La fidélisation constitue un enjeu clef, en particulier pour les métiers nouveaux comme le cyber. Les armées sont concernées au même titre que la DGSE ou la DGA. Beaucoup de jeunes commencent leur carrière au ministère des armées et partent après quatre ou cinq ans. Le sujet devra être traité dans le cadre de la prochaine LPM. Il ne s’agit pas uniquement d’une problématique financière. L’approche doit être plus globale et intégrer, par exemple, les possibilités de passerelle ou les conflits d’intérêts éventuels.

 

Nous devrons, comme pour les gendarmes, avoir une réflexion autour de la militarité et de ce que nous devons à celles et ceux qui se sont engagés. Les statuts doivent défendre notre modèle et l’identité de nos armées.

 

Il me semblait avoir répondu au sujet de la mission Aigle. Nous traitons les différentes opérations grâce aux mécanismes de réassurance du ministère. Ces opérations sont coûteuses mais la méthode que nous utilisons avec la LPM nous permet de disposer déjà d’un socle solide. Toutes les armées, en Europe, n’ont pas la même approche.

 

Comme je l’indiquais au début de mon intervention, il est difficile d’effectuer des comparaisons entre les armées. Les chiffres peuvent englober des périmètres très variés. Disposer de la dissuasion ou avoir des outre-mer sont des éléments importants. Tout dépend également des alliances et traités de défense. Au moment de leur indépendance, la France avait ainsi pris – à leur demande – des engagements vis-à-vis de certains pays d’Afrique.

 

Je ne sais pas ce que signifie être la « première armée » d’Europe. Vous pourriez d’ailleurs avoir ce débat en commission. Il me semble néanmoins que la première armée d’Europe doit disposer de la dissuasion nucléaire, car celle-ci est déterminante pour la défense des intérêts vitaux. Avec de tels propos, l’objectif du chancelier Scholz était probablement de créer un électrochoc au sein de sa population. Lors de mon déplacement en Allemagne, j’ai été très frappé par le besoin de sécurité exprimé par l’opinion publique. Elle attend de ses gouvernants, qui avaient engagé une diminution du budget, qu’ils le prennent en compte. Nous devons nous en réjouir, car ces efforts supplémentaires permettront certainement à l’Europe d’être plus efficace demain.

 

S’agissant des PCI, un travail similaire à celui réalisé en Afghanistan est en cours à la suite de l’opération Barkhane. Nous pourrons y revenir de manière plus précise mais nous faisons ce qui doit être fait. C’est une question d’honneur.

 

J’avais commencé à apporter des réponses sur la présence française en Afrique au mois de juillet. Nous aurons l’occasion d’aborder à nouveau ces sujets, y compris dans le cadre de la prochaine LPM. Nous avons des forces prépositionnées, en Côte d’Ivoire, au Gabon ou à Djibouti. Des forces sont parfois stationnées dans le cadre d’accords de défense. Nous menons également des opérations comme Serval ou Barkhane. Un nouvel agenda va toutefois s’ouvrir, qui n’est pas que militaire. Il pourrait être intéressant d’en rendre compte lors d’une audition commune par votre commission et celle des affaires étrangères.

 

Le délégué général pour l’armement apportera des précisions au sujet d’Exxelia.

 

Pour répondre à la députée Liso, le SMV, qui est une belle réussite, disposera d’un budget en légère augmentation pour l’année prochaine, à 3,3 millions. Un centre a été ouvert à Marseille, ce qui correspondait à une attente des élus locaux. J’ai néanmoins demandé à la secrétaire d’État Sarah El Haïry de réfléchir à la coordination des différents dispositifs qui peuvent se rapprocher du SMV, en l’occurrence le SNU, le RSMA ou les journées citoyennes de préparation à la défense. Un point pourra être fait devant vous à ce sujet.

 

Enfin, le député Favennec-Bécot a évoqué le développement de notre capacité d’influence et l’hybridité. Dans une audition qui ne se tient pas à huis clos, il est difficile d’aborder pleinement ces sujets. Nous les observons et nous essayons de nous prémunir au mieux. Nous ne sommes pas naïfs. Dès la prochaine LPM, nous devrons introduire dans notre modèle de défense des moyens civils, qui se retrouveront donc militarisés. Cette hybridité constituera une première dans l’histoire.

 

Général Thierry Burkhard. Le besoin de masse est lié au changement d’échelle introduit par la haute intensité et le retour des affrontements entre États. La réserve constitue une voie pour augmenter le volume de nos forces. De plus, nous ne nous engagerions pas seuls dans un conflit de ce type. À nos moyens s’ajouteraient donc ceux de nos alliés et partenaires stratégiques.

 

M. Emmanuel Chiva. Exxelia est une société française qui développe des sous-systèmes de précision et des composants passifs intégrés dans certains de nos systèmes. Du fait de la vie normale des affaires, et notamment des contraintes liées aux fonds d’investissement, cette entreprise est en vente.

 

Le service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE) de la DGA, qui a pour mission de préserver la BITD française et de s’assurer que les sociétés les plus critiques ne sont pas menacées, a réalisé une revue des offres. Il a été informé par le vendeur des différentes offres reçues, toutes américaines. Malgré des sollicitations actives, aucun acteur français n’avait, au premier semestre, souhaité faire d’offre au vu de la valeur attendue de l’entreprise. Le processus de cession est toujours en cours et nous étudions les offres françaises qui se sont manifestées récemment.

 

Si aucune proposition crédible n’émane d’un repreneur français, la cession se poursuivra avec le repreneur étranger précédemment identifié. Il est très favorablement connu du ministère, car il est déjà un partenaire. Il nous apportera – nous nous en assurerons – toutes les garanties nécessaires à la compartimentation de ses activités, afin de conserver notre souveraineté dans les approvisionnements de cette société vis-à-vis de nos systèmes d’armes.

 

M. François Cormier-Bouligeon. Je souhaite tout d’abord remercier le ministre pour sa grande maîtrise des sujets, sa disponibilité et le respect qu’il manifeste vis-à-vis de la représentation nationale, y compris en étant accompagné de l’ensemble des chefs d’état-major.

 

Dès le premier jour de l’invasion russe, la France a choisi de s’engager aux côtés de l’Ukraine et de son peuple. Un renforcement de cette aide a récemment été annoncé, avec des livraisons de canons Caesar prélevés sur les commandes destinées à l’exportation et de véhicules blindés, l’organisation de missions de formation pour les soldats ukrainiens ou la création d’un fonds de 150 millions d’euros. La Première ministre a rappelé avant-hier dans l’hémicycle l’importance de cette mobilisation. Toutefois, celle-ci n’est pas sans conséquence sur les capacités de nos armées, tant en matériels qu’en munitions.

 

Monsieur le ministre, vous avez rencontré les dirigeants de la BITD le 6 septembre. À cette occasion, vous avez pris un engagement sur le changement d’approche en matière de gestion des stocks, en prévision d’un possible passage à une économie de guerre. Le financement de ces stocks sera-t-il assuré par le ministère des armées ? Les industriels en conserveront-ils une partie à leur charge ?

 

Quelles sont vos pistes de réflexion pour accompagner la montée en puissance des capacités de production de nos industriels, qui sont par ailleurs confrontés à des problématiques d’approvisionnement en matières premières et de ressources humaines ? L’État a-t-il les moyens de les soutenir ?

 

M. Jean-Marie Fiévet. Le budget que vous nous proposez est ambitieux et s’inscrit dans le respect de la LPM 2019-2025.

 

Ancien officier de sapeurs-pompiers, je souhaiterais mettre l’accent sur l’opération Héphaïstos, qui reste encore méconnue. Cet été, les flammes ont traversé l’ensemble du territoire national, de la Bretagne au sud de la France, en passant par les massifs du Jura et des Vosges. Les feux ont atteint des niveaux de violence inédits.

 

En 2022, les forces armées ont détaché trois hélicoptères, une vingtaine de véhicules et une cinquantaine de militaires dans le cadre de l’opération Héphaïstos. Ces moyens sont venus compléter les trois unités militaires de la sécurité civile, qui sont composées de plus de 1 400 sapeurs-sauveteurs.

 

Monsieur le ministre, est-il prévu que les formations militaires de la sécurité civile (Formisc) soient renforcées, à la fois d’un point de vue humain et capacitaire, afin de mener à bien les futures missions Héphaïstos ?

 

Mme Lysiane Métayer. Certaines contraintes liées à l’éloignement professionnel peuvent peser fortement sur nos militaires, comme la difficulté à trouver un logement, un emploi pour leur conjoint ou un établissement scolaire pour leurs enfants. Pour lever ces freins, l’accompagnement social est une composante essentielle du ministère des armées.

 

Le plan « famille » a été lancé en 2018 pour mener à bien une politique volontariste d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires. Des mesures concrètes ont déjà été mises en œuvre et le seront jusqu’en 2025. Globalement, le dispositif a été bien accueilli par la communauté de défense et a donné satisfaction.

 

Conformément à la LPM, le budget de la mission Défense augmente de 3 milliards en 2023 et 500 millions devraient être consacrés au plan « famille ». Il paraît toutefois essentiel de poursuivre les efforts. Monsieur le ministre, quelles améliorations seront apportées aux différentes mesures ? Quelles actions seront mises en œuvre pour mieux les faire connaître et renforcer l’accompagnement des militaires et de leurs familles dans les démarches administratives ?

 

M. Jean-Philippe Ardouin. Depuis 2017, sous l’impulsion du Président de la République, notre majorité n’a cessé de faire progresser le budget de nos armées. Celui-ci atteindra 43,9 milliards en 2023, soit une hausse de 36 % en cinq ans.

 

Les réserves opérationnelles et citoyennes sont un moyen de renforcer le lien entre les armées et la nation. Monsieur le ministre, vous avez fait part de votre souhait de les renforcer, notamment au sein du service de santé des armées. Quel budget sera consacré aux réserves dans le PLF pour 2023 ? Comment sera-t-il utilisé, afin d’employer au mieux nos réservistes ?

 

Vous avez également évoqué dans la presse la problématique des employeurs de réservistes, en leur demandant de faire preuve de bienveillance. Quelles pistes envisagez-vous pour faciliter la mobilisation des réservistes et lever les éventuelles réticences des entreprises ?

 

M. Lionel Royer-Perreaut. Je tiens tout d’abord à souligner l’importance et la constance des efforts consentis en faveur de nos armées.

 

Les hôpitaux du service de santé des armées contribuent au maillage territorial de notre carte sanitaire. Quelles sont vos intentions, Monsieur le ministre, quant au développement de ce maillage ? Je serais notamment intéressé par des précisions concernant Marseille

 

Une expérience a été menée sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral avec le robot chirurgical Versius ? Comment s’est-elle déroulée ?

 

Enfin, les contrats de protection sociale complémentaire des militaires arrivent à échéance en 2025. Le ministère de la défense souhaiterait apparemment une forme de coalition des « affinitaires », dans le cadre de la réforme de la protection sociale complémentaire. Quelle est votre vision de cette réforme ? Pour le moment, la mutuelle Unéo s’impose. Que se passerait-il si elle n’était pas retenue lors de la mise en concurrence ?

 

Mme Delphine Lingemann. Au nom de mon groupe, je souhaite vous remercier, Monsieur le ministre, pour votre disponibilité et pour être venu accompagné des chefs d’état-major. Je tiens également à excuser mes collègues retenus dans l’hémicycle. L’un d’entre eux, Fabien Lainé, avait préparé une question.

 

Fabien Lainé, est, avec Laurent Furst, l’auteur d’un rapport sur le logement militaire publié en 2020. Comme nous tous, il se réjouit des efforts faits dans ce domaine lors du précédent quinquennat, notamment avec le plan « famille » et le plan Ambition logement. Comptez-vous les poursuivre dans le cadre de la prochaine LPM ?

 

Fabien Lainé souhaite aussi évoquer la question des marchés publics passés par le ministère des armées pour la construction de bâtiments. L’armée est le premier propriétaire foncier de l’État et les commandes passées représentent plusieurs millions d’euros par an. Alors que les projets peuvent avoir un impact important dans les territoires, les marchés se répartissent majoritairement entre quelques grands opérateurs nationaux. Ne serait-il pas vertueux d’associer les acteurs locaux, élus et représentants de branches professionnelles, aux commissions d’appels d’offres ? Comment pourrions-nous ouvrir plus largement ces derniers à des entreprises locales sans augmenter les coûts ?

 

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le ministère des Armées a, comme acheteur, un devoir de clarification et de fiabilisation dans le temps de ses besoins. Un travail a été lancé à ce sujet depuis plusieurs semaines. Nous devons donner plus de visibilité aux industriels, afin qu’ils puissent prendre davantage de risques. Je réponds ainsi au député Cormier-Bouligeon sur la question des stocks.

 

Nous devons en outre distinguer les produits qui s’exportent et ceux qui ne s’exportent pas, soit parce qu’ils relèvent de la dissuasion soit parce qu’ils ne se vendent pas dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas avoir les mêmes exigences vis-à-vis de tous les industriels. À Bourges, l’usine Nexter qui fabrique les canons Caesar, désormais internationalement connus, peut prendre des risques, car ses débouchés sont assurés, en France et à l’étranger. Je salue d’ailleurs les efforts engagés par cette entreprise pour augmenter ses capacités.

Comme je l’ai rappelé hier lors des questions au Gouvernement, il faut parfois être opiniâtre. Dassault l’a été. Tout le monde se félicite du succès du Rafale aujourd’hui mais, pendant longtemps, mes prédécesseurs ont subi des attaques remettant en cause la pertinence de cet investissement.

 

Je n’ai peut-être pas suffisamment insisté sur ce point en répondant au député Thiériot mais je suis favorable à un agenda de relocalisation. Les enseignements du covid doivent être tirés. La plupart des liaisons commerciales dans le monde étaient fermées et certaines industries peinaient à trouver certains composants. Au-delà des stocks, nous devons donc fiabiliser notre BITD. Même si cette audition est publique, j’ose évoquer les risques de sabotage. Nous sommes potentiellement vulnérables. J’ai demandé à l’ensemble des acteurs d’analyser les vulnérabilités des chaînes de production, pour éventuellement dédoubler certains moyens et de s’assurer qu’ils disposent des matériels critiques en suffisamment d’exemplaires, quel qu’en soit le prix. Nous en revenons à une approche gaullienne et à un militantisme franco-français qu’il nous faut assumer.

 

Le PLF pour 2023 renvoie aux efforts engagés dans le domaine de l’économie de guerre et au tournant que nous allons opérer dans la prochaine LPM. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire pression sur la BITD. Nous devrons également l’accompagner. Nous aurons l’occasion de revenir sur les moyens prévus à cet effet.

 

Je remercie le député Fiévet d’avoir évoqué l’opération Héphaïstos, effectivement méconnue. Par le passé, les armées intervenaient principalement en outre-mer, voire dans le sud de la France. Elles l’ont fait cet été dans des départements où nous ne l’aurions jamais imaginé, comme la Gironde ou encore plus au nord. Les armées se sont également fortement mobilisées en Corse, où elles ont conduit des manœuvres centrales pour la réussite des opérations.

 

Je ne peux pas apporter de réponse en ce qui concerne la Formisc, puisqu’elle est placée sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Nous avons toutefois prévu d’aborder prochainement le sujet en bilatéral. Nous devons essayer de renforcer la cohérence entre la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et la LPM. Il existe forcément des passerelles. Elles peuvent être statutaires pour les gendarmes, sapeurs-pompiers de Paris ou marins-pompiers de Marseille ou liées à des missions. Les problématiques de cyber et d’hybridité concernent les deux ministères. Nous devons davantage raisonner de manière interministérielle, raison pour laquelle a été créé le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

 

En ce qui concerne le plan « famille », évoqué par la députée Métayer, deux pistes d’amélioration pourraient être étudiées dans le cadre d’un groupe de travail commun entre le Parlement et le ministère. Le premier concerne les mutations, qui sont très nombreuses au sein des armées. Le second a trait à la petite enfance. L’accès aux crèches n’est pas un sujet propre aux militaires mais les difficultés sont décuplées quand les mutations ne suivent pas le calendrier scolaire. Ces deux exemples ne sont pas exclusifs mais ils me semblent devoir être traités en priorité.

 

S’agissant des réserves, sur lesquelles m’a interrogé le député Ardouin, j’ai déjà évoqué le volet quantitatif. J’insisterai donc plutôt sur le volet qualitatif. Les armées doivent formaliser des expressions de besoins vis-à-vis de l’emploi des réservistes. Cette réflexion est pratiquement achevée. Le sujet pourra également être abordé dans le cadre du groupe de travail que je souhaite mettre en place avec le Parlement pour préparer la prochaine LPM.

 

Comme je l’ai indiqué précédemment, nous devrons traiter la question des déserts militaires et de la territorialisation des réservistes. La création de réserves pourra également être envisagée dans certaines unités. Des propositions seront notamment formulées pour la DGA, où la réserve ne concerne que les officiers, qui doivent en outre être ingénieurs. Pour certains métiers particuliers, pourquoi ne pourrait-elle pas intégrer des sous-officiers ?

 

S’agissant du service de santé des armées, nous devons proposer plus largement aux personnels de soins civils, issus de la médecine libérale ou hospitalière, d’intégrer les réserves. Nous ne pouvons pas écarter l’éventualité d’être confrontés simultanément à un attentat, une pandémie et une préparation opérationnelle au combat. Nous avons vécu ces situations au cours des dernières années. Même si nous renforçons ses moyens, le service de santé des armées ne pourra pas voir ses effectifs augmenter massivement. Il doit donc pouvoir s’appuyer sur des moyens complémentaires.

 

Par le passé, le service militaire permettait d’intégrer presque automatiquement les jeunes médecins dans les réserves. À la fin de leur internat, ils avaient souvent un statut de médecin-capitaine ou de médecin-commandant en fonction de leur spécialité. En cas de conflit, nous étions capables de rappeler de nombreux personnels de santé. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux seraient certainement ravis d’être réservistes et de pouvoir accomplir des missions utiles pour le pays. Dans le domaine sanitaire, les réserves peuvent être un levier d’adaptation à la haute intensité.

 

Concernant les réticences des employeurs, j’ai reçu une délégation importante du Medef, qui est particulièrement engagé à ce sujet. J’ai également commencé des consultations avec les représentants des salariés. L’État doit montrer l’exemple au travers de la fonction publique. S’il ne le fait pas, il est ensuite difficile de demander aux chefs d’entreprise d’accepter des efforts. Beaucoup y sont prêts, à condition toutefois que les règles soient claires. Ils pourraient notamment être informés quand l’un de leurs salariés signe un engagement à servir dans la réserve (ESR). Ce point pourra en tout cas faire l’objet de débats dans le cadre du groupe de travail que je souhaite mettre en place avec le Parlement. Ce dernier pourra également réfléchir à la reconnaissance des employeurs qui libèrent leurs salariés ou aux éventuelles adaptations du droit du travail. Je n’ai pas de tabou dans ce domaine.

 

Le député Royer-Perreaut m’a interrogé sur le projet d’hôpital militaire à Marseille. Il est important pour les forces armées de disposer de cet équipement. Les discussions se poursuivent avec les élus locaux au sujet du foncier.

 

Je laisserai le chef d’état-major de la marine apporter des précisions sur l’expérience menée sur le Mistral. Le SGA répondra à la question sur la protection sociale complémentaire.

 

La députée Lingemann a évoqué, pour le compte du député Lainé, la problématique du logement. Le PLF pour 2023 prévoit 5 503 hébergements pour les unités d’Hyères, Toulon, Bourges et Saint-Mandrier et 4 600 places pour Versailles, Brest ou Istres. Nous préciserons ces chiffres qui ne sont pas très explicites quand ils seront présentés de manière globale. Nous poursuivrons les efforts déjà engagés dans le cadre de la prochaine LPM. Nous devons nous appuyer plus largement sur les collectivités locales et les bailleurs sociaux. Un modèle économique existe autour du logement pour les militaires, comme l’a prouvé le développement de la société nationale immobilière (SNI). Des réflexions sont en tout cas indispensables pour élargir l’offre immobilière, par la construction ou la rénovation.

 

Général Thierry Burkhard. L’opération Héphaïstos est conduite chaque été depuis plusieurs années selon des modalités connues et éprouvées. Elle concerne un certain nombre de départements du sud de la France, y compris la Corse, pour une durée de trois mois, entre le 24 juin et le 22 septembre. Elle repose sur cinquante militaires, un groupe de génie intégré qui est notamment chargé de réaliser les coupe-feux et un détachement d’hélicoptères avec des Gazelle et deux Caïman. Cette année, plus de 160 heures de vol ont été réalisées en appui des unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC). Des modules adaptés de surveillance sont en outre disponibles pour les massifs corses.

 

Cette année, des incendies se sont également déroulés en dehors de la zone couverte par l’opération Héphaïstos. Un dispositif efficace a été mis en place, en s’appuyant sur le maillage territorial et la qualité du dialogue entre civils et militaires. Des pompiers militaires de la base de Cazaux, de l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan et des écoles militaires de Saumur, ainsi que des marins-pompiers de Brest, sont intervenus en appui des pompiers civils des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). Des moyens spécialisés du génie, en l’occurrence le 6e régiment du génie d’Angers et la 2e compagnie opérationnelle du génie de l’air de Mont-de-Marsan, ont également été engagés pour créer des pare-feux.

 

S’agissant de la tempête en Corse, les armées ont été mises à contribution en coordination avec les autorités locales et zonales. Vingt-deux hélitreuillages ont été réalisés par deux Puma de l’armée de l’Air et de l’Espace et un Dauphin de la Marine nationale. Le 2e régiment étranger de parachutistes (REP) de Calvi a évacué et mis à l’abri 600 personnes. Le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain Seine et un Falcon 50 sont par ailleurs intervenus pour l’assistance en mer.

 

Les armées ont ainsi rempli leurs missions de protection des Français face à la dangerosité du quotidien.

 

M. Emmanuel Chiva. S’agissant des stocks et des cadences de production, nous nous sommes réunis, avec le ministre et les industriels, le 7 septembre. Les travaux sont en cours et devraient déboucher prochainement sur des propositions. Nous attendons des mesures concrètes pour certains équipements comme l’obus de 155 millimètres ou le canon Caesar.

 

Concernant les stocks, nous devons distinguer les produits semi-finis et les matières premières. L’implication du ministère des armées, y compris sur le volet financier, est plus importante pour les premiers, dans la limite de la prise de risques évoquée par le ministre. Les matières premières renvoient à une problématique industrielle. Elles peuvent faire l’objet d’une mutualisation, comme en témoigne l’initiative du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS).

 

L’accélération des cadences implique les grands industriels mais également toutes les PME sous-traitantes. Ces dernières ont besoin de visibilité pour honorer les commandes. Pour augmenter la production, nous pouvons envisager une réorientation des chaînes initialement destinées à l’exportation vers notre approvisionnement national, renforcer l’utilisation de chaînes duales ou appliquer de nouvelles méthodes comme le développement agile.

 

Nous pourrons approfondir nos échanges sur l’économie de guerre lors de l’audition à huis clos prévue la semaine prochaine.

 

M. Christophe Mauriet. En matière de protection sociale complémentaire, le virage a été pris dès le budget 2022, avec une enveloppe d’un peu moins de 50 millions. Après huit mois, le rythme de consommation de ces crédits montre que le dispositif n’est pas suffisamment connu par les ressortissants du ministère. Le service des ressources humaines devra faire en sorte d’encore mieux le faire connaître afin que davantage de personnels bénéficient de la prise en charge par l’employeur de 15€ par mois des cotisations.

 

S’agissant des contrats de protection sociale complémentaire des militaires qui arrivent à échéance en 2025, des consultations seront organisées avec les mutuelles, dont Unéo, et les autres acteurs du secteur. Un cahier des charges devrait être élaboré au début de l’année 2023, afin de leur permettre de se positionner.

 

S’agissant des commandes aux PME, le service d’infrastructure de la défense (SID) contractualise avec des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics qui relèvent de différentes strates. Il s’efforce en permanence de concilier les règles de la commande publique, les exigences de technicité des chantiers et le soutien à l’ensemble de la filière. Des progrès ont déjà été réalisés mais ils doivent être poursuivis, en particulier vis-à-vis des acteurs de taille intermédiaire. Nous en ferons une priorité pour les prochains mois.

 

Amiral Pierre Vandier. Le robot Versius a embarqué du 12 au 15 septembre sur le PHA Mistral, afin de réaliser une expérimentation dont les résultats sont jugés prometteurs. Celle-ci s’inscrit dans le cadre du plan Mercator, dont l’objectif est d’utiliser les technologies de pointe pour développer les cas d’usage et renforcer la résilience et la performance de nos plateformes.

 

Dans le domaine médical, l’enjeu est de développer la téléconsultation, le soutien en imagerie et la téléopération. Le robot Versius est en mesure de réaliser des prototypes d’opérations abdominales. Le PHA est un bâtiment particulièrement adapté pour son déploiement, puisqu’il dispose d’un vaste hôpital dédié au soutien de l’équipage mais également des populations. Il est en effet régulièrement utilisé lors de catastrophes climatiques.

 

L’utilisation d’un robot tel que Versius contribue à augmenter l’offre de santé d’urgence à distance, sans multiplier les déploiements de médecins. Elle s’inscrit également dans la réalité des opérations et du combat.

 

Un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) passe soixante-dix jours en immersion sans soutien extérieur. Des compétences particulières, en particulier humaines, doivent pouvoir y être mobilisées. À bord, le médecin est capable d’opérer avec l’aide de ses équipes, dont le commandant en second comme assistant opératoire.

 

Certains navires ne sont pas équipés pour les communications satellites ou se trouvent dans des états de mer rendant les manipulations impossibles. Nous sommes donc toujours à la recherche d’un équilibre entre l’utilisation des nouvelles technologies et des savoir-faire robustes qui n’ont pas changé depuis des décennies. Nous comptons sur l’expertise du service de santé des armées pour cela.

 

M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Je suis à la disposition du Parlement jusqu’à la discussion budgétaire. Les bleus sont disponibles depuis ce matin. Nous avons reçu les différents questionnaires au mois de juillet, parfois en retard – je le dis pour La France insoumise – mais nous répondrons à l’ensemble des 1 200 questions qui nous ont été posées.

 

Je proposerai également le lancement de groupes de travail pour préparer la prochaine LPM. Nous devons travailler étroitement avec le Parlement, en particulier sur les sujets complexes juridiquement, déterminants d’un point de vue sociétal ou ayant un impact budgétaire important.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le ministre, Messieurs les officiers généraux, Madame et Messieurs les directeurs de programme, je vous remercie pour cette audition exceptionnelle, qui marque le lancement de nos travaux sur le PLF pour 2023.

 

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La séance est levée à dix-huit heures et quarante-cinq minutes

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, M. Frédéric Boccaletti, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Michèle Martinez, Mme Lysiane Métayer, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Fabien Roussel, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, M. Jean-Michel Jacques, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Plassard, Mme Estelle Youssouffa