Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, sur le projet de loi de finances 2023.

 

 


Mercredi
5 octobre 2022

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 05

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 

 


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La séance est ouverte à dix-huit heures cinquante-cinq.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons à l’audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard. Monsieur le chef d’état-major des armées, je vous prie de bien vouloir excuser le décalage de l’horaire et aussi, sans préjuger des responsabilités, l’incident de séance auquel vous avez assisté, qui n’aurait pas dû se produire. Au moment de combler des lacunes capacitaires, de réorienter des moyens opérationnels ou de réapprovisionner les stocks de munitions, vous êtes le plus qualifié pour éclairer les conditions d’un arbitrage. Comment le projet de loi accompagne-t-il la remontée en puissance des capacités militaires dont nous avons besoin pour atteindre le modèle d’armée 2030 qui structure la loi de programmation militaire (LPM) ? Dans une tribune publiée par un journal national à la veille du 14 juillet dernier, vous estimiez que, dans la perspective d'une guerre de haute intensité, la force morale est essentielle ; comment pouvons-nous contribuer à la fortifier ?

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Je suis heureux de vous retrouver, de pouvoir vous apporter mon éclairage et échanger avec la représentation nationale sur la situation militaire et stratégique ainsi que mes priorités pour les armées.

 

Le 24 février 2022 marque un point de bascule, un changement d’époque. Les évolutions ne sont pas terminées et une période d’incertitude est encore devant nous car nul ne peut imaginer quelles seront toutes les conséquences de la guerre en Ukraine lancée par la Russie. Cette guerre nous oblige à réinterroger nos choix, nos modes d’action et nos organisations. Cela ne signifie pas que tout ce que nous faisions auparavant était inadapté, c’était au contraire adapté au contexte stratégique d’alors, mais il nous faut ajuster notre doctrine à l’aune du contexte d’aujourd’hui. Cet affrontement entre États n’est pas une surprise complète : le retour du rapport de force sur la scène internationale est une tendance identifiée depuis plusieurs années, et depuis deux ou trois ans, les armées avaient perçu ce risque d’affrontement entre États-puissances. Mais l’accélération et l’intensification sont manifestes, en Ukraine, mais aussi ailleurs dans le monde, notamment en Afrique.

 

Je dirai quelques mots de l’actualité des opérations depuis mon audition du 12 juillet dernier.

 

Il a été largement question de l’opération Hephaïstos lors de l’audition de M. le ministre. Je rappellerai donc simplement que les armées ont pour double mission de protéger les Français de la dangerosité du monde et de contribuer à leur protection contre la dangerosité du quotidien ; Hephaïstos s’inscrit dans ce second cadre.

 

S’agissant de l’opération Barkhane, le dernier convoi a quitté le Mali le 15 août dernier, en ordre et en sécurité, conformément à la décision prise par le Président de la République le 17 février, qui avait donné comme directives aux armées d’organiser la ré-articulation du dispositif dans un délai de six mois. Cela a été fait dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu face aux groupes armés terroristes, tension renforcée par une guerre informationnelle intense, entretenue notamment par le groupe privé militaire russe Wagner et la junte. La manœuvre logistique, d’une ampleur considérable, a été parfaitement exécutée : 1 300 véhicules et 1 100 bungalows ont quitté le Mali vers le Niger, par la route et par les airs avec l’appui très important de nos alliés américains, canadiens, belges, qatarien et émirien. Le mouvement logistique est toujours en cours, désormais pour rapatrier le matériel, dont une grande partie a été stockée au Niger, jusqu’en France en passant par le Bénin ou la Côte d'Ivoire.

 

Il nous appartient à présent de relancer l’action. Je vous l’avais dit, l’état final recherché comprend trois volets. Le premier est évidemment la poursuite de la lutte contre les groupes armés terroristes. C’est ce que nous faisons, essentiellement à partir du Niger mais aussi à partir du Burkina Faso. Nous accompagnons les forces nigériennes dans la lutte contre les groupes armés terroristes, avec un mode d’action qui diffère sensiblement de ce que nous faisions au Mali : nous sortons avec les unités nigériennes, et ce sont elles qui fixent le tempo en décidant des zones, des objectifs et de l’intensité. Cela donne de bons résultats.

 

Le deuxième volet concerne les pays du Golfe de Guinée, que nous devons appuyer pour les aider à se préparer à contrer la lente descente des groupes armés terroristes vers le Sud. Des incidents se sont déjà produits à la frontière nord du Bénin, du Togo, de la Côte d’Ivoire ; cette action est donc essentielle. Là encore, nous voulons « co-réfléchir » aux problématiques avec nos partenaires locaux et « co-construire » avec eux les réponses au terrorisme. Cette nouvelle manière de faire, indispensable, demande un changement d’habitudes de notre part mais aussi un pas en avant des pays africains qui doivent pouvoir exprimer leurs besoins et donner le tempo.

 

Le troisième volet de notre action est de décrédibiliser le groupe Wagner qui agit aujourd’hui au Mali. Ce groupe est un facteur d’instabilité majeure en Afrique, où il prétend apporter une solution sécuritaire aux autorités en place après un coup d’État. Un effort important s’impose dans la lutte informationnelle, car s’en tenir au seul champ cinétique est désormais contre-productif. Nous poursuivons la montée en puissance des moyens.

 

Sur le fond, notre but est de renouveler les modalités de la présence française en Afrique. Cela suppose une stratégie intégrale dans laquelle l’action militaire n’est que l’un des leviers. À l’opération Barkhane ne doit pas succéder une autre opération militaire mais une présence française sous une autre forme, avec un volet militaire certes, mais pas uniquement ; une démarche interministérielle doit impérativement être développée.

 

Les armées doivent aussi adopter une posture de réassurance sur le flanc Est de l’Otan et la frontière orientale de l’Europe pour prendre en compte la situation en Ukraine, avec des combats très durs et une stratégie russe de long terme. La mobilisation décrétée par le président Poutine produira ses effets dans deux ou trois mois au mieux ; cela signifie que la Russie compte conduire des opérations après l’hiver. Selon moi, Poutine va tenter de fragmenter la cohésion des pays occidentaux, compliquée par les problèmes d’énergie, les incertitudes qui demeurent sur les conséquences de l’annexion de territoires ukrainiens et en raison de l’adoption d’une rhétorique nucléaire. Enfin, le risque d’escalade augmente à mesure des revers tactiques de l’armée russe, et le narratif anti-occidental se durcit

 

L’enjeu pour la France est d’affirmer sa crédibilité militaire sur le segment du haut du spectre. Des patrouilles de Rafale ont décollé le jour même de l’agression. Le bataillon Aigle a été déployé très rapidement dans la foulée. Ce déploiement s’est accompagné de la réorientation du groupe aéronaval alors engagé au Levant pour couvrir le flanc sud de l’Europe. Ensuite, la France, a été désignée « nation cadre » par l’Otan pour les opérations menées en Roumanie, avec les Belges dans un premier temps puis les Néerlandais ; d’autres contributions sont à l’étude. On passera aux capacités du haut du spectre avec le déploiement prochain de moyens lourds.

À cela s’ajoute, toujours dans le cadre de l’Otan, l’opération de réassurance Lynx en Estonie, pays avec lequel nous entretenons un réel partenariat stratégique – c’est la première nation ayant déployé des moyens auprès de nos forces au sein de la Task Force Takuba, à Gao.

 

Les Européens doivent construire une stratégie en faveur de la sécurité du continent à l’horizon de cinq à dix ans et déterminer comment prendre en compte la Russie qui sera probablement affaiblie mais toujours bien présente. Cela doit se faire avec l’Otan, évidemment, mais il est aussi important que les pays européens s’emparent de ce sujet. Les Américains doivent participer à la réflexion à venir mais ils ne peuvent la conduire, car leur vision de la sécurité en Europe n’est pas la même que la nôtre – de même que les enjeux vus de l France, de l’Espagne ou de l’Italie peuvent différer de ceux vus de l’Estonie ou de la Pologne.

 

Les événements sur notre territoire, en Europe et en Afrique expliquent les lignes de force de la stratégie à laquelle nous travaillons pour construire l’armée dont la France a besoin – des armées qui doivent prendre toute leur part de la protection des Français. C’est la cohésion nationale. C’est aussi la solidarité stratégique, condition indispensable à la sécurité européenne. C’est enfin la crédibilité opérationnelle : ce qui est fait et la manière de le faire sont autant de signalements stratégiques. Avec ces trois axes, nous exprimons notre contribution à la stratégie de puissance d’équilibres de la France. Nous devons convenir avec la nation de la manière d’y parvenir. À court terme avec le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, objet de la présente audition ; et à moyen terme avec la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

 

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

 

M. Mounir Belhamiti (RE). Nos armées doivent se tenir prêtes à des confrontations intenses et, qu’il s’agisse de la maîtrise des fonds marins, du spatial ou du cyber, la prise en compte de l’hybridité des conflits apparaît aujourd’hui essentielle. Depuis 2017, la LPM s’exécute de manière remarquable, mais la nouvelle donne impose de nouveaux efforts et une nouvelle ambition. Quels ajustements prioritaires doivent être opérés dès 2023 pour renforcer la résilience, l’épaisseur et l’agilité de nos armées ?

 

M. Frank Giletti (RN). Monsieur le président, je me dois de revenir sur l’incident inacceptable qui s’est produit tout à l’heure. Nous avons été insultés, et à travers nous 13 millions d’électeurs, et nous aurions aimé que la présidence, qui doit veiller à la bonne tenue des débats de notre commission, réagisse à des propos insupportables. Sachez-le, nous n’accepterons jamais d’être insultés par des commissaires qui ne viennent ici que pour faire du harcèlement et de la propagande. Je suis désolé, mon général, que vous ayez dû assister à ce triste spectacle.

 

Vous évoquez souvent la nécessité de trouver un équilibre entre activité, soutien et équipements. Or, le budget alloué à l’équipement de nos armées dans le projet de loi de finances pour 2023 s’élève à 25,6 milliards d’euros, cependant que 4,2 milliards sont affectés à l’activité et au soutien des forces. Estimez-vous que le PLF pour 2023 tient suffisamment compte du nécessaire équilibre que vous avez rappelé ou faudra-t-il attendre la prochaine LPM ? Rapporteur pour avis du budget de l’armée de l’air et de l’espace, je sais la livraison de treize Rafale à notre armée et la commande de quarante-deux autres. L’armée de l’air s’inquiétait légitimement de ne pas voir sa flotte augmenter depuis 2016 et, en juillet dernier, le général d’état-major Stéphane Mille avait indiqué à notre commission que pour remplir sereinement ses missions, l’armée de l’air devait disposer de 225 avions au moins. Puisqu’elle ne dispose actuellement que de 96 Rafale et de 99 Mirage 2000, on pourrait craindre que ces nouvelles livraisons soient largement insuffisantes, étant donné, de plus, la vente de Rafale à la Grèce et du retrait des Mirage 2000 D et 2000 C non rénovés ; quelle est votre opinion ?

 

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Les budgets des quatre programmes dont vous êtes chargé augmentent de manière générale ; on note toutefois une baisse pour les programmes 144, 212 et aussi pour le programme 178 - Préparation et emploi des forces. Pour ce dernier, les autorisations d’engagement diminuent de 15,87 % ; cette évolution aura-t-elle un effet sur les exercices prévus ? D’autre part, le PLF pour 2023 prévoit 3,1 millions de crédits de paiement pour les grands fonds marins. Le récent sabotage de gazoducs en mer Baltique a mis l’accent sur l’importance de ce nouvel espace de conflictualité. La stratégie ministérielle de maîtrise des fonds récemment publiée souligne la nécessité de préparer de nouvelles capacités et prévoit des expérimentations de robots et de drones jusqu’en 2024. Où en sont ces expérimentations ? Prévoyez-vous d’augmenter, à l’avenir, les moyens consacrés à ces opérations ?

 

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Ce qui se passe en Ukraine confirme l’inflation générale de la menace dans tous les champs, dans tous les milieux et sur un périmètre très large. J’ai fait le parallèle, en séance publique, entre la situation actuelle et celle des années 1930, et des enseignements que l’on a pu ou que l’on aurait dû tirer alors, du point de vue militaire, de la guerre d’Espagne, avec les premiers éléments du couple char-avion et les premiers bombardements par Stuka expérimentés sur ce front. Cette fois, quels sont premiers retours d’expérience sur le conflit en Ukraine, notamment les frappes en profondeur ? Nous avons la lourde responsabilité collective de contribuer à la sécurité de notre pays et de notre continent. Si, malheureusement, nous devions connaître de graves difficultés demain, il nous faudrait pouvoir bénéficier de l’analyse la plus juste possible, et le retour d’expérience est la première pierre d’une réflexion globale.

 

Mme Josy Poueyto (Dem). Vous l’avez dit, les engagements opérationnels se déclinent en deux volets : la protection des personnes contre la dangerosité du monde et leur protection contre la dangerosité du quotidien, pour garantir en tout temps la sanctuarisation et la protection du territoire national, par la lutte contre le terrorisme, les pandémies ou les catastrophes naturelles, la liste n’étant pas exhaustive. Vous avez qualifié de « très réactif » le dispositif Sentinelle, créé à la suite des attentats de janvier 2015 pour faire face à la menace terroriste. Jusqu’à dix mille militaires peuvent y être engagés en permanence, dont 7 000 soldats et 3 000 membres de la réserve stratégique. Mais la Cour des comptes a estimé, début septembre, « qu’il n’est plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un affichage de militaires dans les rues ». La Cour propose de transférer cette mission aux forces de sécurité intérieure, ou de justifier son maintien, dans un format réduit, sur la base d’une analyse partagée de la menace. Elle recommande également de « privilégier une réquisition maîtrisée des armées pour des missions à haute valeur ajoutée militaire, combinant réactivité et désengagement rapide ». Quel est votre avis sur ces recommandations, alors que la dangerosité du monde exige que nous soyons capables d’agir dans tous les spectres de la conflictualité, ce compris dans l’affrontement de haute intensité dans la durée, comme vous l’évoquiez cet été ?

 

Mme Anna Pic (SOC). « L’Allemagne et les Européens dépendent d’un ordre de paix qu’ils ne peuvent pas garantir par eux-mêmes », a déclaré la ministre allemande de la défense Christine Lambrecht, soulignant en même temps notre dépendance à l’égard des États-Unis, dont l’attention dévie de plus en plus vers le Pacifique. Cette prise de position est un énième appel du pied en faveur d’une Europe de la défense, qui permettrait de garantir notre autonomie stratégique. Mais l’on sait que l’opinion de l’Allemagne à ce sujet est souvent sujette à des retournements, et de nombreux obstacles subsistent.

 

S’agissant des moyens, si la Commission européenne tente d’inciter les pays de l’Union à rassembler leurs projets de défense, son nouveau plan de coordination des dépenses militaires, doté de 500 millions d’euros sur deux ans pour l’acquisition conjointe d’armes, est trop timide pour permettre des progrès significatifs. D’un point de vue politique, il sera impossible à l’Union européenne de renforcer ses capacités de défense aussi longtemps qu’elle conservera autant d’armées qu’elle compte d’États, lesquels tentent, dans leur grande majorité, d’accomplir les mêmes tâches que leurs voisins et de développer leurs propres équipements. Cette fragmentation des efforts s’apparente à un gaspillage auquel nous devons remédier.

 

D’autres obstacles majeurs au développement d’une défense commune tiennent au manque de volonté de nombreux industriels de jouer le jeu de la coopération et à notre dépendance matérielle de pays tiers, notamment pour les composants de haute technologie, qui proviennent des États-Unis ou du Royaume-Uni. À ce sujet, Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, préconisait à juste titre il y a peu que l’Europe, qui achète près de 60 % de son matériel en dehors de l’Union, inverse cette tendance. Dans le contexte conflictuel que nous connaissons aux portes de l’Union, s’orienter vers une Europe de la défense afin de pouvoir nous défendre sans dépendre d’un partenaire tiers est plus que jamais d'actualité. À quel horizon serons-nous en mesure de réduire notre dépendance technologique à l’égard de pays extérieurs à l’Union ? Quels freins empêchent une collaboration multilatérale et plus étroite avec d’autres industriels de l’Union ? Partagez-vous l’opinion de Josep Borrell, selon lequel il convient de mieux coordonner nos armées nationales en Europe tout en maintenant notre autonomie stratégique et notre alliance au sein de l’Otan ?

 

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Général, je salue votre engagement et celui des hommes et des femmes qui servent notre pays et nous défendent ; je suis convaincue que nous devons faire plus pour vous donner les moyens de votre mission. Nichée dans le canal du Mozambique, Mayotte est la seule terre française habitée de la zone. Nous ne sommes qu’à 500 kilomètres de la province de Cabo Delgado, la pointe mozambicaine attaquée par Daech en mars 2021. La poussée djihadiste a provoqué l’interruption des opérations de Total. L’action des soldats rwandais semble avoir permis de reprendre le contrôle de la situation, mais nous savons le pays fragile, et l’ancrage des terroristes le long de la côte d’Afrique de l’Est est de plus en plus profond. Le voisinage de Mayotte est extrêmement fragile et agité ; plus de la moitié de la population de l’archipel est en situation irrégulière, âgée de moins de 25 ans et vit dans une profonde pauvreté ; les discours de haine anti-Blancs et la radicalisation peuvent se propager très vite dans le bidonville. La violence que nous connaissons depuis plusieurs années se fait de plus en plus brutale ; elle vise à terroriser la population et à faire reculer l’État de droit, à faire reculer la France. Étant donné ce tableau, comment évaluez-vous la situation au Mozambique et les risques terroristes pour Mayotte ?

 

Ma seconde question porte sur la protection de nos frontières et notre souveraineté. Pour appuyer leurs revendications territoriales sur Mayotte, les Comores déstabilisent notre département en usant de l’arme migratoire. Étant donné les arrivées quotidiennes de kwassa en provenance des Comores, il serait utile de baser à Mayotte plutôt qu’à La Réunion les patrouilleurs affectés aux missions de souveraineté et de protection des intérêts nationaux dans les espaces maritimes ultramarins. Pensez-vous réorganiser les forces armées de la zone sud de l’Océan Indien en prenant mieux en compte la défense de Mayotte ?

 

M. Yannick Favennec-Bécot (HOR). La dissuasion nucléaire a regagné en quelques mois une place décisive dans les relations inter-étatiques. Dans ce contexte, la France se doit de posséder une dissuasion à la hauteur de sa doctrine. Cet impératif est d’autant plus fort que le traité New Start, unique accord encore en vigueur limitant les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie, viendra à échéance en 2026. Cela laisse craindre une nouvelle course à l’armement nucléaire aussitôt ce traité expiré. Pour répondre à cet impératif stratégique, la France consacre environ 10 milliards d’euros par an pendant la période 2019-2025à l’entretien de sa force dissuasive, et le PLF pour 2023 alloue 318 millions d'euros supplémentaires au budget « dissuasion ». Cette dépense primordiale représente 20 % du budget annuel des armées. Si l’on se réfère au seuil fixé par l’Otan, selon lequel notre budget de défense doit atteindre 2 % de notre PIB, la dissuasion nucléaire en représente 0,4 %. Ce 0,4 % manque donc aux armées françaises pour assumer leur mission conventionnelle, ce qui réduit de fait leur format opérationnel. Alors que l’on recherche la restauration capacitaire des armées, le coût substantiel de la dissuasion permettra-t-il d’atteindre le modèle d’armée complet et équilibré voulu à l’horizon 2030 ?

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard. Je répondrai d’abord à cette dernière question. Pour la France, la dissuasion est fondée sur le principe de la stricte suffisance. Nous n’avons pas construit une dissuasion pour mener une guerre nucléaire, si bien que la course au nombre d’ogives à laquelle se livrent certains pays n’a pas de sens pour nous. Notre objectif est que notre force de dissuasion soit capable, en toutes circonstances, d’infliger des dommages inacceptables à un adversaire qui envisagerait de s’en prendre à nos intérêts vitaux, et le faire ainsi renoncer à son intention.

 

Mais, bien entendu, quand on a un arsenal nucléaire, il faut consacrer des moyens pour l’entretenir et le moderniser, ce que nous faisons. Le fait de posséder l’arme nucléaire a aussi des effets positifs sur nos forces conventionnelles ; l’arsenal nucléaire constitue une part de la Défense française dont profitent toutes nos forces. Vous expliquez que disposer de forces nucléaires deviendrait presque un inconvénient, au motif qu’il faudrait compenser au bénéfice des forces conventionnelles les crédits alloués à la dissuasion. Je ne partage pas cette opinion. Je pense plutôt que c’est une chance pour la France d’avoir des forces nucléaires et des forces conventionnelles qui s’épaulent en permanence. Cela a un coût, mais c’est une dépense qui doit être envisagée favorablement plutôt que négativement. D’un point de vue stratégique, je ne vois pas l’effet d’éviction que vous suggérez.

 

Pour renforcer la résilience et l’agilité de nos armées en ces temps de conflits hybrides, des efforts ont bien sûr été faits et continuent de l’être ; ils sont précisés dans le PLF pour 2023 et dépassent ce que prévoit la LPM pour les munitions. Un effort particulier s’imposait dans ce domaine, comme pour l’autonomie logistique, qui nous permet de déployer nos forces, de les engager au combat et de durer, et comme pour le cyber, l’espace et encore les grands fonds marins. La réorientation de nos ressources se fait en ce sens.

 

La nécessité d’équilibrer activité, munitions et matériel est évidemment prise en compte dans le PLF pour 2023. L’équipement seul ne suffit pas : il nous faut aussi avoir la capacité d’entraîner le personnel sur les matériels qu’ils utiliseront au combat, et des munitions en nombre suffisant pour pouvoir à la fois conduire la préparation opérationnelle et mener des opérations. Ce rééquilibrage ne peut se faire brutalement en un an, et c’est pourquoi nous avons besoin d’une LPM. En 2023, les réallocations ne font que commencer et l’évolution portera ses fruits dans la durée.

 

La baisse des autorisations d’engagement traduit la continuité de nos investissements car les dépenses des armées doivent s’apprécier sur plusieurs années. Ainsi, la courbe des autorisations d’engagement dépassait logiquement celle des crédits de paiement dans les premières années de la LPM : nous passons commande, puis nous recevons le matériel et le payons les années suivantes. Actuellement, nous entrons dans une phase de livraison. Voilà comment s’explique la baisse des autorisations d’engagement, qui signifie aussi que les matériels arrivent dans les unités.

 

Nous tirons bien sûr des enseignements de la guerre en Ukraine. Le premier de ces enseignements, c’est l’importance de la force morale. La cohésion nationale est déterminante. Parce que tout le pays est derrière eux, les soldats ukrainiens défendent chaque ville, village, forêt, rivière, et cela produit des effets. Sans l’appui de la nation entière, ils ne se battraient pas comme ils le font.

 

Le deuxième enseignement de ce conflit est que la guerre informationnelle est partout. L’Ukraine a très habilement pris la main au niveau tactique et opératif dès le premier jour, ce qui, face à un adversaire tel que la Russie, n’était pas gagné d’avance. On constate néanmoins qu’au niveau stratégique, la Russie réussit probablement à peser davantage, avec un narratif assez bien développé.

 

Le troisième élément observé est le changement d’échelle et la nécessité de l’entraînement. L’armée russe, assez agile en Syrie, s’est trouvée confrontée à ses propres limites : une armée manquant d’entraînement, avec des cadres incapables de prendre une initiative, une logistique difficile à articuler, une difficulté manifeste à conduire un combat interarmes et interarmées et à manœuvrer. Les Ukrainiens ont su profiter de ces faiblesses pour lui infliger d’emblée des pertes très sévères.

 

L’armée russe, assez agile en Syrie, s’est trouvée confrontée à ses propres limites : une armée manquant d’entraînement, avec des cadres incapables de prendre une initiative, une logistique difficile à articuler, une difficulté manifeste à conduire un combat interarmes et interarmées et à manœuvrer. Les Ukrainiens ont su profiter de ces faiblesses pour lui infliger d’emblée des pertes très sévères.

 

Si l’on descend d’un cran dans l’appréciation du conflit, on constate sur le théâtre ukrainien une transparence du champ de bataille rendue possible par l’emploi massif de moyens peu sophistiqués, peu onéreux et assez répandus : avec des micro-drones vendus dans le commerce, on parvient à voir ce qui se passe derrière la colline, voire un peu plus loin. On observe aussi l’extrême létalité des frappes d’artillerie des Russes, qui peuvent aller très loin dans la profondeur du territoire, comme celle des armes antichars.

 

Tel se présente le champ de bataille aujourd’hui, et préfigure ce qu’il sera demain. C’est contre ce type de modes d’actions que nous devons nous protéger, en tentant d’opacifier le champ de bataille pour contrer l’adversaire, car la létalité des armes employées permet la mise hors de combat de toute cible vue, même dans la profondeur des lignes adverses. Pour cela, il nous faut développer un système de combat très concentré, un réseau multi-senseurs et multi-effecteurs : multi-senseurs pour voir et partager, permettant ainsi au réseau d’effecteurs de traiter ce qui a été détecté – réseau effecteur qui, étant donné la guerre permanente de l’information, doit être à la fois cinétique et informationnel. Cette combinaison est cruciale.

 

Nous avons aussi observé l’importance des localités dans ce conflit. Tous les combats ont lieu autour des villes, où il est plus facile de se cacher pour échapper à la transparence du champ de bataille et aux armes à forte létalité précédemment évoquées ; elles deviennent des points clés que l’on prend ou que l’on perd.

 

Enfin, il faut renforcer la capacité d’agir de manière très fluide, ce qui dit la nécessité d’un réseau très bien organisé, avec un niveau seuil toujours capable de fournir les informations. On doit probablement viser une organisation très plastique du commandement, s’adaptant à la phase de la bataille que l’on est en train de construire ; nous y réfléchissons.

 

Vous m’avez interrogé sur le dispositif Sentinelle. C’est au pouvoir politique, non au chef d’état-major des armées, que revient la décision de lancer une opération, puis de l’arrêter. Les armées ont une double mission, vous l’avez rappelé, Sentinelle contribue à la protection des Français contre la dangerosité du quotidien. Que se produisent des actions terroristes ou une crise sanitaire, les armées ne peuvent s’en désintéresser, même si ces événements surviennent sur le territoire national. Mais elles ne feront qu’apporter leur contribution à un ensemble plus vaste ; un équilibre doit donc être trouvé entre ce que font les forces de sécurité intérieure et ce que font les militaires.

 

L’opération Sentinelle présente certains avantages sur lesquels j’appelle votre attention. Nos armées comptent 300 000 hommes et femmes, mais la « surface de contact » avec les Français est minuscule. Sentinelle permet une présence militaire un peu plus visible sur le territoire ; c’est une très bonne chose. De plus, ce dispositif offre un cadre qui permet un dialogue très régulier entre les autorités territoriales civiles et militaires, et qui profite à tous les acteurs. Si, cet été, nous avons pu réorienter l’opération Héphaïstos en dehors de la zone initialement prévue, c’est parce que le dialogue est bon entre les délégations militaires départementales, l’officier général de zone de défense et de sécurité et les préfets départementaux de zone de défense correspondants, car tous se parlent déjà quotidiennement. Sentinelle a aussi un effet bénéfique pour les armées : parce qu’elle s’effectue dans un environnement complexe, c’est une mission difficile donc formatrice pour nos soldats jusqu’au plus bas niveau tactique.

 

Tout est donc question de mesure : jusqu’où les armées doivent-elles être engagées dans ce dispositif ? Nous devons pouvoir réagir très vite ; de manière générale, on peut donc se dire que les armées doivent pouvoir intervenir, éventuellement en premier, en cas d’inondations importantes ou d’autres catastrophes mais que leur engagement dans la durée avec des moyens importants pour combattre les incendies de forêt, par exemple, n’est pas très cohérent.

Cette distinction vaut aussi pour Sentinelle : il n’y a pas lieu de mettre fin à la présence de militaires en appui des forces de sécurité intérieure mais il faut évaluer convenablement le niveau de présence nécessaire et le niveau d’alerte tenable pour renforcer le dispositif sous faible préavis. Plusieurs événements sont à venir – la Coupe du monde de rugby, les Jeux olympiques – au cours desquels les armées auront logiquement un rôle à jouer en appui des forces de sécurité intérieure.

 

Faut-il une armée européenne ? La question est sous-jacente quand on évoque l’Europe de la Défense et ma réponse sera factuelle : décider d’engager des militaires en opération, c’est décider que des gens peuvent mourir et donner la mort. C’est une responsabilité considérable, et je ne pense pas qu’une telle décision puisse être déléguée à une autre instance que le président élu, comme c’est le cas en France, ou le Gouvernement ou la représentation parlementaire d’un pays donné. Si l’on en arrive à une armée européenne, c’est qu’une fusion politique aura eu lieu ; dans le schéma communautaire actuel, je pense que ce n’est pas possible. Reste la capacité, fondamentale, des alliés à travailler ensemble, et l’interopérabilité au sein de l’Union européenne et de l’Otan a beaucoup progressé.

 

À ce sujet, gardons-nous d’opposer l’Otan et l’Union européenne. Plusieurs pays européens, qu’il faut voir tels qu’ils sont et non tels qu’on aimerait qu’ils soient, estiment, probablement à juste titre, que leur sécurité collective passe par l’Otan, et qu’en cette matière l’Union européenne est dans un deuxième champ. L’Alliance atlantique fonctionne depuis des décennies. On peut la critiquer, mais la guerre en Ukraine conforte l’opinion des pays qui voient les choses ainsi, nous devons le comprendre. Cela ne signifie pas qu’il faille s’abstenir de promouvoir la défense de l’Europe et un esprit de Défense européen mais, aujourd’hui, il faut le faire dans le cadre de l’Otan. Ce n’est pas en opposant l’Union européenne à l’Otan que l’on fera prendre conscience à ces États qu’un pilier européen doit se développer au sein de l’Alliance. Beaucoup le savent, car l’administration Trump a fait comprendre que la présence américaine au sein de l’Otan n’est peut-être pas éternelle. Les Européens doivent prendre conscience qu’un jour peut-être les Américains ne voudront ou ne pourront venir ; ce jour-là, les pays européens ne devront pas être dans la situation où ils se diront « si les Américains ne sont pas là, on ne peut rien faire ». Passons donc par l’Otan pour convaincre nos alliés en Europe de renforcer le pilier européen de Défense.

 

Madame la députée de Mayotte a décrit la situation de l’archipel. Étant donné la menace qui sévit au Mozambique, une mission de l’Union européenne a été montée, conduite par le Portugal avec un contingent rwandais en parallèle. La France y participe : des détachements d’instruction opérationnels des forces armées de la zone sud de l’océan Indien, forment les soldats mozambicains, avec des résultats assez satisfaisants pour le maintien de la sécurisation et la diminution du risque terroriste. Pour répondre aux enjeux migratoires en provenance des Comores, nos bâtiments basés à La Réunion viennent en appui des forces de sécurité intérieure, placées sous l’autorité du préfet. Ces bâtiments restent basés à La Réunion, notamment parce que Mayotte ne dispose pas actuellement des installations nécessaires à leur entretien. Un atelier de maintien en condition devrait être construit à Mayotte, qui permettra de prolonger les périodes durant lesquelles les unités navales seront déployées autour de l’archipel

 

M. Pierrick Berteloot (RN). Jamais, depuis le mandat du président Giscard d’Estaing, la France n’avait consacré autant d’argent, de manière continue, à sa défense. Néanmoins, la guerre en Ukraine a mis en lumière de nombreuses faiblesses, qu’il s’agisse des stocks de munitions ou des moyens de renseignement. De plus, nous avons livré à l’Ukraine un quart de nos canons Caesar. Notre armée dispose d’équipements très réduits. Le retour de la guerre de haute intensité en Europe et les menaces stratégiques de nos grands compétiteurs imposent, vous nous l’aviez dit, de repenser les équilibres entre la technologie et la masse ; il nous faut investir massivement dans notre armement. Alors que le président de la République invite lui-même à une réflexion sur l’économie de guerre, l’augmentation, bienvenue, du budget de la défense permet-elle à l’armée française de soutenir financièrement un conflit de grande envergure sur le long terme ?

 

M. François Cormier-Bouligeon (RE). Le président de la République a résolument engagé la France aux côtés de l’Ukraine, pays auquel nous avons livré beaucoup d’armements de tous types. Le rapporteur pour avis des crédits du budget de l’armée de terre que je suis s’interroge : alors que les stocks de munitions de nos armées sont calibrés en fonction de notre modèle d'engagement, la France peut-elle livrer davantage à l’Ukraine sans mettre son modèle d’armée en péril ? Comment nos armées s’organiseront-elles après que nous avons livré dix-huit canons Caesar à l’Ukraine, soit un quart de notre capacité ? Comment s’arrangeront-elles des prélèvements dans nos stocks de munitions ? Dans un autre domaine, quels moyens garantissent la sécurité de nos dépôts de munitions, en métropole et outre-mer, et comment sont sécurisés les moyens logistiques permettant la mise à disposition des munitions à nos armées ? Enfin, il est souvent question des cinq dimensions de la défense, les 5D ; notre armée est-elle en mesure de faire face dans tous les cas ?

 

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Grâce à l’École nationale des sous-officiers d’active (Ensoa) de Saint-Maixent-l’École, le département des Deux-Sèvres est le berceau des sous-officiers de l’armée de terre. Le général Alain Didier, commandant de l’Ensoa, a annoncé que d’ici 2026 le nombre d’élèves inscrits passera de 6 000 à 7 000 par an. Je me réjouis de cette annonce, mais l’École dispose-t-elle d’une logistique suffisante pour assumer cette hausse d’effectif ? Je m’interroge sur l’hébergement des élèves et sur les infrastructures d’entraînement. Enfin, la hausse prévue du nombre d’élèves suffit-elle aux besoins capacitaires de nos armées, ou devra-t-elle se poursuivre au cours des années à venir ?

 

Nathalie Serre (LR). Vous avez évoqué la nécessaire « décrédibilisation » du groupe Wagner. Qu’entendez-vous par là ? Des moyens à cet effet sont-ils prévus dans le PLF pour 2023 ou sera-ce une piste pour la LPM dont nous parlerons ultérieurement ?

 

Yannick Chenevard (RE). Préparer l’esprit des chefs de demain en Afrique, c’est les former avec nous. Pendant très longtemps, juste avant la fin de la guerre froide, nous formions massivement, en France, officiers et sous-officiers africains. Cela nous permettait ensuite de parler un langage commun, et aussi de créer des relais d’amitié en Afrique. Aujourd’hui, ceux qui ont pris le pouvoir au Mali et au Burkina Faso ont été formés en Russie. N’avons-nous pas intérêt à augmenter les capacités d’accueil de nos écoles pour y admettre ceux qui deviendront les futurs chefs des pays africains, au lieu qu’ils aillent se former en Russie ?

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard. Vous avez raison, l’influence de la Russie augmente parce que nous lui avons laissé le champ libre. Nous avons mis sur pied en Afrique des écoles nationales à vocation régionale qui font un très bon travail, mais cela n’est pas exactement la même chose que de faire venir en France des stagiaires étrangers, africains en particulier, et de les former au contact des militaires français, créant ainsi des liens et donnant une certaine image de la France. C’est indispensable et nous devons recommencer à le faire, mais cela suppose de redimensionner notre outil de formation car pour l’instant nos écoles atteignent quasiment leur capacité d’accueil maximum avec les seuls élèves français. Le pouvoir d’influence est capital, et il s’exerce avec des moyens. Nous devrons traiter ce sujet dans la prochaine LPM. Cette question concerne plus particulièrement l’armée de Terre, et je ne doute pas que son chef d’état-major, quand vous le recevrez, pourra vous apporter les précisions nécessaires.

 

L’équilibre entre masse et technologie suppose de déterminer le juste besoin requis. L’économie de guerre demande la capacité de produire plus vite, et il revient aux armées d’exprimer dans les cahiers des charges des besoins soigneusement dimensionnés.

 

Nous avons pour ambition opérationnelle de pouvoir soutenir une guerre de haute intensité à l’horizon 2030, si besoin en était. On comprend que la question peut se poser avant ce terme et qu’il faut accélérer. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : si l’armée française devait s’engager immédiatement dans un conflit de haute intensité, elle le ferait.

Pouvons-nous livrer plus de munitions à l’Ukraine sans démunir nos armées ? Nos stocks ne sont pas tous tarés de la même manière. Nous avons certaines munitions très sophistiquées et très onéreuses dont le stock n’est évidemment pas illimité, mais nous avons des stocks assez importants de munitions un peu plus anciennes et moins coûteuses. En fonction du soutien demandé, nous pouvons donc faire plus ou moins. Comment compenser les dix-huit canons Caesar prélevés sur nos stocks pour être livrés à l’Ukraine ? Le PLF pour 2023 prévoit le renouvellement de dix-huit canons sur le standard actuel et, l’année dernière, nous avions déjà commandé trente-deux Caesar supplémentaires de standard 2, dotés de cabines blindées. En réalité, une partie des dix-huit canons livrés à l’Ukraine servait à l’instruction en France ; il en ira de même pour ceux que je viens de mentionner, et ce sera donc sans véritable inconvénient pour l’engagement opérationnel.

 

La sécurisation du soutien logistique fait l’objet d’un plan d’équipement. Nos camions-citernes sont déjà mieux protégés qu’ils ne l’étaient : il y a un an, l’un d’eux a été endommagé au Mali sans dommage pour l’équipage. D’autre part, un important marché de camions de transport de munitions a été passé. En cours de développement, ils permettront que les équipages soient mieux protégés.

 

La guerre dans le champ des perceptions nous impose d’être présents dans la sphère informationnelle, c’est-à-dire essentiellement sur les réseaux sociaux. Nous devons être capables de les veiller, de détecter les signaux faibles, d’identifier les menaces sur notre liberté d’action et d’y apporter une réponse coordonnée, dans le respect des règles du droit, en lien avec les grandes plateformes du web et avec l’ambassadeur pour le numérique. Nous avons progressé sur ce plan et créé une structure qui fonctionne assez bien, mais des marges existent encore car nous partions d’assez loin. Nous avons renforcé nos liens sur ce plan avec le ministère des affaires étrangères puisque sur tous les théâtres extérieurs, l’ambassade est souvent en première ligne. Cette coordination est capitale et fonctionne très bien. Ensuite, il faut être extrêmement réactif : c’est une guerre en réseau.

 

On le voit avec Wagner, une opération de lutte informationnelle demande de l’anticipation, l’établissement d’un réseau multi-senseur multi-effecteur avec du cyber, du renseignement, et la capacité de délivrer des messages et de se coordonner. Les résultats que nous avons obtenus sont probants. Autrement dit, la guerre informationnelle, en y consacrant les moyens nécessaires, permet, d’obtenir des effets stratégiques.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie, mon général, pour vos réponses éclairantes.

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La séance est levée à vingt heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, M. Frédéric Boccaletti, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, Mme Anne Le Hénanff, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - M. Julien Bayou, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin

Assistait également à la réunion. - Mme Estelle Youssouffa