Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, sur le retour d’expérience capacitaire de l’Ukraine.


Mercredi
30 novembre 2022

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 26

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à onze heures trente.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous continuons nos travaux sur les enseignements de la guerre en Ukraine en accueillant M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, qui nous rend déjà visite pour la deuxième fois depuis sa prise de fonctions.

 

Bien qu’il ne soit jamais évident de tirer les leçons d’un conflit en cours, nous souhaitons avoir votre éclairage, Monsieur le délégué général, sur plusieurs points. S’agissant de la qualité des matériels, de l’utilité des systèmes d’armes et des faiblesses observées en Ukraine, en quoi les combats en cours poussent-ils à innover ? Le conflit actuel se caractérise aussi par une forte attrition et une grande quantité de matériels engagés. Comment la direction générale de l’armement (DGA) envisage-t-elle, dans ce nouveau contexte, l’évolution de nos capacités ? Enfin, pour gagner de la masse et de l’épaisseur et pour être toujours tiré en avant par l’innovation, il faut arriver à embarquer nos industriels, qui doivent produire plus, mieux, plus vite et à des prix raisonnables – c’est tout l’enjeu de l’économie de guerre. Quelles sont les pistes en la matière ?

 

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. C’est un plaisir pour moi de venir pour la deuxième fois en tant que délégué général pour l’armement devant votre commission.

 

Il faut effectivement prendre certaines précautions afin d’éviter des conclusions hâtives, mais certaines observations peuvent déjà être faites. Le retour d’expérience (retex) que je vous présenterai concerne uniquement les questions propres à la DGA, à savoir les enjeux capacitaires et les leçons à tirer sur le plan de l’équipement et de la politique industrielle de défense. Le retour d’expérience sur le plan opérationnel ne relève pas de la DGA, même si nous échangeons beaucoup sur cette question avec les forces. Par ailleurs, je peux tout de suite vous dire que la qualité des matériels livrés par la France est unanimement saluée.

 

Le conflit en cours est finalement assez classique. Il nous apporte des confirmations quant aux équipements que nous avions déjà identifiés comme des facteurs de supériorité opérationnelle. Il y a tout de même eu quelques surprises : on s’attendait à voir un peu plus de ce matériel russe hautement sophistiqué dont on nous avait vanté pendant des années les capacités redoutables. Je pense en particulier au char T-14 Armata, que l’on n’a pas encore vu, à ma connaissance, sur le théâtre d’opérations.

 

La guerre en Ukraine est marquée par une combinaison d’armements assez classiques et de démarches ou d’outils plus innovants, comme la désinformation et les attaques cyber, qui viennent en coordination ou en soutien des actions cinétiques sur le terrain. Certains équipements militaires se distinguent, sans que cela constitue pour autant des surprises.

 

Tout d’abord, les drones jouent un rôle majeur, comme dans d’autres conflits que nous observons depuis des années, ce qui a d’ailleurs conduit à une accélération de l’équipement et de l’entraînement des forces françaises en la matière. En Ukraine, les minidrones et les microdrones servent d’œil déporté, d’outil en matière de renseignement, d’alerte, d’observation, d’orientation du commandement et de conduite des feux, en combinaison avec des manœuvres qui constituent davantage une surprise – mais j’imagine que l’état-major des armées vous a éclairés sur ce sujet. Les drones tactiques armés jouent aussi un rôle important, notamment ceux utilisés sous forme de munitions rôdeuses, les Shahed iraniens et les Switchblade. C’est le premier conflit au cours duquel on observe un usage aussi important de ces munitions rôdeuses, téléopérées, qui ont l’avantage de ne pas coûter très cher mais ne sont pas d’une grande précision.

 

Par ailleurs, on voit bien l’importance de la défense sol-air, dont le caractère multicouches permet d’assurer une protection performante des points les plus sensibles et de créer une incertitude permanente pour l’adversaire, au plus près de ses forces, ce qui rend fortement risqué et complexe l’emploi de ses moyens, grâce à une combinaison entre des solutions de défense sol-air statiques et d’autres qui sont mobiles. Les capacités de frappe sol-sol, dans la profondeur, sont largement utilisées. Tout cela nous incite à entamer une réflexion sur nos moyens en vue de combiner les effets sol-sol et les effets air-sol.

 

Les écoutes électroniques et le brouillage sont utilisés d’une manière généralisée, des deux côtés, pour perturber les outils de positionnement par GPS, de navigation et de communication, notamment par satellite, ainsi que pour réaliser des interceptions. On a vu aussi, surtout du côté russe, l’importance que revêtent les moyens logistiques, dans tous les domaines – le transport par voie routière ou fluviale, le stockage et sa protection, la réparation rapide du matériel et l’aménagement du terrain.

 

Enfin, il y a la guerre cognitive et la désinformation, dont nous avions déjà parlé lorsque je dirigeais l’AID (Agence de l’innovation de défense). La dimension que prennent les manœuvres d’influence et de saturation des réseaux sociaux met en évidence la nécessité pour la France de disposer de ses propres moyens d’analyse, de compréhension et de réfutation – ce qu’on appelle la lutte informatique d’influence – qui permet notamment de lutter contre les fake news opérationnelles.

 

On a également assisté, je l’ai dit, à des surprises. Nous nous attendions à un usage bien plus important de la robotique terrestre du côté russe. Les engins les plus sophistiqués n’ont pas non plus été utilisés, alors qu’on identifiait il y a quelques années le T-14 Armata comme la menace ultime.

 

Ce qui apparaît comme un facteur différenciant est plutôt la robustesse des systèmes, puisque la guerre en Ukraine marque le renouveau des conflits qui génèrent une forte attrition des matériels. Cette attrition n’est pas une surprise, s’agissant d’un conflit de haute intensité, mais elle constitue un défi majeur. Pour y faire face, il faut jouer sur plusieurs facteurs : le volume des forces, leur protection, la robustesse et la disponibilité des systèmes – qui ne sont pas incompatibles du tout avec leur sophistication ; un système sophistiqué peut être robuste, alors qu’une partie du matériel russe a été abandonnée en raison de pannes, de manque de carburant ou d’embourbement par exemple – ou encore la capacité à faire des réparations au plus près des unités et enfin la disponibilité de l’outil de production pour reconstituer les masses, ce qui constitue un véritable défi pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD).

 

C’est ce constat qui a conduit le ministre des armées à lancer, dès septembre, des travaux relatifs à l’économie de guerre, dans un format assez inédit, réunissant des représentants des industries de la DGA, les états-majors et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, pour poser les bases de la discussion. Plusieurs groupes de travail, auxquels participent l’état-major des armées, la DGA et le Conseil des industries de défense françaises (Cidef) ont vu le jour, sur cinq thèmes : la conduite des opérations d’armement ; la chaîne de sous-traitance et la constitution de stocks, qui vont de pair avec la relocalisation des filières ; les ressources humaines ; la simplification des réglementations et des normes ; et enfin la question de nos vulnérabilités, en particulier à l’égard des attaques cyber et du sabotage. Les objectifs étaient d’améliorer la réactivité de notre outil industriel, de recompléter nos parcs de munitions et systèmes d’armes, d’être en capacité de répondre aux besoins des armées dans le cadre d’un conflit de haute intensité et de remettre les enjeux de production au cœur des préoccupations du ministère et des industriels, tout en maîtrisant l’impact sur la programmation militaire.

 

Nous avons identifié des équipements prioritaires pour lesquels des efforts particuliers doivent être faits. J’en suis désolé, mais la liste de ces équipements n’est pas publique, et je ne pourrai donc pas répondre précisément à vos questions sur ce point. Il s’agit principalement de matériels terrestres et de munitions.

 

Des solutions ont d’ores et déjà émergé dans certains domaines. Un plan commun a ainsi été établi entre la DGA, le Cidef et l’état-major pour simplifier la conduite des opérations d’armement. Il commence à s’appliquer, mais ne pourra aboutir que si l’industrie nous suit et qu’elle est fortement impliquée à nos côtés. Nous avons identifié les opérations d’armement pouvant faire l’objet de mesures de simplification – réduction des exigences, limitation de la documentation et relâchement, toujours prudent, car il existe quand même des lignes rouges, de certaines contraintes réglementaires. Un objectif de réduction de la documentation de 20 % nous semble ainsi tout à fait atteignable pour certains programmes. Nous essayons de trouver des solutions concrètes, rapides et simples à mettre en œuvre.

 

À moyen terme, nous ferons un retour d’expérience commun sur plusieurs aspects de la conduite des opérations d’armement, en particulier la mise en œuvre de l’instruction ministérielle n° 1618 et l’analyse de la valeur. Nous continuerons aussi à explorer de nouvelles possibilités en matière contractuelle : la mise en place de jalons de décision dans les contrats ; l’exploitation de certaines dispositions du code de la commande publique, comme les lettres de commande en cas d’urgence et les accords-cadres pour des approvisionnements de long terme, qui peuvent favoriser la montée en cadence de l’outil de production ; l’utilisation de clauses relatives à la sécurité de l’approvisionnement, aux pénuries de composants ou à l’augmentation imprévisible de certains coûts ; et la possibilité, en cas d’urgence, d’un allègement des clauses de réception. Tout cela concerne aussi bien les industriels que le ministère.

 

J’en viens au renforcement de la résilience de l’outil productif. Notre objectif est d’aider les industriels. Le service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE) est ainsi chargé de cartographier la BITD et de mener, aux côtés des industriels, des travaux d’identification en profondeur des sous-traitants critiques et des dépendances qu’aurait la chaîne de sous-traitance à l’égard d’approvisionnements étrangers. Il s’agit de sécuriser les chaînes, d’identifier les nœuds limitants dans les délais de production des systèmes et de déterminer les investissements à faire si on veut accélérer. Il ne sert à rien de donner de la visibilité à nos industriels si un acteur critique, au deuxième ou troisième rang de la chaîne de sous-traitance, est incapable de fournir en temps et en heure ce qu’on attend de lui ! Or, je le dis en toute transparence, certains grands maîtres d’œuvre industriels ne connaissent pas suffisamment leurs chaînes de sous-traitance. C’est notre rôle de les aider à y parvenir et de donner de la visibilité aux sous-traitants.

 

En ce qui concerne la sécurisation des approvisionnements, la cartographie que j’ai évoquée vise notamment à identifier les dépendances étrangères en matière d’approvisionnement et de production. La réponse est dans la diversification des sources. La création de l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles, grâce à un financement venant à 60 % de France 2030 et à 40 % des industriels, en particulier le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), devrait nous permettre d’avancer.

 

La constitution de stocks industriels était encore considérée il y a peu comme relevant d’une mauvaise gestion. C’est donc un pivot de leur raisonnement que nous demandons aux industriels de changer. Le Gifas est en train de constituer un stock de six mois pour le titane, sur financement industriel, et nous sommes en travailler sur la constitution d’autres stocks.

 

Nous nous efforçons également de relocaliser, dès que possible, certaines filières. Je pense en particulier à la poudre noire servant à la fabrication de nos obus de gros calibre, aux corps de bombe et, même si cela peut paraître assez ésotérique, aux baguettes de soudage pour les aciers de plateformes navales.

 

Je termine par la mise en place d’une équipe d’excellence industrielle au sein de la DGA. Dès la fin de cette année, en cohérence avec notre plan de transformation, qui fait actuellement l’objet d’intenses travaux, nous mobiliserons les équipes du S2IE pour vérifier que les mesures décidées pour améliorer notre réactivité en matière de production ont bien été mises en place par les industriels et que les améliorations prévues pour renforcer les chaînes de sous-traitance trouvent une traduction concrète. Outre son rôle d’accompagnement et de soutien, la DGA peut en effet avoir une mission de surveillance de notre BITD. De même que les banques réalisent des stress tests, nous allons aussi procéder à des tests de montée en cadence, afin de vérifier que l’ensemble de la chaîne de production est capable de répondre aux accélérations qui pourraient être nécessaires.

 

Toutes les mesures prises visent à renforcer nos capacités industrielles pour nous permettre de répondre, à la lumière du retex d’Ukraine, aux besoins des forces dans un contexte d’engagement majeur de haute intensité. À cette fin, nous allons mobiliser toutes nos équipes sur le long terme.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux orateurs des groupes.

 

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je vous remercie, au nom du groupe Renaissance, pour cette présentation très intéressante.

 

Depuis le 24 février, la guerre a fait son retour sur le continent européen. Si plusieurs conflits dits de haute intensité avaient déjà eu lieu au cours des quinze dernières années, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque un tournant. Elle fait basculer le continent européen dans une situation inédite, celle d’un conflit à proximité et de haute intensité. Comme le dit le chef d’état-major des armées, « nous avons changé d’époque, d’échelle et d’enjeux ».

 

Après neuf mois de conflit, et malgré l’ampleur de son engagement, l’armée russe est tenue en échec. Si le nombre de morts est difficile à estimer, un constat est toutefois clair : l’armée ukrainienne résiste bien aux offensives russes et reprend même de nombreux territoires, villes et métropoles.

 

C’est en particulier sur le terrain de la défense aérienne que les offensives russes ont, dans un premier temps, été mises en échec. Par ailleurs, la France s’est engagée aux côtés de l’armée ukrainienne en envoyant notamment des canons Caesar et des missiles Milan et Mistral. Je tiens à réaffirmer, au nom de mon groupe, notre soutien aux soldats et à l’ensemble du peuple de l’Ukraine.

 

L’un des enseignements de la crise est l’importance des systèmes de défense sol-air. On voit bien qu’une bulle de protection antimissiles et contre toute sorte d’engins aériens est un élément essentiel dans un conflit de haute intensité. Les combats à l’aéroport de Hostomel ont démontré que la défense de l’espace aérien était vitale. Quant aux actions au sol, le rôle joué par les canons Caesar illustre à quel point on avait sous-estimé l’importance de l’artillerie dans les combats d’aujourd’hui et de demain. Bien que d’un coût très faible, ces canons ont une précision extraordinaire – elle est d’un mètre à plus de trente kilomètres de distance. Seul bémol, leur portée est limitée. Des études sont en cours depuis plusieurs années concernant des canons électromagnétiques qui pourraient avoir une portée de plusieurs centaines de kilomètres ; grâce à une vitesse prodigieuse, l’impact des obus serait phénoménal. Où en sont les recherches menées en France et à l’étranger sur cette technologie d’avenir ?

 

Mme Caroline Colombier (RN). La guerre qui s’enlise à l’Est est une mine inédite de leçons opérationnelles et capacitaires. C’est le premier exemple de conflit conventionnel de haute intensité au XXIe siècle. Les pertes en hommes et en matériel ont conduit le Kremlin à réajuster les programmes d’armement en cours pour concentrer l’effort de guerre sur des matériels économiques, efficaces et produits rapidement.

 

Plusieurs phénomènes méritent notre attention : l’utilisation massive de l’artillerie et de drones de petite facture, la fragilité de l’arme blindée et des chars lourds, le rôle déterminant de la défense sol-air, l’importance du continuum logistique et bien d’autres éléments qui font parfois penser, paradoxalement, à une sorte de retour de la guerre de 14-18.

 

Afin de s’adapter à ce type de conflit, une réévaluation de la stratégie et des priorités est-elle en cours au sein de la DGA ?

 

S’agissant de la défense sol-air, très utilisée en Ukraine, d’autres systèmes que le Mistral, de très courte portée, sont-ils envisagés par vos services ?

 

Enfin, en matière d’économie de guerre, à combien estimez-vous, à la suite de la réunion du 21 novembre dernier en présence du ministre des armées, le nombre d’ouvriers aux compétences rares, comme les chaudronniers et les soudeurs, qu’il faudrait former pour répondre à un conflit nécessitant une rapide montée en puissance de nos entreprises ?

 

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous nous avez dit, à juste titre, que vous ne pouviez nous délivrer des informations relevant du secret-défense. On peut donc s’interroger dès lors l’utilité du huis clos ? Par ailleurs, où en est le projet de système de combat aérien du futur (Scaf) ? Celui-ci a fait l’actualité, y compris hier dans l’hémicycle. Votre éclairage pourrait être utile à la commission, sans attendre de vous auditionner spécifiquement sur ce point.

 

Nous avons voté un fonds national de 200 millions d’euros mis à la disposition de l’armée ukrainienne pour l’achat de matériel français. Quels équipements pourront-ils obtenir ? Un grand nombre d’équipements pour combattants ont été livrés à l’armée ukrainienne. Quelle est la part issue des stocks nationaux ? Quels effets cela pourrait-il avoir sur nos propres armées ?

 

Selon certaines estimations, un jour de guerre en Ukraine équivaut en consommation de munitions à ce que fut un mois de guerre en Afghanistan. Les Américains ont ainsi livré 8 500 missiles Javelin, ce qui représente dix années de production et un tiers de leur stock. Les quantités en jeu sont massives. La robustesse ne s’oppose pas à la sophistication, avez-vous dit ; mais, au vu des coûts, la sophistication risque de s’opposer à la massification ! Quel ratio préconisez-vous entre rusticité et hypersophistication ?

 

Les industriels ont besoin de garanties avant d’augmenter le nombre de leurs chaînes de production et de modifier leur manière de travailler afin de produire plus. Des lettres d’engagement ont été envoyées par le ministère pour les rassurer. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les chiffrages budgétaires se trouvent-ils dans le cadre du projet de loi de finances ou de la loi de programmation militaire (LPM) ? Quels seront les équipements concernés ? Une concertation est-elle prévue ?

 

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le conflit en Ukraine permet de mesurer l’importance de la défense antiaérienne, en particulier de sa composante sol-air. Comment la DGA analyse-t-elle la proposition allemande concernant le European Sky Shield ? Surtout, quelle stratégie industrielle sous-jacente percevez-vous ? Il s’agit de missiles israéliens et de Patriot. On ne sait pas très bien à quoi ressemblera le C2 (commandement et contrôle). La réponse industrielle allemande ne pourrait sans doute intervenir qu’en basse couche. Les Allemands tentent-ils de prendre la main sur le maintien en condition opérationnelle, ou bien leur démarche est-elle exclusivement politique ?

 

L’innovation vous est chère, comme l’attestent vos précédentes fonctions au sein de l’Agence de l’innovation de défense. Dans le cadre de la mission flash sur la défense sol-air que Natalia Pouzyreff et moi-même menons, plusieurs de nos interlocuteurs du côté opérationnel ont regretté la difficulté de faire passer à l’échelle les résultats d’appels à projets concernant des produits innovants. Je pense par exemple, dans la lutte antidrones, aux produits d’entreprises françaises telles que MC2 Technologies et CILAS. Quelle politique menez-vous pour permettre le passage à l’échelle de produits innovants ? Il faut éviter que le code des marchés publics empêche certaines pépites de la BITD de profiter de ces possibilités.

 

L’idée d’un crédit d’impôt recherche vert se développe. Un tel dispositif affecterait-il la BITD ? Faudrait-il créer un crédit d’impôt recherche défense et souveraineté, idée chère à Mounir Belhamiti ?

 

M. Vincent Bru (Dem). Voilà plus de neuf mois que la guerre en Ukraine a commencé. Avec ce conflit se déroulant sur le territoire de l’Europe, nous avons pris conscience, si besoin était, de la nécessité de réfléchir à l’adaptation du modèle capacitaire de nos armées, en particulier au regard de l’hypothèse d’un engagement majeur et d’une guerre de haute intensité. Le groupe Démocrate est particulièrement soucieux d’appréhender au mieux le retour d’expérience de la guerre en Ukraine, notamment dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire.

 

Dans un conflit de haute intensité et de longue durée, lorsque nous n’avons pas la suprématie aérienne et que le ravitaillement par avion ou hélicoptère n’est pas possible sur le plan logistique, dans la profondeur d’un dispositif adverse structuré, quel dispositif peut-on envisager pour ravitailler nos militaires ?

 

S’agissant des munitions, le général de Villiers a affirmé, lors d’entretiens récents, que l’armée française ne pourrait tenir que quelques jours dans le cadre d’un conflit de haute intensité. En mai 2020, le général Burkhard avait signalé la fragilité des stocks de munitions et affirmé que nos ennemis auraient comme priorité de nous empêcher de reconstituer nos réserves. Quelle est la situation en matière de production de munitions ? Quelles perspectives donnez-vous pour lutter contre le déficit constaté ? Comptez-vous favoriser la production sur le territoire national ? Il faut, en particulier, alléger le poids des normes en la matière.

 

Le 29 octobre, à Sébastopol, la flotte russe a été attaquée par des engins de surface et des drones aériens. Cet épisode souligne l’importance d’un dispositif de drones armés pour les opérations militaires. La France, comme l’avait annoncé l’ancienne ministre des armées, Florence Parly, s’est engagée depuis 2017 à se doter de drones armés. Quelles sont les perspectives d’évolution de la dotation en la matière ? Quel est l’état des stocks de munitions pour ces équipements ?

 

M. Loïc Kervran (HOR). Je ne saurais commencer sans saluer les équipes de la DGA Techniques terrestres, à Bourges. La DGA façonne littéralement le territoire de ma circonscription, coupée en deux par un polygone de tir d’une quarantaine de kilomètres.

 

Il est extrêmement intéressant, notamment dans la perspective d’une économie de guerre et d’une évolution des normes, de voir comment les Ukrainiens utilisent le matériel que nous leur avons cédé. Par exemple, utilisent-ils les mêmes munitions que nous pour le canon Caesar ? Dans quelles conditions emploient-ils ce dernier ? À partir de combien de coups changent-ils le tube ? Quelle comparaison établissez-vous avec nos propres règles d’emploi ?

 

En effet, les réponses à ces questions conditionnent notre propre réflexion. Après avoir vu ce que font les autres en conditions de guerre, ne pouvons-nous pas alléger les normes que nous nous appliquons, reconsidérer les quantités de matériel ou certaines questions de sûreté de fonctionnement ? De même – ce qui nous ramène au rapport entre la robustesse et la sophistication – le Crotale NG, par exemple, ne fait-il pas suffisamment bien le travail, avons-nous besoin de systèmes plus évolués comme le Samp/T ? Autrement dit, au-delà de la qualité de nos matériels, y a-t-il d’autres retours d’expérience de l’utilisation qu’en ont faite les Ukrainiens ?

 

M. Emmanuel Chiva. Commençons avec le canon électromagnétique. Pour ceux qui ne seraient pas entièrement au fait, je précise que, très grossièrement, il s’agit d’envoyer un projectile entre deux rails dans lesquels on fait circuler une différence de potentiel électrique très importante. La charge n’est pas explosive mais elle va tellement vite qu’elle ionise l’atmosphère – c’est pour cela que l’on voit une traînée de flammes. Elle peut parcourir jusqu’à 600 kilomètres. J’ai assisté à une démonstration : un petit palet en caoutchouc sort du canon avec une force de 100 000 G, ce qui lui permet de percer un blindage épais à l’arrivée.

 

C’est donc une arme extrêmement intéressante, qu’un nombre restreint de pays sont capables de développer. La France en fait partie, avec les États-Unis et le Japon – nous avons d’ailleurs entamé une coopération avec ce dernier. Un prototype a été réalisé à l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL). Cet organisme est un joyau dans plusieurs domaines, dont la détonique et la pyrotechnie.

 

Le défi, s’agissant de l’avenir de cette technologie, réside dans le passage à l’échelle. Plusieurs déclinaisons du canon électromagnétique peuvent être envisagées. Celle dont je vous ai parlé serait plutôt placée sur une plateforme navale. En effet, lorsqu’on a besoin d’un mur entier de condensateurs pour pouvoir stocker et libérer une grande quantité d’énergie de manière quasi instantanée – comme c’est le cas, d’une façon générale, pour les armes à énergie dirigée, qu’il s’agisse de lasers ou de systèmes électromagnétiques – cela suppose des infrastructures adaptées. Toutes les pistes sont à l’étude, y compris celle du nouveau nucléaire.

 

En revanche, quand on cible plutôt des objectifs situés à une trentaine de kilomètres, on peut envisager l’intégration de cette arme sur une plateforme terrestre, autrement dit sur un camion. Il est possible d’utiliser comme munitions des obus flèches classiques non explosifs, ce qui facilite la fabrication. Un projet est en cours à l’ISL. Cela fait partie des démonstrateurs « signants », des dispositifs que nous souhaitons introduire dans la nouvelle loi de programmation militaire, qui a certes pour objet de permettre la remontée en puissance de nos armées, mais aussi d’éclairer l’avenir : il s’agit de préparer les guerres du futur avec du matériel de demain et non d’hier ou d’aujourd’hui. Nous aimerions accélérer un peu la feuille de route en la matière.

 

Madame Colombier, je vous confirme que certaines fragilités ont été observées concernant le matériel. Cela dit, on ne saurait comparer un char Leclerc et un T-72 ou un T-80. Les chars utilisés par les Russes n’ont pas de système de protection hard kill-soft kill. Ce ne sont pas des T-14 Armata : les blindés détruits sont des appareils anciens, rustiques et dont les vulnérabilités sont connues – notamment des Ukrainiens, qui ont les mêmes…

 

Il n’en demeure pas moins que la loi de programmation militaire pourra être amenée à réévaluer certains dispositifs à l’aune de ce retour d’expérience.

 

L’élaboration de la LPM nous occupe énormément en ce moment. À ce stade, toutes les pistes restent ouvertes. Nous n’en sommes pas à décider si tel ou tel programme sera accéléré ou bien ralenti. Les travaux sont en cours, il appartiendra au Président de la République de valider les grandes orientations. Ensuite, nous nous occuperons de la mise en œuvre, sous l’autorité du Ministre des Armées.

 

La composante sol-air est un autre domaine dans lequel la guerre en Ukraine impose une réévaluation. Plusieurs programmes sont en cours. L’un d’entre eux répond aux besoins de la défense antiaérienne terrestre et navale.

 

En ce qui concerne les compétences, certains métiers sont critiques. Hier, par exemple, à DGA Techniques hydrodynamiques, j’ai rencontré un modeleur, qui confectionne les maquettes des futurs systèmes sous-marins et navals. C’est une compétence qui se perd et cette personne, qui travaille pour la DGA depuis trente ans, essaie désormais de former de nouveaux arrivants. Nous nous efforçons, dans certains domaines, de compenser les pertes de compétences, notamment en utilisant les technologies nouvelles, par exemple la fabrication additive. Nous avons également engagé une réflexion concernant une « réserve industrielle », qui serait un renfort en ressources humaines. Les travaux relatifs aux différentes réserves existantes au ministère des Armées ont été lancés il y a deux semaines dans le cadre du groupe de travail ad hoc auquel le Parlement participe. Un second groupe de travail rassemblant l’EMA, la DGA et les industriels de l’armement a été créé pour envisager la création d’une réserve industrielle.

 

Monsieur Lachaud, si j’ai demandé le huis clos, ce n’est pas pour révéler des informations classées secret défense, mais pour disposer d’une certaine liberté de ton et aller beaucoup plus loin que je ne le ferais si l’audition était retransmise en direct. Nous avons fait la même chose au Sénat. Vous avez donc raison de souligner que, malgré le huis clos, je ne saurais fournir des réponses classifiées.

 

J’en viens au Scaf, qui m’occupe également énormément. Nous ne sommes pas très éloignés d’une convergence s’agissant du premier pilier, à savoir le New Generation Fighter – l’avion de nouvelle génération, à l’intérieur d’un système d’armes de combat aérien, c’est-à-dire avec des drones accompagnateurs et un cloud de combat, l’ensemble constituant le Scaf : New Generation Weapon System (NGWS) within a Future Combat Air System (FCAS).

 

Pour le premier pilier, la France est leader. Je ne blâme pas les industriels qui travaillaient ensemble à parvenir à un équilibre cohérent dans la répartition de la charge de travail.

 

L’enjeu est de signer le sous-contrat du premier pilier, qui a des rapports avec le troisième et le quatrième pilier, à savoir le démonstrateur de drones d’accompagnement et le cloud de combat. Les discussions entre Airbus et Dassault ont repris au début du mois de septembre. Selon moi, elles ont abouti. Des discussions supplémentaires ont eu lieu avec les motoristes. Là encore, à mes yeux, elles ont abouti. D’autres discussions concernant le troisième et le quatrième pilier, avec Thales, MBDA et Dassault, notamment, sont sur le point d’aboutir. La notification du contrat me paraît donc imminente. Nous ne sommes pas à l’origine de la communication qui a été déployée au cours des deux dernières semaines. La France met tout en œuvre pour que la signature intervienne de façon imminente.

 

La lettre d’intention, ou Intention to proceed, permet à l’industriel de se préparer : on lui indique qu’il recevra la commande d’un certain type de matériel au plus tard à telle ou telle date. Il ne s’agit pas d’une garantie d’ailleurs ce n’est pas la demande des industriels, ce que les industriels nous avaient demandé, c’était de la visibilité. Nous leur en avons donné, après une concertation, tout en leur demandant expressément de faire en sorte que tous leurs sous-traitants en profitent également, y compris ceux de troisième ou de quatrième rangs – car des groupes comme Thales, MBDA ou Nexter vont jusqu’à ce niveau. Nous souhaitons aussi que la DGA en bénéficie aussi en retour, c’est-à-dire qu’elle ait une vision en profondeur de la chaine de sous-traitance qui travaille avec le maître d’œuvre industriel. Nous avons beaucoup travaillé sur la question, notamment avec le Cidef. Après les lettres d’intention, il y aura les lettres de commande, qui permettront d’accélérer les dépenses prévues par la LPM 2019-2025.

 

 

J’en viens à l’alternative entre robustesse et masse. Si l’on opte pour la masse, il convient effectivement de diminuer les coûts et de réaliser des systèmes plus simples. Toutefois il ne faut pas opposer les deux notions.

Par exemple, deux appels à projets ont été lancés, Colibri et Larinae, visant à explorer l’usage de munitions téléopérées ou rôdeuses – pour Colibri : neutralisation d’une menace blindée à 5 kilomètres de distance avec une autonomie sur zone de 30 minutes, et pour Larinae : neutralisation à 50 kilomètres avec une heure d’autonomie. Nous voulions des systèmes simples, pas trop chers, avec lesquels il serait facile de s’entraîner et rapidement opérationnels, à horizon respectif de douze et dix-huit mois pour une première démonstration.

 

Tel est le cahier des charges qui a été communiqué aux industriels. Il s’agit d’une nouvelle manière de faire, dont je souhaite qu’elle se poursuive : un cahier de clauses techniques de mille pages s’impose certes quand on commande un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, mais pour des munitions rôdeuses ou des capacités plus simples, de façon générale, il nous faut des modes d’actions plus souples et efficaces. Nous laissons la créativité aux entreprises – et les PME en ont beaucoup. Aux industriels de s’unir et de nous faire des propositions ! Cela a très bien marché : nous avons reçu au total une trentaine de réponses. J’ai bon espoir de renouveler ce type de démarche dans d’autres domaines afin de renforcer l’analyse de la valeur.

 

L’European Sky Shield Initiative (ESSI) est effectivement un projet un peu surprenant. La France est en mesure de répondre à plusieurs domaines de protection visés par l’ESSI : très courte, courte et moyenne portée, et intercepteurs endo-atmosphériques. Je ne reviens pas sur les capacités d’alerte avancée.

 

Actuellement les Arrow 3 israéliens et des Iris-T allemands ne peuvent pas répondre aux besoins, dans la mesure où il n’y a pas d’interface permettant d’interconnecter ces systèmes opérationnels avec une structure unifiée en termes de C2, contrairement aux solutions françaises, qui disposent déjà des interfaces de programmation nécessaires.

 

Même si d’autres États ont choisi de signer la lettre – ce qui ne constitue d’ailleurs pas un engagement en soi – la France a décidé de ne pas le faire. L’exigence d’interconnectivité suppose de revenir vers la Commission européenne et l’Otan. Je rappelle à ce propos que l’interopérabilité, ce n’est pas une « ITAR-opérabilité » (International Traffic in Arms Regulations) et que nous ne sommes pas obligés de prendre du matériel américain pour répondre à cet impératif.

 

Il importe donc de pouvoir proposer des solutions, non seulement françaises mais européennes, et de construire ensemble un système de défense aérienne souverain et interopérable. Nous verrons si l’ESSI peut répondre à cette ambition.

 

Concernant le passage à l’échelle des innovations, un certain nombre de progrès ont été accomplis, notamment à grâce à la sécurisation de flux financiers, consacrés au passage à l’échelle dans les programmes budgétaires 146 et 178. En 2022 tous les crédits alloués ont été consommés.

 

Je rappelle que la décision de passage à l’échelle, est prise dans le cadre d’une instance qui s’appelle le Comité de gestion du passage à l’échelle qui réunit l’AID, l’EMA et la DGA. Les projets susceptibles de passer à l’échelle font ainsi l’objet d’une décision collégiale après une instruction portant non seulement sur leur intérêt mais aussi sur les obstacles réglementaires et normatifs qui pourraient se présenter. Nous disposons donc de nouveaux outils pour amplifier le passage à l’échelle.

 

Nous souhaitons développer les démonstrateurs signants que j’ai évoqués tout à l’heure, qui permettront le passage à l’échelle des technologies innovantes. L’actuelle LPM a fait passer les crédits pour l’innovation de 730 millions à 1 milliard mais nous devrons aller plus loin. Là encore, l’urgence de la crise que nous connaissons ne doit pas nous empêcher de préparer l’avenir, ce qui est aussi la mission de la DGA.

 

Je ne sais pas ce qu’il en sera précisément du crédit d’impôt recherche (CIR) vert mais, en tant qu’ancien entrepreneur, je peux vous assurer de l’utilité d’un tel dispositif, bien qu’il y ait eu des abus. Pourquoi pas un CIR défense, en effet ? Mais nous cherchons également d’autres solutions, tant il importe de trouver des moyens pour financer les entreprises de défense. Peut-être pourrons-nous d’ailleurs revenir sur la taxonomie car, pendant que nous regardons vers l’Ukraine, quelques lobbies œuvrent à Bruxelles pour expliquer que les armes, c’est la mort et qu’il n’est pas possible de financer la mort, ni donc nos industriels. Une grande banque a encore refusé récemment de financer une PME sous prétexte qu’elle contribue à un programme d’armement.

 

Je ne pourrai guère répondre aux questions concernant le ravitaillement, qui relèvent du domaine opérationnel. Un certain nombre de moyens permettent d’assurer la continuité des chaînes d’approvisionnement et de ravitaillement. Il est certes possible de faire mieux, par exemple avec le ravitaillement par drones

 

S’agissant des concepts d’emploi et d’opérationnalité, nous attendons des éclairages de la part de des forces armées, avec lesquelles nous souhaitons accroître nos échanges. Je n’ai évidemment pas la légitimité pour parler au nom de l’état-major des armées mais la DGA souhaite continuer à envoyer des ingénieurs au sein des forces armées, à faire venir des industriels en son propre sein et à faire en sorte que ces nombreux allers soient accompagnés de retours, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour le moment.

 

Nous réfléchissons également à des mesures complémentaires. Par exemple, des sous-officiers ou officiers mariniers, mis à disposition en troisième partie de carrière, pourraient irriguer les différents centres et les équipes de programmes. Il importe que les jeunes ingénieurs, qui n’ont pas fait de service militaire, puissent être confrontés aux réalités du terrain.

 

Je ne me prononcerai pas sur les propos auxquels vous faites référence.

 

La reconstitution d’un certain nombre de stocks, notamment de munitions, est l’enjeu de l’économie de guerre. Cela n’est pas facile, comme nous avons pu le constater avec le Président de la République lors de la visite de l’usine Nexter. Comment faire en sorte d’aller plus vite ? Les étapes de coulage constituent forcément des goulots d’étranglement ; les matériels sont très onéreux et constituent autant de points de passage complexes. Le doublement des chaînes d’assemblage et de montage nécessiterait plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement, mais à la charge de qui ? La question n’est pas encore tranchée. Nous réfléchissons également à l’utilisation d’autres chaînes de production, à l’étranger, pour accélérer les cadences en France.

 

Je rappelle que, ces vingt dernières années, les questions liées aux stocks et à la production n’étaient pas à l’ordre du jour de la politique industrielle. Les stocks étaient synonymes de mauvaise gestion. Quant à la production, elle ne présentait pas autant d’intérêt que les enjeux de recherche et développement. Nous nous rendons compte aujourd’hui que la production a été délaissée. Le chantier sur l’économie de guerre ouvert par le Ministre des armées nous permet de remettre ce sujet sur le devant de la scène.

 

Quelques exemples de commandes de munitions pour 2023 : 20 missiles Exocet MM40, 200 missiles moyenne portée, 118 missiles Aster et 100 missiles Aster 30 pour FDI. Parmi les livraisons : des missiles de croisière Scalp-EG rénovés, une vingtaine de torpilles lourdes Artémis, des missiles Exocet, des postes de tir MMP et les munitions associées, 77 missiles air-air Mica – missile d'interception, de combat et d'autodéfense – remotorisés. Des commandes sont également en cours de notification, en particulier s’agissant du missile Mistral.

 

Quid de la relocalisation de la filière de munitions de petits calibres ? Pendant des années, la réponse a été négative puisqu’il était possible de recourir à des fournisseurs facilement accessibles. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, le Ministère des Armées considère qu’il est temps au moins de se poser à nouveau la question.

 

Plusieurs systèmes de drones sont armés ou en passe de l’être. Des essais de tir de Reaper se sont déroulés il y a un mois sur la base de la DGA Essais en vol de Cazaux. À ce propos, nous sommes très fiers de nos deux spationautes, Sophie Adenot et Arnaud Prost, qui sont issus ou passés par la DGA – car je précise que l’armée de l’air ne dispose pas de centre d’essais en vol !

 

Des travaux sont également réalisés dans le cadre du programme Eurodrone.

 

Enfin, le système de drone tactique (SDT), qui remplace le système de drone tactique intérimaire (SDTI), cible la réalisation de cinq systèmes opérationnels. La crise actuelle nous pousse à en accélérer la phase d’armement. Ce programme a été un peu ralenti suite à un crash lors d’un essai industriel. Il est certes toujours possible de simplifier les certifications et les conditions d’essais, mais à condition de ne rien sacrifier à la sécurité.

 

Bref, nous ne sommes pas du tout en retard en matière d’armement des drones.

 

DGA Techniques terrestres mène aussi un certain nombre d’études sur des projets innovants, notamment dans le cadre du programme Avatar : il est ainsi possible d’armer des microdrones avec des HK416 en capacité déportée et téléopérée. Des essais sont en cours de réalisation.

 

Enfin, s’agissant des munitions, leurs conditions d’utilisation ne sont pas toujours « bijectives » avec celles qui ont été imaginées lors de la spécification des systèmes. Nous sommes donc amenés à remettre en question tout le processus d’analyse de la valeur que nous souhaitons réaliser. Ainsi, il existe un processus de muratisation des munitions, qui vise à faire en sorte qu’en cas de chute par exemple, elles ne puissent pas exploser ni être dégradées. Toutes les munitions doivent-elles être pour autant muratisées ? Dans le domaine naval, c’est une évidence. Dans le domaine terrestre, tout dépend du concept d’emploi : dans une guerre de très haute intensité, préfère-t-on ne pas avoir de munitions ou prendre le risque, parfois, d’un accident ? Ce n’est pas à moi de répondre. Ce risque, quoi qu’il en soit, doit être partagé entre l’autorité technique – la DGA – et l’autorité d’emploi – le ministère des armées. D’où la nécessité d’accroître notre surface d’échange.

 

L’analyse de la valeur doit aussi nous permettre de remettre à plat nos exigences. Un certain système d’armes a ainsi été conçu pour être parfaitement optimal et fonctionner de manière nominale jusqu’à – 35°. Est-ce important s’il fonctionne nominalement jusqu’à – 25° et qu’entre – 25° et – 35°, il fonctionne moins bien ? Si cela ne l’est pas, nous réaliserons en l’espèce une économie de production de 30 %. Il importe donc de systématiser ce questionnement pour l’ensemble de nos systèmes afin de connaître les lignes rouges et les compromis possibles. Il en est de même pour les essais, les certifications et les normes.

 

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Un rapprochement entre les systèmes concurrents Tempest et Scaf est-il envisageable ? Pourraient-ils même être contraints de fusionner ?

 

M. Emmanuel Chiva. La coopération avec nos partenaires britanniques est importante et a de l’avenir. Brexit il y a, certes, mais les accords de Lancaster House demeurent. Nous avons face à nous des gens compétents, qui n’ont jamais cessé d’affirmer leur volonté de travailler ensemble dans le domaine de la défense. En septembre, des ingénieurs français étaient dans le bassin océanique, non loin de Londres, pour faire des essais sur la giration du porte-avions de nouvelle génération, actuellement des ingénieurs britanniques testent la propulsion de sous-marin dans le grand tunnel hydrodynamique de DGA Val-de-Reuil. La coopération est effective.

 

Ces programmes doivent-ils fusionner ? Je ne sais pas, n tout cas, il n’y a pas de réflexions que nous nous interdisions. Compte tenu de nos excellentes relations en matière d’armement, prenons les choses dans l’ordre : il faudra faire aboutir le pilier 1B du Scaf, plus les travaux avancent autour du démonstrateur, plus nous progressons. Nous avons de toute façon besoin d’une aviation de chasse et d’un système de combat aérien compatibles avec notre dissuasion nucléaire. Pour le dire plus clairement, un plan B, C ou D ne sera pas compromis par le fait que nous fassions un démonstrateur. Nous avons donc tout intérêt à avancer, cela n'interdit en rien d’envisager une jonction des deux programmes.

 

M. le président Thomas Gassilloud. La semaine dernière, j’ai rencontré ici même l’ambassadrice du Royaume-Uni et son attaché défense. Un déplacement de notre commission en Angleterre est envisagé au mois de janvier prochain. Les Britanniques aspirent à nous voir et nous aurons l’occasion d’aborder ensemble bien des questions.

 

Je vous remercie, Monsieur le délégué général.

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La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Batut, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Pierrick Berteloot, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Martine Etienne, M. Emmanuel Fernandes, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Pascale Martin, Mme Lysiane Métayer, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Christelle D'Intorni, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Anne Genetet, M. Jean-Michel Jacques, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Anna Pic, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin

Assistait également à la réunion. - M. Vincent Seitlinger