Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, sur la dissuasion nucléaire.


Mercredi
11 janvier 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous présente à toutes et à tous, chers collègues, ainsi qu’à vous, mon général, et à travers vous à l’ensemble des militaires qui servent notre pays, mes meilleurs vœux pour l’année nouvelle. Elle sera très importante, avec l’adoption probable de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) dont chacun, compte tenu du contexte international, mesure l’importance. Notre commission aura une responsabilité très importante ; cela doit nous pousser à être exigeants vis-à-vis de nous-mêmes et de nos interlocuteurs.

 

Nous venons de clore une série d’auditions sur les enseignements à tirer de l’agression de l’Ukraine par la Russie. Dix de nos collègues travaillent actuellement à cinq missions d’information qui devraient nous permettent de formuler, lors de la remise des travaux, mi-février, diverses recommandations sur les points de vigilance à prendre en considération dans la future LPM.

 

Nous engageons aujourd’hui un nouveau cycle d’auditions sur la dissuasion nucléaire, sujet que nous avions commencé d’aborder avec les universitaires entendus sur l’Ukraine. Depuis 1960, date du premier essai atomique français au Sahara, la dissuasion constitue la clé de voûte de la défense française. Au cours des années 1950 et 1960, la France a développé une théorie de la dissuasion comme empêchement de la guerre, confortée pour l’essentiel par tous les présidents de la Vème République qui se sont succédé. Pour sa part, le président Emmanuel Macron, lors du discours sur la stratégie de défense et de dissuasion qu’il a prononcé le 7 février 2020, a déclaré : « Je suis intimement persuadé que notre stratégie de dissuasion conserve toutes les vertus stabilisatrices et demeure un atout particulièrement précieux dans le monde de compétition qui aujourd’hui se dessine sous nos yeux ». Traduisant cette conviction, la revue nationale stratégique invite « à redoubler les efforts afin de renforcer la culture stratégique et de dissuasion en permettant l’appropriation des enjeux de dissuasion par un public plus large ».

 

Dans ce cadre, au cours de notre nouveau cycle d’auditions, qui se déroulera à huis clos mais avec un compte rendu, toutes les questions liées à la dissuasion seront abordées : crédibilité des composantes, enjeux éthiques, articulation avec les forces conventionnelles, possibilité ou non de dépasser l’arme nucléaire. La parole sera également donnée à ceux qui préconisent d’autres choix pour la France, puisque le collectif Ican France, le relais national de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, participera à l’une des tables rondes prévues.

 

Pourquoi notre commission doit-elle se saisir de ce sujet ? En premier lieu, parce que, je l’ai dit, la dissuasion nucléaire est la clé de voûte de notre défense nationale. De plus, cette option stratégique se traduit par un budget important, financé par nos compatriotes : il s’élève à 37 milliards d’euros au long de la LPM en cours, que nous allons renouveler, et nous ne pouvons pas nous exonérer d’étudier ce sujet. D’autre part, l’actualité internationale se caractérise par le retour en force du fait nucléaire, notamment dans le discours russe. Enfin, dans une démocratie, la dissuasion est crédible si elle est comprise et portée par toute la Nation. Parce que le débat démocratique conditionne également la crédibilité de notre dissuasion nucléaire, nous aurons l’occasion, mes collègues et moi, de participer à des colloques à ce sujet, comme je l’ai déjà fait en intervenant au colloque de la Fondation pour la recherche stratégique. Dès la semaine prochaine, nous nous rendrons à l’Île Longue, dans la base sous-marine qui accueille les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, où nous serons accueillis par Jean-Charles Larsonneur.

 

Il était naturel que pour commencer nous vous entendions rappeler la place de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense, décrire l’étendue de vos responsabilités et dire quels doivent être nos efforts pour préserver la crédibilité de notre dissuasion.

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Á mon tour, je vous souhaite à tous une très bonne année 2023 et vous remercie pour ce que vous avez fait en 2022. Au cours de l’année à venir, qui s’annonce importante à de nombreux égards, nous travaillerons sans nul doute ensemble, en particulier sur la nouvelle loi de programmation militaire dont vous allez débattre.

 

Je vous l’ai dit en octobre dernier, l’attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, constitue un point de bascule qui nous fait changer de monde. La recomposition de l’ordre stratégique est toujours en cours et personne ne mesure encore exactement l’étendue des changements. Pourtant il importe d’ores et déjà de réinterroger systématiquement nos choix antérieurs. Cela ne signifie pas que tout ce que nous faisions auparavant n’a plus lieu d’être mais une interrogation générale s’impose sur la pertinence de notre action aujourd’hui, et y compris en matière de dissuasion. Il y a donc beaucoup de sens à votre cycle d’auditions sur ce sujet fondamental pour notre défense. C’est d’autant plus opportun que depuis le début de la guerre en Ukraine, chacun a constaté la banalisation du recours à la rhétorique nucléaire dans les media, comme s’il ne s’agissait seulement que d’une arme de plus. Ce n’est évidemment pas le cas : l’arme nucléaire est un sujet d’un ordre supérieur, parce qu’il s’agit d’abord d’un changement de nature de l’affrontement. La chose nucléaire répond à une logique propre qui doit être mieux connue et mieux cernée, pour éviter à la fois de la banaliser et de la fantasmer.

 

J’estime que les modalités de mise en œuvre de la dissuasion nucléaire française par les armées demeurent crédibles parce qu’elles se sont en permanence adaptées aux évolutions des menaces et de la technologie. Cette dynamique soutient la pertinence d’une fonction stratégique dont le secret et l’ambiguïté, nécessaires à sa crédibilité, ne doivent pas laisser penser à un immobilisme qui la disqualifierait.

 

Je rappellerai mes responsabilités dans l’exercice de la dissuasion, avant de décrire en quoi la dissuasion nucléaire constitue la clé de voûte de notre stratégie de défense. Je conclurai en partageant avec vous les enseignements en matière de dissuasion que je tire de la guerre en Ukraine.

 

Vous savez le lien direct entre le chef d’état-major des armées et le Président de la République dans le domaine des opérations conventionnelles. Cette relation est tout aussi directe pour ce qui concerne la dissuasion, mais elle comporte un degré supplémentaire de densité. Chef des armées, le Président de la République incarne encore plus profondément la dissuasion et décide directement de tout ce qui a trait à la doctrine, aux moyens, au niveau d’alerte et à la mise en œuvre. Pour ce faire, il est assisté par l’état-major particulier, qui le conseille dans l’exercice de ses responsabilités.

 

À partir des directives du Président de la République, il me revient de décliner mes responsabilités propres, qui se répartissent en deux volets. Le premier a trait aux aspects opérationnels. Il m’incombe d’abord de garantir la tenue de la posture de dissuasion, c’est-à-dire sa crédibilité, son invulnérabilité et son efficacité : en préparant des plans d’emploi ; en fixant les directives opérationnelles des forces nucléaires ; en m’assurant en permanence de leur capacité opérationnelle ; en informant le ministre des armées et en rendant compte au Président de la République de l’état des moyens ; le cas échéant, en m’assurant de l’exécution des ordres d’engagement qui seraient donnés par le Président de la République. Au titre du contrôle gouvernemental dont la responsabilité revient à la Première ministre, je m’assure que toutes les mesures sont prises pour garantir au Président de la République qu’il dispose en toutes circonstances des moyens de la dissuasion et qu’ils seront mis en œuvre conformément à ses directives. Au bénéfice du ministre des armées, je m’assure de la bonne exécution de ses décisions au sein des armées, notamment de l’organisation, de la gestion, de la mise en condition d’emploi des forces nucléaires et de l’infrastructure qui leur est nécessaire.

 

À cette fin, je dispose d’une division de l’état-major des armées, la division Forces Nucléaires, qui inclut notamment le centre d’opérations des forces nucléaires. J’ai sous mes ordres trois commandants de force nucléaire : le général commandant les forces aériennes stratégiques (FAS), l’amiral commandant la Force océanique stratégique (FOST) et l’amiral commandant la Force aéronavale nucléaire (FANU). Je suis également assisté par le chef d’état-major de la Marine et par le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, qui me conseillent en ce domaine comme ils le font dans le domaine des forces conventionnelles, et sur lesquels j’ai autorité, conformément au code de la défense, dans le domaine de l’emploi et dans le domaine capacitaire.

 

Qui dit domaine capacitaire dit aspects programmatiques ; c’est l’autre volet de mes responsabilités. Au-delà des mesures prises pour assurer la permanence de la dissuasion au quotidien, il importe de préparer l’avenir. Pour ce faire, je participe, avec le délégué général pour l’armement et le directeur des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, à l’élaboration des capacités futures par l’expression du besoin opérationnel pour les composantes océanique et aérienne et aussi pour les systèmes de transmissions nucléaires, dont je souligne l’importance capitale. Parce qu’il n’y a pas de dissuasion possible sans capacité à transmettre les ordres, les transmissions constituent une priorité d’investissement majeur. Les besoins en ce domaine sont définis en fonction de l’analyse stratégique de la menace et des perspectives d’évolution. Nos capacités ne sont plus celles du XXème siècle : elles s’adaptent en permanence aux évolutions prévisibles et prospectives des défenses adverses, en particulier aux progrès des défenses sol-air et antimissiles. Cela dit toute l’importance du renseignement, et donc de capacités de recherche et d’analyse autonomes pour évaluer le durcissement possible des défenses adverses.

 

Notre arsenal nucléaire est aussi dimensionné conformément au principe de stricte suffisance. Pour obéir à ces deux principes – adaptation permanente à la menace et stricte suffisance –, il peut être nécessaire de proposer des inflexions programmatiques, en concertation avec la direction générale de l’armement. Enfin, je m’assure que les jalons de renouvellement sont respectés et que les matériels répondent aux spécifications. En matière de dissuasion, les capacités d’anticipation et la prise en compte de l’ensemble des facteurs qui pourraient perturber le développement capacitaire sont capitales.

 

Le deuxième chapitre de mon propos a trait aux conditions de la contribution des armées à la dissuasion nucléaire. La dissuasion est la clé de voûte de la stratégie de défense française d’abord parce qu’elle se construit à partir des décisions du Président de la République, qui tire sa légitimité du suffrage universel. La doctrine est fixée par le chef de l’État au terme d’une réflexion minutieuse. L’expression de la doctrine se fait toujours et uniquement par le biais de la parole présidentielle, seule à même d’énoncer les inflexions éventuelles. Lors de son premier mandat, le Président de la République a ainsi rappelé explicitement les contours de la dissuasion nucléaire. Son discours du 7 février 2020, prononcé à l’École militaire, est notre référence de travail, et l’ambition exprimée par le chef de l’État en matière de dissuasion nucléaire se retrouve explicitement dans la revue nationale stratégique 2022, comme le signalent les trente-et-une occurrences du terme « dissuasion » et l’objectif stratégique n° 1 : « La France est et restera une puissance dotée d’une dissuasion nucléaire robuste et crédible, atout structurant de dialogue stratégique et de protection de nos intérêts vitaux ». La grande verticalité de notre dissuasion lui confère sa légitimité et donc sa crédibilité politique.

 

Sur quels principes reposent notre dissuasion ? Le premier principe est celui d’une dissuasion par représailles, qui a pour avantage de porter le doute chez l’adversaire. La question qui se pose à lui est : « Une agression vaut-elle la peine d’être tentée au regard des risques encourus ? ». Les présidents de la République Française ont choisi cette forme de dissuasion parce qu’elle répond à une aspiration exclusivement défensive. Plus concrètement, pour donner la preuve de sa crédibilité, notre dissuasion doit s’exercer en permanence. Ensuite, elle maintient une ambiguïté : sur la nature de nos intérêts vitaux et l’acceptation des formes de menaces qui pourraient s’appliquer sur eux et sur la nature de la riposte et des dommages inacceptables pour l’ennemi. Elle ne s’articule pas autour de la notion de seuil, car cela permettrait à nos adversaires de manœuvrer autour en conscience et de contourner notre dissuasion « par le bas ». Notre capacité de dissuasion garantit les possibilités de frappe en second par la redondance des moyens et l’invulnérabilité de la composante océanique. L’éventualité d’utiliser l’arme nucléaire en premier est assumée : notre doctrine n’est ni celle du non-emploi en premier ni celle de la finalité unique, selon laquelle l’arme nucléaire ne s’adresse qu’à la menace nucléaire. Là est toute l’ambiguïté voulue pour permettre la pleine efficacité de notre dissuasion.

 

À quoi sert la dissuasion ? La dissuasion sert à empêcher la guerre. La stratégie nucléaire française vise fondamentalement à empêcher une guerre qui porterait atteinte à nos intérêts vitaux. Le rôle de la dissuasion est donc circonscrit aux circonstances extrêmes de légitime défense. Les armes nucléaires françaises ne sont pas conçues comme des outils d’intimidation offensive, de coercition ou de déstabilisation. La dissuasion nucléaire ne vise ni à gagner une guerre ni à empêcher de la perdre. Cela nous permet aussi d’assumer les responsabilités d’un État doté vertueux et d’une puissance d’équilibres. La France, puissance nucléaire, est aussi un moteur de l’intégration européenne et un allié de premier rang au sein de l’Otan. La dissuasion est également un outil d’influence et de rayonnement international, notamment par la valorisation de notre crédibilité technologique dans le domaine de la recherche scientifique et des industries de pointe, qui nous tirent vers le haut ; le délégué général pour l’armement abordera certainement ces points plus précisément.

 

La dissuasion sert enfin à signifier notre détermination. D’une part, les armes nucléaires sont des armes de non-emploi, c’est-à-dire que ce ne sont pas des armes du champ de bataille. En revanche, les forces nucléaires sont des forces employées en permanence pour le signalement stratégique dans les phases de compétition, de contestation et d’affrontement vis-à-vis de nos alliés et de nos adversaires. D’autre part, notre statut d’État doté nous permet d’activer des canaux de communication directs pour dialoguer avec des parties au conflit, en complément des messages de portée plus générale qui passent par d’autres relais.

 

Comment l’exercice de la dissuasion est-il assuré dans les armées ? Tout d’abord, par l’épaulement mutuel des forces nucléaires et conventionnelles que le Président de la République a souligné dans son discours de février 2020. Les forces conventionnelles renforcent la dissuasion en crédibilisant notre capacité à résister à une agression, évitant ainsi le contournement par le bas, c’est-à-dire une menace de faible ampleur qui nous confronterait rapidement au choix du « tout ou rien ». Il s’agit donc, avec les forces conventionnelles, de tester au plus tôt la détermination de l’adversaire en le forçant à dévoiler ses intentions, de le contenir pour permettre aux forces nucléaires de monter en puissance ou de l’empêcher de créer un fait accompli, telle la prise d’un gage territorial. Inversement, la capacité d’exercer une pression stratégique sous la forme d’un dialogue dissuasif sur un adversaire ou son allié potentiel donne davantage de latitude aux forces conventionnelles pour exprimer toute la palette de leurs savoir-faire dans un conflit : en ce sens, inversement, le nucléaire épaule les forces conventionnelles pour éviter un contournement par le haut. De façon générale, cette logique « d’épaulement » renforce la liberté d’action du Président de la République en termes d’emploi des forces conventionnelles, dont les capacités doivent être en cohérence avec la puissance destructrice du nucléaire.

 

Les commandements des forces détailleront devant vous leur contribution respective à notre dissuasion nucléaire. Pour ma part, je souligne l’importance de disposer de deux composantes aux capacités et aux modes d’action distincts, employables selon des modalités plus ou moins discrètes pour garantir les principes que j’ai évoqués et pour fournir plus d’agilité dans les manœuvres de signalement en se fondant sur les caractéristiques de chaque force. La force océanique stratégique, c’est la garantie de frappe en second par l’invulnérabilité des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et la permanence ; les forces aériennes stratégiques, qui tiennent aussi une posture permanente, c’est la démonstrativité, la réversibilité, c’est-à-dire la possibilité d’arrêt en cours d’action et l’adaptabilité en fonction du volume choisi des raids aériens. La force aéronavale nucléaire maintient l’ambiguïté et offre d’autres modes d’actions. La dissuasion s’appuie sur une culture stratégique nucléaire qui, avec une cinquantaine d’années de recul, atteint une bonne maturité. Depuis la première permanence sur Mirage IV en 1964 et la première patrouille du Redoutable en 1972, les pratiques ont été l’objet d’adaptations régulières, En résumé, la crédibilité opérationnelle complète la crédibilité politique et technologique.

 

J’en viens à quelques points particuliers du dialogue stratégique avec nos alliés. Par son statut d’État doté, la France occupe une place singulière au sein de l’Otan. Cette singularité se traduit par sa liberté d’appréciation et de décision. La liberté d’appréciation, c'est sa capacité de renseignement ; la liberté de décision, c’est la position souveraine de la France, qui se traduit par la non-participation au groupe des Plans nucléaires de l’Otan même si, évidemment, un dialogue existe à ce sujet entre les alliés. Ensuite, la position spécifique de la France vise à éviter tout mécanisme d’adossement du niveau d’alerte de nos forces nucléaires à celui de l’Otan. Toutefois, la France soutient sans réserve l’idée d’une conscience collective nucléaire et elle continuera de s’investir pleinement dans toutes les initiatives de l’Alliance atlantique visant à rappeler sa dimension nucléaire et à développer l’appropriation d’une culture de la dissuasion par tous ses membres.

 

Nos forces nucléaires ont une dimension authentiquement européenne. Tout d’abord, elles renforcent la sécurité de l’Europe en compliquant notablement l’équation d’un adversaire potentiel qui serait confronté à la fois aux dissuasions nucléaires américaine, britannique, otanienne et française. Avec les difficultés d’appréciation qui en résulteraient, les possibilités que s’exerce une menace nucléaire en retour s’en trouveraient ainsi évidemment multipliées. De plus, les intérêts vitaux de la France, puissance continentale, ont une dimension européenne, comme l’a expressément rappelé le Président de la République. C’est l’expression la plus naturelle et la plus forte du constat que notre indépendance de décision est pleinement compatible avec la solidarité à l’égard de nos partenaires européens. D’ailleurs, Français et Britanniques ont affirmé dès 1995 ne pas imaginer de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un pourraient être menacés sans que ceux de l’autre ne le soient aussi. Ce très haut niveau de confiance mutuelle, réaffirmé dans les accords de Lancaster House signés en 2010, se traduit par une coopération nucléaire étroite qui se poursuit de manière déterminée.

 

Vous ayant décrit les contours de notre dissuasion nucléaire, qui a su se développer et s’adapter, je voudrais partager quelques enseignements qui peuvent être tirés des récentes évolutions de l’environnement stratégique, singulièrement de la guerre en Ukraine, et comment le fait nucléaire a été impliqué et utilisé. Des manœuvres de forces nucléaires russes apportant un signal stratégique clair ont eu lieu avant même le début des opérations. Ensuite est venue la réponse d’une partie des acteurs occidentaux, notamment la France, dont les signalements dans ce registre ont été bien perçus par la Russie. Puis on a noté l’entretien constant de la menace nucléaire russe, illustrée par un discours récurrent extrêmement agressif, ainsi que la poursuite, à un niveau au moins égal à celui d’avant-guerre, des entraînements russes de préparation opérationnelle dans le domaine nucléaire. On constate aussi que la disponibilité et la crédibilité des forces nucléaires russes restent au meilleur niveau. La Russie continue de faire de ses forces nucléaires une priorité qui bénéficie de la poursuite d’investissements, d’entraînements et d’une mise en valeur extrêmement forte.

 

Cette rhétorique offensive s’accompagne d’une banalisation du fait nucléaire très sensible dans le traitement de l’information. Vous avez aussi noté l’emploi pendant le conflit de certaines armes de niche dont la mise au point avait été annoncée par le président Poutine, des missiles hypersoniques en particulier. Si leur résonance médiatique était assez forte, leur efficacité opérationnelle sur le terrain l’était moins ; ces armes sont encore en cours de développement. Pour autant, ce sont des axes de recherche dans lesquels la Russie progresse, en y consacrant des efforts considérables. Nous voyons donc se dérouler une guerre conventionnelle avec une dimension nucléaire à la fois stratégique mais aussi tactique et même une dimension nucléaire civile. La dialectique stratégie conventionnelle-stratégie nucléaire est pleinement exploitée, avec ses échanges directs et indirects, formels et informels.

 

Quelles ont été les actions françaises ? La réactivité des forces conventionnelles est à souligner : manœuvre de réassurance des alliés avec des avions Rafale au-dessus de la Pologne le jour même de l’attaque russe ; réorientation du groupe aéronaval dans une mission identique au-dessus de la Croatie et de la Roumanie ; déploiement de la force de réaction rapide de l’Otan, armée par un bataillon français en Roumanie. La réactivité des forces nucléaires françaises est venue en appui du dialogue politique. Ces forces ont fait preuve de réactivité et de souplesse dès le début de la crise et elles ont été adaptées pour produire les effets demandés. En résumé, c’est un très bon exemple de l’épaulement entre forces conventionnelles et forces nucléaires et des capacités globales de nos armées.

 

La guerre en Ukraine confirme la valeur stratégique de la dissuasion nucléaire et son effet modérateur dans tout conflit impliquant une ou plusieurs puissances dotées. Chacun a d’ailleurs constaté une grande retenue de la part des forces russes vis-à-vis de l’Otan : ils ont pris garde à ce qu’aucune de leurs actions ne puisse être interprétée comme une forme d’agressivité vis-à-vis des forces de l’Otan. L’autre enseignement à tirer de la guerre en Ukraine est bien sûr le retour de l’équilibre de la terreur par la menace de la force, un agissement coutumier pendant la Guerre froide.

 

La manœuvre de sanctuarisation agressive menée par la Russie est un dévoiement de la doctrine de la dissuasion, arme visant à empêcher la guerre. Aujourd’hui comme en 2014, la Russie dévoie sa dissuasion pour conduire une agression sous protection nucléaire. Notre liberté d’action est impactée par la menace nucléaire de l’agresseur. C’est une déclinaison de la logique des engagements imposés que j’ai eu l’occasion d’évoquer devant vous lors de mes précédentes auditions. C’est aussi une transformation profonde du cadre de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et du désarmement. Le non-respect des engagements du mémorandum de Budapest de 1994 vis-à-vis de l’Ukraine démontre la faiblesse des garanties négatives de sécurité. L’issue du conflit sera évidemment un indicateur très fort pour un grand nombre de pays, qui pourraient considérer finalement que s’ils ne disposent pas de l’arme nucléaire, ils ne sont plus protégés. Cela donne néanmoins plus de valeur aux mécanismes de défense collective, et cela se traduit par la revitalisation des grandes alliances, comme on le voit avec la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande qui veulent rejoindre l’Alliance atlantique et son parapluie nucléaire.

 

Même si la dissuasion nucléaire a jusqu’à présent joué son rôle, objectivement modérateur, dans la conduite des opérations, en particulier dans la limitation de l’escalade et la préservation de notre capacité à soutenir l’Ukraine, il faut maintenant creuser la réflexion sur les conséquences que pourrait tirer la Russie de son incapacité à contraindre ce soutien dans la durée.

 

J’insiste, pour conclure, sur le caractère strictement défensif de la dissuasion française. Elle vise fondamentalement à empêcher la guerre. C’est une dissuasion tout azimut qui ne cible aucune nation en particulier. Au fil des ans, la dissuasion s’est toujours adaptée pour répondre aux défis de l’évolution de la menace et de la technologie. C’est en lui donnant les moyens de poursuivre ces ajustements en permanence que l’on permettra à la dissuasion nucléaire de continuer d’assurer son rôle de clé de voûte de la défense de la France.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Merci, mon général. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

 

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Le 7 novembre 2022, le Président de la République a réaffirmé son ambition de donner une dimension européenne aux capacités de dissuasion nucléaire française. Il avait ouvert le débat à ce sujet en février 2020, lors de son discours consacré à la stratégie de défense et de dissuasion, invitant ceux de nos alliés européens qui y sont prêts à participer aux exercices organisés par la France. Jusqu’alors, cette proposition ne semblait pas les avoir convaincus. Toutefois, après presque un an de conflit entre la Russie et l’Ukraine, face à la recrudescence de la menace nucléaire brandie par le chef de l’État russe dès le début de l’invasion de l’Ukraine et dans la mesure où les forces nucléaires sont des garants majeurs de la prévention de la guerre, l’importance de la dissuasion pour la défense nationale, mais aussi européenne, a été réaffirmée. Depuis le Brexit, la France est la seule nation de l’Union européenne dotée d’une force de dissuasion nucléaire et ce stock d’environ 300 armes nucléaires joue une place centrale pour notre souveraineté et notre sécurité nationale d’une part, pour la sécurité de l’Union européenne d’autre part. La France apparaît donc comme le garant de la sécurité dans l’espace européen et il semble probable que l’on assistera à l’avenir à l’européanisation de la politique française de dissuasion. Dans cette hypothèse, disposerons-nous des moyens et des stocks stratégiques nécessaires ? Cette européanisation ne représenterait-elle pas une menace potentielle, la dissuasion nucléaire française étant la clé de voûte de stratégie de défense de notre pays ?

 

Mme Caroline Colombier (RN). Alors que l’on note le retour de la guerre de haute intensité aux portes de l’Europe, la dissuasion nucléaire demeure la pierre angulaire de notre indépendance nationale. Gage de crédibilité auprès de nos partenaires et de nos compétiteurs, elle est l’assurance-vie de la préservation de nos intérêts dans le monde. Toutefois, l’évolution du paradigme stratégique impose que nous nous interrogions car la doctrine française héritée du général de Gaulle ne doit pas nous entretenir dans l’illusion d'un rang mondial considéré comme acquis à l’ère de la compétition globale. Au vu des menaces, de plus en plus de pays européens se tournent vers Washington pour bénéficier de son parapluie nucléaire. L’intégration de ces nations à la dissuasion américaine permet de constituer une interopérabilité, les États-Unis conservant la clé de la décision finale. La France a énormément fait pour associer ses voisins européens aux programmes d’armement conventionnel et à aux opérations extérieures, notamment par le partage dynamique de matériel et de compétences, mais peut-être devrait-on s’interroger sur l’éventualité d’une solution alternative ou complémentaire à l’approche américaine. Si la France devenait moteur des nations européennes en instaurant un écosystème sécuritaire propre autour de sa dissuasion, de grands fruits stratégiques et diplomatiques en résulteraient, et aussi pour notre base industrielle et technologique de défense. Jugez-vous cette solution pertinente pour réduire la trop forte dépendance des pays européens à notre allié américain et recentrer notre sécurité collective en priorité sur les intérêts européens ?

 

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’avais plutôt l’impression que les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies étaient les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et non les pays dotés de force nucléaire, et que par une conjonction d’événements les pays vainqueurs furent dotés par la suite… En tout cas, ce n’est pas notre statut nucléaire qui nous donne notre rayonnement international et qui nous alloue un siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Cela dit, la dissuasion nucléaire a parcouru le débat de l’élection présidentielle, l’année dernière ; c’était nouveau, et notre candidat n’y était pas pour rien. Notre position favorable à la dissuasion est connue, ce qui n’empêche pas les interrogations sur l’avenir de nos deux forces nucléaires et sur la question même de la dissuasion. Vous l’avez dit en d’autres termes, notre force nucléaire est une force posthume, puisque nous réagissons si nos intérêts vitaux sont menacés. On peut donc s’interroger sur l’intérêt de la force aérienne, qui sert le discours nucléaire mais qui n’est pas une force posthume : quel est son usage dans notre doctrine ?

 

Je ne reviendrai pas sur la polémique déclenchée en octobre dernier par Emmanuel Macron opposant « intérêts fondamentaux » à « intérêts vitaux », puisque vous avez clairement indiqué en rester à la doctrine des intérêts vitaux. Au sujet du conflit en Ukraine, certains, tel Jean-Marie Guéhenno, ont appelé à renforcer notre dissuasion conventionnelle pour faire face à la stratégie russe qui est de rester sous le seuil nucléaire, et donc d’affecter moins de crédits à la dissuasion et davantage aux forces conventionnelles ; qu’en pensez-vous ? D’autre part, quelles sont les conséquences de l’hypervélocité, sur laquelle certains États comptent pour leur dissuasion ? Enfin, quelle est la crédibilité de notre force nucléaire à l’échéance de cinquante ans, sachant que nous serons appelés à voter dans la prochaine LPM des crédits pour des sous-marins qui navigueront jusqu’en 2080 ?

 

Mme Nathalie Serre (LR). Le président de notre commission l’a dit, la dissuasion est crédible si elle est comprise ; l’est-elle suffisamment en France ? La communication à ce sujet est-elle de votre ressort ou relève-t-elle du politique ? D’autre part, vous avez évoqué une différence doctrinale entre la France d’une part, l’Otan et les États-Unis d’autre part. Qu’en est-il exactement ? Avons-nous pour objectif de poursuivre une route singulière ou de rejoindre celle que tracent l’Otan et les États-Unis ?

 

M. Christophe Blanchet (Dem). Depuis 2017, le montant alloué au programme 146 Equipement des forces n’a cessé d’augmenter pour atteindre 15,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023. Le groupe démocrate soutient pleinement cet élan budgétaire qui va dans le sens de l’Histoire. La Russie, deuxième plus grande puissance nucléaire mondiale, se sert de sa dissuasion nucléaire pour mener à bien la guerre en Ukraine et menace les pays occidentaux qui voudraient y mettre fin en portant atteinte au régime ou à l’intégrité du territoire russe. L’Iran n’est plus très loin de finaliser son programme nucléaire à usage militaire et n’a jamais caché, une fois cet objectif atteint, son intention de détruire Israël, allié et partenaire de la France au Moyen-Orient. La Corée du Nord accroît sa menace envers le Japon et la Corée du Sud, avec des essais de missiles balistiques de plus en plus performants pouvant emporter des charges nucléaires. Plusieurs pays dotés du nucléaire annoncent augmenter le nombre de leurs ogives. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et les principes de l’accord New Start semblent bien loin. La France, l’un des rares pays disposant d’une dissuasion à double composante, se doit de maintenir un niveau de dissuasion suffisamment élevé pour empêcher toute agression contre ses intérêts vitaux et garantir sa souveraineté partout où elle s’exerce. La dernière revue nationale stratégique parle d’une dissuasion « robuste et crédible » ; comment concevez-vous notre dissuasion nucléaire pour 2030 ? Que pensez-vous de la prolifération d’armes nucléaires dans des pays qui rejettent nos valeurs et ne cachent plus leur volonté de vouloir en faire usage pour leur intérêt propre ? Comment évaluez-vous le risque que, progressivement, l’arme nucléaire ne soit plus uniquement une arme de légitime défense et que, banalisation du discours aidant, ces armes de non-emploi deviennent des armes d’emploi ?

 

Mme Mélanie Thomin (SOC). La guerre menée par la Fédération de Russie est opérée sous parapluie nucléaire et la Russie utilise une grammaire nucléaire déstabilisatrice qui s’adresse moins à son adversaire direct qu’aux opinions des démocraties occidentales. Mais si la guerre en Ukraine occupe notre attention depuis un an, l’incertitude de nos alliances nous met aussi au défi. À cet égard, la dissuasion est un choix d’autonomie et de liberté d’action ; en faire une réalité opérationnelle exige un investissement permanent. Nos concitoyens doivent pouvoir faire leur cette dimension essentielle – c’est une question de légitimité prégnante dans le dialogue armée-Nation. Le Parlement a aussi un rôle à jouer pour porter une vision et un axe stratégique en matière capacitaire. Les socialistes sont prêts à jouer ce rôle dans la définition de la nouvelle LPM ; en particulier, la question des vecteurs, de leur maintien en condition opérationnelle et des moyens nécessaires à leur mise en œuvre retiendront notre attention. Le renouvellement technologique demeure une nécessité pour maintenir la crédibilité de la dissuasion. Alors que les autres puissances dotées de l’arme nucléaire modernisent leurs arsenaux, le développement de capacités de porteurs de tête et d’aide à la pénétration, la montée en puissance des systèmes de déni d’accès nous obligent à une mise à jour permanente. Quels moyens devra intégrer la LPM à ce titre ? Nous souhaitons travailler sur ces questions avec vous et nous félicitons de votre présence aujourd’hui.

 

M. Yannick Favennec-Bécot (HOR). Notre force de dissuasion devant pouvoir en permanence pénétrer ou saturer les défenses antimissile et anti-aériennes adverses, le volume de notre arsenal nucléaire devrait-il être réévalué au vu du contexte stratégique et technologique ? Pour garantir l’efficacité dissuasive de sa force nucléaire, la France doit s’adapter en permanence en investissant dans des technologies de pointe, notamment la vitesse hypersonique et la discrétion acoustique des SNLE. Elle devra également continuer de protéger ses systèmes de commandement et de communication contre toute intrusion cybernétique. Jusqu’à quel point la France devra-t-elle investir pour garantir cette efficacité dissuasive ? L’effort budgétaire significatif qui sera consenti dans les prochaines années pour préparer la dissuasion française aux défis du XXIème siècle devra être justifié auprès de l’opinion publique ; ne faudrait-il pas rassembler dans un document officiel tous les éléments publics relatifs à la politique de dissuasion et à l’arsenal français, et davantage expliciter l’articulation entre forces conventionnelles et forces nucléaires ? Enfin, seule comptant la perception par nos adversaires de l’efficacité de notre dissuasion, la transparence sur nos capacités techniques et opérationnelles est-elle suffisante pour garantir la dissuasion ?

 

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Je vous adresse des vœux de bonheur, de paix et de fraternité humaine et d’amitié entre les peuples. « L’objectif de la dissuasion nucléaire est d’empêcher la guerre », avez-vous dit. Or, avec 13 000 têtes nucléaires dans le monde, record jamais atteint, et des puissances – les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni – toutes engagées directement ou indirectement dans des conflits ou qui l’ont été, force est malheureusement de constater que l’arme nucléaire n’empêche pas la guerre. Plus de vingt conflits sont en cours, qui ont déjà fait des centaines de milliers de victimes civiles et militaires. La planète est une poudrière et la dissuasion nucléaire fait peser une menace permanente sur l’avenir de l’Humanité. En 1985, Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan avaient engagé un processus de désarmement nucléaire, salué avec soulagement dans le monde entier ; malheureusement, avec la chute de l’Union soviétique, ce processus a été stoppé. Ensuite, l’Organisation des Nations unies a repris la main avec le traité d’interdiction de l’arme nucléaire. Nous avons également évoqué cette question lors de la campagne présidentielle, et nous considérons que si désarmement nucléaire il y a, il doit être multilatéral. À cet égard, la France ne pourrait-elle participer en tant qu’observateur au traité d’interdiction des armes nucléaires ? Concernant le conflit en Ukraine, quelle serait la réaction de la France et de l’Otan si la Russie utilisait l’arme nucléaire ?

 

M. Laurent Panifous (LIOT). L’intervention militaire russe en Ukraine a remis à l’avant de la scène les capacités de la France en matière de défense et d’armement. Notre pays a une place à part en Europe car il dispose d’une force de dissuasion nucléaire et n’a jamais renoncé à entretenir une armée complète. Le coût de la dissuasion nucléaire est de 12 % du budget de la défense et il est en hausse depuis 2021 pour assurer le nécessaire renouvellement. Le Président de la République a souligné à nouveau le 9 novembre dernier que nos forces nucléaires contribuent par leur existence propre à la sécurité de la France mais aussi à celle de l’Europe. Le renouvellement des systèmes d’armes nucléaires exigera un budget annuel de 6 milliards d’euros ; cette augmentation de 30 % dans un budget global qui restera contraint se fera inévitablement au détriment des autres composantes de nos forces armées. On peut donc regretter que les objectifs opérationnels et budgétaires de l’Europe de la défense restent bien insuffisants au regard de la multiplication des conflits à haute intensité en Europe. La dissuasion nucléaire française bénéficie à tous les membres de l’Union européenne ; la France est donc probablement en droit d’attendre une implication particulière de l’Union. Les choses peuvent-elles évoluer à ce sujet ? La prochaine LPM pourrait-elle mieux intégrer le cadre européen de défense, notamment dans son volet « dissuasion » ?

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux questions des autres députés.

 

M. Jean-Michel Jacques (RE). En raison des arrêts techniques pour maintenance, le porte-avions de la force aéronavale nucléaire est parfois indisponible. Serait-il souhaitable que la France se dote d’un second porte-avions pour pallier ce problème ?

 

M. José Gonzalez (RN). Nos armées ont dû, depuis le début du conflit en Ukraine, déployer plusieurs centaines de nos soldats en Roumanie, ou encore en Estonie où la France assurait déjà une présence militaire depuis cinq ans. Il faut s’interroger sur le déploiement de soldats issus d’une puissance dotée et d’une armée de professionnels dans des pays qui n’ont pas ces caractéristiques. En quoi le fait d’être une puissance dotée modifie-t-il la portée stratégique de ces déploiements ? D’autre part, quels rapports la France entretient-elle avec les États-Unis et le Royaume-Uni, et surtout avec l’Otan, en ce qui concerne la dissuasion nucléaire ? Quelle conséquence emporte le fait que notre pays ne participe pas au groupe des plans nucléaires de l’Otan ?

 

Mme Anne Genetet (RE). La présidence de Donald Trump a suscité des doutes sur les garanties apportées par les Américains à leurs alliés, incertitudes qui relancent le débat sur la nucléarisation de certains bénéficiaires de la « dissuasion élargie », notamment la Corée du Sud, dont le dirigeant, dans le contexte d’évolution de la doctrine et des capacités nucléaires et balistiques nord-coréennes, a déclaré que « le parapluie nucléaire américain et sa dissuasion élargie ne suffisaient plus à rassurer les Sud-Coréens », ajoutant même que si les armes nucléaires appartiennent aux États-Unis, la préparation, le partage d’informations, les exercices et l’entraînement doivent être effectués conjointement par les deux pays. En réaction, les États-Unis se sont voulus rassurants vis-à-vis de la Corée du Sud. Quelle est votre perception de la remise en question des garanties américaines par leurs alliés et de son éventuelle conséquence sur la prolifération et sur les crises régionales ? Les mêmes doutes sont palpables en Europe et, dans ce contexte, le Président de la République a rappelé en novembre dernier la dimension européenne des intérêts vitaux de la France, dont les forces nucléaires contribuent par leur existence même à la sécurité de l’Europe. J’emprunte donc ma question à Bruno Tertrais : quelles seraient les conséquences d’une rupture du contrat de confiance transatlantique pour la dissuasion française et pour la dissuasion nucléaire à l’échelle européenne ?

 

M. Philippe Sorez (RE). En mars 2022, l’armée russe a assuré avoir tiré des missiles hypersoniques qualifiés d’« invincibles » par Vladimir Poutine dans son offensive contre l’Ukraine. Le 17 décembre dernier, le Kremlin a annoncé avoir mis en service un missile hypersonique quasiment indétectable, pouvant emporter une charge nucléaire et capable d’atteindre vingt-sept fois la vitesse du son, soit plus de 33 000 km/h. Il s’agit là d’un avantage stratégique réel et d’un marqueur de puissance. D’autres compétiteurs stratégiques, telle la Chine, travailleraient également à la fabrication de telles armes. Pour garantir la crédibilité de notre dissuasion, nous ne pouvons pas manquer les virages technologiques constitutifs de ruptures stratégiques ; je salue donc le projet de planeur hypersonique V-Max. Par ailleurs, grâce à l’Office national d’études et de recherche aérospatiale, notre pays aura dans le domaine de l’hypervélocité une avance technologique importante qu’il nous faut conserver. Pouvez-vous nous faire un point d’étape sur le lancement du démonstrateur du planeur hypersonique V-Max ? Quelles analyses tirez-vous du signal envoyé par la Russie quant à l’utilisation d’armes hypervéloces ? Que pensez-vous de la capacité de notre pays à anticiper et à s’adapter aux évolutions technologiques et industrielles qu’imposent nos adversaires en matière de dissuasion ?

 

Mme Lysiane Métayer (RE). Pour que notre dissuasion soit effective, nous devons pouvoir compter sur tous les mécanismes permettant la réussite d’un tir stratégique et aussi être sûrs que ce tir puisse pénétrer la défense de la cible et provoquer l’effet escompté. Or, certaines puissances – États-Unis, Russie, Israël… – ont investi de manière continue dans des systèmes de défense. Certes, leur effectivité est contrebalancée par le coût de ces équipements et leur efficacité, mais ces systèmes font envisager la potentielle interception d’un tir stratégique. Quelle est votre perception du durcissement des défenses ?

 

Mme Mélanie Thomin (SOC). Une course croissante aux armements entraîne l’augmentation régulière et soutenue des crédits alloués à la dissuasion. Dans ce cadre, quelle est votre opinion sur les efforts relatifs au renouvellement de la composante océanique et aérienne ? Dans quelle direction la pondération pourrait-elle évoluer ? Le maintien en capacité de deux vecteurs suppose un effort budgétaire significatif, qu’il s’agisse du chantier de mise en fonction des dernières versions du missile M51, de la rénovation des missiles air-sol moyenne portée (ASMP) ou de la sophistication des systèmes de pénétration et, en miroir, des mécanismes de déni d’accès. Maintenir la permanence, la suffisance et la souplesse est particulièrement complexe. Ce renouvellement structurel met également en jeu notre doctrine de dissuasion nucléaire, qui n’a que peu évolué depuis la présidence de François Mitterrand dans les années 1990 alors que le contexte stratégique a considérablement évolué. L’instabilité et l’opacité des postures nucléaires contribuent au maintien d’une forte incertitude tant parmi nos compétiteurs que nos alliés naturels ; le maintien d’un haut degré d’autonomie au sein de cette multipolarité nucléaire est un élément clé. Quel avis portez-vous sur la pertinence des axes de notre doctrine de dissuasion à l’aune des évolutions doctrinales de nos compétiteurs et de nos alliés ?

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. La dissuasion nucléaire étant la clé de voûte de la défense, il faut en tirer toutes les conclusions et commencer, quand on affecte des budgets, par allouer la part nécessaire à la dissuasion. Ensuite, l’exigence de performance constante signifie des programmes de développement technologique étalés dans la durée. Sans doute des choses peuvent-elles être modifiées dans le capacitaire des forces conventionnelles mais, s’agissant du capacitaire nucléaire, on ne peut imaginer se rendre compte au terme de dix ans que l’on ne débouchera pas sur ce que l’on visait. Il y a un impératif de réussite et en conséquence, parfois, des recherches redondantes pour s’assurer que les débouchés attendus seront obtenus à coup sûr. Nous devons investir dans les SNLE de troisième génération (SNLE 3G), dans l’hypervélocité pour préserver la capacité de pénétration de nos missiles et dans la sécurisation de nos transmissions contre la menace cyber et le quantique car il en va, à terme, de la crédibilité de notre dissuasion.

On voit comment notre dissuasion complique l’appréciation de situation pour nos adversaires : nous avons en permanence au moins un sous-marin nucléaire à la mer dont nous estimons l’invulnérabilité garantie. On peut toujours imaginer une situation dans laquelle un de nos sous-marins serait en difficulté ou en tout cas menacé, mais un adversaire n’aura jamais la certitude de pouvoir le détecter et le cas échéant le neutraliser : quand on parle d’armes nucléaires avec la capacité de frappe d’un SNLE, la part de risque est déjà là, et il suffit que l’adversaire ne soit pas absolument certain de pouvoir neutraliser notre SNLE à la mer pour que cela fasse peser sur lui une menace extrêmement forte.

 

L’invulnérabilité repose sur le masquage de notre sous-marin et donc sur son caractère indétectable. Cependant, il faut aussi faire passer des messages à nos adversaires, et c’est là un des avantages comparatifs des forces aériennes stratégiques : elles sont visibles, leurs manœuvres peuvent être ostentatoires à dessein, si bien qu’une part de gesticulation est possible. Ainsi, les exercices auxquels nous procédons sont très visibles par nos adversaires et attentivement suivis par eux, qu’il s’agisse des manœuvres dites de drill – l’arme est montée sous l’avion avec un dispositif de protection – ou des exercices Poker de planification et de conduite d’un raid nucléaire de la composante aéroportée, exercices non seulement observables mais annoncés parce que par exemple des espaces aériens leur sont réservés. Un message clair est donc lancé ainsi, et ces entraînements matérialisent les capacités de l’armée française à conduire ce type d’opérations. Des exercices de ce type se poursuivent pendant la guerre en Ukraine conformément à la planification établie, de manière visible pour la composante aéroportée, invisible pour la composante océanique.

 

La priorité donnée aux forces nucléaires, clé de voûte de notre défense est importante. Toutefois, les moyens et la capacité de réflexion que nous y investissons et les exercices que nous conduisons tirent l’ensemble des forces françaises vers le haut – voyez ce qu’il en a été du raid Hamilton engagé par la France en Syrie avec les Américains et les Britanniques : toutes sortes de savoir-faire sont communs entre les forces nucléaires et forces conventionnelles. C’est aussi ce qui caractérise la superposition des contrats opérationnels.

 

La FANU n’est pas une force permanente : elle repose sur le porte-avions, Pour la composante océanique, la modernisation se traduit par le lancement en 2021 de la phase de réalisation des SNLE 3G, pour admission en service actif d’un premier engin à l’horizon 2036, puis de trois autres pour remplacer nos quatre SNLE actuels. Les missiles M51.3 seront mis en service en 2025. L’adaptation des infrastructures de l’Île-Longue est permanente.

 

Pour la composante nucléaire aéroportée, nous disposerons des missiles ASMPA rénovés en 2023. Les études relatives au missile hypervéloce, dont la capacité à pénétrer les dispositifs de défense adverses a bien été prise en compte, ont déjà commencé, pour être en mesure d’aboutir à une mise en service à l’horizon 2035 ; cela sera lié au Rafale standard F5. À cette date, les adaptations des infrastructures et des bases aériennes à vocation nucléaire pour le nouveau couple ASN4G-Rafale auront largement débuté, en anticipant la transition vers l’arrivée du Système de combat aérien du futur. Une transition FANU pour l’ASMPA rénové est prévue sur le Charles de Gaulle.

 

Enfin, sujet très important, les systèmes de transmission seront consolidés et durcis, ce qui implique de dimensionner comme il convient la capacité cybernétique pour éviter les intrusions et d’anticiper l’arrivée de la cryptographie quantique et de ses possibilités de chiffrement et de déchiffrement. Tels sont les axes sur lesquels nous travaillons actuellement.

 

J’ai évoqué notre capacité autonome d’appréciation de situation et de renseignement pour évaluer les systèmes de défense antimissile et anti-aérienne, présents et à venir, détenus par nos adversaires pour protéger leur territoire. Nous suivons cela pour l’ensemble des adversaires, pour vérifier en permanence, en fonction des renseignements que nous recueillons, que nous sommes toujours à niveau et que notre planification me permet de garantir au Président de la République la capacité de pénétration de nos armes stratégiques.

 

L’européanisation de la dissuasion n’est pas une décision militaire. Dans le cadre de l’Otan, l’affichage de notre indépendance a pour conséquence que la France ne siège pas au sein du groupe des plans nucléaires. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’échanges ; nous discutons évidemment avec nos alliés et partageons nos appréciations de situation. Il est certain que cette configuration (trois puissances dotées au sein d’une alliance comportant elle-même une dimension nucléaire) complique beaucoup l’appréciation de situation pour nos adversaires au moment de dresser la carte des risques à envisager.

 

Certaines questions ont porté sur le volet opérationnel de l’européanisation de la dissuasion –– mais aussi sur son aspect financier : si la France assurait un parapluie nucléaire aux pays européens, cela ne devrait-il pas se traduire par des compensations financières ? Ces démarches doivent avoir lieu au niveau politique. J’observe seulement que nous avons essayé de faire valoir cet argument en Afrique, où nous soulignions défendre l’Europe au loin. Le nucléaire étant un champ encore plus compliqué, il faudra progresser sur le chemin de la communauté européenne de défense. On avance sur ce plan, et la guerre en Ukraine a remis en lumière l’OTAN, bien sûr, pour la défense collective, mais aussi l’Union européenne, qui a affiché sa solidarité. Les efforts en ce sens se poursuivent.

 

Au cours des travaux sur sa posture nucléaire (NPR : Nuclear Posture Review), l’administration américaine avait envisagé de faire évoluer sa doctrine vers des concepts de finalité unique, voire de non-emploi en premier, l’emploi du nucléaire n’étant envisagé que pour répondre à une menace nucléaire. Cette évolution aurait pu fragiliser le parapluie nucléaire américain, en particulier pour certains de ses alliés bénéficiant de garanties de sécurité de cet ordre. Je note que la revue de posture nucléaire rendue publique par l’administration Biden ne reprend pas ces concepts. Cela ne signifie pas que des réflexions ne sont plus en cours à ce sujet aux États-Unis, mais cela montre clairement que cette option n’est pas à ce jour dans la doctrine officielle des États-Unis.

 

Le président Poutine s’est engagé dans le renforcement sur le long terme des forces armées russes. Tout ce qui a trait aux capacités stratégiques nucléaires russes a fait l’objet d’un réarmement prioritaire extrêmement puissant, pour les missiles terrestres, la composante océanique et la composante aéroportée. Les Russes maintiennent cet effort considérable au point qu’ils poursuivent des exercices d’emploi des armes nucléaires pendant le conflit en Ukraine. La mise en service de missiles hypersoniques a bien eu lieu. Si leur emploi a été très médiatisé, leur efficacité opérationnelle n’est pas encore à maturité, mais nous ne pouvons ignorer l’apparition de cette menace : un jour, la pleine capacité opérationnelle sera atteinte. C’est un domaine dans lequel nous travaillons également, Les missiles hypervéloces ont une capacité accrue de pénétration des systèmes de défense et font peser une menace de décapitation, c’est-à-dire des frappes sur les centres de pouvoir et de décision. Ce n’est pas ce que l’on a vu pour l’instant, mais c’est une menace en développement.

 

 

Quel impact le fait d’être un pays doté a-t-il quand on déploie des forces sur un théâtre d’opérations ? C’est à nos alliés qu’il faudrait le demander. On voit combien les Estoniens sont attachés à la présence des forces françaises et britanniques sur leur sol, et leur demande n’est pas aussi pressante vis-à-vis des Allemands ou des Danois, car déployer les soldats d’une puissance dotée envoie un autre signal à un adversaire. Cela vaut également en Roumanie.

 

Pour ce qui est enfin de l’éventuel effet d’éviction sur des capacités conventionnelles, autrement dit de l’équilibre à maintenir entre le budget consacré à la dissuasion et celui des forces conventionnelles, c’est une responsabilité collective que nous portons. La dissuasion nucléaire étant la clé de voûte de notre défense, nous y consacrons des moyens en priorité ; pour autant, les forces conventionnelles fournissent un épaulement indispensable et évitent le contournement par le bas. Le monde ne se résume pas à l’affrontement entre puissances dotées ; nos forces conventionnelles assurent aussi la protection de notre souveraineté, la protection des intérêts et des ressortissants français partout dans le monde, mais aussi la mise en œuvre le cas échéant de nos accords avec nos alliés. Il y a une complémentarité évidente entre nos forces, et une spécificité française tant dans la dissuasion nucléaire que dans la possession et l’emploi des moyens conventionnels.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Je suppose que vous avez omis volontairement de répondre à la question de notre collègue Fabien Roussel vous demandant si la France devrait se faire observateur au traité d’interdiction des armes nucléaires, mais deux questions restent en suspens : qui doit communiquer auprès du grand public en matière nucléaire ? En quoi la doctrine de dissuasion de la France diffère-t-elle de celle des autres pays ou organisations ?

 

M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. En effet, la réponse à cette question est avant tout politique.

 

J’ai parlé de la discontinuité qui fonde notre doctrine de dissuasion française. La France n’a pas d’armes nucléaires du champ de bataille : nos armes nucléaires sont uniquement stratégiques. Si l’on vient à en user, c’est qu’il y a un changement de nature de l’affrontement. Dans la doctrine russe par exemple, l’arme nucléaire tactique est aussi conçue comme une super-artillerie. Ce n’est pas du tout notre doctrine. Toutes les données relatives à la bonne compréhension de la dissuasion sont publiques et le Président de la République prononce au moins une fois par mandat un discours explicitant la stratégie française, dont les éléments sont connus. Á mon sens, la communication vers le public sur la doctrine et la stratégie nucléaires est une responsabilité politique. Les armées peuvent contribuer à la réflexion stratégique et à l’esprit de défense, en replaçant la dissuasion dans le cadre plus global des missions des armées.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie.

 

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La séance est levée à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Xavier Batut, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Hubert Brigand, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Jean-Michel Jacques, M. Bastien Lachaud, Mme Murielle Lepvraud, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. Laurent Panifous, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin

Excusés. - M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. David Habib, M. Laurent Jacobelli, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, M. Olivier Marleix, M. Frédéric Mathieu, Mme Anna Pic, M. Aurélien Saintoul

Assistait également à la réunion. - Mme Josy Poueyto