Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

–– Audition, à huis clos, de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’Armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030.

 


Mercredi
12 avril 2023

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 61

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Général Schill, c’est avec grand plaisir que nous vous accueillons pour la troisième fois depuis le début de cette législature.

 

Ce projet de loi de programmation militaire (LPM) vise à transformer l’armée de Terre – et vous vous êtes exprimé à ce sujet le 4 avril lors du « grand rapport de l’armée de Terre ». Cette réorganisation en profondeur prévoit la création de nouveaux commandements et d’une manœuvre de ressources humaines ambitieuse.

 

La LPM consacre également des moyens humains et matériels pour répondre à d’importants enjeux en termes d'activité opérationnelle, de stocks de munition, ou encore de maintien en condition opérationnelle (MCO).

 

M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en introduction de cette audition sur la loi de programmation militaire, j’ai une pensée pour nos soldats déployés en opération, et en particulier ceux actuellement en mission en Guyane. Ils ont été frappés ces dernières semaines par la mort du major Blanc, du GIGN, au cours de la reconnaissance d’un site d’orpaillage clandestin ; et par la mort au feu à Kourou du sapeur Caron, de la BSPP.

 

Le 20 janvier, à l’occasion du discours de ses vœux aux armées, le Président de la République a indiqué les orientations de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, une LPM qui se veut en un mot de « transformation ». Le 4 avril, la loi a été présentée en conseil des ministres.

 

Le contexte stratégique et politique de la LPM donne à l’armée de Terre l’impératif et l’opportunité de s’adapter en profondeur aux défis de la nouvelle ère qui s’ouvre. L’armée de Terre a le devoir et les moyens de bâtir pour 2030, l’armée dont la France aura besoin pour la décennie 2030-2040. Cette modernisation s’effectuera tout en agissant en permanence de manière adaptée à la défense des intérêts de notre pays et étant prêt à tout moment à engager, si nécessaire, l’ensemble de nos capacités dans un conflit majeur redevenu malheureusement possible.

 

Le chemin du durcissement continuera à être suivi et sera orienté vers les finalités de l’engagement opérationnel qui consolide les forces morales et la polyvalence de notre armée d’emploi, tout en développant sa réactivité et sa puissance.

 

L’armée de Terre est adaptée à l’ambition et au caractère d’une « France puissance d’équilibres ». Par héritage, c’est une armée de forces médianes ; mais aussi par culture, par esprit manœuvrier, par impératif stratégique ; cela ne signifie pas renoncer à la puissance, mais que la mobilité, la polyvalence et la cohérence seront recherchées en priorité. Il est primordial de tenir cet équilibre : entre les combats de ce soir et ceux de demain ; entre capacités conventionnelles et capacités émergentes ; entre haute intensité, hybridité et influence ; entre territoire national, Europe et arc de crise.

 

Le virage stratégique est comparable à celui de 1989. Lors des années à venir, les ressources seront en croissance ; comment ne pas s’adapter ? Vaincre sur le champ de bataille ne se réduit pas à emporter des batailles ; vaincre c’est aussi transformer l’armée de Terre afin de disposer d’une armée prête à traverser les « périls du siècle », comme le demande le Président de la République.

 

L’armée de Terre a fait des choix ces vingt dernières années correspondant à la nature des missions confiées - opérations de maintien de la paix, de gestion de crise, de lutte contre les groupes armés terroristes -, de surcroît dans un contexte budgétaire contraint. Elle a préservé sa polyvalence, mais le virage stratégique du 24 février 2022 a rendu plus urgentes et importantes des retouches à apporter, identifiées depuis de nombreux mois, bien avant le début des travaux LPM.

 

Quoi qu’il arrive, l’armée de Terre devra être en mesure d’agir en permanence et simultanément sur trois espaces stratégiques :

 

Pour ce faire, la transformation à venir se développera suivant quatre axes.

 

Premier principe, « être et durer » selon les mots du général Bigeard ; être une armée d’emploi et le demeurer ; être animé de l’esprit guerrier et le perpétuer. Le soldat est le pilier central qui structure l’édifice armée de Terre. C’est pourquoi les investissements à hauteur d’homme, des treillis avec le nouveau camouflage jusqu’aux 500 millions du plan hébergement, seront poursuivis. Nous sommes une des rares armées en Europe à recruter chaque année en quantité et qualité les jeunes dont elle a besoin, même si cela reste un défi permanent. Il est à noter que 20 % de nos sous-officiers sont titulaires d’un diplôme de niveau BAC+2 à BAC +5 et que plus de 50 % de nos militaires du rang ont au minimum le niveau baccalauréat. L’escalier social de l’armée de Terre demeurera un moteur puissant de la fidélisation et de la qualité de l’encadrement : 50 % des sous-officiers ont été militaires du rang, 50 % des officiers sont issus du corps des sous-officiers. Gagner la bataille des effectifs et de la fidélisation sera vital pour conserver une force opérationnelle terrestre de 77 000 soldats.

 

Ainsi, la direction des ressources humaines de l’armée de Terre, qui recrute et gère nos soldats, sera renforcée pour faire fructifier davantage notre richesse humaine. Les enjeux sont de taille et les objectifs nombreux :

 

Être et durer, c’est aussi préserver les atouts et consolider le socle de l’armée de Terre en réussissant la formation de nos cadres qui est au cœur de la qualité du style de commandement de l’armée de Terre et qui participe au bon moral des soldats, ces derniers ayant alors confiance en leurs chefs. Ma priorité portera sur le commandement : en veillant à ce que chaque échelon soit à sa bonne place, en donnant de l’autonomie, en réintroduisant de la subsidiarité, c’est-à-dire en tendant vers le respect du triptyque « une mission, un chef, des moyens » pour mieux fonctionner. La maîtrise du risque, l’obligation de résultat et le succès de la mission sont la contrepartie à la subsidiarité. Il faut l’assumer. J’entends libérer les énergies des subordonnés, ce qui n’exclut pas les contrôles. Les écoles de formation d’officier et de sous-officier bénéficieront à ce titre de renforts en cadres et d’investissements en infrastructure, dès les premières années de la LPM, pour former les flux de stagiaires indispensables à la montée en compétence de l’armée de Terre comme des organismes interarmées et ministériels, dans la perspective d’un durcissement des affrontements et d’ouverture des champs de conflit.

 

Sur un autre plan, être et durer, c’est aussi accroître l’épaisseur logistique, assurer la régénération des matériels et densifier la préparation opérationnelle. La LPM consacre 2,6 milliards d’euros aux munitions de l’armée de Terre aussi bien pour l’entraînement que pour la constitution de stocks, ce qui représente notamment plus de 16 millions de munitions « petit calibre », 300 000 obus de mortiers, 3 000 missiles moyenne portée, 2 000 munitions télé-opérées. Les crédits en croissance, dédiés au maintien en condition des matériels, accompagneront le rééquilibrage de la charge d’entretien programmé des matériels entre industrie privée, industrie étatique et unités du matériel, préparées à surmonter les pics d’activité et la montée en charge qui accompagneraient le déploiement de grandes unités de combat. La SIMMT développera ainsi le dialogue et la coordination avec les industriels dans la logique de l’« économie de guerre » promue par le ministre des Armées.

 

Dans l’esprit de la formule du maréchal Leclerc « pour le service de la France ne me dites pas que c’est impossible », l’armée de Terre joue un rôle majeur dans la protection des Français en métropole comme outremer, dans la préservation de la souveraineté, la diffusion de l’esprit de défense, la contribution à la résilience.

 

L’armée de Terre, et en particulier son commandement du territoire national, accompagnera la consolidation d’une capacité de coordination et de planification interarmées. Elle sera en mesure d’appuyer le centre de conduite et de planification des opérations lors d’évènements majeurs planifiés tels que les Jeux Olympiques de Paris en 2024 ou dans la gestion de situations d’urgence en appui des forces de sécurité intérieure. Elle continuera à préparer la posture adaptable de protection terrestre qui représente jusqu’à deux brigades pour l’armée de Terre, comme cela est précisé dans le contrat opérationnel de la LPM.

 

Au sein de l’armée de Terre, il s’agira de :

 

Au cours de ces dernières décennies, la réserve n’a pas suffisamment bénéficié des effets de la modernisation, il faut bien le reconnaître. Les effectifs de la réserve seront doublés et apporteront un complément de masse. La réserve connaitra une évolution profonde en appui de la force opérationnelle terrestre ou de la protection des territoires. L’armée de Terre comptera 24 000 réservistes supplémentaires répartis entre compléments individuels et unités de réserve représentant plus de 70 compagnies. Par ailleurs, nous continuons à travailler à une offre d’engagement de jeunes volontaires sous les armes pour 3 à 6 mois. Ce projet de volontaires du territoire national prévoit, à ce stade, de déployer au cours de la LPM deux bataillons et quatre compagnies outre-mer.

 

L’outre-mer est une priorité de cette LPM. L’armée de Terre contribuera, avec les autres armées, au renforcement du dispositif outre-mer qui sera adapté à chacune des collectivités, et qui se traduira notamment par une modernisation des équipements et un investissement dans les infrastructures.

 

Agir sur « tous les champs de bataille » pour reprendre la devise de nos anciens et frères d’armes pensionnaires de l’Institut National des Invalides. De la gestion de crise qui est la réalité de nos missions d’aujourd’hui, à l’engagement majeur possible demain, en passant par l’espace cyber, l’armée de Terre doit être prête. Tout peut arriver, à tout moment, j’en suis convaincu.

 

Le Président de la République l’a souligné lors de ses vœux aux Armées : la guerre ne se déclare plus ; elle est souvent menée de manière sournoise. Les menaces ne se succèdent plus, elles se cumulent. Il en découle un impératif de réactivité, de cohérence et de puissance pour rester en phase avec les évolutions de la guerre et son caractère imprévisible. La puissance est nécessaire pour s’engager dans un conflit brutal même si ce pourrait être sur une courte durée, face à un adversaire employant des capacités de rupture ou « nivelantes » comme les drones, les munitions télé-opérées. C’est une probabilité ; pas seulement sur le flanc Est.

 

La puissance sera aussi un gage de fiabilité de notre armée de Terre sur laquelle ses alliés pourront compter davantage. La réactivité de notre système d’alerte garantira notre capacité à remplir les missions confiées. L’an dernier, le bataillon fer de lance armé par la France dans le cadre des alertes de l’OTAN a été déployé avec succès. Toutefois, cela a nécessité la collecte de matériel sur 80 points de perception, pour un volume de force d’un bataillon. Il y a encore des marges de progrès pour être à la hauteur du contrat opérationnel fixé : l’engagement en 30 jours d’une division à compter de 2027. La cohérence est celle de nos fonctions opérationnelles. Nous sommes une des armées occidentales dont la proportion d’unités de mêlée est la plus élevée. C’est pourquoi nous allons procéder à un rééquilibrage au sein des brigades et entre brigades. L’Ukraine souligne l’importance du commandement, du soutien, de la logistique et des appuis. L’armée de Terre doit trouver le bon équilibre dans la structure de ses forces terrestres : PC de corps d’armée, division, éléments organiques, brigades interarmes.

 

Pour être à la hauteur de ces exigences, le commandement des forces terrestres sera réorganisé. Un gain de cohérence est recherché avec un poste de commandement de niveau corps - le CRR-FR - et deux PC de division, chaque division possédant en propre son bataillon de commandement et de quartier général, en mesure de préparer le combat et le diriger ; trois commandements pour apporter aux divisions les capacités nécessaires dans les domaines du renseignement, des opérations dans la profondeur, des actions spéciales, de l’hybridité, du cyber, des appuis et de la logistique. Le tout reposant donc sur des brigades interarmes et spécialisées, plus autonomes.

 

Les régiments d’infanterie auront une taille plus ramassée. Mais ils verront leurs capacités significativement renforcées au cours de la LPM dans tous les champs avec la création d’une section de mortiers de 120mm et d’une section d’attaque électronique ; avec la mise en place d’unités de munitions télé-opérées et de robots terrestres ainsi que la densification des capacités anti-char. Bien sûr, les GRIFFON et les SERVAL continueront à remplacer les véhicules d’ancienne génération. Demain, la transition de la « 205 » à la voiture connectée sera achevée. Cela fait plus de 40 ans que les VAB équipent nos régiments d’infanterie, les GRIFFON et SERVAL arrivent et sont dès à présent déployés en Roumanie et en Estonie.

 

Les régiments de cavalerie verront leur capacité d’agression - c’est-à-dire le couple canon/missile, leur dotation de munitions télé-opérées - ainsi que leur capacité de renseignement (drone, radar) renforcées. Concrètement, cela permettra de mieux équiper les escadrons de reconnaissance et de créer de nouvelles unités spécialisées de guerre électronique ou de renseignement technique. Une majeure partie de nos chars LECLERC sera rénovée autour d’une pérennisation de leur motorisation, d’une meilleure protection, d’une connectivité modernisée et de nouveaux viseurs.

 

Pour répondre au durcissement des conflits, la LPM permettra de renouveler les équipements de nos unités d’appui, de combler certaines fragilités. Ainsi, d’ici 2030, chaque régiment d’artillerie disposera de :

 

Dans les faits, cette LPM comblera donc les manques actuels du volet « feu » et densifiera la modernisation de ses moyens d’acquisition. Dans le domaine des feux dans la profondeur, l’armée de Terre comptera au moins 13 lanceurs de nouvelle génération en 2030, pour succéder aux LRU. La capacité de défense d’accompagnement entamera sa reconstitution avec la livraison de 24 SERVAL dotés d’une tourelle MISTRAL, soit 4 sections, de 48 postes de tir MISTRAL modernisés, de 12 SERVAL de lutte anti-drone en complément des 12 VAB ARLAD, de nouveaux radars de détection et postes de commandement permettant de maitriser l’espace et les menaces aériennes au-dessus des forces terrestres.

 

Réorganisé, le Génie bénéficiera d’un renforcement en effectifs qui lui permettra de recréer des unités disparues spécialisées dans le minage, le contre-minage et le franchissement ; et de densifier des capacités échantillonnaires aujourd’hui comme l’ouverture d’itinéraire, le franchissement fluvial. En plus des premiers engins du combat du génie et des 8 premières portières de franchissement SYFRALL, l’arrivée des GRIFFON et SERVAL Génie assurera la mise sous blindage des unités de combat du génie.

 

L’aérocombat réalisera sa mue depuis des parcs hétérogènes vers des parcs modernes et homogènes par segment (hélicoptères de manœuvre, hélicoptères de reconnaissance et d’attaque) avec notamment la finalisation du retrofit pour 13 TIGRE HAD, la livraison de 20 hélicoptères NH90 dont 18 au standard Forces Spéciales, ainsi que les 18 premiers HIL à horizon 2030 remplaçant progressivement le parc des GAZELLE.

 

La période 2024-2030 marquera également la transition entre deux générations de connectivité et soutiendra l’ambition de nation-cadre à travers un système de commandement complet, durci et modernisé. Le réseau de commandement de théâtre sera renouvelé par les programmes ASTRIDE et SYRACUSE. La connectivité SCORPION sera déployée avec CONTACT – 2 900 postes portatifs et 4 800 stations véhicules - et l’extension du système d’information du combat SCORPION, SICS. En ce qui concerne SICS, 19 000 licences supplémentaires couvriront la numérisation des porteurs « ancienne génération » et de nos unités outre-mer ; et par la livraison à l’ALAT, à partir de 2025, de 200 postes aéro ERS le plein rendement du combat collaboratif aéroterrestre sera atteint. Au-delà du renouvellement des équipements, c’est en effet la révolution du combat collaboratif que cette LPM va permettre de concrétiser.

 

Enfin, sans attendre, l’armée de Terre entamera sa transition vers les nouveaux champs. Dans la continuité de ce qui a déjà été initié, les régiments seront massivement équipés de drones allant des nano-drones aux drones opératifs qui seront armés, tout en étant progressivement dotés de munitions télé opérées dont nous voyons déjà le potentiel opérationnel dans les conflits en cours. Il en sera de même dans le domaine de la robotique. L’armée de Terre poursuivra la démarche VULCAIN. En 2026, une première unité pilote sera équipée de 6 à 8 plateformes armées dans le but d’expérimenter l’accompagnement de groupes de combat débarqués. La prochaine LPM portera le plus ambitieux programme robotique de l’armée de Terre. Ce dernier a pour objectif la livraison à l’horizon 2030 de plateformes polyvalentes terrestres de combat, de classe deux tonnes, probablement équipée d’un canon de moyen calibre, orientées agression. L’enjeu sera de concilier la haute technologie de ces futurs robots avec le pragmatisme et la rusticité de notre armée de Terre pour que la robotique permette de gagner effectivement en masse. Enfin, en plus de la modernisation des capacités de renseignement électromagnétique terrestre et embarquée sur le SDT qui sera armé, l’armée de Terre construira une capacité complète autour d’unités existantes et nouvelles pour opérer dans le milieu cyber tant pour se protéger, attaquer qu’influencer.

 

En somme, l’effort consenti par la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permet de poursuivre ce qui a été initié, en particulier sur le plan capacitaire et augmentera les moyens d’action de l’armée de Terre. La modernisation SCORPION se poursuivra. Au cours des sept prochaines années, plus de 2 300 véhicules seront livrés, soit quatre fois plus que les 600 que nous comptons aujourd’hui dans nos parcs. Avec un flux annuel d’environ 350 véhicules, l’armée de Terre comptera en 2030 : 1 300 GRIFFON soit 20 compagnies, 745 SERVAL type infanterie soit 16 compagnies et 200 JAGUAR soit 12 escadrons. L’armée de Terre aura dans le même temps l’occasion d’acquérir des capacités qui lui font défaut afin de gagner en puissance, quitte à en rabattre sur certains objectifs. Il faut être réaliste, le lissage des cadences de production SCORPION a été la condition de l’acquisition de capacités alternatives que je juge indispensables et urgentes pour la cohérence de nos forces, avant que l’atteinte des cibles – qui restent prévues au niveau ante - nous permette d’atteindre la masse complète.

 

L’activité est primordiale à l’entraînement des forces et à la cohérence de nos capacités. Il est prévu en LPM que l’activité soit maintenue au niveau atteint ces dernières années avant de progresser vers les normes que nous nous sommes fixées à l’horizon 2030. J’espère dans ce domaine profiter également des effets de l’économie de guerre, dans un mix contractuel entre la SIMMT, les industriels et la DGA qui sera fonction des parcs – en fin de vie ou arrivant dans les forces.

 

Quatrième et dernier principe : innover pour une armée de Terre « en pointe toujours ».

 

La modernisation SCORPION est un succès qui permet à l’armée de Terre d’être en avance dans le domaine du combat collaboratif par rapport à ses partenaires européens. Mais, force est de constater que certains virages doivent être encore négociés : les drones, l’hybridité/cyber, la question du big data et son traitement, le cloud de combat…

 

La nature de la guerre ne cesse d’évoluer et l’histoire militaire révèle qu’il est fatal de ne pas y avoir réfléchi et anticipé les mues. Pour éclairer, comprendre les enjeux de la métamorphose de la guerre, et dynamiser la transformation capacitaire des unités, je souhaite créer un commandement du combat futur (CCF) sur la base de l’actuel centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC).

 

De quoi s’agit-il ? À partir du retour d’expérience, de l’observatoire des conflits actuels et des liens étroits entretenus avec les think tanks, ce commandement éclairera l’armée de Terre et les régiments sur leur emploi opérationnel à un horizon de quatre ans et aussi sur le plus long terme.

 

L’objectif est de favoriser la transformation de l’armée de Terre en assurant la continuité entre l’innovation réactive et la prospective. Il s’agira, par une démarche exploratoire alliant réflexion, simulation, wargaming et expérimentation, de transformer les innovations technologiques en innovations tactiques pertinentes pour conserver la supériorité sur le champ de bataille.

 

Comment ? En concentrant dans une même structure la doctrine, le retour d’expérience, l’appropriation de la modernisation par les forces (la force d’expertise du combat Scorpion (FECS) et la section d’expérimentation robotique), l’expérimentation et l’innovation participative (le Battle Lab Terre et la force expérimentale Terre). Le CCF entretiendra un lien étroit avec la Section Technique de l’armée de Terre pour la conduite des programmes majeurs.

 

L’enjeu est d’éclairer l’armée de Terre et de faire atterrir l’innovation dans les régiments.

 

La transformation de l’armée de Terre suivra des jalons qui guideront sa progression et feront converger les efforts, comme l’a été le déploiement d’un groupement tactique interarmes SCORPION en 2021, et s’appuiera sur les enseignements des exercices d’envergure : en 2023 l’expérimentation technico-opérationnelle d’une brigade interarmes ; en 2025, la capacité small joint operation avec 2 brigades SCORPION ainsi que la participation à l’exercice Warfighter 2025 organisé par nos alliés américains ; en 2026, l’exercice Orion 2026 donnera l’occasion d’exploiter les retours d’expérience de l’édition en cours ; en 2027, l’opérationnalisation d’une division SCORPION à 2 brigades avec ses capacités de commandements et ses éléments organiques déployable en un mois ; en 2030 une division relevable et post 2030 une ambition war fighting corps.

 

Être et durer, protéger, agir et innover : l’armée de Terre est à la veille d’une évolution d’ampleur pour demeurer en action avec réactivité et puissance ; une évolution qui nécessitera de transformer 10 500 postes soit 15 % de la force opérationnelle terrestre. Le plan « armée de Terre de combat » est donc ambitieux mais s’inscrira dans la durée et aucune dissolution n’est envisagée. Nos régiments demeureront dans leur territoire même si des adaptations d’effectif pourront avoir lieu. Leur ancrage territorial est un des moteurs les plus puissants de leurs forces morales : que pouvons-nous sans racines ? Nous avons la chance d’être à l’orée d’une période qui nous permettra de consolider l’enracinement de chacun de nos régiments dans sa garnison.

 

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La programmation de 413 milliards d’euros dédiés au budget des armées constitue à la fois une somme importante et un minimum au regard des besoins et de la situation internationale, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de l’Indopacifique.

 

Je vous remercie pour votre propos liminaire qui nous a éclairés sur l’enjeu impliqué par la cohérence de l’armée de Terre, d’autant que le chef d’état-major des armées, auditionné jeudi dernier, avait également privilégié la cohérence des armées à leur masse.

 

Souvent, la presse évoque le report de la date de livraison des blindés du programme SCORPION, mais vous avez rappelé qu’il ne s’agissait pas d’un renoncement. Ce choix ouvre d’autres possibilités.

 

Le MCO a parfois posé des difficultés, à l’instar de la précédente LPM dans le cadre de laquelle Florence Parly avait cherché à améliorer ce dispositif. Cette fois, l’amélioration ne sera pas uniquement procédurale mais aussi financière : 49 milliards d’euros seront dédiés à l’entretien du matériel, ce qui représente une hausse de 40 % par rapport à la précédente LPM.

 

Estimez-vous que ces moyens financiers supplémentaires permettront à l’armée de Terre d’améliorer son entraînement et son activité opérationnelle ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Monsieur le député, vous avez mentionné notre objectif de privilégier la cohérence plutôt que la masse. En réalité, nous avons opté pour la cohérence avant la masse.

 

Dans le cadre du programme SCORPION, nous avons ainsi ajusté la date à laquelle nous atteindrons l’ensemble des objectifs prévus. Bien que notre but reste d’obtenir cette masse, nous avons jugé essentiel de garantir la cohérence et la mise en ligne opérationnelle des équipements et munitions au fur et à mesure de leur arrivée, plutôt que d’attendre de rassembler une grande quantité d’équipements pour assurer la cohérence.

 

Le maintien en condition opérationnelle est un élément clé de la loi de programmation militaire et les ressources qui y sont allouées sont en augmentation. Il est le principal moteur d’activité, avec deux impératifs : assurer une activité de préparation opérationnelle constante et en croissance, au cours des années à venir, même avec des équipements plus sophistiqués ; et être capable de faire face à des pics d’activité, en cas de déploiement en opération. Il serait alors nécessaire d’augmenter le rythme d’utilisation des pièces de réparation pour maintenir en condition opérationnelle nos équipements, car si l’utilisation de nos engins augmente, il en va de même pour les besoins en maintenance.

 

Cette montée en gamme est assurée par la constitution de stocks, pour faire face aux premières semaines de déploiement, et par la capacité de l’industrie à s’adapter pour atteindre ces niveaux de production. Le chantier est devant nous : la direction générale de l’armement (DGA), en lien avec la SIMMT, travaillera avec les industriels sur ces sujets.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

 

M. François Cormier-Bouligeon (RE). La loi de programmation militaire nous offre l’opportunité et l’obligation d’adapter nos armées aux défis géostratégiques actuels. Avec la LPM à venir, l’armée de Terre doit devenir plus réactive, polyvalente, et renforcer sa logistique pour être prête à des combats de haute intensité si nécessaire.

 

En tant que chef d’état-major de l’armée de Terre, vous êtes le chef d’une armée de Terre de combat, qui semble évoluer d’une organisation par fonctions au contact, prévalant depuis 2016, à une organisation par finalités opérationnelles. Vous avez présenté les grandes lignes de cette réorganisation le 13 février et le 4 avril 2023 : il s’agit de réorienter 10 000 des 77 000 militaires de la force opérationnelle terrestre vers des métiers de commandement des systèmes d’information et de communication, du soutien, de la guerre hybride et de la guerre de demain. Vous avez également proposé une plus grande autonomisation des brigades, associée à une territorialisation de la réserve.

 

Pouvez-vous préciser les conséquences de la réorganisation sur les régiments de l’armée de Terre et sur les effectifs, ainsi que les marges de manœuvre et d’autonomie dont bénéficieront les unités ?

 

La LPM 2024-2030 prévoit la poursuite du programme SCORPION, certes étalé dans le temps, ainsi qu’un investissement dans les enjeux de demain, comme le quantique, pour protéger les moyens terrestres des futures armes hypervéloces. Comment s’articuleront ces aspects ?

 

En outre, la transformation structurelle que l’armée de Terre connaîtra dans les années à venir s’accompagne d’une augmentation de l’offre de formation et de développement des compétences, pour répondre aux besoins opérationnels présents et futurs. L’École militaire préparatoire technique (EMPT) de Bourges, dont vous avez annoncé le doublement des effectifs et la diversification des formations, illustre cette offre. Quels moyens la LPM alloue à la formation des militaires engagés dans l’armée de Terre, pour soutenir la montée en puissance de nos armées ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. J’ai précédemment évoqué la réorganisation de l’armée de Terre et ses conséquences sur les effectifs. Nous prévoyons la transformation de 10 500 postes.

 

La plupart des brigades interarmes sont composées de sept régiments : trois d’infanterie, deux de cavalerie, un d’artillerie et un du génie. L’objectif est d’accroître leur autonomie, notamment en vue de déployer une unité de combat opérationnelle sur le terrain.

 

Le premier axe de cette réorganisation portera sur le ciblage tactique, en reliant les moyens de renseignement, accrus grâce aux drones et aux systèmes de radars, aux capacités d’action, notamment de feu dans la profondeur, d’artillerie et d’aérocombat, pour établir une chaîne de frappe efficace.

 

Le deuxième commandement sera axé sur l’hybridité, avec pour objectif de progresser dans l’action spéciale terrestre, l’influence, le partenariat et les actions de déception, pour fournir aux divisions ou aux corps d’armée déployés des capacités accrues et plus cohérentes dans ce domaine.

 

Le troisième axe concerne la logistique, au sens large. Nous avons vu lors du début du conflit en Ukraine l’importance de ces fonctions : il faut sortir de l’idée que « la logistique suivra ». Il est primordial que notre capacité d’autonomie et de soutien logistique monte en gamme pour construire une véritable manœuvre.

 

Concernant les nouvelles capacités, nous investirons, en tirant des leçons des combats, notamment en Ukraine.

 

La formation des sous-officiers et des officiers sera primordiale au cours de la prochaine LPM. Des investissements seront réalisés, notamment à Bourges, pour doubler les effectifs de l’EMPT, et à Saint-Maixent, pour améliorer la qualité de la formation des sous-officiers, dans une école qui est actuellement au maximum de ses capacités. Les investissements porteront sur les cadres et les infrastructures dans les premières années, avec plus de 150 millions consacrés à l’infrastructure des outils de formation, dont 60 millions pour l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA). Parallèlement, une mesure organisationnelle visant à consolider la cohérence du parcours des sous-officiers et des officiers rassemblera l’ensemble des organismes de formation de l’armée de Terre sous l’égide de la direction des ressources humaines de l’armée de Terre.

 

M. José Gonzalez (RN). Le groupe Rassemblement national est bien conscient que les militaires ne sont pas responsables des arbitrages budgétaires de la LPM : c’est au politique, non au chef d’état-major de l’armée de Terre de s’en expliquer. C’est pourquoi mes questions porteront sur les incidences opérationnelles de la nouvelle loi de programmation pour l’armée de Terre, compte tenu des failles capacitaires que nous identifions.

 

Le déploiement du programme SCORPION, qui comprend 1 200 véhicules tels que les JAGUAR, GRIFFON et SERVAL, est étalé dans le temps et les livraisons de ces véhicules sont reportées après 2030. De plus, l’artillerie est dans un état critique et ne pourra pas être renforcée, du moins dans un laps de temps raisonnable par rapport aux menaces actuelles. En parallèle, 30 canons CAESAR, considérés comme étant en meilleur état, ont été livrés à l’Ukraine. La situation en matière de lance-roquettes unitaires reste tout aussi précaire. Enfin, une mission flash menée notamment par notre collègue Julien Rancoule a mis en évidence l’insuffisance de nos stocks de munitions.

 

Le ministre des armées a justifié ses arbitrages en expliquant que les moyens seraient concentrés sur le soutien et la cohérence, ce qui semble louable en théorie. Toutefois, le Rassemblement national estime que ces moyens ne se suffisent pas. Bien que le contrat opérationnel, avec une division et deux brigades mobilisables, soit tenable, nous sommes loin de pouvoir faire face à la haute intensité.

 

Comment intervenir dans la zone profonde située derrière les lignes ennemies, dite DIP (Deep Interdiction Operations), avec des capacités d’artillerie, de missiles sol-air et de radars limitées ?

 

La lutte contre les drones est un des objectifs affichés de cette LPM, mais les capacités actuelles sont-elles suffisantes, alors que la loi limite et reporte dans le temps les livraisons prévues, notamment de véhicules SERVAL ?

 

Enfin, vous l’avez dit, il n’est pas d’armée sans effectifs : quelles actions sont prévues pour recruter et fidéliser les militaires ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Nous devons concentrer nos efforts sur l’artillerie, les feux, la létalité, et c’est ce que nous ferons au cours de cette loi de programmation militaire.

 

Nexter annonce que la production de CAESAR doublera au cours des prochains mois, ce qui nous permettra, d’ici mi-2024, de récupérer autant de canons neufs que ceux que nous avons cédés à l’Ukraine.

 

Nous avons également pris des mesures pour couvrir nos besoins en munitions d’entraînement et remonter nos stocks, notamment de munitions d’artillerie, grâce à la relocalisation de la production et aux mesures prises par nos fournisseurs. Nous avons également renforcé notre capacité sol-air en blindant une partie de nos capacités MISTRAL.

 

Comme toutes les armées du monde, nous devons mettre à jour nos capacités de lutte contre les drones au fil du temps. Nous avons déjà fait des progrès en mettant à niveau nos VAB ARLAD, les véhicules de l’avant blindé équipés du système d’adaptation réactive pour la lutte antidrones, et nous continuerons avec les SERVAL.

Nous recrutons chaque année en quantité et en qualité les jeunes dont nous avons besoin, soit 15 500 personnes. Cela restera notre flux de recrutement au cours des prochaines années. Recruter est un combat de tous les jours, que nous devons continuer de mener.

 

Le véritable défi sera de fidéliser nos effectifs. Actuellement, notre modèle de fidélisation est à peine équilibré. Pour l’améliorer, nous devons travailler sur plusieurs aspects tels que les conditions de vie et de travail, la pertinence et la signification de notre mission, la rémunération, les perspectives de carrière, afin de maintenir cet atout crucial pour nos futures capacités opérationnelles. Nous devons continuer à développer un équilibre qui nous permettra de disposer en quantité et en qualité de l’effectif dont nous avons besoin.

 

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Dans ce projet de loi de programmation militaire, que nous pouvons qualifier d’imprécis, l’armée de Terre apparaît comme la moins bien lotie. L’exercice Orion, en cours depuis l’année dernière et qui a connu sa phase la plus intense ces deux derniers mois, est un outil pertinent pour définir certaines de ses orientations. Les retours d’expérience de cet exercice montrent la nécessité d’investir davantage dans l’armée de Terre. Certains problèmes, tels que le manque d’entraînement des équipages des canons CAESAR, étaient d’ailleurs connus avant l’exercice, avec seulement la moitié des heures d’entraînement requises pour 2022.

 

Comment expliquer que le budget alloué à la préparation, à l’entraînement et au combat pour l’armée de Terre augmente de seulement 27 % par rapport à la précédente LPM, contre 41 % pour la marine et 42 % pour l’armée de l’air et de l’espace ? Cette augmentation suffira-t-elle ?

 

Un rapport pour avis relatif à la préparation et à l’emploi des forces terrestres sur le projet de loi de finances pour 2023 suggérait de relever la force opérationnelle terrestre de 77 000 à 80 000 effectifs. Pourtant, le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire ne fait état d’aucune augmentation potentielle de cette force. Pourquoi la hausse pluriannuelle des effectifs prévue à l’article 6 n’est-elle ventilée ni dans le projet de loi ni dans le rapport annexé ? L’armée de Terre prévoit-elle d’augmenter ses effectifs, que ce soit pour renforcer sa force opérationnelle ou pour accroître les effectifs du renseignement ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Le projet de loi de programmation militaire prévoit de maintenir l’activité des forces au niveau atteint dans les dernières années de la précédente LPM, avant de l’augmenter progressivement.

 

Il reste des chantiers à mener, au-delà de la question des ressources allouées, et de leur utilisation pour maintenir une activité soutenue au sein des forces armées.

 

En ce qui concerne les effectifs, des travaux sont en cours pour maintenir la force opérationnelle terrestre à un effectif de 77 000 soldats. Selon le projet de loi, l’armée de Terre devrait bénéficier de 700 nouveaux effectifs sur les 6 300 prévus au total. Par ailleurs, certains soldats de l’armée de Terre seront affectés aux postes dédiés au renseignement et à l’influence, et seront formés pour travailler au sein des organismes interarmées et interministériels. Ces mesures contribueront à augmenter les effectifs globaux de l’armée de Terre au sein des forces armées.

 

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cette LPM apparaît comme un paradoxe. Son budget connaît incontestablement une croissance importante, mais il ne s’ensuit pas forcément une augmentation de la masse. Cela s’explique en partie par la priorité donnée à la cohérence avant la masse.

 

En résulte-t-il une redéfinition des contrats opérationnels, notamment en ce qui concerne l’hypothèse d’engagement majeur (HEM), fixée à 25 000 hommes projetables ?

 

En outre, bien que la LPM prévoie une amélioration de la préparation opérationnelle et de l’entraînement, nous sommes à environ 74 % de l’optimum souhaité. Vous dites que nous parviendrons à 100 % en 2030. Avoir du matériel sans l’entraînement correspondant ne sert à rien : la logique de parc a ses limites. De quelle part de budget opérationnel de programme (BOP) aurions-nous besoin pour constituer plus rapidement des unités entièrement disponibles ?

 

Enfin, alors que la LPM prévoit des investissements dans la défense sol-air avec les 24 JAGUAR MISTRAL, il n’est pas mentionné de remise en place d’une artillerie sol-air de 20, 30 ou 40 millimètres, guidée par radar, jugée essentielle pour la défense basse couche, notamment les attaques saturantes de drones. Quels choix ont été effectués dans ce domaine ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire redéfinit les contrats opérationnels, en termes de structure et de volume – il n’y a toutefois pas d’évolution de fond pour l’armée de Terre.

La redéfinition consiste à prendre en compte un fait important : en cas d’engagement majeur, tous les effectifs de l’armée de Terre seraient déployés. Certains seraient intégrés dans une unité d’intervention contribuant à la défense collective au sein d’une coalition, désormais définie comme l’armement d’un poste de commandement de corps d’armée et une division avec deux brigades relevables. D’autres seraient mobilisés sur tout le territoire national, y compris les outre-mer, pour contribuer à la défense générale face aux rétroactions, avec deux brigades de l’armée de Terre. Enfin, un échelon d’alerte supplémentaire serait capable de faire face à une autre situation et, le cas échéant, de fournir un renfort sur des théâtres annexes.

 

La montée en puissance de l’armée de Terre est donc envisagée comme la capacité à faire face à des situations extrêmes, que ce soit un conflit majeur ou une mobilisation de toutes les capacités, avec une organisation redéfinie, tout en conservant les mêmes proportions que précédemment.

 

Le niveau d’entraînement se situe aujourd’hui à 70 % de la norme et notre ambition est d’atteindre 100 % à la fin de la période couverte par la loi de programmation militaire. La pente de progression est peu ou prou la même que précédemment.

 

5 milliards d’euros sont prévus pour la défense sol-air, qui est une dimension importante de cette loi de programmation militaire. Pour l’armée de Terre, cela représente douze radars et des SERVAL PC associés, vingt-quatre tourelles MISTRAL placées sur des SERVAL et quarante-huit postes de tir débarqués MISTRAL. Ce seront aussi, en complément, douze SERVAL de lutte antidrones équipés de canons antiaériens dont le calibre – de 40, 20, voire 30 millimètres – reste à définir en fonction notamment du porteur. Cette capacité fera assurément partie de la panoplie à développer, mais elle doit encore être précisée.

 

M. Christophe Blanchet (Dem). Nous souhaiterions aller un peu plus loin dans la compréhension de la transformation de l’armée de Terre. L’évolution du modèle « Au contact » vers un modèle de combat incarne, à l’évidence, un changement profond du fonctionnement et de son organisation. Cette nouvelle organisation devrait lui permettre d’être plus réactive et de gagner en puissance et en capacité, avec notamment la création d’éléments de soutien au niveau de la brigade et de la division, et en transformant des postes de fantassins et de cavaliers en postes cyber, même si les soldats concernés restent dans les régiments.

 

Face à l’enjeu de cette nouvelle organisation, plusieurs remarques et questions se posent. Les brigades d’artillerie et de génie sont une très bonne chose, car les combats en Ukraine soulignent au quotidien l’importance de ces fonctions opérationnelles dans le combat terrestre.

 

Nous convenons tous que l’armée de Terre doit monter en puissance dans son approche hybride pour gagner en réactivité et en agilité. La création du commandement des actions spéciales Terre est, à cet égard, très intéressante. Nous sommes néanmoins surpris de constater que ce futur commandement ne serait pas positionné au niveau de l’EMAT, à l’instar des autres composantes des forces spéciales (FS) et des pratiques de nos alliés. L’architecture qui se profile aujourd’hui comporte en effet un échelon – celui du CFOT, ou commandement des forces opérationnelles terrestres – opérant la liaison des forces spéciales Terre. Ce que l’armée de Terres pourrait gagner à l’approche hybride ne pourrait-il être perdu dans ce positionnement étonnant des forces spéciales Terre ? En d’autres termes, ce nouveau cadre structurant ne les pousse-t-il pas à perdre en agilité et en efficacité ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Tout d’abord, l’organisation actuelle de l’armée de Terre procède d’une réforme très importante : celle de l’armée de Terre « Au contact », initiée par le général Bosser et dont le fondement était la consolidation de chacun des métiers de l’armée de Terre – comme les forces spéciales, l’aviation légère de l’armée de Terre, la logistique ou la maintenance – en les plaçant dans des organisations appelées « piliers », afin d’en renforcer la cohérence.

 

Forts de la solidité de cette organisation et de ce qu’elle a apporté, mais aussi face aux bouleversements géopolitiques que nous observons et compte tenu de la croissance des ressources prévue, il faut saisir l’occasion de cette loi de programmation militaire pour transformer l’armée de Terre et faire évoluer son organisation en vue de plus de réactivité et de puissance au combat. Je tiens à ce que l’armée de Terre ne rate pas ce changement et j’insiste donc sur cette transformation.

 

Les forces spéciales Terre resteront l’un des éléments du commandement des opérations spéciales (COS) au même niveau que précédemment, et ce niveau sera même rehaussé par l’effort d’environ 2 milliards d’euros consacré à ces forces par la loi de programmation militaire. Il s’agira de divers renforcements autour de ces forces, qui bénéficieront en outre du rapprochement avec la lutte informatique offensive, l’influence et les domaines de l’hybridité. Ce n’est donc pas rabaisser les forces spéciales que de les placer au sein des forces terrestres, mais profiter de leur élan pour tirer les forces terrestres vers le haut.

 

Mme Mélanie Thomin (SOC). Mon intervention portera sur les révisions d’objectifs concernant l’armée de Terre. En effet, si ces objectifs sont pleinement satisfaisants sur plusieurs points, ils restent à préciser sur certains autres. Le rejet de l’étude d’impact en conférence des présidents confirme ainsi que certaines dispositions financières sont difficilement renseignées à ce stade.

 

Si la LPM acte une trajectoire budgétaire ascendante, elle révise aussi à la baisse certains objectifs, notamment pour les unités de chars LECLERC et les engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) JAGUAR et les GRIFFON. Ces révisions d’objectifs sont-elles le résultat d’arbitrages sur les besoins à terme de vos forces ou certains renoncements pourraient-ils faire l’objet de modifications lors de l’actualisation de la LPM en 2027, par exemple si les industriels augmentent leurs capacités ?

 

Plus particulièrement, le projet actuel est peu prolixe à propos de l’aviation légère de l’armée de Terre. Si le rapport annexé indique un accroissement du nombre de NH-90 Caïman, notamment pour les forces spéciales, quel sera le sort des hélicoptères de manœuvre ?

 

Par ailleurs, la cible, révisée à la baisse, de 67 TIGRE au standard Mk3 est-elle en phase avec l’ambition de cette LPM et les attentes des forces ?

 

Pouvez-vous également préciser les objectifs du programme d’hélicoptère interarmées léger (HIL), dont la cible semble demeurer fixée à 169 unités, mais au-delà de l’horizon de cette LPM ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Pour ce qui concerne les GRIFFON, JAGUAR et SERVAL, c’est-à-dire le programme SCORPION, les cibles ne sont pas réduites et notre objectif à terminaison reste d’atteindre les volumes précédemment définis. L’atteinte de ces cibles est néanmoins reportée au-delà de 2030. Nous devions faire un choix et je l’assume totalement, même si, dans un monde idéal, j’aurais évidemment souhaité à la fois maintenir le rythme prévu et acquérir les capacités supplémentaires qui n’étaient pas prévues mais que nous avons pu financer. J’ai proposé moi-même que les munitions téléopérées, les charges actives cyber, certains blindés destinés à notre défense sol-air, l’accélération de la lutte antidrones et les unités de robots soient financées en contrepartie d’un lissage du programme SCORPION mais, je le répète, les cibles ne sont pas revues à la baisse.

 

Pour ce qui est de l’aviation légère de l’armée de Terre, les livraisons d’hélicoptères de manœuvre se poursuivront au cours de l’exécution de la loi de programmation militaire, qui permettra notamment d’acquérir des hélicoptères de manœuvre pour les forces spéciales. Quant au TIGRE le passage au standard 2 se poursuivra et, en fin de loi de programmation militaire, nous disposerons de 67 TIGRE au standard 2. L’évolution de ces appareils vers un standard ultérieur est actuellement en discussion, notamment avec les Espagnols, avec lesquels nous sommes associés dans ce programme. Nous devrons aussi tenir compte des éléments que nous fournira le conflit en Ukraine pour préciser les conditions d’emploi de ces hélicoptères, en fonction notamment de l’évolution de la capacité des drones aériens, car les hélicoptères qui succéderont au TIGRE standard 2 auront consubstantiellement la capacité de guider certains drones aériens ou d’opérer avec eux.

Les premiers HIL nous seront livrés dans le cadre de loi de programmation militaire, mais le gros de cette livraison ne commencera qu’au début des années 2030.

 

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Mon général, j’aurai moi aussi une pensée pour les compagnons d’armes et les familles de vos hommes tombés en opérations. Le nouveau modèle d’armée de Terre que vous défendez donne priorité à l’augmentation du nombre d’unités d’appui et de soutien pour renforcer l’autonomie des brigades et leur capacité de feu, le tout dirigé par des capacités de commandement adaptées aux défis militaires de notre temps, quitte à réduire le nombre de régiments de mêlée au profit du renforcement de l’épaisseur, recherché d’ailleurs depuis l’actualisation de 2021.

 

La fonction logistique est une fonction opérationnelle qui est parfois dépeinte comme oubliée. En 2018, devant cette commission, le général Charles Beaudouin, alors sous-chef d’état-major chargé des plans et programmes, déclarait : « la logistique mérite son programme SCORPION ». Le dimensionnement de cette fonction répond à des hypothèses géostratégiques. Alors que le paradigme a longtemps été celui d’un modèle expéditionnaire, visant à soutenir les flux logistiques au profit de groupements tactiques interarmes (GTIA) d’environ 1 500 hommes, voire de quelques sous-GTIA de 250 hommes en opérations extérieures (Opex), nous évoquons aujourd’hui l’hypothèse d’engagements majeurs, et donc de la manœuvre simultanée de plusieurs brigades, voire d’une division et d’une à deux brigades à l’horizon 2027 en norme Otan. Le dimensionnement de la logistique prévu dans la LPM que vous nous soumettez correspond-il à ce besoin ?

 

Ma deuxième question est d’ordre théorique : selon un lieu commun venu des États-Unis, le développement des munitions de précision permettrait de réduire les volumes de feu, et donc les volumes logistiques, jusqu’aux engins et pièces d’artillerie. Partagez-vous cette analyse ?

 

Ma dernière question porte sur les capacités : la LPM 2018-2025 devait permettre l’entrée en phase de réalisation d’un programme « Successeur poids lourd », qui prévoyait 80 livraisons de camions sur la période, soit d’ici à 2025, puis l’engagement, en LPM ultérieure, d’environ 7 000 camions. Le projet qui nous est soumis aujourd’hui n’étant pas très clair à cet égard, pourriez-vous nous en dire plus ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. La logistique d’une opération majeure, c’est-à-dire d’un engagement au combat de haute intensité, fait partie du projet et c’est l’une des explications de l’écart entre les cibles précédentes et les nouvelles cibles visibles. En effet, le rapport annexé ne présente pas cette dimension importante qu’est la logistique. Or la loi de programmation militaire prévoit une montée en gamme du domaine logistique, visant à l’adapter aux combats de haute intensité. L’objectif est de disposer en 2027 d’une division projetable en trente jours, capable donc, outre ses unités de combat et son appui feu, de partir avec sa logistique pour être engagée dans une opération, par exemple en coalition en Centre-Europe ou au Moyen-Orient.

 

Les camions sont un élément important dans cette perspective : nous en achèterons environ 2 000 au titre de cette loi de programmation militaire, qui correspondent au projet que vous évoquiez à propos de la précédente. Cela recouvrira divers éléments logistiques. Il s’agira de camions portant des citernes ou des conteneurs, d’une centaine de shelters dont le service de santé vous parlera probablement et qui équiperont les moyens de santé de nos deux divisions, une unité médicale opérationnelle de rôle 2, c’est-à-dire une antenne chirurgicale du niveau divisionnaire, ainsi qu’un hôpital de campagne. Nous acquerrons également des douches de campagne, des tentes et du matériel de cuisine. La dimension logistique fait donc partie de la programmation.

 

Au total, ce sont, comme l’a affirmé le ministre, 18,5 milliards d’euros qui seront destinés à ce titre aux armées, directions et services, dont 3 milliards pour les équipements individuels, y compris les petits équipements relevant de cette logistique. On sait l’importance des tenues pour les soldats : dans un an et demi, nous changerons le bariolage de nos treillis, changement qui s’accompagnera de la livraison de nouvelles chaussures, de nouveaux sous-vêtements chauds et de nouveaux équipements de campagne.

 

La logistique est donc là, même si elle est moins détaillée dans le rapport annexé. Je précise que les 2 000 camions prévus seront, pour une part, achetés sur étagère et, pour le reste, développés spécifiquement.

 

Pour ce qui est des munitions de précision et des flux logistiques, ma réponse sera « hybride ». La précision des munitions doit diminuer en partie le volume de munitions employé. De fait, face à certains objectifs précis et identifiés, lorsqu’on ne dispose pas d’une artillerie de précision, on envoie un « plot », c’est-à-dire au moins six obus, en fonction de la portée, afin de tenter de neutraliser, par exemple, un ensemble de trois chars, et lorsqu’on en dispose, on peut n’en tirer que trois. La loi de programmation militaire prévoit bien l’acquisition de munitions d’artillerie de précision, mais ces munitions n’éliminent pas le besoin de saturation qui s’impose parfois, notamment pour traiter des objectifs enterrés ou protégés, et il faut donc combiner les deux.

 

Il nous faut aussi prévoir les camions et les transports nécessaires à nos unités pour transporter notamment les obus d’artillerie, qui sont l’élément le plus dimensionnant de la charge logistique de nos brigades et de notre division.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux questions des autres députés.

 

Mme Michèle Martinez (RN). La mobilité occupe une place importante dans l’armée de Terre, et en est même l’une des composantes principales dès qu’un soldat parvient à un grade de sous-officier. Ces mutations avec changement de domicile affectent non seulement le soldat, mais aussi toute sa famille, avec souvent l’inquiétude de ne pas trouver pour les enfants une place en crèche ou à l’école la plus proche ni, pour la conjointe ou le conjoint, un nouvel emploi à la hauteur de ses qualifications. Votre expérience et votre parcours d’officier vous permettent de le comprendre. Ma question porte donc sur la fidélisation : avez-vous observé des fins ou des non-renouvellements de contrats en raison des problèmes rencontrés lors des mutations ? Si tel est le cas, quelles sont vos propositions pour y remédier ?

 

Mme Josy Poueyto (Dem). Le nouveau format envisagé pour l’armée de Terre soulève des interrogations bien légitimes de la part de nos concitoyens. Alors que les forces russes et ukrainiennes s’entre-tuent depuis plus d’un an, leur arsenal paraît inépuisable. La question de la masse revient sans cesse depuis qu’a ainsi été prouvée l’obsolescence de l’opposition entre qualité et quantité – opposition qui n’en a d’ailleurs jamais été une pour l’Armée rouge, qui appliquait le précepte soviétique de bon sens selon lequel la quantité est une qualité. La transformation de l’armée de Terre en armée de Terre de combat est surprenante, car ce modèle a fait le choix de la réduction de certaines capacités opérationnelles, avec notamment moins de blindés, afin de couvrir tout le spectre de la conflictualité moderne et investir durablement dans le cyber ou les munitions rôdeuses. Dans ce nouveau modèle conçu pour regagner rapidement de la masse, la création de nouveaux régiments sera-t-elle plus facile ? Comment les hypothèses de recréation rapide d’unités opérationnelles ont-elles été prises en compte dans vos réflexions ?

 

Je m’interroge également sur le doublement des réserves. Les études d’impact présentent brièvement une réserve de protection et résilience du territoire, constituée d’unités territorialisées et bataillonnaires. Pouvez-vous préciser la nouvelle organisation ? Avez-vous donné priorité aux départements qui sont des déserts militaires ? Plus précisément, comment ces réserves seront-elles territorialisées ? Il serait intéressant que cette territorialisation prenne en compte, pour l’armée de Terre, les zones d’emploi définies par l’Insee. Nous y serons attentifs.

 

M. Laurent Jacobelli (RN). Outre les CAESAR, il faut également citer les lance-roquettes unitaires, ou LRU, qui accusent un manque criant dans l’équipement de notre armée. Les deux éléments sont, du reste, complémentaires et indispensables. Comment ce manque sera-t-il comblé ? Envisagez-vous d’acheter des Himars américains ou avez-vous connaissance d’un projet français ? En un mot, quelle est votre analyse de la situation des lance-roquettes unitaires ?

 

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous indiquez que les cibles ne sont pas réduites, mais que les commandes seront étalées. Pour ce qui concerne la rénovation des chars LECLERC, il faut ainsi prévoir une diminution du parc estimée à 20 % en 2030. Cette situation s’accompagne nécessairement d’une hausse des coûts du maintien en condition opérationnelle (MCO) à venir. Il est inquiétant que l’augmentation de 30 % de l’entretien programmé du matériel doive vraisemblablement être en grande partie rongée par l’obsolescence de chars ou de matériels dont la commande est étalée dans le temps.

 

Pour ce qui concerne spécifiquement les chars LECLERC, se pose évidemment une question de disponibilité mais aussi, et surtout, d’articulation avec le projet de système principal de combat terrestre (MGCS) mené conjointement avec l’Allemagne. Un tel projet majeur ne devrait pas être abordé aussi légèrement qu’il l’est dans le rapport annexé. Que faut-il donc comprendre de cet étalement de la commande et de cette discrétion dans le texte même du rapport ? Les difficultés que rencontre le programme sont connues. Du côté français, Nexter plaide déjà pour un démonstrateur EMBT. Quel est votre avis sur cette question et quelles sont les perspectives du MGCS ? Une telle transition, ou une telle substitution à ce projet est-elle possible ?

 

M. Vincent Bru (Dem). Ma première question porte sur les robots, qui, comme les drones, permettent de mener des opérations précises tout en garantissant la protection des vies humaines. Quelle trajectoire voulez-vous imprimer au développement de ces robots, notamment en Opex, dans des zones de conflit ? Quel travail ces équipements réaliseront-ils en soutien de nos forces armées ?

 

Ma deuxième question porte sur le Groupement d’appui aux opérations spéciales (GAOS), qui apporte des compétences spécifiques à nos forces spéciales. Le budget de 2 milliards d’euros annoncé pour ces dernières et celui de 5 milliards d’euros destiné au renseignement auront-ils une incidence sur la structuration actuelle du GAOS ? Une augmentation des effectifs humains et de nouveaux moyens matériels sont-ils envisagés ?

 

Mme Delphine Lingemann (Dem). Je voudrais, pour ma part, évoquer l’arme qui unit les autres, celle qui met en œuvre les systèmes d’information et de communication et assure la bonne transmission des ordres et des renseignements, participant ainsi grandement au succès des opérations aéroterrestres. En effet, pour mener correctement un conflit aux côtés de nos alliés, il ne suffit pas d’aligner plus de soldats et d’équipements sur le terrain : nous devons être en mesure de déployer des moyens de transmission performants et interopérables.

 

Élue dans la circonscription où est basé le 28e régiment de transmissions d’Issoire, je souhaite avoir des précisions concernant la place qui sera accordée aux transmissions dans la prochaine loi de programmation militaire. Dans votre propos liminaire, vous avez parlé de cohérence dans la transformation de l’armée de Terre et de rééquilibrage des forces terrestres. Comment l’augmentation des capacités cyber s’articulera-t-elle avec les régiments de transmission ?

 

M. Julien Rancoule (RN). Je souhaite vous interroger sur l’avenir de notre composante d’aérocombat intégrée.

 

Le rapport annexé indique une perte de dix hélicoptères de manœuvre entre 2023 et 2030. S’agissant des hélicoptères de reconnaissance et d’attaque, il est prévu que l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) dispose de 67 TIGRE en 2030, sans dire s’ils seront modernisés, alors qu’un saut technologique paraît nécessaire. Quant au programme d’hélicoptères interarmées légers, l’ambition initiale était de disposer de 169 unités à l’horizon de 2030. Or le tableau fait état de 20 hélicoptères. En revanche, nous constatons un investissement significatif dans le segment des drones.

 

Comment les hélicoptères et les drones cohabiteront-ils dans les prochaines années au sein de l’armée de Terre ? Pourriez-vous nous rappeler l’intérêt pour la France de posséder une capacité d’aérocombat susceptible d’intervenir sur tout le spectre d’emploi, depuis le simple appui et soutien des troupes au sol jusqu’à la capacité de conduire des opérations autonomes de grande envergure ?

 

M. le général d’armée Pierre Schill. Quand de jeunes femmes et de jeunes hommes choisissent la carrière militaire, notamment dans l’armée de Terre, c’est en partie par esprit d’aventure, parce qu’ils aiment le changement et ont envie de bouger. Toutefois, au fil des années, l’accès à la propriété, le travail du conjoint, la scolarité des enfants et l’accès aux soins deviennent des questions de plus en plus prégnantes. La mobilité est donc un enjeu central pour l’armée de Terre.

 

C’est d’autant plus vrai que notre modèle est fondé sur le mouvement, sur le flux, y compris pour ce qui est de gravir l’escalier social : tout jeune qui entre chez nous a pour perspective de gagner en responsabilités, et cette progression est forcément liée à une mobilité géographique. Plus une carrière est dynamique, plus la mobilité est forte. Le fait de déménager beaucoup est un poids pour certaines catégories, notamment les officiers. Dans les parcours les plus dynamiques, cette difficulté est compensée par l’intérêt des responsabilités exercées. Pour beaucoup de familles, néanmoins, déménager est une vraie aventure. L’enjeu, notamment pour fidéliser les soldats, est de compenser autant que faire se peut les difficultés découlant de la mobilité.

 

Le deuxième plan « famille », inclus dans la nouvelle LPM et conçu après une analyse des résultats du précédent, comporte des mesures qui devraient faciliter la mobilité. Le manque de crèches, notamment, a toujours été un enjeu important. Une cinquantaine de crèches ministérielles devraient être créées. D’autres mesures visent à accompagner les mutations et à prendre en compte leur impact sur la vie des familles, notamment en facilitant les contacts avec les autorités locales et les collectivités, afin de favoriser l’implantation. Au total, 750 millions d’euros sont inscrits dans la LPM, mais, plus que ces ressources, ce sont les mesures mises en œuvre qui sont importantes. Je compte beaucoup, à cet égard, sur les effets des contrats d’externalisation pour la gestion des logements du ministère des armées (CEGELOG), qui sont entrés en application le 1er janvier et devraient aider les familles à se loger. Parallèlement, la nouvelle politique de rémunération des militaires favorisera l’accession à la propriété.

 

Le nombre des réservistes de l’armée de Terre devrait passer de 24 000 à 50 000, mais, plus que de doubler les effectifs, l’enjeu est de changer de paradigme. Je compte, en particulier, renforcer la distinction entre deux catégories de réserves.

 

La première viendra en appui de la force opérationnelle terrestre. Elle sera composée de compléments individuels ou de véritables unités adossées à des régiments. Son objectif sera de faire le même métier que les unités de la force opérationnelle terrestre et, ce faisant, d’aider celle-ci à mieux remplir ses missions – franchissement, logistique –, ou d’apporter un complément, par exemple en assurant la protection des postes de commandement (PC).

 

La seconde sera conçue d’emblée comme territorialisée et assurera des missions de protection, d’appui aux populations, de soutien aux forces de sécurité intérieure, dans un périmètre local ou régional qui reste à définir. Elle pourrait être composée d’une partie des régiments existants, ou bien d’unités nouvellement créées, qui seraient implantées de préférence dans des « déserts militaires » où se trouvent des jeunes susceptibles de s’engager sous les drapeaux pour trois à six mois.

 

Notre parc compte neuf lance-roquettes unitaires (LRU). C’est une capacité qui a démontré son intérêt dans les combats modernes, en particulier lorsque l’espace aérien est si contesté que les avions ou les forces aéromobiles ne sont plus en mesure d’appuyer facilement une division dans la profondeur. Ce sont alors ces armes terrestres qui permettent soit d’attaquer l’ennemi jusqu’à 50 ou 60 kilomètres, soit de mener des actions plus stratégiques à une profondeur encore plus grande. Nous devons acquérir cette capacité. Le choix de la solution n’a pas encore été arrêté. Il y en a deux principales : soit nous achetons sur étagère – ce qui suppose d’opter pour le Himars –, soit nous trouvons une solution nationale, souveraine.

Mon objectif, en tant que chef d’état-major de l’armée de Terre, est de faire en sorte que la continuité de cette capacité soit assurée. L’une ou l’autre des solutions est possible, mais elles doivent être discutées. Si le choix se porte sur une solution souveraine, dans le cadre de l’économie de guerre, il conviendra de s’assurer, en particulier, que le délai de développement et de production soit compatible avec les besoins découlant de la disparition des LRU – même si leur prolongation doit être envisagée. Ils pourraient, par exemple, être montés sur d’autres châssis. Outre l’objectif consistant à éviter toute rupture de capacité, je souhaite que nous disposions des treize unités prévues, voire de vingt-six. La question de la portée se pose aussi : initialement, l’ordre de grandeur était le même que pour nos LRU : 70 kilomètres, mais nous pouvons espérer largement dépasser les 100 kilomètres.

 

En ce qui concerne les chars, se posent une question de court terme et une autre de moyen terme. À court terme, les 200 LECLERC de notre parc doivent continuer à combattre dans les forces terrestres durant les prochaines années. La question de savoir ce que nous devons faire pour cela n’est pas complètement détachée du système principal de combat terrestre (MGCS).

 

Nous travaillons, notamment avec notre partenaire allemand, à la question de moyen terme, à savoir le système de chars qui entrera en service à l’horizon de 2040. Indépendamment du développement industriel, le programme MGCS nous permet de travailler sur ce que seront les caractéristiques du système de chars futur et les briques technologiques nécessaires. Le système comportera nécessairement une partie robotisée. C’est une des raisons du retard pris par le programme : manifestement, la robotique terrestre atteindra la maturité un peu plus tardivement que la robotique aérienne. C’est plutôt à l’horizon de 2045-2050 qu’à l’horizon de 2040 que nous disposerons d’un engin robotisé sur Terre réellement opérationnel, contribuant au combat.

 

Mon objectif de court terme est donc de prolonger les LECLERC jusqu’en 2040 ou 2045. J’estime qu’il est possible de le faire en les modernisant, notamment en numérisant la tourelle, en modifiant le viseur et en pérennisant le moteur.

 

En ce qui concerne l’utilisation des robots dans les opérations extérieures, au-delà de la question de la maturité des techniques, nous menons des réflexions dans deux directions opposées. D’une part, nous étudions la manière dont nous pourrions intégrer tactiquement, employer en situation opérationnelle les dispositifs ayant d’ores et déjà été développés – par des entreprises ou des organismes comme l’Institut Saint-Louis, qui travaille sur des robots. C’est l’objectif de la démarche VULCAIN. D’autre part, nous travaillons à définir les besoins, de façon à obtenir une montée en gamme et une industrialisation dans cette direction. C’est tout le sens du MGCS.

 

En tout état de cause, nous ne devons pas rater l’étape de la robotisation. La période 2024-2030 sera primordiale à cet égard. Nous estimons que nous disposerons, à l’horizon de 2030, de robots pesant environ 2 tonnes. Ils porteront une partie de la charge des fantassins et leur serviront d’appui, notamment en leur fournissant une puissance de feu importante. À ce stade, je conçois le rôle des robots de la manière suivante : ils viendraient renforcer la masse d’une unité d’hommes plutôt qu’agir de manière distincte ou dans un autre compartiment de terrain que les hommes. Nous travaillons sur cette question également.

 

Nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de faire évoluer le volume des forces spéciales de l’armée de Terre. Nous avons décidé de le maintenir, car un point d’équilibre a été atteint au regard des effectifs d’ensemble. Cette adéquation se mesure de deux façons.

 

D’une part, il faut s’assurer de trouver, parmi les 115 000 hommes et femmes servant dans l’armée de Terre, le nombre de membres des forces spéciales dont nous avons besoin, sans pour autant assécher complètement nos régiments : il est important que dans chacun d’entre eux, il reste des hommes et des femmes qui auraient toutes les qualités pour rejoindre les forces spéciales mais qui choisissent de rester dans les forces conventionnelles et d’en être en quelque sorte les moteurs.

 

D’autre part, si nous voulons que les forces spéciales à la française restent au sommet des références internationales, il faut s’assurer d’être en mesure de les entraîner comme il se doit, ce qui suppose des hélicoptères, des avions et divers équipements. Nous aurions pu envisager une solution alternative consistant, comme l’ont fait certains de nos alliés, à englober dans le terme « forces spéciales » non seulement les forces du haut du spectre, mais aussi les rangers. S’agissant des forces spéciales de l’armée de Terre, ce n’est pas le choix que nous avons fait.

 

Le GAOS, c’est-à-dire les capacités qui n’appartiennent pas aux forces spéciales mais qui sont identifiées, au sein des forces terrestres, comme étant capables de travailler avec elles dans le domaine cyber ou dans celui de la santé, par exemple, sera conforté.

 

Les transmissions, et de manière générale, le système de commandement comptent parmi les capacités les plus structurantes du système de combat à venir. Elles sont engagées dans une évolution profonde. Leur dénomination elle-même pose question : les appellera-t-on « forces cyber », « unités numériques », ou encore « unités de systèmes d’information et de commandement » ? Nous retiendrons probablement le terme « numérique », qui englobera les tuyaux et les données – lesquelles sont aussi une des dimensions de la révolution qui est engagée.

 

Il n’y aura pas de modification fondamentale de l’implantation de nos forces sur le territoire national. Les effectifs du 28e régiment de transmissions évolueront peut-être – de l’ordre de trente ou quarante personnes en plus ou en moins –, mais il ne changera pas fondamentalement de visage. Néanmoins, le métier lui-même pourra évoluer. Certains régiments de transmissions seront attachés à un commandement particulier. D’autres, qui deviendront des régiments numériques, auront un métier plus global et transversal consistant à mettre en place des systèmes numériques et de communication, à pratiquer la lutte informatique défensive, à assurer la sécurité des systèmes de transmission et, plus généralement, un appui au commandement.

 

Oui, une diminution temporaire de cibles pourrait intervenir dès que nous déciderons du retrait des PUMA Terre, principalement parce que nous allons passer entièrement aux hélicoptères de nouvelle génération. Nous reverserons donc à l’armée de l’air huit CARACAL, de façon à unifier les flottes : l’armée de l’air aura tous les CARACAL, quand nous aurons tous les COUGAR et les NH90.

 

Les TIGRE seront au standard 2 à la fin de la LPM. Le périmètre de l’évolution vers un standard ultérieur fait actuellement l’objet de travaux.

 

En ce qui concerne les drones et le programme d’hélicoptère interarmées léger (HIL), la question centrale sera de savoir quelle est la part des plateformes pilotées et celle des plateformes non pilotées. La brigade d’aérocombat, composée d’hélicoptères modernisés, qui peut être engagée de nuit très près du sol, est une des pépites des capacités de l’armée de Terre française. Je suis persuadé que ce que nous observons en Ukraine ne remet pas en cause la capacité des forces aéromobiles à agir dans les intervalles et contre les arrières de l’ennemi, en particulier de grandes unités en mouvement. Nous consoliderons cette force au cours des prochaines années, mais il n’est pas exclu que, du fait des évolutions rapides en matière de défense sol-air, de défense antidrones et de l’ensemble de cette dimension multicouches, la question se pose pour la génération suivante : nous ne savons pas quelle sera la situation à l’horizon de 2035-2040.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Merci, général, pour cette audition très riche qui nous a permis d’aborder les grands enjeux humains, transformationnels et capacitaires pour l’armée de Terre dans la perspective de la prochaine LPM.

 

 

 

 

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La séance est levée à dix-sept heures dix.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Vincent Bru, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Fabien Roussel, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin

Excusés. - M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo

Assistait également à la réunion. - Mme Sabine Thillaye