Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies.   2


Mercredi
9 novembre 2022

Séance de 10 h 30

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies.

 

La séance est ouverte à 10 h 30

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Pouyanné, je vous remercie d’avoir accepté de venir répondre aux questions de notre commission et de nous éclairer de vos connaissances et de vos analyses sur un sujet que vous êtes, plus qu’aucun autre, pour ne pas dire le seul, à pouvoir délivrer avec ce degré d’acuité.

Cette audition aurait dû se tenir le 21 septembre dernier. Nous en étions convenus, mais nos collègues de la mission d’information flash de la commission des finances qui souhaitaient vous entendre ce même jour nous ont demandé de surseoir à votre audition de manière à pouvoir vous recevoir. Vous vous êtes donc rendu devant nos collègues, qui ont ainsi pu bénéficier de la primeur de vos analyses très intéressantes.

Il est inutile de vous présenter longuement, vous êtes très connu. Je rappellerai toutefois ce que certains d’entre vous, chers collègues, doivent savoir.

Monsieur Pouyanné est d’abord un grand serviteur de l’État puisque, diplômé de l’École polytechnique et de l’École des Mines de Paris, il a servi à Matignon sous le gouvernement de M. Balladur avant de devenir collaborateur au cabinet du ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l’espace jusqu’en 1997. Il est ensuite entré dans le groupe Elf – groupe originellement d’État, absorbé en 2000 par le groupe Total dans des conditions que chacun se rappelle. Puis, il est devenu directeur général de Total en 2014, dans des conditions particulièrement dramatiques, à la suite du décès accidentel à l’aéroport de Moscou de M. Christophe de Margerie dont le souvenir reste très présent par sa truculence, son énergie et ses qualités de communication. Quelle que soit l’appréciation que nous pouvons porter sur le rôle du chef d’entreprise, nous gardons un souvenir très ému de M. de Margerie.

Monsieur Pouyanné, vous êtes devenu ensuite président-directeur général (PDG) du groupe en 2015. Vous avez fait vos classes dans ce groupe et vous en connaissez tout. C’est très précieux pour nous de vous accueillir aujourd’hui. Aussi est-ce avec plaisir et un grand d’intérêt que je vous salue. Je sais que certains aspects de votre action ont suscité des polémiques. Celles-ci doivent donner lieu à des débats peut‑être, mais certainement pas à des mises en cause personnelles. Je compte sur le civisme et la courtoisie de mes collègues pour que cette audition se déroule dans de très bonnes conditions.

Avant de vous laisser la parole, je dirais que j’ai le sentiment, aujourd’hui, d’interroger trois personnes à la fois.

Vous êtes d’abord, je l’ai dit, un serviteur de l’État et un citoyen, un citoyen particulièrement éclairé sur les questions énergétiques. Nous faisons face à un enjeu qui est celui de la transition énergétique, de la transition climatique, qui est sans doute le plus important de ceux auxquels nous serons confrontés à échéance d’une quarantaine d’années. Tout le monde ici en est conscient. Compte tenu de vos fonctions et de votre expérience, votre avis sur ces questions est particulièrement éclairé.

Alors que nous nous interrogeons sur la signification exacte de ce que nous devons faire, il serait intéressant de bénéficier de vos lumières pour nous éclairer sur les trois défis que nous vivons.

Le premier est le défi de la prévisibilité : nous ne savons absolument pas de quoi demain sera fait en matière de mix énergétique. À cet égard, nous sommes confrontés à un risque important, que j’appellerais le syndrome du Minitel : ne faisons-nous pas confiance à des technologies actuelles qui seront peut-être dépassées demain ? Si tel était le cas, nous aurions le regret d’avoir opéré de mauvais choix. Comment percevez-vous l’avenir de la situation énergétique ?

Le deuxième défi concerne les limites de l’exemplarité. En la matière, nous sommes face à un autre syndrome, celui de la clé et du réverbère, celui de l’homme qui cherche la clé qu’il a perdue sous le réverbère non pas parce qu’elle s’y trouve mais parce que c’est là qu’il y a de la lumière. Transposé à notre situation, nous agissons très fortement à l’intérieur de nos frontières, nous sollicitons les efforts et la mobilisation de chacun, alors même que l’enjeu est universel et géopolitique, passant avant tout par la conversion à des exigences de transition de grands acteurs sur lesquels nous pesons relativement peu, comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis, pour ne citer qu’eux. Ce défi de l’exemplarité nous pose un problème, car si nous en faisons trop unilatéralement, nous pouvons nous affaiblir économiquement sans obtenir un résultat aussi considérable qu’attendu. J’aimerais que vous nous éclairiez sur certains aspects de cette affaire.

Le troisième défi, très complexe, est celui de l’adaptabilité : en quoi sommes-nous capables de procéder aux changements nécessaires sans mettre en cause notre compétitivité économique, nos équilibres sociaux ni nos équilibres politiques ? Dans quelle mesure, notamment, le degré de contrainte que nous envisageons d’imposer à nos concitoyens est-il compatible avec le maintien d’une société libre ?

Des échéances précises se dessinent. Concrètement, ces questions pourraient se centrer autour de la question de la voiture. M. Breton a émis des propos assez dissonants par rapport à ceux que nous entendions jusqu’à présent. Comment voyez-vous la perspective, vous qui fournissez du carburant à l’ensemble des voitures européennes, voire mondiales ? Comment voyez-vous la portée réelle de l’interdiction du moteur thermique à une échéance relativement brève ? Considérez-vous que ce défi puisse être relevé dans des conditions qui soient véritablement à la hauteur des économies d’énergies fossiles que nous espérons ? Comment peut-il être assumé sans risques collatéraux trop importants sur la compétitivité économique de l’Europe ? C’est un point de focus sur lequel nous aimerions vous entendre.

Monsieur Pouyanné, je m’adresse ensuite à l’acteur géopolitique. Vous êtes à la tête d’une entreprise vaste, puissante, riche, entreprenante, qui a entretenu des relations très étroites avec la Russie. Je rappelais le souvenir de Christophe de Margerie. Vous vous désengagez de la Russie dans des conditions difficiles économiquement et humainement. Au-delà des problèmes que cela pose, en tant que grand spécialiste et grand acteur du marché de l’énergie, comment percevez-vous les conséquences de la guerre en Ukraine ? Sommes-nous confrontés à une perturbation à très long terme ? Sommes-nous confrontés à une situation qui stoppera net, ou partiellement, la substitution des énergies fossiles par des énergies renouvelables ? Les coûts de l’énergie qui vont affecter principalement les Européens seront-ils un problème majeur, fondamental, pour les économies européennes ?

Enfin, bien évidemment, je voudrais interroger le chef d’entreprise. Vous êtes à la tête d’une entreprise immense, d’une entreprise multinationale qui pose deux problèmes. Le premier est celui du contrôle. Certes, si nous autres, politiques, avons un problème pour contrôler les multinationales, c’est parce que nous n’avons pas bâti d’outils multinationaux, à commencer par l’outil européen, capables d’encadrer politiquement l’activité de groupes qui interviennent sous toutes les latitudes.

Au‑delà se pose le problème des bénéfices. TotalEnergies réalise des bénéfices considérables. Cela soulève une problématique théorique intéressante : est-il bon ou mauvais qu’une entreprise en charge de responsabilités énergétiques importantes réalise des bénéfices ? Est-ce immoral, ou n’est-ce pas la condition nécessaire pour créer des investissements qui sont, à terme, la clé de la transition énergétique ? C’est toute la question de l’utilisation de la valeur ajoutée. Vous répondez aux critiques qui sont adressées à votre groupe qu’à terme, vous ferez 40 % d’énergies renouvelables. En réalité, vos détracteurs considèrent que l’essentiel de votre activité reste dans les énergies fossiles, le gaz, le pétrole, et que la part du renouvelable demeure très limitée.

Sur tous ces sujets, les interrogations sont immenses. J’ai conscience en vous recevant, monsieur le président-directeur général, d’avoir affaire à l’une des rares personnalités en France capable de nous apporter des éléments d’information et d’analyse de première qualité.

M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies. Je ne sais si je parviendrai en quinze minutes à répondre toutes vos interrogations mais je vais essayer de brosser rapidement le tableau.

L’énergie est un bien essentiel à tout développement économique et social, et toute politique énergétique présente trois caractéristiques. La première est de faciliter l’existence du plus grand nombre grâce à une énergie fiable et sûre. Cela paraît évident ici, en France, même si, en ce moment, des débats surgissent également en Europe ; ce n’est pas aussi évident pour le milliard de personnes sur la planète qui n’ont pas accès à l’énergie.

La deuxième caractéristique, que j’aurais également pu placer en premier, est que l’énergie doit être durable, au sens climatique du terme. Un impératif a été fixé auquel TotalEnergies souscrit, signé dans l’accord de Paris : nous devons faire face au dérèglement climatique et l’énergie, fossile notamment, est source d’émissions de carbone qui posent question.

La troisième caractéristique, que l’on vit de façon prégnante en 2022, est que l’énergie doit être abordable. Après vingt-cinq ans passés dans le secteur de l’énergie, je constate que le prix de celle-ci pilote à peu près toutes nos politiques car c’est un bien essentiel, dont tout le monde a besoin. Lorsque l’on commence dans la vie, que l’on a un salaire, la première chose que l’on fait, c’est de se chauffer et se déplacer pour pouvoir vivre et travailler.

Ce caractère abordable vaut également pour tout développement économique et social des pays émergents. Depuis des siècles, l’homme cherche l’énergie la plus abordable possible et vit des révolutions énergétiques successives : à l’origine, c’était le charbon, puis le pétrole, le gaz, le nucléaire, etc.

Le pétrole est l’énergie la plus dense et abordable que l’on ait trouvée. Le défi de la transition énergétique est de passer d’un système mondial à 81 % d’énergies fossiles – de l’ordre de 30 % de charbon, 30 % de pétrole et 20 % de gaz – à un système sans énergies fossiles, et ce à l’échelle de la planète, pas seulement à l’échelle d’un pays puisque le changement climatique est un défi global. Certes, les pays développés doivent faire des efforts car nous avons une responsabilité historique, mais il ne servirait à rien de les faire seuls si le reste de la planète ne nous suit pas.

Le défi est prométhéen. Il y a vingt‑cinq ans, la part des énergies fossiles était de 82 % ; l’année dernière, elle était de 81 %. Des évolutions ont pourtant eu lieu entre-temps mais, avant tout, la population de la planète croît. C’est la raison pour laquelle les efforts considérables que nous produisons pour construire les énergies décarbonnées sont, en fait, absorbés par la demande supplémentaire liée à la croissance de la population. C’est un sujet majeur dont il faut bien saisir la portée parce que le défi de la transition énergétique consistera à répondre aux besoins d’une population croissante tout en décarbonant.

Ces populations croissantes aspirent toutes, légitimement, au niveau de la planète, à avoir accès à l’énergie. Le sujet ne se pose pas tant dans nos pays développés occidentaux que dans les pays asiatiques, sud-américains et africains où la demande porte sur une énergie à faible coût. Nous le constatons de façon spectaculaire cette année car, les prix du gaz s’envolant sous la pression européenne, les pays asiatiques se tournent à nouveau vers le charbon et nous assistons à un passage du gaz au charbon parce que le charbon est l’énergie la moins chère pour produire de l’électricité dans des pays qui en ont besoin.

Tel est le défi. Il est loin d’être simple à relever et il est collectif. Il pose, bien évidemment, de nombreuses questions.

Au regard des milliards que nous allons investir dans notre propre transition énergétique, je me demande si de telles sommes représentent le moyen le plus efficace pour abaisser les émissions marginales de CO2, marginales même si elles existent dans nos pays, alors qu’il faudrait des trilliards pour parvenir à maîtriser la croissance des émissions des pays majeurs que sont la Chine et l’Inde notamment, dont le mix énergétique domestique repose fondamentalement sur le charbon et le renouvelable, ce qui n’est pas nécessairement bon pour le climat.

Tout cela forme un système complexe. Je vais sans doute choquer certains d’entre vous, mais croire que cela se fera en une nuit n’est tout simplement pas possible. La transition prendra du temps. Je sais bien que l’on me répondra que les experts du climat disent qu’il y a urgence. J’en conviens mais, en même temps, nous voulons vivre et notre capacité à accepter de changer nos comportements, nos vies, nos sociétés n’est pas aussi évidente que cela. Regardez ce qui se passe cette année : les prix de l’énergie augmentent à cause de la guerre et de ses effets, et les États européens doivent mettre en place des systèmes de subvention à l’énergie d’aujourd’hui, qui est fossile.

Le défi est donc important. Pour réussir cette transition énergétique, puisque je suis un producteur d’énergie, nous allons beaucoup parler d’offre. On a le sentiment qu’en baissant la production d’énergies fossiles, le problème sera réglé, mais la demande d’énergies fossiles – plus précisément, la demande d’énergie qui, aujourd’hui, est majoritairement satisfaite par les énergies fossiles – continue de croître. Tant que ce sera le cas, si, nous, producteurs d’énergies fossiles, décidons – comme nous l’avons d’ailleurs fait – de réduire nos investissements, à la fin, ce sont les prix qui procéderont à l’adaptation entre la demande et l’offre.

C’est exactement ce à quoi nous assistons en ce moment, de façon spectaculaire. Nous avons réduit les investissements dans les énergies fossiles à l’échelle de la planète ; ils sont passés de 700 milliards en 2014 à 400 milliards cette année. Pour TotalEnergies, cela représente une baisse de l’ordre de 40 %, puisque nous sommes passés de 20 milliards à 12 milliards. Or si nous n’investissons pas, il y a un déclin naturel des champs de pétrole et de gaz de 4 à 5 % par an. La fourniture de pétrole ne fonctionne pas comme une usine de médicaments. Un écart se creuse parce que la pression dans le puits diminue au fur et à mesure que l’on produit, engendrant une baisse de la production l’année suivante. Ce phénomène est majeur. À partir du moment où TotalEnergies décide d’investir dans l’énergie fossile, elle perd 4 % par an, soit 60 % de sa production en quinze ans. La question est donc de savoir quand arrêter pour atteindre l’objectif visé en 2050. Nous devons donc continuer à investir. Pour reprendre l’exemple de la voiture, en attendant, nous continuerons à utiliser des véhicules thermiques, et l’on voit bien malheureusement que lorsque, pour d’autres raisons, nous n’arrivons pas à fournir l’essence à nos concitoyens, la situation devient difficile.

Le défi est double. D’une part, il faut massivement investir pour construire le système décarbonné, ce que j’appelle le système B d’énergie de demain. À l’heure actuelle, 700 milliards de dollars sont alloués à cette énergie décarbonnée – donc, plus qu’aux énergies fossiles. En réalité, pour être dans la trajectoire, il faudrait être capable de passer de 700 milliards à 1,5 trilliard de dollars par an. Il serait nécessaire de doubler à l’échelle de la planète les investissements en faveur des énergies renouvelables comme du secteur de l’électricité. De plus, s’agissant de l’électricité, il ne faut pas oublier les réseaux car, plus on produira d’énergie renouvelable décentralisée, plus il faudra de réseaux, ce que l’on oublie parfois. Les réseaux que nous utilisons, que ce soit en Europe ou aux États‑Unis, datent de l’après-guerre. Or les investissements en la matière sont relativement limités.

Il faudrait consentir un effort gigantesque. Ce système B n’existe actuellement que de façon embryonnaire et ne permet de couvrir que 5 à 7 %, disons 10 %, des besoins mondiaux. Notre défi est, bien évidemment, de construire massivement ce système B, mais si nous cessons d’investir dans le système de l’énergie qui nous fait vivre actuellement, si cette énergie diminue, cela ne fonctionnera pas. La transition ne pourra s’opérer. Il convient de trouver le bon équilibre entre investir dans l’énergie de demain et accélérer, tout en maintenant le système énergétique actuel car c’est un impératif tant que le système B ne sera pas suffisamment développé. Telle est l’équation, elle ne sera pas résolue en un ou deux ans. Un système énergétique se construit sur plusieurs décennies.

TotalEnergies applique exactement ce choix stratégique. Quand le groupe Total est devenu TotalEnergies en 2020, ce n’était pas simplement pour changer de nom, mais pour traduire un véritable changement de stratégie. Lorsque l’on regarde les marchés de l’énergie, on voit bien que le marché pétrolier actuel finira par stagner, puis diminuera. Le marché gazier, quant à lui, s’il peut continuer à croître, diminuera aussi. L’énergie de transition passe par l’électricité. Il faut donc électrifier l’économie et, pour ce faire, construire un système électrique à base d’énergies renouvelables, à base également de centrales à gaz pour assurer des moyens de génération flexibles, à base de batteries et de matériels de stockage de l’électricité, qui n’est pas le sujet le plus simple à résoudre.

En passant de Total à TotalEnergies, nous avons donc décidé d’exercer un métier supplémentaire : celui de fournisseur d’électricité. Nous investissons dans ce domaine, et pas de façon limitée puisqu’en 2022, sur nos 16 milliards d’investissement, 4 milliards, soit 25 %, ont été consacrés aux énergies décarbonnées, et notamment à bâtir ce pilier d’électricité. À la fin de cette année, nous atteindrons 16 gigawatts, à peu près l’équivalent en capacités d’énergies renouvelables ou centrales à gaz, l’essentiel étant l’énergie renouvelable. À la fin de l’année prochaine, nous serons à plus de 22 gigawatts, l’objectif étant d’atteindre 35 gigawatts en 2025 et 100 gigawatts à la fin de la décennie.

C’est une évolution majeure pour nous même si, dans le même temps, nous continuons à investir 12 milliards dans les énergies fossiles, soit 6 à 7 milliards pour maintenir notre activité actuelle, et 4 à 5 milliards dans de nouveaux projets, notamment des projets de gaz naturel liquéfié.

Ces rappels m’amènent à la question géopolitique.

Permettez-moi tout d’abord quelques réflexions sur ce que nous vivons. La Russie, vous le savez, est un acteur majeur dans le monde de l’énergie : troisième producteur mondial de pétrole et deuxième exportateur ; deuxième producteur de gaz naturel et premier exportateur ; sixième producteur de charbon et troisième exportateur. Elle est d’ailleurs également le quatrième producteur de nickel et le sixième de cuivre, ce qui concerne plutôt les énergies renouvelables. La disruption russe est donc un sujet majeur dans le monde de l’énergie, qui a des conséquences pour nous, Européens.

Côté pétrole, TotalEnergies a indiqué que nous pourrions nous passer de pétrole russe, et nous allons nous en passer. Les impacts sont relativement limités. Nous pourrons y revenir lors des questions.

Coté gaz, en revanche, pour nous, Européens, le sujet est majeur. En effet, que se passe-t-il sur le gaz ? En vérité, depuis vingt ans, on a construit le système européen comme si le gaz russe était un gaz domestique ; il ne l’est pas, nous le découvrons. Mais c’est ainsi que nous avons construit le marché gazier européen et construit, si l’on peut dire, notre « indépendance ». Le terme exact serait plutôt celui de « dépendance ».

À lui seul, le gaz russe représente 100 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié. La production mondiale de gaz naturel liquéfié est de 400 millions de tonnes. Cette année, l’Europe n’a pas acheté 100 millions de tonnes, elle est allée chercher 40 millions de tonnes sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié. Nous avons engendré un choc de la demande de 10 % sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié. C’est énorme pour lemarché énergétique. Pour fournir ces 10 % à l’Europe, nous avons dû les chercher en Asie, en concurrence avec les Chinois, les Japonais et les Coréens. C’était nécessaire, et nous l’avons fait en faisant monter les prix.

Une usine de gaz naturel liquéfié demande un investissement d’une dizaine de milliards et demande cinq à six ans de construction.

Ce marché de 400 millions de tonnes – l’année dernière, il était exactement de 380 millions de tonnes – n’évoluera pas rapidement. La prochaine vague de constructions sera livrée en 2026 ou 2027, car des usines continuent de se construire, même si le Covid avait quasiment stoppé les investissements. Nous sommes donc face à un système contraint par l’offre de 400 millions de tonnes. Nous, Européens, en avons demandé 40 millions cette année et, potentiellement, s’il faut remplacer tout le gaz russe, ce sont 100 millions de tonnes qu’il nous faudra.

Ce choc est majeur. C’est la raison pour laquelle les prix du gaz se sont envolés et nous avons une nouvelle dépendance. Si nous n’utilisions pas le gaz naturel liquéfié auparavant, c’est parce qu’il était plus cher que le gaz russe. La vérité est que notre dépendance au gaz russe tenait à son coût, plus bas. En conséquence, l’un des facteurs de compétitivité de l’industrie européenne, notamment de nos voisins d’outre-Rhin, tenait au gaz russe. En le remplaçant par du gaz naturel liquéfié (GNL), qui est deux fois plus cher, les Européens sont confrontés à un problème de compétitivité lié à l’énergie.

Le Japon connaît cette situation depuis trente ans. Ce pays vit avec une énergie beaucoup plus chère que le reste de la planète. Il a d’ailleurs créé le gaz naturel liquéfié dans les années 1970-1980. Il importe quasiment toute son énergie : du charbon, mais aussi du gaz naturel liquéfié. Il avait le nucléaire mais Fukushima l’a remis en question. Au passage, qu’a fait le Japon ? Il a fermé ses frontières, c’est-à-dire qu’il a instauré des tarifs douaniers pour protéger son industrie. Quand un pays est confronté à des facteurs de compétitivité qui n’en sont plus, il faut bien prendre des décisions pour protéger son industrie. Cela ne relève pas de ma compétence en tant que patron d’un groupe du secteur de l’énergie, c’est un simple commentaire, mais je vous invite en tant que décideurs politiques à observer comment le Japon réagit pour mieux préserver son économie face à une énergie chère.

Il est une autre conséquence majeure de cette disruption que je voulais partager avec la commission des affaires étrangères. Après le début du conflit, très rapidement, j’ai été amené à me rendre en Inde où nous investissons. J’ai été très frappé de la réaction de mes interlocuteurs indiens. Puis, je me suis rendu au Moyen-Orient et, alors que nous vivions ce drame de la guerre en Ukraine, tous me demandaient ce que nous avions fait, nous, Européens, pour en arriver à une telle situation. Je me suis rendu compte que la vision que nous avions de ce conflit – nous occidentaux, Européens et nos alliés américains, c’est-à-dire le camp occidental – n’était pas du tout partagée par l’immense majorité du reste du monde qui nous regarde comme si nous en étions coresponsables, considérant que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait. D’ailleurs, nous avons pu constater combien ils étaient surpris de notre décision d’engager des sanctions de manière unilatérale, avant même de consulter des Nations Unies pour vérifier que nous avions raison.

Il importe vraiment de prendre en compte ce phénomène. Nous avions construit un monde global fondé sur le commerce, en espérant que ce dernier entraînerait nos idéaux démocratiques. Après la chute du mur de Berlin en 1991, nous avons basculé dans un autre monde – nous l’avions constaté avec le Covid, mais nous le percevons encore plus clairement aujourd’hui avec ce conflit qui devient plus géopolitique créant une cassure entre blocs : le bloc occidental d’un milliard de personnes et le Sud de quelque six milliards d’individus. Il ne faut donc pas se tromper dans l’analyse : les Chinois ne sont pas seuls à soutenir plus ou moins les Russes, il y a bien plus de monde que cela dans ce Sud qui nous regarde.

Cela rejoint le débat actuel à la COP27, qui est un débat de même nature géopolitique entre le Nord – l’occident, les pays développés – et le Sud – notamment les pays africains qui affirment leur droit de se développer.

Une cassure est en train de s’opérer à travers un certain nombre de conflits et de crises. C’est un sujet qu’il ne faut pas sous-estimer. Le Sud est composé de six milliards de personnes. Nous sommes, quant à nous, un milliard. Il faut comprendre que ces pays – et je connais bien, aussi, les pays du Moyen-Orient – vivent dorénavant leur futur par eux-mêmes ; et leur futur, c’est l’Asie ! Le futur des pays du Moyen-Orient se trouve à l’Est ; c’est d’ailleurs l’Asie qui achète leur pétrole aujourd’hui, beaucoup moins l’Occident.

Il convient donc de prendre en compte les forces géopolitiques que constituent tous ces clubs de pays dans les positions que nous adoptons en tant qu’Européens parce que, d’un point de vue énergétique, l’Europe se retrouve un peu dans la situation du Japon. Puisque nos énergies fossiles diminuent, que nous dépendons des autres, la solution est d’accélérer la maîtrise des énergies sur notre territoire, à savoir les énergies renouvelables. C’est pour cela que je pense que le plan européen est adéquat. Je me prononcerai moins sur l’énergie nucléaire, parce que je ne suis pas expert en la matière ; vous inviterez le président d’EDF si vous voulez qu’il vous en parle. Mais, avec le nucléaire, les énergies renouvelables sont les seules énergies de souveraineté que nous pouvons maîtriser.

Construire un système énergétique européen plus souverain prendra du temps, même si des dépendances subsisteront. S’agissant des énergies renouvelables, une des questions majeures tient à la fabrication en Chine de la plupart des composants ; nous nous retrouvons donc en prise à une autre dépendance et, pour le moins, il nous faudra importer les matériaux nécessaires à la construction des batteries. Il n’empêche que c’est un sujet de sécurité énergétique qu’il convient de repenser.

Comme je l’expliquais, la stratégie de TotalEnergies a beaucoup évolué. Nous sommes confrontés à un défi parce que, dès lors que les prix des hydrocarbures sont plus élevés, un certain nombre d’actionnaires nous demandent pourquoi nous n’investissons pas davantage. Nous avons décidé d’une stratégie, à laquelle nous allons nous tenir, consistant à maintenir notre production de pétrole, à ne plus la faire croître, à adapter surtout notre système de raffinage et de réseau, qui est très européen, au fait que la transition énergétique interviendra d’abord en Europe, à continuer de croître sur le gaz naturel liquéfié – nous sommes devenus le deuxième acteur mondial du gaz naturel liquéfié, le troisième si je compte le Qatar avec Shell – et à atteindre notre ambition d’être parmi les cinq plus grands producteurs d’énergies renouvelables d’ici à 2030, avec une centaine de gigawatts.

Comment répartissons-nous notre valeur ajoutée ? La valeur ajoutée fluctue ; cette année, elle est beaucoup plus élevée. L’une des conséquences de ces bénéfices plus importants est que nous avons décidé de passer de 14 à 18 milliards d’investissement. Nous augmentons donc nos investissements, notamment dans les énergies dites décarbonées. L’an dernier, nous étions à 3 milliards, nous passons à 4 milliards et nous avons annoncé que nous monterions jusqu’à 6 milliards, soit un tiers du portefeuille, la partie réservée aux hydrocarbures demeurant stable afin d’assurer la mission que j’ai décrite.

Par ailleurs, nous répartissons notre valeur ajoutée avec nos actionnaires, nos salariés ainsi qu’avec les consommateurs puisque, dès le mois de mars, nous avions pris l’initiative de lancer des opérations visant à soutenir les consommateurs français.

Je ne répondrai pas sur la notion de contrôle qui relève plus du Parlement. Je peux toutefois dire que des sociétés comme les nôtres font face à de très nombreuses réglementations auxquelles nous devons obéir, d’autant plus que le groupe TotalEnergies est à la fois coté en Europe, en France et à New York. Le nombre de réglementations auxquelles nous devons répondre est élevé. En même temps, une des autres règles que nous suivons est que nous respectons le droit de tous les pays dans lesquels nous sommes implantés.

Vous m’avez parlé de voiture. La voiture est un exemple de transition. Je pense que Carlos Tavarès ou Luca Di Meo seraient plus à même de parler de construction automobile que moi. Pour ma part, j’observe qu’un choix est fait. En réalité, je ne suis jamais très favorable à ce qu’un choix technologique soit fait par un pouvoir politique. J’ai apprécié votre paradigme du risque du Minitel, qui est réel.

À mon sens, la vraie décision à prendre est celle de savoir quelles sont les émissions de carbone que l’on veut ou que l’on ne veut pas pour rouler. Le véhicule électrique est une option. On peut imaginer des options alternatives, l’une d’entre elles étant les fiouls synthétiques fabriqués à partir de CO2 et d’hydrogène. Ce liquide synthétique permettrait de réutiliser des moteurs thermiques. Certains constructeurs allemands aimeraient bien suivre cette voie. En imposant le tout-électrique aujourd’hui, on est en train de l’abandonner. Or nous aurons besoin de développer cette voie du fioul synthétique si nous voulons décarboner l’aérien, par exemple.

Dans l’aérien, en effet, compte tenu du problème de stockage, les carburants devront être liquides. L’avion à hydrogène ou à batterie électrique aura un rayon relativement limité. Si l’on veut des avions qui, comme aujourd’hui, permettent de traverser l’Atlantique, il faudra un liquide. Si ce n’est pas du pétrole, ce sera ce qu’on appelle des carburants aériens durables. Je vous invite à avoir en tête un exercice théorique : si l’on transformait tous les déchets à l’échelle de la planète contenant des lipides, du gras, en carburant aérien durable, il ne serait possible de couvrir, en 2050, que la moitié des besoins des avions. Il faut inventer autre chose, probablement des fiouls synthétiques, et ces nouveaux carburants pourraient aussi être utiles pour la voiture.

L’autre conséquence liée au véhicule électrique est qu’il faut s’assurer que l’électricité qui l’anime est décarbonée. Si l’électricité continue d’être produite avec du charbon, comme c’est encore le cas dans certains pays européens, nous n’aurons pas réalisé un très grand progrès.

Il est donc urgent d’accélérer la décarbonation de l’électricité. Sinon, notre équation ne sera pas parfaite. Or ce n’est pas gagné, car cela demande un renforcement des réseaux électriques et des bornes de recharge, encore que ces dernières ne soient pas ce qui m’inquiète le plus. En toute honnêteté, cela me paraît même la partie la plus facile à mettre en œuvre. Pour autant, messieurs et mesdames les députés, il vous faudra régler le problème des copropriétés, car le véhicule électrique de demain sera rechargé comme l’iPhone, à 40 % à son domicile, à 40 % au bureau et à 20 % dans les stations et dans les rues.

C’est une révolution majeure pour notre réseau de stations-service. Qu’allons-nous en faire ? Nous conserverons, bien évidemment, le réseau sur les grands axes mais le réseau de proximité n’aura probablement que très peu d’utilité. Nous construirons sans doute des hub électriques. Nous sommes en train d’en construire quatre autour de Paris et de certaines grandes villes, qui seront essentiellement destinés à des professionnels, taxis et autres. Mais les particuliers vont devoir profondément changer de comportement et il y a une urgence à se préoccuper de ces questions qui ne sont plus du champ de compétence des distributeurs, notamment celle des copropriétés.

Je me suis éloigné de mon sujet, mais le véhicule électrique est un véritable défi, et un choix majeur.

Un autre défi est d’éviter d’instaurer une dépendance aux productions chinoises. Il reviendrait plutôt à Carlos Tavarès de vous l’expliquer mais la Chine a fait aujourd’hui le grand pari du véhicule électrique, et elle le produira moins cher. Il conviendra d’éviter de faire, sur ce véhicule électrique, ce que l’Union européenne a fait sur les panneaux solaires. L’Allemagne, notamment, a lancé une politique extrêmement proactive dans les années 2005-2010 en faveur de l’énergie solaire à l’échelle de la planète, qui a rencontré un grand succès. Simplement, nous n’avons pas construit l’industrie solaire qui allait avec le panneau solaire et elle est devenue chinoise à 90 %. Or, depuis l’année dernière, les prix montent et nous nous retrouvons, là aussi, face à un problème. Nous essayons, pour notre part, de diversifier nos sources d’approvisionnement en panneaux solaires en allant en chercher, par exemple, en Inde, et en promouvant d’autres ressources.

Je n’ai pas répondu à toutes vos questions mais voilà ce que je peux décrire en introduction, pour planter le décor. Je suis prêt à répondre à vos questions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez tout à fait éclairé cette question complexe. Votre intervention a été placée sous le signe du regretté Sempé qui avait publié deux volumes : Rien n’est simple et Tout se complique.

Nous en venons aux porte-parole des groupes, nombreux à s’être inscrits.

M. Lionel Vuibert (RE). Monsieur le président-directeur général de TotalEnergies, je vous remercie pour votre présentation au sein de notre Assemblée, au moment même où se tient la 27e conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la COP27, à Charm el-Cheikh en Égypte, sept ans après la signature de l’accord de Paris lors de la COP21, et alors que nous traversons une crise énergétique inédite, alimentée par une guerre aux portes de l’Europe.

TotalEnergies, leader mondial dans le secteur des énergies, ambitionne d’être un acteur majeur de la transition énergétique pour atteindre, à l’horizon 2050, la neutralité carbone sur l’ensemble de ses activités mondiales. Compagnie française, nous ne pouvons qu’encourager nos fleurons économiques et industriels à poursuivre leur croissance qui, in fine, doit profiter à nos concitoyens. Néanmoins, les défis pour atteindre cet objectif sont nombreux, contraints par un contexte mondial, politique, économique ou encore environnemental, des plus incertains : tension accrue dans l’Indo-Pacifique, trouble sécuritaire dans le Sahel, montée en puissance des régimes illibéraux à travers le monde, ou encore accélération de la fonte des glaces dans les pôles ou dans les massifs montagneux.

Ainsi, la dimension mondiale de l’entreprise que vous dirigez, qui est présente dans plus de 130 pays et produit des hydrocarbures dans 29 d’entre eux – dont certains projets sont contestés, comme en Ouganda ou au large de l’Afrique du Sud –, vous soumet à de nombreuses contingences et à un environnement sécuritaire international en voie de dégradation. En effet, la trajectoire à court terme de la demande mondiale d’énergie connaît un rebond de la consommation de charbon dans un contexte de relative reprise économique post-Covid en 2021 entraînant des perturbations du marché. En cela, une des gageures est de soutenir les efforts supplémentaires nécessaires pour décarboner l’énergie tout en garantissant aux consommateurs la sécurité énergétique et des prix abordables.

Les prix actuellement élevés de l’énergie ont placé l’efficacité énergétique en tête de nos priorités. L’examen prochain d’un projet de loi sur les énergies renouvelables à l’Assemblée nationale devrait tenter d’y répondre. En effet, la crise actuelle doit être l’occasion d’accroître les mesures d’économie et d’efficacité énergétique, qui doivent nous mener à atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Les énergies renouvelables, moteur principal de la décarbonation du mix électrique connaissent une pénétration rapide, d’autant plus que la préoccupation vis-à-vis de la sécurité énergétique devient majeure dans de nombreux pays. L’hydrogène, le gaz naturel amené à se verdir au fil du temps, les carburants liquides durables basés sur les e-fioul sont des leviers de décarbonation prometteurs mais ne devraient pas être utilisés à grande échelle avant 2030. La transition exige une augmentation des dépenses pour construire un nouveau système énergétique décarboné. La période actuelle est décisive. Les investissements dans les énergies bas-carbone doivent doubler d’ici à 2030 tandis que des investissements dans de nouveaux développements pétroliers et gaziers sont encore nécessaires, au moins jusqu’au milieu des années 2030.

Pour atteindre ce cap, les investissements massifs dans la recherche et le développement sont indispensables pour développer des technologies qui alimenteront ce nouveau système énergétique. Plus que jamais les énergies, toutes les énergies, sont au centre des préoccupations.

Comment TotalEnergies envisage-t-il de réaliser ses objectifs en matière de transition énergétique en adéquation avec les ambitions de la France alors que les défis géopolitiques, écologiques et même éthiques ne cessent de s’accumuler sur l’entreprise ?

M. Thibaut François (RN). Mme la présidente Le Pen ne pouvant être présente en commission aujourd’hui, je me fais son porte-parole à travers une question qu’elle souhaitait vous poser directement, et que je vous adresse donc.

Monsieur le PDG, j’appelle votre attention sur les ambitions énergétiques de la France qui sont portées par le groupe TotalEnergies dans les eaux du canal du Mozambique. Votre entreprise est présente dans la région du Cabo Delgado où le programme Mozambique GNL s’avère prometteur malgré l’instabilité sécuritaire de la zone. Néanmoins, ce sont vers des eaux du canal situées plus au Sud que ma question s’oriente.

En effet, le canal du Mozambique est une voie maritime importante puisque, chaque année, transitent dans ses eaux au moins 30 % du trafic pétrolier mondial. Depuis 2017, la France administre une très grande partie de l’archipel des îles Éparses, à savoir les îles Europa, Bassas da India et Juan de Nova, ainsi que l’archipel des Glorieuses. Des bases militaires y sont d’ailleurs installées depuis 1970 pour affirmer notre souveraineté là-bas. La zone est riche en ressources halieutiques, minières et, plus particulièrement, gazières. Il est donc évident que la France tourne son regard, mais plus encore son industrie, vers cette manne énergétique, qui se situe à proximité de nos territoires ultramarins lorsqu’elle n’est pas présente dans les eaux même de notre zone économique exclusive (ZEE).

Pour l’heure, les prospections – consistant en des recherches sismiques en trois dimensions (3D) ou des carottages – sont déjà réalisées. Ce sont des types d’exploration qui ont été menés aux îles Éparses, celle de Juan de Nova, par exemple. En revanche, la France n’a pas la direction, encore moins le monopole de ces prospections puisque le ministère chargé des accords sur les mines a accordé deux blocs d’exploration des ZEE sur l’île : le premier a été accordé en 2005 à une entreprise norvégienne ; le second, en 2008, à une entreprise américaine et à une nigériane également.

Il est grand temps d’exercer notre souveraineté sur place, en faisant du fleuron de l’industrie de l’énergie française qu’est le groupe TotalEnergies le promoteur d’une exploitation gazière de grande ampleur dans le canal du Mozambique.

Monsieur le président-directeur général, ma question est vaste mais présume, s’il vous plaît, une réponse précise : quelles sont les ambitions du groupe TotalEnergies dans les eaux du canal du Mozambique, au regard de ses capacités de production ? Le cours du pétrole remonte actuellement ; peut-être est-ce une opportunité pour ces forages ?

La loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, qui a été portée par Nicolas Hulot et votée en juillet 2017, prévoit l’interdiction de l’attribution de nouveaux permis de recherche d’énergies fossiles, qu’il s’agisse du gaz, du pétrole ou du charbon, et interdit le renouvellement des concessions jusqu’en 2040. Ce texte est-il un frein à l’intérêt de TotalEnergies ?

Ma dernière question portera sur les opportunités économiques de très grande envergure qui sont, malheureusement, rares dans les outre-mer. Les ressources gazières dans les eaux du canal du Mozambique représentent un intérêt majeur pour le département de Mayotte et pourraient être très utiles dans la conduite de recherche d’exploration, de même qu’elles s’inscrivent dans un contexte d’une crise énergétique sans précédent, comme vous le savez.

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). Monsieur Pouyanné, vous savez, le seul avantage avec les écoterroristes de la trempe de TotalEnergies est qu’ils nous donnent l’embarras du choix en matière de questions, tant les comptes à rendre sont nombreux.

Aussi, je pourrais vous interroger, monsieur Pouyanné, sur vos aventures néocoloniales sur le continent africain, sur votre mégaprojet gazier EACOP en Ouganda, par exemple, dont on estime, si l’on prend en compte le transport, le raffinage et la combustion du pétrole par les pays consommateurs qu’il produirait l’équivalent de vingt-cinq fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis. Là-bas, le cauchemar est nommé Total, à coups d’accaparements de terres entraînant la violation des droits de près de 100 000 personnes, comme l’ont condamné récemment nos collègues du Parlement européen dans une résolution.

Je pourrais également citer votre mégaprojet gazier en Afrique du Sud, qui pourrait à lui seul émettre l’équivalent d’un peu moins d’un an de la totalité des émissions du pays, en plus de menacer la biodiversité marine, la pêche locale et de verrouiller la transition énergétique du pays.

Je pourrais aussi m’attarder sur votre sens pour le moins douteux, voire immoral, des priorités à travers la persistance de vos activités en Russie. Elles vous ont valu une plainte pour complicité de crimes de guerre, à la suite de l’enquête affirmant qu’un gisement de gaz coexploité par TotalEnergies a permis de ravitailler les avions de guerre russes. C’est bien une diplomatie parallèle que vous déployez à l’aune de notre dépendance aux énergies fossiles !

Tout comme je pourrais vous interroger sur les émissions réelles de votre multinationale, quand une estimation de Greenpeace trouve un résultat près de quatre fois supérieur à celui que vous communiquez, c’est-à-dire 1,6 milliard de tonnes d’équivalent CO2 en intégrant vos émissions indirectes, lorsque vous affirmez avoir émis 455 millions de tonnes sur l’année 2019.

Je pourrais également vous interroger sur vos états d’âme vis-à-vis de vos prédécesseurs qui savaient depuis 1971 le rôle de la combustion des énergies fossiles dans le réchauffement climatique, ou encore sur votre rente de situation, monsieur Pouyanné, qui vous a permis de dégager dernièrement des bénéfices nets indus de 6,6 milliards d’euros, principalement sur la vente de gaz... Ou encore sur vos méthodes malhonnêtes à l’égard de vos salariés pour retourner l’opinion contre leur juste combat pour le partage de la valeur.

Je pourrais tout simplement vous demander, monsieur Pouyanné, si vous vous portez mieux car vous paraissiez quelque peu chagriné par les remarques portant sur l’augmentation de votre salaire de 52 %, et si vos 6 millions d’euros annuels vous permettent encore de joindre les deux bouts.

Je pourrais enfin vous questionner sur tout cela, monsieur Pouyanné, mais une question me taraude plus particulièrement

Si le groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) nous indique qu’il faut immédiatement cesser tout nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles afin de conserver nos conditions d’existence et de survie sur terre, si ces investissements fossiles sont incompatibles avec nos objectifs climatiques, si vous dites vous-même poursuivre un objectif de neutralité carbone en 2050, comment expliquez-vous la poursuite de vos bombes climatiques à travers le monde ? D’aucuns nous disent que la trajectoire climatique actuelle de TotalEnergies nous emmène vers un monde dont la température s’élèvera de 4,5 degrés. Quel est votre projet pour la multinationale, si ce n’est qu’elle poursuive ses activités dans un désert humain et écologique ?

M. Vincent Seitlinger (LR). Monsieur le président-directeur général Pouyanné, je n’évoquerai pas les bénéfices records réalisés par votre entreprise, qui n’ont été que partiellement redistribués aux salariés et aux Français, car nous pourrions en parler toute la matinée. Je me concentrerai plutôt sur votre stratégie d’investissement.

Nous sommes forcés par les faits : la crise énergétique apparue à l’été 2021 a fait exploser les prix de l’énergie. En outre, vous l’avez dit, nous sommes très dépendants du gaz russe qui représente aujourd’hui 40 % du marché européen du gaz et joue une part importante dans notre consommation. Vous avez expliqué à plusieurs reprises que, sans le gaz russe, l’économie européenne entrerait immédiatement en récession. Mais au-delà, c’est TotalEnergies qui en est dépendant. Vous le dites, et les chiffres le montrent, puisque vous expliquez régulièrement que la stratégie de TotalEnergies se fonde, pour une large part, sur le gaz russe et que le groupe ne peut pas se retirer des contrats à terme de gaz sur vingt‑cinq ans. Le gaz russe permet de générer plus de 10 % de votre résultat et le groupe TotalEnergies a investi en Russie près de 20 milliards d’euros. C’est donc sa santé financière qui est en jeu et, derrière, la pérennité de l’approvisionnement énergétique de notre économie mais aussi nos objectifs de transition énergétique, puisque vous comptez sur le gaz comme énergie de transition pour financer le mix énergétique.

L’adage dit que diriger, c’est prévoir, et que ne rien prévoir, c’est courir à sa perte. Monsieur le président-directeur général, dans l’hypothèse d’un arrêt complet des livraisons de gaz, pourriez-vous nous détailler votre stratégie ?

Par ailleurs, pensez-vous qu’il est judicieux d’avoir investi tant d’argent dans un seul pays ? Certes, le gaz russe, dites-vous, était la solution d’approvisionnement la moins chère, mais peut-on être dépendant à ce point d’un seul pays ? Face au contexte politique, que prévoyez-vous pour redéfinir la stratégie d’investissement de TotalEnergies?

Enfin, concernant l’investissement environnemental de TotalEnergies, comment pouvons-nous contribuer à réduire l’empreinte carbone du groupe tout en ne fragilisant pas nos positions vis-à-vis de nos concurrents étrangers ? En effet, imposer des contraintes qui pèseraient sur votre activité mais qui feraient gagner des parts de marché à des entreprises russes, chinoises ou américaines n’a aucun sens. Nous devons soutenir TotalEnergies qui reste l’une des rares grandes entreprises françaises. Mais, comme l’a dit le président Bourlanges, TotalEnergies doit également rendre des comptes. Merci donc pour votre présence ce matin ! TotalEnergies par son ampleur et son impact sur l’économie française a un devoir particulier vis-à-vis de notre pays.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le député, puisque vous avez dit gouverner, c’est prévoir, je ne résiste pas au plaisir de citer la phrase de Turgot : « Le véritable but de la politique est en quelque sorte de prévoir le présent ».

M. Frédéric Zgainski (DEM). Monsieur le président-directeur général, en 2011, le groupe Total fait l’acquisition de SunPower, un des leaders mondiaux dans la fabrication de panneaux solaires. En 2016, il débourse près de 1 milliard d’euros pour réaliser l’acquisition du fabricant de batteries de haute technologie et leader mondial du secteur, Saft, basé dans mon département de la Gironde. Vous déclariez à l’époque, monsieur le PDG, que « le XXIe siècle sera électrique ». Vous ajoutiez : « Il nous faut intégrer le défi du changement climatique et l’évolution du mix énergétique qui va en découler : les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie montrent que la part du pétrole va baisser au profit du gaz et des renouvelables ».

Depuis 2016, le groupe Total dispose donc d’actifs industriels stratégiques permettant à ce leader français, qui dispose par ailleurs de ressources financières importantes, de devenir un leader mondial de la production d’énergie verte. À la lumière de ces acquisitions, je m’interroge sur vos projets internationaux dont la plupart semblent impacter l’environnement.

Vous déclariez, en 2020, que la diversification du mix énergétique de Total prendra du temps. Ainsi, vous continuez de financer et d’investir dans des projets en lien avec des énergies fossiles : entre 2026 et 2030, environ 80 % de vos investissements seront orientés vers la production de gaz et de pétrole. Ces objectifs détonnent avec l’ambition environnementale que vous affichiez en 2016 lors de l’acquisition de Saft, et que vous continuez d’afficher dans votre communication, y compris dans vos documents institutionnels, notamment avec le changement de nom du groupe pour TotalEnergies, que vous avez évoqué dans votre exposé liminaire.

La majorité des projets que vous financez ont des impacts réels sur nos ressources. En effet, au début du mois de septembre, le Parlement européen a adopté une résolution d’urgence dénonçant des risques majeurs pour l’environnement causés par le projet dont TotalEnergies est l’investisseur principal en Ouganda et en Tanzanie. Nous pouvons donc déplorer que TotalEnergies n’accélère pas sa transformation vers la production d’énergies décarbonnées et respectueuses de notre planète.

Notre pays, la France, a la chance de disposer d’un champion de l’énergie. Il réalise d’excellents résultats financiers, détient des actifs technologiques majeurs permettant cette transition et sa présence terrestre globale pourrait apporter sa pierre à l’édifice du combat contre le réchauffement climatique. Monsieur le PDG, n’est-il pas possible de faire corréler le potentiel que détient notamment le continent africain grâce à la qualité et la quantité de sa ressource solaire avec les actifs stratégiques dont dispose le groupe TotalEnergies ?

Alors que notre planète est soumise à des aléas et changements climatiques forts, quand comptez-vous réellement investir dans des projets à l’étranger visant à la production d’énergies renouvelables ? Le groupe TotalEnergies compte-t-il rehausser ses objectifs en ce sens et faire en sorte qu’il y ait rapidement plus d’investissements dans les renouvelables que dans les énergies fossiles ?

Par ailleurs, vous accordez une place importante à la communication sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La norme ISO 26000, standard international, définit le périmètre de la RSE autour de sept thématiques centrales, dont les droits de l’Homme, les relations et conditions de travail, et l’environnement. Compte tenu des éléments présentés dans cette question, envisagez-vous d’aligner rapidement vos pratiques à votre stratégie RSE ?

M. Olivier Faure (SOC). Monsieur Pouyanné, je suis ravi de vous avoir ce matin devant nous. Vous êtes un homme fascinant, un homme puissant. Vous serrez la main des plus grands, des meilleurs comme des pires. Vous êtes un homme de records : vous êtes à la tête d’une entreprise qui compte parmi les vingt entreprises les plus polluantes au monde ; vous avez réalisé des profits exceptionnels au cours des dix-huit derniers mois, qui ne sont pas liés à votre génie particulier mais simplement à une crise que nous connaissons tous-tes, qui est liée à la guerre en Ukraine.

Vous êtes aussi un homme de projets : en pleine COP27, au moment où le monde se réunit pour savoir comment lutter contre le réchauffement climatique, vous êtes en train de lancer, dans l’Afrique de l’Est, un projet de pipeline géant de 1 445 kilomètres, un pipeline chauffé à 50 degrés qui émettra, pendant vingt-cinq à trente ans, 34 millions de tonnes de CO2. Ce projet peut éventuellement en cacher un autre puisque l’on comprend qu’éventuellement – et vous me répondrez sur ce point –, vous pourriez relier ce projet à un autre projet en République démocratique du Congo (RDC), lequel pourrait dégager 6 milliards de tonnes de CO2. Mon collègue Alain David y reviendra par la suite.

Vous connaissez la définition qu’Oscar Wilde donnait du cynisme : un cynique est quelqu’un qui connaît le prix de tout, mais la valeur de rien. Je voulais vous poser quelques questions sur l’échelle du cynisme à laquelle vous pouvez consentir.

Vous connaissez le prix du baril de Brent mais à combien évaluez-vous la vie d’une famille ? Pour ce projet EACOP, vous allez exproprier 100 000 familles. En Tanzanie, le prix de l’expropriation est en moyenne de 1 160 dollars. Quelqu’un pense-t-il ici qu’il soit possible de faire vivre sa famille avec 1 160 dollars, sachant en outre que le prix des terrains augmente au fur et à mesure que le projet se développe ? Vous me répondrez que vous allez créer 80 000 emplois mais il s’agit essentiellement d’emplois liés à la construction du pipeline. Combien en restera-t-il une fois le pipeline véritablement exploité ? On me dit que ce sont 5 000 emplois mais il s’agit d’emplois hautement qualifiés, qui ne profiteront pas à ceux que vous aurez expropriés au démarrage.

Ensuite, vous nous dites que la transition ne se fera pas en une nuit. Personne ne le dit, en réalité. Mais si votre communication se fait beaucoup sur les énergies renouvelables, la réalité est que vos investissements se font essentiellement sur les énergies fossiles. En 2015, vous avez vous-même fixé une trajectoire, qui n’est pas celle du GIEC, mais une trajectoire qui fixe l’objectif à une hausse des températures entre 3 et 3,5 degrés pour le monde. Avez‑vous réfléchi depuis ? Avez-vous renoncé ou maintenez-vous toujours cette trajectoire que vous considériez à l’époque comme une trajectoire pragmatique ?

Enfin, comme disait Lionel Jospin, il faut parfois fendre l’armure. Vous avez quatre enfants, moi aussi. Voici ma dernière question. Quel héritage voulons-nous leur laisser : est‑ce un compte en banque fourni ou la fierté d’avoir évité une catastrophe mondiale irréversible ? C’est à l’homme que je m’adresse.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Monsieur Pouyanné, il est un inconvénient à ne pas être le premier à s’exprimer : des questions ont déjà été posées sur les diverses problématiques, reprenant les questionnements légitimes suscités par vos projets en Tanzanie et en Ouganda, qui sont communément qualifiés de « bombes climatiques », et dont l’aspect humain pose également problème. L’orateur qui m’a précédé s’est chargé de le faire. Vous aviez répondu que ces projets devaient se faire quoi qu’il arrive, parce que vous préféreriez que TotalEnergies s’en charge plutôt qu’une entreprise chinoise qui serait sans doute moins regardante sur le respect des droits de l’Homme ou de la biodiversité. J’aimerais que vous précisiez cette pensée.

En 2022, TotalEnergies a publié un rapport sur son action pour le climat et le développement durable. Vous y ambitionnez d’accompagner des changements décidés au niveau européen pour rendre votre entreprise neutre en carbone d’ici à 2050. L’un des leviers de cette action est la compensation carbone des émissions marginales de vos exploitations d’hydrocarbures, qui ne seront ni recyclées, ni capturées. Des initiatives ont déjà été lancées à cette fin. Vous avez, par exemple, signé un engagement avec la fondation GoodPlanet afin de fabriquer des biodigesteurs en Inde. Or de tels mécanismes de compensation sont parfois considérés comme relevant – excusez-moi pour l’anglicisme – du greenwashing, souvent parce que le contrôle des initiatives de reforestation et de protection des milieux naturels est perçu comme insuffisant.

Si votre activité d’exploitation des hydrocarbures perdure au même rythme, de nombreux projets similaires devront rapidement se concrétiser. Dès lors, comment le groupe TotalEnergies compte-t-il assurer l’efficacité et la durabilité des projets de compensation carbone qu’il financera à travers le monde ?

Ma seconde question est plus locale. Les répercussions des tensions mondiales sur le marché de l’énergie ont, en effet, amplifié les problématiques dans certains territoires français. Je pense naturellement aux outre-mer, mais aussi à la Corse du fait de son insularité. Ces tensions se font vivement ressentir au sein de la filière des grossistes et détaillants en carburants, et ce malgré l’application d’un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduit. Cette situation s’explique par des caractéristiques propres aux territoires insulaires : capacité de stockage et dépôt pétrolier de l’île insuffisante en été et configuration oligopolistique du secteur de la distribution des carburants. Quelles seraient les mesures complémentaires envisagées par votre entreprise pour assurer une distribution optimale du carburant sur ce type de territoires particulièrement exposés en cas de poursuite, voire d’aggravation, des tensions de la production mondiale de pétrole ? Comment, par ailleurs, mettre en place de telles mesures sans déséquilibrer des marchés en situation d’oligopole ?

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Monsieur Pouyanné, permettez-moi tout d’abord de me réjouir au nom de mon groupe de votre venue devant cette commission. Je suis ravie que vous vous exprimiez aujourd’hui face à la représentation nationale que vous aviez évitée la dernière fois. Même si nous ne faisons pas partie de vos actionnaires, il est essentiel de vous entendre tant votre implication dans la lutte contre le réchauffement climatique doit être totale.

Lorsque l’on consulte le site internet de TotalEnergies à la page des valeurs de l’entreprise, on peut y lire : « être un acteur responsable du monde de l’énergie, c’est aussi contribuer au bien-être des populations de la planète ». Je dois vous dire que c’est assez ironique aujourd’hui, tant vos projets et vos investissements sont décriés par les populations locales ou encore par les acteurs institutionnels. Monsieur Pouyanné, quelle contribution au bien-être des populations, TotalEnregies entend-il jouer, quand votre présence en Russie maintenue jusqu’à la fin de l’été, et encore à ce jour dans une proportion résiduelle, a permis à l’entreprise de percevoir, au cours des neuf premiers mois de l’année, 748 millions de dollars de dividendes des actifs en Russie ? Largement décrié par plusieurs acteurs citoyens et institutionnels, comment définissez-vous ce maintien d’activité en contribution au bien-être des populations ?

Monsieur Pouyanné, quelle contribution au bien-être des populations, le groupe TotalEnergies entend‑il jouer, alors qu’il projette de construire en Ouganda un oléoduc qui précipite dans la misère plusieurs dizaines de milliers de paysans expulsés de leurs terres ? Selon Amnesty International, 84 000 personnes sont toujours en attente de l’indemnisation qui leur est due. Je réitère ma question : ce projet largement et unanimement condamné et combattu par les populations locales est-il une contribution au bien-être des populations de la planète ?

Quel projet de société votre groupe porte-t-il alors que l’oléoduc EACOP rejettera 34 000 tonnes de CO2 par an, quand l’agenda de la COP27 peine à trouver des engagements contraignants dans l’application de l’accord de Paris ?

Ce même projet occasionnera également des dégâts irrémédiables sur la biodiversité des réserves naturelles traversée en Ouganda et en Tanzanie ? Sommes‑nous réellement face à un acteur responsable du monde de l’énergie ?

Monsieur Pouyanné, nous sommes habitués ici aux discours bien rodés sur la transition écologique mais la vérité est que cela n’intéresse pas la plupart des industriels. Pour nombre d’entre eux, ces auditions doivent leur permettent de continuer à cacher une réalité. Les énergies fossiles représentent encore une écrasante majorité de leurs activités. Dans le cas de TotalEnergies, c’est 90 % ! On pourrait presque croire à du greenwashing de votre part. Si vous aviez réellement compris que l’avenir de notre planète est en jeu, que l’avenir de nos enfants est en péril, vous auriez écouté ce que tous les experts climatiques répètent en boucle depuis des années : plus aucun nouveau projet d’énergies fossiles ne doit être lancé ! Plus aucun !

Pour conclure, monsieur Pouyanné, nous aimerions vous voir retirer l’affirmation mensongère de votre site qui, pour rappel, vous décrit comme un acteur responsable du monde de l’énergie et un contributeur du bien-être des populations de la planète car, non seulement vous faites partie des plus gros pollueurs de la planète, mais vous êtes à rebours de la volonté des populations locales et à rebours de la lutte contre l’urgence climatique.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Monsieur Pouyanné, je suis né Compagnie française de raffinage (CFR) et j’ai vécu Total pendant soixante ans. Je connais bien votre entreprise. Je ne répéterai pas tout ce qui a été dit sur l’Ouganda et le Mozambique, je prendrai l’exemple du port méthanier du Havre, terminal flottant. La ministre Pannier‑Runacher s’était engagée à faire réaliser des études de danger, comme s’il s’agissait d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), c’est‑à‑dire comme si le bateau était posé sur le quai, puisque les conséquences des études de danger ne sont pas les mêmes dans le code maritime. Vos spécialistes pourront vous l’expliquer. Or, soit Total, soit le préfet – enfin quelqu’un – n’a pas respecté la parole de la ministre, puisque l’on a présenté à la population des études de danger d’un bateau-usine et non pas d’une usine présentant les mêmes caractéristiques qui aurait été construite sur le quai. Pourquoi cela ?

Ensuite, il semblerait qu’il soit prévu d’importer des gaz de schiste américains alors que l’Assemblée nationale a voté que nous n’accepterions jamais d’en produire. Puisque le président de notre commission aime bien les citations, j’en connais une moi aussi, même si ce n’est pas ma culture : « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse ». Donc, pourquoi importer des gaz de schiste et permettre la dégradation environnementale dans certains pays pour en faire profiter les populations chez nous ? Nous serons vigilants. Nous avons empêché des bateaux saoudiens de venir charger des canons Caesar au Havre. Pour traverser l’écluse François 1er avec un navire chargé de gaz de schiste, ce ne sera pas si simple avec la population havraise.

Certains prétendent que ce projet méthanier était prévu avant la guerre en Ukraine. Des voix s’élèvent pour dénoncer cela. Des documents datés laisseraient apparaître que c’était avant la guerre en Ukraine. Vous nous direz ce qu’il en est car ce sont de vraies questions pour nous.

Enfin, vous dites également qu’avec les raffineries de TotalEnergies, vous ne seriez plus en mesure de produire les carburants utilisés en France en quantité suffisante et que nous serions obligés d’importer des produits finis. Or, mes camarades de la raffinerie de Gonfreville l’Orcher, qui étaient en lutte encore récemment, se sont battus – et j’étais toujours à leurs côtés – pour expliquer qu’il fallait conserver les outils de production à la raffinerie de Dunkerque et de Grandpuits pour produire en France. C’est vous qui, dans votre présentation préalable, avez dit : qu’est-ce que c’est que ce pays qui laisse partir les productions de panneaux photovoltaïques à l’étranger ? Eh bien, votre groupe a laissé partir la production de l’essence de France vers l’étranger ! Comment expliquez‑vous ce deux poids, deux mesures, et ces discours à deux vitesses que vous nous présentez ce matin ?

J’ai toujours été fier de Total, de l’emploi et de la richesse que cela crée dans la ville que j’ai administrée, et des conséquences pour les populations. Mais je ne peux en dire autant aujourd’hui de la politique de la multinationale à travers le monde. Je défends, pour ma part, l’idée du devoir de vigilance qui, conformément à la loi française, vous demande de veiller au bien-être des populations et à l’environnement. Qu’en pensez‑vous ?

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Monsieur Pouyanné, je vous remercie de répondre aux questions de la représentation nationale. Élue de la première circonscription de Mayotte, je souhaite vous interroger sur deux sujets qui nous concernent directement.

Mayotte est une terre française au cœur du canal du Mozambique, qui abrite des ressources gazières exceptionnelles, sur lesquelles TotalEnergies a certains contrats d’exploitation. Les attaques de Daech vous ont poussé à interrompre vos opérations. Si la situation semble actuellement maîtrisée, la question se pose de la reprise de vos activités dans le canal du Mozambique. Comme vous l’avez justement souligné, pour l’Afrique, le péril environnemental est supplanté par l’urgence du développement économique et l’aspiration légitime à vivre dignement en construisant une croissance durable et génératrice de richesses partagées. Ce développement économique de la région est vital, nous le savons, pour lutter contre la pauvreté et le terrorisme. En tant qu’investisseur, créateur d’emplois et de savoir-faire, TotalEnergies est très attendu localement pour un partenariat gagnant-gagnant, d’autant plus que ces approvisionnements supplémentaires mozambicains pourraient à terme être une solution importante pour la sécurité énergétique européenne.

Située à 500 kilomètres de votre base et du champ gazier de Cabo Delgado, Mayotte souhaite accueillir une partie de vos équipes en intégrant notre port de Longoni dans votre chaîne de valeur. Nous espérons que votre entreprise, française, choisira d’associer un territoire français à ce projet, riche en opportunités.

Quand le groupe TotalEnergies va-t-il reprendre ses opérations au Mozambique et allez-vous intégrer Mayotte à vos projets gaziers ?

Ma seconde question concerne votre activité de vente au détail. À Mayotte, TotalEnergies bénéficie d’une situation de monopole. Ce privilège lui impose des obligations, et le geste commercial consenti par votre groupe à la pompe a eu un impact positif sur notre île, ce dont nous vous sommes très reconnaissants.

Toutefois, notre autre requête pour lutter contre la vie chère est restée sans réponse. Nous vous avions demandé une diminution du tarif de vente du kérosène aérien. En effet, d’après les compagnies d’aviation qui opèrent à Mayotte, TotalEnergies vend le kérosène aérien sur place bien plus cher qu’ailleurs et cela renchérit considérablement le prix des billets d’avion que nous payons au prix fort. Ce qui, pour TotalEnergies, est un mini micro-marché a un impact immédiat sur le quotidien de la population de Mayotte, qui doit prendre l’avion pour se soigner, étudier et aller travailler à l’extérieur.

Monsieur Pouyanné, vous l’aurez compris, ma question est la suivante : allez-vous baisser le prix du kérosène aérien et permettre le désenclavement de vos compatriotes de Mayotte ?

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Tout juste de retour de la COP27 en Égypte, hier, le président Macron a réuni les dirigeants des cinquante sites industriels français les plus émetteurs de CO2. Parmi ceux-ci, il y avait bien évidemment les raffineries d’ExxonMobil et TotalEnergies en Normandie. Je crois que vous y étiez, monsieur le PDG.

Pour remédier à ces pollutions, il faut changer de sources d’énergie en abandonnant les énergies fossiles pour se tourner vers l’électricité, non émettrice de CO2. Cela suppose des investissements massifs, susceptibles d’augmenter les coûts de production et de fragiliser la compétitivité des entreprises concernées face à une concurrence beaucoup moins pressée, quant à elle, de se décarboner. Sans aides publiques, ce sont des filières entières qui risquent de disparaître en France.

Ma question est simple : qu’attendez-vous de l’État pour parvenir à cette décarbonation ? Les 10 milliards d’euros promis par l’Élysée seront-ils suffisants quand on sait que la concurrence – et je crois d’ailleurs que le président Macron y a fait allusion – des États‑Unis notamment sera féroce ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le président-directeur général Pouyanné, vous avez été interpellé de tous côtés ; la parole est à vous.

M. Patrick Pouyanné. Monsieur Vuibert, vous pouvez m’accuser de ne pas nous occuper des énergies décarbonnées mais je voudrais savoir quel groupe français investit plus que nous dans les énergies renouvelables. Si vous le trouvez, indiquez-le-moi ! En investissant 4 milliards tous les ans, nous faisons partie des cinq plus gros investisseurs au monde dans les énergies renouvelables. On peut toujours dire qu’il faut faire plus mais ce n’est pas qu’une question d’argent ; encore faut-il trouver des projets.

Les énergies renouvelables demandent d’énormes efforts. Ce sont des projets terrestres, des projets locaux. Il faut trouver l’espace. Il faut des équipes nombreuses. Nous recrutons et augmentons régulièrement nos équipes : 10 000 personnes travaillent dans ce secteur. Chaque projet est un effort, pas seulement dans notre pays, mais partout dans le monde. Aujourd’hui, ce n’est pas l’argent qui nous limite, mais notre capacité à trouver les projets et à les développer.

Si nous sommes allés dans ce champ des énergies renouvelables et de l’électricité, c’est que nous considérons que le potentiel de croissance est très élevé dans l’ensemble des pays, puisque nombreux sont ceux à vouloir développer de tels projets. Donc, je le répète : nous sommes un groupe pétrolier et je ne sais pas tout changer d’un coup de baguette magique. C’est parce que TotalEnergies investit 4 milliards par an pendant dix ans que le groupe parviendra à produire 20 % d’électricité d’origine renouvelable en 2030. C’est cela la stratégie de l’entreprise. Elle consiste aussi à faire en sorte que l’électricité représente plus de 50 % de notre production en 2050. Nous sommes en train de transformer un producteur d’énergies fossiles, pétrole et gaz, en un producteur d’électricité décarbonnée. Par ailleurs, comme nous l’avons décrit, notre portefeuille comportera à peu près 25 % de molécules décarbonées, comme de l’hydrogène, des fiouls synthétiques ou autres, et les hydrocarbures ne représenteront sans doute plus que 25 % de ce portefeuille, en ligne avec le fameux scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui prévoit, en 2050, de continuer à avoir une production d’hydrocarbures d’à peu près 20 à 25 % du mix.

Voilà notre plan. On peut considérer que ce n’est pas assez rapide mais passer de 1 à 2 milliards, puis à 4 milliards d’investissements annuels en trois ans alors que l’on ne part de rien et que l’on est censé constituer des équipes, n’est pas rien. Ce ne sont pas les milliards qui font les projets mais les hommes et les femmes que vous avez besoin de recruter, de former et mettre en œuvre, et ce dans de nombreux pays du monde.

Nous sommes engagés dans cette stratégie mais, comme je l’ai expliqué par ailleurs, on peut envisager les investissements de deux façons. Quels sont vraiment les projets nouveaux ? Et qu’est-ce qui maintient le système ?

Un système industriel de la taille du nôtre, qui produit 1,5 à 2 % de l’énergie mondiale, puisque telle est notre part de marché en pétrole et gaz, réclame des milliards chaque année, pour son seul maintien, soit à peu près 8 milliards. Sur les autres 8 milliards de résultat net du groupe, la moitié est consacrée aux énergies décarbonnées, l’autre moitié à de nouveaux projets en énergies fossiles, car je dois aussi conserver des projets nouveaux pour lutter contre un déclin, parce que la demande est toujours là et que, par ailleurs, le gaz naturel liquéfié se substitue au charbon pour produire de l’électricité.

Pour 95 % d’entre eux, si nos clients nous achètent du gaz naturel liquéfié, c’est pour substituer du gaz au charbon. Il faut y voir une contribution, certes transitoire, au changement climatique puisqu’une centrale à gaz émet deux fois moins de CO2 qu’une centrale à charbon. Ce gaz que vous décriez contribue au fait que l’atmosphère soit moins chargée de CO2. Cette notion d’émissions évitées est essentielle dans le débat. Le phénomène est transitoire et positif. Le gaz comme énergie de transition est un apport positif à la question du changement climatique, au moins pour ce qui est des vingt prochaines années. Après, il faudra verdir le gaz : on passera à l’hydrogène, à l’ammoniaque et à d’autres moyens de le produire.

Un système électrique qui ne serait qu’intermittent ne vous satisferait pas. S’il faut expliquer à nos concitoyens qu’ils n’auront de l’électricité que lorsqu’il fait soleil ou que le vent souffle, en tant que responsables politiques, vous ne serez pas satisfaits, je vous le garantis. Il faut bien évidemment accompagner les énergies renouvelables. Autrement, je suis désolé, on peut tous se raconter des histoires, mais ce sont des histoires. Produire de l’électricité fiable nécessite des moyens de production flexibles. Les meilleurs moyens dont nous disposons à ce jour sont les centrales à gaz. Il est aussi possible de s’appuyer sur le nucléaire. C’est le choix de la France, où les centrales nucléaires ne sont pas un moyen flexible mais un moyen de base. Il n’en demeure pas moins que la France a aussi besoin de centrales à gaz.

On peut tous vouloir et tous dire en même temps « yaka », ce n’est pas la vérité de la modification d’un système énergétique. Ce n’est pas ainsi que cela se passera.

Monsieur François, vous avez posé des questions précises sur le canal du Mozambique. Il se trouve que nous connaissons le dossier Juan de Nova. Vous avez dit la vérité, la France a adopté une loi qui interdit à quiconque sur le territoire français de rechercher des hydrocarbures. Nous respectons l’État de droit. C’est un choix, voté par la représentation nationale, nous le respectons. Donc, personne n’obtiendra d’autorisation pour aller chercher des hydrocarbures dans les îles Éparses ou les îles Glorieuses.

C’est un sujet que nous avons étudié un certain temps et que nous avons abandonné après avoir travaillé avec une des sociétés dont vous avez parlé, pour voir si cela présenterait quelque intérêt. Il n’y en avait pas et, par ailleurs, le Parlement français ayant décidé qu’il ne fallait pas rechercher d’hydrocarbures sur le territoire national, le sujet a été clos.

Pour répondre complètement à vos propos, de l’avis de nos experts, le potentiel n’est pas de la taille de celui que vous avez décrit. Je pense donc que l’on peut laisser les îles Éparses et les îles Glorieuses à leur fonction de sanctuaires de la biodiversité.

Puisque nous évoquions le Mozambique, je réponds tout de suite à madame Youssouffa. La reprise du projet du Mozambique pose plusieurs questions.

Ma première responsabilité, qui domine d’ailleurs dans beaucoup de dossiers, est la sécurité du personnel de TotalEnergies. En avril 2021, nous avons dû évacuer des milliers de personnes, non seulement appartenant au groupe mais aussi des civils. Remettre en chantier est une décision compliquée. Cela explique nombre des positions que nous avons prises au cours des dernières années. Lorsque nous mettons du temps à nous désengager de Russie ou du Myanmar, c’est aussi parce que ma première préoccupation est de ne pas exposer le personnel que nous avons dans ces pays. Tant que je n’ai pas trouvé les conditions pour les protéger ou les évacuer, j’évite de prendre des décisions hâtives, même si je ne soutiens pas les régimes en question.

Donc, à la question de savoir si l’on peut reprendre les opérations au Mozambique, la décision se prendra sans doute au cours de la première moitié de 2023 et impliquera, de mon point de vue, que l’on a retrouvé des conditions de sécurité durables dans le Cabo Delgado. Cela signifie notamment, et nous l’avons dit au gouvernement du Mozambique, que nous voulons que les populations puissent vivre normalement, que les administrations fonctionnent, que l’activité économique redémarre. La meilleure sécurité, c’est tout de même que les personnes puissent vivre normalement. Il n’est pas question que nous reprenions ce projet en étant sécurisés en permanence par une armée.

Si nous le faisons, Mayotte en profitera. Je vous l’affirme car, en liaison étroite avec le Gouvernement qui me l’avait demandé, nous avions prévu l’installation d’une base à Mayotte, notamment pour la partie des flexibles sous-marins, avec l’un des contracteurs. Nous avions également prévu que Mayotte puisse servir de base arrière d’évacuation. Nous étions prêts à investir dans l’hôpital à Mayotte parce qu’en cas d’accidents, il était plus rapide pour nous d’évacuer des blessés sur Mayotte qu’à Maputo, qui est plus éloigné.

Donc, nous pensons bien évidemment à Mayotte pour ce projet. Nous avions aussi prévu un câble électrique sous-marin pour les questions de téléphonie avec Orange, qui relierait notre projet à Mayotte. Nous avons donc bien ce projet à l’esprit. Je ne sais pas encore si nous le reprendrons. Je ne peux pas me prononcer aujourd’hui. J’ai d’ailleurs dit à mes équipes que nous ne le relancerions que le jour où elles m’autoriseront à me rendre au Cabo Delgado, à emprunter la fameuse route de cent kilomètres et à rencontrer les personnes sur le terrain. Je pense être un bon test : tant que mes équipes de sécurité me diront de ne pas y aller, je n’enverrai ni le personnel, ni les contracteurs de TotalEnergies. On me dit que je pourrais y aller au premier trimestre. Vous verrez donc.

S’agissant de votre seconde question concernant Mayotte, je ne suis pas au courant. J’ai été sollicité sur le rabais à la pompe et j’ai dit que Mayotte en bénéficierait, bien évidemment. Mais je n’étais pas au courant de cette question relative au kérosène que vous soulevez. Nous vous répondrons par écrit.

Madame Panot, sans poser de questions, en a posé dix. Je ne sais si je vais utiliser les mêmes métaphores pour répondre à chacune d’elles. Je reviens malgré tout sur l’Ouganda, car j’en ai un peu assez d’entendre que 100 000 personnes – ou 100 000 foyers pour Monsieur Faure – sont déplacées. Je vais vous donner les chiffres réels, parce qu’il est facile d’affirmer des choses sur Twitter en prétendant que c’est la vérité.

La vérité n’est pas celle-là. J’aurais adoré que le Parlement européen nous invite à nous expliquer. Je ne comprends pas nos systèmes démocratiques dans lesquels des personnes prennent des résolutions sans même inviter la principale partie prenante pour l’interroger. J’aurais répondu aux questions et j’aurais évité au Parlement européen de se discréditer, en prenant une résolution.

M. Olivier Faure. C’est une affirmation grave que celle-là !

M. Patrick Pouyanné. Écoutez, je l’ai écrit à Mme la présidente du Parlement européen. Je pensais que, dans un État de droit, le principe du contradictoire était fondamental et qu’avant d’accuser quelqu’un ou une organisation sur un sujet qui relève de la souveraineté de l’Ouganda et de la Tanzanie, on pouvait demander aux personnes ou entités mises en causes de venir s’expliquer. Personne ne nous l’a jamais demandé au Parlement européen.

Cela nous a été demandé après que la résolution a été votée. On m’a demandé de venir huit minutes m’expliquer sur un sujet qui mérite évidemment plus de temps. Voilà ce qu’il s’est passé au Parlement européen ! J’ai écrit à Mme la présidente du Parlement européen, dans une lettre que j’ai rendue publique, que, dans ces conditions, puisque le jugement était déjà rendu, on ne voyait pas très bien pourquoi il fallait ensuite justifier quelque chose non avéré dans les faits.

Bien évidemment, il n’y a pas 100 000 foyers de déplacés en Ouganda. Pour vous donner les chiffres exacts, nous devons reloger 769 foyers, pour lesquels nous reconstruisons des maisons. Vous pouvez dire que c’est beaucoup, mais il s’agit de 769 foyers et non pas de 100 000 ! Cette politique qui consiste au XXIe siècle à affirmer des choses en prétendant que c’est la vérité parce que nous ne passons pas notre temps à tout contredire est préjudiciable à tout le monde.

M. Olivier Faure. Vous parlez de foyers ou de personnes ? Plusieurs centaines de foyers peuvent représenter au total 100 000 personnes.

M. Patrick Pouyanné. Vos chiffres ne sont pas exacts ! Les foyers concernés sont au nombre de 769 – j’en ai le décompte – à la fois en Ouganda et en Tanzanie. Ils seront effectivement déplacés, et nous leur reconstruisons des maisons ou les indemnisons financièrement. D’ailleurs, 98 % ou 95 % d’entre eux choisissent qu’on leur reconstruise des maisons.

Voilà ce qui se passe en ce moment. Cela prend du temps. Le projet est long, effectivement, mais nous le faisons dans le respect des droits humains. Dire que nous ne les respectons pas est inexact. Il se trouve que notre groupe est porteur de valeurs et la population ougandaise n’est pas opposée au projet, ce n’est pas vrai. Ce sont des affirmations que l’on entend ici, mais la très grande majorité de la population ougandaise est favorable au projet, même si, bien sûr, comme dans toute démocratie, certains peuvent être contre, mais nous discutons avec eux. Donc, ce ne sont pas 100 000 foyers qui sont déplacés, mais bien 769.

M. Olivier Faure. Nous vérifierons.

M. Patrick Pouyanné. Vous vérifierez effectivement. Mais vérifiez aussi sur la base des chiffres que nous publions, qui correspondent à la réalité !

Pour être complet, nous devons également indemniser les personnes qui possèdent des terres agricoles. Nous ne les indemniserons pas du tout à 1 000 dollars par hectare en Ouganda, comme je l’ai entendu, mais plus cher, à un prix relativement élevé. Le nombre de personnes concernées par les terres agricoles que nous devons indemniser est de 19 000.

Voici les chiffres : 769 foyers doivent être déplacés, et 19 000 ou 18 000 personnes sont concernées du fait qu’elles possèdent des terres.

M. Louis Boyard. 18 000 à 19 000 personnes qui correspondent plutôt à des foyers…

M. Patrick Pouyanné. Voilà donc le projet en Ouganda, dont je viens de donner des chiffres et qui est un projet important.

Il n’existe pas de gisement géant en Afrique du Sud. C’est une invention. Il y a un peu de gaz, dont on ne sait pas d’ailleurs comment le commercialiser sur le marché. Je me suis rendu en Afrique du Sud la semaine dernière ; avec les autorités nous nous interrogeons parce qu’il n’existe pas de réseau gazier sur place. Il est donc compliqué une fois que l’on a trouvé du gaz de le commercialiser.

Une de vos questions portait sur la trajectoire climatique de TotalEnergies. Je m’en remets à des personnes qui évaluent nos propres trajectoires. Ce n’est pas nous qui avons fixé le seuil de 3 ou 3,5 degrés mais, lors de l’accord de Paris, lorsque l’on faisait la somme des contributions nationales de chaque pays, l’AIE a chiffré ce que donnait la somme des contributions nationales et a indiqué que la trajectoire s’établissait à 3 - 3,5 degrés. C’est la somme des contributions nationales de l’époque. Depuis, d’autres pays se sont engagés sur le Net zero, ou zéro émission nette, et la trajectoire s’établit plutôt à 2 ou 2,3 degrés.

Le Carbon Disclosure Project (CDP), l’organisme qui évalue nos programmes, indiquait dans un rapport récent que nous étions sur une trajectoire de 2,1 à 2,2 degrés. La Transition Pathway Initiative, qui a évalué les programmes de cinquante entreprises pétrolières, nous a classés parmi les trois entreprises dont la trajectoire était compatible avec l’atteinte du Net zero. Ce sont des faits, ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais des auditeurs extérieurs qui évaluent l’ensemble des trajectoires des entreprises pétrolières. Vous me direz encore que ce n’est pas suffisant, mais Reuters s’en faisait encore l’écho il y a deux jours : dans le monde pétrolier à l’heure actuelle, nous sommes de loin le groupe qui investit le plus dans les énergies décarbonées. Cela pose d’ailleurs débat avec un certain nombre de mes actionnaires.

On peut toujours faire plus mais je considère que l’entreprise s’est placée sur une trajectoire audacieuse qui nous permettra de devenir un acteur majeur de ces énergies.

Monsieur Seitlinger, Madame Sebaihi, non, la Russie n’est pas importante pour TotalEnergies. Si nous restons en Russie, c’est parce que nous avons signé un contrat de gaz naturel liquéfié. Nous ne nous désengageons pas pour le bien-être des populations européennes, pour assurer la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. Cette année, la Russie représente 2 % du cash-flow de TotalEnergies. Pensez-vous vraiment que le PDG de TotalEnergies a envie de se maintenir dans cette situation pour 2 % de son cashflow ?... Si nous interrompons aujourd’hui ce contrat, que je ne sais d’ailleurs pas arrêter unilatéralement, la situation de l’Europe qui a importé, cette année, 70 % du gaz naturel liquéfié russe, n’ira pas en s’améliorant. Nous ne savons pas par quoi le substituer.

TotalEnergies peut partir de Russie dès demain matin. Depuis le début de l’année, nous nous sommes désengagés progressivement de tous les contrats, tous les projets et tous les champs qui avaient uniquement une vocation domestique. Nous avons été partenaire d’un certain nombre de champs de gaz à usage domestique, nous en sommes sortis. Il ne nous reste qu’une participation dans l’usine de Yamal LNG et ce fameux contrat de gaz naturel liquéfié, qui est un contrat européen et un engagement. Pour nous désengager, deux solutions s’offrent à nous : soit les autorités russes nous exproprient – ce qui n’est pas totalement impossible, ils viennent de le faire pour d’autres groupes occidentaux – ; soit l’Union européenne décide de sanctionner les importations de gaz russe. Or elle ne l’a pas décidé, ni les leaders européens avec lesquels nous sommes en relation. Nous continuons donc à acheminer ce gaz naturel liquéfié.

Il ne faut pas se tromper, ce n’est pas un problème pour TotalEnergies. Nous avons d’ailleurs présenté, fin septembre, à l’ensemble de nos actionnaires le futur de TotalEnergies et toute la stratégie sans la Russie. Nous avons investi 15 milliards et non 20 milliards. La Russie n’était pas un pays majeur ; elle représentait 10 % de nos capitaux. C’est beaucoup mais il se trouve que pour gérer le risque géopolitique, qui existe, nous avons une règle interne : nous ne souhaitons pas qu’un pays pèse plus de 10 % de notre portefeuille. Nous avons déjà inscrit dans nos comptes, au fur et à mesure de l’année, à peu près 10 milliards de pertes sur les 15 milliards. Sans doute, y aura-t-il une suite à cela.

La situation en Russie est motivée uniquement par la responsabilité d’amener ce gaz naturel liquéfié en Europe. Si l’Europe décide de sanctionner la Russie, nous cesserons notre activité immédiatement. Nous pourrons le faire, nous y renoncerons. Sur le plan financier, la majeure partie des 700 millions de dollars de revenus que madame Sebaihi a mentionnés est intervenue avant le premier trimestre, parce que les flux financiers entre la Russie et l’Europe, dès lors que nous respections toutes les sanctions et veillions à ne commettre aucune erreur, étaient assez compliqués. Donc, la question n’est pas financière, la question est d’approvisionner l’Europe en gaz naturel liquéfié.

Pour contrebalancer notre stratégie en Russie, nous nous tournons vers d’autres pays, les États-Unis notamment, dont la stratégie correspond à la nôtre et repose sur deux piliers : gaz naturel liquéfié et énergies renouvelables. Nous sommes le premier exportateur de gaz naturel liquéfié américain. L’Europe en a bénéficié. Nous avons assuré, cette année, l’approvisionnement de l’Union européenne par du gaz naturel liquéfié américain puisque nous sommes également le premier détenteur de la capacité de regazéification en Europe. Nous sommes également devenus le numéro cinq américain des énergies renouvelables en rachetant, cette année, une société aux États-Unis.

Si les États-Unis font partie de notre politique, nous redéployons également nos capitaux dans d’autres pays, comme le Brésil, en développant exactement la même stratégie puisque, il y a huit jours, nous avons annoncé que nous venions d’entrer dans une société avec le plus gros développeur éolien brésilien, Casa dos ventos, dont nous avons repris 35 % des parts avec la capacité de monter à 50 %. Nous développons également des hydrocarbures au Brésil.

Donc, que ce soit au Brésil, aux États-Unis ou en Inde, où nous venons d’investir 5 milliards au cours des dernières années dans un mix gaz et énergies renouvelables avec Adani, nous redéployons nos capitaux sur d’autres zones où nous nous pouvons appliquer notre stratégie reposant sur le gaz et les énergies renouvelables.

Je pense avoir répondu aux différents sujets abordés par monsieur Zgainski. Mais, je le répète, oui, nous avons racheté Saft, grâce à laquelle nous sommes rentrés avec Stellantis et Mercedes dans une société qui s’appelle Automativ Cells Company (ACC), afin de fabriquer des batteries pour véhicules électriques. Nous espérons en faire un acteur majeur au niveau européen, voire mondial. Grâce à ce très fort partenariat, une première gigafactory est en train de se construire dans le Nord de la France. Une deuxième sera installée en Italie, une troisième en Allemagne et d’autres suivront, vu les ambitions de ces deux constructeurs automobiles. Voilà une contribution très concrète à la mobilité électrique. Je pense vous avoir répondu également au travers des chiffres que j’ai donnés sur les niveaux de nos investissements en la matière.

Monsieur Faure, il n’est pas question d’aller en RDC. Je l’ai affirmé à plusieurs reprises. Nous ne sommes pas candidats pour diverses raisons, dont des raisons sécuritaires évidentes. La RDC et nous, c’est non ! J’ai beau le répéter, on ne m’entend pas, mais je vous le redis solennellement : TotalEnergies ne sera pas présent en RDC pour exploiter du pétrole.

Madame Sebaihi, je vous ai également répondu. J’ajouterai toutefois un mot sur la biodiversité en Ouganda. Nous nous sommes engagés sur ce sujet à mener des actions qui nous permettent d’avoir un gain net positif, comme le disent les experts. C’est très concret. Nous travaillons, par exemple, en ce moment en Ouganda avec des experts scientifiques pour voir comment reconstituer les corridors de circulation des chimpanzés. Nous contribuerons également à accroître de 50 % les Rangers dans les parcs nationaux d’Ouganda, car le principal sujet de la biodiversité dans ces pays africains étant le braconnage, mettre en place une police des parcs nationaux revêt une vraie utilité pour la biodiversité. Voilà les actions très concrètes que nous cherchons à mettre en œuvre.

Monsieur Lecoq, non, ce projet de port méthanier flottant n’existait absolument pas avant la guerre en Ukraine. Je ne sais pas qui a pu dire cela, car c’était vraiment à cent mille lieux de nos idées, pour la simple raison que les terminaux de regazéification en Europe étaient à peine remplis à 30 ou 40 %. Ils étaient considérés comme des actifs, si je puis dire, très vulnérables. Engie nous les a vendus peu cher en 2018 parce qu’ils étaient très peu utilisés. En fait, le gaz russe alimentait l’Europe et les terminaux de regazéification européens étaient au mieux à moitié vides. C’est d’ailleurs pour cela qu’il en manque aujourd’hui.

On découvre tout à coup qu’il manque de terminaux de regazéification en Europe. En fait, il n’y avait pas de marché pour eux puisqu’il y avait du gaz russe ou norvégien ou de la mer du Nord. Donc, aucun d’entre nous n’avait imaginé amener ce terminal auparavant, je vous l’assure.

Lorsque le conflit a éclaté, tous les gouvernements européens se sont mobilisés pour nous demander s’il était possible de faire quelque chose. Dans notre flotte héritée d’Engie, nous avions deux terminaux flottants de regazéification. L’un était en Chine, l’autre servait de méthanier. Nous avons proposé à la France et à l’Allemagne, puisque nous sommes en train d’installer le deuxième en Allemagne, de les ramener, mais c’était dans une démarche citoyenne de sécurité d’approvisionnement.

Un terminal de regazéification est une infrastructure. Il ne sera pas d’un grand rapport, mais ce n’est pas le sujet. Je considère vraiment que nous avons fait là un acte pour contribuer à la sécurité d’approvisionnement de l’Europe en substitution à l’abandon du gaz russe. Une fois que nous avons dit au Gouvernement que nous en avions un, nous avons étudié où le localiser au mieux en France. Après avoir comparé les sites de Fos, du Havre et de Dunkerque, nous avons estimé que Le Havre offrait les meilleures conditions pour avancer rapidement car, compte tenu de la crise que nous vivons, cette solution n’avait de sens que si nous étions capables de mettre en place ces infrastructures le plus vite possible. Le Gouvernement a décidé, dans le cadre de la loi votée par le Parlement à la fin juillet, de lancer des procédures accélérées d’autorisation, de sorte que ce terminal puisse entrer en fonctionnement au milieu de l’année 2023.

Quelle sera l’origine du gaz naturel liquéfié de ce terminal ? Peut-être viendra-t-il du Nigeria, éventuellement du Qatar ? Vous savez, nous produisons du gaz naturel liquéfié dans onze pays différents et il viendra du portefeuille que nous gérons. Nous avons du gaz de schiste américain mais nous en avons d’autres aussi.

Comme je l’indiquais au début de mon audition, la réalité actuelle de ce dossier est de savoir comment rendre compatible la nécessaire sécurité d’approvisionnement du continent et du pays avec la durabilité et avec des tarifs abordables. J’observe que la principale priorité de tous les gouvernements est d’assurer la sécurité de l’approvisionnement parce qu’annoncer aux citoyens qu’on leur coupera le chauffage ou l’électricité constituerait un véritable problème.

M. Jean-Paul Lecoq. Et le gaz de schiste ?

M. Patrick Pouyanné. Comme vous l’avez indiqué, il est interdit d’en extraire en France, mais cela est autorisé ailleurs. Il se trouve qu’en ce moment, nous en avons besoin pour alimenter l’Europe. Cela étant, libre au Parlement de décider d’interdire l’importation de gaz naturel liquéfié américain.

Mme Sabrina Sebaihi. C’est de l’éthique.

M. Patrick Pouyanné. Ce n’est pas un problème d’éthique. Ce n’est pas nous qui l’extrayons et, en l’occurrence, nous ne le produisons pas. Là n’est pas la question. Pourquoi, madame, les entreprises devraient faire ce qui relève de votre responsabilité ? Pourquoi nous demandez‑vous cela alors que, de l’autre côté, on nous demande d’alimenter l’Europe en énergie en nous disant que nous devons contribuer directement à la sécurité de l’approvisionnement ? Moi, je ne peux pas inventer le gaz naturel liquéfié. Il se trouve que l’Amérique produit un quart ou 20 % du gaz naturel liquéfié mondial et qu’il y a des capacités disponibles. En même temps, nous venons de signer de nouveaux contrats au Qatar. Vous allez me dire que c’est au Qatar, mais ce n’est pas du gaz de schiste. Nous cherchons à diversifier notre portefeuille mais, aujourd’hui, si nous voulons alimenter l’Europe en gaz naturel liquéfié, il a 25 % de chance de venir des États-Unis. C’est la vérité, la réalité du marché.

L’alternative est de ne pas procéder à des approvisionnements, mais ce n’est pas moi qui expliquerai à nos concitoyens français qu’on ne leur fournit pas du gaz que nous pouvons parfaitement avoir.

Pourquoi importer du diesel ? Il est connu que l’on n’importe pas d’essence en Europe et, monsieur Lecoq, vous le savez puisque vous connaissez très bien le raffinage. Nous importons du diesel parce que notre outil de raffinage date et que l’Europe, la France notamment, a choisi de privilégier le diesel au tournant des années 1990-2000. Nous nous sommes donc retrouvés avec un déficit de diesel et nous importons d’ailleurs du diesel russe, ce qui n’est pas si simple.

Ce n’est pas l’arrêt des raffineries qui nous pose un problème. La raffinerie de Normandie n’est pas arrêtée et nous produisons ce que nous pouvons. Le raffinage est l’un des sujets les plus complexes de la transition. Quand l’Europe décide qu’à partir de 2035, les véhicules thermiques ne seront plus vendus, il faut bien que nous anticipions l’adaptation de notre portefeuille industriel. Or une raffinerie emploie beaucoup de monde, non seulement sur le site même, mais aussi dans les écosystèmes autour. Nous cherchons à assurer la transition en les transformant, peu à peu, en bioraffinerie puisque nous aurons besoin de carburants aériens durables, comme nous l’avons fait à la Mède et à Grandpuits. Dans le même temps, nous devons conserver certaines raffineries, les plus importantes, comme celles de Normandie et de Donges, celles situées sur la façade maritime, qui sont les mieux positionnées pour assurer la sécurité d’approvisionnement du pays, tout au moins en partie. Ce n’est pas le sujet le plus simple en termes de transition, compte tenu des évolutions et des décisions prises par les pouvoirs publics.

Madame Ménard, s’agissant de la décarbonation, TotalEnergies a un programme d’investissement de 1 milliard sur deux ans au niveau mondial pour accélérer la décarbonation, dont 200 millions en France. Il se trouve que nous menons des projets conjointement avec d’autres entreprises, comme Air Liquide ou Engie, notamment ceux concernant l’hydrogène ; l’État nous accompagnera. Mais, pour le reste, je considère que la décarbonation de TotalEnergies doit être financée par TotalEnergies.

Nous ne serons donc pas le principal bénéficiaire des 10 milliards de l’État. Il me paraît assez normal, compte tenu des conditions financières et de nos bénéfices, de ne pas faire appel à l’argent public. Cela ne signifie pas que nous ne mettrons pas en œuvre nos programmes par ailleurs ; nous tiendrons nos engagements et nos objectifs. Sachez que nous consacrons à ces économies d’énergie quelque 100 dollars par tonne carbonne pour développer des projets d’efficacité énergétique. C’est un niveau qui permet d’en faire beaucoup, partout dans le monde.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie. J’ai entendu se manifester, ici et là, une certaine impatience qu’à titre personnel, je ne partage pas. Des questions ont été posées par des collègues, vous y avez apporté des réponses extrêmement intéressantes, contestables assurément pour les uns et les autres, mais riches et intéressantes. Lorsque l’on pose des questions, la moindre des choses est d’être satisfait d’entendre les réponses.

Il est vrai que cela limite considérablement les possibilités d’intervention qui nous restent. C’est le moment de citer la célèbre phrase du président Fabius qui, lorsqu’il a signé l’accord de Paris, disait que l’on ne peut pas faire tenir deux litres d’eau dans une bouteille d’un litre.

Monsieur Pouyanné s’est engagé vis-à-vis de nous jusqu’à douze heures trente. Il faut qu’il ait le temps de répondre aux questions qui vont lui être posées maintenant.

M. Patrick Pouyanné. Je peux rester jusqu’à douze heures quarante-cinq.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cela nous aide considérablement, car j’ai de nombreux inscrits, de différents groupes. Je propose que chacun s’exprime une minute.

M. Arnaud Le Gall. Si tous ceux qui le souhaitent ne peuvent poser leurs questions, je ne vois pas l’intérêt de rester. Monsieur le président, cette audition aurait justifié davantage de temps.

M. Louis Boyard. Il est scandaleux que tout le monde n’ait pas la possibilité de s’exprimer !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Écoutez, vous n’êtes pas seuls dans cette commission. Chacun doit prendre la parole et la personnalité que nous invitons doit pouvoir répondre. Il faut tout de même avoir un sens de la collectivité dans cette affaire !

Je donne la parole, pour commencer, à une personne de chaque groupe. Puis, s’il reste du temps, je la donnerai aux autres inscrits présents.

Mme Barbara Pompili. Je vais donc m’exprimer en style télégraphique…

Cela me chagrine toujours d’entendre, comme vous l’avez dit en commençant votre intervention, qu’il faudrait ne pas s’occuper de nos émissions marginales et ne s’occuper que des émissions de la Chine et de l’Inde, sachant que nos émissions viennent notamment de ces pays puisque lorsque nous nous déplaçons en voiture ou que nous consommons de l’énergie, elles proviennent très certainement d’ailleurs et que nous avons une responsabilité.

Sur la question du gaz, la transition prend du temps et je suis d’accord avec vous sur le défi prométhéen. Mais attention, les investissements dans le gaz ne sauraient être que des investissements de transition. Comment faites-vous la différence entre vos investissements qui peuvent permettre d’aider des pays qui sont dépendants du charbon de ceux qui nous ferons repartir dans une boucle pendant vingt, trente ou cinquante ans, car quand on construit des tuyaux de gaz, ce n’est pas pour cinq ans ?

Nous avons mis fin, en France, aux garanties à l’exportation sur tous les projets, hors projets de gaz et de fioul, ce qui me déprime un peu. Sur lesquels allez-vous demander des garanties à l’exportation dans les prochaines années ?

Point très important, l’Agence internationale de l’énergie, dans son rapport intitulé « Zéro net d'ici à 2050 », avait été très claire : il ne faut plus engager de nouveaux projets de création ou d’extension d’exploitation de gisements de gaz, pétrole et charbon, au-delà de ceux déjà engagés en 2021.

Avez-vous des projets au-delà de ceux qui étaient engagés en 2021, qui feraient exploser nos compteurs carbone ?

Dernier point, pensez-vous réinvestir un jour en Russie ?

M. Patrick Pouyanné. Sur votre dernière question, la réponse est non : TotalEnergies n’a plus de nouveaux capitaux en Russie.

S’agissant de l’export, non plus. La France a interdit tout crédit à l’export sur tout projet concernant l’énergie fossile. C’est l’état de la législation. Nous n’allons pas le demander, y compris pour ce qui est du gaz. J’en suis certain, nos projets ont évolué.

Concernant l’AIE, à ce stade, je n’ai pas de nouveaux projets qui n’auraient pas été lancés en 2015. Je peux vous démontrer que tous les projets nouveaux sur lesquels nous travaillons existaient avant 2015, si tel est bien le sens de votre question.

En revanche, comme vous le savez, je suis en désaccord avec le scénario de l’AIE, qui est faux parce que, malheureusement, cela ne correspond pas au rythme de décroissance de la demande. La trajectoire de l’AIE est une trajectoire à moins 4 % par an. Or la demande ne baisse pas de 4 % par an. Donc, nous ne nous inscrivons pas dans la trajectoire de l’AIE. C’est une position officielle, nous l’avons expliquée, et nous l’avons écrite. Tout cela n’est pas une Bible, ni une religion. Le rapport du GIEC présente soixante-dix trajectoires différentes pour atteindre la neutralité carbone. Soixante-dix, pas une ! J’ai lu le rapport du GIEC : soixante-dix trajectoires différentes, et il a été décidé d’en suivre une seule, et une seule qui est linéaire et décroissante. Or la planète n’est pas linéaire et décroissante.

Nous ne sommes pas d’accord avec cette trajectoire...

M. Olivier Faure. C’est pourtant comme cela !

M. Patrick Pouyanné. Non, ce n’est pas comme cela.

C’est, en tout cas, ce que nous pensons ; au tournant de l’année 2035, je sais comment ramener ma production d’hydrocarbures à 200 000 barils par jour. Il suffit qu’en 2032 ou 2033, j’arrête d’investir dans le pétrole puisque je perds 4 à 5 % par an.

Je veux bien que l’on dise qu’il y a une nouvelle Bible, mais il se trouve que la vie n’est pas conforme à la réalité de la demande.

M. Alain David. Monsieur le président-directeur général, le projet EACOP, c’est 10 milliards de dollars. Les expropriations 1,5 % : 4 450 dollars par personne en Ouganda, 1 160 dollars en Tanzanie. Il semblerait d’ailleurs que 26 % des Ougandais et 85 % des Tanzaniens attendent toujours d’être dédommagés. Cela tarde, et plus cela tarde, plus la spéculation est forte sur le prix du foncier dans ces deux pays, et moins les expropriés ont la possibilité de réutiliser les sommes accordées.

Vous répondez que vous n’êtes que des opérateurs du projet, qui se conforment aux lois et aux règlements locaux et que vous vous êtes engagés à appliquer les normes de la Banque mondiale. Ce n’est pas une réponse pour ces populations. Vous devriez être plus proches de la réalité et, en particulier, verser les dédommagements nécessaires à ces populations.

En ce qui concerne les créations d’emplois, vous parlez de 80 000 créations d’emplois. Mais tous ces emplois bénéficieront-ils à la population locale ?

M. Patrick Pouyanné. S’il y a un délai dans le versement des dédommagements, c’est parce que le projet, notamment celui concernant le tuyau, n’a été décidé qu’au début 2022. Le lancement de l’indemnisation ne se réalise que depuis le début de l’année. Nous avançons aussi vite que possible pour indemniser les personnes. Je comprends le souci. D’ailleurs, les indemnisations côté ougandais ont été réévaluées pour tenir compte du fait des retards puisque, à une époque, l’État ougandais nous a demandé d’arrêter les indemnisations. Nous avons pu les reprendre deux ans plus tard. Cela a créé une source d’insatisfaction et nous avons réévalué ces indemnisations.

La situation est très différente en Tanzanie parce que, pour l’essentiel, les terrains appartiennent à l’État. Mais je prends en considération votre remarque et nous gardons à l’esprit que l’indemnisation doit permettre aux populations de retrouver leurs terres agricoles, lorsqu’il s’agit de terres agricoles. Les logements sont moins concernés puisque nous relogeons les personnes quel que soit le coût. Nous partageons donc votre point et votre souci.

Quant aux 80 000 emplois, ils sont locaux. Nous n’allons pas faire venir 80 000 personnes de l’extérieur.

M. Alain David. Pour la construction du pipeline, mais après ?

M. Patrick Pouyanné. Ensuite, un certain nombre d’emplois seront conservés. Mais j’ignore combien. Le fonctionnement de ces installations devrait nécessiter entre 2 000 et 3 000 personnes.

Ce sont des emplois qualifiés. Ils seront locaux. Le nombre d’expatriés de TotalEnergies pour de telles opérations doit être de l’ordre de 200 personnes pendant la construction du projet et d’une centaine après. Toutes nos opérations s’appuient profondément sur des emplois locaux et, généralement, nous profitons de la phase de construction des projets pour mettre en place des formations qui nous permettent d’employer des opérateurs locaux. C’est une demande légitime. D’ailleurs, l’Ouganda est un pays qui insiste beaucoup sur ce que l’on appelle le contenu local, que nous prenons en charge.

C’est aussi le cas en Angola, où je me suis rendu cette semaine : sur 2 500 personnes que nous employons, 2 400 sont des Angolais qui occupent des emplois de responsables techniques de l’ensemble de nos opérations.

Nous parlons donc de 80 000 emplois pendant la phase de construction. Ce sont d’ailleurs les chiffres qui figurent sur notre site et dans toutes nos notes.

Mme Ersilia Soudais. Monsieur Pouyanné, permettez-moi de douter de votre intégrité au vu du rapport que votre groupe TotalEnergies entretient vis-à-vis du reste du monde lorsqu’il s’agit de stratégie expansionniste au détriment des droits humains. On se rappellera votre dilemme à quitter la Birmanie au prétexte que vous y étiez installé depuis 1992, alors que 780 organisations internationales de la société civile et un syndicat de travailleurs étudiants vous sommaient de mettre fin à votre complicité dans les crimes d’atrocités de la junte militaire birmane en décembre 2021.

On pourrait se dire que vous avez appris de vos erreurs, et voilà que le groupe TotalEnergies est visé par une plainte pour complicité de crimes de guerre en Ukraine ! Selon un article du Monde paru le 24 août, qui se fondait sur plusieurs documents et une enquête de l’ONG Global Witness, TotalEnergies a contribué à l’alimentation d’avions russes engagés dans le conflit en Ukraine au moins jusqu’en juillet dernier.

En Ouganda et en Tanzanie, ne vous en déplaise, les ONG les Amis de la Terre et Survie dénoncent des violations des droits humains touchant aujourd’hui environ 100 000 personnes privées de leurs terres. Beaucoup soulignent avoir signé les formulaires de cession de celles-ci à la suite de pressions et d’intimidations de la part de TotalEnergies et de ses sous‑traitants.

Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous ne pouvons vous croire sur parole. Le Parlement européen se dit vivement préoccupé par les violations des droits de l’Homme, mais quoi de surprenant ? Dickens Kamugisha, président de l’ONG African Institute for Energy Governance déclare à ce propos : « Dans toute l’Afrique, il n’y a aucun des pays pétroliers qui ait réussi à éviter la violation des droits humains et environnementaux ».

Monsieur Pouyanné, combien de temps encore comptez-vous piétiner la Déclaration universelle des droits de l’Homme pour vos propres intérêts et ceux de l’entreprise TotalEnergies et de ses actionnaires ?

M. Patrick Pouyanné. Je vous réponds que nous respectons les droits de l’Homme.

M. Michel Guiniot. Vous l’avez dit précédemment, monsieur le président-directeur général, depuis le conflit en Ukraine, nous avons conscience de l’importance des difficultés d’approvisionnement en gaz. Toutefois, le 5 septembre dernier, M. Macron confirmait à la presse qu’il n’y avait pas d’intérêt à ouvrir de nouvelles interconnexions énergétiques entre l’Espagne et la France, visant notamment le projet MidCat de gazoduc souterrain, dont l’aboutissement interviendrait l’été prochain, semble-t-il. Puis, le 20 octobre, M. Macron a annoncé à la presse la mise en place d’un corridor des énergies vertes entre Barcelone et Marseille, le BarMar, visant à créer un gazoduc sous-marin devant être opérationnel au mieux d’ici à sept ans.

Ce projet permettra-t-il de disposer, dans sept ans, d’une énergie moins coûteuse, en raison de l’accroissement des capacités d’approvisionnement en gaz sur un marché tendu et de la baisse des coûts de transport ? Quelle sera la stratégie de TotalEnergies sur l’hydrogène vert pour exploiter de façon optimale ces nouvelles infrastructures ?

Si vous permettez, monsieur le président, une considération tout à fait personnelle : j’avoue que je suis extrêmement surpris de voir un certain nombre de collègues sembler regretter que TotalEnergies ne soit pas une entreprise en faillite.

M. Patrick Pouyanné. Rassurez-vous, TotalEnergies n’est pas en faillite. À la fin de l’année, le groupe sera totalement désendetté. Cela me semble plutôt une bonne chose, pour l’ensemble des salariés et peut-être aussi pour la collectivité nationale, d’avoir un leader mondial de l’énergie au moment où l’énergie est un enjeu majeur. Pour ma part, je suis très fier d’être PDG de cette entreprise. J’aimerais que mon sentiment soit partagé.

Je pense qu’il y a un vrai sujet avec l’Espagne, mais qui porte plutôt sur l’électricité que sur le gaz, pour être honnête. L’Espagne bénéficie historiquement de grosses capacités d’importation de gaz naturel liquéfié. Elle bénéficie également d’un tuyau qui remonte de l’Algérie et de nombreuses centrales à gaz qui sont très peu utilisées. Nous sommes présents en Espagne. Elle possède un réel potentiel de production d’électricité aujourd’hui, et demain d’énergies renouvelables puisque c’est un grand pays où le solaire et le vent peuvent s’imposer. J’ai recommandé aux pouvoirs publics d’étudier la possibilité d’accélérer des interconnexions électriques qui seraient très utiles demain pour remonter des électrons et alimenter l’Europe en électricité à partir de l’Espagne. Donc, premier commentaire, je pense qu’il existe un vrai potentiel électrique.

Deuxièmement, le projet MidCat est un projet qui posait des problèmes environnementaux importants, majeurs. Lorsque, j’étais conseiller d’Édouard Balladur il y a vingt-cinq ans, j’ai travaillé sur les sujets d’écologie et les Pyrénées, car MidCat défrayait déjà la chronique. À mon avis, le projet d’un gazoduc sous-marin entre Barcelone et Marseille transportant de l’hydrogène vert, qui n’a de sens que si l’on pense le futur, est sans doute plus facile à réaliser que de vouloir traverser les Pyrénées. Je n’ai pas étudié la biodiversité marine mais je pense que cela fait sens dans la perspective de l’hydrogène vert.

L’hydrogène vert est un sujet auquel vous réfléchissez lorsque vous êtes un grand producteur d’énergie parce que cela fait partie des molécules qui, demain, pourraient devenir très intéressantes. La question est de savoir où le produire au moindre coût. L’hydrogène vert, c’est de l’électricité. Nous sommes en train de chercher et de prendre des positions dans des pays afin d’en produire demain. C’est le cas au Chili, en Mauritanie et dans certains autres pays. L’Espagne est l’un des pays où il est possible de combiner solaire et vent.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la situation. De mon point de vue, l’accord récent entre les États concernés me paraît un bon accord, qui réconcilie les positions, notamment dans la perspective de l’hydrogène vert. Donc, le fait qu’il faille sept ans pour construire un corridor des énergies vertes n’est pas très grave, car c’est sans doute à cet horizon que nous aurons les structures permettant de l’alimenter. La priorité est de mettre en place des interconnexions électriques avec l’Espagne.

Mme Marie Pochon. Monsieur le président-directeur général, vous êtes à la tête de TotalEnergies, une des cent entreprises qui ont émis plus de 71 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1988. Il est donc normal que la représentation nationale vous auditionne et que nous ayons aussi le droit au respect lors de cette audition, alors même que nous savons – et nous n’avons pas besoin de Bible pour cela, monsieur Pouyanné – que la sortie des énergies fossiles est la condition même de la préservation de l’habitabilité de la terre et des droits humains qui y sont associés, puisque le droit de vivre dans un environnement sain a été reconnu par le Conseil d’État.

Poser dans les paroles une ambition écologique sans que cela soit suivi d’actes pourrait être considéré comme illégal, voire criminel peut-être dans quelques années car, oui, nous parlons de droits : de vos droits à polluer et à détruire le monde et des droits fondamentaux de celles et ceux qui subissent déjà les impacts de vos activités ! J’aimerais à cet égard vous entendre sur le site pétrolier de Total à Balhaf au Yémen, qui a été réquisitionné et est utilisé depuis plusieurs années par l’armée des Émirats arabes unis, transformé en prison secrète où se pratiquerait la torture ainsi que des violations répétées des droits humains.

Nous parlons ici de droits, notamment de potentielles pratiques de greenwashing quand votre compagnie réalise toujours près de 90 % de ses investissements dans les énergies fossiles alors même, comme cela a déjà été dit, que l’Agence internationale de l’énergie demande de cesser toute nouvelle exploration d’énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Difficile de poser une seule question tant vos activités conditionnent notre avenir, mais puisque vous n’y aviez pas encore répondu, monsieur le PDG, pourriez-vous apporter des clarifications sur votre bilan global réel d’émissions de CO2 qui, selon des associations, serait sous-évalué au regard de celui de vos voisins, en incluant tous les scopes ?

M. Patrick Pouyanné. Nous avons répondu officiellement par un communiqué. Nous comptons d’ailleurs attaquer l’association qui a publié des chiffres faux, ce qui pour une société cotée est un réel problème. Les émissions de scope 1 de TotalEnergies sont de 55 millions de tonnes patrimoniales et 40 millions de tonnes opérées. Je vous l’affirme. Elles ne sont pas de 160 millions de tonnes ; nous ne représentons pas 8 % de l’énergie fossile mondiale, mais 1 à 2 %. Or, selon ce rapport, sur 1,6 milliard de tonnes d’émissions, TotalEnergies représenterait 8 % des émissions mondiales. Ma société ne représente pas 8 % des énergies fossiles, mais 1 à 2 %. Ma réponse est ferme et claire. Nous irons devant les tribunaux parce que cela suffit de lancer ainsi des affirmations mensongères ! Ces mensonges attentent à notre réputation et sont graves quand une société est cotée.

Je suis extrêmement ferme : dorénavant, nous répondrons à toute fausse affirmation et nous attaquerons, parce que nous ne pouvons continuer à rester sans réagir face à des affirmations mensongères qu’il suffit de lancer sur les réseaux sociaux pour qu’elles deviennent des vérités. En l’occurrence, je confirme et réitère : les émissions de scope 1 de TotalEnergies sont de 45 millions de tonnes opérées et de 55 millions de tonnes patrimoniales, et pas de 160 millions de tonnes. Nous ne représentons pas non plus 8 % de l’énergie mondiale fossile, ce n’est pas exact. Nous représentons 1,5 à 2 %.

Au Yémen, premièrement, ce n’est pas TotalEnergies qui opère sur le site de Balhaf mais la société Yémen LNG dont nous sommes actionnaires. Deuxièmement, vous le savez, nous avons dû évacuer ce site et n’avons plus aucun personnel expatrié au Yémen depuis 2015. En 2017, nous avons reçu de la part du gouvernement légitime yéménite une demande de réquisition des installations, non des installations industrielles, mais des camps de vie de Yémen LNG, qui sont séparés des installations industrielles. Nous n’avions pas moyen de nous opposer à cette réquisition, qui a été présentée officiellement. Nous avons, bien évidemment, eu des échanges pour en connaître les raisons et nous avions demandé que soient bien séparées les installations industrielles de ce fameux camp de vie. Une enceinte a été créée à cet effet. Nous n’avons personne là-bas et ne savons absolument pas ce qui se passe – nous l’avons dit et nous le répétons – dans les installations réquisitionnées, puisque nous ne sommes pas retournés au Yémen depuis 2015.

Dans la mesure où cette usine représente à peu près 30 à 40 % des revenus de l’État du Yémen, nous considérons que nous avons le devoir de la maintenir en état. Elle existe toujours, malgré la guerre civile qui sévit depuis huit ans. Elle nous coûte de l’argent, comme à nos coactionnaires. Mais je ne dispose d’aucune information spécifique.

Bien évidemment, après que nous avons été saisis et que ces accusations ont été prononcées, nous avons fait notre devoir : nous avons saisi les autorités du Yémen qui nous ont répondu qu’il n’y avait rien, mais je n’ai pas de moyens d’investigation et nous ne sommes en aucune façon partie à ce qui se passe dans le secteur qui a été réquisitionné par l’État. Je le répète : sur la partie de l’usine, je peux vous dire ce qu’il s’y passe puisque des personnels yéménites, de Yémen LNG et pas de TotalEnergies, sont encore présents, parce qu’il y a un tout petit peu de gaz qui permet d’alimenter en électricité les villages environnants.

Sur le Yémen, la situation est claire et puisque, là aussi, on veut nous attaquer, nous répondrons. Je puis vous assurer que nous veillons tout particulièrement à ce que tout ce qui peut être fait par l’entreprise – mais, je le répète, nous n’avons pas de moyens d’agir – soit conforme à l’ensemble de nos règles et nos actes de conduite.

Mme Laëtitia Saint-Paul. Monsieur le président-directeur général, j’ai l’habitude de dire que c’est le terrain qui commande et, à la campagne, on roule encore beaucoup au diesel, n’en déplaise à certains TotalEnergies, ce sont aussi de nombreux employés et je tenais à saluer l’action d’Arnaud Pathiaux qui, localement, a fait l’effort de venir à notre rencontre pour accompagner nos projets et pour nous présenter l’entreprise.

TotalEnergies est une multinationale présente dans 130 pays. C’est un aspect important. Dans quelle mesure la France reste-t-elle le centre de gravité de votre entreprise en termes d’actionnaires et en termes d’emplois ? Pour ma part, n’en déplaise encore à certains, je considère TotalEnergies comme une fierté nationale.

Vous avez fait l’objet de nombreuses accusations de greenwashing. J’y vois un paradoxe au regard de la RSE qui vous incombe. J’accompagne de nombreux projets. À un moment, on ne peut pas imposer une RSE, porter localement des projets, et être systématiquement accusé de greenwashing.

M. Patrick Pouyanné. La France représente 30 000 à 32 000 employés sur 100 000 du groupe. Nos grands centres de recherche y sont installés, tout comme le système de raffinage. Le plus gros du réseau mondial est en France.

La France représente des investissements significatifs chaque année. Dans le domaine de l’électricité, par exemple, c’est sur la France que nous avons fait un pari important, en reprenant Direct Énergie. Notre stratégie de diversification passe par la France.

La France est notre pays de siège et, donc, elle reste importante pour nous. D’ailleurs, les dirigeants de TotalEnergies sont encore à majorité française.

L’actionnariat français représente de l’ordre de 18 % de l’actionnariat. Il diminue, ce qui peut paraître regrettable. L’actionnariat qui monte au capital de TotalEnergies au fil des années est l’actionnariat américain. Cette année, je le constate, nous avons à peu près 5 % de plus d’actionnaires américains.

Toutefois, la nationalité du groupe est française, je n’ai aucun doute à ce sujet. C’est la raison pour laquelle nous nous préoccupons de ce que nous pouvons faire en France. Lorsque nous mettons en place des systèmes de rabais commerciaux en France ou des opérations de bonus sur l’électricité, comme nous l’avons annoncé hier, nous le faisons en France, nous ne le faisons pas dans tous les pays du monde. Nous entretenons un lien particulier avec ce pays.

Si des projets territoriaux émergent, nous sommes prêts à les accompagner. Nous avons d’ailleurs mis en place, depuis un an, une nouvelle organisation. Un jour, je me suis rendu compte que le PDG de TotalEnergies, qui est un groupe mondial, s’occupait de la France. C’est assez étrange. D’ailleurs, aujourd’hui, c’est moi qui viens ici. Nous n’avions pas de patron France. Nous venons donc de désigner une personne qui sera chargée de la France et de mettre en place une organisation territoriale, avec un délégué régional dans chacune des régions, afin de retisser du lien avec l’ensemble des élus, parce que les énergies renouvelables nous ramènent au terrain – d’autant plus si nous voulons les développer. Satisfaire notre ambition nécessite d’être bien plus présents dans le pays. Voilà comment nous réabordons le territoire français.

M. Jérôme Buisson. En raison de la guerre en Ukraine, nous importons du GNL américain au prix fort. Vous en avez parlé. Les prix de l’énergie ont grimpé. La France est menacée de la destruction de son industrie qui pourrait être attirée à terme aux États-Unis. C’est une aubaine à double titre pour notre allié américain. Nous devons sécuriser un approvisionnement énergétique à prix raisonnable pour nos compatriotes et pour la survie de nos entreprises.

Monsieur Pouyanné, pensez-vous que les importations de gaz provenant du gisement Léviathan pourraient être une solution pour compenser le découplage gazier russo-européen ?

Votre entreprise a été critiquée en 2019 par le ministre israélien de l’énergie, lorsque vous avez déclaré que la situation en Israël, nouvel acteur gazier, était trop complexe pour investir dans ce gisement. Le ministre avait même évoqué un boycott d’Israël par TotalEnergies qui aurait fait partie, toujours selon ce ministre, des entreprises soumises à la tyrannie et la dictature en Iran. Néanmoins, Total s’était désengagé de l’Iran en 2018, en raison des sanctions américaines – à nouveau, à cause des sanctions américaines.

Voici donc ma seconde question : monsieur Pouyanné, dans quelle mesure les activités Total, comme celles de nombreuses entreprises françaises par ailleurs, ont-elles été freinées, voire empêchées par des considérations politiques ou, disons-le, par la politique extérieure américaine ?

Mme Nathalie Oziol. C’est assez étrange, monsieur le président-directeur général, de devoir raccourcir sa question de la sorte. L’intérêt de ces auditions est de pouvoir échanger afin d’obtenir de vraies réponses.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez eu de vraies réponses.

Mme Nathalie Oziol. Oui, mais hier soir aussi, nous aurions bien aimé pouvoir nous exprimer longuement. Je vais donc raccourcir ma question.

Elle porte sur les activités de TotalEnergies au Mozambique, sur le site d’Afungi pour être plus précise. Le journaliste Marc Endeweld, dont nous saluons le travail, rapporte que le groupe Total a fait appel au groupe paramilitaire russe Wagner pour protéger ses installations au Mozambique, jusqu’au retrait de Total en 2021. À l’époque déjà, nous connaissions les liens entre cette société militaire privée et la direction générale des renseignements de l’État-Major des Forces armées de la fédération de Russie (le GRU) ainsi que ses liens avec le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB).

Ma question est la suivante : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et l’Élysée étaient-ils au courant ? Ont‑ils donné le feu vert à Total pour travailler avec ce groupe paramilitaire ?

M. Patrick Pouyanné. Nous n’avons jamais travaillé, bien évidemment, avec le groupe Wagner. Nous n’employons aucune société privée militaire. La réponse est très claire et simple. Encore une affirmation fausse !

Mme Nathalie Oziol. Ce n’est pas possible de répondre de la sorte !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le président Pouyanné est maître de ses réponses.

M. François Ruffin. Total a pratiqué pendant des décennies l’industrie du doute en matière climatique, en étant dans le déni, en finançant des revues... Je vous vois froncer les sourcils. Je peux aligner des citations entières de revues de Total qui interrogent sur la réalité du réchauffement climatique : est-il d’origine humaine ? Quelle est la place des énergies fossiles dans cette affaire ? Vous avez procédé ainsi pendant des décennies, jusqu’au début des années 2000, où vous avez opéré un revirement du déni vers le greenwashing. Mais ce que j’entends aujourd’hui quand on vous parle des activités de TotalEnergies en Ouganda, par exemple, c’est la même industrie du doute.

Vous contestez les chiffres mais celui que vous donnez de 18 000 foyers représente bien l’équivalent de 100 000 personnes. Les récits des personnes sur place font état de filatures, d’arrestations, d’emprisonnements, de menaces de mort à l’encontre de populations qui sont muselées. Non pas par vous directement, bien sûr ; vous faites faire le sale boulot par les sous‑traitants !

Vous vous offusquez sur le fait qu’il existe un État de droit et que le Parlement européen ne vous a pas entendu dans le cadre de cet État de droit. Je veux bien entendre votre droit à être entendu par le Parlement européen mais, à voir ce qui se passe pour les populations en Ouganda, l’État de droit n’y existe pas.

Je souhaiterais qu’une véritable mission parlementaire se rende sur le site de TotalEnergies en Ouganda et interroge librement les populations sur place, ce qui n’a pas été possible pour le Parlement européen.

M. Patrick Pouyanné. S’agissant d’Israël, sachez que nous venons de contribuer à un accord entre le Liban et Israël sur la frontière maritime, qui permet de libérer des ressources gazières du côté libanais. Nos relations avec l’État d’Israël sont très bonnes. Les États-Unis ont piloté diplomatiquement avec la France cette négociation mais nous avons un rôle à jouer puisque nous avons nous-mêmes signé un accord cette semaine pour permettre une mise en œuvre positive de cet accord entre Israël et le Liban. Nous sommes investisseurs en Israël ; nous y avons des usines de batteries depuis que nous avons racheté Saft et nous y investissons également dans le solaire.

Avons-nous eu un souci en Iran ? Oui, vous le savez. Nous avons renoncé au projet en Iran parce que les sanctions américaines s’appliquaient et que l’Union européenne n’avait pas les moyens de s’y opposer. En 1995, lors des précédents projets en Iran, elle s’y était opposée ; en 2017-2018, elle ne s’y est pas opposée. Nous avons donc renoncé au projet iranien. C’est le seul cas que je connaisse.

Aujourd’hui, 82 pays sont sous sanctions extraterritoriales américaines ; ils étaient 10 il y a dix ans. C’est donc effectivement devenu une question à prendre en compte pour des sociétés internationales qui doivent respecter toutes ces règles, parce que nous avons aussi des intérêts aux États-Unis. C’est un sujet de contraintes, mais c’est la réalité de notre monde.

J’ai répondu sur l’Iran, Israël et les États-Unis. Je pense avoir répondu sur Wagner. J’en viens aux questions de monsieur Ruffin, qui m’ont rappelé un point auquel je n’ai pas répondu.

On m’a dit que j’avais affirmé que si nous partions d’Ouganda, une autre société réaliserait le projet. C’est bien le cas puisque, sur le projet ougandais, notre groupe n’est pas seul impliqué. Nous avons pour partenaire la China national offshore oil corporation (CNOOC), une société d’État chinoise, qui possède des parts à peu près équivalentes aux nôtres. Nous nous sommes battus pendant deux ans pour garder le contrôle de ce projet parce que cette société voulait devenir l’opérateur à notre place.

TotalEnergies peut partir. En vous écoutant, c’est ce que nous devons faire. Mais sachez que le projet se réalisera de toute manière, parce que l’Ouganda le veut et parce que la Tanzanie le veut. L’Ouganda et la Tanzanie sont respectivement les 159ème et 160ème pays les plus pauvres. Sommes-nous prêts à leur demander de laisser leurs ressources dans la terre et à leur apporter des milliards en compensation ? Leur avons-nous fait cette proposition ou, puisque j’ai été accusé de néocolonialisme, ne nous comportons-nous pas en néocolonialistes en leur demandant de pas exploiter leurs ressources naturelles ?

Pour ma part, je n’ai pas entendu les autorités européennes proposer aux autorités ougandaises et tanzaniennes de laisser ce pétrole et de compenser la totalité des revenus que ces pays pourraient en tirer. Nous-mêmes avons décidé qu’une part importante des revenus que nous en tirerions serait réinvestie dans l’énergie renouvelable de ces pays afin de déployer notre propre modèle dans ces pays où nous extrayons des ressources, pour leur bénéfice et celui de leurs populations.

Vous me dites, Monsieur Ruffin, qu’il y a des policiers. Je vais tout de même dire la vérité sur ce qui s’est passé. Un certain nombre de parlementaires européens nous ont demandé de pouvoir se rendre en Ouganda. Nous les avons aidés. Ils se sont déplacés totalement librement aux mois de juillet et d’août en Ouganda. Cela ne me pose pas de problème. Nous avons ouvert les portes du projet. De nombreux journalistes y sont allés, je l’avais proposé au mois de mai. Si vous voulez y aller, allez-y, et vous me direz si vous voyez 100 000 personnes menottées et menacées. Si cela est vrai, je suis prêt à arrêter, mais ce n’est pas vrai.

Sur le dossier ougandais, que nous assumons et qui n’est pas un sujet simple, je vous ai donné les chiffres. Nous ferons tout ce que nous devons faire, au mieux dans l’intérêt de ces populations. C’est un sujet complexe ; ces projets terrestres sont plus compliqués et nous rencontrerons les mêmes problématiques lorsque nous voudrons construire des centrales solaires. Exactement les mêmes parce qu’une centrale solaire, c’est une emprise au sol ! Ce problème d’occupation de l’espace commence à apparaître dans tous les pays.

Voilà ce que je pense, mais peut-être allez-vous réussir à me convaincre ? Dans ce cas, je devrais alors vendre mes parts à la société d’État chinoise, car ce projet est lancé, et nos amis chinois ont un droit de préemption. C’est la règle qui s’applique entre sociétés conjointes, et je bénéficie du même droit de préemption s’ils s’en vont.

Je regrette profondément que l’on en arrive aujourd’hui à ces affrontements parce que je crois profondément à la bonne volonté de nos équipes sur le terrain, qui font ce qu’il faut. Je signale au passage que, sur ce dossier, nous avons invité des ONG, qui ont fourni des rapports d’audit que nous avons rendus publics. Nous avons répondu à chacune des recommandations qui ont été formulées, nous les avons mises en œuvre de façon à nous améliorer. Je ne dis pas que nous sommes parfaits. En réalité, ce dossier ouvre deux débats. Le premier, que je comprends, est de savoir s’il faut produire de nouveaux gisements pétroliers ; je vous ai expliqué les raisons pour lesquelles, dans les prochaines années, il faut le faire. Le gisement ougandais sera épuisé dans quinze ans. Nous ne serons pas en 2050. Donc, nous pensons qu’il faut continuer à exploiter ce gisement pétrolier tout en continuant à investir davantage dans les énergies décarbonnées parce qu’il faut assurer l’énergie d’aujourd’hui.

Le second est que TotalEnergies a un contrat avec ces États et, dans notre entreprise, nous respectons les contrats que nous passons avec tous les États qui nous font confiance.

Mme Mireille Clapot. Je m’intéresse particulièrement à la loi sur le devoir de vigilance de 2017, qui fera sans doute écho au niveau européen. Votre groupe est particulièrement scruté. Nous avons entendu la virulence des collègues qui vous ont interpellé. Mais au-delà de l’invocation de la morale et des affirmations des uns et des autres, il y a aussi la justice. Je pourrais également mentionner le reportage diffusé hier soir sur Arte. Je n’ai malheureusement pas pu le voir mais il était très à charge.

Vous étiez, le 12 octobre, convoqué devant le tribunal. L’audience est reportée au 7 décembre. Il y a tout un feuilleton autour de cela. Qu’en pensez-vous : est-ce vraiment une contrainte pour vous ou cela pourrait-il être une opportunité ?

M. Patrick Pouyanné. Il vous serait difficile de trouver un papier ou un documentaire qui ne soit pas à charge en ce moment. Je n’en vois pas beaucoup. Il y en a tout de même quelques-uns de temps à autre, qui font bizarrement plaisir alors que l’on ne s’y attend pas. C’est regrettable, c’est très frustrant. Le plus frustrant dans la position que j’occupe est que cela se passe dans notre pays, le pays dont nous sommes le plus proche et le plus fier.

Nous ne sommes pas attaqués dans les 129 autres pays où nous sommes implantés. Pas du tout, nous sommes même considérées dans nombre d’entre eux comme l’entreprise pétrolière la plus avant-gardiste dans son changement de modèle de développement. C’est le pays où nous avons notre siège et nos employés qui nous attaque le plus. C’est quelque peu frustrant mais mes collègues britanniques et américains connaissent la même situation. Nul n’est prophète en son pays !

Pour revenir sur le devoir de vigilance, nous comprenons ce texte comme la volonté du Parlement d’éviter des situations comme le drame qui s’était déroulé avec des sous-traitants en Inde. L’obligation que fixe le Parlement par la loi est d’avoir un plan, une sorte d’assurance qualité, des processus et des garanties pour nous assurer que nous mettons bien en œuvre un certain nombre de valeurs fondamentales, de rendre un rapport annuel et de vérifier que ces valeurs sont bien respectées dans nos projets.

Nous verrons ce que les tribunaux comprennent puisque nous n’avons pas décrit chacun des projets dans notre rapport. Si je dois décrire chacun des projets dans le rapport, ce dernier qui est déjà épais va beaucoup grossir. Donc, nous avons instauré une méthode pour respecter le devoir de vigilance : nous avons élaboré un plan, qui est très conforme. Nous l’avons comparé aux autres grandes sociétés françaises qui ont émis des plans et n’avons pas considéré que le nôtre était de moins bonne qualité.

La difficulté à laquelle nous sommes confrontés sur le plan judiciaire est une interprétation de ce texte qui ne s’attache pas à la lettre de la loi, mais selon laquelle nous devrions être vigilants tout le temps, ce qui va au-delà de l’obligation légale. Nous verrons comment les tribunaux vont juger. Il y avait une demande de médiation possible avec les ONG. Nous étions prêts à le faire. Les ONG ne l’ont pas souhaité. Nous verrons donc ce que le tribunal de première instance statuera. À mon avis, nous sommes partis pour une insécurité juridique assez majeure sur ces dispositions. Le niveau européen reprend le concept. Nous verrons comment tout cela sera rendu compatible.

Ce qui m’ennuie, pour la compétition internationale, c’est que ce genre de texte n’a aucune chance d’apparaître côté américain. C’est un vrai problème. Il faut tout de même vous rendre compte, et je profite de l’occasion pour le dire, qu’aujourd’hui, les sociétés européennes, en raison d’un certain nombre de réglementations qui sont sans doute toutes légitimes mais qui ne s’appliquent pas à l’ensemble de nos vrais compétiteurs – qui sont aujourd’hui largement américains –, doivent se battre dans la compétition mondiale avec plus de contraintes que leurs rivaux.

Je ne dis pas que ce n’est pas bien. Je dis simplement que, lorsque nous, Européens, voulons progresser dans les normes sociales et environnementales, comme celles que porte ce texte et dont je comprends le fondement, il faudrait au moins qu’elles s’appliquent dans le champ des alliés, notamment le champ transatlantique, car c’est cela la réalité de notre compétition aujourd’hui. Elles s’appliqueront encore moins en Chine, mais je n’ai même pas l’illusion de le vouloir. Ce qui m’ennuie surtout, c’est que l’évolution de l’autre côté de l’Atlantique est très éloignée de cela.

Ce n’est pas un texte très simple parce qu’au-delà de la lettre et du contenu même de la loi, il y a l’intention que certaines parties prenantes veulent visiblement lui conférer. Cela devient délicat. Nous verrons bien ce qui se passera. Je le répète : nous sommes dans un État droit et nous respectons l’État de droit. Donc, à la fin, la justice aura raison. Mais, à mon avis, le feuilleton judiciaire de cette affaire n’est pas près de s’achever.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le président-directeur général, de la précision, de la franchise et du caractère extrêmement riche de vos réponses.

Chers collègues, je vous remercie d’avoir posé toutes ces questions. C’était une audition lors de laquelle, grâce à vous, nous n’avons pas perdu notre temps. Nous avons fait progresser notre conscience des enjeux. Chacun a ses positions et ses responsabilités et voit les choses comme il l’entend.

Vous avez, monsieur le président-directeur général, très sérieusement enrichi notre niveau de conscience de l’ensemble de ces problèmes. Soyez-en remercié. J’espère que vous ne doutez pas un seul instant que les questions et les mises en cause, parfois un peu brutales de nos collègues, étaient uniquement dictées par le souci de faire progresser le débat et la vérité.

M. Patrick Pouyanné. Je n’en doute aucunement. L’intérêt des débats est d’entendre les divers points de vue qui s’expriment. Le dirigeant que je suis se nourrit aussi de tels débats pour faire évoluer ses propres réflexions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie de vous y être prêté.

 

 

La séance est levée à 13 h 00

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Damien Abad, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. Frédéric Falcon, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jérôme Legavre, M. Laurent Marcangeli, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski

 

Excusés. - Mme Ségolène Amiot, Mme Véronique Besse, M. Carlos Martens Bilongo, M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Nadège Abomangoli, M. Louis Boyard, Mme Mathilde Panot, Mme Marie Pochon, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin