Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 Examen, ouvert à la presse, et vote sur les projets de loi suivants :

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (n° 384) (M. Frédéric Zgainski, rapporteur)                             2

- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour (n° 145) (M. Christopher Weissberg, rapporteur)                             13


Mercredi
23 novembre 2022

Séance de 9 h 00

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


  1 

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur deux projets de loi.

 

La séance est ouverte à 9 h 00

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, j’accueille en votre nom notre nouveau collègue M. Philippe Guillemard qui, je pense, trouvera dans cette commission matière à exprimer tous ses talents.

Chers collègues, à la demande du bureau de la commission, qui a beaucoup réfléchi à cette question, nous expérimentons à partir de ce jour un nouveau mode d’organisation de nos travaux. Si cela ne fonctionne pas, nous aurons une démarche pragmatique et reviendrons au système antérieur, mais nous allons essayer de rendre nos débats plus équitables et plus vivants ; plus équitables, parce que certains ont fait observer que, l’ordre des prises de parole des orateurs des groupes toujours le même était défavorable à certains. Par exemple, le vice‑président Lecoq, qui était toujours le dernier à s’exprimer, s’en plaignait, et il était assez anormal qu’un groupe se retrouve toujours dans une situation résiduelle par rapport aux autres. Le bureau a donc décidé que l’ordre d’intervention des groupes demeurerait inchangé et avancerait à chaque nouvelle réunion, la seule victime étant vous, madame Ménard, puisque les non-inscrits ne peuvent être considérés comme un groupe, mais croyez que je ne vous oublie jamais.

La seconde innovation sera plus rude pour moi, qui devrai faire la police du temps de parole. Toutefois, cet exercice s’adressera d’abord à ma personne car, bien que je ne pense pas parler beaucoup, il semblerait que l’ensemble des collègues considèrent que je parle trop ! Je tâcherai donc de me modérer. Nous procéderons de la façon suivante : chaque orateur de groupe disposera de deux minutes et demie et l’invité du même temps de parole pour répondre. Nous aurons donc un échange plutôt qu’une longue litanie d’interventions suivie d’une longue litanie de réponses.

Nous sommes obligés de réduire de trente secondes le temps de parole des groupes. Je suis sans doute parfois long moi-même mais je vous écoute tous et, de façon générale, vous avez, je trouve, tendance à gloser au début de vos interventions et ne pas entrer directement dans le vif du sujet. Il paraît donc possible d’avoir la même efficacité en étant plus brefs.

Puis, nous passerons aux questions individuelles qui ne dureront qu’une minute, mais auxquelles il sera immédiatement répondu, dans un échange chjama è rispondi, du tac au tac comme l’on dit en corse.

La difficulté pour moi sera de faire régner la discipline. Ce n’est pas mon goût mais puisque, tel est désormais mon travail, je le ferai. Telles sont donc les nouvelles dispositions qui nous sont proposées pour ne pas dire imposées par le bureau de la commission pour une durée déterminée. Après quelques séances, nous conserverons ce mode de fonctionnement ou expérimenterons un autre système.

Nous en venons au premier point inscrit à l’ordre du jour de cette réunion.

 Projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (n° 384) (M. Frédéric Zgainski, rapporteur)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Pour suivre les nouvelles dispositions applicables à nos débats arrêtées par le bureau de la commission, je me bornerai à donner deux chiffres sur cette convention du Conseil de l’Europe, dite « convention de Macolin » : en 2021, les paris sportifs ont généré un chiffre d’affaires mondial de 1 450 milliards d’euros ; et pour la seule année 2020, les recettes criminelles mondiales provenant des paris truqués ont été évaluées, sans doute de façon insuffisante, à 120 millions d’euros.

À eux seuls, ces chiffres témoignent, cher collègue rapporteur, de l’importance de votre rapport.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Notre commission est saisie du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, également appelée « convention de Macolin », signée par la France, à Strasbourg, le 2 octobre 2014.

La manipulation des compétitions sportives, qui est liée à la fraude, au crime organisé et à la corruption, porte atteinte à l’intégrité du sport en compromettant son caractère imprévisible. Or lorsque les passionnés ne croient plus à la fameuse « incertitude du sport », celui-ci perd, en plus de ses valeurs, tout pouvoir d’attractivité.

Le phénomène représente une menace qui n’a eu de cesse de s’aggraver ces dernières années. Selon un rapport d’Europol de 2020, les recettes criminelles annuelles mondiales provenant des paris sur les matchs truqués sont, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, estimées à environ 120 millions d’euros. Europol souligne, en outre, que les paris en ligne sont de plus en plus utilisés par les organisations criminelles pour manipuler les compétitions, en ciblant généralement des rencontres sportives de niveau inférieur dans différents sports, le football et le tennis demeurant les pratiques sportives les plus exposées à l’échelle mondiale.

Ce fléau global, qui n’épargne aucun État, constitue ainsi un véritable danger pour le sport dans toutes ses dimensions – sociale, culturelle, économique et politique –, de même qu’un important défi pour les autorités publiques, les organisations sportives, les athlètes et les opérateurs de paris sportifs.

Pour faire face à cette menace, le Conseil de l’Europe a proposé avec la convention que notre commission examine ce matin, une réponse commune et harmonisée. Ce texte dispose d’un champ d’application très large, puisqu’il concerne tous les sports et toutes les compétitions sportives et va au-delà de la seule question des paris sportifs.

La convention de Macolin a pour objectifs principaux : premièrement, la prévention et la sanction des actes de corruption, de fraude ou de paris illégaux dans le cadre de compétitions sportives ; deuxièmement, le renforcement de l’échange d’informations et de la coopération nationale et internationale entre les différents acteurs du monde du sport.

Ce texte enjoint aux États de prendre les mesures adéquates permettant de répondre utilement et efficacement au phénomène des manipulations de compétitions sportives, que ce soit en amont avec un volet préventif ou en aval avec un volet répressif, et de manière collective grâce à la promotion du dialogue, de l’échange et d’autres pratiques coopératives.

Pour ce faire, la convention de Macolin veille à impliquer l’ensemble des acteurs intéressés dans le monde du sport.

L’une des mesures phares de cette convention consiste en l’incitation faite aux États de mettre en place une plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives permettant un échange fluide des informations détenues par chacun des acteurs du monde du sport. Démontrant la forte implication de notre pays sur cette question, la France a lancé, dès janvier 2016, sa propre plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives.

S’agissant du volet préventif, le texte reconnaît l’autonomie des organisations sportives en matière de sensibilisation mais souligne toutefois la responsabilité des opérateurs de paris dans le cadre de la prévention contre la manipulation des compétitions sportives.

S’agissant du volet répressif, la convention établit un cadre minimal identifiant les comportements répréhensibles et la nature des sanctions pouvant être prononcées, sans toutefois créer d’incriminations. L’objectif premier de la convention, découlant de celui d’harmonisation, vise à permettre une reconnaissance mutuelle des décisions et sanctions prises par les États et à ne pas cantonner ces dernières à un seul territoire.

La France a activement participé à l’élaboration de cette convention, qui constitue le premier instrument international contraignant visant directement le trucage de matchs. Notre pays dispose, d’ailleurs, d’un arsenal législatif important en matière de lutte contre ce phénomène, qui en fait un des États les plus avancés sur cette question. Ainsi, la plupart des stipulations de la convention trouvent d’ores et déjà une traduction en droit français. Seules quelques évolutions législatives, non urgentes, pourraient être envisagées afin de renforcer encore la norme et de parfaire la conformité de notre droit interne à la convention.

À l’approche des deux événements sportifs majeurs qui seront organisés en France – la coupe du monde de rugby, en 2023, et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, en 2024 – la ratification de cet instrument de lutte contre la manipulation de compétitions sportives est un moyen de marquer un engagement fort de la France contre ce phénomène.

À ce jour, quarante-et-un pays ont signé la convention, dont trois pays tiers – l’Australie, le Maroc et la Russie, sachant que la signature de cette dernière est considérée comme suspendue depuis le 16 mars 2022, date de sortie de la Russie du Conseil de l’Europe. Sept États l’ont ratifiée : trois États membres de l’Union européenne – la Grèce, l’Italie et le Portugal – et quatre États membres du Conseil de l’Europe – la Moldavie, la Norvège, la Suisse et l’Ukraine. Conformément à l’article 32 de la convention, qui prévoit son entrée en vigueur après cinq ratifications, dont trois au moins par des États membres du Conseil de l’Europe, celle-ci est entrée en vigueur le 1er septembre 2019, après sa ratification par la Norvège, le Portugal, l’Ukraine, la Moldavie et la Suisse.

Afin de renforcer la lutte contre la manipulation de compétitions sportives à l’échelle internationale et d’impliquer plus encore notre pays au cœur de cette mobilisation, je vous invite à voter sans réserve en faveur de l’approbation de cette convention.

M. président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des représentants des groupes. Je précise que vous aurez un droit de suite si vous n’avez pas épuisé votre temps de parole.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Ce texte s’inscrit dans la droite ligne des récentes observations de la Commission européenne qui a pointé le manque de transparence du football professionnel. Ce sport est particulièrement vulnérable au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Depuis quelques années, certains États soupçonnés d’entretenir des liens étroits avec le terrorisme s’immiscent dans le sport européen. On pense ici aux Émirats arabes unis avec Manchester city football club, à l’Arabie saoudite avec Newcastle united football club, et, bien sûr, au Qatar avec le Paris Saint-Germain football club (PSG). Dans un contexte européen où règne le libre-échange, comment contrôler efficacement des investissements douteux ?

Dans le contexte particulier d’une coupe du monde au Qatar en hiver, il est pertinent de rappeler le fameux déjeuner du 23 novembre 2010 qu’organisait le président Sarkozy avec le président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), Michel Platini, accompagnés du prince héritier qatari et de son Premier ministre. Dix jours plus tard, alors que les États-Unis partaient grand favori pour remporter l’organisation de la coupe du monde de 2022, c’est finalement le Qatar qui en eût la responsabilité. Un peu plus tard, le Qatar a acheté le PSG, une holding qatarie entrait au capital du groupe Lagardère, la chaîne qatarie beIn Sports obtenait les droits télévisuels de la Ligue 1 et des compétitions européennes, et le fils de Michel Platini devenait le directeur général d’une holding détenue par un fonds qatari. Le secrétaire général de la FIFA d’alors affirmait, dans un mail, que les Qataris avaient acheté la coupe du monde... avant de se faire licencier !

Les instances sportives mondiales n’ont cependant pas tiré les leçons de ce scandale en décidant récemment d’attribuer l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2029 à l’Arabie saoudite, rivale et voisine du Qatar, bien connue pour ses fameuses montagnes enneigées… On imagine bien mal comment atteindre les objectifs de cette convention lorsque les instances chargées de la mettre en œuvre sont les premières impliquées dans des scandales de corruption.

Malgré ces quelques observations, il s’agit d’un texte de bon sens, qui contient aussi des dispositions encourageant la sensibilisation des acteurs et du public. Il laisse aux États une certaine liberté ainsi qu’une forte marge de manœuvre pour organiser leurs propres politiques de sanction et de coopération. Pour ces raisons, le groupe Rassemblement national se prononcera en faveur de ce texte.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Votre question porte essentiellement sur l’attribution de compétitions sportives à des États et ne s’inscrit donc pas dans le cadre de la convention, qui concerne plutôt la manipulation de compétitions sportives.

Vous avez pointé le football. Pour votre information, si l’on revient au sujet de la manipulation de compétitions sportives, nous avons, en la matière, rencontré des soucis avec d’autres sports : le handball et le tennis notamment.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous voterons certainement en faveur de la ratification de cette convention. Toutefois, il faut dire ici clairement l’hypocrisie de la chose.

La pratique sportive est source d’émancipation et de sociabilisation. Le respect de règles qu’on s’impose collectivement ne peut que faire écho à notre fonction de législateurs. Le sport porte en lui des valeurs positives ; hélas, le capitalisme noie tout dans les eaux glacées du calcul égoïste, y compris la glorieuse incertitude du sport ! Si les paris sportifs existaient dès l’Antiquité, l’ère industrielle a vu se développer un véritable commerce de la misère liée au jeu : pas de paris d’amis quand il s’agit d’argent ! Les familles sont ruinées, des bandits s’organisent pour récupérer les mises par la violence, truquent les compétitions et en profitent pour blanchir l’argent d’autres activités frauduleuses. Le législateur, par sagesse ou par intérêt, s’est alors penché sur la question. L’État devenait bookmaker – cela remplit les caisses – et, en retour, tentait de réguler les tripots et jeux clandestins par la police des jeux, la surveillance des casinos et par un monopole d’État sur les paris.

De tout cela, qu’avons-nous retenu ? Rien !

La loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne a tout fait voler en éclats. Certes, les mêmes textes de libéralisation étaient adoptés ailleurs dans le monde, les uns servant de prétexte aux autres. Mais le bilan est accablant. De véritables mafias se sont engouffrés dans la brèche et pourrissent tout, avec des conséquences particulièrement aiguës dans les quartiers populaires. C’est ce que met en lumière une campagne de prévention lancée le 14 novembre dernier en Seine-Saint-Denis. C’est ce qu’indiquent certains de nos plus grands sportifs, quand ils refusent, comme Kylian Mbappé, de voir leur nom associé à ces organismes mafieux qui prospèrent sur la misère.

Tant que nous ne mènerons pas la guerre à ces sociétés mafieuses, tant que nous transigerons avec elles par faiblesse ou par intérêt, tant que l’État s’accommodera des ressources financières qu’elles nous versent en obole, tant que nous accepterons que ces marchands du temple fassent du sport un nouvel opium du peuple aux juteux bénéfices, tout ne sera qu’hypocrisie !

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Vous évoquez la loi qui a permis de créer l’Autorité nationale des jeux (ANJ). Avant, nous assistions à une multiplication des sites illégaux, l’informatique et l’industrie numérique ayant favorisé le développement inconsidéré des jeux en ligne. Ainsi, au début des années 2000, la France s’est trouvée confrontée à une offre illégale de paris très forte. En 2009, 25 000 sites illégaux étaient accessibles et le montant des mises était compris entre 3 et 4 milliards d’euros.

La situation a dérivé et, répondant à une double logique de protection de l’ordre public et de l’ordre social, la loi de 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, est venue réglementer le secteur et a permis de manière indirecte de lutter contre la manipulation de compétitions sportives.

La convention que nous étudions ce matin vient, à un niveau plus global et international, renforcer ces dispositions et les pérenniser.

M. Bruno Fuchs (DEM). Monsieur le rapporteur, merci pour votre travail extrêmement complet. Merci également des éléments de contexte que vous avez apportés pour nous décrire l’ampleur de ce phénomène, donc la nécessité pour le législateur de s’attaquer à ce problème qui n’ira qu’en s’amplifiant. On constate d’ailleurs que les sommes engagées pour la coupe du monde de football sont supérieures à celles de l’Euro, il y a deux ans.

L’estimation d’Europol que vous avez citée évalue le produit annuel des matchs truqués à 120 millions d’euros en 2020. Cela ne peut que nous convaincre de la nécessité d’adopter un arsenal législatif efficace. Cela doit surtout nous encourager à une coopération entre pays, pour contrer ce phénomène qui, bien souvent, est lié à des réseaux qui dépassent aisément nos frontières, vous l’avez rappelé.

Pierre de Coubertin disait, en une phrase un peu moins connue que celle toujours citée, que l’essentiel n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être battu. Cette phrase, qui résume si bien les valeurs de l’olympisme, doit infuser l’ensemble des pratiques sportives. À travers nos règles et nos lois, nous devons garantir que les compétitions puissent toujours se dérouler de manière à assurer un affrontement juste et équitable, dans l’esprit du sport.

Si ces manipulations sont multiformes, elles concernent également tous les niveaux. Elles posent la question de la répartition de la valeur dans des sports médiatisés où l’on voit souvent des scandales éclabousser des divisions ou des tournois de second rang, les sommes en jeu dépassant fréquemment les rémunérations des joueurs. La France va organiser de grandes compétitions au cours des prochaines années. Elle se doit d’avoir un droit infaillible alors que les pratiques des opérateurs et des faussaires ne cessent d’évoluer.

Notre groupe soutiendra, bien entendu, la ratification de ce texte, en espérant que son application par un grand nombre de pays permettra de préserver le sport que nous aimons tous.

Notre législation est déjà très large et fournie. Notre Assemblée examinera prochainement un texte pour préparer les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Je m’interroge, et donc vous interroge, sur l’urgence de compléter le droit français de quelques mesures de cette convention de Macolin, qui ne figureraient pas encore dans le droit national.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Je vous remercie de la position du groupe Démocrate. Je l’ai indiqué, la France dispose d’ores et déjà d’un arsenal législatif qui en fait un des États les plus avancés sur cette question. De la sorte, la plupart des stipulations de la convention trouvent dès à présent une traduction en droit français. Certaines dispositions pourraient toutefois appeler des adaptations.

Par exemple, on pourrait modifier l’article D.131-36-1 du code du sport pour ajouter les personnes morales à la liste des acteurs des compétitions sportives. L’article 3 de la convention désigne en effet comme « Acteurs de la compétition » toute personne physique ou morale appartenant à l’une des catégories qu’il précise. Ces catégories sont majoritairement composées de personnes physiques. Seule la catégorie des officiels peut recouvrir des personnes morales – les propriétaires et les actionnaires notamment – mais, dans la mesure où ces personnes morales sont en nombre limité et, en tout état de cause, représentées en droit français par leurs dirigeants, il ne semble pas nécessaire d’adapter urgemment le droit français et une réflexion pourra être menée sur ce point, en collaboration avec la division sport du Conseil de l’Europe et le comité de suivi de la convention.

Deuxième exemple : parmi les mesures « pour lutter contre les paris sportifs illégaux », énumérées à l’article 11, la convention encourage les parties à se doter des moyens les plus adaptés pour lutter contre ce phénomène et indique comme possibilité le blocage des flux financiers entre les opérateurs de paris illégaux et les consommateurs. Une telle mesure n’est actuellement pas prévue en droit français.

Il convient de préciser que cet article ne revêt aucun caractère contraignant puisqu’il se limite à imposer aux parties d’étudier les moyens les plus adaptés et d’envisager leur adoption dans le respect du droit applicable à la juridiction concernée. Là aussi, une réflexion pourrait être menée en collaboration avec les deux organes que je viens de citer.

M. Guillaume Garot (SOC). C’est Noël avant Noël ! Je vais mettre fin à un suspense insoutenable : nous aussi, nous voterons ce texte de ratification !

Tout d’abord, c’est un texte qui, à l’évidence, va dans le bon sens. Il est important que la France se positionne alors qu’elle va être l’organisatrice de rendez-vous sportifs mondiaux très importants en 2023 et 2024, mais aussi parce que, dans la période que nous traversons, il est important de manifester notre soutien à une initiative très forte du Conseil de l’Europe.

Cela dit, vu l’ampleur des enjeux financiers rappelés – 1 450 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’ensemble des paris sportifs et une fraude estimée, car nous n’avons de chiffres rigoureusement exacts, à 120 millions, si j’ai bien compris –, je ferai deux remarques.

Premièrement, Bruno Fuchs le disait, nous devons être dans la coopération entre États. C’est très bien que chaque pays puisse se doter d’une législation qui fait avancer les choses et encadre davantage mais, parce que les enjeux sont mondiaux, rien ne sera possible sans une coopération beaucoup plus étroite entre l’ensemble des États. Nous aurions bien voulu, s’agissant du Qatar, avoir une coopération déjà forte, mais nous en sommes là.

Deuxièmement, même si, Monsieur le rapporteur, vous parliez d’encadrement, il y a eu une forme de libéralisation en 2010 sur les paris, et nous savons aujourd’hui qu’il existe un risque d’addiction, des paris illégaux, du harcèlement. Cette dimension doit aussi être traitée dans le droit national, bien évidemment, ainsi qu’à l’échelle du droit européen. Nous devons donc avancer sur les deux jambes : nous avons fait un pas en avant, c’est la jambe gauche ; il faut que, bientôt, la jambe droite avance aussi.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Je vous remercie pour la position de votre groupe. Trois articles de la convention abordent la coopération internationale. L’article 26 traite de la coopération pénale, qui doit se faire « aux fins d’investigation, de poursuites et de procédures judiciaires » dans le respect des autres traités internationaux, régionaux et bilatéraux. Puis, l’article 27 encourage les parties à « intégrer [...] la prévention et la lutte contre la manipulation de compétitions sportives dans les programmes d’assistance conduits au profit d’États tiers ». Enfin, l’article 28 engage les parties à coopérer dans le respect de leur droit interne avec les organisations sportives internationales – donc au-delà des États – dans la lutte contre la manipulation de compétitions sportives.

Cet aspect est donc bien pris en compte dans la convention. Mais votre avis est tout à fait pertinent ; il convient, en effet, que cette coopération entre États soit durable et approfondie.

S’agissant de l’addiction, des éléments relatifs à la sensibilisation et à l’éducation existent également dans la convention mais, au-delà de la convention, ils doivent être mis en œuvre par les États et par les organisateurs de compétitions sportives et de paris.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Je partage les propos de plusieurs collègues sur la nécessité de ratifier cette convention. Notre groupe y sera également favorable.

Dans la mesure où elle relève de la compétence partagée, il a fallu obtenir un vote à l’unanimité de tous les États au sein du Conseil de l’Union européenne. Ce principe, qui est ancré dans l’histoire de la construction européenne, s’est heurté à la volonté d’un seul pays, en l’occurrence Malte, qui abrite un grand nombre de sites de paris sportifs, ce qui explique probablement sa position.

Avec ce principe d’unanimité, un pays dispose donc de facto d’un droit de veto. Même si cette règle a été, peu à peu, remplacée par le vote à la majorité qualifiée, elle subsiste encore dans le domaine budgétaire et peut, par extension, concerner des volets d’autres politiques publiques, comme la fiscalité environnementale.

La suppression du vote à l’unanimité revient régulièrement dans le débat. Elle a figuré parmi les 325 propositions citoyennes de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Je précise d’ailleurs qu’à l’époque, leurs auteurs souhaitaient que l’admission d’un nouvel État reste soumise à l’unanimité des États membres. À la lumière de la longue élaboration de la convention de Macolin, je souhaiterais savoir si notre rapporteur considère qu’il eût été préférable de la faire adopter à la majorité qualifiée.

Par ailleurs, un point m’a intrigué : je souhaite connaître l’avis de notre rapporteur sur l’absence des questions de dopage du champ d’application de cette convention.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Je vous remercie de la position de votre groupe. D’autres conventions concernent le dopage, c’est la raison pour laquelle le sujet n’est pas traité dans celle de Macolin.

Vous avez élargi votre propos au fonctionnement de l’Union européenne (UE). Je n’entrerai pas dans ces considérations, même si je peux partager certaines de vos remarques.

Pour revenir à l’opposition de Malte, nous sommes ici dans le cadre d’un accord mixte, qui concerne à la fois l’Union européenne et les États membres. Il est certes préférable de rechercher une adhésion simultanée, à tout le moins coordonnée, de l’Union européenne et des États membres puisqu’une telle approche garantirait que l’accord soit mis en œuvre solidairement dans la totalité des territoires de l’Union, par l’UE et par les États membres.

La Cour de justice de l’Union européenne a cependant jugé, en 2021, que cette pratique du commun accord, qui vise à s’assurer que tous les États sont disposés à ratifier un accord international mixte avant que le Conseil n’adopte la décision autorisant l’Union à le conclure, tout en étant compatible avec les traités, n’est pas un prérequis nécessaire à la conclusion d’un accord mixte.

En l’occurrence, je l’ai dit, la convention est entrée en vigueur dès lors que le nombre requis de pays ayant ratifié l’accord a été atteint..

M. président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Portarrieu, vos considérations sur l’unanimité sont tout à fait pertinentes. S’agissant de l’admission d’un État membre non seulement l’unanimité est requise, mais la procédure, en France, est celle de l’adoption par référendum ou, depuis 2008, via un vote identique des deux chambres du Parlement, à la majorité des trois-cinquièmes, comme pour une révision constitutionnelle.

M. Hadrien Ghomi (RE). La manipulation des compétitions sportives est un fléau qui a pris une ampleur sans précédent depuis quelques années. Les études réalisées depuis l’an 2000 sur les paris sportifs ont mis en lumière l’action de réseaux internationaux de criminalité organisée. Europol a évalué les recettes criminelles mondiales provenant des paris truqués à 120 millions d’euros pour l’année 2020. Les États ont progressivement mesuré la dimension transnationale du phénomène des manipulations des compétitions sportives et le président de la République a fait de la lutte contre ce type de manipulations un engagement fort de la France, notamment avec l’adoption du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. La France est membre du groupe de Copenhague, une coopération transnationale permettant l’échange d’informations, d’expériences et d’expertises essentielles à la lutte contre ce type de manipulations.

L’ampleur mondiale du phénomène nous oblige à prendre des mesures globales, aux niveaux tant européen qu’international. À ce titre, au niveau de l’Union européenne, début juin, seize patrons de télévisions européennes – parmi lesquelles Canal Plus, TF1, beIN Sports ou Mediaset – étaient déjà montés au créneau, dénonçant les milliards perdus dans un courrier adressé au commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton.

Le texte que nous examinons nous permet de lutter de façon commune et harmonisée contre la manipulation de ces compétitions, notamment en invitant les États du Conseil de l’Europe à renforcer leur politique en la matière.

La convention engage les États l’ayant ratifiée à prévoir des moyens de prévention et de détection, ainsi que des sanctions contre les manipulations dans le cadre des compétitions sportives, et à améliorer l’échange d’informations. Elle veille à impliquer l’ensemble des acteurs concernés par la lutte contre la manipulation des compétitions sportives : autorités publiques, organisations sportives, organisateurs de compétition, mais aussi les sportifs eux‑mêmes et les opérateurs de paris.

À l’approche de l’organisation de la coupe du monde de rugby l’an prochain et des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, notre collègue sénateur André Vallini a proposé, dans son rapport sur ce projet de loi, plusieurs pistes pour mieux lutter contre le phénomène de manipulations sportives : la création d’un délit d’initié sportif, la création d’un dispositif de lanceurs d’alerte spécifique, le blocage des flux financiers entre les opérateurs de paris illégaux et les consommateurs, et la dissolution des personnes morales pour les délits de corruption sportive. Monsieur le rapporteur, j’aurais voulu avoir votre avis sur ces propositions.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Je vous remercie de votre question ainsi que de la position de votre groupe. Je l’ai dit, la France dispose d’ores et déjà d’un arsenal législatif important. Les sujets sur lesquels vous avez appelé notre attention peuvent nécessiter des évolutions du droit français qui ne me semblent toutefois pas indispensables, encore moins obligatoires.

Une réflexion pourra être menée en collaboration avec la division sport du Conseil de l’Europe et le comité de suivi de cette convention pour en apprécier l’opportunité, notamment dans le cadre de la préparation des compétitions à venir.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). J’ai trois questions.

La première se rapporte à l’article 7 de la convention, qui introduit la notion d’information d’initié. La législation française relative aux paris sportifs ne prévoit pas de délit d’initié sportif, le délit prévu à l’article L. 465-1 du code monétaire et financier étant circonscrit à la sphère financière.

Ma deuxième question a trait à l’article 11, et vous y avez partiellement répondu. Cet article encourage, en effet, les parties à se doter de moyens adaptés pour lutter contre les paris sportifs illégaux, tels que le blocage des flux financiers entre les opérateurs de paris illégaux et les consommateurs. Or cette mesure n’existe pas en France. Ne serait-il pas nécessaire d’y remédier ?

La troisième question concerne l’article 23, qui impose aux parties d’adopter des mesures permettant le prononcé de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Or, en France, les personnes morales n’encourent pas la dissolution pour les délits de corruption sportive. Est-il envisagé d’aller dans ce sens ?

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. S’agissant de l’article 7 de la convention, qui vise à responsabiliser les organisations sportives en les encourageant à adopter des règles pour lutter contre la manipulation des compétitions sportives et à promouvoir la bonne gouvernance, des évolutions restent à construire pour que notre arsenal juridique soit conforme à cette convention.

Cela vaut également pour l’article 11 concernant les moyens adaptés pour bloquer les flux financiers, sachant que la convention reste relativement large dans la manière d’appliquer et de mettre en œuvre ces éléments dans le droit français.

Concernant l’article 23 et les sanctions pour les personnes morales, je n’ai pas ici les éléments de réponse à vous apporter, je vous propose donc de vous adresser ultérieurement des éléments écrits.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous passons aux questions individuelles.

M. Lionel Vuibert. La nature des compétitions sportives évolue, notamment au travers du e-sport. De quelle manière cette convention pourrait-elle mieux réguler ces épreuves sportives d’un nouveau type ?

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Il revient au comité de suivi de la convention d’identifier ce que l’on peut considérer comme des sports susceptibles d’entrer dans le cadre de cette convention. C’est une question à suivre pour voir si la pratique de l’e‑sport sera associée à cette convention.

M. Joris Hébrard. Nous nous interrogeons sur les conséquences et surtout sur les limites à l’application de l’article 12 de la convention. Selon ce dernier, chaque partie s’engage à mettre en place des mécanismes de communication, d’information et de mise à disposition de ces informations au profit des organisateurs de paris sportifs. Les éléments à communiquer sont, je cite, « les informations pertinentes lorsque ces informations sont susceptibles d’aider à mener des investigations ou des poursuites concernant la manipulation de compétitions sportives ».

Outre le fait que les promesses n’engagent que ceux qui y croient, il est dangereux de ne pas poser de cadre à la pertinence d’une information. L’objectif est-il de mettre les casiers judiciaires à disposition des sociétés de paris, de jeux ou de la FIFA ? Quelles garanties peuvent nous être données qu’il n’y aura pas de risque de sollicitation ou de divulgation d’une information sensible par les organismes sportifs ?

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. L’article 12 de la convention, qui porte en effet sur les échanges d’informations, est équilibré, et l’article 14 concerne la protection des données personnelles, et plus largement le respect de la réglementation européenne, le règlement général sur la protection des données (RGPD). Les échanges de données se feront donc dans ce cadre ; il n’y aura pas un accès libre intégral.

M. Damien Abad. Vous l’avez dit, cette convention est une avancée indispensable et nécessaire pour deux raisons : elle donne un cadre minimal au niveau des pays du Conseil de l’Europe, ce qui est positif ; elle apporte une réponse commune et harmonisée sur un sujet dont on sait qu’il dépasse largement les frontières et les territoires.

La France est à la pointe sur la question des paris, grâce notamment à ce qu’on appelait auparavant l’ARJEL – l’autorité de régulation des jeux en ligne –, devenue Autorité nationale des jeux. S’agissant des paris en ligne, un certain nombre de dispositions de la convention portent sur l’agrément, la traçabilité des opérateurs de jeux et la lutte contre les sites non agréés. Mais il reste encore une grande disparité entre les États. Quelqu’un a évoqué le cas de Malte, je sais que le sujet donne lieu à des discussions. Où en sont-elles ?

Par ailleurs, au-delà de la question des parieurs, quelles garanties sont mises en place pour lutter contre la corruption ?

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. Votre première question concerne l’opposition de Malte. De manière officielle, elle est liée à la définition du pari sportif illégal qui, selon cet État, dépasserait l’objet de la convention. Malte considère que manipulations et paris illégaux ne sont pas nécessairement liés et que les dispositions relatives aux paris illégaux n’entrent donc pas dans l’objet de cette convention. De manière particulière, ils n’établissent pas de lien entre la manipulation des compétitions sportives et les paris illégaux.

La raison sous-jacente à cette opposition est qu’en vertu de la convention, un pari est considéré comme illégal dès lors qu’il est enregistré par un opérateur n’ayant pas reçu de licence ou d’agrément dans le pays du pari, quand bien même l’opérateur aurait été agréé dans un autre État signataire. Nous en revenons au poids économique des paris sportifs pour Malte, puisque les jeux en ligne représenteraient 12 % de son produit intérieur brut. Cela peut expliquer sa position.

Mme Laurence Vichnievsky. Monsieur le rapporteur, merci pour vos travaux et pour toutes les réponses que vous avez données aux questions des collègues.

Je ne sais pas si vous pourrez répondre à la mienne : je voulais vous demander si, indépendamment de cette convention, nous disposions d’accords bilatéraux et si nous avions déjà mené concrètement, dans ce domaine de la manipulation des manifestations sportives, des actions de coopération avec nos voisins européens, pris isolément ou à plusieurs.

M. Frédéric Zgainski, rapporteur. A priori, il n’existe pas d’accords bilatéraux sur la question. Je vous le confirmerai, le cas échéant, par écrit.

Quant aux actions de coopération, il n’en existe pas non plus. L’objectif de cette convention est précisément de les développer.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La discussion générale est close. Cette première expérimentation de la nouvelle organisation de nos débats me semble s’être bien passée.

*

Article unique : autorisation de la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

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 Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour (n° 145) (M. Christopher Weissberg, rapporteur)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La Cour pénale internationale (CPI) a été créée sur le fondement du statut de Rome du 17 juillet 1998, qui est entré en vigueur en juillet 2002. Cette juridiction exerce sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes ayant une portée internationale, à savoir les crimes de génocide, contre l’humanité, de guerre et d’agression.

Depuis sa création, la CPI a prononcé cinq condamnations définitives et quatre acquittements.

L’accord entre notre pays et la Cour, dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation, a été signé à La Haye le 11 octobre 2021. Il vise à mettre en place un cadre général fixant les modalités d’exécution en France de condamnations prononcées par la Cour et de transfèrement sur notre territoire national de détenus condamnés par la CPI.

Après ces brèves précisions contextuelles, je laisse sans plus tarder à notre rapporteur, M. Christopher Weissberg, le soin de détailler son analyse et ses conclusions.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Cher président, difficile de ne pas commencer cette intervention à vos côtés sans quelques références, puisque vous êtes maître en la matière. Sur ce sujet, permettez-moi d’évoquer Hannah Arendt, qui a énormément travaillé sur la responsabilité et la justice. Pour celle qui avait échappé aux camps de concentration, observé le procès des criminels nazis à Nuremberg, puis analysé l’indifférence d’Eichmann en Israël, ne plus se sentir responsable de nos actes, voilà le ressort de la « banalité du mal ».

Aussi imparfait que soit le principe de responsabilité pénale dans le système international, il demeure le corollaire indispensable pour combattre l’impunité. Les crimes commis, en ce moment même, en Ukraine nous incitent plus que jamais, je crois, à faire tout notre possible pour renforcer la Cour pénale internationale.

Vous l’avez rappelé, cette cour a été créée en 2002 par le statut de Rome, qui a été ouvert à la signature des États en 1998. Elle est la première et unique juridiction pénale à la fois permanente, internationale et à vocation universelle. Elle compte aujourd’hui 123 États parties, dont la France, qui s’est mobilisée en faveur de la CPI dès l’élaboration du statut de Rome, posant ainsi les jalons d’une coopération dense sur laquelle je vais revenir.

Je rappellerai tout d’abord quelques points fondamentaux, à la fois sur le bien-fondé et sur le fonctionnement de la CPI, qui seront utiles pour éclairer les objectifs poursuivis par l’accord bilatéral dont nous sommes invités à autoriser l’approbation.

La Cour est compétente pour juger les crimes internationaux les plus graves : le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et, dans certains cas, le crime d’agression. Elle a été conçue en priorité pour juger les principaux responsables et ceux qui ont agi en qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou de parlementaire. L’enjeu est bien là de rejeter la question d’une quelconque immunité.

La Cour ne peut exercer sa compétence à l’égard de ces crimes que si ceux-ci ont été commis sur le territoire d’un État partie ou par un ressortissant d’un État partie. Elle peut ouvrir une enquête sur l’initiative de son procureur, lorsqu’un État partie lui défère une situation ou encore par voie de résolution du Conseil de sécurité de l’organisation des Nations Unies (ONU) ; dans ce dernier cas, tous les États peuvent être concernés, même s’ils ne sont pas parties au statut de Rome.

Enfin, la CPI ne peut poursuivre et juger des personnes que si les systèmes nationaux concernés n’engagent pas de poursuites ou s’avèrent ne pas être en capacité réelle de le faire. Il s’agit là du principe de complémentarité, qui est essentiel pour comprendre les travaux de la Cour. En effet, la CPI n’a pas vocation à se substituer aux États mais, au contraire, à compléter leur action. Symétriquement, il s’agit d’une juridiction indépendante mais qui a besoin du concours des États, à la fois financier et en matière d’exécution des mandats d’arrêt qu’elle délivre, pour pouvoir fonctionner.

La coopération entre la Cour et les États est fondamentale, et les accords bilatéraux de coopération en sont l’un des principaux aspects. Ces accords peuvent porter sur différents domaines : réinstallation des témoins, mise en liberté ou encore exécution des peines, à l’instar de l’accord qui nous occupe aujourd’hui. En quelques mots, l’entrée en vigueur de cet accord bilatéral, signé le 11 octobre 2021, fournira un cadre juridique stable à l’éventuel transfèrement de personnes condamnées par la CPI dans une prison française, afin d’y purger leur peine. Notre code de procédure pénale permet déjà l’exécution en France d’une peine prononcée par la CPI mais, en l’état actuel du droit, la mise en œuvre d’une telle coopération nécessiterait de négocier un accord ad hoc à chaque fois qu’il serait question de désigner la France comme lieu d’exécution.

L’accord, qui permet aussi de clarifier le cadre juridique en vigueur, a pu tirer les enseignements d’un accord similaire conclu en 2000 avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et qui a abouti à l’incarcération en France de quatre personnes condamnées par ce tribunal, créé en 1993 et dont les fonctions ont pris fin en 2017.

La CPI a déjà conclu treize accords bilatéraux relatifs à l’exécution des peines et l’accord conclu avec notre pays a pu s’appuyer sur un modèle d’accord-cadre.

Tous les accords bilatéraux conclus avec la CPI sont d’application volontaire et reposent sur un principe de double consentement. Dès lors, l’entrée en vigueur de l’accord qui nous occupe aujourd’hui ne créera aucune obligation d’accueil d’une personne condamnée et supposera un accord réitéré par notre pays, d’abord sur le principe, puis sur la base d’une évaluation rigoureuse par le ministère de la justice, en concertation avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Plusieurs critères seront pris en compte, tels que l’existence de places disponibles en détention ou les liens éventuels entre la personne condamnée et la France. En outre, la CPI applique de son côté un principe de répartition équitable dans les sollicitations qu’elle est amenée à formuler auprès des États parties.

Ainsi, l’impact concret de cet accord sur les prisons françaises – qui n’accueillent à ce jour aucune des personnes condamnées par la CPI – sera limité par ces différentes considérations, ainsi que par le nombre très modeste de condamnations prononcées par la Cour, qui s’élève à ce jour à seulement cinq condamnations définitives.

Néanmoins, la portée symbolique et diplomatique de cet accord est majeure. En d’autres termes, nous touchons avec cet accord à l’influence de notre pays dans le système multilatéral et dans le système juridique international. Comme je l’ai évoqué en introduction, la France est l’un des pays qui collabore le plus avec la CPI. Notre pays a été un soutien de la Cour dès les origines et s’efforce aujourd’hui de promouvoir l’universalité du statut de Rome et de répondre de la façon la plus fluide possible aux différentes demandes d’entraide judiciaire transmises par la CPI. Nous sommes le troisième contributeur au budget de la CPI, à hauteur de 13,3 millions d’euros en 2022 pour les contributions obligatoires, sur un budget total de près de 155 millions d’euros. Par ailleurs, la nationalité française est la plus représentée parmi les personnels de la Cour, qui emploie environ 900 personnes.

Notre pays est resté en retrait sur un point, comme je le rappelle dans mon rapport : la France n’a pas ratifié les amendements dits de Kampala, qui étendent la compétence de la Cour pour y intégrer le crime d’agression, uniquement pour les États ayant ratifié ces amendements qui datent de 2010. Les autorités françaises ont jugé trop large la définition retenue, en identifiant un risque de difficultés d’interprétation dans certaines situations conduisant à l’emploi de la force telles que la légitime défense et un risque d’exposition de la politique d’intervention extérieure de la France, compte tenu d’une absence de délimitation claire du champ de l’incrimination. Ces réserves sont partagées par les États ayant une politique d’intervention proche de la nôtre, tel le Royaume-Uni, et seuls 35 % des États parties ont ratifié à ce jour les amendements de Kampala.

Ce positionnement ne réduit en rien la mobilisation de notre pays, notamment de nos diplomates, pour promouvoir le statut de Rome, tant au plan multilatéral qu’au plan bilatéral. À La Haye, où la Cour a son siège, l’ambassade de France est mobilisée au quotidien par cette coopération, et je souhaiterais souligner un point particulièrement important : la place du français à la CPI et plus généralement dans le système pénal international. Le français est, aux côtés de l’anglais, l’une des deux langues de travail officielles de la Cour mais, dans les faits, notre langue perd du terrain. Toutes les personnes que j’ai auditionnées, à commencer par les praticiens du droit et Robert Badinter, ont souligné l’importance de ce sujet et son caractère crucial pour l’influence de notre pays. Des actions sont menées localement par notre ambassade, avec l’aide de l’Alliance française mais il pourrait être utile d’interroger, à l’occasion d’auditions nos ministres, sur cette question, qui ne se limite pas à la CPI et se situe au cœur de notre diplomatie d’influence. Dans le cas de la CPI, la place du français doit d’autant plus nous mobiliser que la procédure en vigueur est très largement inspirée de la tradition anglo-saxonne de common law plutôt que de la procédure de droit civil telle que nous la connaissons.

En résumé, l’approbation de cet accord aura le double mérite de renforcer la crédibilité de l’engagement français en faveur de la CPI et, par-là même, de la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves, tout en entraînant des conséquences pratiques modestes et faciles à anticiper.

La réaffirmation du soutien de la France à la Cour est d’autant plus importante qu’elle interviendra dans un contexte de bilan pour l’institution, qui a fêté cette année ses vingt ans. La vingt-et-unième session de la CPI se tiendra dans quelques jours. À première vue, il est facile de critiquer le bilan quantitatif de la Cour, qui n’a prononcé que cinq condamnations définitives et quatre acquittements. Les critiques formulées sur cette juridiction internationale concernent ainsi tantôt son efficacité, tantôt sa légitimité. Je suis sûr que nos collègues auront des questions à ce sujet.

En matière d’efficacité, il faut rappeler que si les procédures sont longues, de l’ordre de dix ans, la collecte des preuves, le recueil des témoignages, ainsi que les procès prennent par nature du temps et que le temps juridique n’est pas le temps politique, tout particulièrement dans des États dont la situation n’est pas toujours stabilisée lorsque les verdicts tombent. Concernant les condamnations, comme cela a été souligné en audition, on juge une cour sur ses acquittements bien plus que sur ses condamnations : la CPI traite de façon rigoureusement égale les accusés et les victimes, et c’est une force. Pour paraphraser Paul Ricoeur, la réponse aux grands criminels de l’histoire, c’est de leur appliquer équitablement tout ce qu’ils ont nié par leur action criminelle. Pour rappel, les victimes occupent une place procédurale à la CPI, empruntant en cela à la procédure de droit civil, mais aussi institutionnelle, puisqu’un fonds d’indemnisation a été créé en leur faveur afin de garantir l’octroi d’une réparation pouvant prendre différentes formes.

Sur le plan de la légitimité, nous avons tous ici en tête le procès en néo-colonialisme fait à la Cour il y a quelques années face à une succession d’enquêtes et de procès ouverts concernant exclusivement le continent africain. Aujourd’hui, on peut dire que cette critique, qui touche à l’universalité de la CPI, a été entendue. Les dix-sept enquêtes menées actuellement touchent ainsi tous les continents : on peut citer, parmi les États concernés, la Géorgie, l’Afghanistan ou encore le Venezuela, la Libye et le Mali. Sur le plan de l’efficacité, la Cour, qui est encore jeune – et il est important de le rappeler – a fait l’objet, sur demande des États parties, d’un audit indépendant visant à identifier des pistes d’amélioration sur de nombreux sujets, allant de la gouvernance aux ressources humaines, en passant par la procédure et les méthodes de travail.

Tout n’est pas parfait à la Cour, mais ce qui est perfectible peut être identifié comme tel. Gardons-nous par ailleurs d’être naïfs : le système international connaît des faiblesses et nous sommes bien placés dans cette commission pour le savoir. La CPI, qui est structurellement située au carrefour du juridique et du géopolitique, n’est pas à l’abri des critiques, ni des instrumentalisations. C’est la raison pour laquelle un soutien renforcé des États parties est le meilleur moyen de consolider l’indépendance et l’efficacité de la CPI.

Il ne vous aura pas échappé que la Cour fait aujourd’hui face à un défi de taille, avec l’ouverture dès le mois de mars dernier d’une enquête sur la situation en Ukraine sur « toute allégation passée et actuelle de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide commis par quiconque sur quelque partie du territoire ukrainien que ce soit ». L’ouverture de cette enquête a été permise par un collectif de quarante-trois pays, dont la France, qui a déféré à la CPI la situation en Ukraine. Ni la Russie, ni l’Ukraine ne sont parties au statut de Rome, mais la Cour est compétente pour enquêter car l’Ukraine a reconnu, par deux déclarations transmises en 2014 et en 2015, la compétence de la CPI en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis depuis le 21 novembre 2013. La Cour est toutefois concurrencée par l’idée, défendue par différents juristes et institutions, mais aussi appelée de ses vœux par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, et visant à créer un tribunal spécial ad hoc pour juger les crimes commis en Ukraine. Un tel tribunal permettrait notamment de juger le crime d’agression, sur lequel la Cour n’a pas compétence en l’espèce, et pourrait juger les principaux responsables, dont Vladimir Poutine, in abstentia, ce que la CPI n’est pas en mesure de faire. À ce stade, il semble que la Cour, en appui des juridictions ukrainiennes qui demeurent les premières concernées, ait le mérite comparatif d’exister et surtout d’avoir préexisté au conflit, ce qui a priori la place à une plus grande distance d’un risque d’instrumentalisation. Les États qui ont déféré la situation à la Cour se sont pour la plupart mobilisés matériellement et financièrement pour favoriser la lutte contre l’impunité des crimes commis en Ukraine et nous devons dès à présent veiller à ce que toutes les enquêtes en cours, concernant près de vingt pays, puissent avancer dans de bonnes conditions, sous peine de remettre en cause la légitimité de la Cour. Les discussions menées par le président de la République dans ce contexte poursuivent ce même objectif : avoir une approche opérationnelle de soutien à la CPI et à l’Ukraine.

Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus de l’importance symbolique et diplomatique de cet accord, dont la portée concrète demeure modeste et dont l’approbation peut apporter un gain relatif particulièrement important, à la fois pour notre pays et son influence et pour la lutte contre l’impunité dans le monde.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour cet excellent rapport. Il revient à la France insoumise d’inaugurer le cycle des orateurs de groupe.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Monsieur le président, je devrais vous satisfaire, puisque je ne serai pas longue mais très directe.

Dans le cadre de l’accord soumis à ratification, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) effectuera des inspections périodiques et impromptues afin d’examiner les conditions de détention et de traitement des personnes condamnées par la Cour, visites à l’issue desquelles l’organisation transmettra à la France un rapport confidentiel sur ses constatations. Un point cependant m’a alertée : si l’accord prévoit que le Comité international de la Croix-Rouge inclut dans son rapport de recommandations afin d’améliorer les conditions de détention de la personne, les dispositions imposant à la France d’y répondre ont été expurgées. Cette modification est préoccupante : elle empêche le suivi des recommandations formulées et est surtout contre‑productive car à quoi serviraient ces visites si la France n’est pas tenue de répondre aux recommandations du CICR ?

L’engagement de la France en faveur des normes internationales pose question quand cette dernière se comporte comme si elle pouvait choisir, à la carte, les obligations qu’elle souhaite remplir. Quelles garanties sont prévues afin que les recommandations du CICR soient réellement prises en compte et appliquées afin de garantir le respect des droits des personnes détenues dans le cadre de cet accord ?

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Concernant le cas particulier des visites du CICR pour inspection, l’accord précise que la compétence du CICR ne s’applique qu’aux détenus CPI et non pas au reste des structures d’accueil potentiel. C’est un point qui a été expressément clarifié lors des négociations.

Je ne sais pas si votre sujet se pose aussi sur les incarcérations, mais la question de celles-ci en France reste prégnante. Le Gouvernement, vous le savez, en a une entière conscience. À ce jour, le plan immobilier pénitentiaire, dit plan « 15 000 », lancé en 2021 par le président de la République prévoit l’ouverture de 15 856 places d’ici à 2027. Notons, par ailleurs, que les augmentations successives des budgets alloués au ministère de la justice, notamment à l’administration pénitentiaire, sont inédites après des décennies de coupes budgétaires.

De manière générale, les avocats que nous avons interrogés disent que si notre système carcéral est parfois très critiqué – et à raison –, en comparaison, il est nettement supérieur à celui de nombreux autres pays. D’après certains praticiens, la France pourra, à ce titre, être privilégiée par rapport à d’autres pays.

Mme Élise Leboucher. L’état de la situation carcérale en France est totalement dramatique. Cela a souvent été souligné et n’évolue pas dans le bon sens. Ce constat ne peut que renforcer nos inquiétudes.

Mme Laurence Vichnievsky (DEM). Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de vos observations qui ont très largement dépassé l’objet modeste de notre travail ce matin, qui consiste à approuver cet accord entre le Gouvernement français et la CPI relatif à l’exécution des peines prononcées par la Cour.

La France est un soutien historique de la Cour. Elle s’est engagée de manière constante à ses côtés, notamment pour la promotion de la coopération entre la CPI et les États parties. La France est l’un des États qui coopère le plus. Elle a ainsi donné suite à une trentaine de demandes de la CPI en 2021 et relayé une dizaine de demandes de coopération émanant du pôle spécialisé du tribunal judiciaire de Paris.

L’objet de nos travaux, ce matin, est circonscrit. Il s’agit de rejoindre la liste des douze États parties susceptibles d’être désignés pour l’exécution d’une peine en France dans le respect du principe du statut de Rome. L’intérêt est la création d’un cadre préétabli qui évitera de renégocier, à chaque fois, par sujet et par détenu, si je puis dire. Je considère que cet accord réaffirme l’implication de la France dans la promotion de la coopération entre la Cour et les États parties. Le président de la Cour a d’ailleurs déclaré : « l’exécution des peines d’emprisonnement est une forme cruciale de coopération volontaire, qui prend de l’importance avec l’augmentation de la charge de travail de la Cour ».

Il s’agit également, comme vous l’avez indiqué, monsieur rapporteur, de consacrer l’effort de lutte contre l’impunité dans la répression des crimes internationaux les plus graves, afin de rendre justice aux victimes et de maintenir un ordre international fondé sur le droit. Vous l’avez dit également, la situation en Ukraine est venue souligner la nécessité de disposer d’une justice pénale internationale stable et effective. Enfin, vous avez évoqué la saisine de la Cour s’agissant l’Ukraine, en précisant toutefois qu’elle n’était pas compétente en matière d’agression. Comment résoudre cette difficulté à l’avenir ?

M. Christopher Weissberg, rapporteur. C’est le devoir de la France que de soutenir cet accord. Depuis le début, elle a joué un rôle majeur dans la création de cette institution et, plus généralement, dans la définition de la responsabilité pénale. Certes, l’accord que nous examinons aujourd’hui est assez modeste et n’est qu’une confirmation de ce qui existe déjà, mais il porte un enjeu de coopération qui me paraît indispensable parce que la Cour est à un moment charnière : elle doit arriver à se développer au-delà des condamnations qu’elle a pu prononcer ces dernières années et dans d’autres zones géographiques. À cet égard, l’enjeu de l’Ukraine est fondamental. Aujourd’hui, un procureur a collecté des preuves de tout ce qui se passe en Ukraine ; c’est déjà un enjeu essentiel. Restera ensuite à savoir comment s’articuleront les cours nationales et autres. Ce débat appartiendra, bien évidemment, à l’Ukraine, mais au moins le travail déjà réalisé est essentiel.

Cette Cour est à la fois une instance judiciaire mais aussi une institution. C’est l’institution qui permet de collecter des preuves en Ukraine et de financer un fonds d’indemnisation aux victimes ; c’est elle qui permet de travailler sur le sujet de façon plus large. Cela me paraît être un gage d’efficacité pour faire face aux défis, notamment celui de l’Ukraine.

Pour en revenir sur ce que vous disiez à propos de l’accord, sur le délai d’instruction, de toute manière, c’est l’Ukraine qui aura la charge de définir quelles sont exactement les responsabilités incriminées et la Cour pénale internationale doit jouer un rôle de facilitateur, pour permettre de disposer des éléments suffisants pour condamner les criminels au moment voulu.

M. Alain David (SOC). Depuis sa création, la France soutient la CPI et a donc répondu tout naturellement à sa demande de coopération, en acceptant de faire partie des États pouvant être le lieu d’exécution des peines prononcées à l’égard de personnes condamnées par la Cour. Des accords similaires de coopération et d’accueil des personnes condamnées existent déjà avec un certain nombre de pays tels que l’Argentine, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Géorgie, le Mali, la Norvège, la Serbie, la Suède, le Royaume-Uni – Grande-Bretagne et Irlande du Nord.

La France a signé, le 11 octobre 2021 à La Haye, avec la CPI, un accord sur l’exécution des peines prononcées par cette dernière. Une des principales avancées apportées par cet accord est qu’il permet de ne plus négocier au cas par cas un accord international ad hoc sur l’accueil d’une personne condamnée, comme c’était le cas jusqu’alors. L’accord conclu entre la France et la CPI ne dispense pas, néanmoins, cette dernière d’obtenir l’accord implicite de la France pour chaque accueil d’une personne condamnée, c’est-à-dire que la France n’accueille pas des personnes qu’elle ne voudrait pas accueillir. On n’impose pas, apparemment.

Cela nous paraît donc un excellent accord et nous souhaitons qu’il soit mis en œuvre le plus rapidement possible. Nous sommes, en tout cas, d’accord pour le voter et tout à fait volontaires pour soutenir cette ratification.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Merci de souligner que vous voterez ce projet de loi. Je précise que c’est l’article 2 de l’accord qui pose la question du caractère volontaire de l’État qui accueillera les détenus.

M. Alain David. Je reviens malgré tout sur la surpopulation dans nos prisons car c’est un phénomène important. Je sais que cela n’a rien à voir parce que ces criminels de guerre ne seront pas incarcérés avec des détenus de droit commun mais cela pose toutefois le problème général de la surpopulation dans nos prisons et de la nécessité de s’occuper aussi des prisonniers français.

M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). Notre groupe votera ce projet de loi. Il a été dit que sa portée serait tout à fait modeste. Elle le sera, à voir le très faible nombre de personnes condamnées par la CPI depuis sa création et le nombre élevé d’États susceptibles d’accueillir les personnes condamnées. Nous devons, bien évidemment, apporter notre soutien à la CPI. C’est la première institution internationale permanente à vocation universelle, apte à se prononcer sur des personnes accusées de crimes ayant une portée internationale. Il est heureux que de nombreux États se soient mobilisés pour apporter un soutien exceptionnel à la Cour face à la situation en Ukraine, et je salue la France qui a alloué une contribution volontaire exceptionnelle de 500 000 euros. Les actions de la Cour pénale internationale sont toutefois largement perfectibles, notamment lorsqu’on voit les huit années écoulées entre l’ouverture de l’enquête et la condamnation en première instance de Thomas Lubanga ou les quinze ans pour celle de Bosco Ntaganda.

Dernière remarque, les crimes environnementaux commis pendant les conflits peuvent être jugés par la Cour pénale internationale mais ce n’est pas le cas des dommages équivalents commis en temps de paix. Cela signifie qu’il est possible de condamner Poutine pour des crimes environnementaux commis dans le cadre de la guerre en Ukraine mais que la Cour pénale internationale n’est pas compétente pour condamner Bolsonaro pour des crimes commis contre la forêt amazonienne. Je tenais à appeler votre attention sur ce sujet car l’idée de criminaliser, sur plan international, les atteintes graves à l’environnement, y compris en temps de paix, n’est pas sortie de ma tête, mais a reçu le soutien de représentants d’au moins vingt-quatre pays membres de la CPI.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Pour ce qui est des crimes environnementaux, je comprends très bien que l’on puisse s’indigner sur la responsabilité de dirigeants comme Bolsonaro en Amazonie, mais il ne faut pas oublier que cette Cour est le résultat d’un accord intervenu depuis Nuremberg sur certains crimes. Pour que ces crimes soient reconnus par l’ensemble des Etats, il a été nécessaire d’engager un véritable effort de conviction. Si l’on ajoutait d’autres crimes, cela risquerait de fragiliser la CPI ; la logique est plutôt d’étendre le nombre de parties prenantes.

À mon avis, ce n’est pas vraiment le rôle de la Cour pénale internationale que de traiter des crimes environnementaux. Il existe d’autres institutions qui peuvent le faire. J’espère vous convaincre qu’il y a déjà beaucoup de pain sur la planche et que le défi est de condamner, le moment venu, les dirigeants coupables des crimes qui sont commis dans ces différentes régions. La légitimité de la Cour est essentielle et passe par le renforcement des trois ou quatre crimes qui relèvent de sa compétence.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je ne pensais pas prendre la parole mais, finalement, j’ai une question à poser au rapporteur, que je remercie pour son rapport et sa présentation.

Vous venez d’expliquer à notre collègue que l’objectif n’était pas de créer de nouveaux crimes, mais de se concentrer sur ceux qui existent déjà. Alors que nous faisons face à une explosion de filières de passeurs, ne serait‑il pas intéressant d’imaginer que la CPI puisse considérer le fait d’être un passeur, en particulier un passeur international, d’amener des personnes à risquer leur vie en Méditerranée, ou dans la Manche, de considérer le trafic d’êtres humains, cette traite d’êtres humains, comme étant un crime relevant de son ressort ? Cela pourrait entrer dans une catégorie de crimes contre l’humanité, au même titre que l’esclavage, par exemple.

Quels seraient les processus pour modifier le statut de Rome via un amendement, comme cela a déjà été le cas il y a quelques années ? Pensez-vous possible que notre pays puisse prendre une résolution en ce sens, afin de mobiliser des agences du type d’Interpol pour enquêter plus en profondeur sur les filières de passeurs et éviter que les pays européens aient à gérer leurs frontières en plein cœur de la Méditerranée car, évidemment, cela ne pas être une solution de gérer par la mort nos questions migratoires, ni de les faire gérer par des organisations non gouvernementales (ONG) ?

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Le processus sur les amendements de Kampala a pris des années. J’ai essayé d’être le plus critique possible envers notre position pour montrer que la France, tout en étant un défenseur de l’institution, n’a pas ratifié ces amendements de Kampala. Il me semble donc difficile d’ajouter un nouvel amendement, même si le système de coopération permet potentiellement à l’institution de se saisir de nouveaux objets.

Il convient également de ne pas oublier que la responsabilité pénale jugée par la Cour concerne les plus hauts dirigeants. Or les actes que vous mentionnez sont des actes individuels qui, à mon avis, n’auraient pas d’objet au sein de la Cour pénale internationale. Mais je prends note de votre question et ne manquerai pas de la transmettre à notre ambassadeur à La Haye.

Mme Caroline Yadan (RE). La création de la Cour pénale internationale est le fruit d’une utopie et d’un processus qui trouvent leur source dans l’histoire du XXe siècle et les horreurs des deux guerres mondiales qui ont abouti à la création du tribunal de Nuremberg, qui a pu juger de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de génocides.

En 2018, nous avons fêté le vingtième anniversaire de la Cour pénale internationale, première cour permanente universelle compétente pour juger de ces crimes. Le monde actuel n’est pas devenu moins violent, ni plus juste. Il est impossible d’ignorer les terribles conflits qui ont touché la Libye, la Syrie et, plus récemment encore, l’Ukraine. Il en va de même des crimes qui ont été ou sont encore commis par de grandes puissances : comment ne pas penser aux images insoutenables des crimes commis à Boutcha, Kharkiv, Marioupol, Izioum ou encore Kherson ?

Dans la droite ligne de nos valeurs d’universalisme et de la philosophie des Lumières, la France apporte depuis la création de la Cour une contribution financière, humaine et juridique au fonctionnement de cette juridiction. En ce sens, le projet de loi que nous examinons autorisant l’accord entre le Gouvernement et la Cour pénale internationale est fondamental. Il témoigne de l’engagement de la France et du soutien de notre pays au fonctionnement de la Cour. Plus qu’un simple accord technique, ce projet de loi soulève une question cruciale : il ne s’agit évidemment pas de savoir si le monde est juste mais bien de confirmer et de soutenir l’existence d’une juridiction capable de faire respecter le droit international et de punir les crimes les plus graves.

La Cour a besoin des États pour faire vivre la justice internationale et pour faire exécuter ses peines. Elle n’a pas de police propre ni de services qui lui permettent de recueillir elle-même les éléments de preuve. De ce point de vue, nous sommes l’un des premiers États qui contribuent à l’équilibre et la pertinence de l’action de la Cour. Au-delà de la nécessité, c’est avant tout une fierté de contribuer à un meilleur fonctionnement de la Cour pénale internationale. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera en faveur de ce texte

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Ce qui était une utopie est devenu une réalité et vous avez rappelé le long chemin qu’il a fallu parcourir pour y parvenir. Aujourd’hui, le principal défi est de s’attaquer à ce qui se passe en Ukraine : des gendarmes français sont sur place pour essayer de collecter des preuves, et une magistrate est mise à disposition par l’État français pour atteindre cet objectif. La France est donc, je pense, pleinement mobilisée sur ce futur défi.

Mme Caroline Yadan. J’ajouterai un mot pour rassurer mes collègues puisqu’ont été évoquées les places d’incarcération en France : la réforme de la justice à venir prévoit un plan immobilier pénitentiaire inédit depuis quarante ans puisque 15 000 places de prison devraient être créées sur cinq ans, grâce à un budget en augmentation de 40 % sur cinq ans, soit de 8 % par an.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est une bonne nouvelle mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Cela ne l’est jamais compte tenu de l’ampleur des besoins.

M. Michel Guiniot (RN). Cet accord se fonde sur la coopération et la légitimité qui a été accordée à la Cour pénale internationale ces vingt dernières années. Cependant, ce texte ne saurait entraîner l’unanimité eu égard aux dispositions qu’il porte.

Tout d’abord, il s’agit de reconnaître la suprématie des jugements de la Cour sur les juridictions françaises, une mesure en pleine contradiction avec notre volonté de garantir la souveraineté de notre législation. L’accord prévoit en effet, en son article 8, de restreindre l’action pénale française si la CPI a déjà condamné le criminel. En son alinéa 3, la personne condamnée détenue ne peut être poursuivie pour un comportement antérieur à moins que la présidence n’ait approuvé.

De même, à l’article 9, la France s’engage à reconnaître la forme exécutoire du jugement rendu et à ne pas la modifier. Avec cet accord, nos juridictions ne pourront donc pas condamner plus lourdement un criminel reconnu coupable et hébergé dans nos prisons si la CPI en a décidé autrement. Où sera notre souveraineté ? Où sera notre justice également ?

L’accord prévoit, en son article 14, que les frais liés à la détention du condamné sont à la charge de la France. Dans l’étude d’impact annexée, dans la sous-partie relative aux conséquences financières, il est précisé que celles-ci couvrent l’accueil et le suivi médical du condamné. L’accueil du condamné est évalué à 133,51 euros par jour. Cela représenterait, pour les personnes condamnées à des peines allant de neuf à trente ans, une dépense moyenne allant de 439 000 euros à 1,5 million d’euros par condamné. Faut‑il rappeler que le budget de la CPI, pour 2023, est de 179 millions d’euros, en augmentation de 15,5 % en un an, et que la France contribue déjà à hauteur de plus de 8 % de ce budget ? Pourquoi nous rajouter cette charge ?

À l’article 5 de l’accord, la France s’engage à ouvrir ses geôles aux inspecteurs du Comité international de la Croix-Rouge qui viendra contrôler les conditions de détention. Mais n’avons‑nous pas nos propres inspecteurs des services pénitentiaires ? Cent douze fonctionnaires constituent l’effectif de l’inspection générale de la justice : en quoi seraient-ils moins compétents que les inspecteurs du CICR ?

Enfin, si l’article 2 précise que la France doit être d’accord pour accueillir le condamné, l’article 11 laisse à la CPI la discrétion de désigner un autre État si la France ne souhaite plus accueillir ledit condamné. Il est malheureusement courant, en France, que les détenus, entre autres, se radicalisent et deviennent des menaces pour la sécurité de nos surveillants et pour l’ordre dans nos établissements pénitentiaires.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. J’entends, monsieur le député, votre obsessionnelle envie de souveraineté, mais là, je ne vois vraiment pas le sujet. Au contraire, il ne s’agit pas d’une institution dont les actes auraient une portée normative pour la France mais bien d’une juridiction qui, sur un certain nombre de compétences, a la possibilité de rendre des jugements en plein accord avec la France. Cela est indiqué à plusieurs reprises dans l’accord.

Au-delà, il existe aussi un enjeu d’influence. J’ai été frappé par le fait que nous sommes davantage sur une question d’influence que de perte de souveraineté. Robert Badinter disait que la France avait beaucoup perdu en influence eu égard à la procédure civile par rapport à d’autres pays. Les avocats que j’ai rencontrés m’expliquaient que le risque était que les tribunaux ad hoc ne travaillent qu’en anglais. Or les langues de travail au sein de cette institution sont le français et l’anglais. Cela a une incidence extrêmement concrète sur le fonctionnement de la Cour et sur les praticiens, notamment les praticiens français en exercice.

Cet accord ne paraît pas porter d’enjeu de souveraineté. En revanche, j’y vois vraiment un enjeu d’influence et je sais combien votre groupe est attaché à l’influence de la France dans le monde.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Vous avez mentionné la question de l’efficacité de la Cour pénale internationale, en rappelant qu’il n’y avait eu que cinq condamnations définitives pour trente-huit mandats d’arrêt délivrés. Ma question concerne les mesures qu’il faudrait mettre en œuvre au niveau national pour pallier les critiques en efficacité et en légitimité de la Cour pénale internationale, notamment la mise en œuvre du principe de compétence universelle, prévue par les conventions de Genève de 1949 qui définissent les règles en cas de conflit armé.

En France, ce sont les articles 689 à 689-13 du code de procédure pénale. Ils précisent dans quels cas les tribunaux français peuvent exercer la compétence universelle. La France a une vision relative de la compétence universelle et ne peut y recourir que sur le fondement de certaines conventions internationales, comme la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

En outre, elle a assorti la mise en œuvre du principe de compétence universelle de quatre conditions qui sont si restrictives qu’elles rendent pratiquement impossible son activation – au contraire, je le souligne, de l’Allemagne qui a encore condamné en début d’année 2022 un militaire syrien sur le fondement de la compétence universelle, ce que la France serait bien incapable de faire aujourd’hui.

Donc, en conclusion, approuver cet accord entre la France et la Cour pénale internationale est évidemment une bonne chose et je le voterai mais, si le Gouvernement ne revoit pas sa copie sur la question de la compétence universelle, ce n’est clairement pas suffisant pour réprimer de façon effective les crimes les plus graves et pallier ces critiques en inefficacité de la justice internationale.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Vous faites allusion aux verrous actuels du principe d’universalité. Notre pays a élargi en 2010 la compétence territoriale des tribunaux français pour permettre la poursuite et le jugement des auteurs de crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide, et la compétence universelle prévue à l’article 699-11 du code de procédure pénale reste assortie de plusieurs conditions restrictives, vous l’avez dit, dont le critère de résidence habituelle en France et celui de double incrimination.

Ce dernier suppose également que les faits soient punis par la législation française et par les législations de l’Etat où ils ont été commis et que l’État dont la personne soupçonnée détient la nationalité soit un État partie au statut de Rome. Je sais que ce n’est pas vraiment le sujet d’aujourd’hui mais, dans la loi de programmation de la justice notamment, les capacités d’action ont été étendues à ce champ et, par ailleurs, une proposition de loi a été déposée en juin dernier par M. Gouffier-Cha visant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale sur la résidence habituelle, dans le but de le supprimer au profit d’une simple localisation.

Voilà donc deux moyens d’action qui ne concernent pas l’accord dont nous discutons mais qui sont complémentaires et pourraient venir en discussion dans les prochaines semaines.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, monsieur le rapporteur.

Je rappelle que, sous la précédente législature, la commission des affaires étrangères s’était très vivement inquiétée de cette situation et avait considéré que les conditions d’engagement des poursuites étaient tellement restrictives qu’elles rendaient absolument impossible toute mise en cause effective. Nous avions donc interrogé le Gouvernement pour savoir ce qu’il comptait faire. Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de réponse satisfaisante. La question mérite d’être très fortement relancée auprès de Mme Colonna lorsque nous la rencontrerons. N’ayant pas obtenu satisfaction, nous sommes, je pense, en droit d’obtenir des réponses.

Après les représentants des groupes, les orateurs suivants disposent d’une minute pour poser leur question.

Mme Mireille Clapot. J’adresse mes félicitations à Christopher Weissberg pour son rapport très intéressant, qui nous permet d’évoquer en commission des affaires étrangères ces questions de lutte contre l’impunité et d’influence de la France.

Je comptais, dans la lignée de mon rapport sur le mécanisme d’échange entre l’ONU et la France à l’occasion de la lutte contre l’impunité en Syrie, mentionner cette question de la double incrimination. Elle a déjà été abondamment commentée. Je passe donc mon tour, en soutenant la démarche de relancer pour obtenir une réponse.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. En complément de ce que vous avez dit monsieur le président, il serait sans doute également utile d’auditionner le ministre de la défense.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La compétence universelle est tout de même principalement un problème d’ordre pénal.

M. Alexis Jolly. Monsieur le rapporteur, nous nous interrogeons sur le bien-fondé d’un accroissement du processus d’intégration au sein de la CPI. Cette dernière a certes une vocation internationale et universelle mais, dans les faits, elle ne l’est que pour les États les plus faibles, qu’ils soient membres ou pas.

De plus, elle ne concerne en réalité que des pays non‑alignés et de grands pays refusent catégoriquement de reconnaître sa légitimité, à commencer par les États-Unis, la Turquie, l’Inde ou la Chine, par exemple. De nombreux responsables politiques américains ont dénié la légitimité de la CPI à interférer dans les affaires extérieures des États-Unis au cours du mandat du président Trump. La situation s’est légèrement améliorée avec Joe Biden mais les divergences demeurent toutefois profondes.

En dépit du caractère universel de la CPI, on constate donc une absence des principes de réciprocité et d’application uniforme des mêmes normes juridiques. Quelles sont les pistes de réforme envisageables pour permettre, par le biais de la CPI, une effectivité accrue des normes du droit international par l’ensemble des nations ?

Pour notre part, au groupe Rassemblement national, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi.

M. Christopher Weissberg, rapporteur. Il est vrai que l’un des fils rouges de nos débats est la limite évidente de la Cour, qui a une vocation universelle mais n’a pas été ratifiée notamment par les États-Unis, la Chine et la Russie.

Cela dit, des progrès ont tout de même été accomplis. Cette Cour n’a que vingt ans, ce qui est très récent. Les premiers travaux datent de plus de soixante-dix ans et, par son action, cette Cour continue à écrire son histoire. Vous parliez des États-Unis mais, typiquement, le procureur a mené une enquête en Afghanistan et des enquêtes sont diligentées dans de nombreux autres pays.

Nous serons donc certes limités sur l’effectivité d’une peine pour un dirigeant américain, par exemple, mais le travail est fait et la France s’inscrit dans ce travail de coopération pour étendre le champ d’action de la Cour. J’ai conscience que cela reste limité, mais la pertinence de ratifier ce genre d’accord est précisément que cela renforce le pouvoir de la Cour.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le problème fondamental, en effet, est que nous sommes dans un régime international où les Etats sont souverains. Donc, ce que l’on donne à une autorité supranationale multilatérale est atypique. Cela explique les réticences des États à étendre aussi fortement que nous le souhaiterions le champ de compétence, la nature des sanctions, etc. Il y a quelque chose qui heurte en profondeur les fondements de la communauté internationale telle qu’elle est. Mais nous sommes effectivement très attachés, en France, au développement de ces systèmes multilatéraux.

*

Article unique : autorisation de l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale sur l’exécution des peines prononcées par la Cour

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je constate que, jusqu’à présent, le mécanisme d’organisation des débats proposés par le bureau de notre commission fonctionne de manière satisfaisante et qu’il confère à nos échanges plus de vivacité que de coutume.

 

La séance est levée à 10h50

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Damien Abad, Mme Véronique Besse, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Karen Erodi, M. Frédéric Falcon, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, Mme Élise Leboucher, M. Vincent Ledoux, M. Jérôme Legavre, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Nathalie Oziol, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, Mme Caroline Yadan, M. Frédéric Zgainski

 

Excusés. - Mme Ségolène Amiot, M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Tematai Le Gayic, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Sabrina Sebaihi, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistait également à la réunion. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Valérie Bazin-Malgras