Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 Examen, ouvert à la presse, et vote sur les projets de loi suivants :

- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération en matière de défense et au statut de leurs forces sur les territoires caribéens et sud-américain de la République française et du Royaume des Pays-Bas (n° 7) (Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure)                             2

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien (n° 150) (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure)                             10

 


Mercredi
11 janvier 2023

Séance de 9 h 00

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2022-2023

Présidence
de Mme Mireille Clapot, Vice-présidente puis de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


  1 

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur deux projets de loi

Présidence de Mme Mireille Clapot, vice-présidente

La séance est ouverte à 9 h 05

Mme Mireille Clapot, présidente. La France et le Royaume des Pays-Bas, tous deux présents aux Antilles, entretiennent une riche coopération bilatérale dans le cadre d’entraînements militaires, de la gestion de catastrophes naturelles et, dernièrement, à l’occasion de la crise sanitaire liée au coronavirus.

Signé le 25 juin 2021, l’accord qui est soumis à notre examen a été rendu nécessaire par l’absence de cadre juridique pérenne et intergouvernemental pour la conduite des exercices militaires sur les territoires caribéens et sud-américain.

S’il est approuvé, ce texte s’appliquera aux déploiements de personnels, essentiellement pour des entraînements terrestres et des exercices maritimes conjoints. Il rendra en outre inutile l’échange annuel de notes verbales pour l’accès réciproque au territoire de l’autre partie en cas de catastrophe naturelle, comme cela avait été le cas en 2017 à la suite de l’ouragan Irma.

Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure. L’accord bilatéral franco-néerlandais, signé le 25 juin 2021 à Paris, porte sur la coopération en matière de défense et sur le statut des forces des deux pays dans leurs territoires caribéens et sud-américain.

La coopération entre nos deux pays a été renforcée ces dernières années dans différents domaines. En matière de défense, les deux États ont signé une déclaration d’intention le 6 mai 2019, et deux accords intergouvernementaux structurants sont en passe d’aboutir. Le premier, en cours de négociation, concerne la coopération dans les territoires métropolitains. Le second, qui concerne les territoires ultramarins, est celui dont nous discutons ce matin.

La France et le Royaume des Pays-Bas disposent tous deux de territoires dans la zone des Caraïbes. Pour la France, ce sont la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Pour les Pays-Bas, il s’agit d’Aruba, de Curaçao, de Saint-Martin et des « Pays-Bas Caraïbes », c’est-à-dire les îles de Bonaire, de Saint-Eustache et de Saba. La France dispose également d’un territoire en Amérique du Sud : la Guyane.

Dans cette zone, les forces françaises comprennent au total 3 600 personnels, dont 2 300 en Guyane, à raison de 2 120 militaires et 180 civils, et 1 300 aux Antilles, à raison de 1 060 militaires et 240 civils. J’appelle votre attention sur le fait que les forces néerlandaises
– qui représentent environ 900 militaires – étant quatre fois moins nombreuses, toute coopération dans la zone est avant tout favorable à notre partenaire.

Cette coopération consistait jusqu’à présent en des exercices et des stages dans le domaine militaire, ainsi qu’en matière d’aide humanitaire et de gestion de catastrophes. Elle s’est aussi montrée opérationnelle à travers la mobilisation des forces de défense et de sécurité de nos deux pays pour apporter de l’aide humanitaire et du soutien logistique à la suite de l’ouragan Irma, qui a frappé les Antilles le 6 septembre 2017 et provoqué des dégâts considérables. Dans les îles de Saint-Martin – que la France et les Pays-Bas se partagent – et de Saint-Barthélemy, 15 personnes ont perdu la vie et 85 % des bâtiments ont été endommagés à divers degrés. Toutefois, en l’absence d’accord intergouvernemental pérenne, toute coopération de défense dans la zone des Caraïbes et de l’Amérique du Sud nécessitait la signature de notes diplomatiques ou d’accords techniques spécifiques.

C’est pourquoi, après plus de dix années de négociation, l’accord dont il est question d’autoriser l’approbation a été signé le 25 juin 2021. Ses vingt-trois articles étant classiques pour un accord relatif à la coopération en matière de défense et régissant le statut des forces, son contenu ne présente pas d’enjeu particulier.

L’article 3 dresse la liste des formes de coopération possibles : échanges d’instructeurs et d’élèves des institutions militaires ; escales de navires de guerre et escales aéroportuaires ; stages ; entraînements et exercices militaires ; partage des connaissances et des expériences acquises dans les domaines des opérations, de l’utilisation des équipements militaires et des opérations de maintien de la paix des Nations Unies ; assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle ou de toute autre situation d’urgence affectant le territoire des parties ; toute autre activité d’une durée limitée dans le temps, convenue d’un commun accord entre les parties.

L’article 4 prévoit, d’une part, que la partie d’accueil fournira à titre onéreux le soutien logistique à la partie d’envoi et, d’autre part, que chaque partie prendra à sa charge les coûts de participation des membres de son personnel aux activités de coopération.

L’article 5 précise que la mise à disposition d’installations, de biens et de services par la partie d’accueil aux membres du personnel de la partie d’envoi peut être effectuée à titre gratuit ou onéreux.

Jusqu’ici, les modalités du soutien logistique étaient fixées par un arrangement technique-cadre conclu en 2019, qui prévoyait la gratuité de ces prestations. La possibilité de remboursement constitue donc une réelle avancée.

L’accord comprend également diverses dispositions relatives au statut et aux conditions de séjour des personnels.

Il définit ainsi un cadre juridique plus complet et pérenne, en détaillant les formes de coopération possibles et en prévoyant les procédures associées. Renforçant la sécurité juridique et nos actions de coopération militaire avec le Royaume des Pays-Bas, il devrait encourager la coopération bilatérale en matière de défense.

Je regrette néanmoins de ne pas avoir obtenu d’informations chiffrées concernant les coûts liés à cette coopération. Un tel partenariat bilatéral devrait faire l’objet d’une évaluation annuelle des coûts engagés, afin de pouvoir ensuite les réajuster si nécessaire. Si cet accord est approuvé, sa mise en œuvre devra donc être évaluée ; ce devrait être le cas de tous les accords du même type.

Cette réserve ayant été émise, je vous invite à voter en faveur de l’approbation de l’accord. Le Royaume des Pays-Bas l’a déjà fait, sans exclure de territoire de la zone, en dépit de la possibilité prévue par l’article 22.

Enfin, je vous indique qu’un accord bilatéral franco-néerlandais concernant le tracé de la frontière de Saint-Martin est également en cours de négociation. L’ouragan Irma a là encore joué le rôle d’accélérateur.

Mme Mireille Clapot, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). Merci, madame la rapporteure, pour votre éclairage. Il n’est pas toujours évident d’appréhender les tenants et les aboutissants des accords bilatéraux, au-delà de la volonté de coopération entre deux États.

Une coopération militaire entre la France et les Pays-Bas dans les Caraïbes et en Guyane s’avèrera particulièrement intéressante pour effectuer des exercices maritimes et terrestres ou pour offrir la possibilité d’accéder au territoire de l’autre pays en cas de catastrophe naturelle, comme ce fut le cas lors du passage de l’ouragan Irma, qui a fait d’importants dégâts dans les parties française et néerlandaise de l’île de Saint-Martin. Des accords comme celui-ci permettent une meilleure collaboration technique, logistique et humaine, ainsi qu’une plus grande efficacité dans le soutien apporté aux populations.

Suite à des discussions avec des collègues de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, je souhaite soulever la question de l’implication des collectivités territoriales dans les coopérations : il faut qu’elles puissent en être le relais et que les élus locaux soient mieux pris en considération dans le cadre de tels accords.

À Saint-Martin, c’est en quelque sorte un même peuple qui se trouve scindé en deux. Les deux parties de l’île manifestent depuis quelques années la volonté de davantage travailler ensemble et d’avoir un congrès uni, afin d’accélérer le développement du territoire. Les élus locaux veulent être intégrés aux discussions entre les deux États et que leurs voix soient portées dans le cadre des échanges bilatéraux.

En ce qui concerne la Guyane française – puisque les Pays-Bas n’ont plus de possession en Amérique latine depuis l’indépendance du Suriname –, il est nécessaire de prendre en considération la voix des élus de Guyane dans le processus de militarisation de leur territoire.

Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure. Comme vous l’avez judicieusement souligné, la détermination plus précise des frontières de Saint-Martin permettra de renforcer la coopération entre les deux parties. En outre, grâce à l’accord de défense, en cas de catastrophe, les actions d’entraide gagneront en fluidité et en rapidité.

M. Bertrand Pancher (LIOT). L’accord du 25 juin 2021 organise, aux Antilles et en Guyane, la coopération de notre pays avec les Pays-Bas ; il prévoit notamment une prise en charge médicale spécifique pour les personnels militaires, ainsi que des échanges d’informations et de formations.

La France et les Pays-Bas sont membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La proximité de nos territoires en Amérique justifie pleinement l’élaboration d’un tel accord, d’autant plus que nos pays possèdent déjà quatre bases militaires dans la région. Pour rappel, l’armée des Pays-Bas est présente en permanence à Aruba et Curaçao, tandis que la France déploie plus de 3 000 soldats dans les Antilles et en Guyane.

En pratique, l’accord permettra, par exemple, à la France d’accueillir en formation en Guyane des soldats néerlandais stationnés à Curaçao. Il autorise également des manœuvres militaires de la marine nationale dans les eaux territoriales de Bonaire. Enfin, on peut imaginer qu’un soldat néerlandais gravement blessé lors d’une manœuvre au large de la Guadeloupe pourra être soigné dans nos hôpitaux, et vice-versa.

Nos deux pays ont d’ores et déjà mené plusieurs opérations ensemble, telles que la surveillance conjointe du détroit d’Ormuz. Nous menons des exercices communs et participons à la lutte anti-sous-marine, en particulier dans la zone des Caraïbes. Le 33ème régiment d’infanterie de marine est intervenu en 2019 aux Bahamas dans le cadre d’une opération amphibie conjointe avec les forces néerlandaises antillaises.

Le texte qui nous est soumis permettra de formaliser et de mieux encadrer la coopération bilatérale dans la zone ; il complète les traités de coopération existants.

Deux garanties sont offertes pour préserver notre souveraineté : d’une part, l’accord ne concerne pas les opérations de guerre ou de maintien de l’ordre ; d’autre part, il définit la compétence juridictionnelle en cas de litige ou de décès.

On peut néanmoins regretter que l’accord n’aborde pas la nécessité de mieux préciser le champ des zones économiques exclusives (ZEE) de nos deux pays. Un rapport du Sénat datant de 2014 déplorait en effet la mauvaise délimitation de ces zones dans les Antilles françaises et les Antilles néerlandaises.

Enfin, la coopération est un moyen de pallier – en partie seulement – la réduction des effectifs militaires dans les outre-mer. Les coupes budgétaires ont restreint notre capacité d’action dans ces territoires et les moyens actuels ne sont pas suffisants au regard des enjeux stratégiques. Nous soutiendrons cet accord, qui est le bienvenu, mais qui ne saurait masquer les manquements dans ce domaine.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Que ce soit l’émergence de nouvelles guerres ou la résurgence d’anciens conflits, la multiplication des menaces hybrides ou le dérèglement climatique, les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés appellent une politique extérieure et de défense forte, non alignée et indépendante. L’accord qui est soumis à notre examen vise à renforcer la coopération en matière de défense, déjà riche, entre la France et les Pays-Bas dans leurs territoires caribéens et sud-américain.

L’importance de cette coopération a été démontrée par les nombreux entraînements militaires bilatéraux effectués dans la zone. Elle a été aussi particulièrement visible en 2017, après le passage de l’ouragan Irma, lorsque les forces françaises et néerlandaises ont été déployées sur l’île de Saint-Martin pour apporter une assistance humanitaire à la population.

En fixant un cadre juridique stable pour ces opérations, cet accord permettra de structurer et de pérenniser une coopération avec un partenaire dans une zone d’intérêt partagé. Il démontre qu’il est possible de créer des coopérations en dehors du cadre de l’OTAN sans devoir se plier à une quelconque doctrine atlantiste, de mener une politique de défense non alignée, indépendante et capable de surmonter des défis communs.

À ce titre, nos outre-mer constituent des ressources uniques pour construire des politiques internationales et des partenariats régionaux.

Au-delà des enjeux de défense examinés aujourd’hui, la relation bilatérale avec les Pays-Bas dans cette région du monde offre de vastes possibilités de coopération, que ce soit dans la lutte contre la criminalité organisée – notamment le trafic de drogue – ou dans celle contre la fraude fiscale.

Le dérèglement climatique et les événements climatiques extrêmes affectant particulièrement nos territoires ultramarins, la coopération bilatérale est essentielle, non seulement à court terme, afin de fournir une assistance logistique et humanitaire, mais aussi à long terme, par l’échange de bonnes pratiques ou par la mise en place de plans communs de prévention et de protection des populations et des infrastructures.

Les outre-mer peuvent ainsi constituer le fer de lance d’une diplomatie non alignée, universaliste, capable de faire face aux enjeux contemporains. Pour ces raisons, le groupe LFI-NUPES votera en faveur de la ratification de l’accord du 25 juin 2021.

M. Frédéric Zgainski (DEM). L’accord de coopération auquel nous nous intéressons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des pistes de travail communes dessinées par la France et les Pays-Bas depuis 2012 et confirmées en 2021. Celles-ci ouvraient également la voie à une discussion plus large, dans l’objectif d’aboutir à la signature d’un accord-cadre de défense en 2024. Le principe d’un tel accord-cadre a été réaffirmé lors de la visite en France du Premier ministre néerlandais en mars 2022, durant laquelle le développement de bases technologiques et industrielles de défense a été évoqué. Madame la rapporteure, avez-vous des informations concernant cette initiative ?

Jusqu’à présent, les forces armées françaises et néerlandaises menaient des exercices communs dans les territoires caribéen et sud-américain sans cadre juridique pérenne. Il existe pour les pays membres de l’OTAN une convention régissant les échanges de personnels entre alliés, mais elle ne concerne que les exercices ayant cours sur les territoires métropolitains. Il était donc nécessaire d’encadrer la coopération en matière militaire dans les Antilles, en raison non seulement de la régularité des exercices conduits, mais aussi de la volonté conjointe de la France et du Royaume des Pays-Bas d’approfondir leur coopération, notamment à la suite de l’ouragan Irma.

Cet accord porte sur les exercices menés à Aruba, à Curaçao, à Saint-Martin et aux Pays-Bas Caraïbes, pour ce qui est du Royaume des Pays-Bas, et en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et en Guyane, pour la partie française. Il concernera aussi bien les exercices terrestres et maritimes que les opérations d’assistance humanitaire, et permettra de déterminer le statut juridique et les conditions de séjour des membres du personnel des deux parties.

Enfin, son article 6 précise utilement que les parties conviendront par la suite d’un accord de sécurité régissant l’échange d’informations classifiées, disposition indispensable en matière de documentation stratégique.

Ce projet de loi s’inscrit dans la volonté, que nous soutenons, de développer, à côté des engagements de la France dans l’OTAN, une défense européenne, ce qui est plus que jamais nécessaire vu le contexte international. Il obtiendra le soutien du groupe Démocrate, parce qu’il œuvre au renforcement de la sécurité dans la région et permet de développer des liens stratégiques avec un pays européen ami.

Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure. Il était en effet urgent d’élaborer un cadre juridique pérenne, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, le Royaume des Pays-Bas souhaitait, vu le contexte, se rapprocher des pays européens et de la France, en particulier sur le plan militaire.

Ensuite, cela permettra de fluidifier les échanges de matériels, grâce à la suppression des taxes à l’importation et à une clarification des aspects logistiques, comme la répartition des coûts.

Enfin, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, l’ouragan Irma a démontré la nécessité d’une solidarité en cas de catastrophe naturelle.

C’est une grande avancée qui a été réalisée.

M. Guillaume Garot (SOC). Cet accord est bienvenu.

D’abord, il s’agit d’un accord de coopération militaire entre deux pays de l’Union européenne. Tout ce qui permet d’améliorer la coopération en matière de défense dans le cadre européen va dans le bon sens.

En outre, comme vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, il existe des liens étroits et anciens dans les Caraïbes entre la France et les Pays-Bas. Saint-Martin, avec son histoire, en est l’exemple-type.

Enfin, l’accord traduit une conception ouverte de la défense, puisqu’il inclut l’aide humanitaire. Nous avons besoin, dans cette région du globe, de renforcer les coopérations techniques, matérielles et humaines, de sorte que l’on puisse porter secours lorsqu’advient une catastrophe comme l’ouragan Irma.

Le groupe Socialistes et apparentés votera sans difficulté cet accord, qui fait avancer à la fois la cause de la défense française et celle de la défense européenne.

Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure. L’accord rapproche des régions qui partagent un intérêt commun, mais cette coopération n’est dictée ni par l’OTAN, ni par l’Union européenne. Elle est non seulement légitime mais également libre.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). La région des Caraïbes est soumise à de nombreux enjeux sécuritaires, parmi lesquels la lutte contre le crime organisé – notamment les narcotrafiquants –, le maintien de la liberté de circulation maritime, ainsi que l’instabilité politique de certains États. À ces défis s’ajoutent ceux des aléas météorologiques qui augmentent le risque de catastrophes naturelles. Ces enjeux nécessitent une coopération renforcée avec nos partenaires dans la région, afin de garantir la sécurité de plus de 1 million de ressortissants français.

La France doit donc continuer de construire avec ses partenaires une défense européenne solide, capable de réagir et d’intervenir sur l’ensemble du globe, là où ses intérêts sont en jeu. Cet accord s’inscrit parfaitement dans la Boussole stratégique européenne et dans les objectifs de la revue nationale stratégique (RNS), visant à faire de notre pays une puissance d’équilibre au sein des alliances. Le groupe Horizons et apparentés votera par conséquent en faveur du projet de loi.

Dans la liste non exhaustive des formes de coopération militaire inscrite à l’article 3, figure l’assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle. Madame la rapporteure, pensez-vous que cet accord soit suffisant pour garantir une assistance rapide aux populations lors d’événements du type de l’ouragan Irma ou bien cela nécessiterait-il des accords spécifiques ?

Mme Laurence Robert-Dehault rapporteure. Sur le plan militaire, l’accord est suffisant, mais, pour revenir sur ce que disait monsieur Le Gayic, une meilleure collaboration avec les élus locaux permettrait une plus grande rapidité de réaction.

Mme Eléonore Caroit (RE). L’accord dont nous discutons entend encadrer la coopération en matière de défense entre la France et les Pays-Bas. Il détermine notamment le statut juridique ainsi que les conditions de séjour des personnels des deux États déployés dans les Caraïbes.

Cet accord vient entériner une situation de fait, à savoir le partenariat militaire engagé depuis plusieurs années entre la France et les Pays-Bas dans la zone des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Nos deux pays disposent de forces armées dans les Antilles et, pour la France, en Guyane, qui accueille la plus importante force militaire française stationnée outre-mer et constitue le principal point d’appui français dans la zone des Caraïbes et de l’Amérique latine. La France partage en outre en Guyane sa plus longue frontière avec un pays étranger, le Brésil, sur 730 kilomètres, ce qui en fait une terre latino-américaine.

La présence militaire française et néerlandaise dans les Caraïbes permet de répondre à deux défis communs, dont les enjeux débordent les limites de cette zone géographique : le trafic de stupéfiants et les catastrophes naturelles. L’ouragan Irma a été mentionné. Plus récemment, à l’automne 2022, les ouragans Fiona et Ian ont également entraîné d’importantes pertes humaines et matérielles en Guadeloupe, en République dominicaine, en Haïti et à Cuba.

En cas de catastrophe humanitaire, l’important n’est pas de savoir qui intervient mais d’intervenir vite. Les forces militaires présentes dans les Caraïbes constituent un relais et un point d’appui essentiels pour intervenir à la suite de catastrophes naturelles, telles que des cyclones, des séismes ou des éruptions volcaniques.

Cet accord constitue un rare exemple de coopération entre deux États européens sur le continent latino-américain. La France et les Pays-Bas ont engagé une collaboration ancienne et active dans le cadre de la construction européenne, et démontrent une fois de plus leur capacité à coopérer à travers cet accord, qui contribue au développement d’une politique étrangère européenne commune en Amérique latine et dans les Caraïbes. Le groupe Renaissance votera en sa faveur.

La plupart des coopérations listées à l’annexe 3 du rapport reposent sur des échanges de lettres entre les parties, et non sur un accord formel, comme celui qui nous est présenté aujourd’hui. Jusqu’à la signature de celui-ci, la coopération franco-néerlandaise s’appuyait sur des notes verbales. Lors de vos auditions, madame la rapporteure, avez-vous eu connaissance de difficultés dans cette coopération en raison de l’absence d’un cadre juridique précis et contraignant ?

Mme Laurence Robert-Dehault, rapporteure. Sur l’île de Saint-Martin, en particulier, il a été très compliqué de déterminer de quelle juridiction relevaient les dégâts commis par les ouragans que vous avez mentionnés, et quel pays devait en assumer le coût. C’est pourquoi un cadre juridique est indispensable. Le dispositif des notes verbales était quelque peu préhistorique. Il était temps de clarifier les choses.

Pour conclure ce débat, je voudrais souligner tout l’intérêt de cet accord, qui non seulement comporte une visée humanitaire, mais permettra aussi un partage des savoirs
– savoirs militaires, savoirs techniques, connaissances humaines – entre les deux parties, grâce notamment aux stages proposés aux militaires des deux pays. Je pense que ces échanges seront très enrichissants aussi bien pour la France que pour les Pays-Bas, tant sur le plan militaire que sur le plan technique et tactique.

Mme Mireille Clapot, présidente. L’examen de ce projet de loi est l’occasion de concentrer notre regard sur une région du monde assez particulière. Nous avons parlé des outre-mer situés dans la zone caribéenne et d’une situation singulière, celle de l’île de Saint-Martin, partagée entre deux nations certes proches au sein de l’Union européenne mais dont les langues sont assez différentes. Nous avons aussi, à travers l’ouragan Irma, évoqué le risque climatique. Au-delà des facteurs d’instabilité et des trafics divers, c’est une région qui offre de belles possibilités de coopération militaire et humanitaire et permet d’assurer une grande rapidité d’intervention au bénéfice de ses habitants, ce qui souligne le bienfait de notre présence.

Je me réjouis également qu’à la faveur de l’urgence, ce texte ait été examiné rapidement. À quelque chose malheur est bon !

 

*

Article unique (approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération en matière de défense et au statut de leurs forces sur les territoires caribéens et sud-américain de la République française et du Royaume des Pays-Bas)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

*

La séance est suspendue à 9 h 40

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

La séance est reprise à 9 h 50

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. En préambule, je rappellerai que la Commission de l’océan indien (COI) est une organisation intergouvernementale régionale instituée en 1984 par l’accord de Victoria et dotée d’un secrétariat général dont le siège est implanté à Maurice. Elle dispose d’un budget – modeste – de 1,44 million d’euros, dont 40 % des contributions statutaires sont assurées par la France. La composition de cette organisation est originale, puisqu’elle est uniquement constituée d’États insulaires et francophones du Sud‑Ouest de l’océan indien, à savoir les Comores, la France, Madagascar, Maurice et les Seychelles.

Notre pays n’en est membre qu’au titre de La Réunion, ce qui soulève un problème grave : celui de la contestation, au sein de l’organisation, de l’inclusion de Mayotte dans ce dispositif régional. À défaut de consensus sur une intégration de plein droit, l’objectif défendu par les autorités françaises est une association du département de Mayotte, au cas par cas, à des projets de la COI. C’est sans doute ce statut intermédiaire assez ambigu qui suscite réflexion et parfois contestation. Nous entendrons sur ce point les observations de notre rapporteure.

Sur la base de la déclaration de Moroni signée par les États membres en août 2019, qui définit les orientations politiques et stratégiques de la COI, l’accord de Victoria de 1984 a fait l’objet d’une révision le 6 mars 2020.

Considérant la Commission de l’océan indien comme l’un des cadres dans lesquels s’inscrit la stratégie de notre pays pour la zone indo-pacifique, le Sénat – qui a débattu du texte avant nous – s’est montré sensible à l’enjeu d’un renforcement institutionnel de l’organisation régionale. Il a donc adopté le 19 juillet dernier le projet de loi dont nous sommes saisis.

Madame la rapporteure, vous êtes, en tant que députée de Mayotte, directement confrontée aux graves difficultés, tensions, affrontements qui caractérisent cette île. Nous vous avons entendue à plusieurs reprises ces dernières semaines exposer une situation de détresse à laquelle tous les membres de cette commission sont particulièrement sensibles, quelles que soient leurs opinions politiques. Nous apprécions le courage et l’esprit de responsabilité qui vous animent dans l’exercice de votre mandat parlementaire. Que la députée de Mayotte rapporte sur ce sujet pourrait interpeler, mais cela constitue aussi un atout, parce que vous connaissez particulièrement bien la situation dans cette région névralgique et que vous êtes la porte-parole d’une sensibilité que notre commission ne peut ignorer.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Monsieur le président, merci infiniment pour ces mots qui me touchent personnellement et qui vont droit au cœur des Mahoraises et des Mahorais qui suivent attentivement les travaux de cette commission, en particulier sur la question de la COI, qui les concerne directement.

Je vous présente ce matin l’accord du 6 mars 2020 portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien, dont le projet de loi dont nous sommes saisis vise à autoriser l’approbation. Le Sénat l’a adopté, tout en émettant de fortes réserves.

La Commission de l’océan indien est née de l’accord initial de Victoria, conclu en 1984 par Madagascar, Maurice et les Seychelles. Il s’agissait de promouvoir la coopération dans les domaines de la diplomatie, de l’économie, du commerce, de l’agriculture et de l’éducation.

La France et les Comores ont rejoint la COI en 1986. Grâce au statut d’observateur, la Chine, l’Union européenne, l’Ordre de Malte, l’Organisation internationale de la francophonie, l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Inde et le Japon ont rejoint les rangs de la Commission.

La COI compte trois instances superposées, selon un mode de fonctionnement que l’on compare avantageusement à celui de l’Union européenne. Le sommet des chefs d’État et de gouvernement détermine les grandes orientations politiques, en dépit d’un rythme de réunion irrégulier. Se réunissant une fois par an, le conseil des ministres des affaires étrangères est l’organe décisionnel de la COI. Sa présidence tournante est actuellement assurée par Madagascar. Chaque État désigne un officier permanent de liaison, membre du comité chargé de suivre les travaux sur le plan technique. Enfin, un secrétariat général, installé à Maurice et composé de 80 personnes, a pour fonction de faire avancer les travaux, de proposer de nouvelles orientations et d’assurer la liaison avec les bailleurs de fonds.

La COI développe des projets dans différents domaines, tels que l’environnement, la pêche ou la culture, et sollicite des fonds de l’Union européenne, de l’Agence française de développement (AFD), du Fonds vert pour le climat ou encore de la Banque mondiale.

Le 6 mars 2020, un accord portant révision de l’accord initial d’adhésion à la COI a été signé : le champ de coopération est désormais élargi à quatorze domaines, dont le changement climatique, l’économie bleue, la coopération judiciaire, la circulation des biens et des personnes. Le statut d’observateur est expressément prévu et deux critères d’adhésion à la COI sont désormais inscrits : celui de l’insularité et celui de l’appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l’océan indien. La règle de l’unanimité comme mode de prise de décision est réaffirmée. Une périodicité de cinq ans est fixée pour le sommet des chefs d’État et de gouvernement et il est prévu que le conseil des ministres des affaires étrangères se réunisse deux fois par an. Enfin, le mandat du secrétaire général est porté de quatre à cinq ans et n’est pas renouvelable.

Quarante ans après sa création, le bilan de la COI apparaît pour le moins décevant. L’organisation met en avant une variété de projets dont la valeur ajoutée réelle suscite des interrogations, eu égard aux lourds investissements consentis. Il est souvent question de « partage d’informations », d’« amélioration de la connaissance » ou encore de « renforcement des mécanismes de prévention de crises » : ces expressions sont vagues.

Dans certains programmes comme celui pour la promotion de la sécurité maritime (MASE), qui dispose d’un budget de 42 millions d’euros, la COI n’est en réalité qu’un acteur parmi d’autres. Ce sont souvent l’Agence française pour le développement (AFD), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui pilotent et mettent en œuvre. L’exemple du programme MASE illustre ce qui semble être la règle pour les projets étiquetés « COI » mais exécutés par d’autres organismes : ils sont à la fois flous et chers.

Le manque de résultats concrets pousse à s’interroger sur l’investissement consenti par les contribuables français, puisque la France assume à elle seule 40 % du budget de la COI et finance aussi une bonne partie des projets de la COI par l’intermédiaire de l’Agence française de développement. Ainsi, entre 2018 et 2022, l’AFD a contribué à hauteur de 41,3 millions d’euros à la COI.

On peut aussi déplorer les pratiques comptables et budgétaires douteuses de la COI, qui a été mise en cause pour des faits de fraude et pour un manque de transparence financière. L’Union européenne a en effet déclaré inéligibles certaines dépenses effectuées par la COI en 2021. Il s’agit de 577 000 euros de dépenses exécutées en violation des règles européennes de financement. L’Union européenne – qui est allée en justice à ce sujet – dénonce 118 000 euros de fraude financière et près de 460 000 euros de dépenses injustifiées, donc inéligibles au remboursement. Initialement plus élevé, le montant total des dépenses irrégulières a été revu à la baisse après négociation entre l’Union européenne et la COI, laquelle doit rembourser les sommes en jeu, directement ou par ponction du budget des projets en cours.

En tant que députée de Mayotte, je considère que la COI pose un grave problème touchant au respect de la souveraineté française dans l’océan indien. N’ayant rejoint l’organisation en 1986 qu’au titre de l’île de La Réunion, la France s’est diplomatiquement amputée de Mayotte pour y adhérer, de sorte que mon territoire, français depuis 1841, n’est pas mentionné dans l’accord initial. Il est étonnant de vouloir encourager la coopération entre les îles francophones de l’océan indien tout en excluant par principe l’île de Mayotte de cet accord. C’est pourtant le choix opéré par Paris, vraisemblablement pour ne pas froisser les Comores, qui revendiquent Mayotte.

Dans le point 10 de l’accord sur l’avenir de Mayotte, publié au Journal officiel du 8 février 2000, le Gouvernement avait pris l’engagement suivant : « Mayotte sera associée aux projets d’accords concernant la coopération régionale ou affectant son développement. La France proposera l’adhésion de Mayotte à la Charte des jeux de l’océan Indien et à la Commission de l’océan Indien ainsi qu’aux autres organisations de coopération régionale ». Pour l’heure, rien de tel. Vingt-deux ans après cet engagement officiel, le Gouvernement français a affirmé, au cours de l’audition que j’ai menée, que sa volonté demeurait d’associer Mayotte, au cas par cas, à certains projets de la COI, mais de manière officieuse, sinon clandestine. Un accord de principe aurait été trouvé concernant deux projets, finalement bloqués par le représentant des Comores. Le seul cas cité d’une participation de Mayotte aux activités de la COI consiste dans la venue, en catimini, d’experts de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, inclus discrètement dans la délégation réunionnaise, à une réunion organisée à la mi-2022 et consacrée à la surveillance épidémiologique.

La France peut-elle continuer à financer une organisation censée faciliter le développement de la région tout en excluant l’un de ses territoires ? Sommes-nous donc incapables d’imposer comme condition préalable à la signature d’un nouvel accord une réévaluation de la participation de Mayotte ? L’intégration de Mayotte dans la COI devient encore plus difficile dans le nouvel accord soumis à notre approbation, puisque l’unanimité y est désormais officiellement la règle. Vu la position comorienne historique sur le sujet, il est peu probable que Moroni n’exerce pas son veto.

Pourquoi les autorités françaises ont-elles validé une hausse du portefeuille de projets géré par la COI, à hauteur de 300 millions d’euros pour 2022-2023, puis de 500 millions d’euros pour 2024-2025 – ce qui représente une forte montée en puissance –, en passant complètement sous silence la question de Mayotte ?

Ce silence assourdissant de Paris est d’autant plus incompréhensible qu’en dehors de l’Union des Comores, les autres États membres de la COI ne paraissent pas voir d’obstacle majeur à l’intégration de Mayotte. Lors des auditions que j’ai menées, les Seychelles ont indiqué n’avoir aucune objection à ce que Mayotte s’associe ou adhère à la COI, moyennant un consensus sur le sujet. Par la voix de son vice-Premier ministre, Madagascar est allée plus loin, reconnaissant de manière officielle « l’identité de Mayotte en France ».

Enfin, la constitutionnalité même de l’accord paraît discutable. En effet, grâce à la COI, les citoyens français de La Réunion bénéficient de possibilités de coopération dont sont privés les citoyens français de Mayotte, alors que les uns et les autres se trouvent dans une situation identique : même cadre géographique insulaire dans le Sud-Ouest de l’océan indien, même régime juridique prévu à l’article 73 de la Constitution, même statut au regard du droit européen. La différence de traitement entre Mayotte et La Réunion, mais aussi entre les citoyens français de deux territoires, semble donc constituer une rupture du principe constitutionnel d’égalité.

Comme tous nos compatriotes, les contribuables mahorais paient indirectement pour des projets de coopération dont ils se trouvent cependant exclus. Je pense notamment à l’observatoire des agricultures de l’océan indien et aux projets « Résilience des écosystèmes côtiers du Sud-Ouest de l’océan indien » (Recos) et « Expédition Plastique océan indien » (Exploi), trois programmes financés par la France et dont Mayotte est effectivement exclue.

Soyons lucides sur la compétition stratégique à l’œuvre dans l’ouest de l’océan indien, où la France possède une forte empreinte territoriale mais fait face à de nombreuses contestations de ses frontières. La Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis et d’autres jouent leur carte en appuyant les revendications territoriales de Madagascar sur les îles Éparses, de Maurice sur l’île Tromelin et des Comores sur Mayotte. Les ressources de la région
– ressources halieutiques, hydrocarbures, nodules marins riches en terres rares – sont évidemment dans tous les esprits. Dans ce contexte de forte rivalité, quel message envoie Paris ? Comment défendons-nous notre souveraineté ?

Chers collègues, vous l’aurez compris, je vous invite à ne pas autoriser l’approbation de l’accord du 6 mars 2020, donc à voter contre le projet de loi. Ce geste fort permettrait de placer chacun devant ses responsabilités. Il inciterait le Gouvernement à tenir ses engagements et à poser la question d’une intégration de Mayotte dans le champ de coopération de la COI. Si ces conditions sont réunies, cela permettrait de donner un nouveau départ à une organisation régionale assainie, élargie et rénovée.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet exposé très intéressant prouve que les débats de ratification peuvent porter sur des questions importantes, nous laissant des décisions essentielles à prendre. Vous avez parfaitement campé le problème, même si je devine que les groupes parlementaires adopteront des attitudes très différentes : certains vous suivront, d’autres non.

M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). En effet, la présentation de la rapporteure permet une meilleure compréhension de la situation.

Comme cela a été souligné précédemment, la coopération régionale est très importante pour les départements d’outre-mer. Toutefois, il est vrai que la COI n’atteint pas ses objectifs en matière financière et institutionnelle, notamment pour ce qui est de la prise en considération des intérêts de La Réunion et, plus encore, de ceux de Mayotte ; cela m’a été confirmé par mes collègues réunionnais.

La question de la place de Mayotte dans la coopération régionale est finalement assez représentative de la situation de tous les outre-mer, que ce soit La Guyane en Amérique latine ou la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie dans le Pacifique, la difficulté étant que notre différence de statut ne nous permet pas de bénéficier de la compétence nécessaire pour établir des discussions directes avec les autres pays. C’est plus encore le cas lorsqu’il existe des revendications contradictoires entre deux États, comme entre la France et les Comores.

Dans le cas du Pacifique, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont membres à part entière du Forum des îles du Pacifique, ce qui nous permet de prendre des décisions en notre nom propre. C’est peut-être notre statut d’autonomie qui nous y autorise. Peut-être serait-il bon pour Mayotte d’être partie prenante, en tant que pays, de la coopération régionale ? Il conviendrait de vérifier si le droit interne l’autorise, afin que Mayotte dispose de ces compétences régionales. Si tout part de Paris, les réponses obtenues ne seront pas les mêmes. Mayotte devrait avoir sa propre pensée, sa propre vision de la façon de s’inscrire dans la région.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR ne sait pas encore quelle décision prendre. La coopération régionale doit être pensée en faveur des Réunionnais et des Mahorais. Si le projet de loi va dans le sens de leurs intérêts, le groupe GDR le soutiendra ; dans le cas contraire, nous voterons contre.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je partage avec vous la préoccupation de savoir si cette coopération régionale profite aux populations locales. En l’occurrence, je pense avoir démontré qu’elle ne profitait pas aux Mahorais puisque nous en sommes exclus alors que nous y contribuons. Pourtant, nous avons à cœur de collaborer avec nos voisins, dans le respect de la volonté exprimée à de nombreuses reprises par Mayotte de rester française. J’espère donc que votre groupe prendra en considération la volonté de notre population : la coopération, oui, mais si elle ne nous profite pas, non merci.

M. Bertrand Pancher (LIOT). La rapporteure a mené un travail de fond remarquable, qui nous donne une vue générale de la Commission de l’océan indien et de ses activités.

L’île de Mayotte est un département français. En février 1976, 99 % des Mahorais et des Mahoraises ont exprimé dans les urnes le souhait que Mayotte demeure au sein de la République française. Remettre en cause cette souveraineté revient à faire le jeu des pays qui veulent déstabiliser Mayotte, donc la France ; c’est aussi mettre en doute la légitimité de nos élus. Notre diplomatie ne réagit pas lorsque le président des Comores affirme publiquement à la tribune des Nations Unies que Mayotte n’est pas un territoire français. Elle ne réagit pas lorsque les Comores demandent que Mayotte ne participe qu’« à bas bruit » aux réunions techniques de la COI. Le département français de Mayotte doit pouvoir coopérer publiquement et sur l’ensemble des sujets avec les États membres de la COI, au même titre que La Réunion. En l’état, autoriser la ratification de l’accord portant révision de l’accord de Victoria reviendrait à accepter les prétentions illégitimes du gouvernement de Moroni sur Mayotte.

Cette révision n’est qu’un trompe-l’œil. Si elle institutionnalise des mécanismes qui n’étaient pas prévus dans l’accord originel, comme le statut d’observateur, la définition de l’identité insulaire ou le caractère francophone de l’organisation, ces mesures sont insuffisantes pour moderniser la COI, faute d’une volonté politique forte. Tout prouve que le statu quo est de mise : la règle de l’unanimité est maintenue, les contributions nationales sont inchangées, les protocoles d’adhésion prévoyant l’exclusion de Mayotte demeurent en vigueur. Il est temps que l’État réagisse. C’est pourquoi notre groupe soutiendra la position de la rapporteure et appelle tous les députés ici présents à voter contre ce texte.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Merci pour votre soutien et pour le message clair que vous envoyez ainsi à Mayotte. J’espère que votre appel sera entendu.

M. Nicolas Metzdorf (RE). Nous sommes réunis ce matin pour examiner le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien. Comme le souligne la rapporteure dans son rapport, dans la région, le contexte géopolitique est marqué par des rapports de force et des stratégies d’influence, qui se traduisent par la présence active de grandes puissances telles que la Chine, la Russie ou les États-Unis.

De plus, la souveraineté de la France sur Mayotte fait l’objet de contestations, voire de provocations, comme l’illustre la position comorienne. Le constat dressé par la rapporteure est sans équivoque. Nous regrettons le statut actuel de Mayotte relativement à la COI. Il est clair que Mayotte répond aux critères d’adhésion, à savoir l’insularité et l’appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l’océan indien. Il s’agit en outre d’une question d’égalité entre les deux départements français de la région. Dès lors, l’intégration de Mayotte dans son environnement régional doit être la priorité de la France. Sur ce point, la position de notre groupe est très claire.

Néanmoins, rejeter l’accord de Victoria révisé aurait des conséquences négatives sur les intérêts de la France dans la zone. La COI constitue un levier politique important dans la coopération bilatérale, qui permet de resserrer les liens avec les États membres. De plus, sa participation financière majoritaire au financement de la COI permet à la France de défendre ses intérêts au sein de cette organisation importante et, ce faisant, son influence dans une région stratégique. Le refus de la ratification de l’accord ne porterait pas seulement un coup à une réforme profonde et salutaire de la COI, elle risquerait aussi de marginaliser la France dans la région. Il est de notre intérêt de nous saisir du cadre de dialogue multilatéral, auquel nous croyons fermement, afin de rendre la coopération des États insulaires de l’axe indo‑pacifique pleinement effective. C’est pourquoi nous voterons en faveur du projet de loi.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je regrette la position de la majorité, ainsi que les mots que vous avez employés. Je rappelle que Mayotte, c’est la France ; donc ne pas défendre les intérêts de Mayotte revient à ne pas défendre les intérêts de la France. Vous dites qu’en refusant de ratifier l’accord, la France agirait contre ses propres intérêts. Or, aux termes de celui-ci, Mayotte est exclue de la COI. Ne capitulons pas sur ce point. Il convient de défendre les intérêts de toute la France, et non seulement d’une partie.

M. Alexis Jolly (RN). La France étant le premier contributeur au budget de la COI, nous avons notre mot à dire sur le fonctionnement et les perspectives d’évolution de cette organisation régionale. La pauvreté de ses résultats, les lacunes de son organisation et l’indigence des projets mis en œuvre sont la marque d’ambitions insuffisantes au regard des enjeux géopolitiques de l’océan indien. Mais la principale difficulté réside, selon nous, dans le fait que l’organisation refuse d’intégrer le département français de Mayotte. La France finance donc une organisation qui conteste, par l’intermédiaire des Comores, la souveraineté française sur une partie de son territoire. Les Comores organisent d’ailleurs une immigration de peuplement massive pour appuyer leurs prétentions. La France est ainsi la principale nation contributrice d’une organisation dont des membres défendent une position ouvertement antifrançaise et fomentent des troubles sur le territoire national. Dans ces conditions, vu l’absence de résultats, l’immobilisme de l’institution et sa ligne politique contraire à nos intérêts, pourquoi continuons-nous à la financer ?

Si nous sommes favorables, sur le principe, à une union des pays francophones de l’océan indien, celle-ci doit avoir pour vocation de défendre les intérêts français, non d’aller à leur encontre. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet état de fait : il y va de l’influence de la France dans cette région du monde, d’autant que celle-ci se heurte aux volontés expansionnistes de la Chine, dont une grande partie des exportations passe par l’océan indien. Nous voterons donc contre le projet de loi et demandons des évolutions afin qu’émerge un véritable pôle d’influence française dans la région.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je vous remercie pour ce soutien. Il importe en effet de souligner l’existence de rivalités dans la région. Alors que le président de la République doit recevoir aujourd’hui le président comorien à l’Élysée à déjeuner, il serait opportun que notre commission envoie simultanément un message clair, ce qui permettra à Mayotte de bénéficier d’un bel alignement de planètes.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). La France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) après les États-Unis ; 93 % de cette ZEE est liée, directement ou indirectement, à notre présence dans l’océan indien. Levons d’emblée toute hypocrisie : comme l’indique un article de la revue Conflits, nos intérêts ou, pour être exact, les intérêts des actionnaires des entreprises françaises, y sont d’abord économiques. En effet, l’océan indien contient l’un des sous-sols les plus riches de la planète. Il renferme près de 55 % des réserves mondiales de pétrole, 60 % de celles d’uranium, 80 % de celles de diamants, 40 % de celles de gaz et 40 % de celles d’or, sans compter les réserves halieutiques. On comprend aisément que la région attire les convoitises – évidemment sous le couvert d’intentions vertueuses. Certes, vertu et intérêts ne sont pas toujours incompatibles et nous pouvons admettre que l’accord de Victoria, en visant à apporter plus de stabilité, de coopération et de développement à la région, cherchait à concilier ces deux objectifs. Toutefois, les peuples de la région sont loin d’y avoir trouvé leur compte. Et si la diversité des situations des États membres de la COI ne facilite pas l’émergence d’une ambition commune, il n’est pas certain qu’une telle intention politique ait jamais existé. D’ailleurs, l’adhésion de Mayotte n’a pas été concrétisée.

S’agit-il d’agir avec et dans l’intérêt des populations locales ou de se partager les ressources de la région ? Soyons sérieux ! La Chine, le Japon, l’Union européenne et même l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte sont membres observateurs de la COI, mais pas l’Afrique du Sud, la Tanzanie ou le Mozambique. Malgré l’immense richesse halieutique de la zone, 97 % des captures sont le fait de pays non-riverains. Pendant ce temps, la faim et la misère poussent des milliers de Comoriens à fuir leur pays au péril de leur vie, notamment vers Mayotte. On se souvient d’ailleurs que le président Macron avait cru bon de plaisanter sur ces morts, qui devraient pourtant faire honte à tous les décideurs politiques de la région, à commencer par ceux de notre pays.

En 2006, l’ancien secrétaire général de la COI, Wilfrid Bertile, regrettait que celle-ci ne soit pas devenue une véritable organisation d’intégration régionale en s’appuyant sur des problématiques communes, par exemple celles de petits États insulaires en développement, et qu’elle n’ait pas contribué à densifier la coopération au sein de l’espace swahili. La révision proposée va-t-elle dans ce sens ? Nous ne le pensons pas.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. En définitive, quelle sera la position du groupe sur le projet de loi ?

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous nous abstiendrons.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je trouve que votre analyse de la situation est juste. En revanche, je suis un peu froissée par les propos que vous avez tenus sur les Comores. Je pense que les premiers responsables des risques que prennent les ressortissants comoriens en traversant le bras de mer, ce sont les autorités comoriennes, et non la France. Les Comores sont un État souverain. Le délabrement de cet État, la corruption qui y règne, l’effondrement économique qu’il subit sont d’abord le fait des autorités comoriennes et des responsables politiques comoriens. Même si l’on peut s’interroger sur le soutien que Paris apporte à un régime qui œuvre contre sa propre population, la responsabilité première de la situation revient au gouvernement comorien et je ne pense pas qu’il soit de notre rôle de nous ingérer ainsi dans les affaires comoriennes.

M. Bruno Fuchs (DEM). Merci, madame la rapporteure, pour l’excellence de votre présentation et pour votre clairvoyance.

Vous l’avez dit, l’accord révisé du 6 mars 2020 définit quatorze champs d’action. Les enjeux relatifs à la protection de la biodiversité et des ressources et à la régulation maritime et côtière sont immenses dans cette zone particulièrement vulnérable de ce point de vue. Les enjeux sont également importants en matière de sécurité, du fait notamment des menaces que fait peser la piraterie ; nous ne pouvons que nous féliciter que la COI comprenne une unité antipiraterie. La zone de l’océan indien est aussi liée à la francophonie et je voudrais saluer à ce titre les accords conclus par la COI avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et avec l’Agence universitaire de la francophonie. Bref, le président de la République l’a souligné, la zone indo-pacifique est une priorité pour l’action extérieure de la France et pour celle de l’Union européenne.

La révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la COI participe du renforcement nécessaire du multilatéralisme et de la coopération et s’inscrit dans l’ambitieuse stratégie d’influence de la France dans la zone indo-pacifique. L’évolution proposée est donc, selon nous, positive.

Cet accord révisé comporte toutefois un point faible, et même inadmissible : il s’agit de la non-intégration de Mayotte dans l’organisation. Ce qui pouvait être imaginable, voire acceptable à l’origine de la COI – à l’époque, Mayotte n’était pas un département français – ne l’est plus. Comment la France peut-elle accepter la mise à l’écart de l’un de ses départements ? Le droit à la différenciation n’est pas le droit à l’exclusion.

Toutefois, contrairement à la rapporteure, nous considérons que le meilleur moyen d’obtenir l’intégration de Mayotte n’est pas de provoquer une crise risquant d’aboutir au blocage d’un dispositif qui profite – même si ce n’est que faiblement – à tous les pays de la zone, Mayotte incluse. Notre groupe propose donc de voter pour un accord étendu à quatorze champs d’action, à condition, Monsieur le président, que notre commission adresse au Gouvernement, sous la forme qu’il vous siéra, une injonction à utiliser les voies et moyens nécessaires pour que Mayotte soit intégrée dans les plus brefs délais à la COI.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je déplore cette prise de position et me dois de corriger votre propos. Dans son rapport d’activité, la COI indique les retombées pays par pays. Mayotte n’en bénéficie d’aucune – c’est écrit noir sur blanc. De fait, nous sommes officiellement exclus de tous les programmes de la COI. La France, qui verse 40 % des contributions, perçoit un peu plus de 833 000 euros, tandis que les Comores, qui contribuent à la COI à hauteur de 6 %, reçoivent plus de 1 471 000 euros. Il serait bon de faire preuve d’un peu de cohérence…

En outre, l’approbation de cet accord entérinerait le veto comorien concernant Mayotte, puisque la règle de l’unanimité pour toute nouvelle adhésion y est inscrite noir sur blanc, alors qu’il ne s’agissait auparavant que d’un usage. Si l’accord est ratifié en l’état, jamais Mayotte ne fera partie de la COI, alors que, comme vous venez de l’expliquer, le canal du Mozambique recèle des terres rares, des ressources halieutiques, du pétrole et du gaz. La COI existe depuis 1986 ; nous sommes en 2022 : il ne me semble pas absurde de penser que le temps des pourparlers est révolu. Nous avons suffisamment fait preuve de patience.

M. Guillaume Garot (SOC). Je crois que tout le monde convient ici qu’il était plus que temps de réviser l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien, organisation dans laquelle la France occupe une place importante de par son poids géographique et de par son engagement diplomatique.

L’accord prévoit un élargissement du champ d’action de la COI, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de coopération dans le Sud-Ouest de l’océan indien. Néanmoins, comme l’a souligné madame la rapporteure, le sort réservé à Mayotte soulève des questions qui ne peuvent laisser personne indifférent. Le Sénat, aussi, l’a noté : tout cela laisse un sentiment d’inachevé. C’est pourquoi, en l’état, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Cet accord laisse en effet un sentiment d’inachevé. Je veux réaffirmer ici que nous ne souhaitons pas la fin de la COI. Mayotte estime que la coopération régionale est extrêmement importante et nous ne voyons pas de perspectives de développement sans nos voisins. Cependant, nous souhaitons qu’ils respectent notre volonté de rester Français. Il n’est pas possible de coopérer sans une reconnaissance pleine et entière de Mayotte. Je vous remercie pour l’abstention de votre groupe, que j’interprète comme un soutien.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). L’intégration des territoires d’outre-mer dans leurs environnements régionaux est pour eux un levier majeur de développement et d’accès à une égalité réelle avec la métropole. C’est pourquoi il est nécessaire de valoriser la coopération dans l’océan indien pour La Réunion et pour Mayotte.

Mayotte reste en marge de l’accord du fait de conflits de souveraineté avec les Comores. Néanmoins, les autorités mahoraises peuvent être – quoique cette possibilité reste à concrétiser – associées au cas par cas à des coopérations en matière de santé, d’économie et de tourisme.

Plus largement, la participation de la France à la COI se justifie par sa stratégie pour l’Indopacifique, telle qu’elle a été confirmée dans la revue nationale stratégique publiée en novembre 2022. Elle est un exemple de coopération multilatérale sur des sujets majeurs comme le changement climatique, l’économie bleue ou la sécurité alimentaire et maritime. Son bilan doit être salué. De nombreux projets de coopération ont été financés grâce à l’apport de l’Agence française de développement et de partenaires institutionnels comme l’Union européenne : citons Écofish, pour la promotion de la pêche durable, les initiatives visant à favoriser l’entrepreneuriat des femmes, les projets Hydromet et Exploi pour l’environnement et le climat, ou encore le projet de câble numérique régional entre Maurice, La Réunion, Madagascar et l’Afrique du Sud. Autant de raisons pour lesquelles le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de l’approbation de cet accord, en espérant toutefois une issue favorable à la demande d’intégration de Mayotte.

Madame la rapporteure, vous critiquez les réalisations de la COI, en attribuant les succès des initiatives auxquelles elle contribue à d’autres acteurs, notamment à l’Union européenne, mais ne pensez-vous pas qu’elle sert de plateforme et d’intermédiaire bénéfique pour les différents États de la région ?

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Non, je ne pense pas que la COI facilite quoi que ce soit. Dans l’océan indien, que les projets soient mis en œuvre par l’Agence française de développement, par l’Union européenne ou par la Banque mondiale, c’est toujours la France qui pilote. Ce sont simplement les étiquettes qui changent.

C’est d’ailleurs ce qui soulève des interrogations concernant le fonctionnement de la COI. À quoi sert l’argent dépensé ? Pourquoi a-t-on besoin de 80 personnes à Maurice pour travailler sur des projets qui sont en réalité lancés et pilotés par d’autres ?

Le projet d’accord n’aborde pas ces questions et, lors des auditions, la COI n’avait aucune réponse à y apporter. Ce qui se passe au sein de l’organisation soulève dans la région des interrogations à mon avis légitimes. Les problèmes liés à la gestion financière et aux acrobaties comptables sont tout de même graves : ce sont des centaines de milliers d’euros qui se sont évaporés. L’Union européenne a d’ailleurs engagé des poursuites judiciaires. Les explications qui m’ont été fournies lors des auditions sont assez farfelues : on m’a dit que des tickets de taxi, pour une valeur de 577 000 euros, n’avaient pas été retrouvés ! Or il s’agit, je le rappelle, de l’argent du contribuable.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Je tiens à remercier Estelle Youssouffa pour son travail. Je la sais passionnément attachée à son territoire, l’archipel de Mayotte, dont les habitants sont abandonnés par la République depuis bien trop longtemps. Manque d’infrastructures, insalubrité, problèmes de sécurité : il est temps que les pouvoirs publics se réveillent et ouvrent les yeux sur la situation dans laquelle ce département français se trouve. Imagine-t-on un seul instant les Yvelines, par exemple, être le théâtre d’affrontements quotidiens dans un contexte où près de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un seul centre de santé en activité, faisant de ce territoire le plus grand désert médical de France ? Il est impensable que la France soit capable de renier à ce point une partie de sa population, laissant ce territoire mourir dans l’indifférence générale. C’est une honte.

L’examen de ses résultats concrets montre que, malgré quelques actions, la COI est une coquille vide, qui emploie pourtant 80 personnes. Avec une contribution représentant 40 % du budget, la France est sa principale pourvoyeuse de fonds. Certes, on me répondra qu’on propose de redonner à cette structure des moyens d’action et d’étendre son champ de compétence, notamment en intégrant un domaine essentiel, celui de la lutte contre le changement climatique. Hausse des températures, événements météorologiques extrêmes, montée des eaux : en la matière, les outre-mer sont en première ligne. Les conséquences du changement climatique pour les populations et les écosystèmes locaux y sont d’ores et déjà observables et risquent de s’aggraver encore. Investir pour organiser la résilience de ces territoires est de ce fait une urgence absolue. Pourtant, malgré les scandales liés aux détournements de fonds publics qui ont marqué l’histoire récente de la COI et le bilan des dernières années, personne n’a jugé opportun de s’interroger sur l’efficacité réelle de cet organisme censé devenir un bras armé de la lutte climatique.

Mais le plus grave n’est pas là. La France n’a adhéré à la COI qu’au titre de l’île de La Réunion, excluant donc Mayotte, sur laquelle la souveraineté française est contestée. Le portefeuille de projets appelés à être gérés par la COI durant les prochaines années atteint un montant de 500 millions d’euros. Ce territoire, qui se trouve pourtant au cœur de la zone concernée, est totalement délaissé. Faut-il comprendre qu’en dépit des discours du président de la République, Mayotte n’a aucune importance à ses yeux et qu’à l’abandon s’ajoute le rejet ?

Nous sommes extrêmement réservés sur ce texte. Si le statu quo est à éviter, le territoire de Mayotte doit impérativement être intégré à la COI. Le groupe Écologiste s’abstiendra donc lors du vote.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Il est vrai qu’à Mayotte, le dérèglement climatique est déjà une réalité. Mayotte apparaît d’ailleurs dans le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme l’un des points chauds de la biodiversité. À celles et ceux qui n’ont pas la chance de connaître ce qui est objectivement le plus beau département de France, j’indique que Mayotte et son lagon regorgent d’espèces endémiques, qu’elle possède une forêt primaire et que son écosystème est extrêmement riche mais vulnérable. Nous observons d’ores et déjà un dérèglement des saisons et du climat. Mayotte est menacée par la montée des eaux. Sachant que 90 % de la population vit sur le littoral, la question climatique est pour nous littéralement vitale. En moins d’une décennie, nous avons perdu plusieurs centimètres face à la mer et un volcan est en train d’apparaître dans notre lagon. Les travaux de la COI et de toute autre organisation régionale qui se pencherait sur la question climatique bénéficieraient donc grandement à mon département.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je tiens à remercier madame la rapporteure pour son exposé extrêmement clair et pour les explications détaillées qui l’ont suivi. Elle m’a convaincue et je suivrai sa recommandation. La non-intégration de Mayotte dans la COI me paraît inadmissible. Je ne comprends pas que la France continue de faire droit aux exigences et au veto comorien sur le sujet. Un rejet par notre commission de ce projet de loi serait un signal fort adressé au Gouvernement et au chef de l’État en ce jour de visite officielle du chef de l’État comorien à l’Élysée.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Merci infiniment pour ce soutien. J’espère moi aussi que la commission enverra un message clair au président Azali Assoumani, actuellement en visite en France.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Au terme de ce débat très intéressant et important, je ferai quelques observations.

La première porte sur le décalage entre la nature juridique et la nature politique du sujet qui nous est soumis. Quoi que l’on pense de la situation de Mayotte au sein de la République française, on ne nous demande pas de voter pour ou contre la Commission de l’océan indien. Cette organisation existe et son bilan – décevant – a été présenté, de manière d’ailleurs très argumentée, par madame la rapporteure. Ce qui nous est proposé, c’est une révision de l’accord de Victoria. Par conséquent, du point de vue juridique, nous sommes appelés à nous prononcer pour ou contre la réforme de la COI, et non pour ou contre son existence. Cela me fait penser à la célèbre réplique de Lord Salisbury, Premier ministre, à la reine Victoria, qui lui demandait des réformes : « Les choses vont déjà assez mal comme ça, vous ne voulez pas en plus les changer ! »

Cela n’empêche pour autant personne de donner une signification politique au scrutin, par exemple en votant contre par principe, pour dénoncer le fait que la COI n’intègre pas Mayotte en son sein. Je crois que, quelle que soit l’intention de vote qu’ils ont exprimée, tous les groupes ont estimé qu’il n’était pas admissible que Mayotte dispose d’un statut diminué, et même qu’elle ne soit pas pleinement reconnue comme un acteur à part entière de la COI. J’approuve la proposition de monsieur Fuchs et, si vous en êtes d’accord, je suis prêt, dans le cas où vous décideriez d’adopter le projet de loi, à exprimer la profonde préoccupation, voire l’inquiétude de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à l’idée que la COI continue d’être un organisme qui ne reconnaît pas pleinement les frontières de la République française, telles qu’elles sont établies. Dans ce cas, l’idée serait qu’il vaut mieux être dedans que dehors et que les absents ont toujours tort.

Quoi qu’il en soit, quelle que soit l’issue du vote, le texte sera examiné en séance publique. Je pense que la question mérite débat et qu’il appartient aux groupes d’en demander un.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Par souci de clarté, je voudrais rappeler que Mayotte ne dispose pas d’un statut diminué et n’est pas en partie reconnue par la COI : elle en est exclue.

Ensuite, la portée juridique de ce texte est importante, puisque l’accord qui est soumis à ratification comporte un double verrou destiné à faire obstacle à l’intégration de Mayotte dans la COI : l’article 17 maintient en vigueur les dispositions du protocole de 1986 aux termes duquel la France n’adhère à la COI qu’au titre de La Réunion ; l’article 5 affirme expressément que toute décision est prise à l’unanimité des États membres. Plus grave encore, la possibilité d’adhésion à la COI de toute « entité » de la région, qui aurait pu s’appliquer à Mayotte, a disparu du nouvel accord. En pratique, l’accord est donc rédigé pour faire obstacle à une éventuelle intégration de Mayotte.

Vu que la COI existe depuis 1984, nous avons largement dépassé le stade de l’inquiétude, Monsieur le président. Ce qu’attend Mayotte, ce n’est pas une manifestation d’inquiétude, c’est qu’on envoie un message clair au Gouvernement, car malgré l’engagement pris en février 2000, à aucun moment les diplomates du Quai d’Orsay n’ont soulevé le problème et demandé l’intégration de Mayotte.

La diplomatie n’est pas mon fort. Je suis comme Saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. En l’espèce, je réitère la demande des Mahorais que l’Assemblée nationale prenne clairement position en faveur du respect des frontières de la France, qui compte Mayotte en son sein depuis 1841.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le principal défaut de cet accord est en effet de pérenniser une situation dont vous avez raison de constater qu’elle existe depuis suffisamment de temps pour qu’il y ait lieu de considérer que nous sommes au-delà de l’inquiétude.

M. Bruno Fuchs. Je réitère mes félicitations à la rapporteure pour sa détermination et sa défense talentueuse de son territoire et de la France. Je dois dire qu’en tant qu’alsacien, je suis assez admiratif. Je pense que nous avons aujourd’hui assisté à la prise de conscience unanime que la COI ne pouvait continuer à fonctionner sans Mayotte.

La question est donc de savoir comment s’y prendre pour que Mayotte soit intégrée à l’organisation. Ma conviction est que si nous n’adoptons pas ce texte, nous allons bloquer toute possibilité d’accord et que ce sera la fin annoncée de la COI. D’où ma proposition de demander, par la voix du président de la commission, au Gouvernement ce qu’il compte faire. Nous sommes les premiers contributeurs : ne disposons-nous pas de quelques moyens pour appuyer notre demande ? Peut-être devrions-nous surseoir au vote dans l’attente de la réponse du Gouvernement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est malheureusement impossible car nous sommes tenus par les délais et l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 25 janvier prochain.

Nous allons donc passer au vote. Dans le cas où celui-ci serait favorable, je réitère ma proposition de préparer une lettre au Gouvernement, que je soumettrai au bureau de la commission – où l’ensemble des groupes sont représentés – avant le débat en séance publique.

Si vous vous exprimez contre le projet de loi, un vote aura quand même lieu dans l’hémicycle sur la base du texte qui a été déposé par le Gouvernement ; si l’Assemblée réunie en séance plénière le rejette à son tour, une commission mixte paritaire sera convoquée, le Sénat ayant pour sa part adopté le projet de loi. Personnellement, je ne prendrai pas part au vote en commission.

 

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Article unique (approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

La séance est levée à 11 h 00

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, Mme Véronique Besse, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, M. Tematai Le Gayic, M. Vincent Ledoux, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Bertrand Pancher, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski

 

Excusés. - M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, M. Meyer Habib, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth

 

Assistaient également à la réunion. - M. Mickaël Bouloux, M. Christophe Naegelen