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Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

–  Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur les articles 1er à 10 du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (M. Christophe Plassard, rapporteur)              2

  présences en réunion...........................19

 

 


Mercredi
26 avril 2023

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 63

session ordinaire de 2022-2023

 

 

Présidence de

 

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


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La commission entend M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur les articles 1er à 10 du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (M. Christophe Plassard, rapporteur).

M. le président Éric Coquerel. La commission des finances est saisie pour avis des articles 1er à 10 du projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Nous avons entendu il y a quelques semaines M. Pierre Moscovici au sujet de l’avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) relatif à ce projet de loi. Le texte prévoit une hausse annuelle des dépenses de la mission Défense, mais les marches sont inégales, et moins ambitieuses dans la première partie de la programmation que dans la seconde. En outre, le Haut Conseil a relevé que des incertitudes pèsent sur le financement de cet effort, qui doit être en partie assuré par des ressources extrabudgétaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Permettez-moi d’abord une pensée particulière pour nos soldats, à la suite des opérations de mise en protection et d’évacuation qui se sont déroulées depuis le Soudan ce week-end et ne concernent pas seulement nos ressortissants et diplomates – nous avons fait preuve de solidarité européenne. Le militaire blessé lors de cette opération va mieux.

M. le président Éric Coquerel. Nous partageons évidemment cette pensée.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Au delà de la matière budgétaire, c’est justement du format d’une armée d’emploi qu’il s’agit, avec son histoire, sa doctrine et les risques que prennent nos soldats pour assurer notre sécurité.

Les lois de programme, qui existent depuis longtemps, ont été réhabilitées dans notre Constitution ; dans ce cadre, la première loi de programme militaire fut adoptée dès 1960, du temps du « gaullisme militaire ». La dissuasion nucléaire nécessitait une vision pluriannuelle à des fins de visibilité et de sécurité. Les décisions prises par Pierre Messmer au début des années 1960 prenaient effet dans le temps.

Jusqu’aux années 1990, les lois de programme ont été marquées par la montée en puissance de la dissuasion et, surtout, par l’environnement sécuritaire propre à la Guerre froide. Le modèle d’armée était essentiellement conçu pour dissuader, mais nos forces ont aussi été engagées sur de nombreux théâtres, notamment, mais pas seulement, en Afrique.

Dans les années 1990, avec la dissolution du pacte de Varsovie, un nouvel environnement sécuritaire se crée et l’on tire les conclusions rationnelles de la fin de la Guerre froide en reprenant les essais nucléaires, en suspendant le service national ou en démantelant les installations du plateau d’Albion. D’autres priorités déterminent désormais l’organisation de notre appareil de défense : les Balkans, puis l’avènement du terrorisme militarisé, avec le grand virage du 11 septembre 2001.

Les lois de programmation militaire reflètent cette réorganisation, jusqu’au moment où nous sommes allés trop loin : croyant pouvoir toucher les dividendes de la paix, nous avons mis en tension notre appareil militaire au point d’abîmer certaines de ses composantes.

Un sursaut s’est produit en 2015, au moment des attentats, puis en 2017 : le Président de la République a été élu sur la base d’une feuille de route prévoyant l’augmentation des moyens budgétaires destinés à nos armées, à des fins de réparation. La loi de programmation qui se termine correspondait à cet objectif, ainsi qu’à l’opération Barkhane qui a pris le relais de Serval au Sahel.

Avec le temps, la programmation a tourné à la fixation des moyens ; pourtant, l’exercice nécessite depuis toujours de la souplesse.

Les moyens ont parfois été déterminés dans le dos du Parlement, y compris dans les années gaulliennes : l’avènement du nucléaire tactique et le programme Pluton ne figuraient pas dans la loi de programme. Je m’engage à revenir plus souvent devant le Parlement pour mettre à jour la programmation militaire pluriannuelle. Cela nous renvoie au PLF (projet de loi de finances), car c’est bien ce texte qui ouvre les crédits de paiement et accorde les autorisations d’engagement.

La souplesse est aussi une nécessité politico-militaire. La rigidité nous a parfois rendus scolaires : au motif que les drones ou le cyber ne figuraient pas dans la programmation, nous avons pris du retard dans ces domaines faute d’avoir su revenir devant la représentation nationale pour une mise à jour.

Le contexte actuel, particulièrement le retour d’expérience (Retex) de la guerre en Ukraine, va inéluctablement influencer la programmation, mais aussi amener des mises à jour plus rapides que jadis : par rapport aux années 1990 et même à l’époque de la Guerre froide, les menaces se cumulent.

Les aléas, qui ont toujours existé, peuvent être intégrés dans les programmes sous la forme de marges frictionnelles. Nous les traduisons en termes lisibles du point de vue budgétaire, mais ils sont aussi d’ordre politico-militaire.

Si la programmation ne saurait être une fixation, c’est parce que le Parlement reste souverain en matière budgétaire, et c’est le drame – je porte là un jugement politique – des années où les crédits ouverts ont été inférieurs à ce que prévoyaient les programmes, où les lois de programmation ont été sous-exécutées. La programmation que Florence Parly a défendue lors de la précédente législature était pensée pour être exécutée à l’euro près, et l’a été. Elle a même été sur-exécutée en raison du besoin d’aide militaire résultant de la guerre en Ukraine, que personne n’aurait pu prévoir. Alors que 197,8 milliards d’euros de ressources étaient prévus pour la période 2019-2023, les crédits ouverts atteignent déjà 198,8 milliards, et je vous demanderai 1,5 milliard de plus dans le cadre d’un collectif budgétaire pour permettre le réassort des stocks de munitions – pour les obus de 155 millimètres – et de missiles antichar, et pour accélérer le déploiement de nos dispositifs de protection, notamment de lutte antidrones, en lien avec l’approche des Jeux olympiques et paralympiques. Évidemment, la sur-exécution doit rester compatible avec les finances publiques.

L’exécution de la LPM 2019-2025 à l’euro près vaut aussi pour les dépenses, mais moyennant une inertie importante entre le moment où les travaux sont décidés et celui où ils ont lieu, donc où les crédits de paiement sont débloqués. Autrement dit, les effets de cette LPM commencent seulement à se voir. Par exemple, c’est maintenant qu’il y a des grues dans la base aérienne d’Évreux. Les restes à payer, les grands programmes à effet majeur, les reports traduisent ce phénomène.

L’exécution de la LPM actuelle souffre d’une fragilité que l’on retrouve dans toutes les démocraties occidentales : la fidélisation. La cible demeure de 275 000 ETP (équivalents temps plein), mais les postes que recouvre ce total sont appelés à beaucoup évoluer. Le combat cyber, les guerres électroniques vont modifier le champ de bataille : on aura encore un peu besoin de régiments d’infanterie classiques, mais le métier va se réorienter. La dissuasion nucléaire avait eu un grand effet sur le pyramidage des armées de l’air et de la marine, dont elle avait fait une grande armée de sous-officiers ; l’avènement du combat cyber va produire un re-pyramidage de l’armée de terre et l’apport de sous-officiers qualifiés.

J’en viens au projet de LPM 2024-2030. La somme – 413,3 milliards d’euros, dont 400 de ressources budgétaires – est historique, parce qu’elle est à la hauteur des enjeux. Si on ne parle pas des missions, on ne peut pas comprendre ce budget ni l’effort demandé à la Nation.

Une voûte protège nos intérêts vitaux ; elle n’est plus toujours consensuelle, mais je la défends : la dissuasion nucléaire. Or elle coûte cher, aujourd’hui et pour l’avenir. La dissuasion actuelle repose sur des crédits budgétés et engagés il y a dix à vingt ans. De même, je vais demander au Parlement de se prononcer sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération, sur les vecteurs et missiles des années 2040 et sur la modernisation des forces aériennes stratégiques, qui pose aussi la question du successeur du Rafale : l’effet des autorisations d’engagement et des crédits de paiement qui vont être décidés se fera sentir dans les dix à vingt prochaines années. C’est le paquet de la dissuasion, où la voûte nucléaire est tenue par une armée conventionnelle.

Celle-ci voit aussi ses missions évoluer. Elle a une culture expéditionnaire ; les « Resevac » (évacuations de ressortissants) font partie de ses missions. Mais des menaces spécifiques peuvent aussi peser sur nos outre-mers compte tenu de leur environnement régional. L’impact du réchauffement climatique sur ces territoires est très fort : phénomènes migratoires nouveaux, enjeux de sécurité maritime, pressions sur les réserves halieutiques, notamment dans le Pacifique. Ces menaces conventionnelles nouvelles touchent à nos intérêts, dont la protection relève de l’armée même s’il ne s’agit pas de nos intérêts vitaux. Les dénis d’accès aux routes maritimes se multiplient – Ormouz, Suez, Bab el-Mandeb – alors que ces routes nous permettent d’importer des hydrocarbures et d’exporter des matières premières agricoles. Cela concerne notre marine nationale et notre groupe aéronaval, ce qui pose la question du futur porte-avions.

Nos armées doivent poursuivre de grandes missions, dont certaines sont gourmandes en raison de sauts technologiques – intelligence artificielle, quantique militaire. De plus, de nouveaux espaces se militarisent : le spatial, les fonds sous-marins, le cyber. Est-ce que la France doit y être ? Si oui, est-ce seule, de manière souveraine, ou avec d’autres ? Quel est notre cœur de souveraineté en la matière ? Telles sont les questions que je poserai à la représentation nationale. Et si les gaullistes, dans les années 1960, avaient décidé que l’atome militaire n’était pas pour la France ? C’est, comme à l’époque, une affaire de rang. Or, dans ce domaine, les choses ne se feront pas en cinq ans, mais en dix, quinze ou vingt ans. Les cyberattaques massives de nos hôpitaux sont révélatrices de notre environnement sécuritaire. Comment notre système de sécurité peut-il les traiter, qu’elles proviennent d’un État, d’un groupe armé terroriste ou de criminels pratiquant le chantage financier ?

Ainsi, la LPM présente des continuités sous certains aspects, des ruptures sous d’autres, ce qui produit des effets en matière industrielle et de ressources humaines, dans le cadre d’un modèle global de souveraineté où la base industrielle et technologique de défense (BITD) est souveraine. Cela aussi, nous le devons aux gaullistes des années 1960 : nous n’achetons pas nos armes à Pékin, Moscou ou Washington – selon les goûts de chacun –, mais à Paris. En matière de dissuasion nucléaire, notre souveraineté est totale.

C’est la première fois que l’on fait apparaître le différentiel entre le besoin de dépenses militaires – 413,3 milliards d’euros – et les ressources budgétaires – 400 milliards. L’écart a toujours existé, mais il n’apparaissait pas : il n’y avait qu’une seule ligne. Compte tenu des montants, nous considérons qu’il nous faut être transparents à ce sujet. Dans les 13,3 milliards, il y a 7,1 milliards de recettes extrabudgétaires propres au ministère des armées – non plus tant la vente des « bijoux de famille » immobiliers, comme dans les précédentes décennies, que les tarifications à l’acte du service de santé des armées (SSA) du fait de son ouverture sur le civil. La question de l’aide à l’Ukraine doit faire l’objet d’un effort particulier de transparence pour dissocier ce qui relève du format des armées françaises, objet de la LPM, et ce qui correspond au soutien à ce pays ; je vais y revenir.

Quant aux marches, le budget annuel des armées était de 32 milliards d’euros en 2017, il sera de 56 milliards en 2027 et de 69 milliards en 2030. Les deux tiers du chemin auront été faits pendant les deux quinquennats d’Emmanuel Macron. La cible était à peu près la même dans les programmes des différents candidats à l’élection présidentielle de 2022. Les marches sont conformes à la trajectoire des finances publiques. Selon certaines familles politiques, elles devraient être plus élevées, mais nos programmes à effet majeur sont très lourds : des marches à 4 milliards au lieu de 3 ne procureraient pas plus vite un SNLE de troisième génération ou un nouveau porte-avions.

Dans une LPM, est-ce la capacité budgétaire qui détermine les capacités physiques ou l’objectif physique, militaire, qui entraîne le budgétaire ? Depuis les années 1960, il y a eu plusieurs générations de lois de programme dont certaines correspondaient à la seconde option : certes, on ne faisait pas n’importe quoi en matière budgétaire, mais le Parlement votait sur les orientations militaires, qui primaient, et certains sujets étaient renvoyés en loi de finances. C’était révélateur de la conception politique de la loi de programme au sens de la Constitution, par différence avec celles de la IVe République, beaucoup plus rigides. Dans d’autres cas – surtout, hélas, pour réduire les moyens de nos armées –, le budgétaire a primé sur le militaire.

Les 413 milliards sont exprimés en euros courants. L’inflation fait beaucoup parler d’elle, mais mon ministère est celui qui en est le plus protégé, grâce aux mécanismes qui ont été instaurés par le législateur, comme les provisions pour Opex (opérations extérieures) ou pour financer le carburant opérationnel. Quant aux reports de charges, ils ont toujours existé dans les LPM et sont d’autant plus élevés que l’on engage et que l’on investit. En outre, si, comme moi, on fait primer les missions sur le budget – je dois répondre de la solidité du modèle d’armée devant les représentants de la Nation –, on redemande des crédits en cours de gestion ; j’en ai parlé à propos de la lutte antidrones et de la défense sol-air. En tout cas, je vous certifie qu’en 2022 et 2023, aucun retard de programme n’est lié à l’inflation. Sur les 413 milliards, l’inflation estimée correspond à 30 milliards d’euros, mais mon ministère, contrairement à d’autres, a beaucoup de moyens de la gérer.

L’aide à l’Ukraine est un sujet essentiel, politiquement plus sensible que l’inflation. Dans la mesure où la LPM a trait au format de nos armées, on ne doit pas y piocher pour aider l’Ukraine. Cela a été arbitré par la Première ministre. Dans ce contexte, trois types de matériel sont en jeu, qui appellent un traitement budgétaire différent. D’abord, du matériel ancien que nous avons donné à l’Ukraine et que nous n’aurions pas remplacé, comme le canon TRF1 : l’honnêteté commande de ne produire aucune facture et de ne demander aucun « recomplètement », puisque ce matériel ne fait plus partie du format des armées depuis longtemps. Ensuite, du matériel retiré plus tôt que prévu du format de nos armées, comme le missile sol-air Crotale, que nous prévoyions d’arrêter dans les cinq ans : dans la mesure où le format des armées en est affecté – nous allons acheter des VL (vertical launch) Mica à la place des Crotale donnés à l’Ukraine –, une provision de 1,2 milliard d’euros est prévue dans les 13 milliards de financement non budgétaire. Enfin, du matériel neuf que nous n’aurions pas donné sans la guerre en Ukraine, comme le canon Caesar : dans ce cas, nous allons passer par un mécanisme de solidarité interministérielle, en dehors des 413 milliards.

M. le président Éric Coquerel. Vous dites qu’en matière de programmation militaire, les orientations budgétaires devraient découler des objectifs physiques plutôt que l’inverse. Je regrette que l’on ne suive pas la même logique pour le programme de stabilité, en partant des besoins écologiques ou de santé pour en faire découler les orientations en matière de déficit ou de dépenses fiscales.

Je ne remets pas en question l’augmentation du budget de la LPM, mais bien le fait qu’elle s’accompagne d’une baisse des autres dépenses publiques encore plus marquée que prévu – de 1,4 % selon le président du HCFP. L’urgence est pourtant comparable.

Le HCFP a relevé que les prévisions d’inflation retenues pour construire le projet de LPM, similaires à celles qui figuraient dans le projet de loi de programmation des finances publiques, étaient très optimistes. Elles le sont plus encore que les prévisions actualisées du Gouvernement présentées ce jour, lesquelles estiment l’inflation pour 2023 à 4,9 % au lieu de 4,2 %. Dès lors, la provision de 30 milliards d’euros qui figure dans le projet de LPM suffira-t-elle pour faire face aux conséquences de l’inflation ? Les marches ne devraient-elles pas être toutes un peu rehaussées ? Vous nous dites que les budgets pourront être revus le moment venu, mais ne faudrait-il pas anticiper ?

Plus encore que sur la hauteur des marches, je m’interroge sur le fait que les plus hautes doivent être franchies après 2027 : cela rejette sur l’exécutif suivant la responsabilité de l’exécution de ces budgets ; de plus, je crains que le décalage de certaines commandes qui seraient nécessaires dès maintenant n’induise une hausse des coûts unitaires.

La trajectoire de hausse des effectifs semble à première vue satisfaisante, mais elle n’avait pas été tenue dans la précédente LPM, à la différence de celle des crédits. On est bien en deçà de la cible de 272 000 hommes en 2023, qui préparait celle de 275 000 en 2025. Selon la nouvelle trajectoire, le seuil des 272 000 hommes ne serait finalement atteint qu’en 2027 et celui des 275 000 qu’en 2030. Pourquoi cette dérive ? Et pourquoi ne pas retenir une trajectoire de progression future plus ambitieuse, compte tenu des défis qui nous attendent ?

Comment les besoins complémentaires en cours d’exécution – 1,5 milliard d’euros en 2023, avez-vous dit – vont-ils être concrètement satisfaits ? Par le redéploiement de crédits, l’ouverture de nouveaux crédits ? Une loi de finances rectificative ne serait-elle pas nécessaire avant même le collectif de fin de gestion ?

Je ne reviens pas sur le débat relatif à l’étude d’impact de la LPM ni sur la saisine du Conseil constitutionnel, mais, pour tenter de pallier les manques relevés par la Conférence des présidents elle-même, plusieurs demandes de chiffrage vous ont été adressées par Bastien Lachaud et Aurélien Saintoul, membres de la commission de la défense. Elles concernent notamment les 13,3 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires annoncées. Pourront-ils obtenir satisfaction ? Sinon, je m’associerai à leur demande.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je suis évidemment très favorable à cette LPM. Le format de la loi de programmation est particulièrement adapté au domaine de la défense, où nous sommes contraints de raisonner à moyen et long termes.

Je salue l’ambition du texte. Monsieur le président, les marches sont en réalité à peu près équivalentes : une hausse de 3 milliards d’euros en 2023, cela représente une croissance d’environ 7 %, comme une marche de 4,3 milliards en fin de période. Étant donné ce que font nos militaires pour notre pays, que celui-ci s’engage à leurs côtés par ce budget est la moindre des choses.

La Cour des comptes a salué la sincérité de l’exécution 2022 ; on peut faire de même pour celle de la LPM qui se termine, très proche de ce qui avait été prévu.

Je suis en revanche un peu inquiet des restes à payer qui atteignent 91 milliards d’euros en 2022, ce qui me paraît colossal. Je peux comprendre que les programmes soient longs à exécuter, mais les sommes sont gigantesques. Est-ce inhérent aux dépenses militaires ou dû à une accélération ?

Nous votons des lois de programmation sectorielles, mais nous ne votons pas la loi de programmation des finances publiques – donc on ne peut pas dire que nous soyons contraints par ses orientations budgétaires, Monsieur le président. La Première ministre a annoncé ce matin que le projet de LPFP reviendrait à l’Assemblée en juillet ; j’incite nos collègues à voter ce texte, puisqu’il permettra de mesurer la cohérence entre les dépenses par ministère et les dépenses globales : à défaut, nous perdrions en pouvoir de contrôle.

Monsieur le ministre, pourquoi demander 1,5 milliard d’euros en 2023 ?

Enfin, que prévoit la LPM à la lumière de la situation dramatique en Ukraine et compte tenu de l’importance des drones dans la guerre ? Nos forces sont-elles armées face à ce nouveau type de défense ?

M. le président Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur général, le programme de stabilité donne tout de même une vision des contraintes qu’on nous impose.

M. Christophe Plassard (HOR), rapporteur pour avis. Je salue le respect à l’euro près de la loi de programmation militaire en cours, un gage inédit de confiance pour nos armées et pour tout l’écosystème de la défense. Un autre gage de confiance et de stabilité est la conformité du projet de LPM au projet de loi de programmation des finances publiques et aux projections du HCFP.

Quelle évolution de la masse salariale prévoyez-vous ? Pour atteindre l’objectif stratégique de fidélisation, fera-t-on un effort sur l’indiciaire ?

Les 7,4 milliards d’euros de ressources additionnelles reposent, outre l’effort de soutien à l’Ukraine, sur des reports de charges et des marges frictionnelles. L’usage de ces mécanismes est parfaitement normal pour faire face à des imprévus, mais cette estimation effectuée plusieurs années à l’avance est-elle fiable ? En outre, quelle marge de manœuvre ces outils laisseront-ils en cas d’aléa, puisqu’ils sont déjà intégrés dans le financement des besoins programmés ?

Malgré tous les motifs de confiance qui figurent dans le projet, il reste un impondérable : l’élection d’un nouveau Président de la République en 2027. Comment, dès lors, donner de la visibilité aux armées et à l’écosystème de la défense ? Un lissage des marches par l’augmentation des trois premières, non pour absorber l’inflation mais pour faire face à cette situation politique, serait-il envisageable, quitte à rogner sur les éventuelles lois de finances rectificatives ? Cette année encore, 1,5 milliard d’euros supplémentaire seront demandés pour combler le budget.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le président, en tant que garant de la sécurité extérieure, j’assume de partir de la réalité des menaces plutôt que de la courbe budgétaire. C’est exigeant : cela suppose de faire des choix et de regarder notre modèle d’armée en face – il y a des choses qu’on sait faire, d’autres que l’on ne maîtrise pas, et ce dont on est capable aujourd’hui ne sera peut-être plus à notre portée dans dix ans. Au delà des clivages politiques, certains responsables pensent que de vraies menaces peuvent peser sur la Nation française, tandis que d’autres n’osent pas tout à fait y croire ; c’est ce qui détermine les divergences au sujet de la LPM, y compris au sein même de certains groupes, où s’opposent l’appel à l’efficacité militaire et la demande de satisfaction de tel ou tel besoin industriel.

En matière d’inflation, nos critères ne sont pas spécialement optimistes puisque ce sont ceux de Bercy. L’idée est d’anticiper le plus possible. Dans ce domaine, la vraie menace pour les armées concerne le prix du carburant. Or mon ministère a obtenu que le mécanisme de solidarité hors LPM destiné à financer le carburant opérationnel, que le Parlement avait exigé de faire figurer dans la LPM 2019-2025, vous soit de nouveau proposé dans la présente LPM, puisqu’il a fonctionné. Pour le reste, nous avons considéré avec une grande prudence les effets de l’inflation, d’où la somme de 30 milliards d’euros – qui correspond, au fond, à l’écart entre euros courants et euros constants.

Le débat sur les marches est politique. Deux contraintes s’imposent à nous, qui ne sont pas financières, mais militaires.

D’abord, c’est entre 2027 et 2030 que le plus gros des efforts est nécessaire en matière de dissuasion nucléaire, parce que la vie des programmes le veut ainsi. C’est vrai pour le porte-avions de nouvelle génération, pour l’entretien programmé de l’actuel porte-avions, pour le programme SNLE 3G et pour une partie de nos systèmes de missiles. Quel que soit le Président de la République, quel que soit le Parlement, et à moins de vouloir abîmer des éléments fondamentaux, ce besoin de crédits de paiement et d’autorisations d’engagement s’imposera. Vous me direz que l’on pourrait prévoir des marches plus courtes, faire moins de choses entre 2027 et 2030 et tout miser sur la dissuasion ; mais ce n’est pas le choix politico-militaire que nous vous soumettons.

Ensuite, une éventuelle augmentation du niveau des marches pose un problème de soutenabilité des finances publiques. Comme la programmation est exécutée à l’euro près, nous devons faire attention à ce que nous faisons. Jadis, l’affichage pouvait être plus alléchant puisque les budgets étaient sous-exécutés. Si nous procédions à une augmentation brutale des marches, vous seriez amenés à exercer – à juste titre – votre pouvoir de contrôle en nous signalant que nous n’avons pas réussi à consommer tous les crédits, ce qui serait inévitable pour les programmes à effet majeur dont j’ai déjà parlé.

Faut-il craindre un décalage des commandes prévues par rapport à des besoins qui se feraient sentir dès maintenant ? Concernant les grosses urgences, nous ne souhaitons pas attendre ; c’est pourquoi nous vous demandons l’ouverture de 1,5 milliard d’euros de crédits nouveaux, à la lumière du retour d’expérience de l’Ukraine. L’année 2023 est une année de tuilage entre deux LPM. Vous avez voté les cibles capacitaires en 2018 ; la ministre qui m’a précédé les a mises à jour, car des éléments nouveaux sont apparus, par exemple dans le domaine du cyber. À cela se sont ajoutées l’expérience de l’Ukraine – je ne parle pas du « recomplètement » résultant de l’aide à l’Ukraine – et la réflexion sur les dangers qui nous menacent.

Des commentateurs viennent expliquer sur les plateaux de télévision que s’il nous arrivait la même chose qu’à l’Ukraine, nous ne pourrions tenir que quinze jours ; cette hypothèse est une aberration totale : nous sommes une puissance dotée, membre de l’Otan, dont le voisinage n’est pas comparable à celui de l’Ukraine. En revanche, certaines menaces militaires nécessitent que la France se muscle, et vite, sans attendre la programmation à venir. Je parle de certains stocks de munitions, notamment aux fins d’entraînement de nos forces, mais pas seulement – la France est nation-cadre en Roumanie. Je pense aussi à la lutte antidrones, un segment sur lequel nous devons non seulement rattraper notre retard, mais aussi faire un saut technologique, peut-être en abandonnant une génération, afin d’être en avance en 2030 ; il représente 5 milliards d’euros sur 413, ce qui est colossal. La réflexion doit aller du drone qui ressemble à un avion autonome jusqu’au petit essaim de drones consommables. On le voit à la lumière de l’expérience ukrainienne, cela renvoie à la question de la défense antidrones : on ne va pas lancer un missile qui coûte 1 million d’euros contre un drone qui en coûte 15 000. C’est une question de soutenabilité économique.

Nous procédons en marchant, en temps masqué compte tenu de la concomitance des deux programmations, celle qui se termine et celle que je vous propose. En outre, quelques fonctions militaires appellent des dépenses nouvelles, d’autant que l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques nous impose des standards élevés.

J’en viens aux effectifs. Comme les services de renseignement, nous avons un problème non de recrutement, mais de fidélisation. Cela s’explique par l’inadéquation de nos outils de fidélisation par rapport au monde civil, voire administratif. Souvent, c’est l’environnement familial qui fait décrocher, d’où notre « plan famille 2 ».

Ce point nous ramène à la question indemnitaire. La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) produira vraiment ses effets cette année : un demi-milliard d’euros d’indemnités est injecté en 2023. Il s’agit notamment de la « prime de combat », qui va être versée pour la première fois en octobre.

La masse salariale va augmenter en provision, passant de 87 milliards d’euros dans la LPM qui se termine à 98 milliards dans le présent projet, soit une hausse de 12 %. Cela va nous permettre de réfléchir à un chantier indiciaire, non pour l’ensemble des grades et fonctions, mais pour certaines strates de grades. Nous en discutons avec le CSFM (Conseil supérieur de la fonction militaire). Je pense en particulier aux sergents, premier grade de la catégorie des sous-officiers.

En tout cas, il s’agit incontestablement d’une faiblesse de l’exécution de la LPM qui se termine. Dans certains services, le problème est plus global : le service de santé des armées subit les mêmes difficultés que le système sanitaire civil ; à la DGA (direction générale de l’armement), ce sont les carrières d’ingénieur qui sont concernées.

Concernant l’étude d’impact, j’étais très confiant, car elle était plus solide et documentée que la précédente ; en outre, j’avais déjà répondu devant la commission de la défense, avant et après la présentation du texte en Conseil des ministres, à la plupart des questions qui figuraient dans le courrier du président Marleix. Le Conseil constitutionnel a non seulement validé l’étude d’impact, mais souligné sa robustesse.

Cela étant – je le dis à des responsables politiques –, pour certains sujets, l’impact sera évalué non selon des critères techniques, mais sur le fondement d’orientations pour la Nation que seuls des parlementaires, des membres du Gouvernement ou le chef des armées doivent assumer. Je pense aux coopérations européennes, avec leurs forces et leurs faiblesses.

J’ai reçu hier soir les demandes de chiffrage de vos collègues, Monsieur le président. Nous y répondrons le plus précisément possible, comme aux arguments invoqués lors de la conférence des présidents, car si je conteste que l’on remette en cause la qualité de l’étude d’impact, je reconnais le bien-fondé de certaines des questions soulevées dans les moyens présentés au Conseil constitutionnel. Je ferai une réponse écrite dont je pourrai vous adresser la copie, Monsieur le président.

S’agissant des restes à payer, ils sont en effet inhérents aux dépenses militaires : le Parlement vote des autorisations d’engagement, ce qui nous permet de signer des bons de commande ; à ce moment-là, d’énormes masses financières restent à payer, et le crédit de paiement se déclenche seulement lors de la livraison, souvent longtemps après. C’est le cas, en 2023, des Rafale : peu de ministères signent des bons de commande pour des livraisons qui auront lieu dans plusieurs années. C’est aussi vrai des travaux d’infrastructure sur nos bases.

L’accélération que vous constatez est réelle : nous augmentons nos dépenses militaires, nous lançons beaucoup de programmes, de travaux d’infrastructure, de réparations… Nous achetons davantage, les restes à payer grossissent donc logiquement.

Mais il n’y a pas de risque, dès lors qu’il n’y a pas de revirement brutal dans la programmation : les deux lois de programmation successives se complètent. Les cibles finales – on peut reprendre l’exemple des Rafale – demeurent, et ce sont elles qui comptent.

Sur les marges frictionnelles et les reports de charges, j’ai entendu des choses curieuses et je vous remercie de souligner que ce sont des mécanismes tout à fait normaux, qui ont toujours existé. Mes prédécesseurs ont souvent fait le choix de ne pas les montrer au Parlement, de les noyer dans la masse. J’ai fait le choix inverse, au vu des sommes en jeu : celui de faire preuve de transparence en faisant apparaître la construction budgétaire.

Les marges frictionnelles, c’est-à-dire le décalage dû au fait que des industriels ne peuvent pas livrer les commandes ou que des travaux ne peuvent pas être réalisés pour des raisons qui ne tiennent pas au maître d’ouvrage, ont été constatées à hauteur d’environ 3,3 % en 2021 et 2022. Nous vous proposons de retenir le chiffre de 3,25 %. Il sera possible de l’actualiser, mais si tout va bien, nous devrions utiliser cette marge frictionnelle plutôt en début de période ; ensuite, puisque nous commandons beaucoup, sauf pépin majeur, elle devrait se réduire.

Quant au report de charges, je revendique son usage : c’est un outil de gestion de l’inflation – un outil dont peu de ministères disposent. Nous avons face à nous de grands industriels, et nous avons besoin de jouer sur ce critère. Nous renvoyons parfois des paiements à plus tard, à un moment où l’inflation sera plus favorable.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Vos interventions, Monsieur le ministre, montrent la volonté du Président de la République, chef des armées, d’une politique plus ambitieuse pour notre défense.

Avec ce projet de loi de programmation, changeons-nous de dimension ? Vous avez fait des annonces lors de votre tournée la semaine dernière en Lorraine et dans le Grand Est. Le projet de LPM prévoit-il des implantations nouvelles ou le renforcement d’unités existantes ?

Nous partageons avec l’Allemagne une brigade, désormais renforcée par d’autres États membres de l’Union européenne, mais pas cette méthode de programmation budgétaire. Alors que notre voisin a annoncé d’importants efforts pour acquérir des armes, devons-nous nous interroger sur ce point ?

Nos programmes de commande aux industriels vont-ils gagner en efficacité ? Quelle est la place des coopérations internationales, et comment sont-elles prises en compte ?

Nous venons d’entendre MM. Bruno Le Maire et Gabriel Attal au sujet du programme de stabilité et de croissance. Nous avons constaté une volonté de modifier la gouvernance européenne : l’effort singulier de la France en matière de défense sera-t-il pris en compte, de manière tant comptable que statistique ?

M. Emeric Salmon (RN). On a vu s’étaler dans la presse de multiples désaccords au sein du Gouvernement : Mme Borne souhaitait réduire le projet de LPM à 392 milliards d’euros ; vous souhaitiez, à juste titre, un budget plus ambitieux à 413 milliards d’euros. Il ne faut pas se leurrer sur la somme que vous avez obtenue. Le rapport du Haut Conseil des finances publiques est très clair : cette somme n’est pas budgétée de façon sincère puisque 13 milliards sont annoncés sans que l’on trouve une trace crédible de leur financement.

Nous nous inquiétons aussi des effets de l’inflation. Les dépenses sont programmées en euros courants, ce qui laisse planer un doute sur la réalité de ces crédits. La seule disposition de crédits supplémentaires concerne la hausse du prix des carburants. Le 28 février, au Sénat, vous avez confirmé que l’inflation pèserait pour 30 milliards d’euros sur les 413 prévus.

M. Patrick Hetzel (LR). Ce projet de LPM montre une ambition ; c’est aussi, pour nous, une réelle déception. En 2030, nous aurons 48 Rafale de moins que ce que prévoyait la précédente LPM, 11 drones tactiques de moins, 727 Griffon de moins. Et ne nous dites pas que nos industriels ne peuvent pas suivre : ils le peuvent et vous le savez.

La guerre est de retour sur le continent européen. Nos efforts pour les années 2024 à 2027 ne sont pas à la hauteur. On peut craindre que, malgré les moyens supplémentaires effectivement prévus, la réalité économique ne conduise nos armées à rester échantillonnaires.

Quant à la BITD, si importante pour notre souveraineté comme pour l’emploi dans nos territoires, elle sera mise à contribution dans le cadre de l’économie de guerre, mais nos industriels ont aussi besoin de visibilité, donc de financements dans la durée, au moment où leurs concurrents deviennent de plus en plus agressifs et sont souvent très soutenus par leurs États et des financeurs privés. Comment entendez-vous consolider notre filière industrielle de défense et assurer notre souveraineté industrielle ?

M. Mohamed Laqhila (Dem). Je salue d’abord tous nos soldats, qui assurent notre sécurité, et je les assure de notre entière confiance.

Le projet de LPM pour 2024-2030 prévoit une augmentation de plus de 100 milliards d’euros par rapport à la LPM précédente. Cet important effort doit s’accompagner de davantage de transparence à propos de nos besoins futurs. Les objectifs incluent la modernisation de la dissuasion nucléaire, le renforcement de l’industrie et de la production sur le sol français ou européen, l’augmentation de la présence outre-mer et des investissements dans le cyber, le renseignement, l’espace et les fonds marins.

Le contexte de réarmement en Europe, donc l’augmentation de la demande, a-t-il un effet sur les prix ? Comment prenez-vous cet aspect en compte ?

La coopération franco-allemande en vue du développement d’un nouveau char, le MGCS – système principal de combat terrestre –, semble stagner alors que d’autres projets concurrents apparaissent en Allemagne. Les coûts et les impacts d’un développement national de ce char sur le projet de LPM restent à clarifier.

Enfin, quelles sont les conséquences budgétaires de la réduction de notre présence en Afrique ?

M. Philippe Brun (SOC). Le budget annoncé peut paraître élevé, et même historique. Néanmoins, il y a un report de 100 milliards d’euros de la précédente LPM : nous nous interrogeons sur ce recyclage de crédits. Nous nous inquiétons également de l’inflation, qui sera une variable déterminante puisqu’elle risque de rogner fortement les crédits.

Votre volonté de disposer d’un modèle d’armée complet ne semble pas réaliste – à moins que ce modèle d’armée complet ne soit miniature…

La trajectoire budgétaire de ce projet de LPM ne semble pas cohérente avec les ambitions affichées et laisse trop de place aux aléas politiques et géopolitiques. On constate notamment que les hausses les plus substantielles sont prévues après 2027, c’est-à-dire après la prochaine élection présidentielle.

S’agissant enfin de la BITD, je partage les inquiétudes exprimées par M. Hetzel. Il y a un besoin de prévisibilité et donc d’engagement clair de l’État vis-à-vis de nos industriels.

M. François Jolivet (HOR). Avec le Président de la République, puisqu’il s’agit d’un domaine partagé, vous nous proposez un doublement du budget du ministère de la défense entre 2017 et 2030. C’est un effort considérable, justifié par le fait que nous vivons dans le monde de tous les dangers.

Le budget important consacré à la dissuasion nucléaire contribuera à garantir notre souveraineté. Néanmoins, la guerre que nous voyons aujourd’hui est plutôt très conventionnelle. Vous avez aussi parlé avec malice des dividendes de la paix : il était facile de faire du budget de la défense la variable d’ajustement de nos finances car les militaires, eux, ne se mettent pas en grève !

J’ai compris de vos propos que le soutien à l’Ukraine serait financé de façon interministérielle, et non par la seule mission Défense.

Initialement, la loi de programmation 2019-2025 fixait un objectif de maîtrise des reports de charges. Il ne semble pas que ce projet de LPM le reprenne. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Où en est le contrat d’externalisation pour la gestion des logements du ministère des armées (Cegelog), opération importante décidée par Mme Florence Parly et qui représente un investissement de près de 7 milliards d’euros sur trente ans ? Est-il bien intégré dans le projet de LPM ?

La période du covid a montré que nos armées ne disposaient pas toujours de stocks suffisants, parce que nos pièces venaient d’un peu partout. La modernisation que vous prévoyez pourra-t-elle également profiter au domaine civil ? Il ne faudrait pas que ce soient les entreprises des autres pays qui engrangent les résultats de la recherche que nous paierons d’une manière ou d’une autre.

M. Charles de Courson (LIOT). Nous avons toujours voté les projets de loi de programmation militaire, parce que, dans un monde de plus en plus dangereux, il ne faut pas baisser la garde.

Pourquoi trois nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), plutôt que deux ou quatre ?

Vous prévoyez un renforcement de notre présence outre-mer. Cela concerne-t-il les forces armées dans la zone Sud de l’océan Indien (Fazsoi) ? Mayotte sera-t-elle dotée d’un patrouilleur à temps plein afin d’essayer de contrôler les eaux territoriales françaises ?

Le projet de LPM prévoit 16 milliards d’euros pour acheter des munitions. Comment cette somme est-elle calculée ? Autrement dit, à quel niveau faut-il fixer nos stocks ?

Je m’interroge enfin, moi aussi, sur ces 13 milliards d’euros de ressources non budgétaires.

Mme Véronique Louwagie (LR). Une loi de programmation militaire ambitieuse apparaît en effet nécessaire, au vu de la situation géopolitique que nous vivons.

Je voudrais replacer l’examen de ce projet de loi dans le contexte général de nos finances publiques. Tout d’abord, nous n’avons pas de loi de programmation des finances publiques, je le regrette comme notre rapporteur général ; il me semble que la responsabilité en revient à la majorité, puisque le groupe Les Républicains avait fait des propositions. Je me demande comment le Gouvernement peut soumettre au Parlement ce projet de loi de programmation sectorielle sans loi de programmation de l’ensemble des finances publiques.

Le programme de stabilité et de croissance vient de nous être présenté ; il vise à désendetter notre pays et prévoit une diminution des dépenses publiques de 65 milliards d’euros. Comment les 413 milliards d’euros du projet de LPM s’intègrent-ils dans ce cadre ?

M. le président Éric Coquerel. Je reviens sur les surcoûts liés aux décalages. Est-ce la raison pour laquelle vous demanderiez 1,5 milliard d’euros supplémentaire en 2023 ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Non, ce 1,5 milliard, ce sont des dépenses nouvelles, qui n’existent pas dans la loi de programmation actuelle.

M. le président Éric Coquerel. Y aura-t-il un apurement de la situation, ou bien devons-nous nous attendre à un surcoût chaque année ?

Par ailleurs, les provisions prévues pour les Opex passent de 1,1 milliard à 800 millions d’euros. Pourquoi cette baisse ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est bien pour des dépenses nouvelles que nous demanderons 1,5 milliard d’euros. Cela n’a rien à voir avec les marches. Les analyses de nos armées font apparaître que, sur certains sujets, nous ne pouvons pas attendre la loi de programmation 2024-2030 pour agir. Le meilleur des exemples, c’est celui de la lutte antidrones : les Jeux olympiques et paralympiques arrivent très vite, et il est nécessaire de passer des commandes. Cela nous permettra aussi, bien sûr, de ne pas retrouver ces dépenses dans la programmation qui vient. Il y a un tuilage entre les deux programmations.

S’agissant des Opex, je souligne qu’on retrouve certaines missions intérieures, comme Sentinelle, sur la même ligne budgétaire. La diminution importante est due à la fin de l’opération Barkhane. La provision demeure plus importante qu’elle ne l’était avant 2017. En 2024, nous prévoyons une provision supplémentaire pour les missions intérieures, en raison des Jeux olympiques et paralympiques. Cette provision ne doit pas contraindre l’activité de nos forces : le Parlement rouvrira ensuite des crédits s’il le faut.

Madame Louwagie, les marches d’une loi de programmation militaire doivent en effet être soutenables : dès lors que nous prévoyons une exécution à l’euro près, nous devons être sérieux. Je pourrai y revenir par écrit, si cela paraît nécessaire.

Si les dépenses augmentent après 2027, c’est parce que certains besoins physiques apparaîtront à ce moment-là – ce n’est pas à cause de l’élection présidentielle ! Je pense à la modernisation de la dissuasion, à la conduite du programme relatif aux porte-avions : nous aurons besoin que « ça crache » en crédits de paiement, si vous me permettez l’expression ! Mais nous aurons déjà fait deux tiers du chemin.

Oui, il y a une élection présidentielle en 2027 : il nous reviendra, aux uns et aux autres, de nous montrer responsables et de choisir des candidats qui s’engageront à soutenir nos forces armées. Cela n’a pas toujours été le cas ! Je ne suis pas sûr qu’à chaque élection, notamment législative, on parle aux électeurs de l’appartenance à l’Otan, de la dissuasion nucléaire, de l’exportation de nos armes… Pourtant, une nouvelle législature, un nouveau Président de la République pourraient remettre en cause, ou accélérer, ce que nous décidons. D’ailleurs, une loi de programmation n’est pas contraignante : si vous décidez de faire, en loi de finances annuelle, le contraire de ce qu’elle prévoit, vous le pouvez. Je le redis souvent aux forces armées !

Aujourd’hui, les marches inscrites dans le projet de LPM sont compatibles avec la trajectoire que MM. Le Maire et Attal vous ont présentée. Le contraire serait insincère. Ces montants reflètent des choix politiques de la Nation : au vu du contexte sécuritaire mondial, j’espère que la nécessité de nous réarmer apparaît clairement, pas seulement pour faire des stocks d’armement mais aussi pour investir des domaines nouveaux, comme celui du cyber.

Monsieur de Courson, nous avons aujourd’hui quatre SNLE, et pour la troisième génération de la nouvelle classe, notre cible est toujours de quatre. Nous assurons en effet une permanence à la mer, et un autre bâtiment est toujours en « arrêt technique majeur » – une maintenance renforcée. Pour le reste, cette audition étant publique, je ne rentre pas dans les détails, vous le comprendrez. Je suis évidemment à la disposition des parlementaires qui peuvent en connaître. Il en va de même pour les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) : la cible des Barracuda reste à six. Vous savez que nous avons inauguré le premier de cette série, le Suffren. Notre souveraineté en matière de propulsion nucléaire est ainsi garantie.

Certaines menaces sont propres à nos territoires d’outre-mer, que l’on ne peut pas détacher de leur environnement régional : dans le cas de Mayotte, il y a la crise migratoire, mais aussi l’enjeu de la lutte antiterroriste dans le golfe du Mozambique. Il faut aussi évoquer l’intégrité de nos zones économiques exclusives (ZEE), donc leur protection contre la pêche illégale. Nos infrastructures ultramarines sont également vulnérables aux menaces cyber. Je pense encore à des intérêts souverains très spécifiques, comme le Centre spatial guyanais.

Nous prévoyons donc un renforcement majeur des forces prépositionnées outre-mer. Pour les Fazsoi, c’est-à-dire à La Réunion et à Mayotte, des moyens de patrouille supplémentaires, notamment d’aviation, sont prévus. Il y a un enjeu technologique, notamment en matière de drones. Alors que nos territoires d’outre-mer ont souvent été les derniers à bénéficier des nouvelles technologies, je souhaite au contraire, en raison de la tyrannie des distances, qu’ils soient désormais les premiers. La Polynésie est grande comme l’Europe, la Guyane comme le Portugal, la Nouvelle-Calédonie comme l’Autriche : sur le spatial ou sur les drones, c’est évidemment là qu’il faut mettre le paquet. Cela aidera aussi les forces de sécurité intérieure à lutter contre l’immigration illégale. Ce sera vrai aussi en matière d’aviation de transport : aujourd’hui, les moyens sont dans l’Hexagone et nous les projetons vers les outre-mers ; nous devons installer davantage de moyens à demeure à La Réunion comme à Mayotte, afin de déployer des forces plus rapidement de La Réunion vers Mayotte, notamment. J’aurai prochainement un échange avec Mme Youssouffa sur ces questions.

Vous m’interrogez sur les niveaux de nos stocks de munitions. C’est une question très importante pour la bonne gestion de nos finances publiques. Il faut que nos stocks soient suffisants pour que nos armées puissent réagir vite, puis soutenir leur effort dans la durée ; mais notre modèle repose aussi sur une réactivité de nos industriels, qui doivent être capables de basculer en économie de guerre si la mission doit se poursuivre. C’est le modèle gaullien : si on s’en dit l’héritier, il faut le célébrer et le défendre. Pour imaginer le projet de LPM, nous avons fait des choix opérationnels : nous voulons pouvoir déployer par exemple deux brigades, une division de 12 000 hommes, ce qui n’a rien d’anecdotique, à horizon 2027 et non 2030. Cela implique de se demander en combien de temps nous voulons pouvoir réagir, et combien de temps nous voulons pouvoir tenir – du service de santé des armées aux capacités de transport, en passant par les stocks de munitions. Cela implique aussi de se demander ce que nous devons pouvoir faire seuls, et ce que nous pouvons faire à plusieurs. La France a des alliés : qu’attendons-nous d’eux ? Cette question permet de faire le départ entre ce qui relève directement de notre souveraineté, c’est-à-dire ce que nous voulons à tout prix faire seuls, et ce qu’il est moins grave de faire à plusieurs. Là aussi, c’est le modèle gaullien : nous sommes membres de l’Otan, même si nous conservons une liberté particulière. Nous avons plutôt vocation à emmener les autres : sur notre groupe aéronaval, avec le Charles de Gaulle, on branche la marine de guerre grecque, la marine de guerre italienne…

Nous devons donc disposer d’assez de munitions pour tenir un certain nombre de semaines ou de mois – la durée exacte est classifiée, vous le comprenez –, mais aussi pouvoir déclencher d’un coup de sifflet une économie de guerre qui produit de nouvelles munitions. L’argent du contribuable ne doit pas servir à thésauriser des années de munitions : nous avons connu des stocks critiques trop bas, mais il ne faut pas tomber dans l’excès inverse.

Nombre d’entre vous sont revenus sur la question des 13,3 milliards d’euros. Je veux vous rassurer. Au sein de cette somme, il faut d’abord compter 7,1 milliards de vraies recettes. L’histoire du ministère des armées nous permet de disposer de recettes affectées : il n’y a pas d’affectation budgétaire, c’est un principe, sauf au ministère des armées, puisque les parlementaires ont décidé par exemple qu’en cas de vente d’un terrain militaire, l’argent est affecté au ministère des armées. Aujourd’hui, c’est anecdotique : on ne vend plus grand-chose. Nous avons aussi d’autres revenus : la direction générale de l’armement (DGA) facture parfois des essais à des industriels ; les consultations du service de santé des armées sont remboursées par l’assurance maladie. Ce sont des recettes qui existent, qui sont documentées. C’est du vrai argent !

Une partie de ces 7,1 milliards d’euros est destinée à l’aide à l’Ukraine, que j’ai évoquée tout à l’heure. Elle a des effets sur le format des armées dans la mesure où nous remplaçons le matériel donné. Par ailleurs, il me semble important, pour des raisons de transparence démocratique, que la ligne apparaisse clairement : si elle avait été noyée dans les 400 milliards, vous auriez protesté, et à juste titre.

Le reste des 13,3 milliards, c’est-à-dire 6,2 milliards, viennent de ce que nous savons de la vie budgétaire des armées : des marges frictionnelles et du report de charges. Dans toutes les LPM précédentes, certaines dépenses ont bougé. En toute sincérité, nous avons inscrit dans la programmation la réalité de ce que nous constatons ; M. Moscovici, président du HCFP, a montré que cette transparence était nouvelle. Il a pointé du doigt les marges frictionnelles ; je les documenterai précisément.

Monsieur Jolivet, l’histoire des reports de charges, c’est celle de la cigale et de la fourmi ! C’est un outil de gestion de l’inflation : lorsque les critères d’inflation étaient très favorables, Florence Parly a eu raison de réduire les reports de charges ; l’inflation est mauvaise aujourd’hui, nous utilisons donc cet outil pour amortir le choc. J’en appelle à la cohérence de tous : l’inflation s’impose à nous. Soit j’utilise les outils dont le Parlement a doté le ministère des armées, soit nous subissons le choc d’inflation d’un seul coup ! Il faut trancher, et je vous demande de bien vouloir accepter ce report de charges, pour amortir le choc. Là encore, nous pourrons détailler nos explications.

Merci d’être revenu sur Cegelog : ce contrat, signé il y a un peu plus d’un an, dit aussi quelque chose de la manière dont on envisage désormais les logements de nos soldats. Il court sur trente-cinq ans. Pour ce projet de LPM, les budgets sont là. Il faut maintenant conduire les opérations et construire ces logements.

Vous avez raison, il y a un enjeu industriel dual : les dépenses militaires inscrites dans ce projet de LPM serviront de locomotive pour des applications civiles. Je pense par exemple aux drones. Il y a aussi un enjeu majeur de souveraineté, donc de relocalisation de certaines fonctions. Nous avons ainsi, au fil du temps, laissé la production de poudre partir loin à l’étranger, hors de l’Union européenne ; la coupure des routes d’approvisionnement au moment de la crise du covid nous a réveillés en nous montrant que nous étions dépendants de pays d’Asie du Sud-Est. C’est pourquoi j’ai annoncé la relocalisation à Bergerac de la production de poudre pour les obus de 155 millimètres ; huit projets sont en cours. C’est une question de souveraineté, mais aussi de modèle de défense : nous devons pouvoir exporter.

Monsieur Brun, les recyclages de crédits sont peu élevés : nous ne mettons fin prématurément à aucun programme de l’actuelle LPM. Si nous augmentons les crédits, c’est principalement pour des programmes nouveaux. Il n’y a donc pas vraiment de crédits à récupérer… Il y a plutôt une belle continuité des deux programmations : c’est le cas pour le programme Barracuda, par exemple.

Je l’ai dit, nous disposons de nombreux instruments pour que nos crédits ne soient pas rognés par l’inflation. Si elle devait être durablement sévère, il est évident que je reviendrais vers vous, soit pour vous demander des crédits nouveaux, soit pour constater qu’il faut renoncer à certains programmes. Mais nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne nouvelle, et pour le moment, l’inflation est régulée, et aucun programme militaire n’est annulé ou décalé en raison de l’inflation, grâce aux reports de charges et aux crédits supplémentaires votés en collectif budgétaire en 2022.

Quoi qu’il en soit, cette programmation devra être remise à jour, soit pour des raisons militaires et géostratégiques, soit pour des raisons macroéconomiques. L’ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), c’est-à-dire la mise à jour de la LPM au sein du ministère des armées, doit se faire davantage en lien avec le Parlement, en amont de la discussion du projet de loi de finances.

Vous parlez de modèle d’armée complet miniature. C’est un vieux débat, mais intéressant ! Le projet de LPM est construit en fonction de la réalité des missions que nous pouvons confier à l’armée française dans les cinq à dix ans qui viennent. Je reviens à ce que je disais des comparaisons stupides avec l’Ukraine : on voudrait nous préparer à des menaces qui ne sont pas d’actualité ou qui ne peuvent pas exister. Sur certaines capacités, nous serons toujours échantillonnaires : certaines missions seront toujours expéditionnaires, et nous n’avons pas vocation à les mener seuls. Inversement, sur d’autres segments, nous devons nous renforcer, parce que nous pouvons être amenés à être les premiers à marcher, seuls peut-être. C’est le cas dans nos outre-mers : ce serait une terrible humiliation de devoir demander à un pays riverain d’un de nos territoires ultramarins de nous aider à faire face à une crise majeure. La crédibilité du projet de LPM est un facteur clé : cela nous évite le fantasme de certaines missions imaginaires, mais cela nous évite aussi de passer à côté de certains risques bien réels.

Monsieur Laqhila, le MGCS est le char du futur, qui viendra après le char Leclerc – pour lequel une rénovation à mi-vie est prévue dans le projet de LPM. Je rencontre mon homologue allemand à Madrid ce vendredi, en marge d’une réunion consacrée au système de combat aérien du futur (Scaf). Nous devons affiner les besoins de nos deux armées de terre. L’Allemagne est chef de file pour le MGCS, comme la France l’est pour le Scaf. Nos lignes rouges n’ont pas bougé : nous voulons pouvoir exporter sans dépendre de décisions allemandes, car notre stratégie d’exportation doit rester souveraine ; nous devons aussi fixer certaines compétences, qui doivent être bien délimitées, comme c’est le cas pour toutes les coopérations.

En Afrique, il y a une réduction d’empreinte, mais il n’y a pas de fermetures. Nous allons demander à nos forces prépositionnées sur ce continent et qui dispensent des formations d’élargir le périmètre de celles-ci. Nous aurons moins de forces à demeure, et plus de forces tournantes venues de l’Hexagone. Il faut aussi dissocier les bases militaires où il y a de l’appui au combat – Abidjan, nos bases au Tchad ou au Niger – de celles qui ne font que de la formation – au Sénégal ou au Gabon. Du point de vue budgétaire, ces évolutions ne créent ni économie, ni dépense nouvelle : nous allons faire autant, mais différemment.

Monsieur Hetzel, vous savoir déçu m’attriste. Certains des chiffres que vous avez donnés ne sont pas exacts : vingt-huit livraisons de Rafale sont prévues pour la période allant de 2019 de 2025, contre quarante-six nouvelles livraisons entre 2024 et 2030, soit une augmentation de 65 %. Concernant les drones, il y a une coquille dans le tableau : la cible ne change pas.

Mais peu importe. Sur le fond, c’est un choix politique qui attend les parlementaires : quel équilibre voulons-nous entre la cohérence et la masse ? Quand on voit les crédits militaires augmenter et la fin de certains programmes, prévue pour 2030, être décalée à 2031 ou 2032, je comprends que l’on s’interroge. La réalité, c’est qu’on a longtemps privilégié la masse, et les chiffres en augmentation dans les tableaux, sans se préoccuper de la cohérence, c’est-à-dire de la formation, des pièces détachées, de l’entretien, des munitions… Je cite souvent l’exemple de nos hélicoptères : sur le papier, les cibles étaient plutôt satisfaisantes, mais la disponibilité des matériels était médiocre. Pendant longtemps, même quand les dépenses militaires diminuaient, on n’a pas voulu diminuer le nombre de matériels, et on a plutôt abîmé le maintien en condition opérationnelle (MCO), le soutien, les infrastructures.

Je prends souvent une image dont vous me pardonnerez le côté un peu décalé : préférez-vous 400 cafetières Nespresso sans capsules, sans eau, sans électricité et sans personne pour les entretenir, ou 200 de ces mêmes cafetières avec de l’eau, de l’électricité, des capsules et des gens pour les faire fonctionner ?

S’agissant des Griffon, par exemple, il n’y a pas d’annulation ; simplement, la fin du programme est décalée vers la prochaine programmation, parce que nous avons choisi une cible un peu inférieure dans la période qui s’ouvre, mais avec les infrastructures d’accueil – par rapport aux matériels précédents, on change d’échelle, donc il faut des parkings, des hangars… Nous voulons aussi arrêter ce qui s’est fait pendant des années : remettre les équipements à plus tard. Ainsi, dans le cas des MRTT – avions multirôles de transport et de ravitaillement –, on fixait une cible de matériels en remettant à une prochaine LPM l’achat de brouilleurs. Je préfère acheter dès maintenant les composantes de brouillage, quitte à commander moins d’avions… C’est aussi le cas pour la formation, la disponibilité, l’entretien ; c’est de ce fait bon pour nos industriels, puisqu’ils facturent le MCO au ministère. Bref, les cibles ne sont pas réduites, elles sont étalées, et l’argent n’est pas économisé mais utilisé pour renforcer la cohérence.

Je reviens à ce que je disais tout à l’heure du déploiement d’une division et de deux brigades en 2027, et je vous renvoie aussi à ce qui s’est passé ce week-end au Soudan : ce n’est pas le tableau des cibles qui fait l’efficacité militaire ; c’est la disponibilité de nos Griffon, mais aussi de personnels bien formés et de munitions. J’ai tenté de l’expliquer au président Marleix lorsque je l’ai reçu pendant une heure et demie il y a trois semaines ; je vois que les mêmes arguments reviennent, c’est donc que je n’ai pas été clair.

Ce que je vais dire sera sans doute mal interprété, mais tant pis : il est clair que les industriels préfèrent, eux, la masse. Ma responsabilité est de vous présenter une copie, préparée par nos états-majors, qui privilégie la cohérence.

Avec une programmation de 413 milliards d’euros, la visibilité s’améliore pour nos industriels. La LPM qui s’achève et celle qui commence donnent quasiment douze ans de prévisibilité. Tous les segments ne se valent pas : certaines technologies sont en fin de vie, d’autres doivent au contraire être protégées, comme la propulsion nucléaire. Pour d’autres encore, nous attendons des industriels qu’ils financent des recherches et qu’ils innovent : c’est le cas des drones, à propos desquels les choses avancent bien.

Nous en revenons au modèle gaullien, qui repose sur une prise de risque à l’exportation. Il faut l’assumer. Le modèle des Rafale fonctionne, mais il a fallu de la ténacité. Le président Sarkozy avait du mal à en vendre, vous vous en souvenez ; mais la persévérance a payé, car c’est aujourd’hui un succès à l’export. Je mets sur les industriels une pression saine et bienveillante : nous ne pouvons pas ne pas exporter, surtout au moment où de nombreux pays, notamment dans la zone Indo-Pacifique, ne veulent acheter ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Washington et trouvent à Paris un non-alignement gaullien qui les intéresse. C’est ce qui fait le succès du Rafale en Indonésie, aux Émirats arabes unis, en Inde. Nous, responsables politiques, devons trouver un équilibre : nous devons dégager des financements suffisants pour protéger nos technologies, tout en laissant une tension suffisante pour inciter les industriels à se montrer agiles et musclés à l’exportation. C’est aussi ce qui fera la puissance française.

Monsieur Salmon, vous avez parlé d’insincérité ; vous êtes dur ! Je crois vous avoir répondu. Je pourrais reprendre cette démonstration par écrit. L’argent est là ; les marges frictionnelles comme les reports de charges ont toujours existé. Les recettes extrabudgétaires existent elles aussi bel et bien.

S’agissant de l’inflation, je préfère les euros courants. Ce sont des euros budgétaires, ils sont lisibles et votés par le Parlement. Les armées ont été jadis trompées par les euros constants, comme si l’inflation n’existait pas : en réalité, les moyens diminuaient. Nous disposons, je l’ai dit, de différents mécanismes pour gérer l’inflation. Je pourrai y revenir lors d’autres débats.

Monsieur Lacresse, il y a un changement de dimension, mais, je le redis, dans la cohérence. Vous avez pu constater, dans les visites de régiments que nous avons faites ensemble, que nos militaires préfèrent cela – ils ont aussi été déçus par les promesses de masse faites dans le passé. Nous continuons aussi nos efforts de réparation, qui pèsent lourd dans la maquette globale.

La coopération franco-allemande fonctionne bien, comme d’ailleurs l’escadron franco-allemand de transport tactique C-130J basé à Évreux. Les Allemands en sont aussi satisfaits.

Vous m’interrogez sur l’impact industriel. Je n’ai pas assez parlé d’économie de guerre, mais c’est une des grandes leçons de la guerre en Ukraine : quand la Pologne préfère acheter en Corée du Sud plutôt qu’aux États-Unis parce qu’elle trouve que les Américains ne produisent pas assez vite, c’est une sérieuse alerte pour notre industrie de défense française. Nous avons la technologie et la compétence ; sur les prix et les délais, il faut continuer de progresser.

Sur le pacte de stabilité, je me ferai peut-être gronder par mes collègues de Bercy, mais vous avez raison : on ne peut pas ne pas voir que, depuis le Brexit, il y a une seule grande puissance qui dispose d’une armée d’emploi, dotée de l’arme nucléaire, et qui est la première à marcher pour mettre à l’abri nos ressortissants mais aussi ceux de nombreux autres pays européens, comme on l’a vu au Soudan. Dans les réflexions sur la coordination des politiques publiques au sein de l’Union européenne et de l’Otan, au delà des 2 % de PIB, il faut prendre en considération le fait que beaucoup de pays européens profitent de notre puissance militaire. Il me paraît sain de poser la question.

M. le président Éric Coquerel. C’est en quelque sorte une loi de programmation militaire de base que vous nous proposez, avec des réévaluations chaque année.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Au vu des sauts technologiques, je serais un bien mauvais ministre si je ne proposais pas des réévaluations… Qui parlait, il y a un an et demi, de ChatGPT ? Imaginez la place que l’intelligence artificielle va prendre en matière militaire ! La vitesse de ces évolutions me contraindra, quoi qu’il arrive, à revenir plus souvent devant le Parlement que jadis, où on lançait des dés qui roulaient pendant quatre ou cinq ans. Au-delà même des questions militaires, les questions technologiques et sécuritaires s’imposent à nous.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 26 avril 2023 à 17 heures

 

Présents. - M. Philippe Brun, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Sophie Errante, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Patrick Hetzel, M. François Jolivet, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Pascal Lecamp, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M.  Emeric Salmon, M. Jean-Philippe Tanguy

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Fabrice Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Florian Chauche, M. Joël Giraud, Mme Constance Le Grip, Mme Karine Lebon, M. Jean- Paul Mattei, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl